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Le Phil d'Actu - Philosophie et Actualité

Edouard Jourdain et la philosophie anarchiste

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1h13 |06/12/2024
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Edouard Jourdain et la philosophie anarchiste

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Description

Et si la philosophie vous réconciliait avec l'anarchisme ?


⚡ Qu’est-ce que l’anarchisme ? Est-ce, comme on le pense souvent, le chaos et la loi du plus fort ? Ou est-ce, au contraire, une organisation politique juste et éthique, la plus adaptée à notre nature humaine ?

Ce sont les questions que j’ai posé au philosophe Edouard Jourdain, spécialiste de l’anarchisme, qui réfléchit au croisement de la philosophie et de la science politique. Il cherche à penser les mécanismes de pouvoir et les institutions, les origines de notre croyance presque aveugle en l’économie, et les possibilités d’émancipation collective à travers une refonte totale de notre système politique.

Dans cet épisode, vous allez entendre des propositions puissantes, radicales, qui bouleversent notre conception habituelle du monde. Alors, accrochez-vous, et je vous garantis qu’à la fin de cet épisode, vous serez devenus un peu anarchistes.


📚 Le dernier livre d'Edouard Jourdain, Maîtriser les conflits par les communs, est disponible ici.


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Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui remet la philosophie au cœur de l'actualité. Ici, pas de philo prétentieuse et déconnectée du monde, mais une philo accessible et ancrée dans la société. Tous les mercredis, je vous propose une chronique commentant l'actualité et, une fois par mois, l'interview d'un ou d'une philosophe contemporaine. Prêt et prête pour une philosophie vivante et engagée ? Bienvenue dans le fil d'actu. Qu'est-ce que l'anarchisme ? Est-ce, comme on le pense souvent, le chaos et la loi du plus fort ? Ou est-ce au contraire une organisation politique juste et éthique, la plus adaptée à notre nature humaine ? Ce sont les questions que j'ai posées au philosophe Édouard Jourdain, spécialiste de l'anarchisme, qui réfléchit au croisement de la philosophie et de la science politique. Il cherche à penser les mécanismes de pouvoir et les institutions, les origines de notre croyance presque aveugle en l'économie et les possibilités d'émancipation collective à travers une refonte totale de notre système politique. L'anarchisme pourrait mener à la paix, contrairement au capitalisme. Dans cet épisode, vous allez entendre des propositions puissantes, radicales, qui bouleversent notre conception habituelle du monde. Alors, accrochez-vous et je vous garantis qu'à la fin de cet épisode, vous serez devenus un peu anarchistes. Bonjour à toutes et à tous. Bonjour Edouard Jourdain.

  • Speaker #1

    Bonjour Alice.

  • Speaker #0

    Merci d'être dans le fil d'actu.

  • Speaker #1

    De rien, merci à vous. Je suis ravi d'être là.

  • Speaker #0

    Alors, je vais commencer par une première question. Qu'est-ce que c'est pour toi la philosophie ?

  • Speaker #1

    Pour moi, la philosophie, si on reprend le terme du sujet, c'est souvent comme ça qu'on commence, en tout cas, a priori en philosophie, c'est l'étude de la sagesse. Mais moi, ce n'est jamais quelque chose qui m'a intéressé comme tel pour ça. Moi, je n'ai pas fait de la philo pour penser ce que pouvait être la sagesse de la vie ou je ne sais quoi. Moi, en fait, j'ai commencé par la science politique parce que c'est une discipline qui me paraissait la plus ancrée dans la cité. Moi, ce qui m'intéressait, c'était la cité au sens large, c'est-à-dire la vie politique. La cité, c'est la police en grec, la vie de la cité. Et via la science politique, je me suis intéressé à la philosophie aussi, au sens où pour moi, la philosophie, c'est ce qui permet à la fois de donner un sens aux événements, à l'histoire, etc. Mais ça va aussi avoir une dimension normative. Et c'est pour ça que moi, je m'intéresse beaucoup à la philosophie politique. Donc moi, je suis un petit peu à cheval entre la philo et la science poste, qu'on peut appeler la philosophie politique ou la théorie politique. C'est-à-dire, pour les Grecs, c'était quelle est la forme de meilleur régime, de meilleur gouvernement ? Moi, je l'entends au sens un petit peu plus large, c'est-à-dire, en effet, à la fois comment on peut donner un sens à la vie de la cité être aussi les meilleures institutions possibles.

  • Speaker #0

    D'accord, donc la science politique, ce serait décrire, si je reprends ce que tu dis, et la philosophie irait un petit peu plus loin, on dirait, oui d'accord, on décrit mais voilà ce qu'il faudrait faire, ou en tout cas, réfléchissons à ce qu'il faudrait faire ensemble.

  • Speaker #1

    On va un petit peu plus loin que ce qu'on appelle en science politique aussi le positivisme ou la sociologie politique, c'est-à-dire uniquement la description. Et d'ailleurs, en science politique, très souvent, on va séparer, comme disait un un sociologue qui s'appelait Max Weber, les faits des valeurs. Donc, le savant, son seul boulot, c'est de décrire des choses et c'est tout. Les valeurs, il les garde à la maison, chez lui. C'est son opinion personnelle, mais on n'en a rien à faire, j'allais dire. Ça, c'est très intéressant d'avoir une description, j'allais dire, la plus réaliste possible des faits. Mais pour ma part, je trouve qu'on ne peut pas en rester là. Et c'est là aussi le rôle du... du savant dans la cité ou même du politiste. Il y a plusieurs écoles aussi là-dessus en Sciences Po. Moi, je pense qu'il faut avoir aussi un rôle assumé, en quelque sorte, et subjectif, parce que parfois, on a un petit peu le point de vue du savant surplombant aussi, en mode, je sais tout, je connais tout, je suis dans l'objectivité, mais tout ça, c'est du pipeau, en réalité. Et de l'autre, on fait un petit peu d'épistémologie, la philosophie des sciences. On sait que c'est du pipeau. Bien sûr. Donc, c'est d'une énorme arrogance épistémique, c'est un gros mot aussi, mais de prétendre qu'on a un savoir objectif sur quelque chose. Bien sûr. Ce qui est complètement absurde, dès lors que, ne serait-ce que pour choisir un sujet, c'est subjectif. Je pense que c'est beaucoup mieux d'avoir un point de vue subjectif assumé et de le déclarer tout de suite. Et à partir de ce point de vue subjectif assumé, c'est qu'est-ce qu'on fait de cette description du réel qu'on a ? Parce que c'est très bien de pouvoir expliquer des choses, des événements, des institutions, l'économie, etc. Mais après, ce what qu'est-ce qu'on en fait ? Ça sert à quoi de décrire tout ça ? C'est bien pour en faire quelque chose. Donc c'est soit pour dire c'est bien, ça marche, c'est juste etc. Soit ça marche pas, ça déconne Et il faudrait peut-être faire ceci ou cela pour que ce soit mieux, plus juste, etc. Et c'est là, à mon avis, le rôle du philosophe politique ou du politiste qui assume sa subjectivité.

  • Speaker #0

    Je suis absolument d'accord avec toi. C'est tout à fait la vision que je porte dans mon travail, dans mon podcast. Et c'est intéressant parce que c'est quelque chose que les gens n'ont pas forcément en tête d'une manière aussi claire. Et moi, on m'a souvent dit... Ah, mais ce que tu fais, ce n'est pas de la philosophie, c'est de la politique. Donc, ça résonne totalement avec ce que tu dis. Et je suis totalement d'accord avec le fait que nous sommes tous situés, on a tous une subjectivité, tous et tous. Donc, il est impossible de prétendre à une objectivité. Au contraire, c'est un peu du mensonge. On avance masqué. Et je suis d'accord avec ta posture de dire, moi, je préfère assumer très clairement quelle est ma posture. Comme ça, au moins, vous savez à qui vous avez affaire. Et parlons ensemble à partir de ces postulats-là. Il n'y a rien de plus énervant, je trouve, quand on est un philosophe. qui prétend avoir une démonstration absolue. Et au bout de je ne sais pas combien de pages, on se rend compte qu'il y avait un énorme postulat caché, une énorme croyance en fait, parce que c'est l'art de la croyance. Et donc toi, qu'est-ce que tu réponds quand on te dit ça ? Quand on te dit oui, mais ce que vous faites, ce n'est pas de la philo, c'est de la politique.

  • Speaker #1

    Moi, on ne me dit pas ça en fait. Alors, on peut me dire presque l'inverse. On peut me dire, vous ne faites pas de la science politique, vous faites de la philo. Donc, il y a aussi ce double truc. Donc moi, je suis vraiment entre, je vais dire le cul entre deux chaises, justement entre la philo et la science politique.

  • Speaker #0

    pour,

  • Speaker #1

    je peux avoir la critique des deux bords. Soit je suis trop politiste, soit je suis trop philosophe. Donc, à chaque fois, je réponds, bah ouais, mais écoute, l'autre discipline me dit l'inverse. Je suis peut-être dans le juste milieu. Donc oui, moi, je dis que je fais de la politique et c'est complètement assumé. Après, souvent aussi, je peux rétorquer en quelque sorte qu'eux aussi, d'une manière, ils font de la politique. Tout à fait. Il suffit que je lise le moindre de leurs écrits et je vais leur dire, voilà, telle est ta position politique. Donc, en fait, en réalité, ça se dévoile très vite, ce genre de choses, y compris dans une philosophie qui se voudrait la plus abstraite possible. En réalité, quand on déroule le postulat, on en arrive toujours à quelque chose de politique et on voit comment est située la personne.

  • Speaker #0

    Totalement d'accord avec toi. On va arriver à tes thèmes après, aux thèmes que tu as choisis, parce que tes thèmes sont très marqués politiquement. Je voudrais juste terminer sur ce sujet un peu de la philosophie. Quelle serait l'émotion première qui fait faire de la philosophie ou qui est le moteur de la philosophie pour toi ?

  • Speaker #1

    C'est une bonne question que je ne me suis pas souvent posée moi-même, je t'avoue. Moi, quelque chose que j'adore dans mes recherches, c'est ce sentiment d'étonnement et d'avoir découvert quelque chose. Alors parfois, ça peut être peut-être faux ou très prétentieux, ou cette idée de dire Ah, là, j'ai trouvé un truc. que j'avais vu nulle part, où j'ai compris quelque chose que je n'avais pas compris. Cette idée, cette émotion d'étonnement et d'émerveillement, de satisfaction, de découvrir quelque chose. C'est cette découverte que je mettrais en premier plan.

  • Speaker #0

    Je me souviens de l'impression souvent, quand je faisais ma thèse ou mes recherches, l'image d'un éclair. qui vient, qui surgit une espèce d'épiphanie, d'un éclair extrêmement puissant.

  • Speaker #1

    C'est Deleuze qui disait, alors lui il parlait de la création de concepts, mais il disait c'est une fête. Et ce n'est pas tous les jours la fête non plus. Donc moi, quand ça m'arrive, je ne sais pas, peut-être deux, trois fois par an, déjà je suis content.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Je vais revenir un petit peu à ton parcours. Tu dis que tu as fait sciences politiques et philosophie, que tu as un parcours qui est explicitement politique, un positionnement qui est explicitement politique. Est-ce que tu peux nous parler de ton éveil philosophique personnel, du choix de tes thèmes ? Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, tu travailles sur des philosophies et des pensées comme l'anarchisme ?

  • Speaker #1

    Moi, je dirais que mon premier éveil philosophique, il est politique aussi, c'est quand j'avais une quinzaine d'années et que j'étais au lycée. J'étais très mauvais élève, je partais complètement en sucette à 14-15 ans, j'ai eu une grosse crise d'ado pendant deux ans. Et c'est par la découverte d'un auteur qui m'a un petit peu presque sauvé la... la vie ou en tout cas remis sur le chemin de choses un peu plus sérieuses et ou en tout cas constructives, qu'elle a découverte d'un auteur français qui s'appelle Pierre-Joseph Proudhon et qui est le premier théoricien de l'anarchisme. Dans son ouvrage en 1840, Qu'est-ce que la propriété ? Souvent on connaît, ou il aurait répondu, c'est le vol, qui est une formule d'ailleurs souvent mal comprise. Mais c'est le premier auteur qui, dans cet ouvrage, se réclame anarchiste au sens positif du terme, où il dit je suis... tout à fait ami de l'ordre, mais je me réclame anarchiste et il développe son truc. Et ça m'avait fasciné à ce que je me disais, mais ce gars quand même, il est sacrément couillu. Et il y a un côté paradoxal, c'est comment on peut se réclamer à la fois ami de l'ordre et anarchiste. Enfin, pour moi, c'est cette figure du paradoxe aussi, d'ailleurs, qui m'a toujours fasciné. Et du coup, je me suis intéressé à son œuvre et j'ai creusé cette notion d'anarchisme qui m'a poursuivi jusqu'à nos jours. À côté de l'anarchisme, il y a notamment deux ou trois thématiques qui m'intéressent beaucoup. La question du lien entre religion et politique, ce qu'on appelle aussi le théologico-politique, que moi j'ai décliné aussi avec l'économie. La question du conflit et de la guerre, et la question de justice, commun, etc. Il y a plusieurs pistes que j'essaie de creuser en parallèle pour essayer d'en faire quelque chose de cohérent.

  • Speaker #0

    Ce qu'on peut faire, c'est prendre ces trois pistes les unes après les autres, parce que ces trois sujets, je pense, qui intéressent beaucoup les gens et qui sont souvent mal connus. Rien que l'anarchisme, on va en discuter, mais lié anarchisme et ordre, c'est sûr que ça surprend toujours un peu quand on dit que Proudhon était un fan de l'ordre. C'est vrai que les gens sont étonnés parce que l'anarchisme est devenu dans le langage courant synonyme de désordre, justement. Alors, est-ce que tu peux nous résumer, pour des gens qui n'ont jamais entendu parler de l'anarchisme ? Qu'est-ce que c'est que l'anarchisme ? Alors, si vous avez déjà écouté le fil d'actu, vous savez un peu ce que c'est. Mais on peut reprendre.

  • Speaker #1

    Oui, alors, le fait que l'anarchie soit synonyme de chaos, désordre, en réalité, ce n'est pas neuf. Ça fait depuis très longtemps qu'anarchie va être synonyme de chaos, déjà chez les philosophes grecs. Pendant la Révolution française aussi, on traitait les anarchistes, enfin, on traitait d'anarchistes, pardon, les démocrates. Les démocrates, petit à petit, ont été acceptés. adopté dans leur théorie, qui est celle du gouvernement du peuple par le peuple. Et dès lors, ils n'ont plus été taxés d'anarchistes parce que c'est rentré dans les mœurs, c'est la démocratie est devenue un régime d'ordre. Alors que ce n'était pas du tout gagné au XVIIIe siècle. La démocratie, c'était l'anarchie.

  • Speaker #0

    C'était hérité des Grecs aussi, ça, parce que chez Aristote, enfin chez Platon surtout, la démocratie, c'est le gouvernement des mauvais. Oui, oui.

  • Speaker #1

    Il y a cette idée que la... Chez Platon, en effet, c'est particulier parce que lui est justement antidémocrate. Chez Aristote, l'anarchie, ça va être la démocratie dégénérée. Début du XIXe siècle, il y a deux éléments qui vont rentrer en compte historiquement pour penser aussi à l'anarchisme. C'est le développement et l'institution moderne de l'État tel qu'on le comprend actuellement. L'État régalien avec un territoire bien défini, un chef d'État. Etats, des ministères, une administration, etc. Et le deuxième élément qui va être important, c'est la question sociale avec la question ouvrière, et donc la question sous-jacente du capitalisme. Donc, d'ailleurs, c'est pas par hasard si le premier livre de Proudhon porte sur la propriété. Lui-même, d'ailleurs, il a cet avantage d'être un des seuls théoriciens socialistes au sens large, puisqu'on va pouvoir classer l'anarchisme dans le socialisme, un des seuls théoriciens qui est d'origine populaire. La plupart, ils sont d'origine nobles. bourgeoise ou de classe moyenne, en réalité. Lui, il a son père qui était brasseur, sa mère paysanne, et donc il a vraiment cette fibre populaire très ancrée en lui, et il se demande au début de ce bouquin, qu'est-ce que la propriété, mais comment ça se fait qu'il y ait un Louis-Philippe qui soit mille fois plus riche que moi, qui n'ai même pas de quoi m'acheter des bouquins pour faire mes études. Et donc il part de ce constat très basique, très ancré dans une expérience réelle. C'est à partir de ce postulat, de cette expérience, qu'il fait son enquête et se dit comment ça se fait qu'il y ait tant d'inégalités dans le système dans lequel on vit. Et donc là-dessus, il va accuser la propriété dans un sens bien précis du terme, qui est la propriété privée capitaliste des moyens de production. C'est-à-dire, pour faire très vite, la capacité pour un individu d'user de son capital sans travail. On est propriétaire d'une entreprise, d'un bien immobilier pour obtenir des loyers, etc. Donc c'est tout ce qui permet d'obtenir...

  • Speaker #0

    On est actionnaire chez Total. Voilà,

  • Speaker #1

    actionnaire chez Total. Tout ce qui permet d'obtenir du capital sans travail. Et puis, il y a un autre élément que Proudhon va vite attaquer, déjà dans Qu'est-ce que la propriété ? mais après encore davantage à la fin des années 1840, avec notamment la révolution de 1848, etc., où il va attaquer très frontalement l'État, et y compris la démocratie représentative. Où il va dire, le problème, c'est qu'on va avoir toujours, en gros, des gouvernants, des gouvernés, des dominants, des dominés, qui en réalité... n'expriment en rien la volonté du peuple. Et qu'est-ce que le peuple ? Le peuple, c'est aussi une image, une fiction. Le peuple, il est pluriel, il est très divers, etc. Et en réalité, quand des personnes sont élues au suffrage, qui plus est au suffrage universel, donc avec une sorte de mandat en blanc, ces gens-là, ils ont tous les pouvoirs en réalité, même s'ils sont limités par une constitution et des institutions, mais ils ne sont pas du tout redevables envers les citoyens. Et en réalité... les citoyens se plaignent sans arrêt que les programmes ne sont pas accomplis parce qu'en réalité la classe gouvernante n'a aucune obligation vis-à-vis des citoyens.

  • Speaker #0

    Ça résonne beaucoup aujourd'hui. On aura le temps d'en discuter tout à l'heure mais ça n'a pas pris une ride.

  • Speaker #1

    Son argument, ça va être de dire qu'en réalité le désordre il vient d'abord d'en haut. Ça peut paraître un petit peu paradoxal et contre-intuitif. Mais il va dire que le gouvernement, c'est un semblant d'ordre. C'est déjà un ordre très subjectif, c'est-à-dire qu'il va être imposé par un ou quelques individus qui vont dire, eux, voilà ce que doit être l'ordre. Et en réalité, Proudhon va dire que le gouvernement va être sans cesse en proie à des insurrections, des révolutions, des crises, etc. Précisément. parce qu'il crée le désordre. Donc la question de Proudhon, ça va être comment concevoir un véritable ordre politique et pas un semblant d'ordre qui est toujours voué à des crises, à des révolutions, à des révoltes, etc. Qui sont des manifestations, en réalité, que le système ne marche pas et est une forme de désordre.

  • Speaker #0

    C'est vraiment l'oligarchie, enfin en tout cas, ceux qui gouvernent, le petit nombre de personnes qui gouvernent. qui vont générer le chaos et le désordre. C'est ça ce que dit Proudhon.

  • Speaker #1

    Exactement. Ça ne revient pas nécessairement sous sa plume, mais quelqu'un comme Castoriadis, qui est un philosophe plus récent, lui parle d'oligarchie libérale. Et c'est exactement ce qu'a en tête Proudhon quand il parle du gouvernement représentatif.

  • Speaker #0

    Et si je ne me trompe pas, Proudhon a été député en plus.

  • Speaker #1

    En effet, Proudhon a été député. Et ça, c'est quelque chose qui a fait beaucoup l'œuvre de polémiques, y compris à son époque, ensuite par les anarchistes, etc. un certain nombre d'anarchistes, qui vont dire mais oui, Proudhon n'est pas du tout en accord avec ses idées, parce que lui-même se fait élire à l'Assemblée, etc. Mais lui-même va le dire dans ses écrits, dans ses journaux, ses carnets, etc. Lui-même n'est pas dupe, avant même de se présenter, il est contre le système représentatif. Mais va-t-il dire l'Assemblée peut néanmoins, dans le système actuel tel qu'il est, être une tribune ? Donc lui, il y va, en fait, non pas tant pour représenter des gens, ce qui est une absurdité pour lui, pas non plus pour prendre des décisions, parce qu'il ne fait partie d'aucun groupe et il n'est suivi par aucun vote dans l'Assemblée, mais c'est avant tout pour faire connaître ses idées. Et c'est en cela qu'il voit son rôle à la députation. Et c'est une manière aussi pour lui de voir de l'intérieur comment ça marche. Il y a ce côté, parce que Proudhon, il était journaliste aussi. Pendant 4-5 ans, en gros entre 1846 et 1852, il est journaliste, il a des journaux d'ailleurs, il est chef du représentant du peuple, la voix du peuple notamment. Et donc lui, ça l'intéresse de savoir comment ça marche cette embouille de l'intérieur, pour après avoir aussi une critique d'autant plus juste, et il ne s'en prive pas. Parce que dès 1848, quand il est élu, c'est à cette époque qu'il a ses écrits les plus radicaux et les plus anti-gouvernementaux. Après, il se calme un petit peu, mais de 1848 à 1851, on a un anti-étatisme radical de la part de chez Proudhon, au point même que, dans sa théorie, ne doit plus exister que des entités économiques qui se coordonnent sans qu'il n'y ait plus même d'institutions politiques. Il va revenir un petit peu là-dessus à la fin de sa vie, dans les années 1860, en parlant de fédéralisme, du principe fédératif, qui est un de ses ouvrages. qui est un concept d'ailleurs très important pour les anarchistes, qui est comment on coordonne des institutions politiques avec des formes de démocratie directe, locale, qui peuvent passer après d'un échelon supérieur à un autre s'il y a des problèmes à régler qui sont transversaux. Et donc comment coordonner ces institutions politiques en partant de la commune, de la région, département, etc. Et comment ils se coordonnent avec des entités économiques, des entreprises autogérées, etc. Pouvoir répondre aux besoins des habitants. Donc ça c'est là-dessus qu'il va développer sa notion de fédéralisme. Parfois on parle de fédéralisme intégral ou fédéralisme libertaire, dans la mesure où déjà il s'agit d'un système... Sous forme de démocratie directe, c'est-à-dire en sciences politiques, on parle de bottom-up, c'est-à-dire qu'on va partir de la base pour arriver au sommet, et non pas top-down, ce qui est le fédéralisme classique, comme aux États-Unis par exemple, où on part du sommet et les décisions sont prises pour être appliquées ensuite à la base. Donc fédéralisme bottom-up et ensuite intégral, parce qu'il prend aussi en compte l'économie, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des théories du fédéralisme politique. Donc l'anarchisme aussi c'est ça, c'est... comment concevoir des formes de démocratie, j'allais dire, à tous les étages. Donc à la fois en termes politiques, on part toujours du local, même si ça ne s'y réduit pas, évidemment, et les problèmes sont globaux, même au sens planétaire, et c'est pour ça que l'anarchisme aussi est internationaliste. Donc niveau local et niveau économique aussi, puisqu'il s'agit de repenser des formes de production et de consommation qui dépassent le capitalisme.

  • Speaker #0

    Alors, tu parlais de la... de la propriété tout à l'heure. Proudhon fait une distinction, si mes souvenirs sont bons, avec la possession. Est-ce que tu peux nous expliquer la différence ? Parce qu'est-ce qu'il s'agit d'abolir complètement la propriété, au sens un peu courant où on l'entend ? Est-ce que ça veut dire que plus rien ne t'appartient ? Ou est-ce que, justement, c'est une façon différente de penser la propriété ? Est-ce que tu peux nous éclairer un peu là-dessus ?

  • Speaker #1

    Alors ça, en effet, c'est très important. Lui, il fait bien la distinction entre les deux. La propriété qui va avoir une connotation péjorative chez lui, qui, pour lui, est toujours la propriété. capitaliste et la possession. Donc, en effet, on peut tout à fait posséder des choses, et même pour lui, fils et arrière-petit-fils de paysan qu'il est, c'est très important même de pouvoir posséder sa maison, sa terre, pour y faire cultiver ses légumes, ses fruits, faire paître son bétail, etc. Donc, évidemment, non, lui, il n'est pas du tout contre la possession, même au contraire. Dans certains de ses écrits, pour lui, la possession va permettre de contrebalancer aussi le pouvoir politique. La propriété, Pour lui, c'est ce qu'il appelle aussi le droit d'homède. C'est ce que je disais un petit peu au début, c'est-à-dire la capacité pour un individu de produire du capital sans travail. C'est ça la propriété. Sinon, il n'y a aucun souci évidemment d'être possesseur de quoi que ce soit, dès lors que les produits que tu en tires ne seront pas induits, c'est-à-dire si tu n'exploites pas quelqu'un grâce à cette possession.

  • Speaker #0

    Et ça, ça fait... Là encore, je parle de mes souvenirs, mais ça ne fait pas l'unanimité parmi les anarchistes, si je ne me trompe pas. Il y a des débats sur la question de la possession. Est-ce qu'il faudrait passer plutôt au droit d'usage ? Ça, c'est plutôt la théorie des communs.

  • Speaker #1

    Oui, alors c'est ça qui est passionnant dans l'anarchisme aussi, c'est qu'il y a énormément de théories très différentes, y compris en termes économiques. En règle générale, on va distinguer deux autres écoles de l'anarchisme. En réalité, il y en a trois autres. Je passe vite, peut-être, peut-être trop vite. Sur l'individualisme anarchiste, on va retrouver avec des personnes comme Stirner, etc. Mais au XIXe siècle, il y aura beaucoup d'individualistes anarchistes aussi, y compris en France, avec cette idée que ce qui doit primer avant tout, c'est l'individu. Et l'individu peut faire absolument tout ce qu'il veut, y compris dans l'usage de ses biens. Donc il ne doit rien avoir au-dessus du moi. Il y a l'école dite davantage collectiviste qu'on va avoir avec un autre... auteur très important qui s'appelle Michel Bakounine, qui lui vient de Russie, et qui lui va dire que la propriété doit être avant tout collective. Donc lui va être un petit peu circonspect contre la dimension parfois un petit peu paysanne qu'on peut avoir de Proudhon, au sens de petit propriétaire, l'idée que le paysan peut cultiver son petit lopin de terre, etc. Et d'ailleurs, Marx ne s'en privera pas en taxant Proudhon de petits bourgeois. C'est cette idée du théoricien qui est attaché à sa petite propriété, alors qu'en réalité, ce n'est pas du tout le cas. Proudhon, il va dire simplement, si un paysan ou un artisan veut conserver sa terre ou ses locaux, foutez-lui la paix, c'est sa liberté. Bakounine, il va dire, pour que ce soit un peu plus collectif, efficace et tout, c'est mieux de tout mettre en commun. En tout cas, tous les moyens de production doivent être... collectif. Il parle bien encore de moyens de production. Il ne dit pas que tout le monde doit habiter dans la même baraque ou faire ensemble à manger, tous dans le même immeuble, etc. Ce n'est pas la question. Quand on parle de la propriété, il faut bien avoir en tête, c'est toujours les moyens de production. Et il y a une troisième école anarchiste qu'on appelle l'anarcho-communisme, qui lui va avoir peut-être un des plus grands succès historiques aussi, qui est développée par Kropotkine à l'origine, qui lui aussi vient de Russie, et qui repose sur un postulat assez simple qui est qu'à terme on va arriver à l'abondance, grâce notamment à... au développement des moyens de production en commun. Et du coup, il a ce même postulat que Marx, qui est de dire qu'on va arriver à une société d'abondance où il n'y aura plus besoin de règles, c'est-à-dire de droits, de redistribution. La question ne se posera pas puisqu'on sera dans l'abondance. Donc la seule règle qui prévaudra, c'est la même que Marx d'ailleurs, c'est de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. Et à partir de là, ça devrait aller. Seulement, contrairement à Marx, évidemment, lui, il ne passe pas par la phase État ou dictature du prolétariat. Pour lui, il va dire, non, ça c'est une énorme erreur. En réalité, la dictature du prolétariat sera en réalité une dictature sur le prolétariat, dès lors qu'il y a toujours une classe dirigeante. Donc voilà un petit peu, en gros, les petites différences qu'il peut y avoir entre ces différents courants. Et en réalité, quand on regarde la mise en pratique... Souvent, il y a un mix entre les trois qui ne sont pas du tout incompatibles en réalité.

  • Speaker #0

    Je reviens sur ce que tu décrivais tout à l'heure, cette idée de fédéralisme bottom-up, qui parle vraiment du peuple, pas de la classe dirigeante avec une certaine verticalité. Est-ce que tu pourrais donner peut-être un exemple assez concret pour vraiment illustrer ce que ça pourrait être ? Évidemment, je pense à la question de l'eau, parce que l'eau, c'est un sujet assez important. Là, en plus, au moment où on enregistre... On enregistre, il vient d'avoir le scandale Nestlé, Nestlé qui s'est approprié de l'eau en bouteille et qui l'a vendue, qui a une fraude estimée à, j'ai noté, 3 milliards d'euros pour avoir vendu en gros de l'eau du robinet. Est-ce que l'eau te paraît être un bon exemple pour illustrer ce que pourrait être une gestion capitaliste de l'eau, une gestion étatique et une gestion anarchiste ?

  • Speaker #1

    Oui, après, il y a énormément de choses qui peuvent être légitimes et différentes. On pourrait parler de... L'eau est d'autant plus frappante que ça peut être qualifié de bien commun, c'est-à-dire de bien nécessaire à la survie de l'homme. Il y a cette idée déjà que d'un point de vue anarchiste ou d'un point de vue des biens communs, l'eau est une ressource qui est indispensable à l'homme et qui dès lors ne peut pas être l'objet d'échanges marchands, ne peut pas être l'objet de concurrence ou pour faire des profits, etc. Et donc là, il y a une dimension, en réalité, politique. Et c'est là qu'on voit la dimension politique de l'économie, notamment chez les anarchistes. C'est-à-dire que l'économie va être toujours soumise à des besoins. Déjà, il y a cette idée que ça ne peut pas faire l'objet, comme je le disais, d'une marchandise. Ça, c'est un premier point. Ça ne peut pas non plus faire l'objet d'une direction par l'État.

  • Speaker #0

    Pour une raison déjà toute simple, c'est que l'État, en réalité, il a un problème, c'est qu'il ne sait pas quel est exactement l'état de la ressource d'eau à tel endroit donné, il ne sait pas quel est exactement le besoin en termes de ressources en eau à tel ou tel endroit, etc. Le problème que toujours l'État va avoir, on l'a vu d'autant plus par exemple avec la crise du Covid, c'est qu'il n'a pas... pas les bonnes informations. Pourquoi ? Parce qu'il va être toujours dans une position de surplomb et donc il essaye de choper les informations mais en réalité c'est très dur pour lui de les avoir, si tant est qu'il essaye de les avoir, ce n'est pas toujours le cas.

  • Speaker #1

    Il est toujours en train de retard.

  • Speaker #0

    Il est toujours déconnecté du réel. Donc les anarchistes partent toujours du principe que c'est toujours ceux qui sont au plus près du terrain qui savent ce qui est le mieux pour eux, comment gérer, etc. Dans le cas de l'eau, ça va être des riverains qui consomment l'eau et qui sont près du fleuve ou de points d'eau en particulier, qui vont avoir un rôle fondamental, déjà en tant qu'habitants, ensuite d'autres en tant qu'ONG, protecteurs de la faune et de la flore, et puis avec des entités économiques aussi qui sont liées au traitement de l'eau, mais ça va être une... une forme de démocratie aussi plurielle au niveau économique pour avoir une représentation réelle et savoir vraiment ce qui est bon pour à la fois pour la ressource, être sûr qu'elle ne va pas tarir avec de la surproduction ou de la surconsommation par exemple, et être sûr qu'on assure les besoins. Donc il y a toujours cette péréquation, c'est comment éviter la raréflexion des ressources avec la surproduction ou la surconsommation, et à la fois aussi comment répondre aux besoins des habitants.

  • Speaker #1

    Ce qui est en fait exactement l'inverse de ce qu'on observe dans la gestion capitaliste. Et je reviens à mon exemple de Nestlé, qui en fait a vidé les nappes phréatiques, a privé l'eau, les habitants des ressources en eau, et qui en plus a fait des décharges de bouteilles en plastique à côté, et donc qui a en fait pillé, vidé la ressource. Donc ça va complètement à l'encontre de l'idée qu'on a souvent que la gestion capitaliste du marché est la plus efficace, la plus efficiente. Et au contraire, ça revient à l'idée d'une démocratie et d'une intelligence collective de la gestion. C'est radical comme renversement.

  • Speaker #0

    Exactement. Et moi-même, j'ai pu beaucoup travailler en épistémologie, notamment sur la question de l'intelligence collective. Et là aussi, c'est passionnant. Il y a énormément d'études qui ont été réalisées, qui rejoignent complètement les thèses anarchistes sur le fait que, y compris pour tout ce qui est prospective, anticipation, conception des problèmes et des solutions, etc. Ça va être toujours quand il y a un maximum. d'individus avec des points de vue différents et qui peuvent être, y compris dans la contradiction. Donc, il n'y a pas cette idée non plus qu'il faille nécessairement être tous d'accord, etc. C'est vraiment cette idée d'intelligence collective qui va permettre à la fois d'identifier les problèmes et de donner des solutions. Chose que, dans le capitalisme, en réalité, on ne va pas avoir puisque déjà, il y a cette dimension hiérarchique, en réalité, qui est aussi très importante dans le capitalisme, avec souvent une direction... qui, elle aussi, est déconnectée contrairement aux salariés. Et puis, une logique, là, purement économique, qui consiste avant tout à maximiser des profits. Pour le coup, le capitalisme, c'est quelque chose de très simple. Un point de vue normatif aussi, c'est faire en sorte que les profits soient les plus importants. Avec tout ce que cela va charrier aussi, en termes de choses sous-jacentes, c'est-à-dire une croissance infinie, donc surproduction et détérioration de tout ce qui est... entités naturelles, exploitation, donc on va faire trimer aussi un max les salariés où on va délocaliser dans les pays qui sont encore plus dans la dèche, etc. Donc en effet, on est complètement dans une dimension inverse à celle des anarchistes.

  • Speaker #1

    Et alors, dans ce cas, l'État, si je suis ce que tu expliques, l'État ne serait pas le plus apte ? à gérer l'eau, pour reprendre cet exemple, parce qu'il a toujours un train de retard, qu'il est trop surplombant, trop éloigné du local. Est-ce qu'il y a d'autres raisons qui peuvent expliquer ça, qui peuvent expliquer le fait que l'État ne soit pas le plus à même, le mieux placé pour gérer ses ressources ?

  • Speaker #0

    Alors, il y a une raison aussi toute simple qui est liée, là encore, à la propriété. Le problème de l'État, quand on parle de nationalisation, par exemple, ou ce qui était le cas... pour être dans la caricature dans l'Union soviétique, mais même quand on parle de nationalisation, y compris au début des années 80, etc. Le problème de l'État, c'est qu'il demeure aussi propriétaire. C'est un propriétaire. Alors son objectif n'est peut-être pas nécessairement le profit, ce qui en fait quand même un avantage par rapport à la propriété capitaliste, mais c'est un propriétaire. Et le problème du propriétaire, c'est qu'il peut faire absolument tout ce qu'il veut de sa propriété. Ce qui pose quand même un sacré problème en termes de démocratie. Et tu parlais de l'eau, il y a un exemple très simple sur ce problème-là, qui s'est passé en Italie dans les années 2000. L'État avait nationalisé l'eau complètement. Et à un certain moment, il avait des problèmes de trésorerie. Donc l'État commence à être endetté de plus en plus à partir des années 90, plein de raisons. Et il se dit, je vais renflouer un petit peu mes caisses, en faisant quoi ? En vendant mes régies d'eau à des boîtes privées. Et là, grosse révolte en Italie. Il se trouve que la gestion de l'eau par le privé a vu les prix multipliés par 10. C'est un bordel innommable, y compris dans la distribution, etc. Et donc il y a un référendum qui est fait par l'État. pour demander aux citoyens est-ce qu'ils veulent la privatisation de l'eau ? Et les citoyens disent non. Mais il y a un problème quand même qui se pose pour eux, et là il y a une sorte de prise de conscience d'ailleurs assez dingue. Ils se disent, le problème, c'est qu'on ne va pas renationaliser parce qu'en réalité, l'État a eu ce pouvoir de privatiser. Comment ça se fait que l'État, qui est censé être garant de l'intérêt général ou de l'intérêt public, puisse vendre un bien ? qui est censé être un bien commun d'intérêt général ? C'est une vraie question. Et là, on a la substance de la contradiction entre État et intérêt général. Et ça, les anarchistes l'ont bien pointé. Il y a un vrai problème juridique sur la question de la propriété, y compris de la propriété publique. Et l'État n'a pas à être un propriétaire. Et donc, il s'agit de comment on va concevoir... des biens communs qui puissent être sous le contrôle des citoyens. Et donc, à partir de ce moment-là, l'eau va devenir un bien commun dont les individus ont droit. Et les individus vont dès lors, à partir de régies collectives, pouvoir contrôler ce bien commun. Donc là encore, ce qui va permettre de faire en sorte que ce bien ne soit pas utilisé ou revendu de n'importe quelle manière, ça va être... un contrôle effectif du peuple dessus. Donc avec un certain pluralisme aussi en termes de contrôle et de contre-pouvoir, afin qu'il n'y ait pas un ou des gugus qui disent je peux en faire ce que je veux

  • Speaker #1

    Oui, en fait, ça rompt avec l'idée que nous allons déléguer une certaine partie de notre souveraineté, de notre pouvoir de décision à un État qui serait un gouvernement d'experts, qui saurait mieux que nous l'intérêt général. Et donc ça rompt avec cette dynamique-là. Cette logique-là pour se dire, nous allons nous réinvestir nous-mêmes dans la gestion de ce qui fait notre collectif et de ce qui nous entoure, en fait.

