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Chef Anto : transmettre l’Afrique à travers la cuisine | DEEP DIVE #3 cover
Chef Anto : transmettre l’Afrique à travers la cuisine | DEEP DIVE #3 cover
Le Deep Dive 🎙️

Chef Anto : transmettre l’Afrique à travers la cuisine | DEEP DIVE #3

Chef Anto : transmettre l’Afrique à travers la cuisine | DEEP DIVE #3

1h02 |26/06/2025|

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1h02 |26/06/2025|

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Description

Bienvenue dans ce troisième épisode du Deep Dive, où l’on plonge avec Anto Cocagne, cheffe engagée qui réinvente la cuisine africaine tout en portant un regard fort sur les identités, la transmission et la culture.

Entre Paris et Libreville, cuisine et héritage, elle nous parle de création culinaire à travers toutes les saveurs d’un parcours inspirant.

Parce que cuisiner, c’est aussi raconter, Anto partage ici son histoire avec sincérité et générosité.


Un échange chaleureux, entre transmission et engagement.


Merci Chef Anto 🍽️


🔗 Retrouvez Anto Cocagne sur :


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et moi je dis mais nous on est des petits joueurs. Un Mexicain en moyenne mange 15 kilos de piment par an. Un Thaïlandais en moyenne mange 8 kilos de piment par an. Là où on va vous dire un Camerounais ou un Togolais, il va être à 5 kilos par an.

  • Speaker #1

    On voit ses recettes vibrantes et colorées sur Insta, ses émissions sur France 5, dans Échappez Belle, ses chroniques gourmandes sur Canal+, on la suit pour sa cuisine africaine, raffinée et contemporaine. Mais connaît-on vraiment la femme derrière le tablier ? Aujourd'hui, dans le Deep Dive, on plonge avec chef Anto, chef cuisinière, entrepreneur, autrice, consultante et porte-voix des cuisines africaines qu'elle fait rayonner avec force et conviction. Depuis des années, elle oeuvre pour faire entrer les saveurs du continent dans les esprits, dans les assiettes et jusque dans les institutions. Du Gabon à Paris, de la cuisine familiale aux tables les plus renommées, son parcours est tissé de transmission, de courage et de résilience. Ensemble, on va parler de goût, de racines, de lutte et de rêve, parce que derrière chaque plat, il y a une histoire à raconter. Bienvenue dans le Deep Dive, Chef Anto. Je suis ravi de t'accueillir.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Donc du coup, tu me disais que je pouvais t'appeler Anto. Oui. C'est pas forcément Chef Anto.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'en fait, mon prénom entier, c'est Anto Mpindi. Ouais. Anto, on prononce normalement Anto, qui veut dire femme, et Pindi, les champs. Donc mon prénom veut dire femme des champs. Mais comme en France, les gens n'arrivaient pas vraiment à bien le prononcer, donc c'est resté Anto. Et en fait, le chef Anto, c'était pour dire le chef au féminin. Parce que Anto, comme ça veut dire femme et féminin, le chef Anto, c'était pour dire le chef au féminin. C'est pour ça que dans ma communication, je ne mets jamais la chef Anto.

  • Speaker #1

    J'avais vu ça, effectivement, ce que tu disais, que c'était du coup un pléonasme. Exactement. C'est pour ça que tu veux dire le chef Anto. Ok, tu peux te présenter rapidement pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?

  • Speaker #0

    Alors, je suis Anto Kokagne, chef de cuisine et je suis une spécialiste des cuisines africaines et j'oeuvre depuis pas mal d'années maintenant à populariser nos cuisines, notamment en France, mais aussi à l'international.

  • Speaker #1

    Ok, parce que du coup, si je reprends un petit peu ton histoire, je crois que tu es né en France et que tu as fait ta jeunesse au Gabon et tu es revenu par la suite, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Exactement. En fait, je suis née en France pendant que mes parents étaient étudiants. Parce que mon père a fait l'école des mines d'Alès dans le Gard. Et à la fin de ses études, avec mes parents, ils sont rentrés directement au Gabon. Et donc, j'ai grandi au Gabon. J'ai fait toute ma scolarité du primaire jusqu'au baccalauréat.

  • Speaker #1

    Tu avais de quel âge à quel âge du coup ?

  • Speaker #0

    Quand je suis rentrée, j'avais que deux mois. Parce que je suis née au mois de juin, on est rentrée je crois fin août. Et donc j'avais à peine deux mois lorsqu'on est rentrée au Gabon avec mes frères. Et je suis restée jusqu'à après mes 18 ans lorsque j'ai voulu faire justement des études universitaires.

  • Speaker #1

    Ok. Et raconte-moi du coup cette jeunesse au Gabon, comment c'était ?

  • Speaker #0

    Alors mes meilleurs souvenirs d'enfance, c'était notamment auprès de ma grand-mère. parce que c'était tout ce qui est réunion familiale, toujours autour d'un repas, d'un plat. Dès l'âge de 9 ans, vu que je suis l'aînée des filles, ma mère me dit « quand je ne suis pas là, c'est toi qui me remplaces » parce que je suis née dans une culture où une fille bien élevée doit savoir tenir une maison, donc elle doit être éduquée durant toute sa présence chez ses parents. à être une bonne maîtresse de maison. Donc, ça passe par la cuisine, ça passe par les tâches ménagères. Et donc, dès l'âge de 9 ans, je commence à faire quelques plats en cuisine. Je commence à aider à la maison. Et donc, ça passe à être aussi en cuisine avec des femmes adultes, à entendre un peu les histoires de famille. Alors moi, c'était mon endroit préféré parce que c'était là. qu'on savait que tel, son mari l'a trompé, tel est en train de... C'était vraiment en cuisine où on avait tous les potins. Et puis, c'était là aussi où il y avait ce côté transmission avec les tantes, la grand-mère qui montrait comment rattraper un plat. Tu n'as pas fait bien tel jet, voici comment il faut le faire. Tu as tel souci, il faut utiliser telle plante. C'était vraiment dans ce contexte-là. Et donc que ce soit aussi au primaire, au lycée, enfin... J'ai eu vraiment cette affection pour la cuisine. Alors pour moi, au départ, je n'avais pas compris que c'était une passion. Pour moi, c'était l'endroit où je m'amusais, où je ne m'ennuyais pas surtout. Et donc, dès l'âge, j'avais 13-14 ans, j'ai mon premier commerce informel. Je fais des muffins, des madeleines que je revends en classe. Oui, et pour moi, c'était...

  • Speaker #1

    J'avais cette fille mon coronaria.

  • Speaker #0

    Alors, je ne savais pas même ce que ça voulait dire être entrepreneur, mais je commence à faire ça. Donc, au début, mon père me disait, tant que tu as de bonnes notes, ça ne me dérange pas. Donc, j'avais ma grosse boîte en plastique. Le soir, pendant que tout le monde dormait, je faisais mes gâteaux et tout. Le matin, la boîte était prête et j'allais vendre. Et au début, je vendais dans ma classe, après dans le bâtiment. Après, j'avais des commandes du quartier, des gens qui venaient. Et c'était des gâteaux tout simples. C'était vraiment des muffins, des cakes, ce genre de choses. Mais j'avais déjà ce goût de bien faire les choses. Et au fur et à mesure que je grandis, je me rends compte que finalement, j'ai envie d'en faire un métier.

  • Speaker #1

    À quel âge, du coup, ça t'est venu alors cette envie ?

