Speaker #0Procès du Rassemblement National, une philosophie de la vérité. Avant de commencer, je voulais vous dire un mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant et sans publicité. Et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien. Et maintenant, place à l'épisode ! En ce moment a lieu le procès du Rassemblement national pour détournement de fonds publics au Parlement européen. Le parti est accusé d'avoir détourné entre 4 et 7 millions d'euros entre 2004 et 2016. Neuf ans d'enquête suggèrent que Marine Le Pen aurait été au cœur d'un système bien huilé. Elle aurait embauché des assistants fictifs payés par le Parlement européen, alors qu'il travaillait en réalité exclusivement pour l'ERN. En gros, c'est l'Europe qui payait les salaires. des employés du RN et des proches de Marine Le Pen, et qui les payaient grassement. Marine Le Pen encourt jusqu'à 5 ans de prison, dont 2 fermes, et 5 ans d'inéligibilité, ce qui les mettrait hors course pour l'élection présidentielle de 2027. L'extrême droite s'est empressée de hurler au procès politique. Des membres du RN, Gérald Darmanin ou encore Éric Zemmour, ont parlé de gouvernement des juges, d'acharnement politique. allant à l'encontre de la volonté des Français. Rappelons pourtant qu'une loi de 2016 stipule qu'être reconnu coupable de fonds publics équivaut à une peine d'inéligibilité. L'extrême droite poursuit donc une véritable campagne de désinformation. Marine Le Pen prétend qu'on veut l'empêcher de faire appel, ce qui est évidemment totalement faux, et Jordan Bardella parle de simples désaccords administratifs avec le Parlement européen, alors que le préjudice s'élève à 7 millions d'euros. et a duré 15 ans. Et pourtant, voilà les responsables du RN invités sur tous les plateaux pour crier à l'injustice et dérouler leurs éléments de langage. Le RN n'hésite pas à présenter des faits alternatifs, des fake news, sans que les journalistes ne les contredisent réellement. Certes, le lendemain, les articles de fact-checking, de vérification de ce qui a été dit, paraissent. Mais c'est souvent trop peu, trop tard. Comme le dit le proverbe, le mensonge prend l'ascenseur, quand la vérité prend l'escalier. Alors, comment penser la vérité dans le monde actuel ? Et d'abord, c'est quoi la vérité ? Aujourd'hui, je vous propose une philosophie de la vérité. On va parler Matrix, Opinion, Donald Trump, philosophie de Michel Foucault, philosophie de Myriam Revaud-Allon, et bien sûr, de vérité. Je suis Alice de Rochechouart, et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Et pour des informations exclusives, abonnez-vous à mon compte Instagram, lefildactu.podcast. Qu'est-ce que la vérité ? En quoi se distingue-t-elle de la croyance ou de l'opinion ? En général, on pense la vérité comme adéquation. Une phrase est vraie si elle est adéquate, conforme au réel. Par exemple, la Terre est ronde, c'est une vérité. La phrase est vraie car elle décrit bien le réel. La vérité s'oppose à l'erreur et aux mensonges, celles et ceux qui croient ou qui prétendent que la Terre est plate. La caractéristique de la vérité, c'est donc qu'elle est objective et universelle. Elle dépasse ma propre expérience individuelle, ma propre perception. Mais comment avoir accès à la vérité ? Comment être sûr que nous ne sommes pas collectivement victimes de nos sens, de nos perceptions ? Que nous ne vivons pas dans une illusion, comme dans le film Matrix ? C'est une question qui occupe la philosophie depuis toujours. Et d'ailleurs, avant Matrix, il y avait la caverne de Platon. Platon imagine des hommes, prisonniers dans une caverne depuis leur naissance, et qui ne voient que des ombres projetées sur le mur devant eux, un peu comme un théâtre d'ombres chinoises. Ces ombres sont leur seule réalité, leur vérité, jusqu'au jour où un homme parvient à s'échapper pour découvrir le monde réel. En découvrant le soleil, il découvre la lumière de la vérité. Mais comment savoir si nous sommes dans une caverne ? Et si c'est le cas, comment en sortir ? Comment accéder à la vérité ? Est-ce seulement possible ? Et puis, est-ce qu'il y a d'ailleurs une vérité absolue, unique ? Les philosophes débattent âprement depuis 2500 ans. Pendant plusieurs siècles, ils ont cherché à élaborer des méthodes pour accéder à la vérité absolue. Et puis, depuis le XIXe