  • Speaker #0

    Complètement. Alors, là-dessus, les anarchistes sont assez proches de ce que les Grecs, d'ailleurs, dans les premières formes de démocratie qu'on se fait au départ, c'est-à-dire que les Grecs, ils faisaient une grosse distinction entre la doxa et l'épistémé. Donc la doxa, l'opinion, et l'épistémé, la connaissance. Et pour les Grecs, l'épistémé, donc la connaissance, était liée aux experts. Et donc, c'est pour ça que les Grecs pouvaient voter pour des experts. Les experts, c'était le mec qui allait construire les bateaux, ou le stratège, le chef de guerre, etc. Bon, c'est des gens qui étaient vraiment spécialisés. Mais l'épistémé, la connaissance, tout ce qui relevait de l'expertise, n'avait rien à voir avec la politique. Pour eux, la politique relevait de la doxa, c'est-à-dire de l'opinion. Et là, tous les citoyens étaient capables de faire de la politique. Tous les citoyens et des opinions. Et... ils pouvaient débattre de tel ou tel sujet de la cité et prendre des décisions, voter des lois en conséquence. Et donc il y avait vraiment cette distinction très importante. Et en réalité, ce n'est qu'avec l'émergence de la démocratie moderne et représentative au XVIIIe, XIXe siècle, que là, on va associer la politique à de l'expertise, et donc au métier de politique.

  • Speaker #1

    La naissance de la technocratie et de la professionnalisation du politique. Exactement,

  • Speaker #0

    de la technocratie, de la professionnalisation, etc. Mais parce que là aussi, il faut bien avoir en tête l'origine des démocraties modernes. Les démocraties modernes, à l'origine, d'ailleurs, ne s'appelaient pas démocratie. On parlait, les pères fondateurs, aussi bien à CIS en France qu'à Adams ou Ferguson aux États-Unis, parlaient de régime représentatif. mais jamais de démocratie et Sieyès même dans un fameux texte d'un discours dans les années 1789-90 dit la France doit être un régime représentatif, mais en aucun cas une démocratie. Il dit, en gros, ce serait le bordel, ce serait l'anarchie. Et là, il a en tête, évidemment, aussi la démocratie directe grecque. Pour les démocrates modernes, en fait, ils parlent de régime représentatif contre la démocratie. Et en fait, le terme de démocratie va s'imposer que très lentement. En réalité, il va s'imposer au milieu du XIXe siècle. Pourquoi ? Tout simplement parce que fin du XVIIIe, début du XIXe siècle, ça aussi on a un petit peu oublié, mais le suffrage, le vote est réservé à une élite. C'est le suffrage censitaire, il est réservé aux plus riches. Pourquoi les plus riches d'ailleurs ? C'est devenu le critère, ce qui pourrait y en avoir des centaines, des critères de qui doit gouverner. C'est le plus riche parce que le plus riche c'est... Le bon père de famille, celui qui a réussi à bien gérer un patrimoine, etc., à faire fructifier son argent. Et avec l'émergence de l'État moderne, il y a aussi cette idée que l'État doit se développer économiquement. Donc, celui qui sait bien diriger, c'est celui qui sait bien faire tourner une affaire, pour faire vite, et qui donc a un patrimoine, parce que c'est la preuve qu'il sait bien faire tourner une affaire. Donc, ça va être ça, en réalité, le premier critère des démocraties modernes. Et donc ce n'est que petit à petit que le suffrage va devenir universel. En France, c'est le suffrage universel masculin en 1848, et c'est à partir de là que le terme démocratie va s'imposer, parce qu'il y a cette dimension un peu plus universelle. Mais en réalité, la chose n'a pas changé, c'est-à-dire qu'on a toujours des représentants qui vont décider à la place d'autres personnes, et donc avec toujours un rapport très hiérarchique de délégation. comme tu dis, d'un pouvoir, d'un pouvoir politique. Mais après cette délégation, qu'est-ce qui se passe ? Non seulement la personne à qui on a délégué le pouvoir peut faire à peu près tout ce qu'il veut, par rapport au souhait ou à son programme qu'on a pu émettre, et puis d'autre part, après, quel est le pouvoir du citoyen, en termes politiques ? Quel est ton pouvoir, quel est mon pouvoir, en termes de confection des lois, ou en termes d'influence ? sur telle ou telle décision politique ?

  • Speaker #1

    Absolument aucun, oui. On a une illusion de choix pour le vote. Il y a eu zéro. Illusion de choix parce que c'est des candidats qui nous sont imposés, donc on ne les choisit même pas. Et on est censé mettre un bulletin tous les trois ans. Enfin, ça dépend si Macron décide de dissoudre tous les ans, mais absolument aucun. Je voudrais qu'on arrive à un autre de tes thèmes qui est absolument passionnant, je trouve. Tu as écrit un livre qui s'appelle Théologie du capital dans lequel tu expliques... et je pense que ça va pas mal intéresser les auditeurs et auditrices. Tu expliques, et corrige-moi si je me trompe, que nos concepts économiques, qui nous semblent être justement du côté de la connaissance, pour reprendre la distinction que tu faisais tout à l'heure, donc être du côté de l'objectif, que ces concepts économiques, comme le marché, la main invisible, etc., sont en fait non pas des concepts scientifiques, mais ce sont des concepts religieux, théologiques, en tout cas, ils ont des origines théologiques, et que finalement... Nous y croyons aveuglément comme à des croyances religieuses. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu ton analyse ?

  • Speaker #0

    En effet, c'est quelques textes qui m'avaient interpellé. Souvent, on présente le système capitaliste comme le système le plus rationnel, etc. Et bon, il y avait des choses qui m'interpellaient, déjà dans le sens où, pour moi précisément, je trouve qu'il y a de telles absurdités dans le capitalisme que je me dis que ça ne peut pas... ne peut pas être une production issue d'expériences rationnelles et qu'il y a sûrement quelque chose qui vient d'ailleurs. Du coup, j'ai pris différentes catégories de l'économie que j'ai étudiées en essayant de voir d'où ça venait réellement. Il y en a plusieurs. J'ai évoqué le marché, il y a aussi la monnaie, le travail, la question de la marchandise, l'intérêt. Il y avait un certain nombre de choses, la propriété aussi, évidemment. Bref, toutes les catégories qui sont assez centrales dans l'économie politique. On s'aperçoit que c'est très lié à la religion, en fait. Toutes ces catégories de l'économie politique, et qu'en fait, il y a eu des formes de ce qu'on appelle de sécularisation. Donc, on leur a donné un vernis débarrassé de son vernis religieux, mais alors qu'en réalité, le religieux est premier pour ces... catégorie et à mon avis on n'en est pas complètement détaché. Alors, juste pour prendre peut-être un ou deux exemples, que ce soit parlant pour les auditeurs, l'exemple du marché, par exemple, qu'on parlait. Le marché qu'on va pouvoir retrouver, vraiment théorisé par Adam Smith, le marché en réalité c'est quelque chose qui est assez récent tel qu'on le connaît. Parce qu'on se dit, le marché c'est quelque chose qui a existé en tout temps, en tout lieu, etc. Et Adam Smith lui-même va reconduire ce mythe qu'on a encore toujours dans les manuels scolaires d'économie, qui consiste à dire que le premier fait économique, c'est l'échange avec le troc. Et il dit même à Adam Smith, c'est le propre de l'homme, on n'a jamais vu un chien échanger un os avec un autre chien. Et donc à partir de cette idée-là, Smith va dire, le marché c'est quelque chose de naturel, qui a toujours existé, et qui va calquer son idée de marché exactement sur l'idée de providence en théologie. D'ailleurs souvent ça a été oublié, mais Adam Smith lui-même est théologien à l'origine.

  • Speaker #1

    Ah, je ne savais pas.

  • Speaker #0

    quand il enseigne à l'université de Glasgow en Écosse, c'est avant tout dans la chaire de théologie. Et donc, lui, il va toujours allier sa théologie à ses théories économiques. Et donc, la notion de providence qui consiste à dire Dieu règne, mais ne gouverne pas c'est la même chose avec le marché. Le marché règne, mais ne gouverne pas. On n'est pas dans quelque chose de coercitif, d'autoritaire, etc. Mais il y a une justice, comment dire, naturelle du marché. Si tu te retrouves... au chômage ou à la rue, c'est normal. Tu te referas un moment, mais c'est la justice du marché, comme c'est la justice de Dieu ou de la Providence. À un moment, avec ton libre arbitre, tu vas pouvoir te remettre en selle, etc. Cette justification à grands coups de théologie de la Providence, en réalité, au début de l'histoire de l'humanité, n'existe pas, ou très peu. Au début, c'est la religion qui va venir normer, régler. avec du droit, des règles, des tabous, etc. L'ensemble des échanges et de la distribution de la production, etc. Et donc, c'est petit à petit que la société ou le politique va se détacher du religieux. Au Moyen-Âge, on a encore des règles religieuses qui vont précisément venir réguler l'économique, sur l'interdiction du taux d'intérêt, par exemple, on en parlait, sur la limitation des prix, etc.

  • Speaker #1

    Ça, c'était régulé par l'Église ?

  • Speaker #0

    C'était régulé par l'Église et par le séculier, mais qui était très emmanché avec l'Église. Et en réalité, penseurs de cette régulation étaient des théologiens, comme saint Thomas d'Aquin, etc. Donc il y a cette institution religieuse qui va être fondamentale aussi dans cette régulation. Et petit à petit, en fait, il y a ce renversement où l'économique va prendre, d'une certaine manière, la place du religieux aussi. va faire l'objet de mythes, de croyances, etc. sans que ce soit vraiment inquiété. Il y a une forme de naturalisation aussi de l'économie, en tout cas de l'économie capitaliste telle qu'on la connaît, comme il y a pu y avoir aussi une naturalisation de la religion telle qu'elle pouvait exister auparavant, qui avait un poids très important politiquement sur les sociétés. Mais pour les gens, ça paraissait quelque chose de naturel. n'est pas a priori ou peu l'objet de critique.

  • Speaker #1

    Oui, comme ce qu'on vit aujourd'hui, où l'économie est capitaliste. En fait, très peu de gens la remettent en question. Et quand on le remet en question, le postulat de base, c'est bien de croire que le marché alloue efficacement les ressources, que le marché fait pour le mieux.

  • Speaker #0

    L'idée qu'elle est plus efficiente. L'idée que la propriété aussi, au sens capitaliste, c'est quelque chose qui relève d'un droit naturel. Oui. d'un droit de l'homme en fait quasiment d'un droit sacré et divin dans le code civil on parle quand même de la propriété comme un droit absolu le terme d'absolu c'est le vocabulaire théologique d'excellence donc quand bien même il peut être plus ou moins limité par du droit ou de la loi c'est toujours le droit ou la loi qui doit se justifier c'est pas la propriété qui est justifiée a priori comme absolu donc ça va être toujours par exemple... aux législateurs ou au peuple de justifier le fait qu'ils veuillent limiter le pouvoir nuisible de la propriété privée capitaliste.

  • Speaker #1

    Et d'ailleurs, on voit bien avec les réactions que ça suscite quand on met des choses comme ça en question, la propriété ou le marché ou le capitalisme, ça suscite des réactions épidermiques parce qu'on touche à quelque chose qui est un système de croyance, un système de valeur qui est très... très ancré, quasiment primitif.

  • Speaker #0

    C'est un problème de la critique aussi, c'est que la critique du capitalisme va pouvoir être la plus rationnelle possible, elle ne touchera pas aux fondements qui relèvent de la croyance. Et c'est là aussi où je pense, tu vois, tu parlais de sentiments auparavant, mais c'est aussi là qu'il y a peut-être un impensé de la critique et qui, à mon avis, est fondamental et qu'on revoit encore actuellement et qui, à mon avis, est aussi un problème de la gauche. C'est que contre ces mythes ou ces croyances, il faut opposer aussi, alors j'allais dire d'autres formes de mythes et de croyances. Oui, d'une certaine manière, c'est-à-dire en tout cas d'autres manières d'espérer. espérer, de croire, de voir le monde, quelque chose qui va relever aussi de la vie, de l'affect, et pas que du rationnel, pas que quelque chose de je te démontre qu'en réalité tu ne crois rien et que tout ce qui se passe c'est un sentiment d'insécurité ça les gens ne peuvent pas l'entendre, même si tu leur balances dix tableaux Excel avec des statistiques, ça ne marche pas. Donc il faut y opposer autre chose à ce genre de... de croyances ou d'affects un peu mortifères.

  • Speaker #1

    C'est d'ailleurs ça que je trouve, et là je refais le lien avec le thème de l'anarchisme qui t'intéresse particulièrement, mais c'est là où je trouve que l'anarchisme a une puissance subversive. C'est que quand on va critiquer le capitalisme, les gens vont quasiment systématiquement répondre Oui, mais tu ne veux pas du communisme stalinien ? Et je trouve que l'anarchisme, là, et la théorie des communs, ce dont on parlait tout à l'heure, ça désarçonne, ça bouscule tout et ça permet de sortir de cette prison théorique et de se dire, ok, on peut imaginer complètement autre chose, qu'il y a un registre émotionnel super enthousiasmant. C'est super enthousiasmant, ça nous redonne du pouvoir, au sens de participation à la vie citoyenne et démocratique. Et c'est peut-être là-dessus, et en ça, peut-être qu'il y aurait et qu'est-ce que tu en penses, une actualité de l'anarchisme, c'est un courant qui est très vivace aujourd'hui, qu'elle serait pour toi l'opérativité, l'efficacité concrète de l'anarchisme dans les réflexions, dans l'actualité politique aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Elle est de plein de sortes, sur plein de dimensions différentes. Je pense que c'est très difficile de répondre à ça de manière très précise, mais par rapport à ce que tu disais auparavant sur cette prison dont tu parlais, un petit peu dichotomique entre communisme stalinien et capitalisme de l'autre, tout de suite, ça m'a fait penser à cette art... d'un sociobiologiste qui s'appelle Gareth Hardin, en 1968 en plus, et qui parlait de la tragédie des communs, justement pour faire ce lien d'opérabilité de l'anarchisme qui, à mon avis, passe aussi par la notion de commun. Qu'est-ce qu'il dit, Hardin, dans cet article ? Il dit qu'au Moyen-Âge, on a ce qu'on appelle des communs, qui sont en fait des communaux, où on a la possibilité d'avoir des terrains ouverts où les paysans peuvent venir. glaner leurs moyens de subsistance en ramassant du bois, des champignons, en faisant pêtre leurs bétails, etc. Mais les communs ont fini par décliner au profit de l'État et de la propriété privée. Garrett Hardin va dire que le problème, c'est ce qu'on appelle en théorie économique après le passager clandestin, c'est-à-dire qu'en réalité, les gens n'avaient pas grand-chose à faire de ces ressources collectives. Chacun va y aller pour sa pomme. et finalement il va y avoir une dégradation de la ressource. Yardin va dire qu'il n'y a que deux solutions à ça. Et là on est encore en pleine guerre froide, donc ça illustre aussi bien les deux camps, il n'y a que deux solutions, soit la propriété privée qui va être codifiée comme telle, ou là le propriétaire va faire attention à son bout de terrain et à le préserver, soit c'est l'État qui va gérer les ressources, avec des lois très strictes. etc. C'est lui qui va les posséder. Et là, on est dans le cas de l'Union soviétique. Et là-dessus se pointe Elinor Ostrom. Et cette Elinor Ostrom, c'est pas non plus quelqu'un qui vient de nulle part, c'est pas quelqu'un de sous-estimé non plus, puisque c'est la première femme qui va être prix Nobel d'économie en 2009. Et elle, qu'est-ce qu'elle va dire ? Elle va dire, bon, moi j'ai étudié cette notion de commun un petit peu partout dans le monde. C'est-à-dire, les communs, c'est quoi ? C'est une communauté, un ensemble d'individus, des ressources communes, qui peuvent être de plein d'aspects différents. Elle, elle a beaucoup étudié les ressources naturelles, eau, champs, forêts, etc., mais ça peut être plein d'autres choses, et des règles de droit décidées ensemble pour la préservation de ces ressources en question. Et elle dit, moi, je suis allé un petit peu partout dans le monde pour étudier ces formes de communs, et jamais, jamais... je n'ai rencontré la description que donne Gareth Hardin dans son article sur cette fameuse tragédie des communs. Il y a son histoire de passagers clandestins, les individus qui essayent de surexploiter la ressource pour tirer la couverture à soi, etc. Mais en réalité, ça, c'est une projection complètement idéologique d'un mec qui n'a jamais fait de terrain. Et en effet, Gary Tardin part d'un postulat très libéral qui est celui de l'individu seul et isolé qui va essayer de maximiser ses intérêts. Elle dit, mais ça, en fait, dans la...

  • Speaker #1

    Ça se passe pas comme ça dans la vraie vie.

  • Speaker #0

    Dans les formes de commun. Déjà, les individus, ils sont pas isolés. Ils sont dans des communautés. Et donc, ces individus, notamment aussi, ils discutent beaucoup ensemble. Ils parlent. Ils communiquent. Parce que Garrett Hardin, aussi, il se base beaucoup sur ce postulat de la théorie des jeux, avec notamment le dilemme du prisonnier, etc. Alors, où il faut choisir. Est-ce que je balance mon complice ou pas ? ou pas, pour avoir une remise de peine, ils ne peuvent pas communiquer, est-ce qu'ils sont séparés par des grilles, etc. Elle dit, mais en réalité, les gars, ils se bourrent le goût, ça n'existe pas. Arrêtez de psychoter là-dessus. Dans la vraie vie, les gens, ils parlent ensemble. Ils discutent, ils se mettent d'accord ensemble sur des règles à adopter pour gérer au mieux telle ou telle ressource, etc. Donc souvent, déjà, il y a en effet des valeurs communes partagées. Alors souvent, ce n'est pas dans des sociétés occidentales avec l'individualisme qu'on peut avoir, ce qu'on appelle le pluralisme des valeurs, etc. Donc en effet, il y a peut-être un peu plus de valeurs partagées, mais en tout cas, elles sont là. Ensuite, les gens, ils parlent ensemble pour élaborer ensemble des règles. Et bon, très souvent, ça peut mettre du temps. temps, parfois par expérience aussi. Ça peut mettre parfois des mois, parfois des années, mais ça marche. Ça marche. Et Lina Rostrom, notamment, elle va beaucoup travailler dans des institutions de développement, notamment la Banque mondiale, dont elle va être aussi très critique, parce que précisément ces institutions, souvent, vont débarquer dans des pays et vont dire, mais... Votre production n'est pas du tout efficiente, vous feriez mieux de fonctionner comme si, comme ça. Et puis ils ont des sortes de cahiers des charges, de normes, etc. pour libéraliser le pays avec un état de droit, etc. Elle l'a vu notamment pour tout ce qui est système d'irrigation d'eau. Et alors ce que supportaient pas notamment ces agents de la Banque mondiale, c'est pas tant que ces systèmes d'irrigation d'eau répondaient pas à des besoins, que plutôt ce qui les énervait, c'est que par exemple, un sorcier dans le coin qui légitime les normes par deux, trois paroles un peu ésotériques, magiques, etc. Donc ils se disaient, c'est un système complètement foireux parce qu'il y a un sorcier dans le coin. Alors qu'en réalité, c'était des systèmes encore très efficaces. Donc quand ils essayaient d'imposer un petit peu leurs nouvelles règles modernes, en fait, très souvent, ils se rendent compte que c'est complètement foireux. Et en fait, ils reviennent aussi dessus. Donc là aussi, en termes d'opérativité, il y a des trucs là aussi très concrets. Quand on parle de gestion de ressources de vaux, etc. Après, il y a eu des épisodes historiques, aussi très enthousiasmants, qui font figure un petit peu de mythes dans l'historiographie anarchiste. Je pense notamment à la Révolution espagnole en 1936, qui est la... plus grande expérience historique à nos jours de l'anarchisme, pour une raison aussi assez simple historiquement, qui s'explique un petit peu historiquement aussi, c'est que le Parti communiste espagnol était quasiment absent du paysage, parce qu'ils avaient refusé de signer la charte du Comintern imposée par Lénine aux différents partis communistes en Europe, et donc il y avait le seul camp vraiment révolutionnaire, c'était le camp des anarchistes, et qui était... très nombreux à l'époque en Espagne, puisqu'il y avait environ un million d'adhérents dans le syndicat anarchiste, qui était la CNT, Confédération Nationale du Travail. Il y avait plusieurs milliers d'adhérents aussi à la Fédération Anarchiste Ibérique. C'était vraiment un mouvement très, très important. Et donc, quand éclate la Révolution Espagnole, donc en 1936, avec contre le coup d'État de Franco, il y a toute une zone de l'Espagne, notamment en Catalogne, dont... le Pays Basque, les Asturies, etc., qui va vivre sous les principes anarchistes, d'autogestion, etc. Donc, j'invite d'ailleurs tous les auditeurs si ça les intéresse, il y a des images complètement hallucinantes de Barcelone qui vit l'été 36 de manière anarchiste. Donc, on a tout un tas de drapeaux noirs, noirs et rouges dans la ville. Tous les hôtels et les cinémas sont ouverts au peuple. Il y a une sorte de redistribution collectives des produits alimentaires, manufacturés, etc., des formes d'autogestion généralisées. C'est proprement assez hallucinant. Il y a un petit livre passionnant là-dessus. Il y a le livre de George Orwell. On le connaît tous pour 1984. Mais il se trouve que lui-même était là-bas, parce que c'était un journaliste aussi, George Orwell. Il a écrit un magnifique petit livre qui s'appelle Hommage à la Catalogne où il explique cette révolution espagnole. Alors lui, il est... dans ce qu'on appelle le POUM, le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste, qui est plus ou moins d'obédience trotskiste, mais lui-même, il ne sait pas trop ce qu'il fout là. Il est beaucoup plus d'affinité avec les anarchistes. Et c'est très intéressant justement de voir cet enthousiasme. On parlait d'émotion. L'enthousiasme qu'il y a à cette époque, à cet endroit, dans les rues, qui est très bien retranscrit par George Orwell.

  • Speaker #1

    C'est intéressant, j'irais voir. Un peu dans le... Un enthousiasme historique avec la Commune de Paris aussi, qui a été très mal terminée, mais qui a été une expérience anarchiste. Peut-être que les gens ne se rendent pas compte aussi que l'anarchisme a été un mouvement... Il y a eu beaucoup de poids politique, surtout, alors, corrige-moi si je me trompe, mais 19e, fin 19e et début du 20e, où c'était quand même une force politique importante qui a complètement disparu avec la révolution russe, parce que c'est ce qui a signifié le triomphe et l'avènement des idées communistes. Et donc, l'anarchisme aujourd'hui n'est que l'ombre de ce que ça a été à une époque, même si ça revient sur des dimensions écologiques.

  • Speaker #0

    Depuis la chute du mur de Berlin aussi.

  • Speaker #1

    Ça revient, oui.

  • Speaker #0

    y compris dans tous les mouvements, alter-mondialisation, etc. Oui,

  • Speaker #1

    c'est vrai que c'est une reprise.

  • Speaker #0

    Il y a eu un retour de l'anarchisme depuis ce moment-là, notamment. Et avec l'écologie, oui, pardon. Et avec l'écologie, oui, complètement. Pour revenir aux épisodes dont tu parles, alors, il y a en effet la commune de Paris qui est, d'une certaine manière, un petit peu pré-anarchiste aussi, parce qu'il n'y a pas encore de mouvement anarchiste constitué, à proprement parler. L'anarchisme a vraiment émergé dans les années 1880.

  • Speaker #1

    Oui, alors que c'est dix ans avant.

  • Speaker #0

    Voilà. La Commune de Paris, c'est 1871. Mais on a quand même des éléments. Déjà, il y a quand même pas mal de Proudhoniens, puisque Proudhon, il meurt en 1865. On a un certain nombre de Proudhoniens qui sont à la Commune de Paris et qui vont avoir un rôle important. Il y a cette idée, en effet, de démocratie plus poussée, avec cette idée que la Commune est vraiment l'entité politique par excellence et non pas l'État. Donc, quand il y a la Commune de Paris, il y a aussi un appel aux autres communes en France pour... qu'elle se soulève. Bakounine, d'ailleurs, est à Lyon à cette époque. Il essaie de faire en sorte qu'il y ait un soulèvement de la commune de Lyon qui foire complètement. Mais dans la commune de Paris, il y a aussi la dimension sociale, évidemment, avec la classe ouvrière qui prend en charge ses ateliers, etc. La dimension de la séparation de l'Église et de l'État, aussi. Et puis, il y a la figure de Louise Michel, qui est un anarchiste, qui va le devenir, en fait, dans son trajet, qui l'emmène au bagne en Nouvelle-Calédonie, où là, elle va... elle va vraiment devenir anarchiste là-bas. Et puis il y a quelque chose qui a été un petit peu oublié aussi, c'est que dans les années 1880-90, on a souvent en tête les attentats anarchistes, mais qui en réalité ne vont être qu'une période assez restreinte dans l'histoire, qui va durer en gros une vingtaine d'années, et qui fait suite d'ailleurs aussi au massacre de la Commune de Paris. Donc souvent ce sont des personnes un petit peu désespérées et en colère, avec un mouvement révolutionnaire qui a été... été décimés et qui voient ces formes de terrorisme comme une forme de dernier espoir. Mais très vite, en réalité, les anarchistes vont se rendre compte que c'est complètement contre-productif, y compris avec un rejet des masses populaires envers ce genre d'action. Et donc très vite, les anarchistes, en réalité, ils vont s'investir dans les syndicats, et notamment le syndicalisme révolutionnaire. Et donc, comme je disais, la chose qui a été un petit peu oubliée, c'est que la CGT, dans ses origines, notamment avec la charte d'Amiens, être anarcho-syndicaliste, ou syndicaliste révolutionnaire, mais très proche des thèses anarchistes. Avec l'idée que, déjà, ça ne doit surtout pas être chapeauté par des partis. Le fait que le but du syndicalisme, ça doit être aussi à terme l'émancipation générale des travailleurs avec des formes d'autogestion, donc clairement anticapitaliste, et avec une critique de l'État aussi très importante. Donc ça aussi, c'est quelque chose qui va... périclité, comme tu le disais aussi, avec la révolution bolchévique, où là, la CGT va être noyautée petit à petit par les communistes.

  • Speaker #1

    Pour finir, on peut aborder ton troisième thème. Ça fait le lien avec ce que tu décris sur la question justement de, aussi, la violence, mais donc le troisième thème qui était le conflit et la guerre. Comment est-ce que tu articules ces questions-là avec l'anarchisme ou pas, d'ailleurs ? Est-ce que l'anarchisme est une... réponse, peut-être, ou pas ? Comment tu envisages un peu cette réflexion ?

  • Speaker #0

    Cette réflexion, en effet, elle est à multifacettes. Il y a cette idée qu'avec l'anarchisme, on va peut-être conjurer, en tout cas, la plus grande partie des causes de la guerre. C'est quelque chose qu'a déjà développé un petit peu Proudhon dans son ouvrage La guerre et la paix. C'est-à-dire que la guerre, elle est due à quoi ? Dans son ouvrage, Poudon dit que la guerre est principalement due à des raisons économiques. Cette idée que la répartition n'est pas faite équitablement. Donc d'une part, il y a ceux qui en manquent qui vont vouloir les ressources qui leur manquent. Donc ça va pouvoir être une cause de violence qu'on va pouvoir davantage retrouver dans le schéma de guerre civile, plus en termes internes. Et puis, il y a l'État qui va aussi toujours chercher... a augmenté sa richesse, et donc ça, ça va se développer aussi par des formes d'impérialisme économique, qu'on va retrouver en réalité depuis les débuts de l'humanité jusqu'à aujourd'hui. Alors cet impérialisme, il est plus ou moins brutal, il peut se faire... au XIXe siècle avec le colonialisme, maintenant peut-être davantage avec de la diplomatie économique, quand bien même il y a les entreprises aussi qui peuvent être très offensives. La guerre, c'est aussi la résultante d'une volonté de domination, qui n'est pas nécessairement d'ordre économique. On peut vouloir dominer aussi, y compris juste pour humilier, par exemple. Donc ça va juste relever de la psychologie sociale. On va pouvoir dominer pour avoir un territoire plus important, pour se sentir plus... plus grand, plus fort, etc. Donc, tout l'intérêt de l'anarchisme aussi, ça va être de conjurer ces différentes causes qui vont relever avant tout de cette volonté de domination ou d'exploitation. Et pour ça, il y a cette idée qu'un problème majeur qui se pose actuellement et depuis très longtemps, c'est la concentration du pouvoir. Du pouvoir en termes, là aussi, politiques, en termes de richesse, en termes de... en termes de charisme, en termes de responsabilité. Ça peut se décliner sur plein de choses différentes. Mais c'est cette idée de concentration. Et donc la meilleure manière de conjurer cette concentration qui va amener à la guerre et au conflit, c'est précisément des formes de déconcentration. Cette déconcentration du pouvoir, elle va permettre à la fois d'être sur du local, donc le local, la petite commune, elle ne va pas s'amuser. à aller faire la guerre à l'Union Européenne. Parce que déjà, elle sera prise aussi dans les réseaux de la fédération où les autres instances vont dire Non, tu déconnes, on ne va pas les attaquer. Et d'autre part, sur la défense aussi, s'il se trouve qu'il y a une attaque par un État qui existe toujours, il y a une solidarité qui va pouvoir se faire entre les différentes entités autonomes, autogérées, etc. Il y a des pactes fédérales un pacte fédéral qui va pouvoir être très important. Donc, impuissance sur l'attaque, mais au contraire, être très fort sur la défense et en faisant en sorte que les individus, mais aussi les entités politiques, etc., soient le plus autonome et du coup aussi les plus responsables possible. Moi-même, j'ai interviewé un diplomate très intéressant qui est peut-être... en tout cas à ma connaissance, un des seuls diplomates anarchistes au monde. Après, il y en a peut-être qui le sont sans le savoir. C'est quelqu'un qui s'appelle Ken Ross, qui était un diplomate britannique et qui a travaillé pour Tony Blair à l'époque de la guerre en Irak. Il a travaillé aussi à l'ONU, etc. Et il a démissionné juste après la guerre en Irak. Et lui, son constat, et c'est ce que je disais un petit peu aussi depuis le début de ce podcast, C'est que, déjà, les gouvernements sont complètement déconnectés du réel et que lui-même, parfois, faisait des rapports à ce qu'on appelle la centrale, le gouvernement central, en regardant la BBC, parce qu'il ne savait pas lui-même ce qui se passait sur le terrain alors qu'il était en ambassade. Et il disait, il y a plein de moments où j'ai vu de la violence et de la guerre, souvent pour deux raisons. Souvent, quand la... quand des violences éclataient, et là, il parle de son terrain, notamment en ex-Yougoslavie, c'est parce que les individus pouvaient se révolter. Ils n'étaient pas entendus. Ils se révoltaient notamment contre les institutions de l'ONU, qui centralisaient toutes les décisions. Et les dépossédaient,

  • Speaker #1

    en fait.

  • Speaker #0

    Les dépossédaient complètement. Et donc, il pouvait y avoir aussi des fights entre ethnies, tout simplement parce que c'était l'ONU qui avait pris des décisions à l'accord. à con. Alors que si les communautés avaient été intégrées, on aurait sûrement pu éviter ce genre de choses. Et puis, il y a un deuxième élément. On t'y parle en... Alors, c'était en Afghanistan. Et il dit en Afghanistan, nous, dans un premier temps, ce qu'on voulait, c'était la sécurité. Et il me dit, mais les Afghans, la première chose qu'ils voulaient aussi, c'était la sécurité. Le problème, c'est qu'on avait deux conceptions de la sécurité différentes. Eux, ce qu'ils voulaient avant tout... dans les organisations internationales et lui dans l'État britannique, c'était faire en sorte que l'État islamique soit complètement dégagé. Et pour ça, ils ont misé sur un acteur, enfin sur plusieurs, qui étaient les chefs de tribus, mais dont il se trouve qu'elles faisaient du trafic de drogue. Et donc, ils ont armé ces chefs de tribus pour qu'ils virent l'État islamique. Le problème... C'est que c'est une fois que l'État islamique a été négatif,

  • Speaker #1

    il restait ces gens-là.

  • Speaker #0

    Il restait ces mecs-là. Et donc, ils formaient des mafias. Et donc, l'Afghanistan est devenu un État de narcotrafic complètement chaotique. précisément parce que des organisations internationales et des États ont favorisé certains acteurs plutôt que d'autres au nom d'une certaine forme de sécurité. Alors que là encore, si les habitants avaient été intégrés, etc., la société civile dans son ensemble, y compris les tribus, l'ensemble de la société n'aurait peut-être sans doute pas eu ce genre de problème.

  • Speaker #1

    Je vais poser une dernière question parce que l'horloge tourne. c'est très intéressant mais il va falloir que malheureusement on s'arrête un jour dans ce podcast qu'est-ce que tu répondrais aux gens qui peut-être certaines personnes en nous écoutant se font la réflexion ouais mais c'est bien beau tout ça mais est-ce que c'est pas un monde de bisounours qui pense que qui ne marche que si on considère que les gens sont tous gentils et bienveillants les uns envers les autres qui est un reproche qu'on fait souvent à l'anarchisme quelle serait ta réponse ?

  • Speaker #0

    Là-dessus la meilleure réponse est donnée par un anarchiste italien de la fin du 19ème siècle qui s'appelait Enrico Malatesta Et d'ailleurs, si vous voulez lire des livres très vulgarisés, très simples à lire pour comprendre ce qu'est l'anarchisme, les petits livres de Malatesta sont très très bien. Alors Malatesta, qu'est-ce qu'il dit dans un livre qui s'appelle Au café Parfois, il a des bouquins qui sont des dialogues. Du coup, c'est vachement intéressant. Et justement, il y a une des personnes au café qui lui demande ça. Là, tu vis quand même un peu dans un monde de bisounours. En effet, l'anarchie, ça pourrait marcher que si les gens étaient bons, étaient gentils. Et Malatessa, il dit un truc, il dit, écoute, en réalité, peut-être que c'est le contraire. Alors après, il est aussi un petit peu provoque, mais en réalité, dans la théorie anarchiste, il n'y a pas d'idée de nature humaine bonne ou mauvaise. Il y a une ambivalence liée aux institutions, à ce que les gens font, etc. Il dit, c'est précisément parce que les gens... peuvent être mauvais que les anarchistes disent qu'il ne faut pas concentrer le pouvoir. Parce qu'une personne mauvaise, quand elle a le pouvoir, elle va décupler les choses mauvaises, les actions mauvaises. Alors que si on conçoit des institutions qui précisément arrêtent le pouvoir potentiellement nocif des individus, ça se passera beaucoup mieux en réalité. Donc au contraire, je pense que la théorie anarchiste est une des théories... plus réaliste en philosophie politique.

  • Speaker #1

    J'ai eu cette émotion dont on parlait au début, le plaisir de tout d'un coup la petite pirouette intellectuelle qui désarçonne. Je m'arrêterai sur cette émotion. Merci pour cet entretien. Merci Edouard Jourdain.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup à toi.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un entretien du Fil d'Actu. J'espère que l'épisode vous a plu et avant de se quitter, je voulais vous dire un petit mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant. et sans publicité, et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien, et on se retrouve mercredi pour un nouvel épisode du Fil d'actu.

