- Speaker #0
Bonjour et bienvenue sur le podcast d'Hector, le podcast qui parle souffrance au travail sous toutes ses formes et sans tablou. Chaque semaine, nous invitons des personnes à échanger sur différents sujets liés à la souffrance dans le monde de l'entreprise. Aujourd'hui, on reçoit Eva Mazur, formatrice au premier secours en santé mentale chez l'optimisme.com, un média qui prône le positif dans la vie privée comme dans la vie professionnelle. Eva nous parle de santé mentale et nous explique pourquoi. il est important d'en parler et de sensibiliser en entreprise. Bonne écoute ! Bonjour Eva et bienvenue sur le podcast d'Hector.
- Speaker #1
Bonjour Pauline, merci pour ton invitation.
- Speaker #0
Avec plaisir. Aujourd'hui, on va parler de santé mentale. Et avant de rentrer dans le vif du sujet, est-ce que tu pourrais s'il te plaît te présenter ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Moi, je suis Eva Mazur. Je travaille pour un média digital en ligne qui s'appelle l'Optimisme. et qui a vocation à mettre en lumière des projets à impact dans tous les domaines de la société, que ce soit l'écologie, le monde du travail, l'éducation, la santé, l'entrepreneuriat, avec un volet grand public et puis un volet tourné vers le monde de l'entreprise. À l'origine, je suis diplômée de criminologie, parce que ce qui m'intéressait dans mon parcours, c'était de mieux comprendre les humains que nous sommes, qu'est-ce qui peut conduire les individus à un moment donné de leur vie à basculer dans des comportements asociaux. ou violents. Et donc j'ai travaillé plusieurs années en Angleterre avec des femmes victimes de violences domestiques ou incarcérées en prison. Et c'est vrai que le sujet de la santé mentale, c'était un fil conducteur déjà à cette époque-là dans les actions qu'on pouvait mener auprès de ces femmes en Angleterre. Et à mon retour en France, j'ai rejoint le projet de l'optimisme. Je t'explique un peu de fil en aiguille comment on en est arrivé au sujet de la santé mentale à l'optimisme et pourquoi je suis devenue formatrice en premier secours en santé mentale. Parce que tout simplement, on s'est retrouvés face à une problématique. Au début du premier confinement, en tant qu'humain, en tant que salarié de l'optimisme, on est suivi par un million d'abonnés à peu près sur nos différents réseaux sociaux, dont une grande partie de RH, de managers, de dirigeants, de collaborateurs. Et au premier confinement, on a commencé à recevoir de plus en plus de mails et de messages de détresse psychologique. Et là, on s'est posé la question de notre responsabilité en tant que média et qu'est-ce qu'on pouvait faire à notre échelle. Comment on fait pour répondre à ces messages de manière constructive quand on n'est pas outillé à la base, quand on n'est pas professionnel de la santé mentale ? Qu'est-ce qu'on doit dire ? Qu'est-ce qu'on doit faire ? Comment on doit réagir à ces messages ? Sachant que ces messages pouvaient être très variés. C'était du manager qui était en burn-out et qui nous raconte qu'il pense parfois à ce que tout s'arrête dans sa vie, à la mère de famille qui s'inquiète parce que son fils fait des crises d'angoisse ou bien entend des voix. Et donc, c'est comme ça qu'on a découvert qu'il existait un programme citoyen depuis 2019, qui est le secourisme en santé mentale, pour un peu nous outiller face à la détresse qu'on pouvait voir dans notre travail au quotidien. Et c'est pour ça que je suis devenue formatrice en premier secours en santé mentale. On a formé toute notre petite équipe en interne pour être secouriste en santé mentale. On a trouvé que c'était un programme qui avait vraiment une utilité sociétale, donc on a décidé de le déployer nous-mêmes. Donc voilà comment on en est arrivé à la sorte. mentale à l'optimisme, en sachant qu'on traite de sujets comme la qualité de vie au travail, le bien-être depuis plusieurs années. Donc, c'est un peu aussi une continuité, la santé mentale.
- Speaker #0
Alors, tu parles de santé mentale, mais finalement, c'est quoi la santé mentale ? Parce que c'est un terme assez flou. Enfin, je pense que certaines personnes dont je fais partie ont du mal un peu à savoir ce qui rentre dans la santé mentale.
