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Le Phil d'Actu - Philosophie et Actualité

Nomination de Michel Barnier : une philosophie du compromis

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13min |11/09/2024
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Description

La démocratie, c'est l'art du compromis ? Et si la philosophie permettait de penser la démocratie autrement ?


Enfin, ça y est, nous avons un nouveau Premier Ministre ! Michel Barnier, un homme décrit comme un négociateur hors pair, qui saura faire des compromis, pour mener à bien ce que Macron décrit comme une « coexistence exigeante ».

Compromis : voilà un mot qu’Emmanuel Macron ne cesse d’employer depuis plusieurs années, et qui signifie chez lui « faire exactement ce que lui veut ». Mais qu’est-ce que c’est, exactement, un compromis ? En quoi est-ce différent de la compromission ? Est-ce que la démocratie, c’est l’art de faire des compromis ?


Aujourd’hui, je vous propose une philosophie du compromis. On va parler politique, conflit, extrême-centre, philosophie de Chantal Mouffe, et bien  sûr, de compromis !


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Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

Tous les mercredis.

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Transcription

  • Speaker #0

    Michel Barnier, Premier ministre, une philosophie du compromis. Enfin, ça y est, nous avons un nouveau Premier ministre. Il s'agit de Michel Barnier, un homme qui sera sans aucun doute comblé les attentes politiques de tous les Français et les Françaises, puisqu'il est issu d'un parti qui a fait pas moins de 5% des voix aux législatives, et est donc fort d'une légitimité incontestable. Michel Barnier est décrit comme un négociateur hors pair. qui saura faire des compromis, promenera bien ce que Macron décrit comme une coexistence exigeante Une nouvelle expression, probablement made in McKinsey, pour décrire une situation où on a ignoré le résultat des urnes, refusé de nommer un Premier ministre issu de la coalition arrivée en tête, fait un pacte avec l'extrême droite, tout en répétant que tout ça, c'est la faute de la gauche. Compromis. Voilà un mot qu'Emmanuel Macron ne cesse d'employer depuis plusieurs années. et qui signifie chez lui faire exactement ce que lui veut. Mais qu'est-ce que c'est exactement un compromis ? En quoi est-ce différent de la compromission ? Et est-ce que la démocratie, c'est l'art de faire des compromis, justement ? Aujourd'hui, je vous propose une philosophie du compromis. On va parler politique, conflit, extrême-centre, philosophie de Chantal Mouffe et bien sûr, de compromis. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Et pour des informations exclusives, abonnez-vous à mon compte Instagram lefildactu.podcast. Qu'est-ce qu'un compromis ? Un compromis, c'est un arrangement entre deux personnes ou groupes de personnes qui ont des idées opposées et font chacun chacune des concessions pour arriver à un accord. L'idée du compromis, c'est que chacun conserve ses principes, ses valeurs, mais accepte de renoncer à certaines demandes pour trouver un terrain d'entente avec l'autre. C'est la différence avec la compromission. Quand on se compromet, on renonce à ses principes et ses valeurs, et on se plie totalement aux volontés de l'autre personne. Le fondement du compromis, c'est qu'on reconnaît une légitimité à son interlocuteur. On lui reconnaît une dignité et donc le droit de défendre sa position. Comme le dit le philosophe Paul Ricoeur, le compromis, c'est une barrière entre l'accord et la violence. On ne sera jamais 100% d'accord, mais on discute pour éviter de se battre. Le compromis est alors, selon Ricoeur, le principe de la démocratie. Les citoyens partagent un certain nombre de principes, les droits de l'homme, la liberté, l'égalité. Ils s'opposent cependant sur des valeurs et des volontés. Et ils résolvent ces désaccords de manière non violente, par la discussion. C'est une vision politique qui est assez répandue et qu'on appelle démocratie délibérative Les décisions sont le fruit de délibérations. Ça peut sembler assez intuitif, parce qu'il est vrai que dans notre vie quotidienne, on fait souvent des compromis. Quand on choisit un restaurant avec des amis, par exemple, quand on choisit un film avec son ou sa partenaire, quand on prend des décisions au travail, etc. Alors ? Ça semble assez intuitif que la vie politique s'organise de la même manière. Sauf que, est-ce que ces décisions sont vraiment le fruit de délibérations totalement égalitaires ? Et est-ce que le compromis, c'est vraiment, comme on nous le répète sans cesse, l'alpha et l'oméga de la vie politique ? Ce n'est pas l'avis de la philosophe belge Chantal Mouffe. Dans son livre L'illusion du consensus paru en 2016, elle remet en question l'injonction au compromis qui, selon elle, met en danger la démocratie elle-même. Selon Chantal Mouffe, il y a deux manières de concevoir ce qu'est le politique. La première manière, qui est aujourd'hui dominante, c'est celle qui comprend la politique comme la recherche délibérative du consensus. Des groupes antagonistes discutent, délibèrent, à la recherche du compromis. Or, selon elle, cette conception est non seulement fausse, mais dangereuse. Fausse, car il y a des clivages, des oppositions qui sont tout simplement indépassables. Vous aurez beau discuter, débattre, certaines croyances, valeurs, principes ne pourront jamais faire l'objet d'un compromis. Alors, ce qu'on appelle consensus est une illusion. C'est en réalité la victoire de l'un des deux camps sur l'autre. D'autant que le modèle du compromis, du consensus, présuppose que les interlocuteurs soient dans des positions de pouvoir équivalentes, qu'ils et elles discutent à armes égales. Or, la société est traversée par des relations de pouvoir, par des inégalités fortes, qui ne correspondent pas au modèle du compromis et de la délibération. Si un employé, par exemple, est en désaccord avec son patron, en général, la décision finale ne sera pas un compromis issu d'une délibération, mais tout simplement la décision du patron. Le modèle du consensus est donc illusoire. Mais il est également dangereux, explique Chantal Mouffe. Pourquoi ? Parce qu'il cherche à gommer, à neutraliser les oppositions et les dissensions. Le but du consensus, c'est que tout le monde parvienne à se mettre d'accord sur un certain nombre de choses, au terme d'une délibération raisonnable. Or, comme on le disait, il y a des clivages indépassables. Et ces clivages relèvent plutôt de l'affect, des passions, plutôt que de la raison. En tentant d'étouffer ces passions et ces divergences profondes, la vie politique converge vers un centrisme technocratique, qui prétend que la vie politique est affaire de savoir, de technique. et n'ont pas de croyances et de valeurs. Alors, les gens ne se reconnaissent