  • Speaker #0

    Déjà, quand on rentre en seconde, parce qu'en seconde, mon père voulait à tout prix que je fasse une seconde scientifique. Et moi, je n'aime pas les maths. Je n'aimais pas la physique non plus. Et je me demandais pourquoi apprendre ces matières que je ne vais pas utiliser dans la vraie vie. Et donc, je fais une secondesse, mais c'était très, très difficile pour moi parce que je n'aimais pas les maths, j'aimais plutôt les langues, j'aimais l'histoire, la géographie. Et en seconde, on choisit un peu sa filière en fonction de ce qu'on veut faire plus tard. Et c'est là où moi, je commence à me dire, moi, je veux faire la cuisine. Je n'ai pas envie de... Ma mère aurait aimé que je sois médecin parce qu'elle, nutritionniste. Mon père aurait aimé que je fasse banque, assurance. En tout cas, quelque chose qui paraissait plus noble et plus ambitieux. Et moi, je disais, je veux faire de la cuisine. Et on me disait, mais tu sais déjà cuisiner. Depuis l'âge de 9 ans, on t'a appris à cuisiner. Tu n'as pas besoin d'aller dans une école. On ne va pas payer un billet, t'envoyer en Europe pour faire des études de cuisine.

  • Speaker #1

    Et c'était compliqué plus du coup avec ton père ou avec ta mère, le fait que tu aies voulu faire de la cuisine et qu'ils étaient un peu plus réticents ?

  • Speaker #0

    Alors, au début, c'était les deux. Mais je crois que c'est ma mère, comme toutes les mamans, elle a beaucoup observé. Elle a vu qu'avec pas grand chose, en fait, moi, j'arrivais à me faire le salaire d'un fonctionnaire juste en vendant des gâteaux.

  • Speaker #1

    C'est incroyable. À 13 ans, du coup. Oui,

  • Speaker #0

    donc hier, je venais, je disais, bon, ça, c'est ma participation pour la bouteille de gaz.

  • Speaker #1

    C'est trop mignon.

  • Speaker #0

    Oui, et des fois, elle venait faire la monnaie. Ouais, est-ce que tu as la monnaie de 10 000 francs qui représente, qui est à l'époque le plus gros billet ? de banque qui représente 15 euros aujourd'hui. Et donc, moi, elle me voyait avec ma boîte et puis je comptais mes billets pour lui faire la monnaie. Et donc, elle, elle voit ça. Et mon père, lui, il se disait, Nietzsche, ce n'est pas ambitieux. Donc, imaginez, moi, j'ai un frère expert comptable, j'ai un autre docteur en pharmacie, j'ai une sœur ingénieure en télécom et puis moi, j'arrive, je veux être cuisinière. Donc, ce n'est pas ambitieux. Et... et... Pour mon père, ce n'était juste pas possible. Mais ma mère, quand elle a vu que dès la quatrième, elle me voyait, je faisais mes gâteaux, je vendais et tout. À un moment, elle a dit à mon père, écoute, là, elle ne connaît pas grand-chose, mais regarde comment elle se débrouille.

  • Speaker #1

    Oui, c'est sûr.

  • Speaker #0

    Si on l'envoie en France, dans une école, elle va apprendre la cuisine des Français. Quand elle va revenir, elle travaillera sûrement dans une ambassade ou dans un ministère et tout ça. Être cuisinier dans une ambassade, c'est déjà un peu plus... valoureux que d'être cuisinier chez monsieur et madame tout le monde parce que c'est un peu le monsieur et madame tout le monde c'est un peu être le domestique alors que dans une ambassade je fais à manger pour des chefs d'état pour des ambassadeurs c'est plus vu de la même façon et c'est comme ça que papa dit ok qu'il accepte enfin de me laisser parce que moi j'avais dit c'est la cuisine ou rien.

  • Speaker #1

    Parce qu'ils voulaient... Ton père, il ne voulait pas du tout. C'est vraiment grâce à ta mère, justement, qu'il t'a laissé partir. Oui,

  • Speaker #0

    c'est grâce à ma mère et aussi grâce au petit frère de ma mère qui, lui, était professeur de philo en France, dans un lycée, notamment à Nanterre. Et donc, lui, il connaissait déjà les parcours de cuisinier et tout ça. Et à l'époque, il y avait une chef, Rouguidia. qui est une chef d'origine sénégalaise, qui avait fait de grandes tailles, qui avait travaillé chez Petrosian avec Philippe Conticini. Et donc, il a dit, mais non, mais si vous la laissez venir, elle peut devenir comme Rougidia, elle peut vraiment se défendre et tout ça. Et c'est comme ça que mes parents, et notamment mon père, acceptent de me laisser venir en France.

  • Speaker #1

    Ok, génial. Et du coup, raconte-nous un petit peu alors ton arrivée en France, comment ça s'est passé. Tu avais 18 ans, tu m'as dit, c'est ça ?

  • Speaker #0

    J'arrive à 18 ans et c'est vrai que c'est le choc culturel. D'abord parce qu'il fait froid. Au Gabon, quand il fait froid, c'est 18. Il fait 18 degrés. Là, on est en doudoune, en écharpe, on chope la grève. C'est 18 degrés. Et là, j'arrive en plus à Grenoble. Et donc, mon premier hiver, moins 10 degrés. Donc, je découvre la gastronomie française. Je suis née en France, mais je n'ai pas grandi en France. Tout ce que je connaissais de français, c'était Camembert président, la vache qui rit, les saucissons Justin Bridoux. Mais je n'y connaissais rien à tout ce qui était terroir, produits du terroir. Les plats et tout ça. Et donc, c'est le choc culturel. En plus, je dois faire une mise à niveau parce que j'ai un bac en sciences éco. Et la mise à niveau consiste en fait à faire en un an le programme que les autres ont fait de la seconde au bac professionnel.

  • Speaker #1

    C'est intense.

  • Speaker #0

    Donc, c'est très intense. Les semaines où on commence à 8h, on finit à 20h. C'est beaucoup de bourrage de crâne aussi. Donc, apprendre les cépages, le vin. J'y connais rien, donc j'avais jamais bu d'alcool de ma vie. Donc, découvrir les cépages, les régions de France avec leurs particularités, découvrir les fromages. Je veux dire, je connaissais que le camembert président et là je me disais mais pourquoi manger un fromage qui a un goût de pied ? Pourquoi manger un fromage qui sent aussi fort ? Je découvre les différentes sauces, les textures, tout ce côté technique. tout ce côté technique au niveau du travail, des produits, du respect, même dans les assaisonnements. Je viens d'une culture où on fait mariner, on fait tout mariner. Et là, on me dit juste sel, poivre. Et je dis, mais comment ça, sel, poivre ? Et pour moi, sel, poivre, ce n'est pas respecter le produit. Là où en France, justement, sel, poivre, c'est laisser au produit le soin de s'exprimer par lui-même. Et donc, il y a ce côté où je... Je découvre et je dois m'adapter. Je dois adapter mon palais aussi parce que je mange très pimenté.

  • Speaker #1

    Et du coup, tout paraît plus fade après ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas plus fade. Je ne dirais pas fade, mais je trouve que ça manque de quelque chose. Et donc, j'ai dû apprendre à manger moins pimenté.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Tu t'es habituée.

  • Speaker #0

    Exactement. Et je me rappelle de mon professeur, M. Fournat, qui à chaque fois me disait « Ah ben ça, c'est le plat d'Anto, ça. C'est obligé, c'est le plat d'Anto. »

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Et je disais « Mais pourquoi ? » Il dit « Mais regarde comment je suis tout rouge. » Tu as mis beaucoup de piment. Je dis, monsieur, chef, j'ai mis qu'un tout petit peu. Il dit, toi, pour toi, un tout petit peu, c'est beaucoup pour moi. Donc, il y avait ça, mais c'était chouette.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qui t'a le plus marqué, du coup, c'est d'apprendre, tu me parlais de fromage, de vin, etc. C'est quoi pour toi la chose qui t'a le plus marqué ?