- Speaker #1
C'est une excellente question parce qu'effectivement, c'est un terme qui est flou. Et je pense qu'il faut repartir de la base et déjà s'interroger sur c'est quoi la santé mentale ? Quels sont les déterminants ? Quels sont les facteurs aussi qui peuvent influencer notre santé mentale ? Alors moi, je suis toujours très surprise en fait qu'il y a beaucoup de gens qui associent encore ce concept de santé mentale exclusivement aux médicales, à la maladie, à la folie, à la psychiatrie. J'entends encore santé mentale, ça fait peur, le mot fait peur. La santé mentale, c'est évidemment plus que l'absence ou la présence d'une maladie psychique ou d'un trouble psychique. C'est ce que rappelle d'ailleurs l'OMS. Il y a beaucoup de définitions qu'on peut trouver à la santé mentale. Le concept lui-même est discutable d'ailleurs. Mais je pense que ce qui est essentiel de rappeler, c'est que quand on parle de santé mentale, on parle avant tout de santé tout court. Il n'y a pas de santé sans santé mentale, parce que finalement, si on a un problème relatif à notre santé mentale, ça va impacter. plein d'autres sphères de notre santé, la santé physique bien entendu, notre santé sociale, notre santé économique, affective. Donc je pense qu'il faut voir la santé vraiment comme un tout, c'est multidimensionnel et la santé mentale est une des dimensions de la santé. Maintenant, si on veut vraiment s'attacher à une définition en particulier, il y a celle de l'Organisation mondiale de la santé qui nous dit que la santé mentale correspond à un état de bien-être mental qui nous permet d'affronter les sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre, de bien travailler, de contribuer à la vie de la communauté. Alors tu vois, c'est plein de termes comme ça, un peu valises, parce que ça nous interroge en fait, c'est quoi le stress de la vie ? C'est quoi le potentiel ? Ça signifie quoi ? Bien apprendre, bien travailler ? C'est intéressant parce que cette définition de l'OMS, elle vient d'être mise à jour sur leur site. Ça date du 17 juin 2022. Je crois qu'avant, l'OMS n'employait pas tout à fait les mêmes mots. Mais ça rappelle aussi quelque chose d'intéressant sur ce concept de santé mentale. Je trouve que ça rappelle que c'est un concept aussi qui est dynamique. C'est une notion qui est dynamique, qui va évoluer en permanence depuis que ce concept est utilisé, c'est-à-dire depuis à peu près la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
- Speaker #0
Et est-ce que tu aurais des chiffres à nous donner sur la santé mentale en France ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Alors, des chiffres, il y en a beaucoup sur la santé mentale. Moi, je vais te donner des chiffres qui m'ont particulièrement, je pense, marquée au cours de ces deux dernières années. Selon l'OMS, c'est un Européen sur quatre, quand même, qui sera concerné par un trouble psychique au cours de sa vie. On considère qu'en France, ça concerne une personne sur cinq. Une personne sur cinq est touchée chaque année, cette fois-ci, par un trouble psychique. Ça concerne un 13 millions de Français. Il y a eu aussi ce chiffre impressionnant qui est ressorti du baromètre du cabinet Empreinte Humaine, dont beaucoup de personnes ont entendu parler. 2,5 millions de salariés sont en burn-out sévère en 2021-2022. Et puis tu peux aussi consulter les chiffres de l'enquête COVID-PREV de Santé publique France, qui suit l'évolution de la santé mentale des Français depuis le début de la crise sanitaire. Et selon la dernière vague de cette enquête, il y a quand même 15% des Français qui montent des signes d'un état dépressif. 25% des Français qui m'ont dessiné d'un état anxieux. Et un autre chiffre qui m'a particulièrement marquée, c'est que 11% des Français ont eu des pensées suicidaires au cours de l'année. Donc voilà, ce sont des indicateurs qui, dit comme ça, ne sont franchement pas très réjouissants. Et puis par rapport au coût économique de la santé mentale, il faut savoir qu'en France, c'est quand même le premier poste de dépense de l'assurance maladie, avec plus de 23 milliards d'euros qui sont dépensés chaque année au titre de la… prise en charge de la souffrance psychique. Un autre chiffre qui m'a marquée, c'est que les troubles psychiques seraient aussi à l'origine