Speaker #0France en faillite, une philosophie du néolibéralisme. La France est au bord du gouffre. C'est ce qu'a déclaré le Premier ministre Michel Barnier face à l'ampleur du déficit public, qui va dépasser les 6% du PIB, beaucoup plus que ce qui avait été prévu initialement. Un dérapage budgétaire selon l'expression de Bruno Le Maire, qui a été ministre de l'économie pendant les sept dernières années. Une enquête a pourtant révélé que dès novembre 2023, le ministre de l'économie était alerté de la piètre situation financière de la France. Contacté par des journalistes, Bruno Le Maire a seulement répondu dans un SMS ahurissant la vérité apparaîtra plus tard Face à cette irresponsabilité totale, une commission d'enquête va peut-être être mise en place pour comprendre comment sept ans de macronisme ont pu, à ce point, vider les caisses de l'État. La doctrine économique d'Emmanuel Macron est qualifiée de néolibérale. Mais c'est quoi exactement le néolibéralisme ? Quelle est l'histoire et la vision philosophique de ce courant économique ? C'est ce que je vous propose de voir aujourd'hui. On va parler liberté, crise des années 30, Margaret Thatcher, économie et philosophie de Friedrich Hayek, et bien sûr, néolibéralisme. Le courant néolibéral naît en 1938, lors du colloque Walter Lippmann à Paris. Walter Lippmann est un journaliste et intellectuel américain très influent dans la première moitié du XXe siècle. En 1938, il organise un colloque avec des économistes destinés à refonder le libéralisme économique traditionnel. Le libéralisme économique, c'est le principe du laisser faire C'est l'idée que le marché, c'est le moyen le plus efficace de réguler l'économie, les prix, les salaires, etc. Dans cette conception, moins il y a d'intervention de l'État, mieux c'est. Or, après la crise économique de 1929, le libéralisme est critiqué, comme étant peut-être la cause de la crise. Il est alors concurrencé par de nouvelles idéologies économiques, notamment le communisme, ou le nazisme, qui défendent l'intervention économique de l'État et la planification économique. Lippmann et les économistes du colloque reconnaissent que le libéralisme a ses failles, mais ils craignent une intervention excessive de l'État dans l'économie jusqu'au socialisme et même au totalitarisme. Alors, ils inventent une nouvelle doctrine. C'est la naissance du néolibéralisme, à mi-chemin entre économie de marché et régulation de l'État. Si le marché et la propriété individuelle doivent rester le cœur de l'économie, l'intervention de l'État reste nécessaire pour assurer le bon fonctionnement et en particulier éviter de trop grandes inégalités économiques. Le néolibéralisme se pense donc originellement comme un remède à l'autoritarisme de l'État, mais il n'exclut pas totalement que l'État joue un rôle. Il n'est donc pas une dérégulation totale, un capitalisme sauvage, mais un juste milieu entre marché et État. Mais ce courant de pensée reste pour le moment minoritaire, jusque dans les années 1970, avec l'influence croissante de plusieurs économistes, dont Friedrich Hayek. Or, Hayek a un peu radicalisé le néolibéralisme originel. Toute sa vie, Hayek luttera contre l'économie interventionniste et défendra le pouvoir régulateur du marché. Et son combat paye. À partir des années 70, la vision portée par Hayek devient dominante. Elle triomphe dans les années 80, avec les gouvernements de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et de Ronald Reagan aux États-Unis. Le monde devient néolibéral. Frédéric Hayek est un économiste et philosophe autrichien qui fuit le nazisme dans les années 30 et se réfugie au Royaume-Uni. Il devient britannique. En 1947, il publie son premier grand ouvrage, La route de la servitude, dans lequel il explique que l'utopie socialiste, née à la fin du XIXe siècle, mène inéluctablement à la servitude. Pour Hayek, la valeur suprême est la liberté. Or, le socialisme impose un fonctionnement collectif à des humains qui sont par nature individualistes, ce qui de fait restreint leur liberté