plus dans les partis politiques. Leurs affects ne sont plus représentés. Selon Chantal Mouffe, ces affects, ces passions, risquent de ressurgir de manière non démocratique. Par exemple, sous la forme de mouvements extrémistes. Alors, comment faut-il concevoir le politique pour faire droit à ces dissensions profondes et indépassables ? Selon Chantal Mouffe, il faut assumer le caractère conflictuel, plutôt que consensuel, de la démocratie. Le premier modèle du politique était consensuel, cette vision-là est plutôt conflictuelle. La démocratie n'aurait alors pas pour but d'effacer les désaccords, mais plutôt d'organiser la confrontation de manière démocratique. La démocratie, ce serait l'organisation d'un espace de conflictualité dans lequel les opposants se considèrent comme des adversaires, c'est-à-dire des gens qui partagent un certain nombre de valeurs démocratiques et républicaines, et non comme des ennemis qui chercheraient mutuellement à s'anéantir. Ce serait un peu comme la différence entre un ring de boxe et un champ de bataille. Dans le premier, vous affrontez un adversaire, mais vous respectez un cadre et des règles démocratiques. Dans le second... Il n'y a plus vraiment de règles et c'est un combat à mort. Cette conception permet alors de tracer une limite entre les adversaires, qui sont légitimes car ils adhèrent aux valeurs républicaines, et les véritables ennemis, qui refusent les principes qui organisent notre démocratie. Comme par exemple l'extrême droite, qui conteste le principe d'égalité et porte un discours raciste. A l'inverse, la gauche et la droite sont historiquement des adversaires. Il s'accorde sur les valeurs de liberté et d'égalité, c'est-à-dire sur un espace démocratique commun, mais il s'oppose sur la primauté à donner à chacune de ces valeurs, et donc sur la manière de gérer le vivre ensemble. Ce qui me paraît très intéressant dans cette analyse de Chantal Mouffe, c'est qu'elle renonce à une vision idéale, fantasmée, de la société, où tout le monde finirait par être d'accord. L'essence même de la société, de l'humanité, ce sont justement les dissensions, les désaccords. L'humanité ne peut pas être une totalité unifiée ou homogène. Chacun, chacune, se reconnaît dans des identités, des valeurs, et cherche à appartenir à un ou plusieurs groupes. C'est donc faire preuve de réalisme, de pragmatisme, que de penser comment organiser démocratiquement ces conflits, plutôt que de prétendre les faire disparaître. C'est sûr que c'est moins optimiste et reposant que l'idée d'une démocratie comme disparition des conflits. Mais ça permet de faire droit à une dimension fondamentale de la vie en société, Le conflit en empêchant précisément de sombrer dans la violence. Le politique est désormais compris comme le lieu d'une conflictualité régulée où des adversaires combattent pour emporter chaque bataille, où ils s'affrontent pour remporter l'hégémonie, ne serait-ce que de manière éphémère. La réflexion de Chantal Mouffe est à contre-courant des définitions dominantes du politique, conçues comme devant neutraliser les oppositions et prendre des décisions impartiales et efficaces. Pourtant, l'histoire politique récente lui donne, me semble-t-il, plutôt raison. Déjà, son analyse explique la baisse croissante de la participation. Eh oui, si vous niez les affects et les passions des gens, si vous leur répétez qu'il n'y a pas d'alternative au néolibéralisme, et que donc, en gros, quoi que vous votiez, ce sera la même chose, Comment voulez-vous les mobiliser ? Ensuite, l'analyse de Chantal Mouffe, écrite avant la première élection d'Emmanuel Macron, explique cette convergence vers ce qu'on appelle aujourd'hui l'extrême centre. Je m'arrête un instant sur cette expression, qui décrit parfaitement, vous allez le voir, la situation politique dans laquelle nous sommes. L'extrême centre est une notion définie par l'historien Pierre Cerna. C'est une tendance politique qui cherche à discréditer l'opposition entre la gauche et la droite et prétend incarner la modération, le juste milieu, la raison. L'extrême centre se présente souvent comme étant constitué d'experts, de techniciens, qui dépassionnent la politique. Ces experts... dépourvus de convictions et d'idéologies, font preuve alors d'un opportunisme sans faille. Et ils n'hésitent pas à être un jour de gauche et un jour de droite, en fonction du vent. Alors, ils compensent leur manque criant de convictions et de valeurs en faisant preuve de toujours plus d'autoritarisme. On reconnaît, dans cette description un peu féroce, toute la sphère macroniste menée par l'extrême-centriste en chef, Emmanuel Macron, et par tous ces petits friponneaux. Face à l'extrême-centre, qui prétend imposer un consensus en niant les passions et les oppositions, les affects ressurgissent sous une forme non démocratique et non républicaine. En France, c'est le succès du Rassemblement National. Aux Etats-Unis, celui de Trump. En Argentine, celui de Millet. En Hongrie, celui d'Orban, etc. La seule façon d'enrayer cette dynamique, selon Chantal Mouffe, c'est justement de faire droit aux affects, aux passions, aux valeurs, au sein d'un cadre démocratique. L'objectif de la démocratie, c'est de canaliser les passions et non de les faire disparaître. La démocratie, c'est du conflit, dit-elle. Un conflit entre adversaires qui partagent un certain nombre de principes. À l'inverse, Emmanuel Macron incarne parfaitement cet extrême centre, qui prétend dépassionner la politique et aboutir à des compromis, et fait preuve au contraire d'autoritarisme. Après avoir fait un front républicain avec la gauche contre l'extrême droite, il traite désormais la gauche comme son ennemi, et non plus comme un adversaire. Alors il pactise avec l'extrême droite, celui qui devrait précisément être son ennemi. Il en vient, par ses compromissions avec un parti qui ne respecte pas les principes républicains, à nier le fonctionnement démocratique. Quant à la nomination de Michel Barnier, elle correspond totalement à cette illusion du compromis dont parle Chantal Mouffe. Un mensonge, censé faire croire que Macron a réellement composé avec toutes les sensibilités politiques en recevant les différents représentants des partis tout au long de l'été, alors que plusieurs médias ont révélé que son choix s'était arrêté tout début juillet sur Michel Barnier, après en avoir bien sûr convenu par téléphone avec Marine Le Pen. Une nomination qui montre comment Macron préfère faire alliance avec le Rassemblement national plutôt que respecter le fonctionnement démocratique, au risque de créer un précédent autoritariste qui ne laissera plus de place à aucun compromis, et pas même à une illusion de compromis. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. Et d'ici là, n'oubliez pas de vous abonner et de mettre 5 étoiles sur Spotify et Apple Podcasts, ça m'aide beaucoup. Merci et à bientôt !

