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Le Phil d'Actu - Philosophie et Actualité

Impôts des ultra-riches : une philosophie de la justice sociale

Impôts des ultra-riches : une philosophie de la justice sociale

14min |17/09/2025
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14min |17/09/2025
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Description

Avec la chute de Bayrou, et l’arrivée de Sébastien Lecornu au poste de Premier Ministre, les débats sur les impôts des ultra-riches et la justice sociale sont relancées. Alors que la droite se crispe et refuse toute hausse d’impôts pour les plus riches, la gauche en fait une condition pour ne pas censurer le nouveau gouvernement, et exige par exemple la mise en place de la taxe Zucman. Alors, cette taxe est-elle la solution magique ? Faut-il taxer les riches pour plus de justice sociale ?

Mais d’abord, c’est quoi la justice sociale ? On en parle avec la philosophe états-unienne Nancy Fraser.


Pour aller plus loin sur cette question de justice sociale, et interroger le concept de privilèges, vous pouvez vous procurer mon livre Privilèges. Ce qu'il nous reste à abolir sur cette page ! Un essai accessible qui mêle philosophie, histoire, sociologie et politique.


Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

Ce podcast est 100% indépendant, gratuit, sans publicité. Il ne survit que grâce à vos dons.


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Un grand merci aux tipeur-ses : Anne-Cécile, Didier, Mailys, Barthélémy, Olivier, Romain, Cédric, Quentin, Charlély, Antony, Aurélie, Claire, Paul, Erwan, Guillaume, Claudia, Lionel, Yves, Denis, M2linée, Marie Vincent, Olivier, Kilian, Anthony, Nicolas, Rémi, Béatrice, Damien, Mathilde, Anouk, David, Elodie, Vivien, Franck, Tiphaine, Margaux, Alix, Maya, Olivier, Juliette, Jonathan, Yacine, Arnaud, Bruno, Quentin, Augustin, Anaïs, Laurent, Nicolas, Alexandre, Gauthier, Khadija, Charles, Solène, Yoann, Juliette, Florence, Charles, Benjamin, Bastien, Jean-Charles, Anne, Florian, Etienne, Céline, Yvan, Antoine, Thomas, Eric, Matthieu, Clément, Anouck, Jean-François, Louise, Etienne, Francisco, Yoann, Tristan, Maud, Nathalie, Marc, Margot.