quand même de 35 à 45% de l'absentéisme au travail, ce qui n'est pas négligeable non plus. Alors ceci dit, petite précision sur ces chiffres, je ne suis pas experte de ces chiffres, mais on brosse quand même un portrait très sombre aujourd'hui de la santé mentale et encore ici on ne parle même pas des jeunes qui sont aussi évidemment concernés. Je pense que les chiffres sont là pour nous faire prendre conscience qu'il y a des défis importants autour de la santé mentale. qu'effectivement, on est tous concernés. Si ce n'est pas nous directement, ça va être un proche, un voisin, un collègue. Donc voilà, je pense que les chiffres sont toujours à manier avec prudence. Il faut aussi rappeler qu'il y a des gens qui vont bien encore aujourd'hui dans notre société. Quand on dit par exemple qu'une personne sur cinq est touchée par un trouble psychique chaque année, il faut comprendre aussi qu'est-ce qu'il y a derrière cette notion de trouble psychique, ce qui est loin d'être évident de définir la notion de trouble psychique. Donc voilà, je pense vraiment que les chiffres sont là pour nous faire prendre conscience d'un phénomène. sans tomber pour autant dans l'alarmisme, parce qu'il y a des moyens pour agir, pour prendre soin de sa santé mentale et de celle des autres.
- Speaker #0
C'est important de nommer ces chiffres. J'imagine qu'avec le Covid en plus, les chiffres ont grimpé. En tout cas, c'est un sujet qui a été plus entendu. Les gens ont fait un peu plus attention, en ont un peu plus parlé.
- Speaker #1
Oui, mais ça, c'est un peu le côté bénéfique, en fait, on va dire, de la crise sanitaire par rapport à la santé mentale. Ça a permis de mettre sur le devant de la scène un sujet dont on parlait peu, en fait. auparavant. Ce qui inquiète certaines personnes que j'ai pu interroger, enfin des chercheurs dans ce domaine-là, c'est que ces indicateurs se poursuivent en fait dans le temps. On est un peu sortis du confinement là et pour autant on a encore cet inconnu. Quel va être l'impact exactement de cette crise sur l'étape psychologique de tout à chacun ? Il y a encore beaucoup d'inconnus à ce sujet-là.
- Speaker #0
Tout à l'heure, tu nous parlais de la définition de la santé et de la santé mentale selon l'OMS. Mais concrètement, quand est-ce qu'on est en bonne ou en mauvaise santé mentale ?
- Speaker #1
C'est une question complexe parce que je pense qu'on peut difficilement raisonner de façon aussi binaire. Et ça, je m'en aperçois de plus en plus en explorant le sujet. Je pense qu'une bonne façon de se représenter les choses, c'est de se rappeler que la santé mentale, en fait, c'est un continuum avec beaucoup de nuances et qu'on navigue tous sur ce continuum au cours de notre vie. entre d'un côté, tu vois, une bonne santé mentale, une santé mentale optimale, et puis de l'autre, une santé mentale plus fragile. Ça peut aller jusqu'aux troubles psychiques, effectivement. Mais il n'y a pas fondamentalement dans la société des individus qui seraient malades d'un côté et de l'autre les individus sains. Donc voilà, je dirais que globalement, il y a aussi un critère très subjectif du bien-être, de comment je me sens en fait dans ma vie. Est-ce que globalement, quand je me lève, je me sens bien, je suis contente de passer cette journée ? Est-ce que j'ai un cercle social, familial qui m'est satisfaisant ? Est-ce que j'ai un travail qui me plaît, des loisirs ? Il y a beaucoup de déterminants à la santé mentale qui ne sont pas uniquement individuels d'ailleurs. Mais quand on s'estime en bonne santé mentale, ça ne nous empêche pas aussi de rencontrer des difficultés psychologiques à un moment donné, qui ne sont pas forcément un problème en soi. On a des ressources pour nous adapter, pour aller de l'avant. Et parfois, il peut arriver qu'on manque de ressources internes ou externes et qu'une souffrance s'installe dans la durée. Et là, être aidé devient nécessaire. Ceci dit, il y a aussi une idée contre-intuitive peut-être, c'est que c'est tout à fait possible pour un individu de se considérer et de se vivre en bonne santé mentale, même avec un trouble psychique. Quand celui-ci est stabilisé, quand il est traité, tout comme l'inverse est vrai également, c'est possible d'être en mauvaise santé mentale sans avoir de troubles psychiques spécifiques.