  • Speaker #0

    Ce qui m'a le plus marqué dans tout ce processus, c'est que la culinaire, c'est vraiment la connaissance des produits. Le fait qu'en France, on avait vraiment, en tout cas, il y a des personnes, des professionnels qui s'étaient assis et qui avaient commencé à étudier les produits, à dire un bon produit doit être comme ça et pas comme ça. En lequel il y a telle maturité, il y avait vraiment une connaissance des produits et c'était écrit. Là où moi, je venais d'une culture où tout était oral, on ne connaissait pas forcément, je ne connaissais pas forcément. dans le même pays, ce que telle région du Gabon peut manger. Je connaissais moins bien. Et moi, ce qui m'a frappée, c'était vraiment cette connaissance. Et à un moment, je me suis dit, j'aimerais connaître aussi bien les produits de chez moi que les Français connaissent leurs produits de terroir.

  • Speaker #1

    Parce que du coup, au Gabon, tu me disais qu'il y avait une transmission. Donc, toi, tu as appris de ta tante, de ta grand-mère et de ta mère, c'est ça ? Oui. Et du coup, c'est une transmission. purement orale, il n'y a pas de livre de recettes qu'on peut se transmettre de génération en génération ?

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de livre de recettes et surtout, il n'y a pas de balance. Ça, c'est par exemple une des difficultés que j'ai eues lorsqu'il a fallu écrire mon premier livre de cuisine, c'est peser. Parce que je n'ai pas grandi avec cette notion de peser. Quand on me disait, il faut mettre un peu de sel, ce n'est pas une pincée, une poignée, il fallait regarder. Donc quand on voyait ce qu'elle prenait dans sa main, il fallait essayer de faire le même geste. Quand on dit il faut mettre un peu d'eau, on ne vous dit pas, ça c'est par exemple quelque chose que j'ai appris à l'école, pour un volume de riz, on met deux volumes d'eau. Moi, je n'ai pas appris ça à la maison.

  • Speaker #1

    Et vous faisiez comment ? Du coup, c'était un peu à l'instant ?

  • Speaker #0

    C'est à l'œil. C'est à l'œil. C'est l'œil qui mesure. Donc c'est...

  • Speaker #1

    Ça doit très bien marcher, même mieux, j'imagine.

  • Speaker #0

    Bah... Après, à force, au début, on se loupe. Au début, on a mis un peu trop. Au début, on a mis un peu moins. Et c'est à force de faire, de pratiquer, qu'on arrive à trouver le juste milieu. Parce qu'il suffit que la taille du récipient change et la quantité change aussi. Donc, c'est à force de faire qu'on apprend. Mais c'est ça. Il y a vraiment cette différence où moi, j'ai appris, que j'ai commencé à apprendre en regardant, en voyant le geste. avant de pouvoir le maîtriser moi. Là où en France, on me disait, maintenant tu pèses, maintenant c'est tendœuf, maintenant c'est comme ça, c'est comme ça. Ou c'est très normé.

  • Speaker #1

    Et tu trouves qu'en France, du coup, ça peut casser un peu cette créativité ou le fait que tout soit normé comme ça, tu vois ça comme quelque chose de plutôt positif ou négatif pour toi ?

  • Speaker #0

    Je pense que c'est quelque chose de positif, cette façon de normer, surtout quand on veut transmettre. Parce que quand on veut faire une recette et qu'on veut que quelqu'un après puisse refaire la même recette et puisse avoir les mêmes résultats, il faut qu'on ait cette notion de chronomètre, de pesée, de grammage et tout ça. Et donc c'est important. Et c'est aussi important d'écrire parce que quand on écrit... Moi, j'aime beaucoup les histoires familiales où on avait l'arrière-grand-père qui avait sa recette de macarons, qui était dans son carnet. Et puis, le grand-père est venu, il a repris la même recette en suivant exactement les mêmes pesées, qui étaient dans le même vieux carnet. Il a peut-être mis d'autres annotations. Et puis le père est venu à repris et le petit-fils et l'arrière-petit-fils. Et c'est la même recette qu'on garde. Et c'est ça qui fait le succès de beaucoup de grandes maisons françaises. C'est le fait qu'on ait écrit, qu'on ait gardé les racines de recettes. Nous, on n'a pas forcément gardé. Et donc, il y a eu beaucoup d'intrants qui ont modifié, qui ont changé beaucoup de choses. Et c'est pour ça que moi, à un moment donné, je me suis dit, il faut écrire. pour que ceux qui viendront après moi ne puissent pas repartir de zéro, mais puissent prendre quelque chose qui existait déjà et continuer avec.

  • Speaker #1

    D'ailleurs, quand tu me dis « faut écrire » , du coup, on a ton magnifique livre que j'ai lu, qui est vraiment magnifique. Les photos sont très belles, c'est super intéressant. Il y a une partie un peu d'histoire au début qui est vachement bien. Tu veux me raconter un petit peu du coup ? Ça, c'est ton deuxième livre que tu as écrit.

  • Speaker #0

    C'est le deuxième livre, Mon Afrique. Et en fait, ce livre est une réponse que je donne à tous ceux qui ont participé à mes cours de cuisine sur Paris et à tous ceux qui se posent les mêmes questions. C'est vrai que depuis 2018, je donne des cours de cuisine africaine sur Paris et j'avais souvent les mêmes questions. Mais Anto, pourquoi dans tel pays, il y a telle recette, mais je vois aussi que dans un autre pays, il y a la même recette. Pourquoi, comment utiliser ce produit ? Est-ce que je suis obligée de faire que des recettes africaines avec ce produit-là ? J'ai vu que dans un magasin, une épice, ça s'appelait comme ça, mais on m'a dit que dans un autre pays... Ça, ça plaît aussi comme ça. Ah ben, je n'arrive pas à faire des papillotes, je n'arrive pas à faire tel geste. Est-ce que tu peux m'expliquer ? Et je me suis rendu compte qu'en France, même si les communautés africaines sont les plus nombreuses, finalement, nos cuisines sont moins connues. Notamment celles qui... les cuisines d'Afrique subsaharienne. Les cuisines du Maghreb, elles sont plus accessibles parce que c'est plus facile d'y aller aussi avec le tourisme. Mais c'est vrai que l'Afrique subsaharienne, en dehors de deux, trois plats, Je pense aussi que si je te demande trois plats sans regarder le livre de tête, c'est souvent les mêmes plats qui reviennent. Et je me dis, ce n'est pas possible qu'on soit aussi nombreux et que finalement...

  • Speaker #1

    On connaît très mal en fait.

  • Speaker #0

    Sachant que les communautés qui viennent d'Asie, que ce soit le Japon, la Chine, la Corée ou l'Inde, finalement les Français connaissent mieux leurs plats que nos plats. Sachant que la France nous a quand même colonisés. Et je me dis, mais c'est incroyable. et Et donc, je me suis dit, il y a besoin de pédagogie. Le fait d'avoir été chef privé chez des particuliers, j'avais l'occasion de poser des questions. Est-ce que vous êtes déjà allé dans un restaurant africain ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui vous freine ? Qu'est-ce qui vous bloque ? Et c'était souvent les mêmes retours. On ne connaît pas, ça a l'air trop gras, on ne connaît pas vos produits, on ne sait pas trop ce que vous faites. Est-ce que vous avez vraiment des produits d'exception ? Qu'est-ce que vous faites ? Et je me suis dit, mais ce n'est pas possible que les gens... On est là, on pense qu'on nous connaît, mais finalement, on ne nous connaît pas. Et donc, ce deuxième livre, c'était répondre à ces questions que les gens se posaient et mettre aussi le produit vraiment au centre. Dans le sens où je parle d'un produit comme la banane plantain. J'explique.

  • Speaker #1

    Je crois que je n'ai jamais goûté la banane plantain, justement. Je ne savais même pas que ça ne se mangeait pas cru, justement, au début. Pour moi, c'est une banane normale, je ne savais même pas qu'il y avait un légume. C'est un légume, c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'est un légume,

  • Speaker #1

    oui. C'est fou, qui ressemble exactement à la banane de fruit.

