Speaker #0La langue est quelque chose de très générationnel. Donc quand on dit qu'on ne peut plus rien dire, très souvent, c'est parce qu'on est en train de parler à quelqu'un qui n'est pas de notre génération et que c'est sa propre perception de ce qu'on est en train de dire qui nous pose problème. Il y a également le fait, bien sûr, que souvent, on ne donne cette phrase que pour se protéger, après avoir d'une énormité, et plutôt que de dire « je suis navré » , « je t'ai heurté » , « j'ai été trop loin » , « je n'ai pas fait attention » , « je n'ai pas été vigilant » . à ton propre niveau de sensibilité sur le sujet, évidemment on dit je ne peux plus rien dire. Avant de commencer, on peut déjà rappeler un état de fait, c'est que chaque génération trouve que franchement la suivante est pourrie. Oh là là, mais c'est jeune ! Ça existait déjà à l'époque de Cicéron et ça existera encore dans 200 ans, c'est la certitude absolue. Donc, évidemment, on trouve que leurs éléments de langage sont débiles, tout autant que leurs fringues, leurs mœurs et à peu près tout ce qui a trait à leur culture générationnelle. Donc, on ne peut plus rien dire, alors comment te dire si, mais, et c'est toujours le sujet de la nuance, on peut dire tout à condition de faire attention à qui. Ça veut dire que ce n'est pas ce qu'on dit le sujet, c'est plutôt comment on l'amène à la personne en face de nous. et est-ce qu'elle est en capacité de le recevoir ? Je le dis souvent, la communication, ça n'est pas crier, hurler ou même dire. La communication juste, c'est entrer en relation. Alors bien sûr, en général, ouais c'est bon, on ne peut plus rien dire, on ne l'entend que lorsqu'on vient dire une énormité. Parce que si, Jean-Michel, on peut tout dire, mais c'est vrai que quand on dit que c'est du travail d'arabe ou qu'avec sa jupe courte, elle l'a peut-être un peu cherchée, forcément, ça génère une petite crispation à côté de soi. C'est pas le propos qui pose vraiment le problème, mais bien plutôt le fond de la pensée et ce qu'il donne en sous-jacent. Alors, on ne peut plus rien dire. Idées à déconstruire, c'est ce qu'on va voir pendant cet épisode. Bonjour, je m'appelle Sonia Vignon, je suis linguiste spécialiste en rhétorique et en sémantique. J'ai travaillé en France, au Canada, et j'ai rencontré tellement de gens merveilleux. qui avait un rapport au mot et à la langue différent, que je me suis rendu compte que c'est ce qui faisait notre singularité et notre humanité. Pour commencer, rappelons que le français, comme toute langue du moment, est une langue vivante. Et ce qui la rend vivante, c'est évidemment que les générations se l'approprient, la fassent vivre et se la culturent. On a eu le verlan quand moi j'avais 15 ans. Évidemment, ça n'était pas voué à rester. Et pour autant, il y a des mots. qui sont restés. Aujourd'hui, moi, j'ai 42 ans, mais je suis vénère. Je ne suis jamais énervée. Je suis vénère. Il y a des mots qui sont restés et il y aura des mots qui resteront de toutes les générations. De la même manière qu'il y aura des manières de dire qui resteront dans toutes les générations. Ce qu'il faut bien réaliser aujourd'hui, c'est pas qu'il y a vraiment un sujet sur ce qu'on peut dire ou ne pas dire. C'est plutôt qu'il y a une perméabilité de l'autre à ce qu'il peut entendre ou pas entendre. Il n'y a pas longtemps, j'ai eu un débat avec quelqu'un qui me disait, non mais Napoléon était super misogyne. Alors en fait, non, pas du tout. Si on contextualise, Napoléon en 2025 serait très, très, très misogyne. Mais Napoléon, à son époque, était plutôt révolutionnaire. Il était pour le divorce. Bon alors, certes, il était pour le divorce parce que ça l'arrangeait bien personnellement. Mais il n'empêche qu'il était pour le divorce, qu'il a créé des supports légaux qui ont donné des droits aux femmes qu'elles n'avaient pas jusque-là. Et que dans sa génération et dans sa culture, il a dit des choses. pour le droit des femmes qui était à l'époque totalement novatrice. Et déjà, à ce moment-là, on pouvait se dire « Ah, c'est bon, on ne peut plus rien dire » . Mais ce n'est pas qu'on ne pouvait plus rien dire, c'est qu'évidemment, les mœurs évoluaient, la société évoluait, et donc les langues, le langage et les manières d'aborder les réalités évoluaient évidemment. La langue est quelque chose de très générationnel. Donc quand on dit qu'on ne peut plus rien dire, très souvent, c'est parce qu'on est en train de parler à quelqu'un qui n'est pas de notre génération et que c'est sa propre... perception de ce qu'on est en train de dire qui nous pose problème. Il y a également le fait, bien