C'est grâce à vous que le podcast existe 💜


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Avec la chute de François Bayrou et l'arrivée de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre, les débats sur le budget et la justice fiscale sont relancés. Alors que la droite se crispe et refuse toute hausse d'impôts pour les plus riches, la gauche en fait une condition pour ne pas censurer le nouveau gouvernement. Faut-il taxer les riches pour plus de justice sociale ? Mais d'abord, c'est quoi la justice sociale ? On en parle avec la philosophe étatsunienne Nancy Fraser. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions J.C. Lattès. Merci pour votre soutien ! La semaine dernière, Sébastien Lecornu, un des plus fidèles lieutenants d'Emmanuel Macron, a été nommé Premier ministre. De quoi supposer que la politique économique et sociale ne va pas beaucoup changer et que la Macronie va tranquillement continuer sa politique de l'offre, c'est-à-dire fortement réduire les impôts des entreprises en espérant que cela stimule leur compétitivité, leur développement et leurs investissements, et qu'au final, cela crée de l'emploi et relance la croissance. Cela fait 10 ans. Depuis son arrivée au ministère de l'économie en 2015, qu'Emmanuel Macron mène cette politique. Et cela fait dix ans qu'il n'obtient pas les effets escomptés. La croissance est faible, la consommation stagne, et le chômage baisse, certes, mais c'est plutôt une illusion comptable. Si le taux de chômage diminue, c'est surtout parce que France Travail radie énormément de demandeurs et demandeuses d'emploi, qui ne sont donc plus comptabilisés. Et malgré ce tour de passe-passe, la baisse du chômage est inférieure à celle des autres pays de la zone euro. S'il y en a qui profitent de cette politique de l'offre, par contre, ce sont bien les actionnaires et les grandes fortunes. Dans leur enquête « Le Grand Détournement » , parue cette semaine, Mathieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, journalistes Nouvelle Ops, montrent que les aides publiques aux entreprises, qui atteignent le montant exorbitant de 270 milliards d'euros, notamment sous la forme d'avantages fiscaux accordés aux entreprises, et d'exonération de cotisations patronales ont été détournés au profit des plus riches, sans contrepartie ni contrôle. Autrement dit, l'argent public versé par l'État, qui provient principalement de la TVA, c'est-à-dire des taxes que nous payons toutes et tous quand nous achetons quelque chose, est détourné au profit d'une caste toujours plus riche, sans aucune retombée positive pour le reste de la population. Et cela cause une baisse des recettes fiscales, qui est responsable du déficit public aujourd'hui. Les gens ne sont pas dupes. La majeure partie de la population se rend bien compte de l'injustice économique et fiscale qui grève le pays. Alors, la contestation augmente. Plus des trois quarts des Français et Françaises sont favorables à taxer les riches. C'est ce que propose la taxe Zucman. La taxe Zucman a été proposée, entre autres, par l'économiste Gabriel Zucman. Elle s'appuie sur un constat simple. Les ultra-riches payent proportionnellement moins d'impôts que les autres, alors que les impôts sont censés être progressifs. En effet, par un ensemble d'optimisation fiscale totalement légale, les ultra-riches parviennent à échapper à l'impôt. La taxe Zucman cherche donc à pallier cette inégalité. en taxant de 2% le patrimoine de 1800 foyers dont la richesse dépasse 100 millions d'euros. Cette taxe permettrait de récolter entre 15 et 25 milliards d'euros et ainsi de combler une partie du déficit. Évidemment, toute la droite pousse des cris d'orfraie. Cela va tuer la croissance et l'investissement. C'est confiscatoire. Les riches vont s'enfuir. Ce qui est amusant, c'est que ce sont exactement les mêmes arguments qui ont été employés pendant les débats sur la mise en place de l'impôt sur le revenu à partir de la fin du XIXe siècle. En 1909, l'impôt sur le revenu avait même été voté par l'Assemblée nationale et refusé par le Sénat, tout comme la taxe Zucman, qui a été votée par l'Assemblée nationale en février dernier, a ensuite été rejetée par le Sénat en juin. L'impôt sur le revenu, quant à lui, a finalement été adopté en 1914. Et aujourd'hui, il nous paraît aller de soi. Alors ? il y a fort à parier qu'il en ira de même pour la taxe Zucman. Et ce, malgré tous les arguments contre elle, qui sont assez faciles à réfuter d'ailleurs. Notamment la question de l'exil fiscal, c'est-à-dire le départ des plus riches, qui, comme le montrent toutes les études sur le sujet, est plutôt négligeable. Quant aux retombées économiques soi-disant désastreuses, elles sont faciles à contester. Face à l'échec de la politique de l'offre, qui est menée depuis dix ans, et qui n'a fait qu'appauvrir le pays, il est évident qu'il faut faire autrement, et relancer la consommation en donnant plus de pouvoir d'achat à la population. D'ailleurs, la taxe Zucman est soutenue par sept prix Nobel d'économie. On peut donc se dire qu'elle ne sort pas totalement de nulle part. À mon avis, la question plus intéressante, c'est de se demander si la taxe Zucman contribuerait effectivement à davantage de justice sociale. Mais d'abord, c'est quoi la justice sociale ? La justice sociale, on en entend souvent parler, mais il n'est pas toujours facile de la définir. La justice sociale, c'est tout simplement ce qu'une société considère comme étant juste. Bon. Il faut donc se demander quels sont les principes de justice sur lesquels nous semblons nous être mis d'accord. A première vue, il s'agirait de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, c'est-à-dire la solidarité. Mais là encore, les termes peuvent prêter à confusion. Qu'est-ce que l'égalité ? Est-ce que c'est l'égalité des droits ou bien l'égalité des conditions de vie ? En France, on considère plutôt l'égalité comme signifiant égalité des droits. c'est-à-dire l'idée que la loi doit être la même pour toutes et tous. Mais on pourrait plutôt défendre la notion d'équité, qui défend le principe « à chacun selon ses besoins » . Et ça, ce n'est pas forcément synonyme d'égalité. Je vous donne un exemple. Une personne souffrant d'une maladie chronique aura besoin de plus de soins que les autres. Pour qu'une société soit équitable, elle devra donc davantage s'occuper de cette personne, même s'il s'agit d'une inégalité de traitement par comparaison avec une personne qui n'est pas malade. Autrement