Description

Et si la philosophie vous réconciliait avec l'anarchisme ?


⚡ Qu’est-ce que l’anarchisme ? Est-ce, comme on le pense souvent, le chaos et la loi du plus fort ? Ou est-ce, au contraire, une organisation politique juste et éthique, la plus adaptée à notre nature humaine ?

Ce sont les questions que j’ai posé au philosophe Edouard Jourdain, spécialiste de l’anarchisme, qui réfléchit au croisement de la philosophie et de la science politique. Il cherche à penser les mécanismes de pouvoir et les institutions, les origines de notre croyance presque aveugle en l’économie, et les possibilités d’émancipation collective à travers une refonte totale de notre système politique.

Dans cet épisode, vous allez entendre des propositions puissantes, radicales, qui bouleversent notre conception habituelle du monde. Alors, accrochez-vous, et je vous garantis qu’à la fin de cet épisode, vous serez devenus un peu anarchistes.


📚 Le dernier livre d'Edouard Jourdain, Maîtriser les conflits par les communs, est disponible ici.


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Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui remet la philosophie au cœur de l'actualité. Ici, pas de philo prétentieuse et déconnectée du monde, mais une philo accessible et ancrée dans la société. Tous les mercredis, je vous propose une chronique commentant l'actualité et, une fois par mois, l'interview d'un ou d'une philosophe contemporaine. Prêt et prête pour une philosophie vivante et engagée ? Bienvenue dans le fil d'actu. Qu'est-ce que l'anarchisme ? Est-ce, comme on le pense souvent, le chaos et la loi du plus fort ? Ou est-ce au contraire une organisation politique juste et éthique, la plus adaptée à notre nature humaine ? Ce sont les questions que j'ai posées au philosophe Édouard Jourdain, spécialiste de l'anarchisme, qui réfléchit au croisement de la philosophie et de la science politique. Il cherche à penser les mécanismes de pouvoir et les institutions, les origines de notre croyance presque aveugle en l'économie et les possibilités d'émancipation collective à travers une refonte totale de notre système politique. L'anarchisme pourrait mener à la paix, contrairement au capitalisme. Dans cet épisode, vous allez entendre des propositions puissantes, radicales, qui bouleversent notre conception habituelle du monde. Alors, accrochez-vous et je vous garantis qu'à la fin de cet épisode, vous serez devenus un peu anarchistes. Bonjour à toutes et à tous. Bonjour Edouard Jourdain.

  • Speaker #1

    Bonjour Alice.

  • Speaker #0

    Merci d'être dans le fil d'actu.

  • Speaker #1

    De rien, merci à vous. Je suis ravi d'être là.

  • Speaker #0

    Alors, je vais commencer par une première question. Qu'est-ce que c'est pour toi la philosophie ?

  • Speaker #1

    Pour moi, la philosophie, si on reprend le terme du sujet, c'est souvent comme ça qu'on commence, en tout cas, a priori en philosophie, c'est l'étude de la sagesse. Mais moi, ce n'est jamais quelque chose qui m'a intéressé comme tel pour ça. Moi, je n'ai pas fait de la philo pour penser ce que pouvait être la sagesse de la vie ou je ne sais quoi. Moi, en fait, j'ai commencé par la science politique parce que c'est une discipline qui me paraissait la plus ancrée dans la cité. Moi, ce qui m'intéressait, c'était la cité au sens large, c'est-à-dire la vie politique. La cité, c'est la police en grec, la vie de la cité. Et via la science politique, je me suis intéressé à la philosophie aussi, au sens où pour moi, la philosophie, c'est ce qui permet à la fois de donner un sens aux événements, à l'histoire, etc. Mais ça va aussi avoir une dimension normative. Et c'est pour ça que moi, je m'intéresse beaucoup à la philosophie politique. Donc moi, je suis un petit peu à cheval entre la philo et la science poste, qu'on peut appeler la philosophie politique ou la théorie politique. C'est-à-dire, pour les Grecs, c'était quelle est la forme de meilleur régime, de meilleur gouvernement ? Moi, je l'entends au sens un petit peu plus large, c'est-à-dire, en effet, à la fois comment on peut donner un sens à la vie de la cité être aussi les meilleures institutions possibles.

  • Speaker #0

    D'accord, donc la science politique, ce serait décrire, si je reprends ce que tu dis, et la philosophie irait un petit peu plus loin, on dirait, oui d'accord, on décrit mais voilà ce qu'il faudrait faire, ou en tout cas, réfléchissons à ce qu'il faudrait faire ensemble.

  • Speaker #1

    On va un petit peu plus loin que ce qu'on appelle en science politique aussi le positivisme ou la sociologie politique, c'est-à-dire uniquement la description. Et d'ailleurs, en science politique, très souvent, on va séparer, comme disait un un sociologue qui s'appelait Max Weber, les faits des valeurs. Donc, le savant, son seul boulot, c'est de décrire des choses et c'est tout. Les valeurs, il les garde à la maison, chez lui. C'est son opinion personnelle, mais on n'en a rien à faire, j'allais dire. Ça, c'est très intéressant d'avoir une description, j'allais dire, la plus réaliste possible des faits. Mais pour ma part, je trouve qu'on ne peut pas en rester là. Et c'est là aussi le rôle du... du savant dans la cité ou même du politiste. Il y a plusieurs écoles aussi là-dessus en Sciences Po. Moi, je pense qu'il faut avoir aussi un rôle assumé, en quelque sorte, et subjectif, parce que parfois, on a un petit peu le point de vue du savant surplombant aussi, en mode, je sais tout, je connais tout, je suis dans l'objectivité, mais tout ça, c'est du pipeau, en réalité. Et de l'autre, on fait un petit peu d'épistémologie, la philosophie des sciences. On sait que c'est du pipeau. Bien sûr. Donc, c'est d'une énorme arrogance épistémique, c'est un gros mot aussi, mais de prétendre qu'on a un savoir objectif sur quelque chose. Bien sûr. Ce qui est complètement absurde, dès lors que, ne serait-ce que pour choisir un sujet, c'est subjectif. Je pense que c'est beaucoup mieux d'avoir un point de vue subjectif assumé et de le déclarer tout de suite. Et à partir de ce point de vue subjectif assumé, c'est qu'est-ce qu'on fait de cette description du réel qu'on a ? Parce que c'est très bien de pouvoir expliquer des choses, des événements, des institutions, l'économie, etc. Mais après, ce what qu'est-ce qu'on en fait ? Ça sert à quoi de décrire tout ça ? C'est bien pour en faire quelque chose. Donc c'est soit pour dire c'est bien, ça marche, c'est juste etc. Soit ça marche pas, ça déconne Et il faudrait peut-être faire ceci ou cela pour que ce soit mieux, plus juste, etc. Et c'est là, à mon avis, le rôle du philosophe politique ou du politiste qui assume sa subjectivité.

  • Speaker #0

    Je suis absolument d'accord avec toi. C'est tout à fait la vision que je porte dans mon travail, dans mon podcast. Et c'est intéressant parce que c'est quelque chose que les gens n'ont pas forcément en tête d'une manière aussi claire. Et moi, on m'a souvent dit... Ah, mais ce que tu fais, ce n'est pas de la philosophie, c'est de la politique. Donc, ça résonne totalement avec ce que tu dis. Et je suis totalement d'accord avec le fait que nous sommes tous situés, on a tous une subjectivité, tous et tous. Donc, il est impossible de prétendre à une objectivité. Au contraire, c'est un peu du mensonge. On avance masqué. Et je suis d'accord avec ta posture de dire, moi, je préfère assumer très clairement quelle est ma posture. Comme ça, au moins, vous savez à qui vous avez affaire. Et parlons ensemble à partir de ces postulats-là. Il n'y a rien de plus énervant, je trouve, quand on est un philosophe. qui prétend avoir une démonstration absolue. Et au bout de je ne sais pas combien de pages, on se rend compte qu'il y avait un énorme postulat caché, une énorme croyance en fait, parce que c'est l'art de la croyance. Et donc toi, qu'est-ce que tu réponds quand on te dit ça ? Quand on te dit oui, mais ce que vous faites, ce n'est pas de la philo, c'est de la politique.

  • Speaker #1

    Moi, on ne me dit pas ça en fait. Alors, on peut me dire presque l'inverse. On peut me dire, vous ne faites pas de la science politique, vous faites de la philo. Donc, il y a aussi ce double truc. Donc moi, je suis vraiment entre, je vais dire le cul entre deux chaises, justement entre la philo et la science politique.

  • Speaker #0

    pour,

  • Speaker #1

    je peux avoir la critique des deux bords. Soit je suis trop politiste, soit je suis trop philosophe. Donc, à chaque fois, je réponds, bah ouais, mais écoute, l'autre discipline me dit l'inverse. Je suis peut-être dans le juste milieu. Donc oui, moi, je dis que je fais de la politique et c'est complètement assumé. Après, souvent aussi, je peux rétorquer en quelque sorte qu'eux aussi, d'une manière, ils font de la politique. Tout à fait. Il suffit que je lise le moindre de leurs écrits et je vais leur dire, voilà, telle est ta position politique. Donc, en fait, en réalité, ça se dévoile très vite, ce genre de choses, y compris dans une philosophie qui se voudrait la plus abstraite possible. En réalité, quand on déroule le postulat, on en arrive toujours à quelque chose de politique et on voit comment est située la personne.

  • Speaker #0

    Totalement d'accord avec toi. On va arriver à tes thèmes après, aux thèmes que tu as choisis, parce que tes thèmes sont très marqués politiquement. Je voudrais juste terminer sur ce sujet un peu de la philosophie. Quelle serait l'émotion première qui fait faire de la philosophie ou qui est le moteur de la philosophie pour toi ?

  • Speaker #1

    C'est une bonne question que je ne me suis pas souvent posée moi-même, je t'avoue. Moi, quelque chose que j'adore dans mes recherches, c'est ce sentiment d'étonnement et d'avoir découvert quelque chose. Alors parfois, ça peut être peut-être faux ou très prétentieux, ou cette idée de dire Ah, là, j'ai trouvé un truc. que j'avais vu nulle part, où j'ai compris quelque chose que je n'avais pas compris. Cette idée, cette émotion d'étonnement et d'émerveillement, de satisfaction, de découvrir quelque chose. C'est cette découverte que je mettrais en premier plan.

  • Speaker #0

    Je me souviens de l'impression souvent, quand je faisais ma thèse ou mes recherches, l'image d'un éclair. qui vient, qui surgit une espèce d'épiphanie, d'un éclair extrêmement puissant.

  • Speaker #1

    C'est Deleuze qui disait, alors lui il parlait de la création de concepts, mais il disait c'est une fête. Et ce n'est pas tous les jours la fête non plus. Donc moi, quand ça m'arrive, je ne sais pas, peut-être deux, trois fois par an, déjà je suis content.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Je vais revenir un petit peu à ton parcours. Tu dis que tu as fait sciences politiques et philosophie, que tu as un parcours qui est explicitement politique, un positionnement qui est explicitement politique. Est-ce que tu peux nous parler de ton éveil philosophique personnel, du choix de tes thèmes ? Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, tu travailles sur des philosophies et des pensées comme l'anarchisme ?

  • Speaker #1

    Moi, je dirais que mon premier éveil philosophique, il est politique aussi, c'est quand j'avais une quinzaine d'années et que j'étais au lycée. J'étais très mauvais élève, je partais complètement en sucette à 14-15 ans, j'ai eu une grosse crise d'ado pendant deux ans. Et c'est par la découverte d'un auteur qui m'a un petit peu presque sauvé la... la vie ou en tout cas remis sur le chemin de choses un peu plus sérieuses et ou en tout cas constructives, qu'elle a découverte d'un auteur français qui s'appelle Pierre-Joseph Proudhon et qui est le premier théoricien de l'anarchisme. Dans son ouvrage en 1840, Qu'est-ce que la propriété ? Souvent on connaît, ou il aurait répondu, c'est le vol, qui est une formule d'ailleurs souvent mal comprise. Mais c'est le premier auteur qui, dans cet ouvrage, se réclame anarchiste au sens positif du terme, où il dit je suis... tout à fait ami de l'ordre, mais je me réclame anarchiste et il développe son truc. Et ça m'avait fasciné à ce que je me disais, mais ce gars quand même, il est sacrément couillu. Et il y a un côté paradoxal, c'est comment on peut se réclamer à la fois ami de l'ordre et anarchiste. Enfin, pour moi, c'est cette figure du paradoxe aussi, d'ailleurs, qui m'a toujours fasciné. Et du coup, je me suis intéressé à son œuvre et j'ai creusé cette notion d'anarchisme qui m'a poursuivi jusqu'à nos jours. À côté de l'anarchisme, il y a notamment deux ou trois thématiques qui m'intéressent beaucoup. La question du lien entre religion et politique, ce qu'on appelle aussi le théologico-politique, que moi j'ai décliné aussi avec l'économie. La question du conflit et de la guerre, et la question de justice, commun, etc. Il y a plusieurs pistes que j'essaie de creuser en parallèle pour essayer d'en faire quelque chose de cohérent.

  • Speaker #0

    Ce qu'on peut faire, c'est prendre ces trois pistes les unes après les autres, parce que ces trois sujets, je pense, qui intéressent beaucoup les gens et qui sont souvent mal connus. Rien que l'anarchisme, on va en discuter, mais lié anarchisme et ordre, c'est sûr que ça surprend toujours un peu quand on dit que Proudhon était un fan de l'ordre. C'est vrai que les gens sont étonnés parce que l'anarchisme est devenu dans le langage courant synonyme de désordre, justement. Alors, est-ce que tu peux nous résumer, pour des gens qui n'ont jamais entendu parler de l'anarchisme ? Qu'est-ce que c'est que l'anarchisme ? Alors, si vous avez déjà écouté le fil d'actu, vous savez un peu ce que c'est. Mais on peut reprendre.

  • Speaker #1

    Oui, alors, le fait que l'anarchie soit synonyme de chaos, désordre, en réalité, ce n'est pas neuf. Ça fait depuis très longtemps qu'anarchie va être synonyme de chaos, déjà chez les philosophes grecs. Pendant la Révolution française aussi, on traitait les anarchistes, enfin, on traitait d'anarchistes, pardon, les démocrates. Les démocrates, petit à petit, ont été acceptés. adopté dans leur théorie, qui est celle du gouvernement du peuple par le peuple. Et dès lors, ils n'ont plus été taxés d'anarchistes parce que c'est rentré dans les mœurs, c'est la démocratie est devenue un régime d'ordre. Alors que ce n'était pas du tout gagné au XVIIIe siècle. La démocratie, c'était l'anarchie.

  • Speaker #0

    C'était hérité des Grecs aussi, ça, parce que chez Aristote, enfin chez Platon surtout, la démocratie, c'est le gouvernement des mauvais. Oui, oui.

  • Speaker #1

    Il y a cette idée que la... Chez Platon, en effet, c'est particulier parce que lui est justement antidémocrate. Chez Aristote, l'anarchie, ça va être la démocratie dégénérée. Début du XIXe siècle, il y a deux éléments qui vont rentrer en compte historiquement pour penser aussi à l'anarchisme. C'est le développement et l'institution moderne de l'État tel qu'on le comprend actuellement. L'État régalien avec un territoire bien défini, un chef d'État. Etats, des ministères, une administration, etc. Et le deuxième élément qui va être important, c'est la question sociale avec la question ouvrière, et donc la question sous-jacente du capitalisme. Donc, d'ailleurs, c'est pas par hasard si le premier livre de Proudhon porte sur la propriété. Lui-même, d'ailleurs, il a cet avantage d'être un des seuls théoriciens socialistes au sens large, puisqu'on va pouvoir classer l'anarchisme dans le socialisme, un des seuls théoriciens qui est d'origine populaire. La plupart, ils sont d'origine nobles. bourgeoise ou de classe moyenne, en réalité. Lui, il a son père qui était brasseur, sa mère paysanne, et donc il a vraiment cette fibre populaire très ancrée en lui, et il se demande au début de ce bouquin, qu'est-ce que la propriété, mais comment ça se fait qu'il y ait un Louis-Philippe qui soit mille fois plus riche que moi, qui n'ai même pas de quoi m'acheter des bouquins pour faire mes études. Et donc il part de ce constat très basique, très ancré dans une expérience réelle. C'est à partir de ce postulat, de cette expérience, qu'il fait son enquête et se dit comment ça se fait qu'il y ait tant d'inégalités dans le système dans lequel on vit. Et donc là-dessus, il va accuser la propriété dans un sens bien précis du terme, qui est la propriété privée capitaliste des moyens de production. C'est-à-dire, pour faire très vite, la capacité pour un individu d'user de son capital sans travail. On est propriétaire d'une entreprise, d'un bien immobilier pour obtenir des loyers, etc. Donc c'est tout ce qui permet d'obtenir...

  • Speaker #0

    On est actionnaire chez Total. Voilà,

  • Speaker #1

    actionnaire chez Total. Tout ce qui permet d'obtenir du capital sans travail. Et puis, il y a un autre élément que Proudhon va vite attaquer, déjà dans Qu'est-ce que la propriété ? mais après encore davantage à la fin des années 1840, avec notamment la révolution de 1848, etc., où il va attaquer très frontalement l'État, et y compris la démocratie représentative. Où il va dire, le problème, c'est qu'on va avoir toujours, en gros, des gouvernants, des gouvernés, des dominants, des dominés, qui en réalité... n'expriment en rien la volonté du peuple. Et qu'est-ce que le peuple ? Le peuple, c'est aussi une image, une fiction. Le peuple, il est pluriel, il est très divers, etc. Et en réalité, quand des personnes sont élues au suffrage, qui plus est au suffrage universel, donc avec une sorte de mandat en blanc, ces gens-là, ils ont tous les pouvoirs en réalité, même s'ils sont limités par une constitution et des institutions, mais ils ne sont pas du tout redevables envers les citoyens. Et en réalité... les citoyens se plaignent sans arrêt que les programmes ne sont pas accomplis parce qu'en réalité la classe gouvernante n'a aucune obligation vis-à-vis des citoyens.

  • Speaker #0

    Ça résonne beaucoup aujourd'hui. On aura le temps d'en discuter tout à l'heure mais ça n'a pas pris une ride.

  • Speaker #1

    Son argument, ça va être de dire qu'en réalité le désordre il vient d'abord d'en haut. Ça peut paraître un petit peu paradoxal et contre-intuitif. Mais il va dire que le gouvernement, c'est un semblant d'ordre. C'est déjà un ordre très subjectif, c'est-à-dire qu'il va être imposé par un ou quelques individus qui vont dire, eux, voilà ce que doit être l'ordre. Et en réalité, Proudhon va dire que le gouvernement va être sans cesse en proie à des insurrections, des révolutions, des crises, etc. Précisément. parce qu'il crée le désordre. Donc la question de Proudhon, ça va être comment concevoir un véritable ordre politique et pas un semblant d'ordre qui est toujours voué à des crises, à des révolutions, à des révoltes, etc. Qui sont des manifestations, en réalité, que le système ne marche pas et est une forme de désordre.

  • Speaker #0

    C'est vraiment l'oligarchie, enfin en tout cas, ceux qui gouvernent, le petit nombre de personnes qui gouvernent. qui vont générer le chaos et le désordre. C'est ça ce que dit Proudhon.

  • Speaker #1

    Exactement. Ça ne revient pas nécessairement sous sa plume, mais quelqu'un comme Castoriadis, qui est un philosophe plus récent, lui parle d'oligarchie libérale. Et c'est exactement ce qu'a en tête Proudhon quand il parle du gouvernement représentatif.

  • Speaker #0

    Et si je ne me trompe pas, Proudhon a été député en plus.

  • Speaker #1

    En effet, Proudhon a été député. Et ça, c'est quelque chose qui a fait beaucoup l'œuvre de polémiques, y compris à son époque, ensuite par les anarchistes, etc. un certain nombre d'anarchistes, qui vont dire mais oui, Proudhon n'est pas du tout en accord avec ses idées, parce que lui-même se fait élire à l'Assemblée, etc. Mais lui-même va le dire dans ses écrits, dans ses journaux, ses carnets, etc. Lui-même n'est pas dupe, avant même de se présenter, il est contre le système représentatif. Mais va-t-il dire l'Assemblée peut néanmoins, dans le système actuel tel qu'il est, être une tribune ? Donc lui, il y va, en fait, non pas tant pour représenter des gens, ce qui est une absurdité pour lui, pas non plus pour prendre des décisions, parce qu'il ne fait partie d'aucun groupe et il n'est suivi par aucun vote dans l'Assemblée, mais c'est avant tout pour faire connaître ses idées. Et c'est en cela qu'il voit son rôle à la députation. Et c'est une manière aussi pour lui de voir de l'intérieur comment ça marche. Il y a ce côté, parce que Proudhon, il était journaliste aussi. Pendant 4-5 ans, en gros entre 1846 et 1852, il est journaliste, il a des journaux d'ailleurs, il est chef du représentant du peuple, la voix du peuple notamment. Et donc lui, ça l'intéresse de savoir comment ça marche cette embouille de l'intérieur, pour après avoir aussi une critique d'autant plus juste, et il ne s'en prive pas. Parce que dès 1848, quand il est élu, c'est à cette époque qu'il a ses écrits les plus radicaux et les plus anti-gouvernementaux. Après, il se calme un petit peu, mais de 1848 à 1851, on a un anti-étatisme radical de la part de chez Proudhon, au point même que, dans sa théorie, ne doit plus exister que des entités économiques qui se coordonnent sans qu'il n'y ait plus même d'institutions politiques. Il va revenir un petit peu là-dessus à la fin de sa vie, dans les années 1860, en parlant de fédéralisme, du principe fédératif, qui est un de ses ouvrages. qui est un concept d'ailleurs très important pour les anarchistes, qui est comment on coordonne des institutions politiques avec des formes de démocratie directe, locale, qui peuvent passer après d'un échelon supérieur à un autre s'il y a des problèmes à régler qui sont transversaux. Et donc comment coordonner ces institutions politiques en partant de la commune, de la région, département, etc. Et comment ils se coordonnent avec des entités économiques, des entreprises autogérées, etc. Pouvoir répondre aux besoins des habitants. Donc ça c'est là-dessus qu'il va développer sa notion de fédéralisme. Parfois on parle de fédéralisme intégral ou fédéralisme libertaire, dans la mesure où déjà il s'agit d'un système... Sous forme de démocratie directe, c'est-à-dire en sciences politiques, on parle de bottom-up, c'est-à-dire qu'on va partir de la base pour arriver au sommet, et non pas top-down, ce qui est le fédéralisme classique, comme aux États-Unis par exemple, où on part du sommet et les décisions sont prises pour être appliquées ensuite à la base. Donc fédéralisme bottom-up et ensuite intégral, parce qu'il prend aussi en compte l'économie, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des théories du fédéralisme politique. Donc l'anarchisme aussi c'est ça, c'est... comment concevoir des formes de démocratie, j'allais dire, à tous les étages. Donc à la fois en termes politiques, on part toujours du local, même si ça ne s'y réduit pas, évidemment, et les problèmes sont globaux, même au sens planétaire, et c'est pour ça que l'anarchisme aussi est internationaliste. Donc niveau local et niveau économique aussi, puisqu'il s'agit de repenser des formes de production et de consommation qui dépassent le capitalisme.

  • Speaker #0

    Alors, tu parlais de la... de la propriété tout à l'heure. Proudhon fait une distinction, si mes souvenirs sont bons, avec la possession. Est-ce que tu peux nous expliquer la différence ? Parce qu'est-ce qu'il s'agit d'abolir complètement la propriété, au sens un peu courant où on l'entend ? Est-ce que ça veut dire que plus rien ne t'appartient ? Ou est-ce que, justement, c'est une façon différente de penser la propriété ? Est-ce que tu peux nous éclairer un peu là-dessus ?

  • Speaker #1

    Alors ça, en effet, c'est très important. Lui, il fait bien la distinction entre les deux. La propriété qui va avoir une connotation péjorative chez lui, qui, pour lui, est toujours la propriété. capitaliste et la possession. Donc, en effet, on peut tout à fait posséder des choses, et même pour lui, fils et arrière-petit-fils de paysan qu'il est, c'est très important même de pouvoir posséder sa maison, sa terre, pour y faire cultiver ses légumes, ses fruits, faire paître son bétail, etc. Donc, évidemment, non, lui, il n'est pas du tout contre la possession, même au contraire. Dans certains de ses écrits, pour lui, la possession va permettre de contrebalancer aussi le pouvoir politique. La propriété, Pour lui, c'est ce qu'il appelle aussi le droit d'homède. C'est ce que je disais un petit peu au début, c'est-à-dire la capacité pour un individu de produire du capital sans travail. C'est ça la propriété. Sinon, il n'y a aucun souci évidemment d'être possesseur de quoi que ce soit, dès lors que les produits que tu en tires ne seront pas induits, c'est-à-dire si tu n'exploites pas quelqu'un grâce à cette possession.

  • Speaker #0

    Et ça, ça fait... Là encore, je parle de mes souvenirs, mais ça ne fait pas l'unanimité parmi les anarchistes, si je ne me trompe pas. Il y a des débats sur la question de la possession. Est-ce qu'il faudrait passer plutôt au droit d'usage ? Ça, c'est plutôt la théorie des communs.

  • Speaker #1

    Oui, alors c'est ça qui est passionnant dans l'anarchisme aussi, c'est qu'il y a énormément de théories très différentes, y compris en termes économiques. En règle générale, on va distinguer deux autres écoles de l'anarchisme. En réalité, il y en a trois autres. Je passe vite, peut-être, peut-être trop vite. Sur l'individualisme anarchiste, on va retrouver avec des personnes comme Stirner, etc. Mais au XIXe siècle, il y aura beaucoup d'individualistes anarchistes aussi, y compris en France, avec cette idée que ce qui doit primer avant tout, c'est l'individu. Et l'individu peut faire absolument tout ce qu'il veut, y compris dans l'usage de ses biens. Donc il ne doit rien avoir au-dessus du moi. Il y a l'école dite davantage collectiviste qu'on va avoir avec un autre... auteur très important qui s'appelle Michel Bakounine, qui lui vient de Russie, et qui lui va dire que la propriété doit être avant tout collective. Donc lui va être un petit peu circonspect contre la dimension parfois un petit peu paysanne qu'on peut avoir de Proudhon, au sens de petit propriétaire, l'idée que le paysan peut cultiver son petit lopin de terre, etc. Et d'ailleurs, Marx ne s'en privera pas en taxant Proudhon de petits bourgeois. C'est cette idée du théoricien qui est attaché à sa petite propriété, alors qu'en réalité, ce n'est pas du tout le cas. Proudhon, il va dire simplement, si un paysan ou un artisan veut conserver sa terre ou ses locaux, foutez-lui la paix, c'est sa liberté. Bakounine, il va dire, pour que ce soit un peu plus collectif, efficace et tout, c'est mieux de tout mettre en commun. En tout cas, tous les moyens de production doivent être... collectif. Il parle bien encore de moyens de production. Il ne dit pas que tout le monde doit habiter dans la même baraque ou faire ensemble à manger, tous dans le même immeuble, etc. Ce n'est pas la question. Quand on parle de la propriété, il faut bien avoir en tête, c'est toujours les moyens de production. Et il y a une troisième école anarchiste qu'on appelle l'anarcho-communisme, qui lui va avoir peut-être un des plus grands succès historiques aussi, qui est développée par Kropotkine à l'origine, qui lui aussi vient de Russie, et qui repose sur un postulat assez simple qui est qu'à terme on va arriver à l'abondance, grâce notamment à... au développement des moyens de production en commun. Et du coup, il a ce même postulat que Marx, qui est de dire qu'on va arriver à une société d'abondance où il n'y aura plus besoin de règles, c'est-à-dire de droits, de redistribution. La question ne se posera pas puisqu'on sera dans l'abondance. Donc la seule règle qui prévaudra, c'est la même que Marx d'ailleurs, c'est de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. Et à partir de là, ça devrait aller. Seulement, contrairement à Marx, évidemment, lui, il ne passe pas par la phase État ou dictature du prolétariat. Pour lui, il va dire, non, ça c'est une énorme erreur. En réalité, la dictature du prolétariat sera en réalité une dictature sur le prolétariat, dès lors qu'il y a toujours une classe dirigeante. Donc voilà un petit peu, en gros, les petites différences qu'il peut y avoir entre ces différents courants. Et en réalité, quand on regarde la mise en pratique... Souvent, il y a un mix entre les trois qui ne sont pas du tout incompatibles en réalité.

  • Speaker #0

    Je reviens sur ce que tu décrivais tout à l'heure, cette idée de fédéralisme bottom-up, qui parle vraiment du peuple, pas de la classe dirigeante avec une certaine verticalité. Est-ce que tu pourrais donner peut-être un exemple assez concret pour vraiment illustrer ce que ça pourrait être ? Évidemment, je pense à la question de l'eau, parce que l'eau, c'est un sujet assez important. Là, en plus, au moment où on enregistre... On enregistre, il vient d'avoir le scandale Nestlé, Nestlé qui s'est approprié de l'eau en bouteille et qui l'a vendue, qui a une fraude estimée à, j'ai noté, 3 milliards d'euros pour avoir vendu en gros de l'eau du robinet. Est-ce que l'eau te paraît être un bon exemple pour illustrer ce que pourrait être une gestion capitaliste de l'eau, une gestion étatique et une gestion anarchiste ?

  • Speaker #1

    Oui, après, il y a énormément de choses qui peuvent être légitimes et différentes. On pourrait parler de... L'eau est d'autant plus frappante que ça peut être qualifié de bien commun, c'est-à-dire de bien nécessaire à la survie de l'homme. Il y a cette idée déjà que d'un point de vue anarchiste ou d'un point de vue des biens communs, l'eau est une ressource qui est indispensable à l'homme et qui dès lors ne peut pas être l'objet d'échanges marchands, ne peut pas être l'objet de concurrence ou pour faire des profits, etc. Et donc là, il y a une dimension, en réalité, politique. Et c'est là qu'on voit la dimension politique de l'économie, notamment chez les anarchistes. C'est-à-dire que l'économie va être toujours soumise à des besoins. Déjà, il y a cette idée que ça ne peut pas faire l'objet, comme je le disais, d'une marchandise. Ça, c'est un premier point. Ça ne peut pas non plus faire l'objet d'une direction par l'État.

  • Speaker #0

    Pour une raison déjà toute simple, c'est que l'État, en réalité, il a un problème, c'est qu'il ne sait pas quel est exactement l'état de la ressource d'eau à tel endroit donné, il ne sait pas quel est exactement le besoin en termes de ressources en eau à tel ou tel endroit, etc. Le problème que toujours l'État va avoir, on l'a vu d'autant plus par exemple avec la crise du Covid, c'est qu'il n'a pas... pas les bonnes informations. Pourquoi ? Parce qu'il va être toujours dans une position de surplomb et donc il essaye de choper les informations mais en réalité c'est très dur pour lui de les avoir, si tant est qu'il essaye de les avoir, ce n'est pas toujours le cas.

  • Speaker #1

    Il est toujours en train de retard.

  • Speaker #0

    Il est toujours déconnecté du réel. Donc les anarchistes partent toujours du principe que c'est toujours ceux qui sont au plus près du terrain qui savent ce qui est le mieux pour eux, comment gérer, etc. Dans le cas de l'eau, ça va être des riverains qui consomment l'eau et qui sont près du fleuve ou de points d'eau en particulier, qui vont avoir un rôle fondamental, déjà en tant qu'habitants, ensuite d'autres en tant qu'ONG, protecteurs de la faune et de la flore, et puis avec des entités économiques aussi qui sont liées au traitement de l'eau, mais ça va être une... une forme de démocratie aussi plurielle au niveau économique pour avoir une représentation réelle et savoir vraiment ce qui est bon pour à la fois pour la ressource, être sûr qu'elle ne va pas tarir avec de la surproduction ou de la surconsommation par exemple, et être sûr qu'on assure les besoins. Donc il y a toujours cette péréquation, c'est comment éviter la raréflexion des ressources avec la surproduction ou la surconsommation, et à la fois aussi comment répondre aux besoins des habitants.

  • Speaker #1

    Ce qui est en fait exactement l'inverse de ce qu'on observe dans la gestion capitaliste. Et je reviens à mon exemple de Nestlé, qui en fait a vidé les nappes phréatiques, a privé l'eau, les habitants des ressources en eau, et qui en plus a fait des décharges de bouteilles en plastique à côté, et donc qui a en fait pillé, vidé la ressource. Donc ça va complètement à l'encontre de l'idée qu'on a souvent que la gestion capitaliste du marché est la plus efficace, la plus efficiente. Et au contraire, ça revient à l'idée d'une démocratie et d'une intelligence collective de la gestion. C'est radical comme renversement.

  • Speaker #0

    Exactement. Et moi-même, j'ai pu beaucoup travailler en épistémologie, notamment sur la question de l'intelligence collective. Et là aussi, c'est passionnant. Il y a énormément d'études qui ont été réalisées, qui rejoignent complètement les thèses anarchistes sur le fait que, y compris pour tout ce qui est prospective, anticipation, conception des problèmes et des solutions, etc. Ça va être toujours quand il y a un maximum. d'individus avec des points de vue différents et qui peuvent être, y compris dans la contradiction. Donc, il n'y a pas cette idée non plus qu'il faille nécessairement être tous d'accord, etc. C'est vraiment cette idée d'intelligence collective qui va permettre à la fois d'identifier les problèmes et de donner des solutions. Chose que, dans le capitalisme, en réalité, on ne va pas avoir puisque déjà, il y a cette dimension hiérarchique, en réalité, qui est aussi très importante dans le capitalisme, avec souvent une direction... qui, elle aussi, est déconnectée contrairement aux salariés. Et puis, une logique, là, purement économique, qui consiste avant tout à maximiser des profits. Pour le coup, le capitalisme, c'est quelque chose de très simple. Un point de vue normatif aussi, c'est faire en sorte que les profits soient les plus importants. Avec tout ce que cela va charrier aussi, en termes de choses sous-jacentes, c'est-à-dire une croissance infinie, donc surproduction et détérioration de tout ce qui est... entités naturelles, exploitation, donc on va faire trimer aussi un max les salariés où on va délocaliser dans les pays qui sont encore plus dans la dèche, etc. Donc en effet, on est complètement dans une dimension inverse à celle des anarchistes.

  • Speaker #1

    Et alors, dans ce cas, l'État, si je suis ce que tu expliques, l'État ne serait pas le plus apte ? à gérer l'eau, pour reprendre cet exemple, parce qu'il a toujours un train de retard, qu'il est trop surplombant, trop éloigné du local. Est-ce qu'il y a d'autres raisons qui peuvent expliquer ça, qui peuvent expliquer le fait que l'État ne soit pas le plus à même, le mieux placé pour gérer ses ressources ?

  • Speaker #0

    Alors, il y a une raison aussi toute simple qui est liée, là encore, à la propriété. Le problème de l'État, quand on parle de nationalisation, par exemple, ou ce qui était le cas... pour être dans la caricature dans l'Union soviétique, mais même quand on parle de nationalisation, y compris au début des années 80, etc. Le problème de l'État, c'est qu'il demeure aussi propriétaire. C'est un propriétaire. Alors son objectif n'est peut-être pas nécessairement le profit, ce qui en fait quand même un avantage par rapport à la propriété capitaliste, mais c'est un propriétaire. Et le problème du propriétaire, c'est qu'il peut faire absolument tout ce qu'il veut de sa propriété. Ce qui pose quand même un sacré problème en termes de démocratie. Et tu parlais de l'eau, il y a un exemple très simple sur ce problème-là, qui s'est passé en Italie dans les années 2000. L'État avait nationalisé l'eau complètement. Et à un certain moment, il avait des problèmes de trésorerie. Donc l'État commence à être endetté de plus en plus à partir des années 90, plein de raisons. Et il se dit, je vais renflouer un petit peu mes caisses, en faisant quoi ? En vendant mes régies d'eau à des boîtes privées. Et là, grosse révolte en Italie. Il se trouve que la gestion de l'eau par le privé a vu les prix multipliés par 10. C'est un bordel innommable, y compris dans la distribution, etc. Et donc il y a un référendum qui est fait par l'État. pour demander aux citoyens est-ce qu'ils veulent la privatisation de l'eau ? Et les citoyens disent non. Mais il y a un problème quand même qui se pose pour eux, et là il y a une sorte de prise de conscience d'ailleurs assez dingue. Ils se disent, le problème, c'est qu'on ne va pas renationaliser parce qu'en réalité, l'État a eu ce pouvoir de privatiser. Comment ça se fait que l'État, qui est censé être garant de l'intérêt général ou de l'intérêt public, puisse vendre un bien ? qui est censé être un bien commun d'intérêt général ? C'est une vraie question. Et là, on a la substance de la contradiction entre État et intérêt général. Et ça, les anarchistes l'ont bien pointé. Il y a un vrai problème juridique sur la question de la propriété, y compris de la propriété publique. Et l'État n'a pas à être un propriétaire. Et donc, il s'agit de comment on va concevoir... des biens communs qui puissent être sous le contrôle des citoyens. Et donc, à partir de ce moment-là, l'eau va devenir un bien commun dont les individus ont droit. Et les individus vont dès lors, à partir de régies collectives, pouvoir contrôler ce bien commun. Donc là encore, ce qui va permettre de faire en sorte que ce bien ne soit pas utilisé ou revendu de n'importe quelle manière, ça va être... un contrôle effectif du peuple dessus. Donc avec un certain pluralisme aussi en termes de contrôle et de contre-pouvoir, afin qu'il n'y ait pas un ou des gugus qui disent je peux en faire ce que je veux

  • Speaker #1

    Oui, en fait, ça rompt avec l'idée que nous allons déléguer une certaine partie de notre souveraineté, de notre pouvoir de décision à un État qui serait un gouvernement d'experts, qui saurait mieux que nous l'intérêt général. Et donc ça rompt avec cette dynamique-là. Cette logique-là pour se dire, nous allons nous réinvestir nous-mêmes dans la gestion de ce qui fait notre collectif et de ce qui nous entoure, en fait.