Description

La démocratie, c'est l'art du compromis ? Et si la philosophie permettait de penser la démocratie autrement ?


Enfin, ça y est, nous avons un nouveau Premier Ministre ! Michel Barnier, un homme décrit comme un négociateur hors pair, qui saura faire des compromis, pour mener à bien ce que Macron décrit comme une « coexistence exigeante ».

Compromis : voilà un mot qu’Emmanuel Macron ne cesse d’employer depuis plusieurs années, et qui signifie chez lui « faire exactement ce que lui veut ». Mais qu’est-ce que c’est, exactement, un compromis ? En quoi est-ce différent de la compromission ? Est-ce que la démocratie, c’est l’art de faire des compromis ?


Aujourd’hui, je vous propose une philosophie du compromis. On va parler politique, conflit, extrême-centre, philosophie de Chantal Mouffe, et bien  sûr, de compromis !


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Tous les mercredis.

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Transcription

  • Speaker #0

    Michel Barnier, Premier ministre, une philosophie du compromis. Enfin, ça y est, nous avons un nouveau Premier ministre. Il s'agit de Michel Barnier, un homme qui sera sans aucun doute comblé les attentes politiques de tous les Français et les Françaises, puisqu'il est issu d'un parti qui a fait pas moins de 5% des voix aux législatives, et est donc fort d'une légitimité incontestable. Michel Barnier est décrit comme un négociateur hors pair. qui saura faire des compromis, promenera bien ce que Macron décrit comme une coexistence exigeante Une nouvelle expression, probablement made in McKinsey, pour décrire une situation où on a ignoré le résultat des urnes, refusé de nommer un Premier ministre issu de la coalition arrivée en tête, fait un pacte avec l'extrême droite, tout en répétant que tout ça, c'est la faute de la gauche. Compromis. Voilà un mot qu'Emmanuel Macron ne cesse d'employer depuis plusieurs années. et qui signifie chez lui faire exactement ce que lui veut. Mais qu'est-ce que c'est exactement un compromis ? En quoi est-ce différent de la compromission ? Et est-ce que la démocratie, c'est l'art de faire des compromis, justement ? Aujourd'hui, je vous propose une philosophie du compromis. On va parler politique, conflit, extrême-centre, philosophie de Chantal Mouffe et bien sûr, de compromis. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Et pour des informations exclusives, abonnez-vous à mon compte Instagram lefildactu.podcast. Qu'est-ce qu'un compromis ? Un compromis, c'est un arrangement entre deux personnes ou groupes de personnes qui ont des idées opposées et font chacun chacune des concessions pour arriver à un accord. L'idée du compromis, c'est que chacun conserve ses principes, ses valeurs, mais accepte de renoncer à certaines demandes pour trouver un terrain d'entente avec l'autre. C'est la différence avec la compromission. Quand on se compromet, on renonce à ses principes et ses valeurs, et on se plie totalement aux volontés de l'autre personne. Le fondement du compromis, c'est qu'on reconnaît une légitimité à son interlocuteur. On lui reconnaît une dignité et donc le droit de défendre sa position. Comme le dit le philosophe Paul Ricoeur, le compromis, c'est une barrière entre l'accord et la violence. On ne sera jamais 100% d'accord, mais on discute pour éviter de se battre. Le compromis est alors, selon Ricoeur, le principe de la démocratie. Les citoyens partagent un certain nombre de principes, les droits de l'homme, la liberté, l'égalité. Ils s'opposent cependant sur des valeurs et des volontés. Et ils résolvent ces désaccords de manière non violente, par la discussion. C'est une vision politique qui est assez répandue et qu'on appelle démocratie délibérative Les décisions sont le fruit de délibérations. Ça peut sembler assez intuitif, parce qu'il est vrai que dans notre vie quotidienne, on fait souvent des compromis. Quand on choisit un restaurant avec des amis, par exemple, quand on choisit un film avec son ou sa partenaire, quand on prend des décisions au travail, etc. Alors ? Ça semble assez intuitif que la vie politique s'organise de la même manière. Sauf que, est-ce que ces décisions sont vraiment le fruit de délibérations totalement égalitaires ? Et est-ce que le compromis, c'est vraiment, comme on nous le répète sans cesse, l'alpha et l'oméga de la vie politique ? Ce n'est pas l'avis de la philosophe belge Chantal Mouffe. Dans son livre L'illusion du consensus paru en 2016, elle remet en question l'injonction au compromis qui, selon elle, met en danger la démocratie elle-même. Selon Chantal Mouffe, il y a deux manières de concevoir ce qu'est le politique. La première manière, qui est aujourd'hui dominante, c'est celle qui comprend la politique comme la recherche délibérative du consensus. Des groupes antagonistes discutent, délibèrent, à la recherche du compromis. Or, selon elle, cette conception est non seulement fausse, mais dangereuse. Fausse, car il y a des clivages, des oppositions qui sont tout simplement indépassables. Vous aurez beau discuter, débattre, certaines croyances, valeurs, principes ne pourront jamais faire l'objet d'un compromis. Alors, ce qu'on appelle consensus est une illusion. C'est en réalité la victoire de l'un des deux camps sur l'autre. D'autant que le modèle du compromis, du consensus, présuppose que les interlocuteurs soient dans des positions de pouvoir équivalentes, qu'ils et elles discutent à armes égales. Or, la société est traversée par des relations de pouvoir, par des inégalités fortes, qui ne correspondent pas au modèle du compromis et de la délibération. Si un employé, par exemple, est en désaccord avec son patron, en général, la décision finale ne sera pas un compromis issu d'une délibération, mais tout simplement la décision du patron. Le modèle du consensus est donc illusoire. Mais il est également dangereux, explique Chantal Mouffe. Pourquoi ? Parce qu'il cherche à gommer, à neutraliser les oppositions et les dissensions. Le but du consensus, c'est que tout le monde parvienne à se mettre d'accord sur un certain nombre de choses, au terme d'une délibération raisonnable. Or, comme on le disait, il y a des clivages indépassables. Et ces clivages relèvent plutôt de l'affect, des passions, plutôt que de la raison. En tentant d'étouffer ces passions et ces divergences profondes, la vie politique converge vers un centrisme technocratique, qui prétend que la vie politique est affaire de savoir, de technique. et n'ont pas de croyances et de valeurs. Alors, les gens ne se reconnaissent plus dans les partis politiques. Leurs affects ne sont plus représentés. Selon Chantal Mouffe, ces affects, ces passions, risquent de ressurgir de manière non démocratique. Par