dit, des inégalités peuvent être justes à condition qu'elles existent en faveur des plus démunis. Que se passe-t-il si les inégalités profitent aux plus riches, comme cela semble être le cas aujourd'hui ? À ce moment-là, c'est très simple. Ces inégalités sont des privilèges, c'est-à-dire des avantages injustes dont bénéficient certains groupes sociaux au détriment des autres et qui contribuent à la domination. Voilà comment on pourrait définir la justice sociale, à partir de la notion d'équité. Mais selon la philosophe étatsunienne Nancy Fraser, il faut ajouter un point. Une société est juste si chacun de ses membres peut y participer de manière égale, c'est-à-dire exprimer ses besoins et les voir pris en compte. Pour cela, trois conditions sont nécessaires. D'abord, pour avoir la possibilité de s'exprimer, il faut une certaine sécurité matérielle. Si on est en situation de précarité, on va évidemment avoir du mal à faire entendre sa voix. Cette première condition socio-économique, Fraser la nomme « redistribution » . La deuxième condition est plutôt sociale, culturelle. Il faut que les individus soient socialement valorisés, qu'on leur accorde une reconnaissance, une estime sociale, un statut. Cela exige d'abolir les hiérarchies sociales entre les différents groupes pour que chacun et chacune puissent être à égalité par rapport aux autres membres de la société. La troisième condition, enfin, est politique. Il faut la représentation des différents groupes sociaux pour former une véritable organisation démocratique, à l'encontre d'une démocratie qui ne donnerait le pouvoir qu'aux catégories dominantes. Pour Nancy Fraser, un véritable projet de justice sociale doit englober les trois dimensions redistribution, reconnaissance et représentation. Alors, la taxe Zucman correspond-elle à cette définition de la justice sociale ? Le problème de cette taxe, c'est que pour être utile, il faut qu'il y ait des personnes qui disposent de plus de 100 millions d'euros de patrimoine. Autrement dit, l'efficacité de la taxe Zucman repose sur l'existence des ultra-riches. On se rend alors compte que la taxe ne règle pas les injustices sociales et ne remplit pas vraiment les critères évoqués par Nancy Fraser. Cette taxe ne consiste pas réellement en une redistribution, puisqu'elle ne représente qu'une toute petite fraction du patrimoine des personnes ultra-riches. De ce fait, elle ne règle pas le problème de la reconnaissance, puisqu'elle entérine un ordre social fondé sur le maintien de hiérarchies économiques extrêmement fortes. Aujourd'hui, Merci. La moitié des Français et des Françaises ne possèdent que 8% du patrimoine. Et l'autre moitié en possède 92%. Et c'est encore pire quand on va voir le haut du panier. Les 10% les plus riches possèdent la moitié du gâteau. Et l'écart entre les plus riches et les plus pauvres ne cesse d'augmenter. La taxe Zucman est donc une solution bien timide qui ne permettrait que de corriger les désastres budgétaires de la Macronie. Elle ne permettrait de combler qu'une partie du déficit créé par la politique macroniste, sans réellement s'attaquer aux problèmes de fonds, c'est-à-dire la répartition extrêmement inégale des richesses et leur concentration toujours plus extrême. Alors, on en arrive à la troisième dimension de la justice sociale, telle qu'elle est définie par Nancy Fraser, le problème de la représentation. Car lorsque la richesse est à ce point concentrée, il ne peut y avoir de démocratie. Les plus riches sont ceux qui détiennent le pouvoir politique, par exemple à l'Assemblée, où les trois quarts des députés sont issus des classes supérieures. Mais ils détiennent aussi le pouvoir civil, puisqu'ils exercent des pressions politiques et économiques envers la classe dirigeante. Ainsi, plusieurs études de sciences politiques ont montré que seuls les intérêts des plus riches étaient aujourd'hui pris en compte, menant jusqu'à ce qu'on peut aujourd'hui appeler une « plutocratie » , un gouvernement des plus riches. Voilà pourquoi, à mon sens, il ne fait aucun doute que la taxe Zucman finira par être instaurée. Parce qu'elle ne bouleverse en aucun cas l'ordre établi. Tout au plus donne-t-elle une illusion de paix sociale, en faisant une concession qui devrait plutôt être considérée comme le strict minimum syndical. Exactement comme le fait que Sébastien Lecornu vient de renoncer à la suppression des deux jours fériés, ou encore a réduit la durée des privilèges accordés aux anciens premiers ministres, comme le fait de disposer d'une voiture de fonction ou d'un secrétaire particulier. Jusqu'à présent, les anciens premiers ministres disposaient de ces avantages à vie. Maintenant, ce sera seulement pour 10 ans. De même, Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu auraient tout intérêt à défendre la mise en place de la taxe Zucman, qui les ferait apparaître comme vaguement à l'écoute des concitoyens et résoudrait en partie le problème de leur très mauvaise gestion des finances publiques. À mon avis, ce serait même une erreur politique de la part de Macron de continuer à s'y opposer. Mais bon. Quand il s'agit d'Emmanuel Macron, nous ne sommes plus à une erreur politique près. En tout cas, nous ne nous laissons pas endormir par cette taxe, qui est une réforme certes indispensable, mais loin d'être suffisamment ambitieuse. En fait, il s'agit de ce que Nancy Fraser appelle un remède correctif. La taxe Zucman agit ponctuellement sur une injustice, en l'occurrence l'injustice fiscale, sans agir sur la cause profonde, l'injuste distribution des richesses. Il faut donc avoir conscience des limites de cette mesure, qui peut néanmoins ouvrir la voie à des remèdes transformateurs, c'est-à-dire, selon Fraser, un remède qui bouleverse les normes sociales et agit sur les injustices profondes, en particulier les hiérarchies entre les individus. Alors, défendons la taxe Zuckman pour l'intention qu'elle impose dans le débat public, tout en gardant en tête que le chemin ne fait que commencer. Et pour ça, je vous donne rendez-vous dès 18 septembre. pour la suite de la lutte. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Elodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Barthélémy, Romain, Aurélie, Claire, Denis, Nicolas, Franck, Béatrice, Gauthier, Florence, Bastien, Florian, Tristan, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Olivier, Agathe, Vincent, Antoine, Mathilde, Odile, Stéphanie, Julia, Lucille. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