individuelle. Pour Hayek, un État trop fort mène à la servitude. Si ce n'est pas l'État qui doit réguler les sociétés, comment celles-ci fonctionnent-elles ? Hayek croit en un ordre spontané, une sorte de régulation naturelle, cosmique, qui provient des interactions entre les individus. Ils donnent l'exemple du langage. Le langage a été produit spontanément. Il est le fruit des rencontres et des échanges entre les humains qui ont naturellement conduit à l'élaboration de vocabulaire et de règles de grammaire. Le marché économique obéit au même fonctionnement. Il produit un ordre spontané entre les individus. Le marché n'est donc pas seulement un lieu de transaction, d'échange d'objets ou de services, mais il permet un processus relationnel entre les individus. Il permet la rencontre pacifique, la coopération entre les humains, vers la satisfaction réciproque des besoins. Le marché, pour Hayek, ce n'est pas une structure purement économique, mais c'est le fondement de toute la société. Et il est toujours préférable à l'interventionnisme de l'État, qui cherche à imposer des lois, des modes de fonctionnement, qui vont à l'encontre de la liberté individuelle. L'État, qui prétend agir au nom du bien commun, de la justice sociale, c'est en réalité la volonté des plus forts qui parviennent à imposer leur vision. La justice sociale, nous dit Hayek, est donc un mirage. Il est impossible de prédire la conséquence de nos actions, car le monde est régi par l'incertitude. Alors, comment l'État pourrait-il prétendre réaliser la justice sociale ? Tout ce qu'il fait, c'est restreindre les libertés individuelles. Alors, puisqu'il ne peut volontairement créer la justice sociale, il doit plutôt... garantir les libertés et s'en remettre à l'ordre spontané du marché. L'État ne doit donc pas redistribuer les richesses, mais plutôt assurer un certain nombre de services minimums indispensables à la vie collective qui ne peuvent pas être assurés par le marché, comme la sécurité, les routes, les services de soins, de retraite, d'enseignement, etc. Mais dès que les entreprises peuvent prendre en charge ces services, l'État doit se retirer. Autrement dit, il faut privatiser au maximum. Le néolibéralisme veut que l'État reste à l'écart et considère l'individu comme un agent purement économique, mu par la compétition et l'individualisme. Ce qui est intéressant, c'est que Hayek lui-même définit le libéralisme comme une utopie. L'utopie d'une liberté individuelle maximale. Pourquoi c'est intéressant ? Parce que ça veut dire que c'est bien une idéologie. Le néolibéralisme, c'est un courant éminemment politique, qui a pourtant comme caractéristique de se prétendre comme étant purement technique. Je m'explique. Selon Hayek, le marché est amoral. Il ne produit pas de justice, mais il produit un équilibre, un ajustement. Il n'y a même pas de méritocratie, puisque, comme le dit Hayek, certains réussiront alors qu'ils n'en sont pas dignes, alors qu'échoueront certains qui auraient mérité de réussir ? L'économie n'est pas morale, elle est efficace ou elle ne l'est pas. Pour Hayek, l'économie n'est pas politique, elle est technique. Et ça, c'est une idée qui s'est totalement imposée dans notre imaginaire collectif. Hayek et les néolibéraux ont gagné la bataille culturelle en parvenant à nous faire croire que cette idéologie intégralement politique est en réalité une simple technologie. économique. Selon Hayek, il faudrait même, à terme, confier le pouvoir uniquement à des techniciens qui interviendraient à la manière d'un horloger qui met de l'huile dans les rouages d'une horloge. Plus besoin de débats politiques, mais seulement de technocrates au service de l'ordre spontané du marché. Pourtant, l'histoire du néolibéralisme nous permet de comprendre à quel point il est pétri de présupposés philosophiques qu'il nous faut questionner. La définition des humains comme individualistes et compétitifs, la croyance idolâtre dans le pouvoir du marché, ou encore la liberté comme valeur suprême, au détriment de l'équité ou