- Speaker #0
Est-ce que tu peux nous donner des exemples de troubles psychiques ?
- Speaker #1
Il y en a énormément, on en entend... Tous parler, on peut penser aux troubles dépressifs, aux troubles anxieux, aux troubles psychotiques, dont la schizophrénie fait partie, mais aussi la famille des troubles de la personnalité, le trouble borderline, ce qu'on appelle la bipolarité. C'est très compliqué de définir un trouble psychique quand on se plonge un peu dans la littérature, parce que les experts eux-mêmes ne sont pas d'accord sur les définitions. Moi, je peux te donner la définition que l'on donne dans le secourisme, en santé mentale, on dit que... Le trouble psychique, c'est une pathologie qui va affecter les émotions, l'humeur, les comportements d'un individu, qui va altérer son fonctionnement. Il y a une altération dans sa vie sociale, dans sa vie professionnelle, dans sa vie affective. Et aussi, un autre critère important du trouble psychique, c'est quelque chose qui va durer, qui dure dans le temps. Il y a énormément de familles de troubles psychiques. Il y en a plus de 400. qui sont répertoriées dans les grandes classifications internationales. Donc c'est un sujet sans fin.
- Speaker #0
C'était juste pour clarifier, parce que c'est vrai qu'un trouble anxieux ou un trouble dépressif, on n'a pas tendance à l'associer à un trouble psychique, je trouve. En tout cas, de ce que moi j'avais de l'idée reçue de ces sujets-là.
- Speaker #1
Alors, t'imaginais quoi en termes de troubles psychiques ?
- Speaker #0
Troubles psychiques, pour moi, c'est la schizophrénie, la bipolarité, c'est toutes ces maladies dont on parle peu et qui sont très présentes dans la société, mais qui sont assez méconnues au final.
- Speaker #1
Tout à fait, je pense qu'on a énormément de représentations qui sont erronées. Moi, il y a quelque chose qui m'a aussi appris à remettre de la nuance, c'est de considérer qu'en fait, quand on parle de la schizophrénie, par exemple de la bipolarité ou même de la dépression ou de l'anxiété de manière générale, ça reste assez vague. Et tout comme il y a un continuum de la santé mentale, pour la plupart de ces maladies, il y a des degrés légers, modérés, sévères. Voilà, la schizophrénie, ça n'existe pas tant que ça. Il y a des schizophrénies. La dépression, pareil, il y a des dépressions, il y a différentes formes. Et chaque trouble psychique va s'exprimer de manière très personnelle, très individuelle en fonction des individus.
- Speaker #0
Du coup, ça me fait enchaîner sur la prochaine question. Quelles sont les idées reçues sur la santé mentale et les troubles psychiques ?
- Speaker #1
Ils sont légions, moi, en la matière. Les clichés, les stéréotypes ont un peu la vie dure dans ce champ. Je peux t'en citer quelques-uns, il y en a beaucoup. Il y a encore un lien fort qui est fait entre troubles psy et dangerosité, par exemple. Si on prend l'anxiété, on a beaucoup qui considèrent que c'est une faiblesse de caractère, que la dépression, c'est un manque de volonté, que les personnes qui font un burn-out n'ont aucune résistance au stress, qu'il est impossible de se rétablir d'un trouble psychique. En fait, il y en a tellement. Et c'est vrai que dans ce domaine des idées et des clichés, il y a aussi les professionnels de la santé mentale qui souffrent. de clichés de stigmatisation. Quand on entend que quand on va voir un psychiatre, on nous donne forcément des médicaments, que les psys sont plus fous que leurs patients, qu'ils peuvent lire dans nos pensées, qu'ils vont nous enfermer. Donc évidemment, ces idées reçues posent problème. C'est qu'ils nous freinent à demander de l'aide quand on en a besoin. Ils nous culpabilisent aussi. Ils ont tendance à créer un eux et un nous Et c'est ce qui fait qu'il y a beaucoup de personnes qui vont s'enfermer dans un mal-être, qui s'isolent. et qui ne vont pas forcément en parler. Donc je pense que ces clichés ajoutent vraiment de la souffrance à la souffrance inutilement, et puis ils sont souvent la source de beaucoup d'ignorance ou d'un manque d'information. Je pense qu'il y a deux grands moyens de lever ces clichés, c'est vraiment l'information sur la santé mentale. l'éducation, et puis aussi la rencontre, se rencontrer et rencontrer ceux qui vivent tel ou tel problème de santé mentale pour que finalement, dans leurs mots, dans leur vécu, ils nous fassent changer ce regard-là et ils nous fassent comprendre que parfois on est complètement à côté de la plaque de ce qu'on s'imagine.