Description

Avec la chute de Bayrou, et l’arrivée de Sébastien Lecornu au poste de Premier Ministre, les débats sur les impôts des ultra-riches et la justice sociale sont relancées. Alors que la droite se crispe et refuse toute hausse d’impôts pour les plus riches, la gauche en fait une condition pour ne pas censurer le nouveau gouvernement, et exige par exemple la mise en place de la taxe Zucman. Alors, cette taxe est-elle la solution magique ? Faut-il taxer les riches pour plus de justice sociale ?

Mais d’abord, c’est quoi la justice sociale ? On en parle avec la philosophe états-unienne Nancy Fraser.


Pour aller plus loin sur cette question de justice sociale, et interroger le concept de privilèges, vous pouvez vous procurer mon livre Privilèges. Ce qu'il nous reste à abolir sur cette page ! Un essai accessible qui mêle philosophie, histoire, sociologie et politique.


Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

Ce podcast est 100% indépendant, gratuit, sans publicité. Il ne survit que grâce à vos dons.


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C'est grâce à vous que le podcast existe 💜


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  • Speaker #0

    Avec la chute de François Bayrou et l'arrivée de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre, les débats sur le budget et la justice fiscale sont relancés. Alors que la droite se crispe et refuse toute hausse d'impôts pour les plus riches, la gauche en fait une condition pour ne pas censurer le nouveau gouvernement. Faut-il taxer les riches pour plus de justice sociale ? Mais d'abord, c'est quoi la justice sociale ? On en parle avec la philosophe étatsunienne Nancy Fraser. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions J.C. Lattès. Merci pour votre soutien ! La semaine dernière, Sébastien Lecornu, un des plus fidèles lieutenants d'Emmanuel Macron, a été nommé Premier ministre. De quoi supposer que la politique économique et sociale ne va pas beaucoup changer et que la Macronie va tranquillement continuer sa politique de l'offre, c'est-à-dire fortement réduire les impôts des entreprises en espérant que cela stimule leur compétitivité, leur développement et leurs investissements, et qu'au final, cela crée de l'emploi et relance la croissance. Cela fait 10 ans. Depuis son arrivée au ministère de l'économie en 2015, qu'Emmanuel Macron mène cette politique. Et cela fait dix ans qu'il n'obtient pas les effets escomptés. La croissance est faible, la consommation stagne, et le chômage baisse, certes, mais c'est plutôt une illusion comptable. Si le taux de chômage diminue, c'est surtout parce que France Travail radie énormément de demandeurs et demandeuses d'emploi, qui ne sont donc plus comptabilisés. Et malgré ce tour de passe-passe, la baisse du chômage est inférieure à celle des autres pays de la zone euro. S'il y en a qui profitent de cette politique de l'offre, par contre, ce sont bien les actionnaires et les grandes fortunes. Dans leur enquête « Le Grand Détournement » , parue cette semaine, Mathieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, journalistes Nouvelle Ops, montrent que les aides publiques aux entreprises, qui atteignent le montant exorbitant de 270 milliards d'euros, notamment sous la forme d'avantages fiscaux accordés aux entreprises, et d'exonération de cotisations patronales ont été détournés au profit des plus riches, sans contrepartie ni contrôle. Autrement dit, l'argent public versé par l'État, qui provient principalement de la TVA, c'est-à-dire des taxes que nous payons toutes et tous quand nous achetons quelque chose, est détourné au profit d'une caste toujours plus riche, sans aucune retombée positive pour le reste de la population. Et cela cause une baisse des recettes fiscales, qui est responsable du déficit public aujourd'hui. Les gens ne sont pas dupes. La majeure partie de la population se rend bien compte de l'injustice économique et fiscale qui grève le pays. Alors, la contestation augmente. Plus des trois quarts des Français et Françaises sont favorables à taxer les riches. C'est ce que propose la taxe Zucman. La taxe Zucman a été proposée, entre autres, par l'économiste Gabriel Zucman. Elle s'appuie sur un constat simple. Les ultra-riches payent proportionnellement moins d'impôts que les autres, alors que les impôts sont censés être progressifs. En effet, par un ensemble d'optimisation fiscale totalement légale, les ultra-riches parviennent à échapper à l'impôt. La taxe Zucman cherche donc à pallier cette inégalité. en taxant de 2% le patrimoine de 1800 foyers dont la richesse dépasse 100 millions d'euros. Cette taxe permettrait de récolter entre 15 et 25 milliards d'euros et ainsi de combler une partie du déficit. Évidemment, toute la droite pousse des cris d'orfraie. Cela va tuer la croissance et l'investissement. C'est confiscatoire. Les riches vont s'enfuir. Ce qui est amusant, c'est que ce sont exactement les mêmes arguments qui ont été employés pendant les débats sur la mise en place de l'impôt sur le revenu à partir de la fin du XIXe siècle. En 1909, l'impôt sur le revenu avait même été voté par l'Assemblée nationale et refusé par le Sénat, tout comme la taxe Zucman, qui a été votée par l'Assemblée nationale en février dernier, a ensuite été rejetée par le Sénat en juin. L'impôt sur le revenu, quant à lui, a finalement été adopté en 1914. Et aujourd'hui, il nous paraît aller de soi. Alors ? il y a fort à parier qu'il en ira de même pour la taxe Zucman. Et ce, malgré tous les arguments contre elle, qui sont assez faciles à réfuter d'ailleurs. Notamment la question de l'exil fiscal, c'est-à-dire le départ des plus riches, qui, comme le montrent toutes les études sur le sujet, est plutôt négligeable. Quant aux retombées économiques soi-disant désastreuses, elles sont faciles à contester. Face à l'échec de la politique de l'offre, qui est menée depuis dix ans, et qui n'a fait qu'appauvrir le pays, il est évident qu'il faut faire autrement, et relancer la consommation en donnant plus de pouvoir d'achat à la population. D'ailleurs, la taxe Zucman est soutenue par sept prix Nobel d'économie. On peut donc se dire qu'elle ne sort pas totalement de nulle part. À mon avis, la question plus intéressante, c'est de se demander si la taxe Zucman contribuerait effectivement à davantage de justice sociale. Mais d'abord, c'est quoi la justice sociale ? La justice sociale, on en entend souvent parler, mais il n'est pas toujours facile de la définir. La justice sociale, c'est tout simplement ce qu'une société considère comme étant juste. Bon. Il faut donc se demander quels sont les principes de justice sur lesquels nous semblons nous être mis d'accord. A première vue, il s'agirait de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, c'est-à-dire la solidarité. Mais là encore, les termes peuvent prêter à confusion. Qu'est-ce que l'égalité ? Est-ce que c'est l'égalité des droits ou bien l'égalité des conditions de vie ? En France, on considère plutôt l'égalité comme signifiant égalité des droits. c'est-à-dire l'idée que la loi doit être la même pour toutes et tous. Mais on pourrait plutôt défendre la notion d'équité, qui défend le principe « à chacun selon ses besoins » . Et ça, ce n'est pas forcément synonyme d'égalité. Je vous donne un exemple. Une personne