  • Speaker #0

    Exactement. Et en tout cas, par exemple, quand il y a des bananes plantain, il y en a qui tentent de l'éplucher comme la banane de fruit. Et je dis non, mais ce n'est pas la même façon d'éplucher. Sachant qu'en plus...

  • Speaker #1

    Ça m'a donné tellement envie de découvrir le goût de la banane plantain.

  • Speaker #0

    En fonction du type de la recette que vous voulez faire, ce n'est pas la même banane plantain que vous allez utiliser. C'est pour ça que dans le chapitre...

  • Speaker #1

    La maturation, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Exactement. C'est pour ça que j'explique, suivant la recette, je dis, attention, si vous voulez faire tel type de choses, c'est tel type de maturation. Mais ce n'est pas toujours expliqué. On va vous dire, prenez une banane plantain. Quelqu'un qui ne connaît pas, il va prendre la banane qu'il a trouvée et après il me dit, mais ça n'a pas fonctionné.

  • Speaker #1

    C'était super bien expliqué, franchement. Et donc,

  • Speaker #0

    voilà, les cours de cuisine m'ont aidé à être plus pédagogue, plus indulgente. Parce que je dis toujours aux gens, il n'y a pas de question bête. La question bête, c'est celle qu'on ne pose pas. N'hésitez pas, c'est normal que vous ne connaissiez pas, que vous ne compreniez pas. Moi, je suis là pour répondre à vos questions.

  • Speaker #1

    Avant d'entrer dans le vif du sujet, le Deep Dive est un podcast bienveillant où l'on va à la rencontre d'invités au parcours inspirant. Chaque semaine, je vous emmène avec moi pour explorer la partie immergée de l'iceberg. Le concept est simple, un invité, trois niveaux de discussion. A chaque niveau, l'invité choisit un ou deux badges parmi quatre animaux polaires. directement sur la tablette. On commence en surface avec la partie émerger de l'iceberg, des questions plus légères pour apprendre à mieux connaître l'invité. Ensuite, on passe en mode deep dive. Direction la partie immerger de l'iceberg, puis dans les abysses pour des échanges de plus en plus deep. On vous laisse découvrir, c'est parti, l'exploration commence ici. Je te laisse faire. D'accord. Tu peux cliquer dessus directement.

  • Speaker #0

    Alors, je vais partir sur l'ours.

  • Speaker #1

    Donc là, on a justement, on était dessus, un de tes posts Instagram. Donc ça, c'est ton premier livre, Goût d'Afrique.

  • Speaker #0

    Goût d'Afrique, oui.

  • Speaker #1

    Alors, dis-moi un petit peu, explique-moi la différence. Du coup, je n'ai pas eu la chance de feuilleter Goût d'Afrique. J'ai regardé mon Afrique. C'est quoi la différence ? Explique-moi un petit peu la différence entre les deux livres.

  • Speaker #0

    Alors, la différence entre les deux, Goût d'Afrique, on va avoir beaucoup de recettes traditionnelles. On va avoir quelques... Alors, surtout dans les desserts, des recettes qui vont être... inspiré de recettes françaises, mais retravaillées avec des produits d'Afrique. Donc ça, c'est beaucoup dans les desserts parce que culturellement, on n'a pas cette technicité de dessert. En dehors des pays du Maghreb qui vont avoir vraiment toute cette connaissance avec les pâtisseries orientales et tout ça, nous, en Afrique subsaharienne, on a des plats sucrés, mais qui ne sont pas des pâtisseries, qui ne sont pas des desserts.

  • Speaker #1

    Génial. Je te laisse peut-être choisir un deuxième badge.

  • Speaker #0

    L'Otari. Donc ça, c'est une photo du tchiboudier, le riz au poisson, qui est une recette sénégalaise et qui est une recette qui a eu beaucoup de variantes dans le monde, que peu de gens connaissent. On a par exemple le jambalaya, qu'on va retrouver notamment en Caroline du Sud, en Louisiane, qui est un plat qui ressemble beaucoup. à ce plat-là, donc à base de riz, mais au lieu de poisson, on va avoir différents morceaux de viande avec des légumes et des épices. Et c'est un plat qui montre que l'Afrique a eu de l'influence à l'international, dans le sens où les esclaves, lorsqu'ils ont été déportés, en fait, ils ont amené aussi leur connaissance sur le travail de certains produits, de certaines épices. Et c'est pour ça que lorsqu'on va dans certains pays où il y a eu des esclaves noirs, on va retrouver des plats qui ressemblent beaucoup à des plats qui sont d'origine africaine.

  • Speaker #1

    Ok, super intéressant. Ça a l'air, en plus, extrêmement appétissant sur la photo. Du coup, on va rentrer en mode deep dive. Oui. Alors, je vais te laisser cliquer sur le mode deep dive, donc tout en bas, quand tu veux.

  • Speaker #0

    Deep dive.

  • Speaker #1

    Donc on est maintenant en mode deep dive, comme tu peux le voir. Est-ce que tu peux nous présenter, du coup les invités nous ramènent souvent un objet qui est important pour eux, qui a une histoire. N'hésite pas à nous présenter cet objet.

  • Speaker #0

    Alors cet objet, c'est mon tout premier livre de cuisine, La cuisine au pays du soleil. C'est pour ça qu'il est tout vieux, déchiré et tout. Avec quel âge ? Dès 9 ans, c'est le premier livre que ma mère m'a donné. Avec les recettes que j'ai fait le plus, il y a des traces. de farine, d'huile séchée et tout ça. Ça c'est la partie que j'ai fait le plus quand je faisais notamment mes gâteaux que je revendais à l'école.

  • Speaker #1

    On voit que c'est la partie que tu fais le plus, elle est presque colorée. Elle est à la partie de la sécher et tout ça.

  • Speaker #0

    Parce que c'est ce que je faisais pour vendre à l'école.

  • Speaker #1

    Donc c'est grâce à ces deux pages que tu es devenue la femme, la grande chef que tu es.

  • Speaker #0

    En tout cas, je me faisais un salaire presque de fonctionnaire. C'est tout bien. Mon tout premier. Et si tu remarques bien, il n'y a pas de photo. Contrairement au livre de cuisine d'aujourd'hui, où on a des photos, des pas à pas, on sait à quoi ça doit ressembler à la fin. Là, il n'y a pas de photo. Et donc, ça a laissé vraiment libre cours à l'imagination. Donc quand on faisait, on ne savait pas trop ce que ça ressemblait. C'est rigolo. Et voilà, c'est vraiment mon tout premier que je garde précieusement.

  • Speaker #1

    Très beau, très joli livre. Du coup, donc là, mode deep dive, on a quatre hauts de badge. Donc pour rappel, plus on descend, plus les questions sont deep. Je te laisse choisir un des quatre badges.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Chef Anto, j'ai une question pour toi. Quand on enlève la veste des cuisiniers, qu'est-ce qu'on trouve en dessous ? Quelle personne ? Donc qui es-tu ? Chef Anto, justement tu me disais que les gens t'appelaient souvent Chef Anto, Chef Anto. Même tu me disais, tiens, appelle-moi Anto. Oui. Donc qui es-tu sous cette toque ou derrière la chef que tu es ?

  • Speaker #0

    Derrière la chef que je suis, je suis juste Anto. Je suis une maman, je suis... Aussi, j'aime beaucoup la musique. J'écoute notamment tout ce qui est musique, que ce soit le jazz, le gospel, ce type de musique. J'aime beaucoup les voyages et d'ailleurs, je suis contente d'avoir trouvé un métier qui me permette aussi de voyager. J'aime beaucoup, je suis une fan d'histoire. regarder les émissions, les documentaires comme secrets d'histoire où on raconte un peu la vie des gens, comment ils ont vécu.

  • Speaker #1

    En parlant de documentaires, c'est vrai qu'on a peu parlé justement de tes émissions parce que tu fais beaucoup d'émissions de télé, donc Échappée Belle sur France 5 et sur Canal Plus Afrique.