- Speaker #0
Carrément, c'est vraiment un manque de connaissances sur le sujet. Mais on a la chance de t'avoir, puisque tu proposes des formations de premiers secours à la santé mentale pour parler de ce sujet en entreprise. Est-ce que tu peux nous parler de ces formations ? Comment ça fonctionne ? Quel sujet tu y abordes ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Alors, je suis moins d'être la seule, je suis une formatrice parmi d'autres qui sont en train de se former en France. Alors, la formation au premier secours en santé mentale ne s'adresse pas uniquement au monde de l'entreprise, parce que c'est une formation qui est citoyenne, qui s'adresse à tout le monde. Et cette formation, elle vise à former des secouristes en santé mentale, c'est-à-dire des personnes qui sont capables d'apporter un soutien initial à une personne qui développe un problème de santé mentale, ou bien qui a un problème de santé mentale, mais dont les symptômes s'aggravent. ou bien encore qui traversent une crise de santé mentale, comme par exemple une crise d'angoisse, une crise suicidaire, une crise psychotique. Dans ces différentes situations, quels sont les gestes de premier secours ? Comment on peut parler à une personne qui va mal ? Quelles sont les bonnes attitudes à avoir ? Quels sont les bons réflexes ? C'est aussi un programme, tu vois, on parlait juste à l'instant des clichés, des stéréotypes, qui nous invitent à revoir nos représentations sur la santé mentale. Parce que finalement, qu'est-ce que la dépression ? Qu'est-ce que l'anxiété ? Qu'est-ce que la schizophrénie ? Tu vois, par exemple. C'est une formation citoyenne de deux jours, pendant laquelle les secouristes vont apprendre un plan d'action. C'est le plan AERÉ, c'est cinq verbes d'action pour approcher, écouter, réconforter, encourager à aller vers des professionnels et renseigner. Et à travers des mises en situation, on déploie ces cinq verbes d'action pour pouvoir apporter ce soutien initial.
- Speaker #0
J'imagine que dans cette formation, vous parlez de comment reconnaître si un collègue est d'un mauvais sentiment. Comment l'aider ? Comment reconnaître que nous-mêmes, on est en souffrance ? Est-ce que tu as des conseils là-dessus, justement ?