souffrant d'une maladie chronique aura besoin de plus de soins que les autres. Pour qu'une société soit équitable, elle devra donc davantage s'occuper de cette personne, même s'il s'agit d'une inégalité de traitement par comparaison avec une personne qui n'est pas malade. Autrement dit, des inégalités peuvent être justes à condition qu'elles existent en faveur des plus démunis. Que se passe-t-il si les inégalités profitent aux plus riches, comme cela semble être le cas aujourd'hui ? À ce moment-là, c'est très simple. Ces inégalités sont des privilèges, c'est-à-dire des avantages injustes dont bénéficient certains groupes sociaux au détriment des autres et qui contribuent à la domination. Voilà comment on pourrait définir la justice sociale, à partir de la notion d'équité. Mais selon la philosophe étatsunienne Nancy Fraser, il faut ajouter un point. Une société est juste si chacun de ses membres peut y participer de manière égale, c'est-à-dire exprimer ses besoins et les voir pris en compte. Pour cela, trois conditions sont nécessaires. D'abord, pour avoir la possibilité de s'exprimer, il faut une certaine sécurité matérielle. Si on est en situation de précarité, on va évidemment avoir du mal à faire entendre sa voix. Cette première condition socio-économique, Fraser la nomme « redistribution » . La deuxième condition est plutôt sociale, culturelle. Il faut que les individus soient socialement valorisés, qu'on leur accorde une reconnaissance, une estime sociale, un statut. Cela exige d'abolir les hiérarchies sociales entre les différents groupes pour que chacun et chacune puissent être à égalité par rapport aux autres membres de la société. La troisième condition, enfin, est politique. Il faut la représentation des différents groupes sociaux pour former une véritable organisation démocratique, à l'encontre d'une démocratie qui ne donnerait le pouvoir qu'aux catégories dominantes. Pour Nancy Fraser, un véritable projet de justice sociale doit englober les trois dimensions redistribution, reconnaissance et représentation. Alors, la taxe Zucman correspond-elle à cette définition de la justice sociale ? Le problème de cette taxe, c'est que pour être utile, il faut qu'il y ait des personnes qui disposent de plus de 100 millions d'euros de patrimoine. Autrement dit, l'efficacité de la taxe Zucman repose sur l'existence des ultra-riches. On se rend alors compte que la taxe ne règle pas les injustices sociales et ne remplit pas vraiment les critères évoqués par Nancy Fraser. Cette taxe ne consiste pas réellement en une redistribution, puisqu'elle ne représente qu'une toute petite fraction du patrimoine des personnes ultra-riches. De ce fait, elle ne règle pas le problème de la reconnaissance, puisqu'elle entérine un ordre social fondé sur le maintien de hiérarchies économiques extrêmement fortes. Aujourd'hui, Merci. La moitié des Français et des Françaises ne possèdent que 8% du patrimoine. Et l'autre moitié en possède 92%. Et c'est encore pire quand on va voir le haut du panier. Les 10% les plus riches possèdent la moitié du gâteau. Et l'écart entre les plus riches et les plus pauvres ne cesse d'augmenter. La taxe Zucman est donc une solution bien timide qui ne permettrait que de corriger les désastres budgétaires de la Macronie. Elle ne permettrait de combler qu'une partie du déficit créé par la politique macroniste, sans réellement s'attaquer aux problèmes de fonds, c'est-à-dire la répartition extrêmement inégale des richesses et leur concentration toujours plus extrême. Alors, on en arrive à la troisième dimension de la justice sociale, telle qu'elle est définie par Nancy Fraser, le problème de la représentation. Car lorsque la richesse est à ce point concentrée, il ne peut y avoir de démocratie. Les plus riches sont ceux qui détiennent le pouvoir politique, par exemple à l'Assemblée, où les trois quarts des députés sont issus des classes supérieures. Mais ils détiennent aussi le pouvoir civil, puisqu'ils exercent des pressions politiques et économiques envers la classe dirigeante. Ainsi, plusieurs études de sciences politiques ont montré que seuls les intérêts des plus riches étaient aujourd'hui pris en compte, menant jusqu'à ce qu'on peut aujourd'hui appeler une « plutocratie » , un gouvernement des plus riches. Voilà pourquoi, à mon sens, il ne fait aucun doute que la taxe Zucman finira par être instaurée. Parce qu'elle ne bouleverse en aucun cas l'ordre établi. Tout au plus donne-t-elle une illusion de paix sociale, en faisant une concession qui devrait plutôt être considérée comme le strict minimum syndical. Exactement comme le fait que Sébastien Lecornu vient de renoncer à la suppression des deux jours fériés, ou encore a réduit la durée des privilèges accordés aux anciens premiers ministres, comme le fait de disposer d'une voiture de fonction ou d'un secrétaire particulier. Jusqu'à présent, les anciens premiers ministres disposaient de ces avantages à vie. Maintenant, ce sera seulement pour 10 ans. De même, Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu auraient tout intérêt à défendre la mise en place de la taxe Zucman, qui les ferait apparaître comme vaguement à l'écoute des concitoyens et résoudrait en partie le problème de leur très mauvaise gestion des finances publiques. À mon avis, ce serait même une erreur politique de la part de Macron de continuer à s'y opposer. Mais bon. Quand il s'agit d'Emmanuel Macron, nous ne sommes plus à une erreur politique près. En tout cas, nous ne nous laissons pas endormir par cette taxe, qui est une réforme certes indispensable, mais loin d'être suffisamment ambitieuse. En fait, il s'agit de ce que Nancy Fraser appelle un remède correctif. La taxe Zucman agit ponctuellement sur une injustice, en l'occurrence l'injustice fiscale, sans agir sur la cause profonde, l'injuste distribution des richesses. Il faut donc avoir conscience des limites de cette mesure, qui peut néanmoins ouvrir la voie à des remèdes transformateurs, c'est-à-dire, selon Fraser, un remède qui bouleverse les normes sociales et agit sur les injustices profondes, en particulier les hiérarchies entre les individus. Alors, défendons la taxe Zuckman pour l'intention qu'elle impose dans le débat public, tout en gardant en tête que le chemin ne fait que commencer. Et pour ça, je vous donne rendez-vous dès 18 septembre. pour la suite de la lutte. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Elodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Barthélémy, Romain, Aurélie, Claire, Denis, Nicolas, Franck, Béatrice, Gauthier, Florence, Bastien, Florian, Tristan, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Olivier, Agathe, Vincent, Antoine, Mathilde, Odile, Stéphanie, Julia, Lucille. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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Avec la chute de Bayrou, et l’arrivée de Sébastien Lecornu au poste de Premier Ministre, les débats sur les impôts des ultra-riches et la justice sociale sont relancées. Alors que la droite se crispe et refuse toute hausse d’impôts pour les plus riches, la gauche en fait une condition pour ne pas censurer le nouveau gouvernement, et exige par exemple la mise en place de la taxe Zucman. Alors, cette taxe est-elle la solution magique ? Faut-il taxer les riches pour plus de justice sociale ?