siècle, l'heure est plutôt au soupçon. Comment pouvons-nous prétendre être objectifs et accéder à une vérité absolue, universelle ? quand nous voyons toutes et tous le monde depuis notre subjectivité. Des philosophes comme Marx ou Nietzsche veulent ainsi faire tomber l'humain du piédestal qu'il s'était lui-même construit. Non, nous ne sommes pas des dieux qui pouvons détenir la vérité absolue. Nous sommes des humains qui interprétons ce que nous voyons. D'où la formule de Nietzsche, il n'y a pas de fait, il n'y a que des interprétations. Alors, la perspective. change. Il n'est plus tellement question de chercher la vérité avec un V majuscule, mais plutôt de se rendre compte que ce qu'on appelle vérité, c'est le produit d'une époque, d'une classe, d'une culture. C'est l'objectif du philosophe Michel Foucault. Comprendre comment les vérités sont produites, comment elles sont situées, comment elles sont historiquement construites, comment la vérité d'aujourd'hui n'est pas celle d'autrefois. Foucault se demande Comment des discours deviennent-ils vrais ? L'idée n'est pas de tomber dans un relativisme absolu, où toutes les phrases se valent et où chacun a sa propre vérité, mais de lutter contre toute prétention absolue, contre toute personne qui prétendrait détenir la vérité unique, ce qui, comme l'histoire l'a maintes fois montré, conduit souvent à un certain autoritarisme. A l'inverse, l'idée est d'avoir du recul critique sur ce que nous considérons comme vrai, de considérer la vérité avec humilité. Non pas pour détruire la vérité, mais pour ne pas prétendre être tout-puissant. Mais depuis quelques années, une expression est de plus en plus utilisée pour décrire notre époque. C'est celle de post-vérité. Et là... Vous allez voir que ça n'a plus rien à voir avec un questionnement sur la production du vrai. C'est carrément l'indifférence à la vérité. L'expression de post-vérité date de 1992. Elle est créée par un écrivain serbo-américain, Steve Teschitch, qui explique que nous vivons désormais dans un monde où nous n'aimons pas la vérité. trop souvent porteuse de mauvaises nouvelles. Nous attendons dorénavant de notre gouvernement qu'il nous protège de la vérité dit-il. Nous préférons finalement l'illusion heureuse à la vérité malheureuse L'expression fait son chemin, et elle est consacrée en 2016. Cette année-là, elle fait son entrée dans le dictionnaire Oxford, et surtout, elle trouve son plus bel ambassadeur en la personne de Donald Trump, fraîchement élu président des États-Unis. Il faut dire que Trump démarre fort. Lors de son investiture présidentielle, il pleut des cordes, ce qui ne lui plaît pas. Qu'à cela ne tienne, lorsqu'il parlera de son investiture dans les médias, il prétendra que la pluie s'est arrêtée pendant son discours. Ce qui est faux, et tout le monde peut regarder les images pour s'en assurer. Pas de problème. Trump affirme Parfois, nous pouvons être en désaccord avec les faits Sa conseillère renchérit, il ne s'agit pas de mensonges, mais de faits alternatifs. À l'époque, ça nous avait fait rire. Aujourd'hui, beaucoup moins. Car cela s'est généralisé, ce qui marque, selon la philosophe Myriam Revaud-Allon, un nouveau rapport à la vérité. Elle explique que le rapport entre politique et vérité a toujours été problématique et que ça fait longtemps que l'exercice du pouvoir est associé aux mensonges et à la manipulation. Mais là... Il ne s'agit pas seulement de mensonges, ni même d'une version totalitaire de la manipulation de la vérité. Dans les régimes totalitaires, l'idéologie fabrique une réalité alternative, une réalité unique, alors que dans nos démocraties actuelles, nous faisons au contraire face à un relativisme généralisé, à chacun sa vérité. Jusqu'à présent, les opinions de chacun, chacune, s'appuyaient sur des faits. C'était les interprétations de ces faits qui pouvaient diverger. Maintenant, l'opinion n'a même plus besoin de s'appuyer sur des faits. Elle est totalement déconnectée du réel. Et peu importe qu'on rétablisse la vérité par du fact-checking. Corriger les faits ne changera pas forcément l'opinion. Voilà ce que veut dire Myriam Revaud-Allon lorsqu'elle parle d'indifférence à la vérité. Que les faits soient réels ou non, peu importe. Ce qui compte, c'est l'opinion qu'on a. Les réseaux sociaux, évidemment, renforcent cette