- Speaker #1
Alors, en mauvaise santé mentale, c'est vaste, je ne sais pas, mais du moins, ça nous apprend à être plus attentifs à certains signes de mal-être que l'on pourrait voir sur son lieu de travail. Que ce soit des signes, tu vois, émotionnels, une tristesse, des changements d'humeur, de l'irritabilité, par exemple. Ou bien des signes au niveau du comportement, un collègue qui s'isole, qui se replie sur soi. qui ne met jamais sa caméra en vidéoconférence, ou dont on s'aperçoit qu'il y a une augmentation de consommation de certaines substances. Ça peut être des signes cognitifs, difficultés de concentration, des pertes de mémoire, mais aussi des signes physiques, absence de sommeil, perte ou prise de poids. Donc voilà, l'idée, en tout cas dans le secourisme, ce n'est pas tant d'avoir une checklist, qu'on va cocher les cases, c'est plutôt nous habituer à nous soucier davantage de l'autre au quotidien, que lorsqu'on repère ce signe, on se dit, et si ça pouvait être autre chose que ce que je vois et si ça pouvait être une souffrance qui se cache derrière. Et l'idée, c'est que quand on constate en fait une souffrance chez un collègue ou qu'on en a l'intuition, qu'on ne soit pas indifférent, qu'on sache mieux comment réagir. Parce qu'un signe pris isolément, ça ne veut pas dire grand-chose. C'est surtout, tu vois, l'idée de repérer un changement par rapport à ce qu'on connaît du fonctionnement habituel de notre collègue. Alors, comment aider un collègue qui montre les signes d'une détresse psychologique ? Là, je te prends le plan d'action du secourisme, qui est finalement assez simple. La première chose, c'est déjà d'être en mesure d'approcher ce collègue-là. On peut réfléchir au lieu, à l'endroit où on peut discuter sereinement avec lui. Et ensuite, ce qu'on va faire, c'est qu'on va tout simplement proposer d'ouvrir le dialogue en partant de nos ressentis, c'est-à-dire en repartant du jeu. C'est je m'inquiète pour toi parce que j'ai observé que… Donc, on repart du jeu, on énonce un ou deux faits qu'on a pu observer. L'idée, c'est d'éviter aussi les interprétations hâtives, parce qu'il y a toujours une part, bien sûr, de subjectivité, indéniablement, dans ce qu'on observe. Donc là, il peut nous dire oui, il peut nous dire non, mais au moins, on aura fait, tu vois, ce premier pas, et il sait qu'il peut revenir vers nous si nécessaire. Alors, dans ce dialogue, toujours par rapport au plan d'action du secourisme, on va s'entraîner à pratiquer une écoute dite… active, en étant vraiment là pour la personne, en posant des questions ouvertes, en la mettant au centre de la discussion. Et puis, plutôt que de conseiller, on va donner de l'information en fonction de la difficulté qu'il rencontre, des mots qu'il emploie. Et puis, on lui donne des ressources qu'il peut consulter. Et puis, le cas échéant, on l'encourage aussi à ne pas rester seul dans cette situation, ou à faire appel à des relais ou à des professionnels. Je pense qu'il faut aussi... Parce que vous savez, à quel point c'est pas... C'est évident de dire à une personne est-ce que tu as songé à consulter un psy ? en raison de toutes les représentations qu'on a autour de cette profession. Je pense qu'il faut vraiment détabouiser aussi la consultation chez un professionnel de santé, de santé mentale. Les indications que je te donne, c'est vraiment la base du secourisme. Ça mériterait peut-être plus de développement, bien entendu, mais j'ai conscience que là, c'est assez généraliste. Ça va dépendre de notre collègue, de la situation, de la connaissance de ses ressources. Mais l'idée, c'est de pouvoir discuter en toute transparence avec lui pour... identifier quels sont les acteurs à l'intérieur de l'entreprise, comme les services de santé au travail, ou bien à l'extérieur. qui peuvent l'aider dans sa situation. En sachant aussi, c'est un point important, que dans cette histoire, il faut aussi se préserver soi, pour éviter la contagion émotionnelle, c'est-à-dire reconnaître ses limites, se dire que des fois c'est ok, c'est ok de ne pas se sentir capable d'avoir ce type de discussion avec notre collègue à cet instant-là, mais au moins d'avoir ce réflexe dans ce cas-là, de se poser une autre question. J'ai vu qu'un collègue n'allait pas bien, je ne me sens pas capable là d'en discuter. à qui d'autre vais-je pouvoir faire appel dans mon entourage professionnel pour avoir cette conversation avec lui ? Donc voilà, l'idée du secourisme, c'est vraiment d'ouvrir des portes, de planter une petite graine en se considérant comme un relais. Comme un relais, pas comme un sauveur. Et qu'il y a des personnes, il y a des services pour aider à qui on peut faire appel. Donc voilà, se rappeler que personne n'a à porter seule sur ses épaules la souffrance d'un collègue.
- Speaker #0
Des conseils qu'on peut tout à fait s'appliquer à soi-même, en fait, quand on sent qu'on ne va pas bien. Mais avant ça, comment je reconnais que je suis en souffrance ?