Mais d’abord, c’est quoi la justice sociale ? On en parle avec la philosophe états-unienne Nancy Fraser.


Pour aller plus loin sur cette question de justice sociale, et interroger le concept de privilèges, vous pouvez vous procurer mon livre Privilèges. Ce qu'il nous reste à abolir sur cette page ! Un essai accessible qui mêle philosophie, histoire, sociologie et politique.


Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

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Transcription

  • Speaker #0

    Avec la chute de François Bayrou et l'arrivée de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre, les débats sur le budget et la justice fiscale sont relancés. Alors que la droite se crispe et refuse toute hausse d'impôts pour les plus riches, la gauche en fait une condition pour ne pas censurer le nouveau gouvernement. Faut-il taxer les riches pour plus de justice sociale ? Mais d'abord, c'est quoi la justice sociale ? On en parle avec la philosophe étatsunienne Nancy Fraser. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions J.C. Lattès. Merci pour votre soutien ! La semaine dernière, Sébastien Lecornu, un des plus fidèles lieutenants d'Emmanuel Macron, a été nommé Premier ministre. De quoi supposer que la politique économique et sociale ne va pas beaucoup changer et que la Macronie va tranquillement continuer sa politique de l'offre, c'est-à-dire fortement réduire les impôts des entreprises en espérant que cela stimule leur compétitivité, leur développement et leurs investissements, et qu'au final, cela crée de l'emploi et relance la croissance. Cela fait 10 ans. Depuis son arrivée au ministère de l'économie en 2015, qu'Emmanuel Macron mène cette politique. Et cela fait dix ans qu'il n'obtient pas les effets escomptés. La croissance est faible, la consommation stagne, et le chômage baisse, certes, mais c'est plutôt une illusion comptable. Si le taux de chômage diminue, c'est surtout parce que France Travail radie énormément de demandeurs et demandeuses d'emploi, qui ne sont donc plus comptabilisés. Et malgré ce tour de passe-passe, la baisse du chômage est inférieure à celle des autres pays de la zone euro. S'il y en a qui profitent de cette politique de l'offre, par contre, ce sont bien les actionnaires et les grandes fortunes. Dans leur enquête « Le Grand Détournement » , parue cette semaine, Mathieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, journalistes Nouvelle Ops, montrent que les aides publiques aux entreprises, qui atteignent le montant exorbitant de 270 milliards d'euros, notamment sous la forme d'avantages fiscaux accordés aux entreprises, et d'exonération de cotisations patronales ont été détournés au profit des plus riches, sans contrepartie ni contrôle. Autrement dit, l'argent public versé par l'État, qui provient principalement de la TVA, c'est-à-dire des taxes que nous payons toutes et tous quand nous achetons quelque chose, est détourné au profit d'une caste toujours plus riche, sans aucune retombée positive pour le reste de la population. Et cela cause une baisse des recettes fiscales, qui est responsable du déficit public aujourd'hui. Les gens ne sont pas dupes. La majeure partie de la population se rend bien compte de l'injustice économique et fiscale qui grève le pays. Alors, la contestation augmente. Plus des trois quarts des Français et Françaises sont favorables à taxer les riches. C'est ce que propose la taxe Zucman. La taxe Zucman a été proposée, entre autres, par l'économiste Gabriel Zucman. Elle s'appuie sur un constat simple. Les ultra-riches payent proportionnellement moins d'impôts que les autres, alors que les impôts sont censés être progressifs. En effet, par un ensemble d'optimisation fiscale totalement légale, les ultra-riches parviennent à échapper à l'impôt. La taxe Zucman cherche donc à pallier cette inégalité. en taxant de 2% le patrimoine de 1800 foyers dont la richesse dépasse 100 millions d'euros. Cette taxe permettrait de récolter entre 15 et 25 milliards d'euros et ainsi de combler une partie du déficit. Évidemment, toute la droite pousse des cris d'orfraie. Cela va tuer la croissance et l'investissement. C'est confiscatoire. Les riches vont s'enfuir. Ce qui est amusant, c'est que ce sont exactement les mêmes arguments qui ont été employés pendant les débats sur la mise en place de l'impôt sur le revenu à partir de la fin du XIXe siècle. En 1909, l'impôt sur le revenu avait même été voté par l'Assemblée nationale et refusé par le Sénat, tout comme la taxe Zucman, qui a été votée par l'Assemblée nationale en février dernier, a ensuite été rejetée par le Sénat en juin. L'impôt sur le revenu, quant à lui, a finalement été adopté en 1914. Et aujourd'hui, il nous paraît aller de soi. Alors ? il y a fort à parier qu'il en ira de même pour la taxe Zucman. Et ce, malgré tous les arguments contre elle, qui sont assez faciles à réfuter d'ailleurs. Notamment la question de l'exil fiscal, c'est-à-dire le départ des plus riches, qui, comme le montrent toutes les études sur le sujet, est plutôt négligeable. Quant aux retombées économiques soi-disant désastreuses, elles sont faciles à contester. Face à l'échec de la politique de l'offre, qui est menée depuis dix ans, et qui n'a fait qu'appauvrir le pays, il est évident qu'il faut faire autrement, et relancer la consommation en donnant plus de pouvoir d'achat à la population. D'ailleurs, la taxe Zucman est soutenue par sept prix Nobel d'économie. On peut donc se dire qu'elle ne sort pas totalement de nulle part. À mon avis, la question plus intéressante, c'est de se demander si la taxe Zucman contribuerait effectivement à davantage de justice sociale. Mais d'abord, c'est quoi la justice sociale ? La justice sociale, on en entend souvent parler, mais il n'est pas toujours facile de la définir. La justice sociale, c'est tout simplement ce qu'une société considère comme étant juste. Bon. Il faut donc se demander quels sont les principes de justice sur lesquels nous semblons nous être mis d'accord. A première vue, il s'agirait de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, c'est-à-dire la solidarité. Mais là encore, les termes peuvent prêter à confusion. Qu'est-ce que l'égalité ? Est-ce que c'est l'égalité des droits ou bien l'égalité des conditions de vie ? En France, on considère plutôt l'égalité comme signifiant égalité des droits. c'est-à-dire l'idée que la loi doit être la même pour toutes et tous. Mais on pourrait plutôt défendre la notion d'équité, qui défend le principe « à chacun selon ses besoins » . Et ça, ce n'est pas forcément synonyme d'égalité. Je vous donne un exemple. Une personne souffrant d'une maladie chronique aura besoin de plus de soins que les autres. Pour qu'une société soit