  • Speaker #0

    Alors, l'Afrique a du goût sur Canal Plus Afrique.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de tes émissions ? Raconte-nous un petit peu comment ça se passe.

  • Speaker #0

    Alors, les émissions que je fais, ce sont des émissions où je fais découvrir un pays ou une région à travers la cuisine. Donc, j'ai commencé sur Canal+, Afrique. La première émission s'appelait « Rendez-vous avec le chef Anto » . Et à chaque fois, on partait dans une région ou un pays d'Afrique, pour le coup. Et le but, c'était de faire découvrir des recettes, des produits du terroir et d'apprendre des techniques de cuisine. Et c'est pour ça que moi, j'avais demandé quand on m'a proposé de faire cette émission d'aller dans les villages, parce que c'est là-bas où il y avait encore cette connaissance de produits traditionnels. On respecte encore les recettes traditionnelles. Et ce qui était marrant, le défi à la fin de l'émission, c'est que je devais cuisiner de façon gastronomique pour les personnes qui m'avaient reçu. alors c'était toujours très amusant parce que Souvent les femmes me regardaient en me disant « Mais tu ne sais pas cuisiner, ce n'est pas comme ça qu'on travaille tel produit. » Ça peut être.

  • Speaker #1

    Je te laisse choisir peut-être un deuxième badge du coup sur les quatre. Le dernier badge sur le… Salut Chef Anto, j'espère que tu vas bien. Je voulais savoir quelle est ta plus grande peur ?

  • Speaker #0

    Ta plus grande peur ?

  • Speaker #1

    Ma plus grande peur ? Je dirais que ma plus grande peur, c'est de ne pas réussir à transmettre, notamment à mes enfants, cette connaissance culturelle, en tout cas qui n'arrive pas à saisir, cette connaissance que je peux avoir du continent africain. Parce que je me rends compte aujourd'hui que mes enfants sont des métisses culturelles. c'est-à-dire qu'ils sont africains mais ils grandissent dans un pays français.

  • Speaker #0

    On est en France ? On est en France.

  • Speaker #1

    Tu as plein d'enfants,

  • Speaker #0

    excuse-moi ?

  • Speaker #1

    J'en ai deux, j'ai deux garçons. Et c'est vrai que comme beaucoup de jeunes qui sont nés en France, notamment de jeunes afro-descendants, ils sont un peu comme des chauves-souris. C'est-à-dire qu'ils ont du mal à trouver leur place. En France, des fois, ils ont l'impression de ne pas être assez français. Et quand ils vont en Afrique, ils ont l'impression, en tout cas dans les pays d'Afrique où ils vont, de ne pas être assez africains. Et donc, d'appartenir en fait à...

  • Speaker #0

    Je pense à un de mes meilleurs potes qui est algérien, qui est né en France. Il me disait effectivement pareil qu'en France, il se sentait un peu algérien. En Algérie, on se sent tant qu'il est français.

  • Speaker #1

    Exactement. Déjà, je sais que par exemple, mes garçons, quand ils vont au Gabon, à cause de leur accent, parce qu'ils vont avoir l'accent parisien, on va dire « Ah, mais t'es pas d'ici » . Et quand ils sont ici, « T'es pas d'ici non plus » . Donc, il y a ce côté où on recherche un peu une identité. Donc, ça fait, comme je dis, des métisses culturelles. et c'est... Le but, c'est de leur transmettre. C'est pour ça que j'essaye de leur parler, notamment dans ma langue maternelle, de leur parler beaucoup du Gabon, de les emmener aussi en voyage pour qu'ils voient.

  • Speaker #0

    Tu as peur qu'ils perdent cette identité,

  • Speaker #1

    leurs origines gabonaises ? Oui, j'ai peur qu'ils le perdent. C'est pour ça que j'essaye de les emmener le plus souvent possible et qu'ils soient vraiment en immersion. Et quand on a une immersion, je dis tout ce que vous connaissez de la France, on oublie ici. Il n'y a pas de dessert, il n'y a pas de crème de serre, on mange local. Qu'ils arrivent à s'adapter. Et c'est vrai que c'est, en tout cas pour moi, c'est une grande peur.

  • Speaker #0

    Ouais, ok, super intéressant. Par rapport au fait d'être une femme noire justement dans le milieu de la cuisine, comment tu as vécu justement tout ça par rapport à ça ?

  • Speaker #1

    Alors moi, je l'ai plutôt bien vécu. Je pense que j'ai eu de la chance parce que je sais que tout le monde n'a pas vécu de la même façon. J'ai eu la chance d'avoir des super maîtres de stage qui m'ont pris tout de suite sous leur aile. Parce que dans tous les endroits où j'étais, j'étais souvent la seule noire de la classe. Peut-être la seule noire en cuisine. Là où la plupart du temps, les Noirs on les trouvait, c'était les femmes de chambre, c'était les femmes de ménage, c'était le plongeur, là moi j'étais dans l'équipe de cuisine et j'ai eu la chance d'avoir notamment dans toutes les maisons où je suis passée, tous les chefs que j'ai rencontrés, de me prendre sous leurs ailes. Là où c'était plus compliqué, c'était lorsque je parlais des cuisines de chez moi. et que je voyais qu'il n'y avait pas forcément d'intérêt. Je pense notamment à une grande maison parisienne où on avait ce qu'on appelait la Bible. C'était un gros traiteur parisien. On a la Bible et la Bible, chez les traiteurs, c'est en fait le référencement de tous les produits, de toutes les pièces cocktail, de tous les plats qu'on sert. Et à chaque fois qu'il y avait, par exemple, Asie ou Maghreb ou même pâtisserie orientale, En fait, cette maison-là sous-traitait à des personnes originaires de la région et qui leur faisaient des pièces ou des plats ou une animation qui était en adéquation avec leur niveau de gamme. C'est-à-dire, comme c'était très haut de gamme, ils avaient des sous-traitants qui arrivaient à leur faire des choses qui correspondaient à leur niveau de gamme. Mais dès qu'on était sur l'Afrique, notamment subsaharienne, en fait, les chefs inventaient des recettes.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    C'est incroyable, ça. Moi, je me disais, mais... Ça, ce n'est pas africain, mais ça qui vous a dit que c'est de chez nous, ça, ce n'est pas de chez nous et tout ça. Et en fait, il me disait, mais on n'a pas de... Déjà, il n'avait pas d'entreprise, en tout cas, il ne pouvait pas sous-traiter à une entreprise qui pouvait répondre à leurs exigences. Il n'en trouvait pas. Il disait qu'on ne connaît pas vos produits, il n'y a rien d'écrit. Et c'est vrai qu'à cette époque-là, même les blogs, il n'y avait pas de blog qui parlait de nos cuisines, il n'y avait pas d'émission, il n'y avait pas de livre, il y avait très peu de livre.

  • Speaker #0

    Ah ouais, c'est fou.

  • Speaker #1

    Et je sais que par exemple, en 2019...

  • Speaker #0

    C'était quoi ? Il y a 15 ans, 20 ans ?

  • Speaker #1

    Il y a... On parle de... On était aux alentours de 2010. Donc oui, il y a 15 ans. Et je me rappelle quand j'ai voulu écrire « Goût d'Afrique » parce que le goût d'Afrique... C'est Aline Princes, qui est photographe culinaire, qui me contacte, qui me dit, moi, elle a un enfant qui est franco-béninois. Et elle me dit, moi, j'ai beaucoup voyagé en Afrique. J'ai fait beaucoup de livres. J'ai photographié beaucoup de recettes pour des livres de cuisine, mais je n'ai jamais photographié de recettes pour un livre de cuisine avec des recettes africaines. Que ce serait bien, est-ce que vous serez partante pour écrire des recettes ? Et je dis complètement, mais on a eu du mal à trouver une maison d'édition.