  • Speaker #0

    Complètement. Alors, là-dessus, les anarchistes sont assez proches de ce que les Grecs, d'ailleurs, dans les premières formes de démocratie qu'on se fait au départ, c'est-à-dire que les Grecs, ils faisaient une grosse distinction entre la doxa et l'épistémé. Donc la doxa, l'opinion, et l'épistémé, la connaissance. Et pour les Grecs, l'épistémé, donc la connaissance, était liée aux experts. Et donc, c'est pour ça que les Grecs pouvaient voter pour des experts. Les experts, c'était le mec qui allait construire les bateaux, ou le stratège, le chef de guerre, etc. Bon, c'est des gens qui étaient vraiment spécialisés. Mais l'épistémé, la connaissance, tout ce qui relevait de l'expertise, n'avait rien à voir avec la politique. Pour eux, la politique relevait de la doxa, c'est-à-dire de l'opinion. Et là, tous les citoyens étaient capables de faire de la politique. Tous les citoyens et des opinions. Et... ils pouvaient débattre de tel ou tel sujet de la cité et prendre des décisions, voter des lois en conséquence. Et donc il y avait vraiment cette distinction très importante. Et en réalité, ce n'est qu'avec l'émergence de la démocratie moderne et représentative au XVIIIe, XIXe siècle, que là, on va associer la politique à de l'expertise, et donc au métier de politique.

  • Speaker #1

    La naissance de la technocratie et de la professionnalisation du politique. Exactement,

  • Speaker #0

    de la technocratie, de la professionnalisation, etc. Mais parce que là aussi, il faut bien avoir en tête l'origine des démocraties modernes. Les démocraties modernes, à l'origine, d'ailleurs, ne s'appelaient pas démocratie. On parlait, les pères fondateurs, aussi bien à CIS en France qu'à Adams ou Ferguson aux États-Unis, parlaient de régime représentatif. mais jamais de démocratie et Sieyès même dans un fameux texte d'un discours dans les années 1789-90 dit la France doit être un régime représentatif, mais en aucun cas une démocratie. Il dit, en gros, ce serait le bordel, ce serait l'anarchie. Et là, il a en tête, évidemment, aussi la démocratie directe grecque. Pour les démocrates modernes, en fait, ils parlent de régime représentatif contre la démocratie. Et en fait, le terme de démocratie va s'imposer que très lentement. En réalité, il va s'imposer au milieu du XIXe siècle. Pourquoi ? Tout simplement parce que fin du XVIIIe, début du XIXe siècle, ça aussi on a un petit peu oublié, mais le suffrage, le vote est réservé à une élite. C'est le suffrage censitaire, il est réservé aux plus riches. Pourquoi les plus riches d'ailleurs ? C'est devenu le critère, ce qui pourrait y en avoir des centaines, des critères de qui doit gouverner. C'est le plus riche parce que le plus riche c'est... Le bon père de famille, celui qui a réussi à bien gérer un patrimoine, etc., à faire fructifier son argent. Et avec l'émergence de l'État moderne, il y a aussi cette idée que l'État doit se développer économiquement. Donc, celui qui sait bien diriger, c'est celui qui sait bien faire tourner une affaire, pour faire vite, et qui donc a un patrimoine, parce que c'est la preuve qu'il sait bien faire tourner une affaire. Donc, ça va être ça, en réalité, le premier critère des démocraties modernes. Et donc ce n'est que petit à petit que le suffrage va devenir universel. En France, c'est le suffrage universel masculin en 1848, et c'est à partir de là que le terme démocratie va s'imposer, parce qu'il y a cette dimension un peu plus universelle. Mais en réalité, la chose n'a pas changé, c'est-à-dire qu'on a toujours des représentants qui vont décider à la place d'autres personnes, et donc avec toujours un rapport très hiérarchique de délégation. comme tu dis, d'un pouvoir, d'un pouvoir politique. Mais après cette délégation, qu'est-ce qui se passe ? Non seulement la personne à qui on a délégué le pouvoir peut faire à peu près tout ce qu'il veut, par rapport au souhait ou à son programme qu'on a pu émettre, et puis d'autre part, après, quel est le pouvoir du citoyen, en termes politiques ? Quel est ton pouvoir, quel est mon pouvoir, en termes de confection des lois, ou en termes d'influence ? sur telle ou telle décision politique ?

  • Speaker #1

    Absolument aucun, oui. On a une illusion de choix pour le vote. Il y a eu zéro. Illusion de choix parce que c'est des candidats qui nous sont imposés, donc on ne les choisit même pas. Et on est censé mettre un bulletin tous les trois ans. Enfin, ça dépend si Macron décide de dissoudre tous les ans, mais absolument aucun. Je voudrais qu'on arrive à un autre de tes thèmes qui est absolument passionnant, je trouve. Tu as écrit un livre qui s'appelle Théologie du capital dans lequel tu expliques... et je pense que ça va pas mal intéresser les auditeurs et auditrices. Tu expliques, et corrige-moi si je me trompe, que nos concepts économiques, qui nous semblent être justement du côté de la connaissance, pour reprendre la distinction que tu faisais tout à l'heure, donc être du côté de l'objectif, que ces concepts économiques, comme le marché, la main invisible, etc., sont en fait non pas des concepts scientifiques, mais ce sont des concepts religieux, théologiques, en tout cas, ils ont des origines théologiques, et que finalement... Nous y croyons aveuglément comme à des croyances religieuses. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu ton analyse ?

  • Speaker #0

    En effet, c'est quelques textes qui m'avaient interpellé. Souvent, on présente le système capitaliste comme le système le plus rationnel, etc. Et bon, il y avait des choses qui m'interpellaient, déjà dans le sens où, pour moi précisément, je trouve qu'il y a de telles absurdités dans le capitalisme que je me dis que ça ne peut pas... ne peut pas être une production issue d'expériences rationnelles et qu'il y a sûrement quelque chose qui vient d'ailleurs. Du coup, j'ai pris différentes catégories de l'économie que j'ai étudiées en essayant de voir d'où ça venait réellement. Il y en a plusieurs. J'ai évoqué le marché, il y a aussi la monnaie, le travail, la question de la marchandise, l'intérêt. Il y avait un certain nombre de choses, la propriété aussi, évidemment. Bref, toutes les catégories qui sont assez centrales dans l'économie politique. On s'aperçoit que c'est très lié à la religion, en fait. Toutes ces catégories de l'économie politique, et qu'en fait, il y a eu des formes de ce qu'on appelle de sécularisation. Donc, on leur a donné un vernis débarrassé de son vernis religieux, mais alors qu'en réalité, le religieux est premier pour ces... catégorie et à mon avis on n'en est pas complètement détaché. Alors, juste pour prendre peut-être un ou deux exemples, que ce soit parlant pour les auditeurs, l'exemple du marché, par exemple, qu'on parlait. Le marché qu'on va pouvoir retrouver, vraiment théorisé par Adam Smith, le marché en réalité c'est quelque chose qui est assez récent tel qu'on le connaît. Parce qu'on se dit, le marché c'est quelque chose qui a existé en tout temps, en tout lieu, etc. Et Adam Smith lui-même va reconduire ce mythe qu'on a encore toujours dans les manuels scolaires d'économie, qui consiste à dire que le premier fait économique, c'est l'échange avec le troc. Et il dit même à Adam Smith, c'est le propre de l'homme, on n'a jamais vu un chien échanger un os avec un autre chien. Et donc à partir de cette idée-là, Smith va dire, le marché c'est quelque chose de naturel, qui a toujours existé, et qui va calquer son idée de marché exactement sur l'idée de providence en théologie. D'ailleurs souvent ça a été oublié, mais Adam Smith lui-même est théologien à l'origine.

  • Speaker #1

    Ah, je ne savais pas.

  • Speaker #0

    quand il enseigne à l'université de Glasgow en Écosse, c'est avant tout dans la chaire de théologie. Et donc, lui, il va toujours allier sa théologie à ses théories économiques. Et donc, la notion de providence qui consiste à dire Dieu règne, mais ne gouverne pas c'est la même chose avec le marché. Le marché règne, mais ne gouverne pas. On n'est pas dans quelque chose de coercitif, d'autoritaire, etc. Mais il y a une justice, comment dire, naturelle du marché. Si tu te retrouves... au chômage ou à la rue, c'est normal. Tu te referas un moment, mais c'est la justice du marché, comme c'est la justice de Dieu ou de la Providence. À un moment, avec ton libre arbitre, tu vas pouvoir te remettre en selle, etc. Cette justification à grands coups de théologie de la Providence, en réalité, au début de l'histoire de l'humanité, n'existe pas, ou très peu. Au début, c'est la religion qui va venir normer, régler. avec du droit, des règles, des tabous, etc. L'ensemble des échanges et de la distribution de la production, etc. Et donc, c'est petit à petit que la société ou le politique va se détacher du religieux. Au Moyen-Âge, on a encore des règles religieuses qui vont précisément venir réguler l'économique, sur l'interdiction du taux d'intérêt, par exemple, on en parlait, sur la limitation des prix, etc.

  • Speaker #1

    Ça, c'était régulé par l'Église ?

  • Speaker #0

    C'était régulé par l'Église et par le séculier, mais qui était très emmanché avec l'Église. Et en réalité, penseurs de cette régulation étaient des théologiens, comme saint Thomas d'Aquin, etc. Donc il y a cette institution religieuse qui va être fondamentale aussi dans cette régulation. Et petit à petit, en fait, il y a ce renversement où l'économique va prendre, d'une certaine manière, la place du religieux aussi. va faire l'objet de mythes, de croyances, etc. sans que ce soit vraiment inquiété. Il y a une forme de naturalisation aussi de l'économie, en tout cas de l'économie capitaliste telle qu'on la connaît, comme il y a pu y avoir aussi une naturalisation de la religion telle qu'elle pouvait exister auparavant, qui avait un poids très important politiquement sur les sociétés. Mais pour les gens, ça paraissait quelque chose de naturel. n'est pas a priori ou peu l'objet de critique.

  • Speaker #1

    Oui, comme ce qu'on vit aujourd'hui, où l'économie est capitaliste. En fait, très peu de gens la remettent en question. Et quand on le remet en question, le postulat de base, c'est bien de croire que le marché alloue efficacement les ressources, que le marché fait pour le mieux.

  • Speaker #0

    L'idée qu'elle est plus efficiente. L'idée que la propriété aussi, au sens capitaliste, c'est quelque chose qui relève d'un droit naturel. Oui. d'un droit de l'homme en fait quasiment d'un droit sacré et divin dans le code civil on parle quand même de la propriété comme un droit absolu le terme d'absolu c'est le vocabulaire théologique d'excellence donc quand bien même il peut être plus ou moins limité par du droit ou de la loi c'est toujours le droit ou la loi qui doit se justifier c'est pas la propriété qui est justifiée a priori comme absolu donc ça va être toujours par exemple... aux législateurs ou au peuple de justifier le fait qu'ils veuillent limiter le pouvoir nuisible de la propriété privée capitaliste.

  • Speaker #1

    Et d'ailleurs, on voit bien avec les réactions que ça suscite quand on met des choses comme ça en question, la propriété ou le marché ou le capitalisme, ça suscite des réactions épidermiques parce qu'on touche à quelque chose qui est un système de croyance, un système de valeur qui est très... très ancré, quasiment primitif.

  • Speaker #0

    C'est un problème de la critique aussi, c'est que la critique du capitalisme va pouvoir être la plus rationnelle possible, elle ne touchera pas aux fondements qui relèvent de la croyance. Et c'est là aussi où je pense, tu vois, tu parlais de sentiments auparavant, mais c'est aussi là qu'il y a peut-être un impensé de la critique et qui, à mon avis, est fondamental et qu'on revoit encore actuellement et qui, à mon avis, est aussi un problème de la gauche. C'est que contre ces mythes ou ces croyances, il faut opposer aussi, alors j'allais dire d'autres formes de mythes et de croyances. Oui, d'une certaine manière, c'est-à-dire en tout cas d'autres manières d'espérer. espérer, de croire, de voir le monde, quelque chose qui va relever aussi de la vie, de l'affect, et pas que du rationnel, pas que quelque chose de je te démontre qu'en réalité tu ne crois rien et que tout ce qui se passe c'est un sentiment d'insécurité ça les gens ne peuvent pas l'entendre, même si tu leur balances dix tableaux Excel avec des statistiques, ça ne marche pas. Donc il faut y opposer autre chose à ce genre de... de croyances ou d'affects un peu mortifères.

  • Speaker #1

    C'est d'ailleurs ça que je trouve, et là je refais le lien avec le thème de l'anarchisme qui t'intéresse particulièrement, mais c'est là où je trouve que l'anarchisme a une puissance subversive. C'est que quand on va critiquer le capitalisme, les gens vont quasiment systématiquement répondre Oui, mais tu ne veux pas du communisme stalinien ? Et je trouve que l'anarchisme, là, et la théorie des communs, ce dont on parlait tout à l'heure, ça désarçonne, ça bouscule tout et ça permet de sortir de cette prison théorique et de se dire, ok, on peut imaginer complètement autre chose, qu'il y a un registre émotionnel super enthousiasmant. C'est super enthousiasmant, ça nous redonne du pouvoir, au sens de participation à la vie citoyenne et démocratique. Et c'est peut-être là-dessus, et en ça, peut-être qu'il y aurait et qu'est-ce que tu en penses, une actualité de l'anarchisme, c'est un courant qui est très vivace aujourd'hui, qu'elle serait pour toi l'opérativité, l'efficacité concrète de l'anarchisme dans les réflexions, dans l'actualité politique aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Elle est de plein de sortes, sur plein de dimensions différentes. Je pense que c'est très difficile de répondre à ça de manière très précise, mais par rapport à ce que tu disais auparavant sur cette prison dont tu parlais, un petit peu dichotomique entre communisme stalinien et capitalisme de l'autre, tout de suite, ça m'a fait penser à cette art... d'un sociobiologiste qui s'appelle Gareth Hardin, en 1968 en plus, et qui parlait de la tragédie des communs, justement pour faire ce lien d'opérabilité de l'anarchisme qui, à mon avis, passe aussi par la notion de commun. Qu'est-ce qu'il dit, Hardin, dans cet article ? Il dit qu'au Moyen-Âge, on a ce qu'on appelle des communs, qui sont en fait des communaux, où on a la possibilité d'avoir des terrains ouverts où les paysans peuvent venir. glaner leurs moyens de subsistance en ramassant du bois, des champignons, en faisant pêtre leurs bétails, etc. Mais les communs ont fini par décliner au profit de l'État et de la propriété privée. Garrett Hardin va dire que le problème, c'est ce qu'on appelle en théorie économique après le passager clandestin, c'est-à-dire qu'en réalité, les gens n'avaient pas grand-chose à faire de ces ressources collectives. Chacun va y aller pour sa pomme. et finalement il va y avoir une dégradation de la ressource. Yardin va dire qu'il n'y a que deux solutions à ça. Et là on est encore en pleine guerre froide, donc ça illustre aussi bien les deux camps, il n'y a que deux solutions, soit la propriété privée qui va être codifiée comme telle, ou là le propriétaire va faire attention à son bout de terrain et à le préserver, soit c'est l'État qui va gérer les ressources, avec des lois très strictes. etc. C'est lui qui va les posséder. Et là, on est dans le cas de l'Union soviétique. Et là-dessus se pointe Elinor Ostrom. Et cette Elinor Ostrom, c'est pas non plus quelqu'un qui vient de nulle part, c'est pas quelqu'un de sous-estimé non plus, puisque c'est la première femme qui va être prix Nobel d'économie en 2009. Et elle, qu'est-ce qu'elle va dire ? Elle va dire, bon, moi j'ai étudié cette notion de commun un petit peu partout dans le monde. C'est-à-dire, les communs, c'est quoi ? C'est une communauté, un ensemble d'individus, des ressources communes, qui peuvent être de plein d'aspects différents. Elle, elle a beaucoup étudié les ressources naturelles, eau, champs, forêts, etc., mais ça peut être plein d'autres choses, et des règles de droit décidées ensemble pour la préservation de ces ressources en question. Et elle dit, moi, je suis allé un petit peu partout dans le monde pour étudier ces formes de communs, et jamais, jamais... je n'ai rencontré la description que donne Gareth Hardin dans son article sur cette fameuse tragédie des communs. Il y a son histoire de passagers clandestins, les individus qui essayent de surexploiter la ressource pour tirer la couverture à soi, etc. Mais en réalité, ça, c'est une projection complètement idéologique d'un mec qui n'a jamais fait de terrain. Et en effet, Gary Tardin part d'un postulat très libéral qui est celui de l'individu seul et isolé qui va essayer de maximiser ses intérêts. Elle dit, mais ça, en fait, dans la...

  • Speaker #1

    Ça se passe pas comme ça dans la vraie vie.

  • Speaker #0

    Dans les formes de commun. Déjà, les individus, ils sont pas isolés. Ils sont dans des communautés. Et donc, ces individus, notamment aussi, ils discutent beaucoup ensemble. Ils parlent. Ils communiquent. Parce que Garrett Hardin, aussi, il se base beaucoup sur ce postulat de la théorie des jeux, avec notamment le dilemme du prisonnier, etc. Alors, où il faut choisir. Est-ce que je balance mon complice ou pas ? ou pas, pour avoir une remise de peine, ils ne peuvent pas communiquer, est-ce qu'ils sont séparés par des grilles, etc. Elle dit, mais en réalité, les gars, ils se bourrent le goût, ça n'existe pas. Arrêtez de psychoter là-dessus. Dans la vraie vie, les gens, ils parlent ensemble. Ils discutent, ils se mettent d'accord ensemble sur des règles à adopter pour gérer au mieux telle ou telle ressource, etc. Donc souvent, déjà, il y a en effet des valeurs communes partagées. Alors souvent, ce n'est pas dans des sociétés occidentales avec l'individualisme qu'on peut avoir, ce qu'on appelle le pluralisme des valeurs, etc. Donc en effet, il y a peut-être un peu plus de valeurs partagées, mais en tout cas, elles sont là. Ensuite, les gens, ils parlent ensemble pour élaborer ensemble des règles. Et bon, très souvent, ça peut mettre du temps. temps, parfois par expérience aussi. Ça peut mettre parfois des mois, parfois des années, mais ça marche. Ça marche. Et Lina Rostrom, notamment, elle va beaucoup travailler dans des institutions de développement, notamment la Banque mondiale, dont elle va être aussi très critique, parce que précisément ces institutions, souvent, vont débarquer dans des pays et vont dire, mais... Votre production n'est pas du tout efficiente, vous feriez mieux de fonctionner comme si, comme ça. Et puis ils ont des sortes de cahiers des charges, de normes, etc. pour libéraliser le pays avec un état de droit, etc. Elle l'a vu notamment pour tout ce qui est système d'irrigation d'eau. Et alors ce que supportaient pas notamment ces agents de la Banque mondiale, c'est pas tant que ces systèmes d'irrigation d'eau répondaient pas à des besoins, que plutôt ce qui les énervait, c'est que par exemple, un sorcier dans le coin qui légitime les normes par deux, trois paroles un peu ésotériques, magiques, etc. Donc ils se disaient, c'est un système complètement foireux parce qu'il y a un sorcier dans le coin. Alors qu'en réalité, c'était des systèmes encore très efficaces. Donc quand ils essayaient d'imposer un petit peu leurs nouvelles règles modernes, en fait, très souvent, ils se rendent compte que c'est complètement foireux. Et en fait, ils reviennent aussi dessus. Donc là aussi, en termes d'opérativité, il y a des trucs là aussi très concrets. Quand on parle de gestion de ressources de vaux, etc. Après, il y a eu des épisodes historiques, aussi très enthousiasmants, qui font figure un petit peu de mythes dans l'historiographie anarchiste. Je pense notamment à la Révolution espagnole en 1936, qui est la... plus grande expérience historique à nos jours de l'anarchisme, pour une raison aussi assez simple historiquement, qui s'explique un petit peu historiquement aussi, c'est que le Parti communiste espagnol était quasiment absent du paysage, parce qu'ils avaient refusé de signer la charte du Comintern imposée par Lénine aux différents partis communistes en Europe, et donc il y avait le seul camp vraiment révolutionnaire, c'était le camp des anarchistes, et qui était... très nombreux à l'époque en Espagne, puisqu'il y avait environ un million d'adhérents dans le syndicat anarchiste, qui était la CNT, Confédération Nationale du Travail. Il y avait plusieurs milliers d'adhérents aussi à la Fédération Anarchiste Ibérique. C'était vraiment un mouvement très, très important. Et donc, quand éclate la Révolution Espagnole, donc en 1936, avec contre le coup d'État de Franco, il y a toute une zone de l'Espagne, notamment en Catalogne, dont... le Pays Basque, les Asturies, etc., qui va vivre sous les principes anarchistes, d'autogestion, etc. Donc, j'invite d'ailleurs tous les auditeurs si ça les intéresse, il y a des images complètement hallucinantes de Barcelone qui vit l'été 36 de manière anarchiste. Donc, on a tout un tas de drapeaux noirs, noirs et rouges dans la ville. Tous les hôtels et les cinémas sont ouverts au peuple. Il y a une sorte de redistribution collectives des produits alimentaires, manufacturés, etc., des formes d'autogestion généralisées. C'est proprement assez hallucinant. Il y a un petit livre passionnant là-dessus. Il y a le livre de George Orwell. On le connaît tous pour 1984. Mais il se trouve que lui-même était là-bas, parce que c'était un journaliste aussi, George Orwell. Il a écrit un magnifique petit livre qui s'appelle Hommage à la Catalogne où il explique cette révolution espagnole. Alors lui, il est... dans ce qu'on appelle le POUM, le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste, qui est plus ou moins d'obédience trotskiste, mais lui-même, il ne sait pas trop ce qu'il fout là. Il est beaucoup plus d'affinité avec les anarchistes. Et c'est très intéressant justement de voir cet enthousiasme. On parlait d'émotion. L'enthousiasme qu'il y a à cette époque, à cet endroit, dans les rues, qui est très bien retranscrit par George Orwell.

  • Speaker #1

    C'est intéressant, j'irais voir. Un peu dans le... Un enthousiasme historique avec la Commune de Paris aussi, qui a été très mal terminée, mais qui a été une expérience anarchiste. Peut-être que les gens ne se rendent pas compte aussi que l'anarchisme a été un mouvement... Il y a eu beaucoup de poids politique, surtout, alors, corrige-moi si je me trompe, mais 19e, fin 19e et début du 20e, où c'était quand même une force politique importante qui a complètement disparu avec la révolution russe, parce que c'est ce qui a signifié le triomphe et l'avènement des idées communistes. Et donc, l'anarchisme aujourd'hui n'est que l'ombre de ce que ça a été à une époque, même si ça revient sur des dimensions écologiques.

  • Speaker #0

    Depuis la chute du mur de Berlin aussi.

  • Speaker #1

    Ça revient, oui.

  • Speaker #0

    y compris dans tous les mouvements, alter-mondialisation, etc. Oui,

  • Speaker #1

    c'est vrai que c'est une reprise.

  • Speaker #0

    Il y a eu un retour de l'anarchisme depuis ce moment-là, notamment. Et avec l'écologie, oui, pardon. Et avec l'écologie, oui, complètement. Pour revenir aux épisodes dont tu parles, alors, il y a en effet la commune de Paris qui est, d'une certaine manière, un petit peu pré-anarchiste aussi, parce qu'il n'y a pas encore de mouvement anarchiste constitué, à proprement parler. L'anarchisme a vraiment émergé dans les années 1880.

  • Speaker #1

    Oui, alors que c'est dix ans avant.

  • Speaker #0

    Voilà. La Commune de Paris, c'est 1871. Mais on a quand même des éléments. Déjà, il y a quand même pas mal de Proudhoniens, puisque Proudhon, il meurt en 1865. On a un certain nombre de Proudhoniens qui sont à la Commune de Paris et qui vont avoir un rôle important. Il y a cette idée, en effet, de démocratie plus poussée, avec cette idée que la Commune est vraiment l'entité politique par excellence et non pas l'État. Donc, quand il y a la Commune de Paris, il y a aussi un appel aux autres communes en France pour... qu'elle se soulève. Bakounine, d'ailleurs, est à Lyon à cette époque. Il essaie de faire en sorte qu'il y ait un soulèvement de la commune de Lyon qui foire complètement. Mais dans la commune de Paris, il y a aussi la dimension sociale, évidemment, avec la classe ouvrière qui prend en charge ses ateliers, etc. La dimension de la séparation de l'Église et de l'État, aussi. Et puis, il y a la figure de Louise Michel, qui est un anarchiste, qui va le devenir, en fait, dans son trajet, qui l'emmène au bagne en Nouvelle-Calédonie, où là, elle va... elle va vraiment devenir anarchiste là-bas. Et puis il y a quelque chose qui a été un petit peu oublié aussi, c'est que dans les années 1880-90, on a souvent en tête les attentats anarchistes, mais qui en réalité ne vont être qu'une période assez restreinte dans l'histoire, qui va durer en gros une vingtaine d'années, et qui fait suite d'ailleurs aussi au massacre de la Commune de Paris. Donc souvent ce sont des personnes un petit peu désespérées et en colère, avec un mouvement révolutionnaire qui a été... été décimés et qui voient ces formes de terrorisme comme une forme de dernier espoir. Mais très vite, en réalité, les anarchistes vont se rendre compte que c'est complètement contre-productif, y compris avec un rejet des masses populaires envers ce genre d'action. Et donc très vite, les anarchistes, en réalité, ils vont s'investir dans les syndicats, et notamment le syndicalisme révolutionnaire. Et donc, comme je disais, la chose qui a été un petit peu oubliée, c'est que la CGT, dans ses origines, notamment avec la charte d'Amiens, être anarcho-syndicaliste, ou syndicaliste révolutionnaire, mais très proche des thèses anarchistes. Avec l'idée que, déjà, ça ne doit surtout pas être chapeauté par des partis. Le fait que le but du syndicalisme, ça doit être aussi à terme l'émancipation générale des travailleurs avec des formes d'autogestion, donc clairement anticapitaliste, et avec une critique de l'État aussi très importante. Donc ça aussi, c'est quelque chose qui va... périclité, comme tu le disais aussi, avec la révolution bolchévique, où là, la CGT va être noyautée petit à petit par les communistes.

  • Speaker #1

    Pour finir, on peut aborder ton troisième thème. Ça fait le lien avec ce que tu décris sur la question justement de, aussi, la violence, mais donc le troisième thème qui était le conflit et la guerre. Comment est-ce que tu articules ces questions-là avec l'anarchisme ou pas, d'ailleurs ? Est-ce que l'anarchisme est une... réponse, peut-être, ou pas ? Comment tu envisages un peu cette réflexion ?

  • Speaker #0

    Cette réflexion, en effet, elle est à multifacettes. Il y a cette idée qu'avec l'anarchisme, on va peut-être conjurer, en tout cas, la plus grande partie des causes de la guerre. C'est quelque chose qu'a déjà développé un petit peu Proudhon dans son ouvrage La guerre et la paix. C'est-à-dire que la guerre, elle est due à quoi ? Dans son ouvrage, Poudon dit que la guerre est principalement due à des raisons économiques. Cette idée que la répartition n'est pas faite équitablement. Donc d'une part, il y a ceux qui en manquent qui vont vouloir les ressources qui leur manquent. Donc ça va pouvoir être une cause de violence qu'on va pouvoir davantage retrouver dans le schéma de guerre civile, plus en termes internes. Et puis, il y a l'État qui va aussi toujours chercher... a augmenté sa richesse, et donc ça, ça va se développer aussi par des formes d'impérialisme économique, qu'on va retrouver en réalité depuis les débuts de l'humanité jusqu'à aujourd'hui. Alors cet impérialisme, il est plus ou moins brutal, il peut se faire... au XIXe siècle avec le colonialisme, maintenant peut-être davantage avec de la diplomatie économique, quand bien même il y a les entreprises aussi qui peuvent être très offensives. La guerre, c'est aussi la résultante d'une volonté de domination, qui n'est pas nécessairement d'ordre économique. On peut vouloir dominer aussi, y compris juste pour humilier, par exemple. Donc ça va juste relever de la psychologie sociale. On va pouvoir dominer pour avoir un territoire plus important, pour se sentir plus... plus grand, plus fort, etc. Donc, tout l'intérêt de l'anarchisme aussi, ça va être de conjurer ces différentes causes qui vont relever avant tout de cette volonté de domination ou d'exploitation. Et pour ça, il y a cette idée qu'un problème majeur qui se pose actuellement et depuis très longtemps, c'est la concentration du pouvoir. Du pouvoir en termes, là aussi, politiques, en termes de richesse, en termes de... en termes de charisme, en termes de responsabilité. Ça peut se décliner sur plein de choses différentes. Mais c'est cette idée de concentration. Et donc la meilleure manière de conjurer cette concentration qui va amener à la guerre et au conflit, c'est précisément des formes de déconcentration. Cette déconcentration du pouvoir, elle va permettre à la fois d'être sur du local, donc le local, la petite commune, elle ne va pas s'amuser. à aller faire la guerre à l'Union Européenne. Parce que déjà, elle sera prise aussi dans les réseaux de la fédération où les autres instances vont dire Non, tu déconnes, on ne va pas les attaquer. Et d'autre part, sur la défense aussi, s'il se trouve qu'il y a une attaque par un État qui existe toujours, il y a une solidarité qui va pouvoir se faire entre les différentes entités autonomes, autogérées, etc. Il y a des pactes fédérales un pacte fédéral qui va pouvoir être très important. Donc, impuissance sur l'attaque, mais au contraire, être très fort sur la défense et en faisant en sorte que les individus, mais aussi les entités politiques, etc., soient le plus autonome et du coup aussi les plus responsables possible. Moi-même, j'ai interviewé un diplomate très intéressant qui est peut-être... en tout cas à ma connaissance, un des seuls diplomates anarchistes au monde. Après, il y en a peut-être qui le sont sans le savoir. C'est quelqu'un qui s'appelle Ken Ross, qui était un diplomate britannique et qui a travaillé pour Tony Blair à l'époque de la guerre en Irak. Il a travaillé aussi à l'ONU, etc. Et il a démissionné juste après la guerre en Irak. Et lui, son constat, et c'est ce que je disais un petit peu aussi depuis le début de ce podcast, C'est que, déjà, les gouvernements sont complètement déconnectés du réel et que lui-même, parfois, faisait des rapports à ce qu'on appelle la centrale, le gouvernement central, en regardant la BBC, parce qu'il ne savait pas lui-même ce qui se passait sur le terrain alors qu'il était en ambassade. Et il disait, il y a plein de moments où j'ai vu de la violence et de la guerre, souvent pour deux raisons. Souvent, quand la... quand des violences éclataient, et là, il parle de son terrain, notamment en ex-Yougoslavie, c'est parce que les individus pouvaient se révolter. Ils n'étaient pas entendus. Ils se révoltaient notamment contre les institutions de l'ONU, qui centralisaient toutes les décisions. Et les dépossédaient,

  • Speaker #1

    en fait.

  • Speaker #0

    Les dépossédaient complètement. Et donc, il pouvait y avoir aussi des fights entre ethnies, tout simplement parce que c'était l'ONU qui avait pris des décisions à l'accord. à con. Alors que si les communautés avaient été intégrées, on aurait sûrement pu éviter ce genre de choses. Et puis, il y a un deuxième élément. On t'y parle en... Alors, c'était en Afghanistan. Et il dit en Afghanistan, nous, dans un premier temps, ce qu'on voulait, c'était la sécurité. Et il me dit, mais les Afghans, la première chose qu'ils voulaient aussi, c'était la sécurité. Le problème, c'est qu'on avait deux conceptions de la sécurité différentes. Eux, ce qu'ils voulaient avant tout... dans les organisations internationales et lui dans l'État britannique, c'était faire en sorte que l'État islamique soit complètement dégagé. Et pour ça, ils ont misé sur un acteur, enfin sur plusieurs, qui étaient les chefs de tribus, mais dont il se trouve qu'elles faisaient du trafic de drogue. Et donc, ils ont armé ces chefs de tribus pour qu'ils virent l'État islamique. Le problème... C'est que c'est une fois que l'État islamique a été négatif,

  • Speaker #1

    il restait ces gens-là.

  • Speaker #0

    Il restait ces mecs-là. Et donc, ils formaient des mafias. Et donc, l'Afghanistan est devenu un État de narcotrafic complètement chaotique. précisément parce que des organisations internationales et des États ont favorisé certains acteurs plutôt que d'autres au nom d'une certaine forme de sécurité. Alors que là encore, si les habitants avaient été intégrés, etc., la société civile dans son ensemble, y compris les tribus, l'ensemble de la société n'aurait peut-être sans doute pas eu ce genre de problème.

  • Speaker #1

    Je vais poser une dernière question parce que l'horloge tourne. c'est très intéressant mais il va falloir que malheureusement on s'arrête un jour dans ce podcast qu'est-ce que tu répondrais aux gens qui peut-être certaines personnes en nous écoutant se font la réflexion ouais mais c'est bien beau tout ça mais est-ce que c'est pas un monde de bisounours qui pense que qui ne marche que si on considère que les gens sont tous gentils et bienveillants les uns envers les autres qui est un reproche qu'on fait souvent à l'anarchisme quelle serait ta réponse ?

  • Speaker #0

    Là-dessus la meilleure réponse est donnée par un anarchiste italien de la fin du 19ème siècle qui s'appelait Enrico Malatesta Et d'ailleurs, si vous voulez lire des livres très vulgarisés, très simples à lire pour comprendre ce qu'est l'anarchisme, les petits livres de Malatesta sont très très bien. Alors Malatesta, qu'est-ce qu'il dit dans un livre qui s'appelle Au café Parfois, il a des bouquins qui sont des dialogues. Du coup, c'est vachement intéressant. Et justement, il y a une des personnes au café qui lui demande ça. Là, tu vis quand même un peu dans un monde de bisounours. En effet, l'anarchie, ça pourrait marcher que si les gens étaient bons, étaient gentils. Et Malatessa, il dit un truc, il dit, écoute, en réalité, peut-être que c'est le contraire. Alors après, il est aussi un petit peu provoque, mais en réalité, dans la théorie anarchiste, il n'y a pas d'idée de nature humaine bonne ou mauvaise. Il y a une ambivalence liée aux institutions, à ce que les gens font, etc. Il dit, c'est précisément parce que les gens... peuvent être mauvais que les anarchistes disent qu'il ne faut pas concentrer le pouvoir. Parce qu'une personne mauvaise, quand elle a le pouvoir, elle va décupler les choses mauvaises, les actions mauvaises. Alors que si on conçoit des institutions qui précisément arrêtent le pouvoir potentiellement nocif des individus, ça se passera beaucoup mieux en réalité. Donc au contraire, je pense que la théorie anarchiste est une des théories... plus réaliste en philosophie politique.

  • Speaker #1

    J'ai eu cette émotion dont on parlait au début, le plaisir de tout d'un coup la petite pirouette intellectuelle qui désarçonne. Je m'arrêterai sur cette émotion. Merci pour cet entretien. Merci Edouard Jourdain.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup à toi.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un entretien du Fil d'Actu. J'espère que l'épisode vous a plu et avant de se quitter, je voulais vous dire un petit mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant. et sans publicité, et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien, et on se retrouve mercredi pour un nouvel épisode du Fil d'actu.