équitable, elle devra donc davantage s'occuper de cette personne, même s'il s'agit d'une inégalité de traitement par comparaison avec une personne qui n'est pas malade. Autrement dit, des inégalités peuvent être justes à condition qu'elles existent en faveur des plus démunis. Que se passe-t-il si les inégalités profitent aux plus riches, comme cela semble être le cas aujourd'hui ? À ce moment-là, c'est très simple. Ces inégalités sont des privilèges, c'est-à-dire des avantages injustes dont bénéficient certains groupes sociaux au détriment des autres et qui contribuent à la domination. Voilà comment on pourrait définir la justice sociale, à partir de la notion d'équité. Mais selon la philosophe étatsunienne Nancy Fraser, il faut ajouter un point. Une société est juste si chacun de ses membres peut y participer de manière égale, c'est-à-dire exprimer ses besoins et les voir pris en compte. Pour cela, trois conditions sont nécessaires. D'abord, pour avoir la possibilité de s'exprimer, il faut une certaine sécurité matérielle. Si on est en situation de précarité, on va évidemment avoir du mal à faire entendre sa voix. Cette première condition socio-économique, Fraser la nomme « redistribution » . La deuxième condition est plutôt sociale, culturelle. Il faut que les individus soient socialement valorisés, qu'on leur accorde une reconnaissance, une estime sociale, un statut. Cela exige d'abolir les hiérarchies sociales entre les différents groupes pour que chacun et chacune puissent être à égalité par rapport aux autres membres de la société. La troisième condition, enfin, est politique. Il faut la représentation des différents groupes sociaux pour former une véritable organisation démocratique, à l'encontre d'une démocratie qui ne donnerait le pouvoir qu'aux catégories dominantes. Pour Nancy Fraser, un véritable projet de justice sociale doit englober les trois dimensions redistribution, reconnaissance et représentation. Alors, la taxe Zucman correspond-elle à cette définition de la justice sociale ? Le problème de cette taxe, c'est que pour être utile, il faut qu'il y ait des personnes qui disposent de plus de 100 millions d'euros de patrimoine. Autrement dit, l'efficacité de la taxe Zucman repose sur l'existence des ultra-riches. On se rend alors compte que la taxe ne règle pas les injustices sociales et ne remplit pas vraiment les critères évoqués par Nancy Fraser. Cette taxe ne consiste pas réellement en une redistribution, puisqu'elle ne représente qu'une toute petite fraction du patrimoine des personnes ultra-riches. De ce fait, elle ne règle pas le problème de la reconnaissance, puisqu'elle entérine un ordre social fondé sur le maintien de hiérarchies économiques extrêmement fortes. Aujourd'hui, Merci. La moitié des Français et des Françaises ne possèdent que 8% du patrimoine. Et l'autre moitié en possède 92%. Et c'est encore pire quand on va voir le haut du panier. Les 10% les plus riches possèdent la moitié du gâteau. Et l'écart entre les plus riches et les plus pauvres ne cesse d'augmenter. La taxe Zucman est donc une solution bien timide qui ne permettrait que de corriger les désastres budgétaires de la Macronie. Elle ne permettrait de combler qu'une partie du déficit créé par la politique macroniste, sans réellement s'attaquer aux problèmes de fonds, c'est-à-dire la répartition extrêmement inégale des richesses et leur concentration toujours plus extrême. Alors, on en arrive à la troisième dimension de la justice sociale, telle qu'elle est définie par Nancy Fraser, le problème de la représentation. Car lorsque la richesse est à ce point concentrée, il ne peut y avoir de démocratie. Les plus riches sont ceux qui détiennent le pouvoir politique, par exemple à l'Assemblée, où les trois quarts des députés sont issus des classes supérieures. Mais ils détiennent aussi le pouvoir civil, puisqu'ils exercent des pressions politiques et économiques envers la classe dirigeante. Ainsi, plusieurs études de sciences politiques ont montré que seuls les intérêts des plus riches étaient aujourd'hui pris en compte, menant jusqu'à ce qu'on peut aujourd'hui appeler une « plutocratie » , un gouvernement des plus riches. Voilà pourquoi, à mon sens, il ne fait aucun doute que la taxe Zucman finira par être instaurée. Parce qu'elle ne bouleverse en aucun cas l'ordre établi. Tout au plus donne-t-elle une illusion de paix sociale, en faisant une concession qui devrait plutôt être considérée comme le strict minimum syndical. Exactement comme le fait que Sébastien Lecornu vient de renoncer à la suppression des deux jours fériés, ou encore a réduit la durée des privilèges accordés aux anciens premiers ministres, comme le fait de disposer d'une voiture de fonction ou d'un secrétaire particulier. Jusqu'à présent, les anciens premiers ministres disposaient de ces avantages à vie. Maintenant, ce sera seulement pour 10 ans. De même, Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu auraient tout intérêt à défendre la mise en place de la taxe Zucman, qui les ferait apparaître comme vaguement à l'écoute des concitoyens et résoudrait en partie le problème de leur très mauvaise gestion des finances publiques. À mon avis, ce serait même une erreur politique de la part de Macron de continuer à s'y opposer. Mais bon. Quand il s'agit d'Emmanuel Macron, nous ne sommes plus à une erreur politique près. En tout cas, nous ne nous laissons pas endormir par cette taxe, qui est une réforme certes indispensable, mais loin d'être suffisamment ambitieuse. En fait, il s'agit de ce que Nancy Fraser appelle un remède correctif. La taxe Zucman agit ponctuellement sur une injustice, en l'occurrence l'injustice fiscale, sans agir sur la cause profonde, l'injuste distribution des richesses. Il faut donc avoir conscience des limites de cette mesure, qui peut néanmoins ouvrir la voie à des remèdes transformateurs, c'est-à-dire, selon Fraser, un remède qui bouleverse les normes sociales et agit sur les injustices profondes, en particulier les hiérarchies entre les individus. Alors, défendons la taxe Zuckman pour l'intention qu'elle impose dans le débat public, tout en gardant en tête que le chemin ne fait que commencer. Et pour ça, je vous donne rendez-vous dès 18 septembre. pour la suite de la lutte. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram, sur mon compte, Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Elodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Barthélémy, Romain, Aurélie, Claire, Denis, Nicolas, Franck, Béatrice, Gauthier, Florence, Bastien, Florian, Tristan, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Olivier, Agathe, Vincent, Antoine, Mathilde, Odile, Stéphanie, Julia, Lucille. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