- Speaker #1
Oui, c'est un vaste sujet également, parce qu'on sait à quel point c'est difficile parfois de s'avouer qu'on est en souffrance. On peut être clairement dans le déni de son mal-être. On est encore sur plein de vieilles croyances selon lesquelles il ne faut pas exprimer ses émotions, qu'il faut être productif, il faut toujours se montrer fort pour évoluer, pour gravir les échelons. Alors, sans parler aussi de la culpabilité et de la honte qui peuvent parfois s'associer à ces sentiments. Je dirais que, que ce soit en fait pour nous ou pour les autres, on peut se poser trois questions. La première question, c'est quelle est la durée finalement de ce signe que j'observe ? Est-ce qu'il perdure dans le temps et depuis combien de temps ? Est-ce que c'est tous les jours ou depuis quelques semaines ? La deuxième question, c'est celle de l'intensité de ce signe, c'est-à-dire quel est le degré de ce signe qui me fait souffrir ? Et la troisième question, c'est l'impact de ce signe. Est-ce qu'il m'empêche de faire les choses que j'avais l'habitude de faire auparavant et qui me réjouissaient ? Est-ce qu'il impacte mes relations avec mes collègues, ma famille, mes amis ? Quelles sont les conséquences concrètes que j'observe dans ma vie ? Ça, je pense que c'est une bonne boussole. C'est de se demander la durée, l'impact et l'intensité d'un signe de mal-être ou de souffrance psychique.
- Speaker #0
Et du coup, une fois qu'on a analysé ça, qu'est-ce qu'on peut faire ?
- Speaker #1
On peut faire beaucoup de choses. Le champ est vaste pour améliorer sa santé mentale au quotidien, que ce soit dans sa vie pro ou dans sa vie perso. Tout va dépendre des besoins de chacun. On sait l'importance aujourd'hui de l'hygiène de vie, de l'alimentation, l'activité physique, du sommeil, des relations sociales. Si je reste vraiment dans l'état d'esprit du secourisme en santé mentale, je pense que lorsqu'on est dans une situation de mal-être qui commence à perdurer, à avoir des conséquences dans sa vie professionnelle ou personnelle, c'est vraiment de ne pas hésiter à frapper aux portes. et à demander de l'aide. Et si cette aide, elle n'est pas disponible, elle est introuvable en interne, enfin pour X raisons, de faire la démarche d'aller consulter à l'intérieur. On n'est malheureusement pas dans une société où demander de l'aide, tu vois, pour une difficulté d'ordre psychologique, ça va de soi. Or, je crois vraiment que le message de prévention, peut-être le plus important aujourd'hui en matière de santé mentale, c'est de faire comprendre à chacun que demander de l'aide, que ça soit dans un premier temps à un ami, à son médecin traitant, que ça soit... aller voir un psy ou pousser la porte d'une association ou d'une structure, ce n'est pas la marque d'une faiblesse. C'est au contraire faire preuve à la fois de lucidité et de responsabilité vis-à-vis de sa santé mentale. Donc vraiment, ne pas attendre qu'une situation de mal-être s'aggrave ou s'installe dans la durée pour aller chercher cette aide-là. Ça ne marchera pas forcément du premier coup. Il faut parfois persévérer pour trouver la personne qui nous convient, la personne qui va vraiment pouvoir nous aider. Mais aujourd'hui, on sait qu'il y a des moyens, il y a des outils, il y a des solutions pour améliorer sa santé mentale. Et on doit parfois se faire accompagner pour trouver ceux qui nous conviennent le mieux.
- Speaker #0
Tu disais, il ne faut pas laisser traîner. Quels vont être les impacts sur les salariés et pour les entreprises si justement on laisse traîner les problèmes de santé mentale ?
