Speaker #0Psst, c'est l'été du fil d'actu. Chaussez vos tongs et prenez du popcorn. Tout l'été, je vous propose des épisodes consacrés à des grands événements qui ont marqué la pop culture de ces 30 dernières années. A déguster en 5 minutes avec une bonne glace à la fraise. Bon été ! En 2006, j'ai créé mon compte Facebook. Facebook venait d'arriver en France, et je me rappelle que quand j'ai créé mon compte, je ne savais pas très bien quoi en faire. Avec mon sens inné du commerce et du business, je me souviens avoir dit que ça ne marcherait jamais et que ça mourrait dans les six mois. Presque vingt ans plus tard, j'ai toujours mon compte Facebook, mais j'ai aussi un compte Twitter, Instagram et TikTok. Et oui, je suis moderne ! Si vous êtes né dans les 70 dernières années, je pense que vous n'avez pas pu faire l'économie d'un compte de réseaux sociaux. Qu'est-ce que ça dit notre société ? Le fait qu'aujourd'hui, pour exister, il faut avoir un compte sur l'un de ces réseaux sociaux. On peut analyser ces réseaux sociaux à partir de la philosophie de Guy Debord. Guy Debord, c'est celui qui a théorisé la société du spectacle. La société du spectacle, c'est une expression qu'on entend assez souvent dans les médias, mais qui est souvent un peu vidée de son sens. Par exemple, quand Cyril Hanouna fait quelque chose d'immonde ou de super vulgaire à la télé, bon, quand il fait une émission, quoi, on a souvent des commentateurs pour dire d'un ton un peu dédaigneux Oh là là, c'est vraiment la société du spectacle On critique alors le contenu de l'émission en disant que c'était vulgaire et idiot, mais finalement, c'est une critique qui ne va pas beaucoup plus loin. C'est une critique un peu tiède des médias. Or, c'est pas du tout ce que voulait dire Guy Debord. Guy Debord, il écrit dans les années 60 Il s'ancre dans une lignée marxiste, mais il veut adapter la critique marxiste au capitalisme contemporain. Dans la pensée marxiste, on va penser la lutte des classes entre les prolétaires et les bourgeois à partir des rapports de production. Les patrons possèdent les moyens de production et les prolétaires ne les possèdent pas. Tout ce qu'ils possèdent, c'est leur propre force de travail qu'ils mettent au service de la bourgeoisie et sont donc ainsi aliénés. Ils sont dépossédés d'eux-mêmes. puisqu'ils vendent leurs forces brutes. Guy Debord va plus loin. Il montre que cette lutte, cette aliénation, cette dépossession de soi-même ne s'arrête pas à la sphère du travail. L'aliénation due au capitalisme s'est étendue à notre vie quotidienne. Et ce qu'il remarque, c'est que la priorité, ce n'est plus seulement la consommation, le fait de posséder, d'avoir, mais cela va au-delà. Maintenant, nous vivons dans une société où l'important, c'est le paraître. Nous préférons maintenant les représentations, les images, à la réalité des choses. Si bien que tout est absolument marchandisé, tout devient un produit de consommation. C'est par exemple le cas de la télévision et même des expositions et de l'art. Tout cela est devenu marchandisé, réduit à une forme capitaliste. Et nous, spectateurs, nous sommes invités à regarder passivement ces images, sans réflexion ni esprit critique, ce qui fait qu'il s'agit d'une nouvelle aliénation. Puisque nous acceptons que nos désirs soient définis par la société du spectacle, que nos besoins nous soient dictés par la société de consommation, nous acceptons de nous définir à partir de ce que la société nous ordonne. Nous devenons nous-mêmes des représentations et nous nous éloignons de notre identité véritable. Voilà la société du spectacle. C'est une sorte d'opium du peuple, pour reprendre une expression de Marx. Nous sommes comme enivrés, drogués, devant ces images qui gangrènent toute notre vie quotidienne. Guy Debord n'a pas connu Facebook et les réseaux sociaux, mais je pense qu'il aurait été à la fois horrifié et satisfait de voir ses thèses à ce point vérifiées. Car oui, sur les réseaux sociaux, nous nous conformons aux injonctions de la société du spectacle. Nous nous transformons nous-mêmes en produits et en marchandises pour correspondre aux normes qui sont celles de la société capitaliste. Nous sommes 100% dans le paraître et très peu dans l'être. Que pouvons-nous faire ? La philosophie de Debord n'est pas seulement critique. Il pose un diagnostic, mais il appelle aussi à la révolution, une révolution symbolique et culturelle. C'est ce qu'on appelle le courant du situationnisme. La société de consommation et de marchandisation s'est tellement imprégnée dans toutes les sphères de notre vie quotidienne que la révolution passera aussi dans des actes de notre vie quotidienne. Pour Debord, il faut changer sa vie quotidienne pour ensuite changer le monde. La réflexion révolutionnaire est indissociable d'une pratique concrète. et quotidienne de la révolution. Un acte de résistance, pour Debord, c'est par exemple se soustraire à l'injonction de l'utilité, de la performance. Tout ce qui n'est pas utile, comme le jeu ou la fête, tout ça c'est révolutionnaire, car il s'agit d'actions de sabotage, réelles ou symboliques, du système général de consommation et de marchandisation. C'est une révolution en situation, d'où le nom de situationnisme. Qu'est-ce que ça pourrait signifier sur les réseaux sociaux ? Eh bien, ce serait peut-être de ne pas se conformer aux exigences habituelles comme être le plus beau possible, avoir l'air le plus heureux possible. C'est peut-être la vulnérabilité et la médiocrité qui sont révolutionnaires. Mais attention, le capitalisme n'a évidemment pas dit son dernier mot. On voit désormais fleurir des comptes Instagram de personnes qui font justement leur business autour de leur vulnérabilité. Le capitalisme est fort, très fort, et il parvient toujours à dompter les actes de résistance qui s'organisent en son sein. Mais nous non plus, nous n'avons pas dit notre dernier mot. Et c'est sur les réseaux sociaux que l'on voit aujourd'hui fleurir des zones de solidarité, des zones d'action collective, et surtout des zones de réflexion en commun. Alors c'est peut-être ça la révolution en situation sur les réseaux sociaux. La construction d'un espace collectif de liberté, y compris au sein des outils du capitalisme et de la société du spectacle, que sont Facebook. Twitter, TikTok et Instagram. Allez, je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour un nouvel épisode de Pop Culture. Et en attendant, abonnez-vous au compte Instagram du Fil d'Actu arrobase lefildactu.podcast pour des informations exclusives. Et ce ne serait pas l'heure de se reprendre une glace, là ?