exemple, sous la forme de mouvements extrémistes. Alors, comment faut-il concevoir le politique pour faire droit à ces dissensions profondes et indépassables ? Selon Chantal Mouffe, il faut assumer le caractère conflictuel, plutôt que consensuel, de la démocratie. Le premier modèle du politique était consensuel, cette vision-là est plutôt conflictuelle. La démocratie n'aurait alors pas pour but d'effacer les désaccords, mais plutôt d'organiser la confrontation de manière démocratique. La démocratie, ce serait l'organisation d'un espace de conflictualité dans lequel les opposants se considèrent comme des adversaires, c'est-à-dire des gens qui partagent un certain nombre de valeurs démocratiques et républicaines, et non comme des ennemis qui chercheraient mutuellement à s'anéantir. Ce serait un peu comme la différence entre un ring de boxe et un champ de bataille. Dans le premier, vous affrontez un adversaire, mais vous respectez un cadre et des règles démocratiques. Dans le second... Il n'y a plus vraiment de règles et c'est un combat à mort. Cette conception permet alors de tracer une limite entre les adversaires, qui sont légitimes car ils adhèrent aux valeurs républicaines, et les véritables ennemis, qui refusent les principes qui organisent notre démocratie. Comme par exemple l'extrême droite, qui conteste le principe d'égalité et porte un discours raciste. A l'inverse, la gauche et la droite sont historiquement des adversaires. Il s'accorde sur les valeurs de liberté et d'égalité, c'est-à-dire sur un espace démocratique commun, mais il s'oppose sur la primauté à donner à chacune de ces valeurs, et donc sur la manière de gérer le vivre ensemble. Ce qui me paraît très intéressant dans cette analyse de Chantal Mouffe, c'est qu'elle renonce à une vision idéale, fantasmée, de la société, où tout le monde finirait par être d'accord. L'essence même de la société, de l'humanité, ce sont justement les dissensions, les désaccords. L'humanité ne peut pas être une totalité unifiée ou homogène. Chacun, chacune, se reconnaît dans des identités, des valeurs, et cherche à appartenir à un ou plusieurs groupes. C'est donc faire preuve de réalisme, de pragmatisme, que de penser comment organiser démocratiquement ces conflits, plutôt que de prétendre les faire disparaître. C'est sûr que c'est moins optimiste et reposant que l'idée d'une démocratie comme disparition des conflits. Mais ça permet de faire droit à une dimension fondamentale de la vie en société, Le conflit en empêchant précisément de sombrer dans la violence. Le politique est désormais compris comme le lieu d'une conflictualité régulée où des adversaires combattent pour emporter chaque bataille, où ils s'affrontent pour remporter l'hégémonie, ne serait-ce que de manière éphémère. La réflexion de Chantal Mouffe est à contre-courant des définitions dominantes du politique, conçues comme devant neutraliser les oppositions et prendre des décisions impartiales et efficaces. Pourtant, l'histoire politique récente lui donne, me semble-t-il, plutôt raison. Déjà, son analyse explique la baisse croissante de la participation. Eh oui, si vous niez les affects et les passions des gens, si vous leur répétez qu'il n'y a pas d'alternative au néolibéralisme, et que donc, en gros, quoi que vous votiez, ce sera la même chose, Comment voulez-vous les mobiliser ? Ensuite, l'analyse de Chantal Mouffe, écrite avant la première élection d'Emmanuel Macron, explique cette convergence vers ce qu'on appelle aujourd'hui l'extrême centre. Je m'arrête un instant sur cette expression, qui décrit parfaitement, vous allez le voir, la situation politique dans laquelle nous sommes. L'extrême centre est une notion définie par l'historien Pierre Cerna. C'est une tendance politique qui cherche à discréditer l'opposition entre la gauche et la droite et prétend incarner la modération, le juste milieu, la raison. L'extrême centre se présente souvent comme étant constitué d'experts, de techniciens, qui dépassionnent la politique. Ces experts... dépourvus de convictions et d'idéologies, font preuve alors d'un opportunisme sans faille. Et ils n'hésitent pas à être un jour de gauche et un jour de droite, en fonction du vent. Alors, ils compensent leur manque criant de convictions et de valeurs en faisant preuve de toujours plus d'autoritarisme. On reconnaît, dans cette description un peu féroce, toute la sphère macroniste menée par l'extrême-centriste en chef, Emmanuel Macron, et par tous ces petits friponneaux. Face à l'extrême-centre, qui prétend imposer un consensus en niant les passions et les oppositions, les affects ressurgissent sous une forme non démocratique et non républicaine. En France, c'est le succès du Rassemblement National. Aux Etats-Unis, celui de Trump. En Argentine, celui de Millet. En Hongrie, celui d'Orban, etc. La seule façon d'enrayer cette dynamique, selon Chantal Mouffe, c'est justement de faire droit aux affects, aux passions, aux valeurs, au sein d'un cadre démocratique. L'objectif de la démocratie, c'est de canaliser les passions et non de les faire disparaître. La démocratie, c'est du conflit, dit-elle. Un conflit entre adversaires qui partagent un certain nombre de principes. À l'inverse, Emmanuel Macron incarne parfaitement cet extrême centre, qui prétend dépassionner la politique et aboutir à des compromis, et fait preuve au contraire d'autoritarisme. Après avoir fait un front républicain avec la gauche contre l'extrême droite, il traite désormais la gauche comme son ennemi, et non plus comme un adversaire. Alors il pactise avec l'extrême droite, celui qui devrait précisément être son ennemi. Il en vient, par ses compromissions avec un parti qui ne respecte pas les principes républicains, à nier le fonctionnement démocratique. Quant à la nomination de Michel Barnier, elle correspond totalement à cette illusion du compromis dont parle Chantal Mouffe. Un mensonge, censé faire croire que Macron a réellement composé avec toutes les sensibilités politiques en recevant les différents représentants des partis tout au long de l'été, alors que plusieurs médias ont révélé que son choix s'était arrêté tout début juillet sur Michel Barnier, après en avoir bien sûr convenu par téléphone avec Marine Le Pen. Une nomination qui montre comment Macron préfère faire alliance avec le Rassemblement national plutôt que respecter le fonctionnement démocratique, au risque de créer un précédent autoritariste qui ne laissera plus de place à aucun compromis, et pas même à une illusion de compromis. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. Et d'ici là, n'oubliez pas de vous abonner et de mettre 5 étoiles sur Spotify et Apple Podcasts, ça m'aide beaucoup. Merci et à bientôt !