- Speaker #1
Les impacts peuvent être… Il y a toute une diversité d'impacts possibles. Alors, on sait que le risque de faire l'expérience de toute manière de troubles psychiques au cours de sa vie professionnelle existe pour tout un chacun. Il va y avoir des échelles de degrés dans les troubles psychiques, comme je te disais tout à l'heure. Donc pareil, au niveau des impacts et des conséquences dans la vie d'un salarié, ça peut se jouer au niveau de la fatigabilité, par exemple, de l'estime de soi, de la démotivation, de la dévalorisation, de la culpabilité, de l'inquiétude, de la colère, de l'impuissance. Et puis, ça peut aller, dans certains cas, jusqu'au handicap psychique. Et dans ce domaine-là aussi, il y a un gros travail de sensibilisation à faire auprès des entreprises. Après, au niveau de l'entreprise, de manière générale, la mauvaise santé mentale des salariés va avoir des conséquences, bien sûr sur la productivité, sur la performance, sur l'absentéisme, mais aussi sur le climat social de l'entreprise. Son image sur les liens entre les collègues, impact sur le collectif, ça peut causer de la souffrance, de l'incompréhension aussi dans les équipes, de la désorganisation. Alors juste à titre indicatif, on parlait de coût économique tout à l'heure, de la santé mentale, on évalue par exemple le coût du stress professionnel en France à 3 milliards d'euros.
- Speaker #0
Oui, donc ça fait beaucoup d'impact en partie pour les entreprises. Comment elles peuvent agir pour prévenir et améliorer la santé de leurs salariés ?
- Speaker #1
La prévention de la santé mentale en entreprise s'intègre aussi dans la prévention des risques psychosociaux. Je pense déjà analyser et connaître les paramètres qui peuvent jouer sur la santé mentale des salariés. Ensuite, ça fait tout le volet sensibilisation et formation des managers, des RH, des collaborateurs eux-mêmes. Collaborateurs qui réclament d'ailleurs de l'information au sujet de la santé mentale pour deux tiers d'entre eux. Il y a 22% des collaborateurs en entreprise qui ne savent pas comment réagir face à la détresse psychologique de leur part. collègues. Donc je pense qu'il faut normaliser le sujet, mais pas seulement en entreprise, dans toutes les sphères de la société, parce que l'entreprise ne peut pas tout faire face aux défis de la santé mentale. Rappeler aux collaborateurs, c'est ok de ne pas se sentir bien, de ne pas en avoir honte, qu'on a le droit de demander de l'aide, faire reculer la stigmatisation en ce qui concerne les troubles psychiques. Et ça, l'entreprise peut jouer un rôle en ouvrant la parole. Alors ce que certaines entreprises ont commencé à faire, sans que cela soit la solution miracle, c'est de former des référents en interne, parfois ils les appellent des bienveilleurs, ou bien des secouristes justement en santé mentale, qui peuvent être un premier point de contact lorsqu'un collaborateur rencontre des difficultés de cette nature. Donc voilà, formation, sensibilisation, la pédagogie continue. Tu sais, il y a des collaborateurs qui ne savent pas comment consulter leur médecine du travail, qui ne sont pas au courant par exemple que l'entreprise a mis en place une cellule d'écoute externe par exemple. Libérer la parole sur le sujet de la santé mentale, favoriser une culture d'entreprise qui permette de créer un climat de sécurité psychologique et bienveillant. Parce que pour que la parole se libère, il faut aussi ce climat-là. Ça peut passer par mettre en place des actions qui favorisent la qualité de vie au travail, ou bien instaurer aussi des dispositifs dédiés à l'accompagnement individuel des collaborateurs en souffrance psychique, par exemple. Donc, la palette est large.
- Speaker #0
Ça fait plein de solutions variées à mettre en place. Un grand merci Eva pour toutes ces informations et ces conseils. C'était super intéressant. On peut retrouver plein de contenus sur ces sujets sur le site loptimisme.com. Et bien évidemment, on retrouve Eva pour les formations sur les premiers gestes de secours en santé mentale. Merci.
- Speaker #1
Merci beaucoup Pauline.
- Speaker #0
Et voilà, la saison 1 du podcast d'Hector touche à sa fin. Pas d'inquiétude, on revient bientôt pour une deuxième saison tout aussi intéressante. De nouveaux formats et encore plus de contenu sur la souffrance au travail vous attendent. En attendant, si vous avez des questions ou des sujets que vous souhaiteriez qu'on aborde dans la prochaine saison, vous pouvez nous contacter sur Instagram sur le compte at Hector-podcast ou sur LinkedIn sur la page Le Podcast Hector. Un immense merci pour votre soutien et votre bienveillance tout au long de cette saison. A très vite ! Ce podcast a été enregistré au studio La Poudre de la Cité Audacieuse.