de la justice, il s'agit là de croyances fortes. On peut être d'accord avec ces idées, mais c'est encore autre chose de prétendre qu'il s'agit de vérités incontestables et d'affirmer, comme le faisait Margaret Thatcher, qu'il n'y a pas d'alternative. Car en disant cela, on discrédite tout projet de société alternatif. C'est là tout l'enjeu de la critique actuelle du néolibéralisme. Ne peut-on pas envisager une toute autre vision politique et économique que celle qui nous écrase depuis 50 ans ? Fondée par exemple sur la compréhension des humains à partir de la notion d'entraide et sur l'importance de l'équité et de la justice sociale ? Jusqu'à présent, les politiques économiques successives suivent scrupuleusement la feuille de route néolibérale. qui consiste à déréglementer, privatiser et diminuer la protection sociale. Et quand on regarde le résultat, il est édifiant. En France, cette année de macronisme, marquée par une baisse d'impôts des plus riches et par des allégements de la fiscalité des entreprises, ont conduit à une chute vertigineuse des recettes de l'État. Et pourtant, malgré ce retrait de l'intervention de l'État, pas d'équilibre en vue, puisque la croissance n'a pas du tout été relancée et que le déficit ne cesse de se creuser. Les inégalités s'accroissent avec une augmentation massive de la pauvreté et une concentration des richesses. En 2010, la fortune des 500 plus riches familles françaises représentait 10% du PIB, contre 45% aujourd'hui. Du point de vue de la justice sociale, c'est raté. Mais visiblement, l'efficacité n'est pas non plus au rendez-vous quand on voit la situation budgétaire actuelle et la faible croissance. Alors, n'oublions pas que le néolibéralisme est une idéologie parmi d'autres et qu'il peut de ce fait être remis en cause. Autrement dit, ne dépolitisons pas le néolibéralisme en en faisant une technologie incontestable. D'ailleurs, je ne sais pas ce que dirait Hayek s'il voyait ce que sa doctrine est aujourd'hui devenue. Car le néolibéralisme a conduit, selon de nombreux analystes, à un autoritarisme décomplexé, alors qu'il était censé avoir la liberté pour valeur suprême. En répétant que l'économie est amorale et seulement efficace, et que la justice est une chimère, le néolibéralisme a conduit l'État à carrément devenir un opposant de la justice sociale et à imposer sa doctrine par la force. Les sept années de macronisme, marquées d'un côté par la destruction des services publics, de la protection sociale, du code du travail, et de l'autre par la multiplication de lois sécuritaires et par une négation démocratique, en est une bonne illustration. Le budget qui vient d'être présenté continue d'ailleurs dans cette voie. D'un côté, on annonce la suppression de 4000 postes dans l'enseignement primaire, alors que l'enseignement connaît une crise sans précédent, l'augmentation du coût des mutuelles, de l'énergie et la baisse des indemnités d'arrêt maladie. Et en même temps, on annonce une hausse du budget pour l'armée et pour la police. De quoi continuer dans la direction autoritaire. Certains signaux, cependant, peuvent tout de même laisser penser que les revendications de justice sociale sont timidement entendues, puisque les entreprises verront la suppression de certaines niches fiscales et une augmentation de charges, et que certains ménages fortunés verront leurs impôts augmenter. Rassurez-vous, cela ne concerne que les 0,3% les plus riches. Pas suffisant, malheureusement, pour espérer la fin du néolibéralisme en France et le retour à un idéal de justice sociale. Hayek disait... La route de la servitude est pavée de bonnes intentions. Il parlait du socialisme, mais finalement, il semblerait que cela s'applique bien au néolibéralisme. Alors, il devient urgent de lutter pour un autre imaginaire économique et social. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. Et un grand merci à Nathalie, Isabelle, Tristan et Clément, qui, avec leur don, soutiennent l'aventure du Fil d'Actu. 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