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Compromis : voilà un mot qu’Emmanuel Macron ne cesse d’employer depuis plusieurs années, et qui signifie chez lui « faire exactement ce que lui veut ». Mais qu’est-ce que c’est, exactement, un compromis ? En quoi est-ce différent de la compromission ? Est-ce que la démocratie, c’est l’art de faire des compromis ?


Aujourd’hui, je vous propose une philosophie du compromis. On va parler politique, conflit, extrême-centre, philosophie de Chantal Mouffe, et bien  sûr, de compromis !


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  • Speaker #0

    Michel Barnier, Premier ministre, une philosophie du compromis. Enfin, ça y est, nous avons un nouveau Premier ministre. Il s'agit de Michel Barnier, un homme qui sera sans aucun doute comblé les attentes politiques de tous les Français et les Françaises, puisqu'il est issu d'un parti qui a fait pas moins de 5% des voix aux législatives, et est donc fort d'une légitimité incontestable. Michel Barnier est décrit comme un négociateur hors pair. qui saura faire des compromis, promenera bien ce que Macron décrit comme une coexistence exigeante Une nouvelle expression, probablement made in McKinsey, pour décrire une situation où on a ignoré le résultat des urnes, refusé de nommer un Premier ministre issu de la coalition arrivée en tête, fait un pacte avec l'extrême droite, tout en répétant que tout ça, c'est la faute de la gauche. Compromis. Voilà un mot qu'Emmanuel Macron ne cesse d'employer depuis plusieurs années. et qui signifie chez lui faire exactement ce que lui veut. Mais qu'est-ce que c'est exactement un compromis ? En quoi est-ce différent de la compromission ? Et est-ce que la démocratie, c'est l'art de faire des compromis, justement ? Aujourd'hui, je vous propose une philosophie du compromis. On va parler politique, conflit, extrême-centre, philosophie de Chantal Mouffe et bien sûr, de compromis. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Et pour des informations exclusives, abonnez-vous à mon compte Instagram lefildactu.podcast. Qu'est-ce qu'un compromis ? Un compromis, c'est un arrangement entre deux personnes ou groupes de personnes qui ont des idées opposées et font chacun chacune des concessions pour arriver à un accord. L'idée du compromis, c'est que chacun conserve ses principes, ses valeurs, mais accepte de renoncer à certaines demandes pour trouver un terrain d'entente avec l'autre. C'est la différence avec la compromission. Quand on se compromet, on renonce à ses principes et ses valeurs, et on se plie totalement aux volontés de l'autre personne. Le fondement du compromis, c'est qu'on reconnaît une légitimité à son interlocuteur. On lui reconnaît une dignité et donc le droit de défendre sa position. Comme le dit le philosophe Paul Ricoeur, le compromis, c'est une barrière entre l'accord et la violence. On ne sera jamais 100% d'accord, mais on discute pour éviter de se battre. Le compromis est alors, selon Ricoeur, le principe de la démocratie. Les citoyens partagent un certain nombre de principes, les droits de l'homme, la liberté, l'égalité. Ils s'opposent cependant sur des valeurs et des volontés. Et ils résolvent ces désaccords de manière non violente, par la discussion. C'est une vision politique qui est assez répandue et qu'on appelle démocratie délibérative Les décisions sont le fruit de délibérations. Ça peut sembler assez intuitif, parce qu'il est vrai que dans notre vie quotidienne, on fait souvent des compromis. Quand on choisit un restaurant avec des amis, par exemple, quand on choisit un film avec son ou sa partenaire, quand on prend des décisions au travail, etc. Alors ? Ça semble assez intuitif que la vie politique s'organise de la même manière. Sauf que, est-ce que ces décisions sont vraiment le fruit de délibérations totalement égalitaires ? Et est-ce que le compromis, c'est vraiment, comme on nous le répète sans cesse, l'alpha et l'oméga de la vie politique ? Ce n'est pas l'avis de la philosophe belge Chantal Mouffe. Dans son livre L'illusion du consensus paru en 2016, elle remet en question l'injonction au compromis qui, selon elle, met en danger la démocratie elle-même. Selon Chantal Mouffe, il y a deux manières de concevoir ce qu'est le politique. La première manière, qui est aujourd'hui dominante, c'est celle qui comprend la politique comme la recherche délibérative du consensus. Des groupes antagonistes discutent, délibèrent, à la recherche du compromis. Or, selon elle, cette conception est non seulement fausse, mais dangereuse. Fausse, car il y a des clivages, des oppositions qui sont tout simplement indépassables. Vous aurez beau discuter, débattre, certaines croyances, valeurs, principes ne pourront jamais faire l'objet d'un compromis. Alors, ce qu'on appelle consensus est une illusion. C'est en réalité la victoire de l'un des deux camps sur l'autre. D'autant que le modèle du compromis, du consensus, présuppose que les interlocuteurs soient dans des positions de pouvoir équivalentes, qu'ils et elles discutent à armes égales. Or, la société est traversée par des relations de pouvoir, par des inégalités fortes, qui ne correspondent pas au modèle du compromis et de la délibération. Si un employé, par exemple, est en désaccord avec son patron, en général, la décision finale ne sera pas un compromis issu d'une délibération, mais tout simplement la décision du patron. Le modèle du consensus est donc illusoire. Mais il est également dangereux, explique Chantal Mouffe. Pourquoi ? Parce qu'il cherche à gommer, à neutraliser les oppositions et les dissensions. Le but du consensus, c'est que tout le monde parvienne à se mettre d'accord sur un certain nombre de choses, au terme d'une délibération raisonnable. Or, comme on le disait, il y a des clivages indépassables. Et ces clivages relèvent plutôt de l'affect, des passions, plutôt que de la raison. En tentant d'étouffer ces passions et ces divergences profondes, la vie politique converge vers un centrisme technocratique, qui prétend que la vie politique est affaire de savoir, de technique. et n'ont pas de croyances et de valeurs. Alors, les gens ne se reconnaissent plus dans les partis politiques. Leurs affects ne sont plus représentés. Selon Chantal Mouffe, ces affects, ces passions, risquent de ressurgir de manière non démocratique. Par exemple, sous la forme de mouvements extrémistes. Alors, comment faut-il concevoir le politique pour faire droit à ces dissensions profondes et indépassables ? Selon Chantal Mouffe, il