  • Speaker #0

    C'est fou, ça. Parce que...

  • Speaker #1

    À cette époque-là, on était en 2018, les maisons d'édition disaient « l'Afrique, ça ne vend pas, personne n'achètera, personne ne s'y intéresse » . Et je me pense à une grande maison d'édition qu'on est allé voir et qui n'a pas voulu du projet. C'est Mango, qui est spécialisé notamment dans tout ce qui est cuisine du monde, qui nous a dit « c'est vrai qu'on a fait tous les continents, mais on n'a rien de l'Afrique subsaharienne, donc on pense que ça peut marcher » . Et finalement, ça a été un best-seller au point où ça a été traduit en allemand, ça a été traduit en anglais américain et par une autre maison d'édition en anglais britannique et bientôt en espagnol.

  • Speaker #0

    Bravo, félicitations.

  • Speaker #1

    Déjà, on a eu des super photos. Jusqu'à présent, livre de cuisine africaine et photos, ça ne donnait pas envie.

  • Speaker #0

    C'est la même que sur ton deuxième livre, du coup ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est Aline qui a fait aussi les photos du deuxième livre.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas vu le premier, mais celle du deuxième, les photos sont extraordinaires. C'est magnifique.

  • Speaker #1

    Et en plus, on a eu la chance d'avoir aussi une styliste culinaire qui n'y connaissait rien des cuisines d'Afrique et qui a aussi mis en scène. Moi, je lui racontais les histoires, je lui amenais les produits et elle a su aussi faire des jolies mises en scène avec les produits, avec les plats. Et donc, c'est vraiment ce que j'ai rencontré. C'est que dès qu'on parlait d'Afrique, même si en tant que Noir, je n'avais pas de soucis pour travailler ou de... Mais dès qu'on parlait de cuisine ou de produits, les gens trouvaient que ce n'était pas vraiment intéressant. Les gens étaient un peu dédaigneux en disant, ben non, l'avenir, c'est l'Asie. On parlait du yuzu, du matcha.

  • Speaker #0

    Mais comment tu expliques justement, par rapport à ça, que les cuisines... Mouah ! justement asiatiques ou même indiennes, sont beaucoup plus démocratisées que les cuisines africaines ?

  • Speaker #1

    Il y a eu plusieurs choses. Déjà, ce sont des pays où on peut aller facilement en tourisme. Si vous voulez aller en Inde, si vous voulez aller en Chine, vous avez moins de difficulté à avoir un visa pour aller là-bas que si vous voulez aller dans un pays d'Afrique subsaharienne. Le tourisme est déjà un peu plus développé dans ces pays-là. Ça veut dire qu'un Français lambda, il part avec son sac à dos s'il veut aller Il va trouver des informations sur internet, ou dormir, ou loger. C'est plus ou moins organisé. Nous, chez nous, c'est beaucoup moins. En dehors de quelques pays qui ont vraiment compris, comme le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Rwanda, qui sont en train de miser ces dernières années sur le tourisme, parce qu'ils se rendent compte que quand les touristes viennent, il y a aussi un impact financier. Parce qu'un touriste qui vient, c'est quelqu'un qui mange, c'est quelqu'un qui dort, c'est quelqu'un qui se déplace. Et donc, il y a tout ça. toutes ces structures dans lesquelles il faut investir parce qu'on met de l'argent dedans. Il y a ce côté-là. La deuxième chose, c'est que quand on va dans... Et tous les Chinois ou les Indiens vous diront ce que vous mangez dans un restaurant indien à Paris, ce n'est pas la même chose que vous mangerez en Inde.

  • Speaker #0

    Vraiment, c'est...

  • Speaker #1

    Parce qu'ils ont adapté.

  • Speaker #0

    C'est occidentalisé.

  • Speaker #1

    Ils ont adapté. C'est qu'à un moment donné, ils ont vu que les Français, ils aiment... tel type de choses, on va leur proposer ça.

  • Speaker #0

    Je ne savais pas qu'ils avaient adapté à ce point-là.

  • Speaker #1

    Ils ont adapté. Moi, je suis allée, par exemple, dans des restaurants chinois aux États-Unis, restaurants chinois en Australie, restaurants chinois au Gabon. Ce n'est pas la même chose. Ça n'a rien à voir. C'est incroyable,

  • Speaker #0

    je ne savais pas.

  • Speaker #1

    Chaque pays, ils ont adapté par rapport à ce que les gens aiment. Nous, quand on est venus, on a dit, chez nous, c'est comme ça qu'on mange ça. On adapte. pas. On mange ça comme ça. Et donc, pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être... Vous avez bien fait. J'imagine. Alors, pour des Africains...

  • Speaker #0

    C'est très adapté, je trouve, la nourriture en France.

  • Speaker #1

    Je suis d'accord, mais pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être un frein. Quand vous mangez français dans les pays étrangers, ce n'est pas la même chose qu'en France. On vous dira toujours, si vous voulez manger vraiment français, allez en France. Mais vous avez un aperçu qui vous donne envie de découvrir ce qui se passe vraiment en France. Et donc, nous, c'est ce qu'on aurait dû faire. C'est de se dire, c'est un aperçu. Si vous voulez vraiment manger sénégalais, allez au Sénégal. Si vous voulez vraiment manger un plat du Congo, allez au Congo. Mais c'est un aperçu de ce que vous pourrez découvrir.

  • Speaker #0

    Parce que justement, par rapport au cliché de la nourriture africaine, il y en a quand même pas mal. C'est quoi pour toi les clichés principaux ?

  • Speaker #1

    Alors les clichés principaux c'est « ah c'est trop gras, vos cuisines sont trop grasses » . Moi à chaque fois je dis « mais la mayonnaise c'est pas africain et pourtant ça vous gêne pas » .

  • Speaker #0

    Et pourquoi on dit que… moi mon frère il cuisine beaucoup, j'en discutais avec lui, il m'expliquait que c'était pas plus gras que la cuisine française, mais c'est qu'en France on faisait beaucoup d'émulsions, donc on voyait moins le…

  • Speaker #1

    Exactement, en France il y a cette technique qui fait… qu'on travaille le gras d'une façon à ce qu'on ne le voit pas.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. Mais pourtant, ça reste...

  • Speaker #1

    Mais ça reste gras. Je veux dire, un foie gras, c'est gras. Oui, c'est sûr. C'est gras, mais la façon dont il est présenté, on ne voit pas le gras. Donc, il y a beaucoup d'émulsions, que ce soit dans les sauces, les béarnaises, les mornées. Enfin, on est toujours en train d'émulsionner. Et donc, ce gras, on ne le voit pas. Ce qui, nous, n'est pas... L'émulsion n'est pas une technique de chez nous. et donc Culturellement, ça ne nous gêne pas de voir ce gras-là. Il y avait, par exemple, c'est trop pimenté. Et moi, je dis, mais nous, on est des petits joueurs. Un Mexicain, en moyenne, mange 15 kilos de piment par an. Un Thaïlandais, en moyenne, mange 8 kilos de piment par an. Là où, on va vous dire, un Camerounais ou un Togolais, il va être à 5 kilos par an. Le piment ne devrait pas être un frein parce qu'on est... pas les plus gros joueurs sur l'utilisation du piment. Après, on va avoir des préjugés sur, on n'a pas forcément de produits nobles. Et ça encore, c'est une méconnaissance. Moi, je me suis beaucoup...

  • Speaker #0

    Quand on parle de produits nobles, tu dirais que c'est quoi exactement justement ?