dynamique avec ce qu'on appelle les bulles de filtre ou les bulles cognitives. Les algorithmes ne nous montrent que des contenus qui vont nous plaire, qui confirment ce que nous pensons déjà et nous exposent à de plus en plus de fausses informations. Vous avez peut-être déjà fait cette expérience sur les réseaux sociaux en discutant avec quelqu'un qui n'est pas seulement en désaccord avec vous, mais qui présente une réalité alternative. Je ne compte plus, par exemple, le nombre de fois où des internautes m'ont affirmé que les nazis étaient de gauche ou que Jean-Marie Le Pen avait été résistant. Et quand on leur apporte des preuves que ce qu'ils disaient est faux, ils s'en fichent complètement. Ils considèrent que leur opinion est totalement valable, indépendamment des faits. Et ça ne s'arrête pas aux réseaux sociaux. Récemment, un échange entre Éric Ciotti, l'ancien président des Républicains, et le journaliste Patrick Cohen a généré de la stupéfaction. Les deux hommes discutent de la décision de la SNCF de ne pas faire de pub dans leur gare pour le livre de Jordan Bardella. Alors que cette décision correspond au règlement intérieur de la SNCF, Éric Ciotti en fait une décision politique, une volonté de censurer l'extrême droite. Sans hésiter à nier la réalité des faits.
Speaker #0Ce qui est saisissant dans cet extrait, et qui correspond totalement à l'analyse de Myriam Revaud-Dallon, c'est que la vérité n'a aucune importance pour Éric Ciotti. Il transforme les faits en opinions. Cela montre alors un changement dans la nature du mensonge. Autrefois, les mensonges politiques étaient liés au secret, à ce qui était caché au public. On parlait des arcanes du pouvoir. Aujourd'hui, à l'inverse, le mensonge s'organise en public, de manière visible et sans aucune conséquence. Peu importe qu'on puisse vérifier très facilement que l'information est fausse, l'important, c'est qu'elle soit diffusée. Le mensonge n'est plus lié au secret, mais il prospère dans la lumière. La post-vérité, en détruisant la valeur des faits, la valeur du réel, détruit la possibilité d'un monde en commun. Car s'il n'y a plus de réalité partagée, il n'y a plus de discussion possible. Comment discuter avec quelqu'un qui vous assure qu'il fait beau alors qu'il pleut des trombes ? C'est ce que l'on observe dans l'échange entre Patrick Cohen et Eric Ciotti. Patrick Cohen est à la fois totalement démuni et très en colère face à Ciotti, puisqu'il n'y a plus aucune possibilité de discussion. Si on généralise ce fonctionnement à l'échelle d'une société, cela rend impossible la vie en commun et la démocratie. L'ironie, c'est que la post-vérité provient de la démocratie elle-même. C'est parce que la démocratie permet une pluralité d'opinions, c'est parce qu'elle ne prétend jamais détenir une vérité absolue et unique, qu'elle est à la fois précieuse et fragile. Quand l'opinion se détache totalement des faits, que la réalité n'importe plus, alors le débat, la discussion devient impossible. Cela empêche, nous dit Myriam Revaud-Allon, toute possibilité d'un monde en commun. Si la réalité s'efface, que la vérité et les faits n'importent plus, alors le vivre ensemble devient impossible. La post-vérité est une menace terrible pour la démocratie. On y assiste aux États-Unis, avec la réélection d'un Donald Trump plus autoritaire que jamais et qui va toujours plus loin dans la négation des faits. Rappelons que, pendant la campagne présidentielle, il a prétendu que les personnes immigrées mangeaient des chats et des chiens. Ce mensonge ahurissant, et largement démenti par la suite, ne l'a pourtant pas fait perdre de vote. Et il lui a permis d'être élu sur un programme de déportation massive. De même, son climato-scepticisme affirmé est aujourd'hui terriblement menaçant pour l'avenir de la planète. Et la conception de la vérité de l'extrême droite française ? n'a pas l'air très éloignée de celle de Trump. Si Marine Le Pen est condamnée à 5 ans d'inéligibilité, nous aurons peut-être un peu de répit pour l'élection présidentielle de 2027. Sauf que Jordan Bardella serait sans doute candidat à sa place. Et pas sûr que ce soit une bonne nouvelle. Car en voilà un qui n'a peur ni du mensonge, ni de la manipulation. Un exemple ? Il a déclaré il y a quelques jours Je ne suis pas d'extrême droite et je ne le serai jamais Hum.