faut assumer le caractère conflictuel, plutôt que consensuel, de la démocratie. Le premier modèle du politique était consensuel, cette vision-là est plutôt conflictuelle. La démocratie n'aurait alors pas pour but d'effacer les désaccords, mais plutôt d'organiser la confrontation de manière démocratique. La démocratie, ce serait l'organisation d'un espace de conflictualité dans lequel les opposants se considèrent comme des adversaires, c'est-à-dire des gens qui partagent un certain nombre de valeurs démocratiques et républicaines, et non comme des ennemis qui chercheraient mutuellement à s'anéantir. Ce serait un peu comme la différence entre un ring de boxe et un champ de bataille. Dans le premier, vous affrontez un adversaire, mais vous respectez un cadre et des règles démocratiques. Dans le second... Il n'y a plus vraiment de règles et c'est un combat à mort. Cette conception permet alors de tracer une limite entre les adversaires, qui sont légitimes car ils adhèrent aux valeurs républicaines, et les véritables ennemis, qui refusent les principes qui organisent notre démocratie. Comme par exemple l'extrême droite, qui conteste le principe d'égalité et porte un discours raciste. A l'inverse, la gauche et la droite sont historiquement des adversaires. Il s'accorde sur les valeurs de liberté et d'égalité, c'est-à-dire sur un espace démocratique commun, mais il s'oppose sur la primauté à donner à chacune de ces valeurs, et donc sur la manière de gérer le vivre ensemble. Ce qui me paraît très intéressant dans cette analyse de Chantal Mouffe, c'est qu'elle renonce à une vision idéale, fantasmée, de la société, où tout le monde finirait par être d'accord. L'essence même de la société, de l'humanité, ce sont justement les dissensions, les désaccords. L'humanité ne peut pas être une totalité unifiée ou homogène. Chacun, chacune, se reconnaît dans des identités, des valeurs, et cherche à appartenir à un ou plusieurs groupes. C'est donc faire preuve de réalisme, de pragmatisme, que de penser comment organiser démocratiquement ces conflits, plutôt que de prétendre les faire disparaître. C'est sûr que c'est moins optimiste et reposant que l'idée d'une démocratie comme disparition des conflits. Mais ça permet de faire droit à une dimension fondamentale de la vie en société, Le conflit en empêchant précisément de sombrer dans la violence. Le politique est désormais compris comme le lieu d'une conflictualité régulée où des adversaires combattent pour emporter chaque bataille, où ils s'affrontent pour remporter l'hégémonie, ne serait-ce que de manière éphémère. La réflexion de Chantal Mouffe est à contre-courant des définitions dominantes du politique, conçues comme devant neutraliser les oppositions et prendre des décisions impartiales et efficaces. Pourtant, l'histoire politique récente lui donne, me semble-t-il, plutôt raison. Déjà, son analyse explique la baisse croissante de la participation. Eh oui, si vous niez les affects et les passions des gens, si vous leur répétez qu'il n'y a pas d'alternative au néolibéralisme, et que donc, en gros, quoi que vous votiez, ce sera la même chose, Comment voulez-vous les mobiliser ? Ensuite, l'analyse de Chantal Mouffe, écrite avant la première élection d'Emmanuel Macron, explique cette convergence vers ce qu'on appelle aujourd'hui l'extrême centre. Je m'arrête un instant sur cette expression, qui décrit parfaitement, vous allez le voir, la situation politique dans laquelle nous sommes. L'extrême centre est une notion définie par l'historien Pierre Cerna. C'est une tendance politique qui cherche à discréditer l'opposition entre la gauche et la droite et prétend incarner la modération, le juste milieu, la raison. L'extrême centre se présente souvent comme étant constitué d'experts, de techniciens, qui dépassionnent la politique. Ces experts... dépourvus de convictions et d'idéologies, font preuve alors d'un opportunisme sans faille. Et ils n'hésitent pas à être un jour de gauche et un jour de droite, en fonction du vent. Alors, ils compensent leur manque criant de convictions et de valeurs en faisant preuve de toujours plus d'autoritarisme. On reconnaît, dans cette description un peu féroce, toute la sphère macroniste menée par l'extrême-centriste en chef, Emmanuel Macron, et par tous ces petits friponneaux. Face à l'extrême-centre, qui prétend imposer un consensus en niant les passions et les oppositions, les affects ressurgissent sous une forme non démocratique et non républicaine. En France, c'est le succès du Rassemblement National. Aux Etats-Unis, celui de Trump. En Argentine, celui de Millet. En Hongrie, celui d'Orban, etc. La seule façon d'enrayer cette dynamique, selon Chantal Mouffe, c'est justement de faire droit aux affects, aux passions, aux valeurs, au sein d'un cadre démocratique. L'objectif de la démocratie, c'est de canaliser les passions et non de les faire disparaître. La démocratie, c'est du conflit, dit-elle. Un conflit entre adversaires qui partagent un certain nombre de principes. À l'inverse, Emmanuel Macron incarne parfaitement cet extrême centre, qui prétend dépassionner la politique et aboutir à des compromis, et fait preuve au contraire d'autoritarisme. Après avoir fait un front républicain avec la gauche contre l'extrême droite, il traite désormais la gauche comme son ennemi, et non plus comme un adversaire. Alors il pactise avec l'extrême droite, celui qui devrait précisément être son ennemi. Il en vient, par ses compromissions avec un parti qui ne respecte pas les principes républicains, à nier le fonctionnement démocratique. Quant à la nomination de Michel Barnier, elle correspond totalement à cette illusion du compromis dont parle Chantal Mouffe. Un mensonge, censé faire croire que Macron a réellement composé avec toutes les sensibilités politiques en recevant les différents représentants des partis tout au long de l'été, alors que plusieurs médias ont révélé que son choix s'était arrêté tout début juillet sur Michel Barnier, après en avoir bien sûr convenu par téléphone avec Marine Le Pen. Une nomination qui montre comment Macron préfère faire alliance avec le Rassemblement national plutôt que respecter le fonctionnement démocratique, au risque de créer un précédent autoritariste qui ne laissera plus de place à aucun compromis, et pas même à une illusion de compromis. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. Et d'ici là, n'oubliez pas de vous abonner et de mettre 5 étoiles sur Spotify et Apple Podcasts, ça m'aide beaucoup. Merci et à bientôt !