  • Speaker #1

    Quand on parle de produits nobles, par exemple, je pense au miel d'Oku, qui est un miel rare, qui est blanc, ressemble en couleur à de la vaseline, mais qui est du miel qu'on va retrouver au Cameroun. On a le poivre de Penja qui vient du Cameroun aussi. On a le café des montagnes Ziaman qui vient de Guinée, Conakry. On a l'ananas peint de sucre du plateau d'Alada qui on trouve au Bénin. On va avoir la tiequée des lagunes en Côte d'Ivoire. Donc on a, on commence à avoir en tout cas, des produits avec des appellations. Après, on a aussi des épices qui sont vraiment, alors qui sont peu connues. C'est pour ça qu'on ne sait pas que c'est noble. Je pense notamment aux graines de Néré. C'est un produit typique d'Afrique qu'on trouve dans les villages, que malheureusement, nous, Africains, comme c'est dans notre quotidien, on néglige. Et que moi, j'essaye de rendre leur lettre de noblesse, notamment dans l'épicerie que j'ai ouverte.

  • Speaker #0

    Justement, j'allais t'en parler. Baraka, c'est ça ? Baraka, oui. Raconte-nous un petit peu. Tu as ouvert ça il y a quelques mois, je crois, non ?

  • Speaker #1

    Il y a quelques mois.

  • Speaker #0

    J'ai vu les photos, c'est magnifique.

  • Speaker #1

    Alors aujourd'hui, ça fait six mois. Alors déjà, Baraka, c'est le nom d'un quartier à Libreville. parce que j'ai souvent des... des amis arabes qui vont me dire, « Oh, Baraka, ça veut dire la bénédiction ou la chance et tout. » Je dis, « Ah, ben moi, ça vient d'abord d'un quartier à Libreville. » Parce que les premiers explorateurs à avoir découvert le Gabon, c'était des Portugais. Et donc, on a beaucoup de quartiers ou de villes au Gabon qui ont des noms portugais. Et Baraka veut dire en français « barak » . C'était en fait des cases, des huttes, où à l'époque de l'esclavage, on mettait les esclaves. parce que c'est un quartier qui n'est pas loin de la mer. Et avant de les mettre dans les bateaux, on parquait les esclaves dans ces baracas. Et donc, le quartier a eu le nom Baraka. Sauf que Baraka, c'est le quartier où ma grand-mère vivait. Et c'est là-bas où je passais toutes mes vacances quand j'étais enfant. Et où j'ai mes meilleurs souvenirs d'enfance, d'odeurs, de plats, de casse-cou, de ce qu'on a pu faire avec les frères, les cousins, les cousines. et quand j'ai voulu ouvrir Une épicerie fine, le nom Baraka pour moi était une évidence parce que cette épicerie fine c'était pour raconter un peu tous les souvenirs que j'ai ramenés de mes voyages. Ok. Voilà.

  • Speaker #0

    Ça a l'air magnifique en tout cas, quand j'ai regardé un petit peu les produits etc. ça donne vraiment envie de découvrir, c'est super joli ouais. Les photos,

  • Speaker #1

    les… C'est des produits déjà j'avais… c'était aussi, en tout cas cette épicerie, une réponse à beaucoup de clients. Parce qu'à la fin des cours de cuisine, ils me disaient « Anton, on veut acheter les produits » .

  • Speaker #0

    C'est vrai, là tu me parles de tellement de produits, j'ai envie de tout découvrir en fait.

  • Speaker #1

    Et à chaque fois, ils me disaient « On a utilisé tel épice, où est-ce que je peux acheter ? » Non, moi je les envoyais à Château Rouge. Je me disais « Allez à Château Rouge, allez trouver, allez dans telle boutique » . Et naïvement, je les envoyais là-bas. Et un jour, je discute avec un, il me dit « Tu sais, tu m'as envoyé à Château Rouge, mais franchement, si toi tu ouvres une boutique, moi je vais venir acheter chez toi. »

  • Speaker #0

    Ok, génial.

  • Speaker #1

    Parce qu'à Châteaurouge, on ne nous donne pas forcément le conseil. On ne prend pas forcément le temps de nous expliquer.

  • Speaker #0

    Parce que c'est pour les habituer, j'imagine.

  • Speaker #1

    Et puis, des fois, tout est dans un coin. Nous-mêmes, on doit chercher, on ne nous aide pas. Donc, pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être un frein. Et alors que ceux qui viennent à Baraka, en général, quand ils viennent prendre une épice, je leur explique que c'est... Les épices ou ce produit, ils ne sont pas obligés de l'utiliser pour réaliser une recette africaine. Ils peuvent l'utiliser dans leur quotidien, leur recette de tous les jours. Par exemple, les graines de Néré qui ont un goût de fromage. Je dis, une sauce tomate avec vos gnocchis, vous mettez ça, vous avez un goût de fromage.

  • Speaker #0

    Tu l'as chez Baraka du coup les graines de Néré ?

  • Speaker #1

    Les graines de Néré.

  • Speaker #0

    J'ai fait un petit tour du coup. Bien sûr. J'ai envie de découvrir ça.

  • Speaker #1

    Il y a une autre graine qu'on appelle rondelle qui donne un goût de truche. J'ai une écorce qui fait penser à l'ail des ours. On a des choses qui sont vraiment des produits de forêt ou qui poussent dans des zones semi-arides.

  • Speaker #0

    Ok, génial. On va aller dans le dernier mode, donc encore un peu plus en profondeur. D'accord. Donc là, je te laisse choisir, pareil, un des quatre badges.

  • Speaker #1

    Un des quatre badges.

  • Speaker #2

    Salut Antho, il y a quelques temps tu as eu l'occasion d'avoir ton propre restaurant, finalement ça s'est pas fait et on sait que le Graal du cuisinier en France c'est le Michelin, j'aimerais avoir ton avis là dessus et est ce que tu regrettes de ne pas avoir eu ton lieu pour pouvoir justement un jour peut-être prétendre au Guide Michelin, à l'étoile du Guide Michelin ?

  • Speaker #0

    Voilà donc déjà on peut dire qui c'est donc c'est C'est la personne avec qui tu fais l'émission du coup sur Canal plus Afrique ?

  • Speaker #1

    Exactement, Kossi Modeste, on te connaît depuis dix ans maintenant. Et c'est l'une des toutes premières personnes à m'avoir fait confiance aussi dans le milieu. Et il venait de sortir un magazine, Afro Cooking. Et donc moi, j'écrivais beaucoup de recettes pour le magazine. Et c'est vrai que c'est une personne avec qui je travaille beaucoup et qui n'a pas peur aussi, parce que ça c'est bien aussi d'avoir quelqu'un à côté de toi qui vous dit la vérité. C'est-à-dire quand vous commencez à prendre la grosse tête, à vous dire vos quatre vérités, vous vous faites défendre.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Et c'est l'une des rares personnes qui a ce pouvoir en tout cas sur moi. Et c'est vrai, en 2023 j'ai été contactée pour ouvrir un restaurant. Pour moi, c'était une sorte d'aboutissement. En fait, tout cuisinier, à un moment donné, a envie d'avoir son lieu pour pouvoir faire sa cuisine, accueillir les gens. Surtout que j'avais souvent des appels après les émissions. Où est-ce qu'on peut goûter votre cuisine ? Où est-ce qu'on peut vous trouver ? Parce que j'étais beaucoup itinérante à me déplacer, aller soit chez des particuliers, soit dans des lieux qui ont été privatisés et tout ça. Mais c'est vrai, c'est quelque chose, c'est un rêve que je nourris secrètement. Alors pas forcément pour avoir une étoile au guide Michelin, même si je sais que c'est important, c'est une distinction importante, mais déjà pour faire découvrir les cuisines et les produits que le continent africain a à offrir. Parce que je me rends compte qu'il y a tellement de choses qu'on pourrait proposer, mais que les gens ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    J'imagine. Génial, peut-être qu'on va regarder du coup une deuxième question. Normalement on ne fait pas plus que deux mais il y en a quatre au total donc je vais choisir au hasard celle que tu veux. Voilà, question supplémentaire.