Description

Avec la chute de Bayrou, et l’arrivée de Sébastien Lecornu au poste de Premier Ministre, les débats sur les impôts des ultra-riches et la justice sociale sont relancées. Alors que la droite se crispe et refuse toute hausse d’impôts pour les plus riches, la gauche en fait une condition pour ne pas censurer le nouveau gouvernement, et exige par exemple la mise en place de la taxe Zucman. Alors, cette taxe est-elle la solution magique ? Faut-il taxer les riches pour plus de justice sociale ?

Mais d’abord, c’est quoi la justice sociale ? On en parle avec la philosophe états-unienne Nancy Fraser.


Pour aller plus loin sur cette question de justice sociale, et interroger le concept de privilèges, vous pouvez vous procurer mon livre Privilèges. Ce qu'il nous reste à abolir sur cette page ! Un essai accessible qui mêle philosophie, histoire, sociologie et politique.


Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

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Et malgré ce tour de passe-passe, la baisse du chômage est inférieure à celle des autres pays de la zone euro. S'il y en a qui profitent de cette politique de l'offre, par contre, ce sont bien les actionnaires et les grandes fortunes. Dans leur enquête « Le Grand Détournement » , parue cette semaine, Mathieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, journalistes Nouvelle Ops, montrent que les aides publiques aux entreprises, qui atteignent le montant exorbitant de 270 milliards d'euros, notamment sous la forme d'avantages fiscaux accordés aux entreprises, et d'exonération de cotisations patronales ont été détournés au profit des plus riches, sans contrepartie ni contrôle. Autrement dit, l'argent public versé par l'État, qui provient principalement de la TVA, c'est-à-dire des taxes que nous payons toutes et tous quand nous achetons quelque chose, est détourné au profit d'une caste toujours plus riche, sans aucune retombée positive pour le reste de la population. Et cela cause une baisse des recettes fiscales, qui est responsable du déficit public aujourd'hui. Les gens ne sont pas dupes. La majeure partie de la population se rend bien compte de l'injustice économique et fiscale qui grève le pays. Alors, la contestation augmente. Plus des trois quarts des Français et Françaises sont favorables à taxer les riches. C'est ce que propose la taxe Zucman. La taxe Zucman a été proposée, entre autres, par l'économiste Gabriel Zucman. Elle s'appuie sur un constat simple. Les ultra-riches payent proportionnellement moins d'impôts que les autres, alors que les impôts sont censés être progressifs. En effet, par un ensemble d'optimisation fiscale totalement légale, les ultra-riches parviennent à échapper à l'impôt. La taxe Zucman cherche donc à pallier cette inégalité. en taxant de 2% le patrimoine de 1800 foyers dont la richesse dépasse 100 millions d'euros. 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Notamment la question de l'exil fiscal, c'est-à-dire le départ des plus riches, qui, comme le montrent toutes les études sur le sujet, est plutôt négligeable. Quant aux retombées économiques soi-disant désastreuses, elles sont faciles à contester. Face à l'échec de la politique de l'offre, qui est menée depuis dix ans, et qui n'a fait qu'appauvrir le pays, il est évident qu'il faut faire autrement, et relancer la consommation en donnant plus de pouvoir d'achat à la population. D'ailleurs, la taxe Zucman est soutenue par sept prix Nobel d'économie. On peut donc se dire qu'elle ne sort pas totalement de nulle part. À mon avis, la question plus intéressante, c'est de se demander si la taxe Zucman contribuerait effectivement à davantage de justice sociale. Mais d'abord, c'est quoi la justice sociale ? La justice sociale, on en entend souvent parler, mais il n'est pas toujours facile de la définir. La justice sociale, c'est tout simplement ce qu'une société considère comme étant juste. Bon. Il faut donc se demander quels sont les principes de justice sur lesquels nous semblons nous être mis d'accord. A première vue, il s'agirait de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, c'est-à-dire la solidarité. Mais là encore, les termes peuvent prêter à confusion. Qu'est-ce que l'égalité ? Est-ce que c'est l'égalité des droits ou bien l'égalité des conditions de vie ? En France, on considère plutôt l'égalité comme signifiant égalité des droits. c'est-à-dire l'idée que la loi doit être la même pour toutes et tous. Mais on pourrait plutôt défendre la notion d'équité, qui défend le principe « à chacun selon ses besoins » . Et ça, ce n'est pas forcément synonyme d'égalité. Je vous donne un exemple. Une personne souffrant d'une maladie chronique aura besoin de plus de soins que les autres. Pour qu'une société soit équitable, elle devra donc davantage s'occuper de cette personne, même s'il s'agit d'une inégalité de traitement par comparaison avec une personne qui n'est pas malade. Autrement dit, des inégalités peuvent être justes à condition qu'elles existent en faveur des plus démunis. Que se passe-t-il si les inégalités profitent aux plus riches, comme cela semble être le cas aujourd'hui ? À ce moment-là, c'est très simple. Ces inégalités sont des privilèges, c'est-à-dire des avantages injustes dont bénéficient certains groupes sociaux au détriment des autres et qui contribuent à la domination. Voilà comment on pourrait définir la justice sociale, à partir de la notion d'équité. Mais selon la philosophe étatsunienne Nancy Fraser, il faut ajouter un point. Une société est juste si chacun de ses membres peut y participer de manière égale, c'est-à-dire exprimer ses besoins et les voir pris en compte. Pour cela, trois conditions sont nécessaires. D'abord, pour avoir la possibilité de s'exprimer, il faut une certaine sécurité matérielle. Si on est en situation de précarité, on va évidemment avoir du mal à faire entendre sa voix. Cette première condition socio-économique, Fraser la nomme « redistribution » . La deuxième condition est plutôt sociale, culturelle. Il faut que les individus soient socialement valorisés, qu'on leur accorde une reconnaissance, une estime sociale, un statut. Cela exige d'abolir les hiérarchies sociales entre les différents groupes pour que chacun et chacune puissent être à égalité par rapport aux autres membres de la société. La troisième condition, enfin, est politique. Il faut la représentation des différents groupes sociaux pour former une véritable organisation démocratique, à l'encontre d'une démocratie qui ne donnerait le pouvoir qu'aux catégories dominantes. Pour Nancy Fraser, un véritable projet de justice sociale doit englober les trois dimensions redistribution, reconnaissance et représentation. Alors, la taxe Zucman correspond-elle à cette définition de la justice sociale ? Le problème de cette taxe, c'est que pour être utile, il faut qu'il y ait des personnes qui disposent de plus de 100 millions d'euros de patrimoine. Autrement dit, l'efficacité de la taxe Zucman repose sur l'existence des ultra-riches. On se rend alors compte que la taxe ne règle pas les injustices sociales et ne remplit pas vraiment les critères évoqués par Nancy Fraser. Cette taxe ne consiste pas réellement en une redistribution, puisqu'elle ne représente qu'une toute petite fraction du patrimoine des personnes ultra-riches. De ce fait, elle ne règle pas le problème de la reconnaissance, puisqu'elle entérine un ordre social fondé sur le maintien de hiérarchies économiques extrêmement fortes. Aujourd'hui, Merci. La moitié des Français et des Françaises ne possèdent que 8% du patrimoine. Et l'autre moitié en possède 92%. Et c'est encore pire quand on va voir le haut du panier. Les 10% les plus riches possèdent la moitié du gâteau. Et l'écart entre les plus riches et les plus pauvres ne cesse d'augmenter. La taxe Zucman est donc une solution bien timide qui ne permettrait que de corriger les désastres budgétaires de la Macronie. Elle ne permettrait de combler qu'une partie du déficit créé par la politique macroniste, sans réellement s'attaquer aux problèmes de fonds, c'est-à-dire la répartition extrêmement inégale des richesses et leur concentration toujours plus extrême. Alors, on en arrive à la troisième dimension de la justice sociale, telle qu'elle est définie par Nancy Fraser, le problème de la représentation. Car lorsque la richesse est à ce point concentrée, il ne peut y avoir de démocratie. Les plus riches sont ceux qui détiennent le pouvoir politique, par exemple à l'Assemblée, où les trois quarts des députés sont issus des classes supérieures. Mais ils détiennent aussi le pouvoir civil, puisqu'ils exercent des pressions politiques et économiques envers la classe dirigeante. Ainsi, plusieurs études de sciences politiques ont montré que seuls les intérêts des plus riches étaient aujourd'hui pris en compte, menant jusqu'à ce qu'on peut aujourd'hui appeler une « plutocratie » , un gouvernement des plus riches. Voilà pourquoi, à mon sens, il ne fait aucun doute que la taxe Zucman finira par être instaurée. Parce qu'elle ne bouleverse en aucun cas l'ordre établi. Tout au plus donne-t-elle une illusion de paix sociale, en faisant une concession qui devrait plutôt être considérée comme le strict minimum syndical. Exactement comme le fait que Sébastien Lecornu vient de renoncer à la suppression des deux jours fériés, ou encore a réduit la durée des privilèges accordés aux anciens premiers ministres, comme le fait de disposer d'une voiture de fonction ou d'un secrétaire particulier. Jusqu'à présent, les anciens premiers ministres disposaient de ces avantages à vie. Maintenant, ce sera seulement pour 10 ans. De même, Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu auraient tout intérêt à défendre la mise en place de la taxe Zucman, qui les ferait apparaître comme vaguement à l'écoute des concitoyens et résoudrait en partie le problème de leur très mauvaise gestion des finances publiques. À mon avis, ce serait même une erreur politique de la part de Macron de continuer à s'y opposer. Mais bon. Quand il s'agit d'Emmanuel Macron, nous ne sommes plus à une erreur politique près. En tout cas, nous ne nous laissons pas endormir par cette taxe, qui est une réforme certes indispensable, mais loin d'être suffisamment ambitieuse. En fait, il s'agit de ce que Nancy Fraser appelle un remède correctif. La taxe Zucman agit ponctuellement sur une injustice, en l'occurrence l'injustice fiscale, sans agir sur la cause profonde, l'injuste distribution des richesses. Il faut donc avoir conscience des limites de cette mesure, qui peut néanmoins ouvrir la voie à des remèdes transformateurs, c'est-à-dire, selon Fraser, un remède qui bouleverse les normes sociales et agit sur les injustices profondes, en particulier les hiérarchies entre les individus. Alors, défendons la taxe Zuckman pour l'intention qu'elle impose dans le débat public, tout en gardant en tête que le chemin ne fait que commencer. Et pour ça, je vous donne rendez-vous dès 18 septembre. pour la suite de la lutte. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. 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