Description

La démocratie, c'est l'art du compromis ? Et si la philosophie permettait de penser la démocratie autrement ?


Enfin, ça y est, nous avons un nouveau Premier Ministre ! Michel Barnier, un homme décrit comme un négociateur hors pair, qui saura faire des compromis, pour mener à bien ce que Macron décrit comme une « coexistence exigeante ».

Compromis : voilà un mot qu’Emmanuel Macron ne cesse d’employer depuis plusieurs années, et qui signifie chez lui « faire exactement ce que lui veut ». Mais qu’est-ce que c’est, exactement, un compromis ? En quoi est-ce différent de la compromission ? Est-ce que la démocratie, c’est l’art de faire des compromis ?


Aujourd’hui, je vous propose une philosophie du compromis. On va parler politique, conflit, extrême-centre, philosophie de Chantal Mouffe, et bien  sûr, de compromis !


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Transcription

  • Speaker #0

    Michel Barnier, Premier ministre, une philosophie du compromis. Enfin, ça y est, nous avons un nouveau Premier ministre. Il s'agit de Michel Barnier, un homme qui sera sans aucun doute comblé les attentes politiques de tous les Français et les Françaises, puisqu'il est issu d'un parti qui a fait pas moins de 5% des voix aux législatives, et est donc fort d'une légitimité incontestable. Michel Barnier est décrit comme un négociateur hors pair. qui saura faire des compromis, promenera bien ce que Macron décrit comme une coexistence exigeante Une nouvelle expression, probablement made in McKinsey, pour décrire une situation où on a ignoré le résultat des urnes, refusé de nommer un Premier ministre issu de la coalition arrivée en tête, fait un pacte avec l'extrême droite, tout en répétant que tout ça, c'est la faute de la gauche. Compromis. Voilà un mot qu'Emmanuel Macron ne cesse d'employer depuis plusieurs années. et qui signifie chez lui faire exactement ce que lui veut. Mais qu'est-ce que c'est exactement un compromis ? En quoi est-ce différent de la compromission ? Et est-ce que la démocratie, c'est l'art de faire des compromis, justement ? Aujourd'hui, je vous propose une philosophie du compromis. On va parler politique, conflit, extrême-centre, philosophie de Chantal Mouffe et bien sûr, de compromis. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Et pour des informations exclusives, abonnez-vous à mon compte Instagram lefildactu.podcast. Qu'est-ce qu'un compromis ? Un compromis, c'est un arrangement entre deux personnes ou groupes de personnes qui ont des idées opposées et font chacun chacune des concessions pour arriver à un accord. L'idée du compromis, c'est que chacun conserve ses principes, ses valeurs, mais accepte de renoncer à certaines demandes pour trouver un terrain d'entente avec l'autre. C'est la différence avec la compromission. Quand on se compromet, on renonce à ses principes et ses valeurs, et on se plie totalement aux volontés de l'autre personne. Le fondement du compromis, c'est qu'on reconnaît une légitimité à son interlocuteur. On lui reconnaît une dignité et donc le droit de défendre sa position. Comme le dit le philosophe Paul Ricoeur, le compromis, c'est une barrière entre l'accord et la violence. On ne sera jamais 100% d'accord, mais on discute pour éviter de se battre. Le compromis est alors, selon Ricoeur, le principe de la démocratie. Les citoyens partagent un certain nombre de principes, les droits de l'homme, la liberté, l'égalité. Ils s'opposent cependant sur des valeurs et des volontés. Et ils résolvent ces désaccords de manière non violente, par la discussion. C'est une vision politique qui est assez répandue et qu'on appelle démocratie délibérative Les décisions sont le fruit de délibérations. Ça peut sembler assez intuitif, parce qu'il est vrai que dans notre vie quotidienne, on fait souvent des compromis. Quand on choisit un restaurant avec des amis, par exemple, quand on choisit un film avec son ou sa partenaire, quand on prend des décisions au travail, etc. Alors ? Ça semble assez intuitif que la vie politique s'organise de la même manière. Sauf que, est-ce que ces décisions sont vraiment le fruit de délibérations totalement égalitaires ? Et est-ce que le compromis, c'est vraiment, comme on nous le répète sans cesse, l'alpha et l'oméga de la vie politique ? Ce n'est pas l'avis de la philosophe belge Chantal Mouffe. Dans son livre L'illusion du consensus paru en 2016, elle remet en question l'injonction au compromis qui, selon elle, met en danger la démocratie elle-même. Selon Chantal Mouffe, il y a deux manières de concevoir ce qu'est le politique. La première manière, qui est aujourd'hui dominante, c'est celle qui comprend la politique comme la recherche délibérative du consensus. Des groupes antagonistes discutent, délibèrent, à la recherche du compromis. Or, selon elle, cette conception est non seulement fausse, mais dangereuse. Fausse, car il y a des clivages, des oppositions qui sont tout simplement indépassables. Vous aurez beau discuter, débattre, certaines croyances, valeurs, principes ne pourront jamais faire l'objet d'un compromis. Alors, ce qu'on appelle consensus est une illusion. C'est en réalité la victoire de l'un des deux camps sur l'autre. D'autant que le modèle du compromis, du consensus, présuppose que les interlocuteurs soient dans des positions de pouvoir équivalentes, qu'ils et elles discutent à armes égales. Or, la société est traversée par des relations de pouvoir, par des inégalités fortes, qui ne correspondent pas au modèle du compromis et de la délibération. Si un employé, par exemple, est en désaccord avec son patron, en général, la décision finale ne sera pas un compromis issu d'une délibération, mais tout simplement la décision du patron. Le modèle du consensus est donc illusoire. Mais il est également dangereux, explique Chantal Mouffe. Pourquoi ? Parce qu'il cherche à gommer, à neutraliser les oppositions et les dissensions. Le but du consensus, c'est que tout le monde parvienne à se mettre d'accord sur un certain nombre de choses, au terme d'une délibération raisonnable. Or, comme on le disait, il y a des clivages indépassables. Et ces clivages relèvent plutôt de l'affect, des passions, plutôt que de la raison. En tentant d'étouffer ces passions et ces divergences profondes, la vie politique converge vers un centrisme technocratique, qui prétend que la vie politique est affaire de savoir, de technique. et n'ont pas de croyances et de valeurs. Alors, les gens ne se reconnaissent plus dans les partis politiques. Leurs affects ne sont plus représentés. Selon Chantal Mouffe, ces affects, ces passions, risquent de ressurgir de manière non démocratique. Par exemple, sous la forme de mouvements extrémistes. Alors, comment