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Et si la philosophie vous réconciliait avec l'anarchisme ?


⚡ Qu’est-ce que l’anarchisme ? Est-ce, comme on le pense souvent, le chaos et la loi du plus fort ? Ou est-ce, au contraire, une organisation politique juste et éthique, la plus adaptée à notre nature humaine ?

Ce sont les questions que j’ai posé au philosophe Edouard Jourdain, spécialiste de l’anarchisme, qui réfléchit au croisement de la philosophie et de la science politique. Il cherche à penser les mécanismes de pouvoir et les institutions, les origines de notre croyance presque aveugle en l’économie, et les possibilités d’émancipation collective à travers une refonte totale de notre système politique.

Dans cet épisode, vous allez entendre des propositions puissantes, radicales, qui bouleversent notre conception habituelle du monde. Alors, accrochez-vous, et je vous garantis qu’à la fin de cet épisode, vous serez devenus un peu anarchistes.


📚 Le dernier livre d'Edouard Jourdain, Maîtriser les conflits par les communs, est disponible ici.


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Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui remet la philosophie au cœur de l'actualité. Ici, pas de philo prétentieuse et déconnectée du monde, mais une philo accessible et ancrée dans la société. Tous les mercredis, je vous propose une chronique commentant l'actualité et, une fois par mois, l'interview d'un ou d'une philosophe contemporaine. Prêt et prête pour une philosophie vivante et engagée ? Bienvenue dans le fil d'actu. Qu'est-ce que l'anarchisme ? Est-ce, comme on le pense souvent, le chaos et la loi du plus fort ? Ou est-ce au contraire une organisation politique juste et éthique, la plus adaptée à notre nature humaine ? Ce sont les questions que j'ai posées au philosophe Édouard Jourdain, spécialiste de l'anarchisme, qui réfléchit au croisement de la philosophie et de la science politique. Il cherche à penser les mécanismes de pouvoir et les institutions, les origines de notre croyance presque aveugle en l'économie et les possibilités d'émancipation collective à travers une refonte totale de notre système politique. L'anarchisme pourrait mener à la paix, contrairement au capitalisme. Dans cet épisode, vous allez entendre des propositions puissantes, radicales, qui bouleversent notre conception habituelle du monde. Alors, accrochez-vous et je vous garantis qu'à la fin de cet épisode, vous serez devenus un peu anarchistes. Bonjour à toutes et à tous. Bonjour Edouard Jourdain.

  • Speaker #1

    Bonjour Alice.

  • Speaker #0

    Merci d'être dans le fil d'actu.

  • Speaker #1

    De rien, merci à vous. Je suis ravi d'être là.

  • Speaker #0

    Alors, je vais commencer par une première question. Qu'est-ce que c'est pour toi la philosophie ?

  • Speaker #1

    Pour moi, la philosophie, si on reprend le terme du sujet, c'est souvent comme ça qu'on commence, en tout cas, a priori en philosophie, c'est l'étude de la sagesse. Mais moi, ce n'est jamais quelque chose qui m'a intéressé comme tel pour ça. Moi, je n'ai pas fait de la philo pour penser ce que pouvait être la sagesse de la vie ou je ne sais quoi. Moi, en fait, j'ai commencé par la science politique parce que c'est une discipline qui me paraissait la plus ancrée dans la cité. Moi, ce qui m'intéressait, c'était la cité au sens large, c'est-à-dire la vie politique. La cité, c'est la police en grec, la vie de la cité. Et via la science politique, je me suis intéressé à la philosophie aussi, au sens où pour moi, la philosophie, c'est ce qui permet à la fois de donner un sens aux événements, à l'histoire, etc. Mais ça va aussi avoir une dimension normative. Et c'est pour ça que moi, je m'intéresse beaucoup à la philosophie politique. Donc moi, je suis un petit peu à cheval entre la philo et la science poste, qu'on peut appeler la philosophie politique ou la théorie politique. C'est-à-dire, pour les Grecs, c'était quelle est la forme de meilleur régime, de meilleur gouvernement ? Moi, je l'entends au sens un petit peu plus large, c'est-à-dire, en effet, à la fois comment on peut donner un sens à la vie de la cité être aussi les meilleures institutions possibles.

  • Speaker #0

    D'accord, donc la science politique, ce serait décrire, si je reprends ce que tu dis, et la philosophie irait un petit peu plus loin, on dirait, oui d'accord, on décrit mais voilà ce qu'il faudrait faire, ou en tout cas, réfléchissons à ce qu'il faudrait faire ensemble.

  • Speaker #1

    On va un petit peu plus loin que ce qu'on appelle en science politique aussi le positivisme ou la sociologie politique, c'est-à-dire uniquement la description. Et d'ailleurs, en science politique, très souvent, on va séparer, comme disait un un sociologue qui s'appelait Max Weber, les faits des valeurs. Donc, le savant, son seul boulot, c'est de décrire des choses et c'est tout. Les valeurs, il les garde à la maison, chez lui. C'est son opinion personnelle, mais on n'en a rien à faire, j'allais dire. Ça, c'est très intéressant d'avoir une description, j'allais dire, la plus réaliste possible des faits. Mais pour ma part, je trouve qu'on ne peut pas en rester là. Et c'est là aussi le rôle du... du savant dans la cité ou même du politiste. Il y a plusieurs écoles aussi là-dessus en Sciences Po. Moi, je pense qu'il faut avoir aussi un rôle assumé, en quelque sorte, et subjectif, parce que parfois, on a un petit peu le point de vue du savant surplombant aussi, en mode, je sais tout, je connais tout, je suis dans l'objectivité, mais tout ça, c'est du pipeau, en réalité. Et de l'autre, on fait un petit peu d'épistémologie, la philosophie des sciences. On sait que c'est du pipeau. Bien sûr. Donc, c'est d'une énorme arrogance épistémique, c'est un gros mot aussi, mais de prétendre qu'on a un savoir objectif sur quelque chose. Bien sûr. Ce qui est complètement absurde, dès lors que, ne serait-ce que pour choisir un sujet, c'est subjectif. Je pense que c'est beaucoup mieux d'avoir un point de vue subjectif assumé et de le déclarer tout de suite. Et à partir de ce point de vue subjectif assumé, c'est qu'est-ce qu'on fait de cette description du réel qu'on a ? Parce que c'est très bien de pouvoir expliquer des choses, des événements, des institutions, l'économie, etc. Mais après, ce what qu'est-ce qu'on en fait ? Ça sert à quoi de décrire tout ça ? C'est bien pour en faire quelque chose. Donc c'est soit pour dire c'est bien, ça marche, c'est juste etc. Soit ça marche pas, ça déconne Et il faudrait peut-être faire ceci ou cela pour que ce soit mieux, plus juste, etc. Et c'est là, à mon avis, le rôle du philosophe politique ou du politiste qui assume sa subjectivité.

  • Speaker #0

    Je suis absolument d'accord avec toi. C'est tout à fait la vision que je porte dans mon travail, dans mon podcast. Et c'est intéressant parce que c'est quelque chose que les gens n'ont pas forcément en tête d'une manière aussi claire. Et moi, on m'a souvent dit... Ah, mais ce que tu fais, ce n'est pas de la philosophie, c'est de la politique. Donc, ça résonne totalement avec ce que tu dis. Et je suis totalement d'accord avec le fait que nous sommes tous situés, on a tous une subjectivité, tous et tous. Donc, il est impossible de prétendre à une objectivité. Au contraire, c'est un peu du mensonge. On avance masqué. Et je suis d'accord avec ta posture de dire, moi, je préfère assumer très clairement quelle est ma posture. Comme ça, au moins, vous savez à qui vous avez affaire. Et parlons ensemble à partir de ces postulats-là. Il n'y a rien de plus énervant, je trouve, quand on est un philosophe. qui prétend avoir une démonstration absolue. Et au bout de je ne sais pas combien de pages, on se rend compte qu'il y avait un énorme postulat caché, une énorme croyance en fait, parce que c'est l'art de la croyance. Et donc toi, qu'est-ce que tu réponds quand on te dit ça ? Quand on te dit oui, mais ce que vous faites, ce n'est pas de la philo, c'est de la politique.

  • Speaker #1

    Moi, on ne me dit pas ça en fait. Alors, on peut me dire presque l'inverse. On peut me dire, vous ne faites pas de la science politique, vous faites de la philo. Donc, il y a aussi ce double truc. Donc moi, je suis vraiment entre, je vais dire le cul entre deux chaises, justement entre la philo et la science politique.

  • Speaker #0

    pour,

  • Speaker #1

    je peux avoir la critique des deux bords. Soit je suis trop politiste, soit je suis trop philosophe. Donc, à chaque fois, je réponds, bah ouais, mais écoute, l'autre discipline me dit l'inverse. Je suis peut-être dans le juste milieu. Donc oui, moi, je dis que je fais de la politique et c'est complètement assumé. Après, souvent aussi, je peux rétorquer en quelque sorte qu'eux aussi, d'une manière, ils font de la politique. Tout à fait. Il suffit que je lise le moindre de leurs écrits et je vais leur dire, voilà, telle est ta position politique. Donc, en fait, en réalité, ça se dévoile très vite, ce genre de choses, y compris dans une philosophie qui se voudrait la plus abstraite possible. En réalité, quand on déroule le postulat, on en arrive toujours à quelque chose de politique et on voit comment est située la personne.

  • Speaker #0

    Totalement d'accord avec toi. On va arriver à tes thèmes après, aux thèmes que tu as choisis, parce que tes thèmes sont très marqués politiquement. Je voudrais juste terminer sur ce sujet un peu de la philosophie. Quelle serait l'émotion première qui fait faire de la philosophie ou qui est le moteur de la philosophie pour toi ?

  • Speaker #1

    C'est une bonne question que je ne me suis pas souvent posée moi-même, je t'avoue. Moi, quelque chose que j'adore dans mes recherches, c'est ce sentiment d'étonnement et d'avoir découvert quelque chose. Alors parfois, ça peut être peut-être faux ou très prétentieux, ou cette idée de dire Ah, là, j'ai trouvé un truc. que j'avais vu nulle part, où j'ai compris quelque chose que je n'avais pas compris. Cette idée, cette émotion d'étonnement et d'émerveillement, de satisfaction, de découvrir quelque chose. C'est cette découverte que je mettrais en premier plan.

  • Speaker #0

    Je me souviens de l'impression souvent, quand je faisais ma thèse ou mes recherches, l'image d'un éclair. qui vient, qui surgit une espèce d'épiphanie, d'un éclair extrêmement puissant.

  • Speaker #1

    C'est Deleuze qui disait, alors lui il parlait de la création de concepts, mais il disait c'est une fête. Et ce n'est pas tous les jours la fête non plus. Donc moi, quand ça m'arrive, je ne sais pas, peut-être deux, trois fois par an, déjà je suis content.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Je vais revenir un petit peu à ton parcours. Tu dis que tu as fait sciences politiques et philosophie, que tu as un parcours qui est explicitement politique, un positionnement qui est explicitement politique. Est-ce que tu peux nous parler de ton éveil philosophique personnel, du choix de tes thèmes ? Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, tu travailles sur des philosophies et des pensées comme l'anarchisme ?

  • Speaker #1

    Moi, je dirais que mon premier éveil philosophique, il est politique aussi, c'est quand j'avais une quinzaine d'années et que j'étais au lycée. J'étais très mauvais élève, je partais complètement en sucette à 14-15 ans, j'ai eu une grosse crise d'ado pendant deux ans. Et c'est par la découverte d'un auteur qui m'a un petit peu presque sauvé la... la vie ou en tout cas remis sur le chemin de choses un peu plus sérieuses et ou en tout cas constructives, qu'elle a découverte d'un auteur français qui s'appelle Pierre-Joseph Proudhon et qui est le premier théoricien de l'anarchisme. Dans son ouvrage en 1840, Qu'est-ce que la propriété ? Souvent on connaît, ou il aurait répondu, c'est le vol, qui est une formule d'ailleurs souvent mal comprise. Mais c'est le premier auteur qui, dans cet ouvrage, se réclame anarchiste au sens positif du terme, où il dit je suis... tout à fait ami de l'ordre, mais je me réclame anarchiste et il développe son truc. Et ça m'avait fasciné à ce que je me disais, mais ce gars quand même, il est sacrément couillu. Et il y a un côté paradoxal, c'est comment on peut se réclamer à la fois ami de l'ordre et anarchiste. Enfin, pour moi, c'est cette figure du paradoxe aussi, d'ailleurs, qui m'a toujours fasciné. Et du coup, je me suis intéressé à son œuvre et j'ai creusé cette notion d'anarchisme qui m'a poursuivi jusqu'à nos jours. À côté de l'anarchisme, il y a notamment deux ou trois thématiques qui m'intéressent beaucoup. La question du lien entre religion et politique, ce qu'on appelle aussi le théologico-politique, que moi j'ai décliné aussi avec l'économie. La question du conflit et de la guerre, et la question de justice, commun, etc. Il y a plusieurs pistes que j'essaie de creuser en parallèle pour essayer d'en faire quelque chose de cohérent.

  • Speaker #0

    Ce qu'on peut faire, c'est prendre ces trois pistes les unes après les autres, parce que ces trois sujets, je pense, qui intéressent beaucoup les gens et qui sont souvent mal connus. Rien que l'anarchisme, on va en discuter, mais lié anarchisme et ordre, c'est sûr que ça surprend toujours un peu quand on dit que Proudhon était un fan de l'ordre. C'est vrai que les gens sont étonnés parce que l'anarchisme est devenu dans le langage courant synonyme de désordre, justement. Alors, est-ce que tu peux nous résumer, pour des gens qui n'ont jamais entendu parler de l'anarchisme ? Qu'est-ce que c'est que l'anarchisme ? Alors, si vous avez déjà écouté le fil d'actu, vous savez un peu ce que c'est. Mais on peut reprendre.

  • Speaker #1

    Oui, alors, le fait que l'anarchie soit synonyme de chaos, désordre, en réalité, ce n'est pas neuf. Ça fait depuis très longtemps qu'anarchie va être synonyme de chaos, déjà chez les philosophes grecs. Pendant la Révolution française aussi, on traitait les anarchistes, enfin, on traitait d'anarchistes, pardon, les démocrates. Les démocrates, petit à petit, ont été acceptés. adopté dans leur théorie, qui est celle du gouvernement du peuple par le peuple. Et dès lors, ils n'ont plus été taxés d'anarchistes parce que c'est rentré dans les mœurs, c'est la démocratie est devenue un régime d'ordre. Alors que ce n'était pas du tout gagné au XVIIIe siècle. La démocratie, c'était l'anarchie.

  • Speaker #0

    C'était hérité des Grecs aussi, ça, parce que chez Aristote, enfin chez Platon surtout, la démocratie, c'est le gouvernement des mauvais. Oui, oui.

  • Speaker #1

    Il y a cette idée que la... Chez Platon, en effet, c'est particulier parce que lui est justement antidémocrate. Chez Aristote, l'anarchie, ça va être la démocratie dégénérée. Début du XIXe siècle, il y a deux éléments qui vont rentrer en compte historiquement pour penser aussi à l'anarchisme. C'est le développement et l'institution moderne de l'État tel qu'on le comprend actuellement. L'État régalien avec un territoire bien défini, un chef d'État. Etats, des ministères, une administration, etc. Et le deuxième élément qui va être important, c'est la question sociale avec la question ouvrière, et donc la question sous-jacente du capitalisme. Donc, d'ailleurs, c'est pas par hasard si le premier livre de Proudhon porte sur la propriété. Lui-même, d'ailleurs, il a cet avantage d'être un des seuls théoriciens socialistes au sens large, puisqu'on va pouvoir classer l'anarchisme dans le socialisme, un des seuls théoriciens qui est d'origine populaire. La plupart, ils sont d'origine nobles. bourgeoise ou de classe moyenne, en réalité. Lui, il a son père qui était brasseur, sa mère paysanne, et donc il a vraiment cette fibre populaire très ancrée en lui, et il se demande au début de ce bouquin, qu'est-ce que la propriété, mais comment ça se fait qu'il y ait un Louis-Philippe qui soit mille fois plus riche que moi, qui n'ai même pas de quoi m'acheter des bouquins pour faire mes études. Et donc il part de ce constat très basique, très ancré dans une expérience réelle. C'est à partir de ce postulat, de cette expérience, qu'il fait son enquête et se dit comment ça se fait qu'il y ait tant d'inégalités dans le système dans lequel on vit. Et donc là-dessus, il va accuser la propriété dans un sens bien précis du terme, qui est la propriété privée capitaliste des moyens de production. C'est-à-dire, pour faire très vite, la capacité pour un individu d'user de son capital sans travail. On est propriétaire d'une entreprise, d'un bien immobilier pour obtenir des loyers, etc. Donc c'est tout ce qui permet d'obtenir...

  • Speaker #0

    On est actionnaire chez Total. Voilà,

  • Speaker #1

    actionnaire chez Total. Tout ce qui permet d'obtenir du capital sans travail. Et puis, il y a un autre élément que Proudhon va vite attaquer, déjà dans Qu'est-ce que la propriété ? mais après encore davantage à la fin des années 1840, avec notamment la révolution de 1848, etc., où il va attaquer très frontalement l'État, et y compris la démocratie représentative. Où il va dire, le problème, c'est qu'on va avoir toujours, en gros, des gouvernants, des gouvernés, des dominants, des dominés, qui en réalité... n'expriment en rien la volonté du peuple. Et qu'est-ce que le peuple ? Le peuple, c'est aussi une image, une fiction. Le peuple, il est pluriel, il est très divers, etc. Et en réalité, quand des personnes sont élues au suffrage, qui plus est au suffrage universel, donc avec une sorte de mandat en blanc, ces gens-là, ils ont tous les pouvoirs en réalité, même s'ils sont limités par une constitution et des institutions, mais ils ne sont pas du tout redevables envers les citoyens. Et en réalité... les citoyens se plaignent sans arrêt que les programmes ne sont pas accomplis parce qu'en réalité la classe gouvernante n'a aucune obligation vis-à-vis des citoyens.

  • Speaker #0

    Ça résonne beaucoup aujourd'hui. On aura le temps d'en discuter tout à l'heure mais ça n'a pas pris une ride.

  • Speaker #1

    Son argument, ça va être de dire qu'en réalité le désordre il vient d'abord d'en haut. Ça peut paraître un petit peu paradoxal et contre-intuitif. Mais il va dire que le gouvernement, c'est un semblant d'ordre. C'est déjà un ordre très subjectif, c'est-à-dire qu'il va être imposé par un ou quelques individus qui vont dire, eux, voilà ce que doit être l'ordre. Et en réalité, Proudhon va dire que le gouvernement va être sans cesse en proie à des insurrections, des révolutions, des crises, etc. Précisément. parce qu'il crée le désordre. Donc la question de Proudhon, ça va être comment concevoir un véritable ordre politique et pas un semblant d'ordre qui est toujours voué à des crises, à des révolutions, à des révoltes, etc. Qui sont des manifestations, en réalité, que le système ne marche pas et est une forme de désordre.

  • Speaker #0

    C'est vraiment l'oligarchie, enfin en tout cas, ceux qui gouvernent, le petit nombre de personnes qui gouvernent. qui vont générer le chaos et le désordre. C'est ça ce que dit Proudhon.

  • Speaker #1

    Exactement. Ça ne revient pas nécessairement sous sa plume, mais quelqu'un comme Castoriadis, qui est un philosophe plus récent, lui parle d'oligarchie libérale. Et c'est exactement ce qu'a en tête Proudhon quand il parle du gouvernement représentatif.

  • Speaker #0

    Et si je ne me trompe pas, Proudhon a été député en plus.

  • Speaker #1

    En effet, Proudhon a été député. Et ça, c'est quelque chose qui a fait beaucoup l'œuvre de polémiques, y compris à son époque, ensuite par les anarchistes, etc. un certain nombre d'anarchistes, qui vont dire mais oui, Proudhon n'est pas du tout en accord avec ses idées, parce que lui-même se fait élire à l'Assemblée, etc. Mais lui-même va le dire dans ses écrits, dans ses journaux, ses carnets, etc. Lui-même n'est pas dupe, avant même de se présenter, il est contre le système représentatif. Mais va-t-il dire l'Assemblée peut néanmoins, dans le système actuel tel qu'il est, être une tribune ? Donc lui, il y va, en fait, non pas tant pour représenter des gens, ce qui est une absurdité pour lui, pas non plus pour prendre des décisions, parce qu'il ne fait partie d'aucun groupe et il n'est suivi par aucun vote dans l'Assemblée, mais c'est avant tout pour faire connaître ses idées. Et c'est en cela qu'il voit son rôle à la députation. Et c'est une manière aussi pour lui de voir de l'intérieur comment ça marche. Il y a ce côté, parce que Proudhon, il était journaliste aussi. Pendant 4-5 ans, en gros entre 1846 et 1852, il est journaliste, il a des journaux d'ailleurs, il est chef du représentant du peuple, la voix du peuple notamment. Et donc lui, ça l'intéresse de savoir comment ça marche cette embouille de l'intérieur, pour après avoir aussi une critique d'autant plus juste, et il ne s'en prive pas. Parce que dès 1848, quand il est élu, c'est à cette époque qu'il a ses écrits les plus radicaux et les plus anti-gouvernementaux. Après, il se calme un petit peu, mais de 1848 à 1851, on a un anti-étatisme radical de la part de chez Proudhon, au point même que, dans sa théorie, ne doit plus exister que des entités économiques qui se coordonnent sans qu'il n'y ait plus même d'institutions politiques. Il va revenir un petit peu là-dessus à la fin de sa vie, dans les années 1860, en parlant de fédéralisme, du principe fédératif, qui est un de ses ouvrages. qui est un concept d'ailleurs très important pour les anarchistes, qui est comment on coordonne des institutions politiques avec des formes de démocratie directe, locale, qui peuvent passer après d'un échelon supérieur à un autre s'il y a des problèmes à régler qui sont transversaux. Et donc comment coordonner ces institutions politiques en partant de la commune, de la région, département, etc. Et comment ils se coordonnent avec des entités économiques, des entreprises autogérées, etc. Pouvoir répondre aux besoins des habitants. Donc ça c'est là-dessus qu'il va développer sa notion de fédéralisme. Parfois on parle de fédéralisme intégral ou fédéralisme libertaire, dans la mesure où déjà il s'agit d'un système... Sous forme de démocratie directe, c'est-à-dire en sciences politiques, on parle de bottom-up, c'est-à-dire qu'on va partir de la base pour arriver au sommet, et non pas top-down, ce qui est le fédéralisme classique, comme aux États-Unis par exemple, où on part du sommet et les décisions sont prises pour être appliquées ensuite à la base. Donc fédéralisme bottom-up et ensuite intégral, parce qu'il prend aussi en compte l'économie, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des théories du fédéralisme politique. Donc l'anarchisme aussi c'est ça, c'est... comment concevoir des formes de démocratie, j'allais dire, à tous les étages. Donc à la fois en termes politiques, on part toujours du local, même si ça ne s'y réduit pas, évidemment, et les problèmes sont globaux, même au sens planétaire, et c'est pour ça que l'anarchisme aussi est internationaliste. Donc niveau local et niveau économique aussi, puisqu'il s'agit de repenser des formes de production et de consommation qui dépassent le capitalisme.

  • Speaker #0

    Alors, tu parlais de la... de la propriété tout à l'heure. Proudhon fait une distinction, si mes souvenirs sont bons, avec la possession. Est-ce que tu peux nous expliquer la différence ? Parce qu'est-ce qu'il s'agit d'abolir complètement la propriété, au sens un peu courant où on l'entend ? Est-ce que ça veut dire que plus rien ne t'appartient ? Ou est-ce que, justement, c'est une façon différente de penser la propriété ? Est-ce que tu peux nous éclairer un peu là-dessus ?

  • Speaker #1

    Alors ça, en effet, c'est très important. Lui, il fait bien la distinction entre les deux. La propriété qui va avoir une connotation péjorative chez lui, qui, pour lui, est toujours la propriété. capitaliste et la possession. Donc, en effet, on peut tout à fait posséder des choses, et même pour lui, fils et arrière-petit-fils de paysan qu'il est, c'est très important même de pouvoir posséder sa maison, sa terre, pour y faire cultiver ses légumes, ses fruits, faire paître son bétail, etc. Donc, évidemment, non, lui, il n'est pas du tout contre la possession, même au contraire. Dans certains de ses écrits, pour lui, la possession va permettre de contrebalancer aussi le pouvoir politique. La propriété, Pour lui, c'est ce qu'il appelle aussi le droit d'homède. C'est ce que je disais un petit peu au début, c'est-à-dire la capacité pour un individu de produire du capital sans travail. C'est ça la propriété. Sinon, il n'y a aucun souci évidemment d'être possesseur de quoi que ce soit, dès lors que les produits que tu en tires ne seront pas induits, c'est-à-dire si tu n'exploites pas quelqu'un grâce à cette possession.

  • Speaker #0

    Et ça, ça fait... Là encore, je parle de mes souvenirs, mais ça ne fait pas l'unanimité parmi les anarchistes, si je ne me trompe pas. Il y a des débats sur la question de la possession. Est-ce qu'il faudrait passer plutôt au droit d'usage ? Ça, c'est plutôt la théorie des communs.

  • Speaker #1

    Oui, alors c'est ça qui est passionnant dans l'anarchisme aussi, c'est qu'il y a énormément de théories très différentes, y compris en termes économiques. En règle générale, on va distinguer deux autres écoles de l'anarchisme. En réalité, il y en a trois autres. Je passe vite, peut-être, peut-être trop vite. Sur l'individualisme anarchiste, on va retrouver avec des personnes comme Stirner, etc. Mais au XIXe siècle, il y aura beaucoup d'individualistes anarchistes aussi, y compris en France, avec cette idée que ce qui doit primer avant tout, c'est l'individu. Et l'individu peut faire absolument tout ce qu'il veut, y compris dans l'usage de ses biens. Donc il ne doit rien avoir au-dessus du moi. Il y a l'école dite davantage collectiviste qu'on va avoir avec un autre... auteur très important qui s'appelle Michel Bakounine, qui lui vient de Russie, et qui lui va dire que la propriété doit être avant tout collective. Donc lui va être un petit peu circonspect contre la dimension parfois un petit peu paysanne qu'on peut avoir de Proudhon, au sens de petit propriétaire, l'idée que le paysan peut cultiver son petit lopin de terre, etc. Et d'ailleurs, Marx ne s'en privera pas en taxant Proudhon de petits bourgeois. C'est cette idée du théoricien qui est attaché à sa petite propriété, alors qu'en réalité, ce n'est pas du tout le cas. Proudhon, il va dire simplement, si un paysan ou un artisan veut conserver sa terre ou ses locaux, foutez-lui la paix, c'est sa liberté. Bakounine, il va dire, pour que ce soit un peu plus collectif, efficace et tout, c'est mieux de tout mettre en commun. En tout cas, tous les moyens de production doivent être... collectif. Il parle bien encore de moyens de production. Il ne dit pas que tout le monde doit habiter dans la même baraque ou faire ensemble à manger, tous dans le même immeuble, etc. Ce n'est pas la question. Quand on parle de la propriété, il faut bien avoir en tête, c'est toujours les moyens de production. Et il y a une troisième école anarchiste qu'on appelle l'anarcho-communisme, qui lui va avoir peut-être un des plus grands succès historiques aussi, qui est développée par Kropotkine à l'origine, qui lui aussi vient de Russie, et qui repose sur un postulat assez simple qui est qu'à terme on va arriver à l'abondance, grâce notamment à... au développement des moyens de production en commun. Et du coup, il a ce même postulat que Marx, qui est de dire qu'on va arriver à une société d'abondance où il n'y aura plus besoin de règles, c'est-à-dire de droits, de redistribution. La question ne se posera pas puisqu'on sera dans l'abondance. Donc la seule règle qui prévaudra, c'est la même que Marx d'ailleurs, c'est de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. Et à partir de là, ça devrait aller. Seulement, contrairement à Marx, évidemment, lui, il ne passe pas par la phase État ou dictature du prolétariat. Pour lui, il va dire, non, ça c'est une énorme erreur. En réalité, la dictature du prolétariat sera en réalité une dictature sur le prolétariat, dès lors qu'il y a toujours une classe dirigeante. Donc voilà un petit peu, en gros, les petites différences qu'il peut y avoir entre ces différents courants. Et en réalité, quand on regarde la mise en pratique... Souvent, il y a un mix entre les trois qui ne sont pas du tout incompatibles en réalité.

  • Speaker #0

    Je reviens sur ce que tu décrivais tout à l'heure, cette idée de fédéralisme bottom-up, qui parle vraiment du peuple, pas de la classe dirigeante avec une certaine verticalité. Est-ce que tu pourrais donner peut-être un exemple assez concret pour vraiment illustrer ce que ça pourrait être ? Évidemment, je pense à la question de l'eau, parce que l'eau, c'est un sujet assez important. Là, en plus, au moment où on enregistre... On enregistre, il vient d'avoir le scandale Nestlé, Nestlé qui s'est approprié de l'eau en bouteille et qui l'a vendue, qui a une fraude estimée à, j'ai noté, 3 milliards d'euros pour avoir vendu en gros de l'eau du robinet. Est-ce que l'eau te paraît être un bon exemple pour illustrer ce que pourrait être une gestion capitaliste de l'eau, une gestion étatique et une gestion anarchiste ?

  • Speaker #1

    Oui, après, il y a énormément de choses qui peuvent être légitimes et différentes. On pourrait parler de... L'eau est d'autant plus frappante que ça peut être qualifié de bien commun, c'est-à-dire de bien nécessaire à la survie de l'homme. Il y a cette idée déjà que d'un point de vue anarchiste ou d'un point de vue des biens communs, l'eau est une ressource qui est indispensable à l'homme et qui dès lors ne peut pas être l'objet d'échanges marchands, ne peut pas être l'objet de concurrence ou pour faire des profits, etc. Et donc là, il y a une dimension, en réalité, politique. Et c'est là qu'on voit la dimension politique de l'économie, notamment chez les anarchistes. C'est-à-dire que l'économie va être toujours soumise à des besoins. Déjà, il y a cette idée que ça ne peut pas faire l'objet, comme je le disais, d'une marchandise. Ça, c'est un premier point. Ça ne peut pas non plus faire l'objet d'une direction par l'État.

  • Speaker #0

    Pour une raison déjà toute simple, c'est que l'État, en réalité, il a un problème, c'est qu'il ne sait pas quel est exactement l'état de la ressource d'eau à tel endroit donné, il ne sait pas quel est exactement le besoin en termes de ressources en eau à tel ou tel endroit, etc. Le problème que toujours l'État va avoir, on l'a vu d'autant plus par exemple avec la crise du Covid, c'est qu'il n'a pas... pas les bonnes informations. Pourquoi ? Parce qu'il va être toujours dans une position de surplomb et donc il essaye de choper les informations mais en réalité c'est très dur pour lui de les avoir, si tant est qu'il essaye de les avoir, ce n'est pas toujours le cas.

  • Speaker #1

    Il est toujours en train de retard.

  • Speaker #0

    Il est toujours déconnecté du réel. Donc les anarchistes partent toujours du principe que c'est toujours ceux qui sont au plus près du terrain qui savent ce qui est le mieux pour eux, comment gérer, etc. Dans le cas de l'eau, ça va être des riverains qui consomment l'eau et qui sont près du fleuve ou de points d'eau en particulier, qui vont avoir un rôle fondamental, déjà en tant qu'habitants, ensuite d'autres en tant qu'ONG, protecteurs de la faune et de la flore, et puis avec des entités économiques aussi qui sont liées au traitement de l'eau, mais ça va être une... une forme de démocratie aussi plurielle au niveau économique pour avoir une représentation réelle et savoir vraiment ce qui est bon pour à la fois pour la ressource, être sûr qu'elle ne va pas tarir avec de la surproduction ou de la surconsommation par exemple, et être sûr qu'on assure les besoins. Donc il y a toujours cette péréquation, c'est comment éviter la raréflexion des ressources avec la surproduction ou la surconsommation, et à la fois aussi comment répondre aux besoins des habitants.

  • Speaker #1

    Ce qui est en fait exactement l'inverse de ce qu'on observe dans la gestion capitaliste. Et je reviens à mon exemple de Nestlé, qui en fait a vidé les nappes phréatiques, a privé l'eau, les habitants des ressources en eau, et qui en plus a fait des décharges de bouteilles en plastique à côté, et donc qui a en fait pillé, vidé la ressource. Donc ça va complètement à l'encontre de l'idée qu'on a souvent que la gestion capitaliste du marché est la plus efficace, la plus efficiente. Et au contraire, ça revient à l'idée d'une démocratie et d'une intelligence collective de la gestion. C'est radical comme renversement.

  • Speaker #0

    Exactement. Et moi-même, j'ai pu beaucoup travailler en épistémologie, notamment sur la question de l'intelligence collective. Et là aussi, c'est passionnant. Il y a énormément d'études qui ont été réalisées, qui rejoignent complètement les thèses anarchistes sur le fait que, y compris pour tout ce qui est prospective, anticipation, conception des problèmes et des solutions, etc. Ça va être toujours quand il y a un maximum. d'individus avec des points de vue différents et qui peuvent être, y compris dans la contradiction. Donc, il n'y a pas cette idée non plus qu'il faille nécessairement être tous d'accord, etc. C'est vraiment cette idée d'intelligence collective qui va permettre à la fois d'identifier les problèmes et de donner des solutions. Chose que, dans le capitalisme, en réalité, on ne va pas avoir puisque déjà, il y a cette dimension hiérarchique, en réalité, qui est aussi très importante dans le capitalisme, avec souvent une direction... qui, elle aussi, est déconnectée contrairement aux salariés. Et puis, une logique, là, purement économique, qui consiste avant tout à maximiser des profits. Pour le coup, le capitalisme, c'est quelque chose de très simple. Un point de vue normatif aussi, c'est faire en sorte que les profits soient les plus importants. Avec tout ce que cela va charrier aussi, en termes de choses sous-jacentes, c'est-à-dire une croissance infinie, donc surproduction et détérioration de tout ce qui est... entités naturelles, exploitation, donc on va faire trimer aussi un max les salariés où on va délocaliser dans les pays qui sont encore plus dans la dèche, etc. Donc en effet, on est complètement dans une dimension inverse à celle des anarchistes.

  • Speaker #1

    Et alors, dans ce cas, l'État, si je suis ce que tu expliques, l'État ne serait pas le plus apte ? à gérer l'eau, pour reprendre cet exemple, parce qu'il a toujours un train de retard, qu'il est trop surplombant, trop éloigné du local. Est-ce qu'il y a d'autres raisons qui peuvent expliquer ça, qui peuvent expliquer le fait que l'État ne soit pas le plus à même, le mieux placé pour gérer ses ressources ?

  • Speaker #0

    Alors, il y a une raison aussi toute simple qui est liée, là encore, à la propriété. Le problème de l'État, quand on parle de nationalisation, par exemple, ou ce qui était le cas... pour être dans la caricature dans l'Union soviétique, mais même quand on parle de nationalisation, y compris au début des années 80, etc. Le problème de l'État, c'est qu'il demeure aussi propriétaire. C'est un propriétaire. Alors son objectif n'est peut-être pas nécessairement le profit, ce qui en fait quand même un avantage par rapport à la propriété capitaliste, mais c'est un propriétaire. Et le problème du propriétaire, c'est qu'il peut faire absolument tout ce qu'il veut de sa propriété. Ce qui pose quand même un sacré problème en termes de démocratie. Et tu parlais de l'eau, il y a un exemple très simple sur ce problème-là, qui s'est passé en Italie dans les années 2000. L'État avait nationalisé l'eau complètement. Et à un certain moment, il avait des problèmes de trésorerie. Donc l'État commence à être endetté de plus en plus à partir des années 90, plein de raisons. Et il se dit, je vais renflouer un petit peu mes caisses, en faisant quoi ? En vendant mes régies d'eau à des boîtes privées. Et là, grosse révolte en Italie. Il se trouve que la gestion de l'eau par le privé a vu les prix multipliés par 10. C'est un bordel innommable, y compris dans la distribution, etc. Et donc il y a un référendum qui est fait par l'État. pour demander aux citoyens est-ce qu'ils veulent la privatisation de l'eau ? Et les citoyens disent non. Mais il y a un problème quand même qui se pose pour eux, et là il y a une sorte de prise de conscience d'ailleurs assez dingue. Ils se disent, le problème, c'est qu'on ne va pas renationaliser parce qu'en réalité, l'État a eu ce pouvoir de privatiser. Comment ça se fait que l'État, qui est censé être garant de l'intérêt général ou de l'intérêt public, puisse vendre un bien ? qui est censé être un bien commun d'intérêt général ? C'est une vraie question. Et là, on a la substance de la contradiction entre État et intérêt général. Et ça, les anarchistes l'ont bien pointé. Il y a un vrai problème juridique sur la question de la propriété, y compris de la propriété publique. Et l'État n'a pas à être un propriétaire. Et donc, il s'agit de comment on va concevoir... des biens communs qui puissent être sous le contrôle des citoyens. Et donc, à partir de ce moment-là, l'eau va devenir un bien commun dont les individus ont droit. Et les individus vont dès lors, à partir de régies collectives, pouvoir contrôler ce bien commun. Donc là encore, ce qui va permettre de faire en sorte que ce bien ne soit pas utilisé ou revendu de n'importe quelle manière, ça va être... un contrôle effectif du peuple dessus. Donc avec un certain pluralisme aussi en termes de contrôle et de contre-pouvoir, afin qu'il n'y ait pas un ou des gugus qui disent je peux en faire ce que je veux

  • Speaker #1

    Oui, en fait, ça rompt avec l'idée que nous allons déléguer une certaine partie de notre souveraineté, de notre pouvoir de décision à un État qui serait un gouvernement d'experts, qui saurait mieux que nous l'intérêt général. Et donc ça rompt avec cette dynamique-là. Cette logique-là pour se dire, nous allons nous réinvestir nous-mêmes dans la gestion de ce qui fait notre collectif et de ce qui nous entoure, en fait.