sûr, que souvent, on ne donne cette phrase que pour se protéger après avoir d'une énormité. Et plutôt que de dire « je suis navrée » , « je t'ai heurtée » , « j'ai été trop loin » , « je n'ai pas fait attention » , « je n'ai pas été vigilant » à ton propre niveau de sensibilité sur le sujet, évidemment, on dit « je ne peux plus rien dire » . C'est comme j'ai eu l'occasion de côtoyer des gens qui, plutôt que de reconnaître qu'ils avaient dit quelque chose de très blessant à quelqu'un qui leur avait fait la remarque, disait « Ouais bah ça va, on le sait que je suis bourrin » . Alors en fait, non plus Bernadette, on ne le sait pas. Ou du moins, on aimerait ne plus le savoir. La notion dans ces cas-là, c'est que cache la phrase derrière « évidemment » . Moi, je prône le fait qu'on peut tout dire, qu'on peut vraiment tout dire, mais qu'il faut faire attention à la manière dont on le dit. Le meilleur exemple que je peux donner de ça, c'est la façon dont je communique avec mes propres enfants. Parce qu'il faut savoir quand même que communiquer avec de jeunes enfants ou des adolescents, c'est un numéro de funambule permanent. à quel moment je peux communiquer comme avec de jeunes adultes qu'ils sont, à quel moment je dois préserver une certaine innocence, est-ce que je suis honnête, est-ce que je suis protectrice, est-ce que j'aborde la sexualité, est-ce que je n'aborde pas la sexualité ? Tout ça, ce sont des questions qu'on se pose assez facilement dans la sphère intime et privée, et qu'on ne se pose plus dans la sphère professionnelle. Le problème d'ailleurs, c'est qu'en fait, ce sont des questions qu'on devrait se poser dans absolument toutes nos sphères d'interaction. Et comme souvent dans la salle de pause, quand la phrase « on ne peut plus rien dire » sort, ça n'est pas qu'il y avait vraiment un sujet éminemment secret autour de la table, c'est qu'il y a des générations qui se confrontent ou des valeurs. Parce que, évidemment, de la même manière, si vous êtes en train de parler à une personne qui prône, je ne sais pas moi, la polygamie, le polyamour, le fait de ne plus être... ni genrée, ni en relation monogame, et que cette personne-là est en interaction avec, disons, une personne mariée depuis 30 ans, très croyante, forcément, il va y avoir des choses explosives dans les éléments de langage. Mais c'est toujours pareil, c'est pas qu'on ne peut pas dire ce qu'on ressent, c'est que souvent le fait de se sentir jugé va nous faire entrer immédiatement dans l'interaction de colère, dans l'interaction de je vais... te convaincre, dans l'interaction un peu condescendante parfois, mais en tout cas à ce moment-là, ça n'est pas ce qu'on dit le problème, c'est plutôt la manière dont on aborde le sujet. Et d'ailleurs, vous allez me dire, ça c'est plutôt féminin, mais qui n'a pas entendu cette phrase mais c'est parce que t'as dit c'est comment ? Parce que bon, si on se dit qu'on ne peut plus rien dire, on a vite limité l'échange. Ça voudrait dire quoi ? Ça voudrait dire qu'on ne peut plus dire à un collaborateur quand il n'a pas fait un travail de qualité, quand il dépasse les bornes, quand il n'est plus engagé, ça veut dire qu'on ne peut plus dire à son adolescent qu'il n'est pas agréable, qu'il n'est pas bon pour la vie de famille. Pourquoi est-ce qu'on ne devrait pas pouvoir dire ? Je trouve qu'il est hyper violent de dire qu'on ne peut pas dire, puisque ça veut dire qu'à ce moment-là, celui qu'on muselle, c'est l'émetteur, et que le récepteur n'est pas assez intelligent. pour recevoir le bon message. Dans tous les cas, ce n'est pas très engageant quel que soit le côté dans lequel on se place. Moi, je pense qu'en réalité, on peut tout dire à partir du moment où on est en pleine responsabilité de son propos. Ça veut dire que si je ne peux pas dire à la fin de ma phrase ou de ma tirade « Ah, c'est bon, je ne peux plus rien dire » , c'est que j'avais bien construit mon propos. Parce que justement, j'aurais pu dire. Et après, je vais pouvoir moi-même nuancer en disant mais peut-être que tu n'es pas d'accord, peut-être que tu as d'autres éléments qui peuvent venir corroborer ou infirmer ce que moi je viens de dire, peut-être que tu as ta propre perception des choses. Je pense que le sujet, à ce moment-là, ce n'est pas un sujet de ce qu'on peut ou on ne peut pas dire, c'est plutôt un sujet de à quel niveau on est capable aussi d'avoir une réponse en face qui ne soit pas celle qu'on attend. Je ne crois pas qu'on puisse tout remettre sur la fête de dire. C'est dire Merci. et entendre, c'est dire et répondre. Si on dit je ne peux rien dire, ça veut dire simplement qu'on