faut-il concevoir le politique pour faire droit à ces dissensions profondes et indépassables ? Selon Chantal Mouffe, il faut assumer le caractère conflictuel, plutôt que consensuel, de la démocratie. Le premier modèle du politique était consensuel, cette vision-là est plutôt conflictuelle. La démocratie n'aurait alors pas pour but d'effacer les désaccords, mais plutôt d'organiser la confrontation de manière démocratique. La démocratie, ce serait l'organisation d'un espace de conflictualité dans lequel les opposants se considèrent comme des adversaires, c'est-à-dire des gens qui partagent un certain nombre de valeurs démocratiques et républicaines, et non comme des ennemis qui chercheraient mutuellement à s'anéantir. Ce serait un peu comme la différence entre un ring de boxe et un champ de bataille. Dans le premier, vous affrontez un adversaire, mais vous respectez un cadre et des règles démocratiques. Dans le second... Il n'y a plus vraiment de règles et c'est un combat à mort. Cette conception permet alors de tracer une limite entre les adversaires, qui sont légitimes car ils adhèrent aux valeurs républicaines, et les véritables ennemis, qui refusent les principes qui organisent notre démocratie. Comme par exemple l'extrême droite, qui conteste le principe d'égalité et porte un discours raciste. A l'inverse, la gauche et la droite sont historiquement des adversaires. Il s'accorde sur les valeurs de liberté et d'égalité, c'est-à-dire sur un espace démocratique commun, mais il s'oppose sur la primauté à donner à chacune de ces valeurs, et donc sur la manière de gérer le vivre ensemble. Ce qui me paraît très intéressant dans cette analyse de Chantal Mouffe, c'est qu'elle renonce à une vision idéale, fantasmée, de la société, où tout le monde finirait par être d'accord. L'essence même de la société, de l'humanité, ce sont justement les dissensions, les désaccords. L'humanité ne peut pas être une totalité unifiée ou homogène. Chacun, chacune, se reconnaît dans des identités, des valeurs, et cherche à appartenir à un ou plusieurs groupes. C'est donc faire preuve de réalisme, de pragmatisme, que de penser comment organiser démocratiquement ces conflits, plutôt que de prétendre les faire disparaître. C'est sûr que c'est moins optimiste et reposant que l'idée d'une démocratie comme disparition des conflits. Mais ça permet de faire droit à une dimension fondamentale de la vie en société, Le conflit en empêchant précisément de sombrer dans la violence. Le politique est désormais compris comme le lieu d'une conflictualité régulée où des adversaires combattent pour emporter chaque bataille, où ils s'affrontent pour remporter l'hégémonie, ne serait-ce que de manière éphémère. La réflexion de Chantal Mouffe est à contre-courant des définitions dominantes du politique, conçues comme devant neutraliser les oppositions et prendre des décisions impartiales et efficaces. Pourtant, l'histoire politique récente lui donne, me semble-t-il, plutôt raison. Déjà, son analyse explique la baisse croissante de la participation. Eh oui, si vous niez les affects et les passions des gens, si vous leur répétez qu'il n'y a pas d'alternative au néolibéralisme, et que donc, en gros, quoi que vous votiez, ce sera la même chose, Comment voulez-vous les mobiliser ? Ensuite, l'analyse de Chantal Mouffe, écrite avant la première élection d'Emmanuel Macron, explique cette convergence vers ce qu'on appelle aujourd'hui l'extrême centre. Je m'arrête un instant sur cette expression, qui décrit parfaitement, vous allez le voir, la situation politique dans laquelle nous sommes. L'extrême centre est une notion définie par l'historien Pierre Cerna. C'est une tendance politique qui cherche à discréditer l'opposition entre la gauche et la droite et prétend incarner la modération, le juste milieu, la raison. L'extrême centre se présente souvent comme étant constitué d'experts, de techniciens, qui dépassionnent la politique. Ces experts... dépourvus de convictions et d'idéologies, font preuve alors d'un opportunisme sans faille. Et ils n'hésitent pas à être un jour de gauche et un jour de droite, en fonction du vent. Alors, ils compensent leur manque criant de convictions et de valeurs en faisant preuve de toujours plus d'autoritarisme. On reconnaît, dans cette description un peu féroce, toute la sphère macroniste menée par l'extrême-centriste en chef, Emmanuel Macron, et par tous ces petits friponneaux. Face à l'extrême-centre, qui prétend imposer un consensus en niant les passions et les oppositions, les affects ressurgissent sous une forme non démocratique et non républicaine. En France, c'est le succès du Rassemblement National. Aux Etats-Unis, celui de Trump. En Argentine, celui de Millet. En Hongrie, celui d'Orban, etc. La seule façon d'enrayer cette dynamique, selon Chantal Mouffe, c'est justement de faire droit aux affects, aux passions, aux valeurs, au sein d'un cadre démocratique. L'objectif de la démocratie, c'est de canaliser les passions et non de les faire disparaître. La démocratie, c'est du conflit, dit-elle. Un conflit entre adversaires qui partagent un certain nombre de principes. À l'inverse, Emmanuel Macron incarne parfaitement cet extrême centre, qui prétend dépassionner la politique et aboutir à des compromis, et fait preuve au contraire d'autoritarisme. Après avoir fait un front républicain avec la gauche contre l'extrême droite, il traite désormais la gauche comme son ennemi, et non plus comme un adversaire. Alors il pactise avec l'extrême droite, celui qui devrait précisément être son ennemi. Il en vient, par ses compromissions avec un parti qui ne respecte pas les principes républicains, à nier le fonctionnement démocratique. Quant à la nomination de Michel Barnier, elle correspond totalement à cette illusion du compromis dont parle Chantal Mouffe. Un mensonge, censé faire croire que Macron a réellement composé avec toutes les sensibilités politiques en recevant les différents représentants des partis tout au long de l'été, alors que plusieurs médias ont révélé que son choix s'était arrêté tout début juillet sur Michel Barnier, après en avoir bien sûr convenu par téléphone avec Marine Le Pen. Une nomination qui montre comment Macron préfère faire alliance avec le Rassemblement national plutôt que respecter le fonctionnement démocratique, au risque de créer un précédent autoritariste qui ne laissera plus de place à aucun compromis, et pas même à une illusion de compromis. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. Et d'ici là, n'oubliez pas de vous abonner et de mettre 5 étoiles sur Spotify et Apple Podcasts, ça m'aide beaucoup. Merci et à bientôt !

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