  • Speaker #0

    Complètement. Alors, là-dessus, les anarchistes sont assez proches de ce que les Grecs, d'ailleurs, dans les premières formes de démocratie qu'on se fait au départ, c'est-à-dire que les Grecs, ils faisaient une grosse distinction entre la doxa et l'épistémé. Donc la doxa, l'opinion, et l'épistémé, la connaissance. Et pour les Grecs, l'épistémé, donc la connaissance, était liée aux experts. Et donc, c'est pour ça que les Grecs pouvaient voter pour des experts. Les experts, c'était le mec qui allait construire les bateaux, ou le stratège, le chef de guerre, etc. Bon, c'est des gens qui étaient vraiment spécialisés. Mais l'épistémé, la connaissance, tout ce qui relevait de l'expertise, n'avait rien à voir avec la politique. Pour eux, la politique relevait de la doxa, c'est-à-dire de l'opinion. Et là, tous les citoyens étaient capables de faire de la politique. Tous les citoyens et des opinions. Et... ils pouvaient débattre de tel ou tel sujet de la cité et prendre des décisions, voter des lois en conséquence. Et donc il y avait vraiment cette distinction très importante. Et en réalité, ce n'est qu'avec l'émergence de la démocratie moderne et représentative au XVIIIe, XIXe siècle, que là, on va associer la politique à de l'expertise, et donc au métier de politique.

  • Speaker #1

    La naissance de la technocratie et de la professionnalisation du politique. Exactement,

  • Speaker #0

    de la technocratie, de la professionnalisation, etc. Mais parce que là aussi, il faut bien avoir en tête l'origine des démocraties modernes. Les démocraties modernes, à l'origine, d'ailleurs, ne s'appelaient pas démocratie. On parlait, les pères fondateurs, aussi bien à CIS en France qu'à Adams ou Ferguson aux États-Unis, parlaient de régime représentatif. mais jamais de démocratie et Sieyès même dans un fameux texte d'un discours dans les années 1789-90 dit la France doit être un régime représentatif, mais en aucun cas une démocratie. Il dit, en gros, ce serait le bordel, ce serait l'anarchie. Et là, il a en tête, évidemment, aussi la démocratie directe grecque. Pour les démocrates modernes, en fait, ils parlent de régime représentatif contre la démocratie. Et en fait, le terme de démocratie va s'imposer que très lentement. En réalité, il va s'imposer au milieu du XIXe siècle. Pourquoi ? Tout simplement parce que fin du XVIIIe, début du XIXe siècle, ça aussi on a un petit peu oublié, mais le suffrage, le vote est réservé à une élite. C'est le suffrage censitaire, il est réservé aux plus riches. Pourquoi les plus riches d'ailleurs ? C'est devenu le critère, ce qui pourrait y en avoir des centaines, des critères de qui doit gouverner. C'est le plus riche parce que le plus riche c'est... Le bon père de famille, celui qui a réussi à bien gérer un patrimoine, etc., à faire fructifier son argent. Et avec l'émergence de l'État moderne, il y a aussi cette idée que l'État doit se développer économiquement. Donc, celui qui sait bien diriger, c'est celui qui sait bien faire tourner une affaire, pour faire vite, et qui donc a un patrimoine, parce que c'est la preuve qu'il sait bien faire tourner une affaire. Donc, ça va être ça, en réalité, le premier critère des démocraties modernes. Et donc ce n'est que petit à petit que le suffrage va devenir universel. En France, c'est le suffrage universel masculin en 1848, et c'est à partir de là que le terme démocratie va s'imposer, parce qu'il y a cette dimension un peu plus universelle. Mais en réalité, la chose n'a pas changé, c'est-à-dire qu'on a toujours des représentants qui vont décider à la place d'autres personnes, et donc avec toujours un rapport très hiérarchique de délégation. comme tu dis, d'un pouvoir, d'un pouvoir politique. Mais après cette délégation, qu'est-ce qui se passe ? Non seulement la personne à qui on a délégué le pouvoir peut faire à peu près tout ce qu'il veut, par rapport au souhait ou à son programme qu'on a pu émettre, et puis d'autre part, après, quel est le pouvoir du citoyen, en termes politiques ? Quel est ton pouvoir, quel est mon pouvoir, en termes de confection des lois, ou en termes d'influence ? sur telle ou telle décision politique ?

  • Speaker #1

    Absolument aucun, oui. On a une illusion de choix pour le vote. Il y a eu zéro. Illusion de choix parce que c'est des candidats qui nous sont imposés, donc on ne les choisit même pas. Et on est censé mettre un bulletin tous les trois ans. Enfin, ça dépend si Macron décide de dissoudre tous les ans, mais absolument aucun. Je voudrais qu'on arrive à un autre de tes thèmes qui est absolument passionnant, je trouve. Tu as écrit un livre qui s'appelle Théologie du capital dans lequel tu expliques... et je pense que ça va pas mal intéresser les auditeurs et auditrices. Tu expliques, et corrige-moi si je me trompe, que nos concepts économiques, qui nous semblent être justement du côté de la connaissance, pour reprendre la distinction que tu faisais tout à l'heure, donc être du côté de l'objectif, que ces concepts économiques, comme le marché, la main invisible, etc., sont en fait non pas des concepts scientifiques, mais ce sont des concepts religieux, théologiques, en tout cas, ils ont des origines théologiques, et que finalement... Nous y croyons aveuglément comme à des croyances religieuses. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu ton analyse ?

  • Speaker #0

    En effet, c'est quelques textes qui m'avaient interpellé. Souvent, on présente le système capitaliste comme le système le plus rationnel, etc. Et bon, il y avait des choses qui m'interpellaient, déjà dans le sens où, pour moi précisément, je trouve qu'il y a de telles absurdités dans le capitalisme que je me dis que ça ne peut pas... ne peut pas être une production issue d'expériences rationnelles et qu'il y a sûrement quelque chose qui vient d'ailleurs. Du coup, j'ai pris différentes catégories de l'économie que j'ai étudiées en essayant de voir d'où ça venait réellement. Il y en a plusieurs. J'ai évoqué le marché, il y a aussi la monnaie, le travail, la question de la marchandise, l'intérêt. Il y avait un certain nombre de choses, la propriété aussi, évidemment. Bref, toutes les catégories qui sont assez centrales dans l'économie politique. On s'aperçoit que c'est très lié à la religion, en fait. Toutes ces catégories de l'économie politique, et qu'en fait, il y a eu des formes de ce qu'on appelle de sécularisation. Donc, on leur a donné un vernis débarrassé de son vernis religieux, mais alors qu'en réalité, le religieux est premier pour ces... catégorie et à mon avis on n'en est pas complètement détaché. Alors, juste pour prendre peut-être un ou deux exemples, que ce soit parlant pour les auditeurs, l'exemple du marché, par exemple, qu'on parlait. Le marché qu'on va pouvoir retrouver, vraiment théorisé par Adam Smith, le marché en réalité c'est quelque chose qui est assez récent tel qu'on le connaît. Parce qu'on se dit, le marché c'est quelque chose qui a existé en tout temps, en tout lieu, etc. Et Adam Smith lui-même va reconduire ce mythe qu'on a encore toujours dans les manuels scolaires d'économie, qui consiste à dire que le premier fait économique, c'est l'échange avec le troc. Et il dit même à Adam Smith, c'est le propre de l'homme, on n'a jamais vu un chien échanger un os avec un autre chien. Et donc à partir de cette idée-là, Smith va dire, le marché c'est quelque chose de naturel, qui a toujours existé, et qui va calquer son idée de marché exactement sur l'idée de providence en théologie. D'ailleurs souvent ça a été oublié, mais Adam Smith lui-même est théologien à l'origine.

  • Speaker #1

    Ah, je ne savais pas.

  • Speaker #0

    quand il enseigne à l'université de Glasgow en Écosse, c'est avant tout dans la chaire de théologie. Et donc, lui, il va toujours allier sa théologie à ses théories économiques. Et donc, la notion de providence qui consiste à dire Dieu règne, mais ne gouverne pas c'est la même chose avec le marché. Le marché règne, mais ne gouverne pas. On n'est pas dans quelque chose de coercitif, d'autoritaire, etc. Mais il y a une justice, comment dire, naturelle du marché. Si tu te retrouves... au chômage ou à la rue, c'est normal. Tu te referas un moment, mais c'est la justice du marché, comme c'est la justice de Dieu ou de la Providence. À un moment, avec ton libre arbitre, tu vas pouvoir te remettre en selle, etc. Cette justification à grands coups de théologie de la Providence, en réalité, au début de l'histoire de l'humanité, n'existe pas, ou très peu. Au début, c'est la religion qui va venir normer, régler. avec du droit, des règles, des tabous, etc. L'ensemble des échanges et de la distribution de la production, etc. Et donc, c'est petit à petit que la société ou le politique va se détacher du religieux. Au Moyen-Âge, on a encore des règles religieuses qui vont précisément venir réguler l'économique, sur l'interdiction du taux d'intérêt, par exemple, on en parlait, sur la limitation des prix, etc.

  • Speaker #1

    Ça, c'était régulé par l'Église ?

  • Speaker #0

    C'était régulé par l'Église et par le séculier, mais qui était très emmanché avec l'Église. Et en réalité, penseurs de cette régulation étaient des théologiens, comme saint Thomas d'Aquin, etc. Donc il y a cette institution religieuse qui va être fondamentale aussi dans cette régulation. Et petit à petit, en fait, il y a ce renversement où l'économique va prendre, d'une certaine manière, la place du religieux aussi. va faire l'objet de mythes, de croyances, etc. sans que ce soit vraiment inquiété. Il y a une forme de naturalisation aussi de l'économie, en tout cas de l'économie capitaliste telle qu'on la connaît, comme il y a pu y avoir aussi une naturalisation de la religion telle qu'elle pouvait exister auparavant, qui avait un poids très important politiquement sur les sociétés. Mais pour les gens, ça paraissait quelque chose de naturel. n'est pas a priori ou peu l'objet de critique.

  • Speaker #1

    Oui, comme ce qu'on vit aujourd'hui, où l'économie est capitaliste. En fait, très peu de gens la remettent en question. Et quand on le remet en question, le postulat de base, c'est bien de croire que le marché alloue efficacement les ressources, que le marché fait pour le mieux.

  • Speaker #0

    L'idée qu'elle est plus efficiente. L'idée que la propriété aussi, au sens capitaliste, c'est quelque chose qui relève d'un droit naturel. Oui. d'un droit de l'homme en fait quasiment d'un droit sacré et divin dans le code civil on parle quand même de la propriété comme un droit absolu le terme d'absolu c'est le vocabulaire théologique d'excellence donc quand bien même il peut être plus ou moins limité par du droit ou de la loi c'est toujours le droit ou la loi qui doit se justifier c'est pas la propriété qui est justifiée a priori comme absolu donc ça va être toujours par exemple... aux législateurs ou au peuple de justifier le fait qu'ils veuillent limiter le pouvoir nuisible de la propriété privée capitaliste.

  • Speaker #1

    Et d'ailleurs, on voit bien avec les réactions que ça suscite quand on met des choses comme ça en question, la propriété ou le marché ou le capitalisme, ça suscite des réactions épidermiques parce qu'on touche à quelque chose qui est un système de croyance, un système de valeur qui est très... très ancré, quasiment primitif.

  • Speaker #0

    C'est un problème de la critique aussi, c'est que la critique du capitalisme va pouvoir être la plus rationnelle possible, elle ne touchera pas aux fondements qui relèvent de la croyance. Et c'est là aussi où je pense, tu vois, tu parlais de sentiments auparavant, mais c'est aussi là qu'il y a peut-être un impensé de la critique et qui, à mon avis, est fondamental et qu'on revoit encore actuellement et qui, à mon avis, est aussi un problème de la gauche. C'est que contre ces mythes ou ces croyances, il faut opposer aussi, alors j'allais dire d'autres formes de mythes et de croyances. Oui, d'une certaine manière, c'est-à-dire en tout cas d'autres manières d'espérer. espérer, de croire, de voir le monde, quelque chose qui va relever aussi de la vie, de l'affect, et pas que du rationnel, pas que quelque chose de je te démontre qu'en réalité tu ne crois rien et que tout ce qui se passe c'est un sentiment d'insécurité ça les gens ne peuvent pas l'entendre, même si tu leur balances dix tableaux Excel avec des statistiques, ça ne marche pas. Donc il faut y opposer autre chose à ce genre de... de croyances ou d'affects un peu mortifères.

  • Speaker #1

    C'est d'ailleurs ça que je trouve, et là je refais le lien avec le thème de l'anarchisme qui t'intéresse particulièrement, mais c'est là où je trouve que l'anarchisme a une puissance subversive. C'est que quand on va critiquer le capitalisme, les gens vont quasiment systématiquement répondre Oui, mais tu ne veux pas du communisme stalinien ? Et je trouve que l'anarchisme, là, et la théorie des communs, ce dont on parlait tout à l'heure, ça désarçonne, ça bouscule tout et ça permet de sortir de cette prison théorique et de se dire, ok, on peut imaginer complètement autre chose, qu'il y a un registre émotionnel super enthousiasmant. C'est super enthousiasmant, ça nous redonne du pouvoir, au sens de participation à la vie citoyenne et démocratique. Et c'est peut-être là-dessus, et en ça, peut-être qu'il y aurait et qu'est-ce que tu en penses, une actualité de l'anarchisme, c'est un courant qui est très vivace aujourd'hui, qu'elle serait pour toi l'opérativité, l'efficacité concrète de l'anarchisme dans les réflexions, dans l'actualité politique aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Elle est de plein de sortes, sur plein de dimensions différentes. Je pense que c'est très difficile de répondre à ça de manière très précise, mais par rapport à ce que tu disais auparavant sur cette prison dont tu parlais, un petit peu dichotomique entre communisme stalinien et capitalisme de l'autre, tout de suite, ça m'a fait penser à cette art... d'un sociobiologiste qui s'appelle Gareth Hardin, en 1968 en plus, et qui parlait de la tragédie des communs, justement pour faire ce lien d'opérabilité de l'anarchisme qui, à mon avis, passe aussi par la notion de commun. Qu'est-ce qu'il dit, Hardin, dans cet article ? Il dit qu'au Moyen-Âge, on a ce qu'on appelle des communs, qui sont en fait des communaux, où on a la possibilité d'avoir des terrains ouverts où les paysans peuvent venir. glaner leurs moyens de subsistance en ramassant du bois, des champignons, en faisant pêtre leurs bétails, etc. Mais les communs ont fini par décliner au profit de l'État et de la propriété privée. Garrett Hardin va dire que le problème, c'est ce qu'on appelle en théorie économique après le passager clandestin, c'est-à-dire qu'en réalité, les gens n'avaient pas grand-chose à faire de ces ressources collectives. Chacun va y aller pour sa pomme. et finalement il va y avoir une dégradation de la ressource. Yardin va dire qu'il n'y a que deux solutions à ça. Et là on est encore en pleine guerre froide, donc ça illustre aussi bien les deux camps, il n'y a que deux solutions, soit la propriété privée qui va être codifiée comme telle, ou là le propriétaire va faire attention à son bout de terrain et à le préserver, soit c'est l'État qui va gérer les ressources, avec des lois très strictes. etc. C'est lui qui va les posséder. Et là, on est dans le cas de l'Union soviétique. Et là-dessus se pointe Elinor Ostrom. Et cette Elinor Ostrom, c'est pas non plus quelqu'un qui vient de nulle part, c'est pas quelqu'un de sous-estimé non plus, puisque c'est la première femme qui va être prix Nobel d'économie en 2009. Et elle, qu'est-ce qu'elle va dire ? Elle va dire, bon, moi j'ai étudié cette notion de commun un petit peu partout dans le monde. C'est-à-dire, les communs, c'est quoi ? C'est une communauté, un ensemble d'individus, des ressources communes, qui peuvent être de plein d'aspects différents. Elle, elle a beaucoup étudié les ressources naturelles, eau, champs, forêts, etc., mais ça peut être plein d'autres choses, et des règles de droit décidées ensemble pour la préservation de ces ressources en question. Et elle dit, moi, je suis allé un petit peu partout dans le monde pour étudier ces formes de communs, et jamais, jamais... je n'ai rencontré la description que donne Gareth Hardin dans son article sur cette fameuse tragédie des communs. Il y a son histoire de passagers clandestins, les individus qui essayent de surexploiter la ressource pour tirer la couverture à soi, etc. Mais en réalité, ça, c'est une projection complètement idéologique d'un mec qui n'a jamais fait de terrain. Et en effet, Gary Tardin part d'un postulat très libéral qui est celui de l'individu seul et isolé qui va essayer de maximiser ses intérêts. Elle dit, mais ça, en fait, dans la...

  • Speaker #1

    Ça se passe pas comme ça dans la vraie vie.

  • Speaker #0

    Dans les formes de commun. Déjà, les individus, ils sont pas isolés. Ils sont dans des communautés. Et donc, ces individus, notamment aussi, ils discutent beaucoup ensemble. Ils parlent. Ils communiquent. Parce que Garrett Hardin, aussi, il se base beaucoup sur ce postulat de la théorie des jeux, avec notamment le dilemme du prisonnier, etc. Alors, où il faut choisir. Est-ce que je balance mon complice ou pas ? ou pas, pour avoir une remise de peine, ils ne peuvent pas communiquer, est-ce qu'ils sont séparés par des grilles, etc. Elle dit, mais en réalité, les gars, ils se bourrent le goût, ça n'existe pas. Arrêtez de psychoter là-dessus. Dans la vraie vie, les gens, ils parlent ensemble. Ils discutent, ils se mettent d'accord ensemble sur des règles à adopter pour gérer au mieux telle ou telle ressource, etc. Donc souvent, déjà, il y a en effet des valeurs communes partagées. Alors souvent, ce n'est pas dans des sociétés occidentales avec l'individualisme qu'on peut avoir, ce qu'on appelle le pluralisme des valeurs, etc. Donc en effet, il y a peut-être un peu plus de valeurs partagées, mais en tout cas, elles sont là. Ensuite, les gens, ils parlent ensemble pour élaborer ensemble des règles. Et bon, très souvent, ça peut mettre du temps. temps, parfois par expérience aussi. Ça peut mettre parfois des mois, parfois des années, mais ça marche. Ça marche. Et Lina Rostrom, notamment, elle va beaucoup travailler dans des institutions de développement, notamment la Banque mondiale, dont elle va être aussi très critique, parce que précisément ces institutions, souvent, vont débarquer dans des pays et vont dire, mais... Votre production n'est pas du tout efficiente, vous feriez mieux de fonctionner comme si, comme ça. Et puis ils ont des sortes de cahiers des charges, de normes, etc. pour libéraliser le pays avec un état de droit, etc. Elle l'a vu notamment pour tout ce qui est système d'irrigation d'eau. Et alors ce que supportaient pas notamment ces agents de la Banque mondiale, c'est pas tant que ces systèmes d'irrigation d'eau répondaient pas à des besoins, que plutôt ce qui les énervait, c'est que par exemple, un sorcier dans le coin qui légitime les normes par deux, trois paroles un peu ésotériques, magiques, etc. Donc ils se disaient, c'est un système complètement foireux parce qu'il y a un sorcier dans le coin. Alors qu'en réalité, c'était des systèmes encore très efficaces. Donc quand ils essayaient d'imposer un petit peu leurs nouvelles règles modernes, en fait, très souvent, ils se rendent compte que c'est complètement foireux. Et en fait, ils reviennent aussi dessus. Donc là aussi, en termes d'opérativité, il y a des trucs là aussi très concrets. Quand on parle de gestion de ressources de vaux, etc. Après, il y a eu des épisodes historiques, aussi très enthousiasmants, qui font figure un petit peu de mythes dans l'historiographie anarchiste. Je pense notamment à la Révolution espagnole en 1936, qui est la... plus grande expérience historique à nos jours de l'anarchisme, pour une raison aussi assez simple historiquement, qui s'explique un petit peu historiquement aussi, c'est que le Parti communiste espagnol était quasiment absent du paysage, parce qu'ils avaient refusé de signer la charte du Comintern imposée par Lénine aux différents partis communistes en Europe, et donc il y avait le seul camp vraiment révolutionnaire, c'était le camp des anarchistes, et qui était... très nombreux à l'époque en Espagne, puisqu'il y avait environ un million d'adhérents dans le syndicat anarchiste, qui était la CNT, Confédération Nationale du Travail. Il y avait plusieurs milliers d'adhérents aussi à la Fédération Anarchiste Ibérique. C'était vraiment un mouvement très, très important. Et donc, quand éclate la Révolution Espagnole, donc en 1936, avec contre le coup d'État de Franco, il y a toute une zone de l'Espagne, notamment en Catalogne, dont... le Pays Basque, les Asturies, etc., qui va vivre sous les principes anarchistes, d'autogestion, etc. Donc, j'invite d'ailleurs tous les auditeurs si ça les intéresse, il y a des images complètement hallucinantes de Barcelone qui vit l'été 36 de manière anarchiste. Donc, on a tout un tas de drapeaux noirs, noirs et rouges dans la ville. Tous les hôtels et les cinémas sont ouverts au peuple. Il y a une sorte de redistribution collectives des produits alimentaires, manufacturés, etc., des formes d'autogestion généralisées. C'est proprement assez hallucinant. Il y a un petit livre passionnant là-dessus. Il y a le livre de George Orwell. On le connaît tous pour 1984. Mais il se trouve que lui-même était là-bas, parce que c'était un journaliste aussi, George Orwell. Il a écrit un magnifique petit livre qui s'appelle Hommage à la Catalogne où il explique cette révolution espagnole. Alors lui, il est... dans ce qu'on appelle le POUM, le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste, qui est plus ou moins d'obédience trotskiste, mais lui-même, il ne sait pas trop ce qu'il fout là. Il est beaucoup plus d'affinité avec les anarchistes. Et c'est très intéressant justement de voir cet enthousiasme. On parlait d'émotion. L'enthousiasme qu'il y a à cette époque, à cet endroit, dans les rues, qui est très bien retranscrit par George Orwell.

  • Speaker #1

    C'est intéressant, j'irais voir. Un peu dans le... Un enthousiasme historique avec la Commune de Paris aussi, qui a été très mal terminée, mais qui a été une expérience anarchiste. Peut-être que les gens ne se rendent pas compte aussi que l'anarchisme a été un mouvement... Il y a eu beaucoup de poids politique, surtout, alors, corrige-moi si je me trompe, mais 19e, fin 19e et début du 20e, où c'était quand même une force politique importante qui a complètement disparu avec la révolution russe, parce que c'est ce qui a signifié le triomphe et l'avènement des idées communistes. Et donc, l'anarchisme aujourd'hui n'est que l'ombre de ce que ça a été à une époque, même si ça revient sur des dimensions écologiques.

  • Speaker #0

    Depuis la chute du mur de Berlin aussi.

  • Speaker #1

    Ça revient, oui.

  • Speaker #0

    y compris dans tous les mouvements, alter-mondialisation, etc. Oui,

  • Speaker #1

    c'est vrai que c'est une reprise.

  • Speaker #0

    Il y a eu un retour de l'anarchisme depuis ce moment-là, notamment. Et avec l'écologie, oui, pardon. Et avec l'écologie, oui, complètement. Pour revenir aux épisodes dont tu parles, alors, il y a en effet la commune de Paris qui est, d'une certaine manière, un petit peu pré-anarchiste aussi, parce qu'il n'y a pas encore de mouvement anarchiste constitué, à proprement parler. L'anarchisme a vraiment émergé dans les années 1880.

  • Speaker #1

    Oui, alors que c'est dix ans avant.

  • Speaker #0

    Voilà. La Commune de Paris, c'est 1871. Mais on a quand même des éléments. Déjà, il y a quand même pas mal de Proudhoniens, puisque Proudhon, il meurt en 1865. On a un certain nombre de Proudhoniens qui sont à la Commune de Paris et qui vont avoir un rôle important. Il y a cette idée, en effet, de démocratie plus poussée, avec cette idée que la Commune est vraiment l'entité politique par excellence et non pas l'État. Donc, quand il y a la Commune de Paris, il y a aussi un appel aux autres communes en France pour... qu'elle se soulève. Bakounine, d'ailleurs, est à Lyon à cette époque. Il essaie de faire en sorte qu'il y ait un soulèvement de la commune de Lyon qui foire complètement. Mais dans la commune de Paris, il y a aussi la dimension sociale, évidemment, avec la classe ouvrière qui prend en charge ses ateliers, etc. La dimension de la séparation de l'Église et de l'État, aussi. Et puis, il y a la figure de Louise Michel, qui est un anarchiste, qui va le devenir, en fait, dans son trajet, qui l'emmène au bagne en Nouvelle-Calédonie, où là, elle va... elle va vraiment devenir anarchiste là-bas. Et puis il y a quelque chose qui a été un petit peu oublié aussi, c'est que dans les années 1880-90, on a souvent en tête les attentats anarchistes, mais qui en réalité ne vont être qu'une période assez restreinte dans l'histoire, qui va durer en gros une vingtaine d'années, et qui fait suite d'ailleurs aussi au massacre de la Commune de Paris. Donc souvent ce sont des personnes un petit peu désespérées et en colère, avec un mouvement révolutionnaire qui a été... été décimés et qui voient ces formes de terrorisme comme une forme de dernier espoir. Mais très vite, en réalité, les anarchistes vont se rendre compte que c'est complètement contre-productif, y compris avec un rejet des masses populaires envers ce genre d'action. Et donc très vite, les anarchistes, en réalité, ils vont s'investir dans les syndicats, et notamment le syndicalisme révolutionnaire. Et donc, comme je disais, la chose qui a été un petit peu oubliée, c'est que la CGT, dans ses origines, notamment avec la charte d'Amiens, être anarcho-syndicaliste, ou syndicaliste révolutionnaire, mais très proche des thèses anarchistes. Avec l'idée que, déjà, ça ne doit surtout pas être chapeauté par des partis. Le fait que le but du syndicalisme, ça doit être aussi à terme l'émancipation générale des travailleurs avec des formes d'autogestion, donc clairement anticapitaliste, et avec une critique de l'État aussi très importante. Donc ça aussi, c'est quelque chose qui va... périclité, comme tu le disais aussi, avec la révolution bolchévique, où là, la CGT va être noyautée petit à petit par les communistes.

  • Speaker #1

    Pour finir, on peut aborder ton troisième thème. Ça fait le lien avec ce que tu décris sur la question justement de, aussi, la violence, mais donc le troisième thème qui était le conflit et la guerre. Comment est-ce que tu articules ces questions-là avec l'anarchisme ou pas, d'ailleurs ? Est-ce que l'anarchisme est une... réponse, peut-être, ou pas ? Comment tu envisages un peu cette réflexion ?

  • Speaker #0

    Cette réflexion, en effet, elle est à multifacettes. Il y a cette idée qu'avec l'anarchisme, on va peut-être conjurer, en tout cas, la plus grande partie des causes de la guerre. C'est quelque chose qu'a déjà développé un petit peu Proudhon dans son ouvrage La guerre et la paix. C'est-à-dire que la guerre, elle est due à quoi ? Dans son ouvrage, Poudon dit que la guerre est principalement due à des raisons économiques. Cette idée que la répartition n'est pas faite équitablement. Donc d'une part, il y a ceux qui en manquent qui vont vouloir les ressources qui leur manquent. Donc ça va pouvoir être une cause de violence qu'on va pouvoir davantage retrouver dans le schéma de guerre civile, plus en termes internes. Et puis, il y a l'État qui va aussi toujours chercher... a augmenté sa richesse, et donc ça, ça va se développer aussi par des formes d'impérialisme économique, qu'on va retrouver en réalité depuis les débuts de l'humanité jusqu'à aujourd'hui. Alors cet impérialisme, il est plus ou moins brutal, il peut se faire... au XIXe siècle avec le colonialisme, maintenant peut-être davantage avec de la diplomatie économique, quand bien même il y a les entreprises aussi qui peuvent être très offensives. La guerre, c'est aussi la résultante d'une volonté de domination, qui n'est pas nécessairement d'ordre économique. On peut vouloir dominer aussi, y compris juste pour humilier, par exemple. Donc ça va juste relever de la psychologie sociale. On va pouvoir dominer pour avoir un territoire plus important, pour se sentir plus... plus grand, plus fort, etc. Donc, tout l'intérêt de l'anarchisme aussi, ça va être de conjurer ces différentes causes qui vont relever avant tout de cette volonté de domination ou d'exploitation. Et pour ça, il y a cette idée qu'un problème majeur qui se pose actuellement et depuis très longtemps, c'est la concentration du pouvoir. Du pouvoir en termes, là aussi, politiques, en termes de richesse, en termes de... en termes de charisme, en termes de responsabilité. Ça peut se décliner sur plein de choses différentes. Mais c'est cette idée de concentration. Et donc la meilleure manière de conjurer cette concentration qui va amener à la guerre et au conflit, c'est précisément des formes de déconcentration. Cette déconcentration du pouvoir, elle va permettre à la fois d'être sur du local, donc le local, la petite commune, elle ne va pas s'amuser. à aller faire la guerre à l'Union Européenne. Parce que déjà, elle sera prise aussi dans les réseaux de la fédération où les autres instances vont dire Non, tu déconnes, on ne va pas les attaquer. Et d'autre part, sur la défense aussi, s'il se trouve qu'il y a une attaque par un État qui existe toujours, il y a une solidarité qui va pouvoir se faire entre les différentes entités autonomes, autogérées, etc. Il y a des pactes fédérales un pacte fédéral qui va pouvoir être très important. Donc, impuissance sur l'attaque, mais au contraire, être très fort sur la défense et en faisant en sorte que les individus, mais aussi les entités politiques, etc., soient le plus autonome et du coup aussi les plus responsables possible. Moi-même, j'ai interviewé un diplomate très intéressant qui est peut-être... en tout cas à ma connaissance, un des seuls diplomates anarchistes au monde. Après, il y en a peut-être qui le sont sans le savoir. C'est quelqu'un qui s'appelle Ken Ross, qui était un diplomate britannique et qui a travaillé pour Tony Blair à l'époque de la guerre en Irak. Il a travaillé aussi à l'ONU, etc. Et il a démissionné juste après la guerre en Irak. Et lui, son constat, et c'est ce que je disais un petit peu aussi depuis le début de ce podcast, C'est que, déjà, les gouvernements sont complètement déconnectés du réel et que lui-même, parfois, faisait des rapports à ce qu'on appelle la centrale, le gouvernement central, en regardant la BBC, parce qu'il ne savait pas lui-même ce qui se passait sur le terrain alors qu'il était en ambassade. Et il disait, il y a plein de moments où j'ai vu de la violence et de la guerre, souvent pour deux raisons. Souvent, quand la... quand des violences éclataient, et là, il parle de son terrain, notamment en ex-Yougoslavie, c'est parce que les individus pouvaient se révolter. Ils n'étaient pas entendus. Ils se révoltaient notamment contre les institutions de l'ONU, qui centralisaient toutes les décisions. Et les dépossédaient,

  • Speaker #1

    en fait.

  • Speaker #0

    Les dépossédaient complètement. Et donc, il pouvait y avoir aussi des fights entre ethnies, tout simplement parce que c'était l'ONU qui avait pris des décisions à l'accord. à con. Alors que si les communautés avaient été intégrées, on aurait sûrement pu éviter ce genre de choses. Et puis, il y a un deuxième élément. On t'y parle en... Alors, c'était en Afghanistan. Et il dit en Afghanistan, nous, dans un premier temps, ce qu'on voulait, c'était la sécurité. Et il me dit, mais les Afghans, la première chose qu'ils voulaient aussi, c'était la sécurité. Le problème, c'est qu'on avait deux conceptions de la sécurité différentes. Eux, ce qu'ils voulaient avant tout... dans les organisations internationales et lui dans l'État britannique, c'était faire en sorte que l'État islamique soit complètement dégagé. Et pour ça, ils ont misé sur un acteur, enfin sur plusieurs, qui étaient les chefs de tribus, mais dont il se trouve qu'elles faisaient du trafic de drogue. Et donc, ils ont armé ces chefs de tribus pour qu'ils virent l'État islamique. Le problème... C'est que c'est une fois que l'État islamique a été négatif,

  • Speaker #1

    il restait ces gens-là.

  • Speaker #0

    Il restait ces mecs-là. Et donc, ils formaient des mafias. Et donc, l'Afghanistan est devenu un État de narcotrafic complètement chaotique. précisément parce que des organisations internationales et des États ont favorisé certains acteurs plutôt que d'autres au nom d'une certaine forme de sécurité. Alors que là encore, si les habitants avaient été intégrés, etc., la société civile dans son ensemble, y compris les tribus, l'ensemble de la société n'aurait peut-être sans doute pas eu ce genre de problème.

  • Speaker #1

    Je vais poser une dernière question parce que l'horloge tourne. c'est très intéressant mais il va falloir que malheureusement on s'arrête un jour dans ce podcast qu'est-ce que tu répondrais aux gens qui peut-être certaines personnes en nous écoutant se font la réflexion ouais mais c'est bien beau tout ça mais est-ce que c'est pas un monde de bisounours qui pense que qui ne marche que si on considère que les gens sont tous gentils et bienveillants les uns envers les autres qui est un reproche qu'on fait souvent à l'anarchisme quelle serait ta réponse ?

  • Speaker #0

    Là-dessus la meilleure réponse est donnée par un anarchiste italien de la fin du 19ème siècle qui s'appelait Enrico Malatesta Et d'ailleurs, si vous voulez lire des livres très vulgarisés, très simples à lire pour comprendre ce qu'est l'anarchisme, les petits livres de Malatesta sont très très bien. Alors Malatesta, qu'est-ce qu'il dit dans un livre qui s'appelle Au café Parfois, il a des bouquins qui sont des dialogues. Du coup, c'est vachement intéressant. Et justement, il y a une des personnes au café qui lui demande ça. Là, tu vis quand même un peu dans un monde de bisounours. En effet, l'anarchie, ça pourrait marcher que si les gens étaient bons, étaient gentils. Et Malatessa, il dit un truc, il dit, écoute, en réalité, peut-être que c'est le contraire. Alors après, il est aussi un petit peu provoque, mais en réalité, dans la théorie anarchiste, il n'y a pas d'idée de nature humaine bonne ou mauvaise. Il y a une ambivalence liée aux institutions, à ce que les gens font, etc. Il dit, c'est précisément parce que les gens... peuvent être mauvais que les anarchistes disent qu'il ne faut pas concentrer le pouvoir. Parce qu'une personne mauvaise, quand elle a le pouvoir, elle va décupler les choses mauvaises, les actions mauvaises. Alors que si on conçoit des institutions qui précisément arrêtent le pouvoir potentiellement nocif des individus, ça se passera beaucoup mieux en réalité. Donc au contraire, je pense que la théorie anarchiste est une des théories... plus réaliste en philosophie politique.

  • Speaker #1

    J'ai eu cette émotion dont on parlait au début, le plaisir de tout d'un coup la petite pirouette intellectuelle qui désarçonne. Je m'arrêterai sur cette émotion. Merci pour cet entretien. Merci Edouard Jourdain.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup à toi.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un entretien du Fil d'Actu. J'espère que l'épisode vous a plu et avant de se quitter, je voulais vous dire un petit mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant. et sans publicité, et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien, et on se retrouve mercredi pour un nouvel épisode du Fil d'actu.