a déjà au départ pas tellement confiance dans la personne en face de soi, dans son rôle de récepteur, tout simplement. Et que finalement, on estime qu'elle n'a pas l'intelligence nécessaire pour entendre ce que nous on veut dire. Et c'est là le sujet. Est-ce qu'on part du principe que les gens sont cons ? Ça, c'est une bonne question. Parce que si je ne peux plus rien dire, ça veut dire qu'en fait, vous pouvez plus rien entendre. Et si je ne peux plus rien dire parce que vous, vous n'êtes pas en capacité d'entendre, ça veut dire qu'en fait, je considère que vous êtes peut-être un petit peu limité dans votre compréhension ou dans votre écoute. Dans les deux cas, je ne me remets pas moi en question, je ne remets pas ma manière de parler en question. Ce que je remets en question, c'est le fait que la personne en face de moi soit assez câblée, intelligente, ouverte, attentive pour m'écouter. Alors oui ? On peut tout dire, mais on doit avoir au préalable validé deux choses. La première, c'est que la personne en face de nous est en capacité de nous entendre ou de nous écouter. et qu'elle a envie de le faire, parce que, bon, malgré tout, même quand on a des trucs intéressants à dire, pas obligé pour la personne en face d'avoir envie de nous écouter. Et puis surtout, il faut qu'on vérifie que la personne en face de nous est en capacité de comprendre les choses telles qu'on veut les délivrer. Et c'est ça, tout le sujet de la communication. Ça n'est pas ce que je veux dire, c'est comment transmettre mon message de la manière la plus efficace pour que la personne... en face de moi, soit en capacité de l'entendre. Et donc, quand on approche les choses en disant c'est noir ou c'est blanc, c'est oui ou c'est non, c'est tout ou c'est rien, évidemment, on ne laisse aucune place ni à l'humanité, ni à la sensibilité, ni à la nuance, ni à la capacité de chacun de prendre ses responsabilités dans l'échange. Et bien sûr, on revient à ce que je... J'essaye de moi déconstruire depuis plusieurs épisodes maintenant, c'est-à-dire des phrases toutes faites, des phrases creuses, qui ne sont en réalité que des paravents, pour masquer une incapacité à se remettre en question, une incapacité à trouver les bons mots, les mots justes, en fonction de la personne qu'on a en face de soi, ou une incapacité même à avoir envie de le faire. Mais dans tous les cas, on peut dire absolument tout. La seule chose qu'on ne peut pas faire, c'est le dire exactement comme nous on a envie de le faire, sans prendre en compte la personne en face de soi. Et ça, c'est le sujet, clairement, en 2025. La société s'est un petit peu repliée sur elle-même, on est dans une période anxiogène, et on voit bien que les gens ne pensent plus à l'autre, ils pensent à eux. La société est en train de s'individualiser, et souvent, on ne pense pas à ce qu'on veut faire passer comme message à une tierce personne, on pense à la... comment dirais-je ? l'intime conviction qu'on a au fait qu'elle est suprêmement intéressante, et surtout, on est déjà dans une posture dans laquelle on veut convaincre. Convaincre, vaincre les cons, je ne le dirai jamais assez. Et donc, tant qu'on est dans cette espèce de posture de base, très agressive, très sachante, très totalitariste de la pensée, comment voulez-vous qu'en face on nous écoute ? Alors bien sûr, on ne peut pas... fédérer tout le monde, ça c'est juste. On ne peut pas être applaudi d'être humain par tous nos publics. Marche également. On ne peut pas tout dire à n'importe qui et à n'importe quel moment de sa journée et de sa vie. Ça fonctionne également. Mais pour le coup, tant qu'on est dans un lieu d'échange que l'on a pris le temps de valider que la personne en face de soi était ok pour la conversation et qu'on est prêt à entendre Merci. des arguments contradictoires, à se faire chambouler, bousculer, à ne pas être d'accord, à ce moment-là, je vous assure, on peut tout dire. Et voilà, encore un épisode dans lequel on aura essayé de prendre un tout petit peu de hauteur sur des phrases toutes faites et souvent bien pratiques, qui justifient en elles-mêmes et à elles seules la fracture générationnelle de pensée. que l'on peut ressentir parfois et qui sont en fait de jolis, jolis petits paravents pailletés pour tout simplement masquer notre flemme. Donc j'espère que ça vous a intéressé. Si jamais vous-même vous avez des petites phrases comme ça qui vous rendent dingo ou des exemples de on peut plus rien dire qui auraient pu être dit bien autrement et qui seraient passés selon vous, n'hésitez pas à venir nous en parler sur notre page LinkedIn ou sur notre site internet. A bientôt !