Description

Et si la philosophie vous réconciliait avec l'anarchisme ?


⚡ Qu’est-ce que l’anarchisme ? Est-ce, comme on le pense souvent, le chaos et la loi du plus fort ? Ou est-ce, au contraire, une organisation politique juste et éthique, la plus adaptée à notre nature humaine ?

Ce sont les questions que j’ai posé au philosophe Edouard Jourdain, spécialiste de l’anarchisme, qui réfléchit au croisement de la philosophie et de la science politique. Il cherche à penser les mécanismes de pouvoir et les institutions, les origines de notre croyance presque aveugle en l’économie, et les possibilités d’émancipation collective à travers une refonte totale de notre système politique.

Dans cet épisode, vous allez entendre des propositions puissantes, radicales, qui bouleversent notre conception habituelle du monde. Alors, accrochez-vous, et je vous garantis qu’à la fin de cet épisode, vous serez devenus un peu anarchistes.


📚 Le dernier livre d'Edouard Jourdain, Maîtriser les conflits par les communs, est disponible ici.


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Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui remet la philosophie au cœur de l'actualité. Ici, pas de philo prétentieuse et déconnectée du monde, mais une philo accessible et ancrée dans la société. Tous les mercredis, je vous propose une chronique commentant l'actualité et, une fois par mois, l'interview d'un ou d'une philosophe contemporaine. Prêt et prête pour une philosophie vivante et engagée ? Bienvenue dans le fil d'actu. Qu'est-ce que l'anarchisme ? Est-ce, comme on le pense souvent, le chaos et la loi du plus fort ? Ou est-ce au contraire une organisation politique juste et éthique, la plus adaptée à notre nature humaine ? Ce sont les questions que j'ai posées au philosophe Édouard Jourdain, spécialiste de l'anarchisme, qui réfléchit au croisement de la philosophie et de la science politique. Il cherche à penser les mécanismes de pouvoir et les institutions, les origines de notre croyance presque aveugle en l'économie et les possibilités d'émancipation collective à travers une refonte totale de notre système politique. L'anarchisme pourrait mener à la paix, contrairement au capitalisme. Dans cet épisode, vous allez entendre des propositions puissantes, radicales, qui bouleversent notre conception habituelle du monde. Alors, accrochez-vous et je vous garantis qu'à la fin de cet épisode, vous serez devenus un peu anarchistes. Bonjour à toutes et à tous. Bonjour Edouard Jourdain.

  • Speaker #1

    Bonjour Alice.

  • Speaker #0

    Merci d'être dans le fil d'actu.

  • Speaker #1

    De rien, merci à vous. Je suis ravi d'être là.

  • Speaker #0

    Alors, je vais commencer par une première question. Qu'est-ce que c'est pour toi la philosophie ?

  • Speaker #1

    Pour moi, la philosophie, si on reprend le terme du sujet, c'est souvent comme ça qu'on commence, en tout cas, a priori en philosophie, c'est l'étude de la sagesse. Mais moi, ce n'est jamais quelque chose qui m'a intéressé comme tel pour ça. Moi, je n'ai pas fait de la philo pour penser ce que pouvait être la sagesse de la vie ou je ne sais quoi. Moi, en fait, j'ai commencé par la science politique parce que c'est une discipline qui me paraissait la plus ancrée dans la cité. Moi, ce qui m'intéressait, c'était la cité au sens large, c'est-à-dire la vie politique. La cité, c'est la police en grec, la vie de la cité. Et via la science politique, je me suis intéressé à la philosophie aussi, au sens où pour moi, la philosophie, c'est ce qui permet à la fois de donner un sens aux événements, à l'histoire, etc. Mais ça va aussi avoir une dimension normative. Et c'est pour ça que moi, je m'intéresse beaucoup à la philosophie politique. Donc moi, je suis un petit peu à cheval entre la philo et la science poste, qu'on peut appeler la philosophie politique ou la théorie politique. C'est-à-dire, pour les Grecs, c'était quelle est la forme de meilleur régime, de meilleur gouvernement ? Moi, je l'entends au sens un petit peu plus large, c'est-à-dire, en effet, à la fois comment on peut donner un sens à la vie de la cité être aussi les meilleures institutions possibles.

  • Speaker #0

    D'accord, donc la science politique, ce serait décrire, si je reprends ce que tu dis, et la philosophie irait un petit peu plus loin, on dirait, oui d'accord, on décrit mais voilà ce qu'il faudrait faire, ou en tout cas, réfléchissons à ce qu'il faudrait faire ensemble.

  • Speaker #1

    On va un petit peu plus loin que ce qu'on appelle en science politique aussi le positivisme ou la sociologie politique, c'est-à-dire uniquement la description. Et d'ailleurs, en science politique, très souvent, on va séparer, comme disait un un sociologue qui s'appelait Max Weber, les faits des valeurs. Donc, le savant, son seul boulot, c'est de décrire des choses et c'est tout. Les valeurs, il les garde à la maison, chez lui. C'est son opinion personnelle, mais on n'en a rien à faire, j'allais dire. Ça, c'est très intéressant d'avoir une description, j'allais dire, la plus réaliste possible des faits. Mais pour ma part, je trouve qu'on ne peut pas en rester là. Et c'est là aussi le rôle du... du savant dans la cité ou même du politiste. Il y a plusieurs écoles aussi là-dessus en Sciences Po. Moi, je pense qu'il faut avoir aussi un rôle assumé, en quelque sorte, et subjectif, parce que parfois, on a un petit peu le point de vue du savant surplombant aussi, en mode, je sais tout, je connais tout, je suis dans l'objectivité, mais tout ça, c'est du pipeau, en réalité. Et de l'autre, on fait un petit peu d'épistémologie, la philosophie des sciences. On sait que c'est du pipeau. Bien sûr. Donc, c'est d'une énorme arrogance épistémique, c'est un gros mot aussi, mais de prétendre qu'on a un savoir objectif sur quelque chose. Bien sûr. Ce qui est complètement absurde, dès lors que, ne serait-ce que pour choisir un sujet, c'est subjectif. Je pense que c'est beaucoup mieux d'avoir un point de vue subjectif assumé et de le déclarer tout de suite. Et à partir de ce point de vue subjectif assumé, c'est qu'est-ce qu'on fait de cette description du réel qu'on a ? Parce que c'est très bien de pouvoir expliquer des choses, des événements, des institutions, l'économie, etc. Mais après, ce what qu'est-ce qu'on en fait ? Ça sert à quoi de décrire tout ça ? C'est bien pour en faire quelque chose. Donc c'est soit pour dire c'est bien, ça marche, c'est juste etc. Soit ça marche pas, ça déconne Et il faudrait peut-être faire ceci ou cela pour que ce soit mieux, plus juste, etc. Et c'est là, à mon avis, le rôle du philosophe politique ou du politiste qui assume sa subjectivité.

  • Speaker #0

    Je suis absolument d'accord avec toi. C'est tout à fait la vision que je porte dans mon travail, dans mon podcast. Et c'est intéressant parce que c'est quelque chose que les gens n'ont pas forcément en tête d'une manière aussi claire. Et moi, on m'a souvent dit... Ah, mais ce que tu fais, ce n'est pas de la philosophie, c'est de la politique. Donc, ça résonne totalement avec ce que tu dis. Et je suis totalement d'accord avec le fait que nous sommes tous situés, on a tous une subjectivité, tous et tous. Donc, il est impossible de prétendre à une objectivité. Au contraire, c'est un peu du mensonge. On avance masqué. Et je suis d'accord avec ta posture de dire, moi, je préfère assumer très clairement quelle est ma posture. Comme ça, au moins, vous savez à qui vous avez affaire. Et parlons ensemble à partir de ces postulats-là. Il n'y a rien de plus énervant, je trouve, quand on est un philosophe. qui prétend avoir une démonstration absolue. Et au bout de je ne sais pas combien de pages, on se rend compte qu'il y avait un énorme postulat caché, une énorme croyance en fait, parce que c'est l'art de la croyance. Et donc toi, qu'est-ce que tu réponds quand on te dit ça ? Quand on te dit oui, mais ce que vous faites, ce n'est pas de la philo, c'est de la politique.

  • Speaker #1

    Moi, on ne me dit pas ça en fait. Alors, on peut me dire presque l'inverse. On peut me dire, vous ne faites pas de la science politique, vous faites de la philo. Donc, il y a aussi ce double truc. Donc moi, je suis vraiment entre, je vais dire le cul entre deux chaises, justement entre la philo et la science politique.

  • Speaker #0

    pour,

  • Speaker #1

    je peux avoir la critique des deux bords. Soit je suis trop politiste, soit je suis trop philosophe. Donc, à chaque fois, je réponds, bah ouais, mais écoute, l'autre discipline me dit l'inverse. Je suis peut-être dans le juste milieu. Donc oui, moi, je dis que je fais de la politique et c'est complètement assumé. Après, souvent aussi, je peux rétorquer en quelque sorte qu'eux aussi, d'une manière, ils font de la politique. Tout à fait. Il suffit que je lise le moindre de leurs écrits et je vais leur dire, voilà, telle est ta position politique. Donc, en fait, en réalité, ça se dévoile très vite, ce genre de choses, y compris dans une philosophie qui se voudrait la plus abstraite possible. En réalité, quand on déroule le postulat, on en arrive toujours à quelque chose de politique et on voit comment est située la personne.

  • Speaker #0

    Totalement d'accord avec toi. On va arriver à tes thèmes après, aux thèmes que tu as choisis, parce que tes thèmes sont très marqués politiquement. Je voudrais juste terminer sur ce sujet un peu de la philosophie. Quelle serait l'émotion première qui fait faire de la philosophie ou qui est le moteur de la philosophie pour toi ?

  • Speaker #1

    C'est une bonne question que je ne me suis pas souvent posée moi-même, je t'avoue. Moi, quelque chose que j'adore dans mes recherches, c'est ce sentiment d'étonnement et d'avoir découvert quelque chose. Alors parfois, ça peut être peut-être faux ou très prétentieux, ou cette idée de dire Ah, là, j'ai trouvé un truc. que j'avais vu nulle part, où j'ai compris quelque chose que je n'avais pas compris. Cette idée, cette émotion d'étonnement et d'émerveillement, de satisfaction, de découvrir quelque chose. C'est cette découverte que je mettrais en premier plan.

  • Speaker #0

    Je me souviens de l'impression souvent, quand je faisais ma thèse ou mes recherches, l'image d'un éclair. qui vient, qui surgit une espèce d'épiphanie, d'un éclair extrêmement puissant.

  • Speaker #1

    C'est Deleuze qui disait, alors lui il parlait de la création de concepts, mais il disait c'est une fête. Et ce n'est pas tous les jours la fête non plus. Donc moi, quand ça m'arrive, je ne sais pas, peut-être deux, trois fois par an, déjà je suis content.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Je vais revenir un petit peu à ton parcours. Tu dis que tu as fait sciences politiques et philosophie, que tu as un parcours qui est explicitement politique, un positionnement qui est explicitement politique. Est-ce que tu peux nous parler de ton éveil philosophique personnel, du choix de tes thèmes ? Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, tu travailles sur des philosophies et des pensées comme l'anarchisme ?

  • Speaker #1

    Moi, je dirais que mon premier éveil philosophique, il est politique aussi, c'est quand j'avais une quinzaine d'années et que j'étais au lycée. J'étais très mauvais élève, je partais complètement en sucette à 14-15 ans, j'ai eu une grosse crise d'ado pendant deux ans. Et c'est par la découverte d'un auteur qui m'a un petit peu presque sauvé la... la vie ou en tout cas remis sur le chemin de choses un peu plus sérieuses et ou en tout cas constructives, qu'elle a découverte d'un auteur français qui s'appelle Pierre-Joseph Proudhon et qui est le premier théoricien de l'anarchisme. Dans son ouvrage en 1840, Qu'est-ce que la propriété ? Souvent on connaît, ou il aurait répondu, c'est le vol, qui est une formule d'ailleurs souvent mal comprise. Mais c'est le premier auteur qui, dans cet ouvrage, se réclame anarchiste au sens positif du terme, où il dit je suis... tout à fait ami de l'ordre, mais je me réclame anarchiste et il développe son truc. Et ça m'avait fasciné à ce que je me disais, mais ce gars quand même, il est sacrément couillu. Et il y a un côté paradoxal, c'est comment on peut se réclamer à la fois ami de l'ordre et anarchiste. Enfin, pour moi, c'est cette figure du paradoxe aussi, d'ailleurs, qui m'a toujours fasciné. Et du coup, je me suis intéressé à son œuvre et j'ai creusé cette notion d'anarchisme qui m'a poursuivi jusqu'à nos jours. À côté de l'anarchisme, il y a notamment deux ou trois thématiques qui m'intéressent beaucoup. La question du lien entre religion et politique, ce qu'on appelle aussi le théologico-politique, que moi j'ai décliné aussi avec l'économie. La question du conflit et de la guerre, et la question de justice, commun, etc. Il y a plusieurs pistes que j'essaie de creuser en parallèle pour essayer d'en faire quelque chose de cohérent.

  • Speaker #0

    Ce qu'on peut faire, c'est prendre ces trois pistes les unes après les autres, parce que ces trois sujets, je pense, qui intéressent beaucoup les gens et qui sont souvent mal connus. Rien que l'anarchisme, on va en discuter, mais lié anarchisme et ordre, c'est sûr que ça surprend toujours un peu quand on dit que Proudhon était un fan de l'ordre. C'est vrai que les gens sont étonnés parce que l'anarchisme est devenu dans le langage courant synonyme de désordre, justement. Alors, est-ce que tu peux nous résumer, pour des gens qui n'ont jamais entendu parler de l'anarchisme ? Qu'est-ce que c'est que l'anarchisme ? Alors, si vous avez déjà écouté le fil d'actu, vous savez un peu ce que c'est. Mais on peut reprendre.

  • Speaker #1

    Oui, alors, le fait que l'anarchie soit synonyme de chaos, désordre, en réalité, ce n'est pas neuf. Ça fait depuis très longtemps qu'anarchie va être synonyme de chaos, déjà chez les philosophes grecs. Pendant la Révolution française aussi, on traitait les anarchistes, enfin, on traitait d'anarchistes, pardon, les démocrates. Les démocrates, petit à petit, ont été acceptés. adopté dans leur théorie, qui est celle du gouvernement du peuple par le peuple. Et dès lors, ils n'ont plus été taxés d'anarchistes parce que c'est rentré dans les mœurs, c'est la démocratie est devenue un régime d'ordre. Alors que ce n'était pas du tout gagné au XVIIIe siècle. La démocratie, c'était l'anarchie.

  • Speaker #0

    C'était hérité des Grecs aussi, ça, parce que chez Aristote, enfin chez Platon surtout, la démocratie, c'est le gouvernement des mauvais. Oui, oui.

  • Speaker #1

    Il y a cette idée que la... Chez Platon, en effet, c'est particulier parce que lui est justement antidémocrate. Chez Aristote, l'anarchie, ça va être la démocratie dégénérée. Début du XIXe siècle, il y a deux éléments qui vont rentrer en compte historiquement pour penser aussi à l'anarchisme. C'est le développement et l'institution moderne de l'État tel qu'on le comprend actuellement. L'État régalien avec un territoire bien défini, un chef d'État. Etats, des ministères, une administration, etc. Et le deuxième élément qui va être important, c'est la question sociale avec la question ouvrière, et donc la question sous-jacente du capitalisme. Donc, d'ailleurs, c'est pas par hasard si le premier livre de Proudhon porte sur la propriété. Lui-même, d'ailleurs, il a cet avantage d'être un des seuls théoriciens socialistes au sens large, puisqu'on va pouvoir classer l'anarchisme dans le socialisme, un des seuls théoriciens qui est d'origine populaire. La plupart, ils sont d'origine nobles. bourgeoise ou de classe moyenne, en réalité. Lui, il a son père qui était brasseur, sa mère paysanne, et donc il a vraiment cette fibre populaire très ancrée en lui, et il se demande au début de ce bouquin, qu'est-ce que la propriété, mais comment ça se fait qu'il y ait un Louis-Philippe qui soit mille fois plus riche que moi, qui n'ai même pas de quoi m'acheter des bouquins pour faire mes études. Et donc il part de ce constat très basique, très ancré dans une expérience réelle. C'est à partir de ce postulat, de cette expérience, qu'il fait son enquête et se dit comment ça se fait qu'il y ait tant d'inégalités dans le système dans lequel on vit. Et donc là-dessus, il va accuser la propriété dans un sens bien précis du terme, qui est la propriété privée capitaliste des moyens de production. C'est-à-dire, pour faire très vite, la capacité pour un individu d'user de son capital sans travail. On est propriétaire d'une entreprise, d'un bien immobilier pour obtenir des loyers, etc. Donc c'est tout ce qui permet d'obtenir...

  • Speaker #0

    On est actionnaire chez Total. Voilà,

  • Speaker #1

    actionnaire chez Total. Tout ce qui permet d'obtenir du capital sans travail. Et puis, il y a un autre élément que Proudhon va vite attaquer, déjà dans Qu'est-ce que la propriété ? mais après encore davantage à la fin des années 1840, avec notamment la révolution de 1848, etc., où il va attaquer très frontalement l'État, et y compris la démocratie représentative. Où il va dire, le problème, c'est qu'on va avoir toujours, en gros, des gouvernants, des gouvernés, des dominants, des dominés, qui en réalité... n'expriment en rien la volonté du peuple. Et qu'est-ce que le peuple ? Le peuple, c'est aussi une image, une fiction. Le peuple, il est pluriel, il est très divers, etc. Et en réalité, quand des personnes sont élues au suffrage, qui plus est au suffrage universel, donc avec une sorte de mandat en blanc, ces gens-là, ils ont tous les pouvoirs en réalité, même s'ils sont limités par une constitution et des institutions, mais ils ne sont pas du tout redevables envers les citoyens. Et en réalité... les citoyens se plaignent sans arrêt que les programmes ne sont pas accomplis parce qu'en réalité la classe gouvernante n'a aucune obligation vis-à-vis des citoyens.

  • Speaker #0

    Ça résonne beaucoup aujourd'hui. On aura le temps d'en discuter tout à l'heure mais ça n'a pas pris une ride.

  • Speaker #1

    Son argument, ça va être de dire qu'en réalité le désordre il vient d'abord d'en haut. Ça peut paraître un petit peu paradoxal et contre-intuitif. Mais il va dire que le gouvernement, c'est un semblant d'ordre. C'est déjà un ordre très subjectif, c'est-à-dire qu'il va être imposé par un ou quelques individus qui vont dire, eux, voilà ce que doit être l'ordre. Et en réalité, Proudhon va dire que le gouvernement va être sans cesse en proie à des insurrections, des révolutions, des crises, etc. Précisément. parce qu'il crée le désordre. Donc la question de Proudhon, ça va être comment concevoir un véritable ordre politique et pas un semblant d'ordre qui est toujours voué à des crises, à des révolutions, à des révoltes, etc. Qui sont des manifestations, en réalité, que le système ne marche pas et est une forme de désordre.

  • Speaker #0

    C'est vraiment l'oligarchie, enfin en tout cas, ceux qui gouvernent, le petit nombre de personnes qui gouvernent. qui vont générer le chaos et le désordre. C'est ça ce que dit Proudhon.

  • Speaker #1

    Exactement. Ça ne revient pas nécessairement sous sa plume, mais quelqu'un comme Castoriadis, qui est un philosophe plus récent, lui parle d'oligarchie libérale. Et c'est exactement ce qu'a en tête Proudhon quand il parle du gouvernement représentatif.

  • Speaker #0

    Et si je ne me trompe pas, Proudhon a été député en plus.

  • Speaker #1

    En effet, Proudhon a été député. Et ça, c'est quelque chose qui a fait beaucoup l'œuvre de polémiques, y compris à son époque, ensuite par les anarchistes, etc. un certain nombre d'anarchistes, qui vont dire mais oui, Proudhon n'est pas du tout en accord avec ses idées, parce que lui-même se fait élire à l'Assemblée, etc. Mais lui-même va le dire dans ses écrits, dans ses journaux, ses carnets, etc. Lui-même n'est pas dupe, avant même de se présenter, il est contre le système représentatif. Mais va-t-il dire l'Assemblée peut néanmoins, dans le système actuel tel qu'il est, être une tribune ? Donc lui, il y va, en fait, non pas tant pour représenter des gens, ce qui est une absurdité pour lui, pas non plus pour prendre des décisions, parce qu'il ne fait partie d'aucun groupe et il n'est suivi par aucun vote dans l'Assemblée, mais c'est avant tout pour faire connaître ses idées. Et c'est en cela qu'il voit son rôle à la députation. Et c'est une manière aussi pour lui de voir de l'intérieur comment ça marche. Il y a ce côté, parce que Proudhon, il était journaliste aussi. Pendant 4-5 ans, en gros entre 1846 et 1852, il est journaliste, il a des journaux d'ailleurs, il est chef du représentant du peuple, la voix du peuple notamment. Et donc lui, ça l'intéresse de savoir comment ça marche cette embouille de l'intérieur, pour après avoir aussi une critique d'autant plus juste, et il ne s'en prive pas. Parce que dès 1848, quand il est élu, c'est à cette époque qu'il a ses écrits les plus radicaux et les plus anti-gouvernementaux. Après, il se calme un petit peu, mais de 1848 à 1851, on a un anti-étatisme radical de la part de chez Proudhon, au point même que, dans sa théorie, ne doit plus exister que des entités économiques qui se coordonnent sans qu'il n'y ait plus même d'institutions politiques. Il va revenir un petit peu là-dessus à la fin de sa vie, dans les années 1860, en parlant de fédéralisme, du principe fédératif, qui est un de ses ouvrages. qui est un concept d'ailleurs très important pour les anarchistes, qui est comment on coordonne des institutions politiques avec des formes de démocratie directe, locale, qui peuvent passer après d'un échelon supérieur à un autre s'il y a des problèmes à régler qui sont transversaux. Et donc comment coordonner ces institutions politiques en partant de la commune, de la région, département, etc. Et comment ils se coordonnent avec des entités économiques, des entreprises autogérées, etc. Pouvoir répondre aux besoins des habitants. Donc ça c'est là-dessus qu'il va développer sa notion de fédéralisme. Parfois on parle de fédéralisme intégral ou fédéralisme libertaire, dans la mesure où déjà il s'agit d'un système... Sous forme de démocratie directe, c'est-à-dire en sciences politiques, on parle de bottom-up, c'est-à-dire qu'on va partir de la base pour arriver au sommet, et non pas top-down, ce qui est le fédéralisme classique, comme aux États-Unis par exemple, où on part du sommet et les décisions sont prises pour être appliquées ensuite à la base. Donc fédéralisme bottom-up et ensuite intégral, parce qu'il prend aussi en compte l'économie, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des théories du fédéralisme politique. Donc l'anarchisme aussi c'est ça, c'est... comment concevoir des formes de démocratie, j'allais dire, à tous les étages. Donc à la fois en termes politiques, on part toujours du local, même si ça ne s'y réduit pas, évidemment, et les problèmes sont globaux, même au sens planétaire, et c'est pour ça que l'anarchisme aussi est internationaliste. Donc niveau local et niveau économique aussi, puisqu'il s'agit de repenser des formes de production et de consommation qui dépassent le capitalisme.

  • Speaker #0

    Alors, tu parlais de la... de la propriété tout à l'heure. Proudhon fait une distinction, si mes souvenirs sont bons, avec la possession. Est-ce que tu peux nous expliquer la différence ? Parce qu'est-ce qu'il s'agit d'abolir complètement la propriété, au sens un peu courant où on l'entend ? Est-ce que ça veut dire que plus rien ne t'appartient ? Ou est-ce que, justement, c'est une façon différente de penser la propriété ? Est-ce que tu peux nous éclairer un peu là-dessus ?

  • Speaker #1

    Alors ça, en effet, c'est très important. Lui, il fait bien la distinction entre les deux. La propriété qui va avoir une connotation péjorative chez lui, qui, pour lui, est toujours la propriété. capitaliste et la possession. Donc, en effet, on peut tout à fait posséder des choses, et même pour lui, fils et arrière-petit-fils de paysan qu'il est, c'est très important même de pouvoir posséder sa maison, sa terre, pour y faire cultiver ses légumes, ses fruits, faire paître son bétail, etc. Donc, évidemment, non, lui, il n'est pas du tout contre la possession, même au contraire. Dans certains de ses écrits, pour lui, la possession va permettre de contrebalancer aussi le pouvoir politique. La propriété, Pour lui, c'est ce qu'il appelle aussi le droit d'homède. C'est ce que je disais un petit peu au début, c'est-à-dire la capacité pour un individu de produire du capital sans travail. C'est ça la propriété. Sinon, il n'y a aucun souci évidemment d'être possesseur de quoi que ce soit, dès lors que les produits que tu en tires ne seront pas induits, c'est-à-dire si tu n'exploites pas quelqu'un grâce à cette possession.

  • Speaker #0

    Et ça, ça fait... Là encore, je parle de mes souvenirs, mais ça ne fait pas l'unanimité parmi les anarchistes, si je ne me trompe pas. Il y a des débats sur la question de la possession. Est-ce qu'il faudrait passer plutôt au droit d'usage ? Ça, c'est plutôt la théorie des communs.

  • Speaker #1

    Oui, alors c'est ça qui est passionnant dans l'anarchisme aussi, c'est qu'il y a énormément de théories très différentes, y compris en termes économiques. En règle générale, on va distinguer deux autres écoles de l'anarchisme. En réalité, il y en a trois autres. Je passe vite, peut-être, peut-être trop vite. Sur l'individualisme anarchiste, on va retrouver avec des personnes comme Stirner, etc. Mais au XIXe siècle, il y aura beaucoup d'individualistes anarchistes aussi, y compris en France, avec cette idée que ce qui doit primer avant tout, c'est l'individu. Et l'individu peut faire absolument tout ce qu'il veut, y compris dans l'usage de ses biens. Donc il ne doit rien avoir au-dessus du moi. Il y a l'école dite davantage collectiviste qu'on va avoir avec un autre... auteur très important qui s'appelle Michel Bakounine, qui lui vient de Russie, et qui lui va dire que la propriété doit être avant tout collective. Donc lui va être un petit peu circonspect contre la dimension parfois un petit peu paysanne qu'on peut avoir de Proudhon, au sens de petit propriétaire, l'idée que le paysan peut cultiver son petit lopin de terre, etc. Et d'ailleurs, Marx ne s'en privera pas en taxant Proudhon de petits bourgeois. C'est cette idée du théoricien qui est attaché à sa petite propriété, alors qu'en réalité, ce n'est pas du tout le cas. Proudhon, il va dire simplement, si un paysan ou un artisan veut conserver sa terre ou ses locaux, foutez-lui la paix, c'est sa liberté. Bakounine, il va dire, pour que ce soit un peu plus collectif, efficace et tout, c'est mieux de tout mettre en commun. En tout cas, tous les moyens de production doivent être... collectif. Il parle bien encore de moyens de production. Il ne dit pas que tout le monde doit habiter dans la même baraque ou faire ensemble à manger, tous dans le même immeuble, etc. Ce n'est pas la question. Quand on parle de la propriété, il faut bien avoir en tête, c'est toujours les moyens de production. Et il y a une troisième école anarchiste qu'on appelle l'anarcho-communisme, qui lui va avoir peut-être un des plus grands succès historiques aussi, qui est développée par Kropotkine à l'origine, qui lui aussi vient de Russie, et qui repose sur un postulat assez simple qui est qu'à terme on va arriver à l'abondance, grâce notamment à... au développement des moyens de production en commun. Et du coup, il a ce même postulat que Marx, qui est de dire qu'on va arriver à une société d'abondance où il n'y aura plus besoin de règles, c'est-à-dire de droits, de redistribution. La question ne se posera pas puisqu'on sera dans l'abondance. Donc la seule règle qui prévaudra, c'est la même que Marx d'ailleurs, c'est de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. Et à partir de là, ça devrait aller. Seulement, contrairement à Marx, évidemment, lui, il ne passe pas par la phase État ou dictature du prolétariat. Pour lui, il va dire, non, ça c'est une énorme erreur. En réalité, la dictature du prolétariat sera en réalité une dictature sur le prolétariat, dès lors qu'il y a toujours une classe dirigeante. Donc voilà un petit peu, en gros, les petites différences qu'il peut y avoir entre ces différents courants. Et en réalité, quand on regarde la mise en pratique... Souvent, il y a un mix entre les trois qui ne sont pas du tout incompatibles en réalité.

  • Speaker #0

    Je reviens sur ce que tu décrivais tout à l'heure, cette idée de fédéralisme bottom-up, qui parle vraiment du peuple, pas de la classe dirigeante avec une certaine verticalité. Est-ce que tu pourrais donner peut-être un exemple assez concret pour vraiment illustrer ce que ça pourrait être ? Évidemment, je pense à la question de l'eau, parce que l'eau, c'est un sujet assez important. Là, en plus, au moment où on enregistre... On enregistre, il vient d'avoir le scandale Nestlé, Nestlé qui s'est approprié de l'eau en bouteille et qui l'a vendue, qui a une fraude estimée à, j'ai noté, 3 milliards d'euros pour avoir vendu en gros de l'eau du robinet. Est-ce que l'eau te paraît être un bon exemple pour illustrer ce que pourrait être une gestion capitaliste de l'eau, une gestion étatique et une gestion anarchiste ?

  • Speaker #1

    Oui, après, il y a énormément de choses qui peuvent être légitimes et différentes. On pourrait parler de... L'eau est d'autant plus frappante que ça peut être qualifié de bien commun, c'est-à-dire de bien nécessaire à la survie de l'homme. Il y a cette idée déjà que d'un point de vue anarchiste ou d'un point de vue des biens communs, l'eau est une ressource qui est indispensable à l'homme et qui dès lors ne peut pas être l'objet d'échanges marchands, ne peut pas être l'objet de concurrence ou pour faire des profits, etc. Et donc là, il y a une dimension, en réalité, politique. Et c'est là qu'on voit la dimension politique de l'économie, notamment chez les anarchistes. C'est-à-dire que l'économie va être toujours soumise à des besoins. Déjà, il y a cette idée que ça ne peut pas faire l'objet, comme je le disais, d'une marchandise. Ça, c'est un premier point. Ça ne peut pas non plus faire l'objet d'une direction par l'État.

  • Speaker #0

    Pour une raison déjà toute simple, c'est que l'État, en réalité, il a un problème, c'est qu'il ne sait pas quel est exactement l'état de la ressource d'eau à tel endroit donné, il ne sait pas quel est exactement le besoin en termes de ressources en eau à tel ou tel endroit, etc. Le problème que toujours l'État va avoir, on l'a vu d'autant plus par exemple avec la crise du Covid, c'est qu'il n'a pas... pas les bonnes informations. Pourquoi ? Parce qu'il va être toujours dans une position de surplomb et donc il essaye de choper les informations mais en réalité c'est très dur pour lui de les avoir, si tant est qu'il essaye de les avoir, ce n'est pas toujours le cas.

  • Speaker #1

    Il est toujours en train de retard.

  • Speaker #0

    Il est toujours déconnecté du réel. Donc les anarchistes partent toujours du principe que c'est toujours ceux qui sont au plus près du terrain qui savent ce qui est le mieux pour eux, comment gérer, etc. Dans le cas de l'eau, ça va être des riverains qui consomment l'eau et qui sont près du fleuve ou de points d'eau en particulier, qui vont avoir un rôle fondamental, déjà en tant qu'habitants, ensuite d'autres en tant qu'ONG, protecteurs de la faune et de la flore, et puis avec des entités économiques aussi qui sont liées au traitement de l'eau, mais ça va être une... une forme de démocratie aussi plurielle au niveau économique pour avoir une représentation réelle et savoir vraiment ce qui est bon pour à la fois pour la ressource, être sûr qu'elle ne va pas tarir avec de la surproduction ou de la surconsommation par exemple, et être sûr qu'on assure les besoins. Donc il y a toujours cette péréquation, c'est comment éviter la raréflexion des ressources avec la surproduction ou la surconsommation, et à la fois aussi comment répondre aux besoins des habitants.

  • Speaker #1

    Ce qui est en fait exactement l'inverse de ce qu'on observe dans la gestion capitaliste. Et je reviens à mon exemple de Nestlé, qui en fait a vidé les nappes phréatiques, a privé l'eau, les habitants des ressources en eau, et qui en plus a fait des décharges de bouteilles en plastique à côté, et donc qui a en fait pillé, vidé la ressource. Donc ça va complètement à l'encontre de l'idée qu'on a souvent que la gestion capitaliste du marché est la plus efficace, la plus efficiente. Et au contraire, ça revient à l'idée d'une démocratie et d'une intelligence collective de la gestion. C'est radical comme renversement.

  • Speaker #0

    Exactement. Et moi-même, j'ai pu beaucoup travailler en épistémologie, notamment sur la question de l'intelligence collective. Et là aussi, c'est passionnant. Il y a énormément d'études qui ont été réalisées, qui rejoignent complètement les thèses anarchistes sur le fait que, y compris pour tout ce qui est prospective, anticipation, conception des problèmes et des solutions, etc. Ça va être toujours quand il y a un maximum. d'individus avec des points de vue différents et qui peuvent être, y compris dans la contradiction. Donc, il n'y a pas cette idée non plus qu'il faille nécessairement être tous d'accord, etc. C'est vraiment cette idée d'intelligence collective qui va permettre à la fois d'identifier les problèmes et de donner des solutions. Chose que, dans le capitalisme, en réalité, on ne va pas avoir puisque déjà, il y a cette dimension hiérarchique, en réalité, qui est aussi très importante dans le capitalisme, avec souvent une direction... qui, elle aussi, est déconnectée contrairement aux salariés. Et puis, une logique, là, purement économique, qui consiste avant tout à maximiser des profits. Pour le coup, le capitalisme, c'est quelque chose de très simple. Un point de vue normatif aussi, c'est faire en sorte que les profits soient les plus importants. Avec tout ce que cela va charrier aussi, en termes de choses sous-jacentes, c'est-à-dire une croissance infinie, donc surproduction et détérioration de tout ce qui est... entités naturelles, exploitation, donc on va faire trimer aussi un max les salariés où on va délocaliser dans les pays qui sont encore plus dans la dèche, etc. Donc en effet, on est complètement dans une dimension inverse à celle des anarchistes.

  • Speaker #1

    Et alors, dans ce cas, l'État, si je suis ce que tu expliques, l'État ne serait pas le plus apte ? à gérer l'eau, pour reprendre cet exemple, parce qu'il a toujours un train de retard, qu'il est trop surplombant, trop éloigné du local. Est-ce qu'il y a d'autres raisons qui peuvent expliquer ça, qui peuvent expliquer le fait que l'État ne soit pas le plus à même, le mieux placé pour gérer ses ressources ?

  • Speaker #0

    Alors, il y a une raison aussi toute simple qui est liée, là encore, à la propriété. Le problème de l'État, quand on parle de nationalisation, par exemple, ou ce qui était le cas... pour être dans la caricature dans l'Union soviétique, mais même quand on parle de nationalisation, y compris au début des années 80, etc. Le problème de l'État, c'est qu'il demeure aussi propriétaire. C'est un propriétaire. Alors son objectif n'est peut-être pas nécessairement le profit, ce qui en fait quand même un avantage par rapport à la propriété capitaliste, mais c'est un propriétaire. Et le problème du propriétaire, c'est qu'il peut faire absolument tout ce qu'il veut de sa propriété. Ce qui pose quand même un sacré problème en termes de démocratie. Et tu parlais de l'eau, il y a un exemple très simple sur ce problème-là, qui s'est passé en Italie dans les années 2000. L'État avait nationalisé l'eau complètement. Et à un certain moment, il avait des problèmes de trésorerie. Donc l'État commence à être endetté de plus en plus à partir des années 90, plein de raisons. Et il se dit, je vais renflouer un petit peu mes caisses, en faisant quoi ? En vendant mes régies d'eau à des boîtes privées. Et là, grosse révolte en Italie. Il se trouve que la gestion de l'eau par le privé a vu les prix multipliés par 10. C'est un bordel innommable, y compris dans la distribution, etc. Et donc il y a un référendum qui est fait par l'État. pour demander aux citoyens est-ce qu'ils veulent la privatisation de l'eau ? Et les citoyens disent non. Mais il y a un problème quand même qui se pose pour eux, et là il y a une sorte de prise de conscience d'ailleurs assez dingue. Ils se disent, le problème, c'est qu'on ne va pas renationaliser parce qu'en réalité, l'État a eu ce pouvoir de privatiser. Comment ça se fait que l'État, qui est censé être garant de l'intérêt général ou de l'intérêt public, puisse vendre un bien ? qui est censé être un bien commun d'intérêt général ? C'est une vraie question. Et là, on a la substance de la contradiction entre État et intérêt général. Et ça, les anarchistes l'ont bien pointé. Il y a un vrai problème juridique sur la question de la propriété, y compris de la propriété publique. Et l'État n'a pas à être un propriétaire. Et donc, il s'agit de comment on va concevoir... des biens communs qui puissent être sous le contrôle des citoyens. Et donc, à partir de ce moment-là, l'eau va devenir un bien commun dont les individus ont droit. Et les individus vont dès lors, à partir de régies collectives, pouvoir contrôler ce bien commun. Donc là encore, ce qui va permettre de faire en sorte que ce bien ne soit pas utilisé ou revendu de n'importe quelle manière, ça va être... un contrôle effectif du peuple dessus. Donc avec un certain pluralisme aussi en termes de contrôle et de contre-pouvoir, afin qu'il n'y ait pas un ou des gugus qui disent je peux en faire ce que je veux

  • Speaker #1

    Oui, en fait, ça rompt avec l'idée que nous allons déléguer une certaine partie de notre souveraineté, de notre pouvoir de décision à un État qui serait un gouvernement d'experts, qui saurait mieux que nous l'intérêt général. Et donc ça rompt avec cette dynamique-là. Cette logique-là pour se dire, nous allons nous réinvestir nous-mêmes dans la gestion de ce qui fait notre collectif et de ce qui nous entoure, en fait.

  • Speaker #0

    Complètement. Alors, là-dessus, les anarchistes sont assez proches de ce que les Grecs, d'ailleurs, dans les premières formes de démocratie qu'on se fait au départ, c'est-à-dire que les Grecs, ils faisaient une grosse distinction entre la doxa et l'épistémé. Donc la doxa, l'opinion, et l'épistémé, la connaissance. Et pour les Grecs, l'épistémé, donc la connaissance, était liée aux experts. Et donc, c'est pour ça que les Grecs pouvaient voter pour des experts. Les experts, c'était le mec qui allait construire les bateaux, ou le stratège, le chef de guerre, etc. Bon, c'est des gens qui étaient vraiment spécialisés. Mais l'épistémé, la connaissance, tout ce qui relevait de l'expertise, n'avait rien à voir avec la politique. Pour eux, la politique relevait de la doxa, c'est-à-dire de l'opinion. Et là, tous les citoyens étaient capables de faire de la politique. Tous les citoyens et des opinions. Et... ils pouvaient débattre de tel ou tel sujet de la cité et prendre des décisions, voter des lois en conséquence. Et donc il y avait vraiment cette distinction très importante. Et en réalité, ce n'est qu'avec l'émergence de la démocratie moderne et représentative au XVIIIe, XIXe siècle, que là, on va associer la politique à de l'expertise, et donc au métier de politique.

  • Speaker #1

    La naissance de la technocratie et de la professionnalisation du politique. Exactement,

  • Speaker #0

    de la technocratie, de la professionnalisation, etc. Mais parce que là aussi, il faut bien avoir en tête l'origine des démocraties modernes. Les démocraties modernes, à l'origine, d'ailleurs, ne s'appelaient pas démocratie. On parlait, les pères fondateurs, aussi bien à CIS en France qu'à Adams ou Ferguson aux États-Unis, parlaient de régime représentatif. mais jamais de démocratie et Sieyès même dans un fameux texte d'un discours dans les années 1789-90 dit la France doit être un régime représentatif, mais en aucun cas une démocratie. Il dit, en gros, ce serait le bordel, ce serait l'anarchie. Et là, il a en tête, évidemment, aussi la démocratie directe grecque. Pour les démocrates modernes, en fait, ils parlent de régime représentatif contre la démocratie. Et en fait, le terme de démocratie va s'imposer que très lentement. En réalité, il va s'imposer au milieu du XIXe siècle. Pourquoi ? Tout simplement parce que fin du XVIIIe, début du XIXe siècle, ça aussi on a un petit peu oublié, mais le suffrage, le vote est réservé à une élite. C'est le suffrage censitaire, il est réservé aux plus riches. Pourquoi les plus riches d'ailleurs ? C'est devenu le critère, ce qui pourrait y en avoir des centaines, des critères de qui doit gouverner. C'est le plus riche parce que le plus riche c'est... Le bon père de famille, celui qui a réussi à bien gérer un patrimoine, etc., à faire fructifier son argent. Et avec l'émergence de l'État moderne, il y a aussi cette idée que l'État doit se développer économiquement. Donc, celui qui sait bien diriger, c'est celui qui sait bien faire tourner une affaire, pour faire vite, et qui donc a un patrimoine, parce que c'est la preuve qu'il sait bien faire tourner une affaire. Donc, ça va être ça, en réalité, le premier critère des démocraties modernes. Et donc ce n'est que petit à petit que le suffrage va devenir universel. En France, c'est le suffrage universel masculin en 1848, et c'est à partir de là que le terme démocratie va s'imposer, parce qu'il y a cette dimension un peu plus universelle. Mais en réalité, la chose n'a pas changé, c'est-à-dire qu'on a toujours des représentants qui vont décider à la place d'autres personnes, et donc avec toujours un rapport très hiérarchique de délégation. comme tu dis, d'un pouvoir, d'un pouvoir politique. Mais après cette délégation, qu'est-ce qui se passe ? Non seulement la personne à qui on a délégué le pouvoir peut faire à peu près tout ce qu'il veut, par rapport au souhait ou à son programme qu'on a pu émettre, et puis d'autre part, après, quel est le pouvoir du citoyen, en termes politiques ? Quel est ton pouvoir, quel est mon pouvoir, en termes de confection des lois, ou en termes d'influence ? sur telle ou telle décision politique ?

  • Speaker #1

    Absolument aucun, oui. On a une illusion de choix pour le vote. Il y a eu zéro. Illusion de choix parce que c'est des candidats qui nous sont imposés, donc on ne les choisit même pas. Et on est censé mettre un bulletin tous les trois ans. Enfin, ça dépend si Macron décide de dissoudre tous les ans, mais absolument aucun. Je voudrais qu'on arrive à un autre de tes thèmes qui est absolument passionnant, je trouve. Tu as écrit un livre qui s'appelle Théologie du capital dans lequel tu expliques... et je pense que ça va pas mal intéresser les auditeurs et auditrices. Tu expliques, et corrige-moi si je me trompe, que nos concepts économiques, qui nous semblent être justement du côté de la connaissance, pour reprendre la distinction que tu faisais tout à l'heure, donc être du côté de l'objectif, que ces concepts économiques, comme le marché, la main invisible, etc., sont en fait non pas des concepts scientifiques, mais ce sont des concepts religieux, théologiques, en tout cas, ils ont des origines théologiques, et que finalement... Nous y croyons aveuglément comme à des croyances religieuses. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu ton analyse ?

  • Speaker #0

    En effet, c'est quelques textes qui m'avaient interpellé. Souvent, on présente le système capitaliste comme le système le plus rationnel, etc. Et bon, il y avait des choses qui m'interpellaient, déjà dans le sens où, pour moi précisément, je trouve qu'il y a de telles absurdités dans le capitalisme que je me dis que ça ne peut pas... ne peut pas être une production issue d'expériences rationnelles et qu'il y a sûrement quelque chose qui vient d'ailleurs. Du coup, j'ai pris différentes catégories de l'économie que j'ai étudiées en essayant de voir d'où ça venait réellement. Il y en a plusieurs. J'ai évoqué le marché, il y a aussi la monnaie, le travail, la question de la marchandise, l'intérêt. Il y avait un certain nombre de choses, la propriété aussi, évidemment. Bref, toutes les catégories qui sont assez centrales dans l'économie politique. On s'aperçoit que c'est très lié à la religion, en fait. Toutes ces catégories de l'économie politique, et qu'en fait, il y a eu des formes de ce qu'on appelle de sécularisation. Donc, on leur a donné un vernis débarrassé de son vernis religieux, mais alors qu'en réalité, le religieux est premier pour ces... catégorie et à mon avis on n'en est pas complètement détaché. Alors, juste pour prendre peut-être un ou deux exemples, que ce soit parlant pour les auditeurs, l'exemple du marché, par exemple, qu'on parlait. Le marché qu'on va pouvoir retrouver, vraiment théorisé par Adam Smith, le marché en réalité c'est quelque chose qui est assez récent tel qu'on le connaît. Parce qu'on se dit, le marché c'est quelque chose qui a existé en tout temps, en tout lieu, etc. Et Adam Smith lui-même va reconduire ce mythe qu'on a encore toujours dans les manuels scolaires d'économie, qui consiste à dire que le premier fait économique, c'est l'échange avec le troc. Et il dit même à Adam Smith, c'est le propre de l'homme, on n'a jamais vu un chien échanger un os avec un autre chien. Et donc à partir de cette idée-là, Smith va dire, le marché c'est quelque chose de naturel, qui a toujours existé, et qui va calquer son idée de marché exactement sur l'idée de providence en théologie. D'ailleurs souvent ça a été oublié, mais Adam Smith lui-même est théologien à l'origine.

  • Speaker #1

    Ah, je ne savais pas.

  • Speaker #0

    quand il enseigne à l'université de Glasgow en Écosse, c'est avant tout dans la chaire de théologie. Et donc, lui, il va toujours allier sa théologie à ses théories économiques. Et donc, la notion de providence qui consiste à dire Dieu règne, mais ne gouverne pas c'est la même chose avec le marché. Le marché règne, mais ne gouverne pas. On n'est pas dans quelque chose de coercitif, d'autoritaire, etc. Mais il y a une justice, comment dire, naturelle du marché. Si tu te retrouves... au chômage ou à la rue, c'est normal. Tu te referas un moment, mais c'est la justice du marché, comme c'est la justice de Dieu ou de la Providence. À un moment, avec ton libre arbitre, tu vas pouvoir te remettre en selle, etc. Cette justification à grands coups de théologie de la Providence, en réalité, au début de l'histoire de l'humanité, n'existe pas, ou très peu. Au début, c'est la religion qui va venir normer, régler. avec du droit, des règles, des tabous, etc. L'ensemble des échanges et de la distribution de la production, etc. Et donc, c'est petit à petit que la société ou le politique va se détacher du religieux. Au Moyen-Âge, on a encore des règles religieuses qui vont précisément venir réguler l'économique, sur l'interdiction du taux d'intérêt, par exemple, on en parlait, sur la limitation des prix, etc.

  • Speaker #1

    Ça, c'était régulé par l'Église ?

  • Speaker #0

    C'était régulé par l'Église et par le séculier, mais qui était très emmanché avec l'Église. Et en réalité, penseurs de cette régulation étaient des théologiens, comme saint Thomas d'Aquin, etc. Donc il y a cette institution religieuse qui va être fondamentale aussi dans cette régulation. Et petit à petit, en fait, il y a ce renversement où l'économique va prendre, d'une certaine manière, la place du religieux aussi. va faire l'objet de mythes, de croyances, etc. sans que ce soit vraiment inquiété. Il y a une forme de naturalisation aussi de l'économie, en tout cas de l'économie capitaliste telle qu'on la connaît, comme il y a pu y avoir aussi une naturalisation de la religion telle qu'elle pouvait exister auparavant, qui avait un poids très important politiquement sur les sociétés. Mais pour les gens, ça paraissait quelque chose de naturel. n'est pas a priori ou peu l'objet de critique.

  • Speaker #1

    Oui, comme ce qu'on vit aujourd'hui, où l'économie est capitaliste. En fait, très peu de gens la remettent en question. Et quand on le remet en question, le postulat de base, c'est bien de croire que le marché alloue efficacement les ressources, que le marché fait pour le mieux.

  • Speaker #0

    L'idée qu'elle est plus efficiente. L'idée que la propriété aussi, au sens capitaliste, c'est quelque chose qui relève d'un droit naturel. Oui. d'un droit de l'homme en fait quasiment d'un droit sacré et divin dans le code civil on parle quand même de la propriété comme un droit absolu le terme d'absolu c'est le vocabulaire théologique d'excellence donc quand bien même il peut être plus ou moins limité par du droit ou de la loi c'est toujours le droit ou la loi qui doit se justifier c'est pas la propriété qui est justifiée a priori comme absolu donc ça va être toujours par exemple... aux législateurs ou au peuple de justifier le fait qu'ils veuillent limiter le pouvoir nuisible de la propriété privée capitaliste.

  • Speaker #1

    Et d'ailleurs, on voit bien avec les réactions que ça suscite quand on met des choses comme ça en question, la propriété ou le marché ou le capitalisme, ça suscite des réactions épidermiques parce qu'on touche à quelque chose qui est un système de croyance, un système de valeur qui est très... très ancré, quasiment primitif.

  • Speaker #0

    C'est un problème de la critique aussi, c'est que la critique du capitalisme va pouvoir être la plus rationnelle possible, elle ne touchera pas aux fondements qui relèvent de la croyance. Et c'est là aussi où je pense, tu vois, tu parlais de sentiments auparavant, mais c'est aussi là qu'il y a peut-être un impensé de la critique et qui, à mon avis, est fondamental et qu'on revoit encore actuellement et qui, à mon avis, est aussi un problème de la gauche. C'est que contre ces mythes ou ces croyances, il faut opposer aussi, alors j'allais dire d'autres formes de mythes et de croyances. Oui, d'une certaine manière, c'est-à-dire en tout cas d'autres manières d'espérer. espérer, de croire, de voir le monde, quelque chose qui va relever aussi de la vie, de l'affect, et pas que du rationnel, pas que quelque chose de je te démontre qu'en réalité tu ne crois rien et que tout ce qui se passe c'est un sentiment d'insécurité ça les gens ne peuvent pas l'entendre, même si tu leur balances dix tableaux Excel avec des statistiques, ça ne marche pas. Donc il faut y opposer autre chose à ce genre de... de croyances ou d'affects un peu mortifères.

  • Speaker #1

    C'est d'ailleurs ça que je trouve, et là je refais le lien avec le thème de l'anarchisme qui t'intéresse particulièrement, mais c'est là où je trouve que l'anarchisme a une puissance subversive. C'est que quand on va critiquer le capitalisme, les gens vont quasiment systématiquement répondre Oui, mais tu ne veux pas du communisme stalinien ? Et je trouve que l'anarchisme, là, et la théorie des communs, ce dont on parlait tout à l'heure, ça désarçonne, ça bouscule tout et ça permet de sortir de cette prison théorique et de se dire, ok, on peut imaginer complètement autre chose, qu'il y a un registre émotionnel super enthousiasmant. C'est super enthousiasmant, ça nous redonne du pouvoir, au sens de participation à la vie citoyenne et démocratique. Et c'est peut-être là-dessus, et en ça, peut-être qu'il y aurait et qu'est-ce que tu en penses, une actualité de l'anarchisme, c'est un courant qui est très vivace aujourd'hui, qu'elle serait pour toi l'opérativité, l'efficacité concrète de l'anarchisme dans les réflexions, dans l'actualité politique aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Elle est de plein de sortes, sur plein de dimensions différentes. Je pense que c'est très difficile de répondre à ça de manière très précise, mais par rapport à ce que tu disais auparavant sur cette prison dont tu parlais, un petit peu dichotomique entre communisme stalinien et capitalisme de l'autre, tout de suite, ça m'a fait penser à cette art... d'un sociobiologiste qui s'appelle Gareth Hardin, en 1968 en plus, et qui parlait de la tragédie des communs, justement pour faire ce lien d'opérabilité de l'anarchisme qui, à mon avis, passe aussi par la notion de commun. Qu'est-ce qu'il dit, Hardin, dans cet article ? Il dit qu'au Moyen-Âge, on a ce qu'on appelle des communs, qui sont en fait des communaux, où on a la possibilité d'avoir des terrains ouverts où les paysans peuvent venir. glaner leurs moyens de subsistance en ramassant du bois, des champignons, en faisant pêtre leurs bétails, etc. Mais les communs ont fini par décliner au profit de l'État et de la propriété privée. Garrett Hardin va dire que le problème, c'est ce qu'on appelle en théorie économique après le passager clandestin, c'est-à-dire qu'en réalité, les gens n'avaient pas grand-chose à faire de ces ressources collectives. Chacun va y aller pour sa pomme. et finalement il va y avoir une dégradation de la ressource. Yardin va dire qu'il n'y a que deux solutions à ça. Et là on est encore en pleine guerre froide, donc ça illustre aussi bien les deux camps, il n'y a que deux solutions, soit la propriété privée qui va être codifiée comme telle, ou là le propriétaire va faire attention à son bout de terrain et à le préserver, soit c'est l'État qui va gérer les ressources, avec des lois très strictes. etc. C'est lui qui va les posséder. Et là, on est dans le cas de l'Union soviétique. Et là-dessus se pointe Elinor Ostrom. Et cette Elinor Ostrom, c'est pas non plus quelqu'un qui vient de nulle part, c'est pas quelqu'un de sous-estimé non plus, puisque c'est la première femme qui va être prix Nobel d'économie en 2009. Et elle, qu'est-ce qu'elle va dire ? Elle va dire, bon, moi j'ai étudié cette notion de commun un petit peu partout dans le monde. C'est-à-dire, les communs, c'est quoi ? C'est une communauté, un ensemble d'individus, des ressources communes, qui peuvent être de plein d'aspects différents. Elle, elle a beaucoup étudié les ressources naturelles, eau, champs, forêts, etc., mais ça peut être plein d'autres choses, et des règles de droit décidées ensemble pour la préservation de ces ressources en question. Et elle dit, moi, je suis allé un petit peu partout dans le monde pour étudier ces formes de communs, et jamais, jamais... je n'ai rencontré la description que donne Gareth Hardin dans son article sur cette fameuse tragédie des communs. Il y a son histoire de passagers clandestins, les individus qui essayent de surexploiter la ressource pour tirer la couverture à soi, etc. Mais en réalité, ça, c'est une projection complètement idéologique d'un mec qui n'a jamais fait de terrain. Et en effet, Gary Tardin part d'un postulat très libéral qui est celui de l'individu seul et isolé qui va essayer de maximiser ses intérêts. Elle dit, mais ça, en fait, dans la...

  • Speaker #1

    Ça se passe pas comme ça dans la vraie vie.

  • Speaker #0

    Dans les formes de commun. Déjà, les individus, ils sont pas isolés. Ils sont dans des communautés. Et donc, ces individus, notamment aussi, ils discutent beaucoup ensemble. Ils parlent. Ils communiquent. Parce que Garrett Hardin, aussi, il se base beaucoup sur ce postulat de la théorie des jeux, avec notamment le dilemme du prisonnier, etc. Alors, où il faut choisir. Est-ce que je balance mon complice ou pas ? ou pas, pour avoir une remise de peine, ils ne peuvent pas communiquer, est-ce qu'ils sont séparés par des grilles, etc. Elle dit, mais en réalité, les gars, ils se bourrent le goût, ça n'existe pas. Arrêtez de psychoter là-dessus. Dans la vraie vie, les gens, ils parlent ensemble. Ils discutent, ils se mettent d'accord ensemble sur des règles à adopter pour gérer au mieux telle ou telle ressource, etc. Donc souvent, déjà, il y a en effet des valeurs communes partagées. Alors souvent, ce n'est pas dans des sociétés occidentales avec l'individualisme qu'on peut avoir, ce qu'on appelle le pluralisme des valeurs, etc. Donc en effet, il y a peut-être un peu plus de valeurs partagées, mais en tout cas, elles sont là. Ensuite, les gens, ils parlent ensemble pour élaborer ensemble des règles. Et bon, très souvent, ça peut mettre du temps. temps, parfois par expérience aussi. Ça peut mettre parfois des mois, parfois des années, mais ça marche. Ça marche. Et Lina Rostrom, notamment, elle va beaucoup travailler dans des institutions de développement, notamment la Banque mondiale, dont elle va être aussi très critique, parce que précisément ces institutions, souvent, vont débarquer dans des pays et vont dire, mais... Votre production n'est pas du tout efficiente, vous feriez mieux de fonctionner comme si, comme ça. Et puis ils ont des sortes de cahiers des charges, de normes, etc. pour libéraliser le pays avec un état de droit, etc. Elle l'a vu notamment pour tout ce qui est système d'irrigation d'eau. Et alors ce que supportaient pas notamment ces agents de la Banque mondiale, c'est pas tant que ces systèmes d'irrigation d'eau répondaient pas à des besoins, que plutôt ce qui les énervait, c'est que par exemple, un sorcier dans le coin qui légitime les normes par deux, trois paroles un peu ésotériques, magiques, etc. Donc ils se disaient, c'est un système complètement foireux parce qu'il y a un sorcier dans le coin. Alors qu'en réalité, c'était des systèmes encore très efficaces. Donc quand ils essayaient d'imposer un petit peu leurs nouvelles règles modernes, en fait, très souvent, ils se rendent compte que c'est complètement foireux. Et en fait, ils reviennent aussi dessus. Donc là aussi, en termes d'opérativité, il y a des trucs là aussi très concrets. Quand on parle de gestion de ressources de vaux, etc. Après, il y a eu des épisodes historiques, aussi très enthousiasmants, qui font figure un petit peu de mythes dans l'historiographie anarchiste. Je pense notamment à la Révolution espagnole en 1936, qui est la... plus grande expérience historique à nos jours de l'anarchisme, pour une raison aussi assez simple historiquement, qui s'explique un petit peu historiquement aussi, c'est que le Parti communiste espagnol était quasiment absent du paysage, parce qu'ils avaient refusé de signer la charte du Comintern imposée par Lénine aux différents partis communistes en Europe, et donc il y avait le seul camp vraiment révolutionnaire, c'était le camp des anarchistes, et qui était... très nombreux à l'époque en Espagne, puisqu'il y avait environ un million d'adhérents dans le syndicat anarchiste, qui était la CNT, Confédération Nationale du Travail. Il y avait plusieurs milliers d'adhérents aussi à la Fédération Anarchiste Ibérique. C'était vraiment un mouvement très, très important. Et donc, quand éclate la Révolution Espagnole, donc en 1936, avec contre le coup d'État de Franco, il y a toute une zone de l'Espagne, notamment en Catalogne, dont... le Pays Basque, les Asturies, etc., qui va vivre sous les principes anarchistes, d'autogestion, etc. Donc, j'invite d'ailleurs tous les auditeurs si ça les intéresse, il y a des images complètement hallucinantes de Barcelone qui vit l'été 36 de manière anarchiste. Donc, on a tout un tas de drapeaux noirs, noirs et rouges dans la ville. Tous les hôtels et les cinémas sont ouverts au peuple. Il y a une sorte de redistribution collectives des produits alimentaires, manufacturés, etc., des formes d'autogestion généralisées. C'est proprement assez hallucinant. Il y a un petit livre passionnant là-dessus. Il y a le livre de George Orwell. On le connaît tous pour 1984. Mais il se trouve que lui-même était là-bas, parce que c'était un journaliste aussi, George Orwell. Il a écrit un magnifique petit livre qui s'appelle Hommage à la Catalogne où il explique cette révolution espagnole. Alors lui, il est... dans ce qu'on appelle le POUM, le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste, qui est plus ou moins d'obédience trotskiste, mais lui-même, il ne sait pas trop ce qu'il fout là. Il est beaucoup plus d'affinité avec les anarchistes. Et c'est très intéressant justement de voir cet enthousiasme. On parlait d'émotion. L'enthousiasme qu'il y a à cette époque, à cet endroit, dans les rues, qui est très bien retranscrit par George Orwell.

  • Speaker #1

    C'est intéressant, j'irais voir. Un peu dans le... Un enthousiasme historique avec la Commune de Paris aussi, qui a été très mal terminée, mais qui a été une expérience anarchiste. Peut-être que les gens ne se rendent pas compte aussi que l'anarchisme a été un mouvement... Il y a eu beaucoup de poids politique, surtout, alors, corrige-moi si je me trompe, mais 19e, fin 19e et début du 20e, où c'était quand même une force politique importante qui a complètement disparu avec la révolution russe, parce que c'est ce qui a signifié le triomphe et l'avènement des idées communistes. Et donc, l'anarchisme aujourd'hui n'est que l'ombre de ce que ça a été à une époque, même si ça revient sur des dimensions écologiques.

  • Speaker #0

    Depuis la chute du mur de Berlin aussi.

  • Speaker #1

    Ça revient, oui.

  • Speaker #0

    y compris dans tous les mouvements, alter-mondialisation, etc. Oui,

  • Speaker #1

    c'est vrai que c'est une reprise.

  • Speaker #0

    Il y a eu un retour de l'anarchisme depuis ce moment-là, notamment. Et avec l'écologie, oui, pardon. Et avec l'écologie, oui, complètement. Pour revenir aux épisodes dont tu parles, alors, il y a en effet la commune de Paris qui est, d'une certaine manière, un petit peu pré-anarchiste aussi, parce qu'il n'y a pas encore de mouvement anarchiste constitué, à proprement parler. L'anarchisme a vraiment émergé dans les années 1880.

  • Speaker #1

    Oui, alors que c'est dix ans avant.

  • Speaker #0

    Voilà. La Commune de Paris, c'est 1871. Mais on a quand même des éléments. Déjà, il y a quand même pas mal de Proudhoniens, puisque Proudhon, il meurt en 1865. On a un certain nombre de Proudhoniens qui sont à la Commune de Paris et qui vont avoir un rôle important. Il y a cette idée, en effet, de démocratie plus poussée, avec cette idée que la Commune est vraiment l'entité politique par excellence et non pas l'État. Donc, quand il y a la Commune de Paris, il y a aussi un appel aux autres communes en France pour... qu'elle se soulève. Bakounine, d'ailleurs, est à Lyon à cette époque. Il essaie de faire en sorte qu'il y ait un soulèvement de la commune de Lyon qui foire complètement. Mais dans la commune de Paris, il y a aussi la dimension sociale, évidemment, avec la classe ouvrière qui prend en charge ses ateliers, etc. La dimension de la séparation de l'Église et de l'État, aussi. Et puis, il y a la figure de Louise Michel, qui est un anarchiste, qui va le devenir, en fait, dans son trajet, qui l'emmène au bagne en Nouvelle-Calédonie, où là, elle va... elle va vraiment devenir anarchiste là-bas. Et puis il y a quelque chose qui a été un petit peu oublié aussi, c'est que dans les années 1880-90, on a souvent en tête les attentats anarchistes, mais qui en réalité ne vont être qu'une période assez restreinte dans l'histoire, qui va durer en gros une vingtaine d'années, et qui fait suite d'ailleurs aussi au massacre de la Commune de Paris. Donc souvent ce sont des personnes un petit peu désespérées et en colère, avec un mouvement révolutionnaire qui a été... été décimés et qui voient ces formes de terrorisme comme une forme de dernier espoir. Mais très vite, en réalité, les anarchistes vont se rendre compte que c'est complètement contre-productif, y compris avec un rejet des masses populaires envers ce genre d'action. Et donc très vite, les anarchistes, en réalité, ils vont s'investir dans les syndicats, et notamment le syndicalisme révolutionnaire. Et donc, comme je disais, la chose qui a été un petit peu oubliée, c'est que la CGT, dans ses origines, notamment avec la charte d'Amiens, être anarcho-syndicaliste, ou syndicaliste révolutionnaire, mais très proche des thèses anarchistes. Avec l'idée que, déjà, ça ne doit surtout pas être chapeauté par des partis. Le fait que le but du syndicalisme, ça doit être aussi à terme l'émancipation générale des travailleurs avec des formes d'autogestion, donc clairement anticapitaliste, et avec une critique de l'État aussi très importante. Donc ça aussi, c'est quelque chose qui va... périclité, comme tu le disais aussi, avec la révolution bolchévique, où là, la CGT va être noyautée petit à petit par les communistes.

  • Speaker #1

    Pour finir, on peut aborder ton troisième thème. Ça fait le lien avec ce que tu décris sur la question justement de, aussi, la violence, mais donc le troisième thème qui était le conflit et la guerre. Comment est-ce que tu articules ces questions-là avec l'anarchisme ou pas, d'ailleurs ? Est-ce que l'anarchisme est une... réponse, peut-être, ou pas ? Comment tu envisages un peu cette réflexion ?

  • Speaker #0

    Cette réflexion, en effet, elle est à multifacettes. Il y a cette idée qu'avec l'anarchisme, on va peut-être conjurer, en tout cas, la plus grande partie des causes de la guerre. C'est quelque chose qu'a déjà développé un petit peu Proudhon dans son ouvrage La guerre et la paix. C'est-à-dire que la guerre, elle est due à quoi ? Dans son ouvrage, Poudon dit que la guerre est principalement due à des raisons économiques. Cette idée que la répartition n'est pas faite équitablement. Donc d'une part, il y a ceux qui en manquent qui vont vouloir les ressources qui leur manquent. Donc ça va pouvoir être une cause de violence qu'on va pouvoir davantage retrouver dans le schéma de guerre civile, plus en termes internes. Et puis, il y a l'État qui va aussi toujours chercher... a augmenté sa richesse, et donc ça, ça va se développer aussi par des formes d'impérialisme économique, qu'on va retrouver en réalité depuis les débuts de l'humanité jusqu'à aujourd'hui. Alors cet impérialisme, il est plus ou moins brutal, il peut se faire... au XIXe siècle avec le colonialisme, maintenant peut-être davantage avec de la diplomatie économique, quand bien même il y a les entreprises aussi qui peuvent être très offensives. La guerre, c'est aussi la résultante d'une volonté de domination, qui n'est pas nécessairement d'ordre économique. On peut vouloir dominer aussi, y compris juste pour humilier, par exemple. Donc ça va juste relever de la psychologie sociale. On va pouvoir dominer pour avoir un territoire plus important, pour se sentir plus... plus grand, plus fort, etc. Donc, tout l'intérêt de l'anarchisme aussi, ça va être de conjurer ces différentes causes qui vont relever avant tout de cette volonté de domination ou d'exploitation. Et pour ça, il y a cette idée qu'un problème majeur qui se pose actuellement et depuis très longtemps, c'est la concentration du pouvoir. Du pouvoir en termes, là aussi, politiques, en termes de richesse, en termes de... en termes de charisme, en termes de responsabilité. Ça peut se décliner sur plein de choses différentes. Mais c'est cette idée de concentration. Et donc la meilleure manière de conjurer cette concentration qui va amener à la guerre et au conflit, c'est précisément des formes de déconcentration. Cette déconcentration du pouvoir, elle va permettre à la fois d'être sur du local, donc le local, la petite commune, elle ne va pas s'amuser. à aller faire la guerre à l'Union Européenne. Parce que déjà, elle sera prise aussi dans les réseaux de la fédération où les autres instances vont dire Non, tu déconnes, on ne va pas les attaquer. Et d'autre part, sur la défense aussi, s'il se trouve qu'il y a une attaque par un État qui existe toujours, il y a une solidarité qui va pouvoir se faire entre les différentes entités autonomes, autogérées, etc. Il y a des pactes fédérales un pacte fédéral qui va pouvoir être très important. Donc, impuissance sur l'attaque, mais au contraire, être très fort sur la défense et en faisant en sorte que les individus, mais aussi les entités politiques, etc., soient le plus autonome et du coup aussi les plus responsables possible. Moi-même, j'ai interviewé un diplomate très intéressant qui est peut-être... en tout cas à ma connaissance, un des seuls diplomates anarchistes au monde. Après, il y en a peut-être qui le sont sans le savoir. C'est quelqu'un qui s'appelle Ken Ross, qui était un diplomate britannique et qui a travaillé pour Tony Blair à l'époque de la guerre en Irak. Il a travaillé aussi à l'ONU, etc. Et il a démissionné juste après la guerre en Irak. Et lui, son constat, et c'est ce que je disais un petit peu aussi depuis le début de ce podcast, C'est que, déjà, les gouvernements sont complètement déconnectés du réel et que lui-même, parfois, faisait des rapports à ce qu'on appelle la centrale, le gouvernement central, en regardant la BBC, parce qu'il ne savait pas lui-même ce qui se passait sur le terrain alors qu'il était en ambassade. Et il disait, il y a plein de moments où j'ai vu de la violence et de la guerre, souvent pour deux raisons. Souvent, quand la... quand des violences éclataient, et là, il parle de son terrain, notamment en ex-Yougoslavie, c'est parce que les individus pouvaient se révolter. Ils n'étaient pas entendus. Ils se révoltaient notamment contre les institutions de l'ONU, qui centralisaient toutes les décisions. Et les dépossédaient,

  • Speaker #1

    en fait.

  • Speaker #0

    Les dépossédaient complètement. Et donc, il pouvait y avoir aussi des fights entre ethnies, tout simplement parce que c'était l'ONU qui avait pris des décisions à l'accord. à con. Alors que si les communautés avaient été intégrées, on aurait sûrement pu éviter ce genre de choses. Et puis, il y a un deuxième élément. On t'y parle en... Alors, c'était en Afghanistan. Et il dit en Afghanistan, nous, dans un premier temps, ce qu'on voulait, c'était la sécurité. Et il me dit, mais les Afghans, la première chose qu'ils voulaient aussi, c'était la sécurité. Le problème, c'est qu'on avait deux conceptions de la sécurité différentes. Eux, ce qu'ils voulaient avant tout... dans les organisations internationales et lui dans l'État britannique, c'était faire en sorte que l'État islamique soit complètement dégagé. Et pour ça, ils ont misé sur un acteur, enfin sur plusieurs, qui étaient les chefs de tribus, mais dont il se trouve qu'elles faisaient du trafic de drogue. Et donc, ils ont armé ces chefs de tribus pour qu'ils virent l'État islamique. Le problème... C'est que c'est une fois que l'État islamique a été négatif,

  • Speaker #1

    il restait ces gens-là.

  • Speaker #0

    Il restait ces mecs-là. Et donc, ils formaient des mafias. Et donc, l'Afghanistan est devenu un État de narcotrafic complètement chaotique. précisément parce que des organisations internationales et des États ont favorisé certains acteurs plutôt que d'autres au nom d'une certaine forme de sécurité. Alors que là encore, si les habitants avaient été intégrés, etc., la société civile dans son ensemble, y compris les tribus, l'ensemble de la société n'aurait peut-être sans doute pas eu ce genre de problème.

  • Speaker #1

    Je vais poser une dernière question parce que l'horloge tourne. c'est très intéressant mais il va falloir que malheureusement on s'arrête un jour dans ce podcast qu'est-ce que tu répondrais aux gens qui peut-être certaines personnes en nous écoutant se font la réflexion ouais mais c'est bien beau tout ça mais est-ce que c'est pas un monde de bisounours qui pense que qui ne marche que si on considère que les gens sont tous gentils et bienveillants les uns envers les autres qui est un reproche qu'on fait souvent à l'anarchisme quelle serait ta réponse ?

  • Speaker #0

    Là-dessus la meilleure réponse est donnée par un anarchiste italien de la fin du 19ème siècle qui s'appelait Enrico Malatesta Et d'ailleurs, si vous voulez lire des livres très vulgarisés, très simples à lire pour comprendre ce qu'est l'anarchisme, les petits livres de Malatesta sont très très bien. Alors Malatesta, qu'est-ce qu'il dit dans un livre qui s'appelle Au café Parfois, il a des bouquins qui sont des dialogues. Du coup, c'est vachement intéressant. Et justement, il y a une des personnes au café qui lui demande ça. Là, tu vis quand même un peu dans un monde de bisounours. En effet, l'anarchie, ça pourrait marcher que si les gens étaient bons, étaient gentils. Et Malatessa, il dit un truc, il dit, écoute, en réalité, peut-être que c'est le contraire. Alors après, il est aussi un petit peu provoque, mais en réalité, dans la théorie anarchiste, il n'y a pas d'idée de nature humaine bonne ou mauvaise. Il y a une ambivalence liée aux institutions, à ce que les gens font, etc. Il dit, c'est précisément parce que les gens... peuvent être mauvais que les anarchistes disent qu'il ne faut pas concentrer le pouvoir. Parce qu'une personne mauvaise, quand elle a le pouvoir, elle va décupler les choses mauvaises, les actions mauvaises. Alors que si on conçoit des institutions qui précisément arrêtent le pouvoir potentiellement nocif des individus, ça se passera beaucoup mieux en réalité. Donc au contraire, je pense que la théorie anarchiste est une des théories... plus réaliste en philosophie politique.

  • Speaker #1

    J'ai eu cette émotion dont on parlait au début, le plaisir de tout d'un coup la petite pirouette intellectuelle qui désarçonne. Je m'arrêterai sur cette émotion. Merci pour cet entretien. Merci Edouard Jourdain.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup à toi.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un entretien du Fil d'Actu. J'espère que l'épisode vous a plu et avant de se quitter, je voulais vous dire un petit mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant. et sans publicité, et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien, et on se retrouve mercredi pour un nouvel épisode du Fil d'actu.

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