  • Speaker #2

    En tant que chef de cuisine, est-ce qu'il t'est arrivé de préparer quelque chose à la maison et ta famille t'a dit que c'était pas bon ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est déjà arrivé, oui, c'est déjà arrivé, c'est déjà arrivé et les juges les plus terribles, ce sont les enfants.

  • Speaker #0

    T'imagines, ils ont quel âge d'ailleurs ?

  • Speaker #1

    10 ans et 4 ans, dire ah ça sent trop fort, ah mais c'est quoi ton truc, ah mais c'est pas bon et tout. Alors j'ai mon mari qui lui va rien dire parce qu'il est pour la paix des ménages, mais je vais voir à sa réaction que voilà ça passe pas, mais les enfants ils vont être... Tout de suite intransigeant en disant « Ah non mais nous on n'aime pas et tout, mais ton truc... »

  • Speaker #0

    Ah la la...

  • Speaker #1

    Et des fois même, j'ai l'aîné qui va me dire, mais Sarah, tu nous fais manger, africain, africain, tu sais, on est aussi français. C'est vrai,

  • Speaker #0

    il t'a dit ça ? Ah, c'est drôle.

  • Speaker #1

    Des fois, ils vont me dire ça et tout, je dis oui, mais d'accord. Mais si, c'est arrivé déjà.

  • Speaker #0

    Et tes enfants, justement, ils préfèrent quel type de cuisine ? C'est quoi leur préférence ?

  • Speaker #1

    Alors l'aîné, lui, il va être beaucoup sur la cuisine française.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    Beaucoup. Là où le deuxième, lui, il est beaucoup sur les plats africains. Après, il s'adapte aussi.

  • Speaker #0

    T'aimerais bien qu'il fasse quelque chose dans la cuisine plus tard ou ça t'est égal ?

  • Speaker #1

    Non, moi ça m'est égal qu'il fasse quelque chose dans la cuisine. En revanche, ils sauront cuisiner. Parce que dès le deuxième qui a 4 ans et puis l'aîné dès qu'il avait 4 ans aussi, avec moi en cuisine...

  • Speaker #0

    C'est encore plus tôt qu'au Gabon parce que toi tu me disais que c'était 9 ans au Gabon. Oui,

  • Speaker #1

    au Gabon c'était 9 ans. Mais pour être en France,

  • Speaker #0

    c'est 3 ans,

  • Speaker #1

    4 ans.

  • Speaker #0

    4 ans,

  • Speaker #1

    pas tout l'été. tourner, pour regarder. Je veux qu'il soit le plus autonome possible. Et donc ça, c'est quelque chose que je veux qu'il qu'il ait.

  • Speaker #0

    C'est sûr. Et d'ailleurs, par rapport à ça, justement, vu que toi, tu as deux fils, au Gabon, c'est plutôt les femmes qui cuisinent ?

  • Speaker #1

    Oui, au Gabon, enfin, en tout cas, dans ma culture, les garçons ne doivent pas aller en cuisine. Il y a même des cultures où c'est interdit. Ah oui, c'est interdit. Un homme en cuisine, c'est la honte. Ah oui, après c'est culturel. Ce qui fait qu'il y en a beaucoup quand ils viennent en France et qu'ils font même cuisinier comme job étudiant, ils ne le disent pas à leurs parents. C'est un truc de femme. On va avoir dit, attends, t'as allé faire un truc de femme et tout, t'es un homme. Donc, il y a encore cette culture-là. Et moi, je disais non. À chaque fois, je leur dis, vos conjointes, vous me remercieront parce que vous saurez faire tout ce qu'une femme sait faire, vous saurez le faire.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, par rapport à ça, comment tu expliques qu'en France, alors je ne sais pas pour les autres pays, mais que les plus grands chefs étoilés sont des hommes pour la majorité ?

  • Speaker #1

    Pour la majorité ?

  • Speaker #0

    Je n'ai jamais su.

  • Speaker #1

    Après, ce n'est pas qu'en France.

  • Speaker #0

    C'est vraiment dans le monde entier ?

  • Speaker #1

    Dans le monde entier, la plupart des chefs, ce sont des hommes. Moi, je sais qu'en 2010, quand j'ai voulu rentrer au Gabon, on m'a dit qu'on ne voulait pas de femme au poste auquel je prétendais. Malgré mon CV, malgré mes compétences, ils voulaient un homme. Alors d'une part, ça s'explique parce que les femmes elles-mêmes renoncent à la carrière pour avoir une vie de famille. Parce qu'à un moment donné, c'est un choix qui s'impose. Et souvent, lorsqu'on veut avoir des étoiles, lorsqu'on veut… voilà. Surtout quand on est très jeune, on met le côté familial de côté. C'est aujourd'hui qu'on commence à avoir des chefs étoilés qui ont des enfants. pendant longtemps.

  • Speaker #0

    Ils n'avaient pas d'enfants ?

  • Speaker #1

    Non, elles n'avaient pas d'enfants et féminines. Les chefs étoilés et féminines parce que moi, je me rappelle quand j'étais à l'école, il ne fallait pas ressembler à une fille, il fallait ressembler à un garçon. Il ne fallait pas se maquiller parce que dès que vous étiez un peu maquillée, les autres en cuisine vous charriaient et tout.

  • Speaker #0

    Il y a quand même du sexisme. Donc,

  • Speaker #1

    il fallait se fondre un peu dans la masse. Voilà. Et donc beaucoup ont renoncé à la carrière professionnelle pour... parce qu'elles voulaient avoir une vie de famille, parce qu'à un moment donné, il fallait choisir. C'est un métier très difficile aussi. Il y a beaucoup, dans certaines cultures, des hommes qui ne veulent pas dire « oui chef » à une femme.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est vrai. Ah bah oui.

  • Speaker #1

    Qui ne veulent pas dire « oui chef » à une femme. Et donc quand vous avez un chef-femme, il y en a qui le vivent... qui ne le vivent pas bien. Donc il y a eu... toutes ces explications-là qui ont fait que les hommes ont été plus mis en avant que les femmes. Mais ça commence à changer. Maintenant, les femmes sont de plus en plus cherchées en cuisine.

  • Speaker #0

    C'est cool, c'est l'attent. Bien sûr. C'est chouette. Et d'ailleurs, par rapport à ça, toi, est-ce que tu as des chefs qui t'inspirent ? C'est qui les chefs que tu préfères ?

  • Speaker #1

    Alors, les sources d'inspiration de chefs, au départ, c'était ma grand-mère. parce que Elle avait ce truc où quand on lui demandait alors qu'est-ce que tu as cuisiné aujourd'hui, elle disait dans ma langue, en fait la traduction littérale c'est dire je n'ai que mes deux seins, pour dire en fait j'ai pas grand chose en fait. Et avec son pas grand chose, à chaque fois je lui disais mais toi ton pas grand chose, finalement c'est très bon.

  • Speaker #0

    Ah c'est génial.

  • Speaker #1

    Et elle arrivait toujours à faire des choses exceptionnelles.

  • Speaker #0

    C'est ce que tu fais d'ailleurs dans tes émissions, souvent tu cuisines chez les gens avec ce qu'ils ont non ?

  • Speaker #1

    Avec ce qu'ils ont. Oui c'est ça. Oui oui c'est ça. C'est ça le défi c'est de se dire avec le matériel qu'ils ont, avec les produits qu'ils ont, comment je fais pour faire quelque chose de bien. Et là où aujourd'hui les gens n'arrivent plus à travailler sans leur super robot, sans l'épice qui vient de je sais où. On oublie souvent que la cuisine, c'est d'abord quelque chose de très simple, où on met du cœur et où on travaille avec technicité. Après, en grandissant, en arrivant en France, j'ai découvert des chefs comme Rouguidia, qui est l'une des premières chefs noires à avoir eu quand même une certaine notoriété, être passée par plusieurs grandes maisons. Mais c'est vrai que quand je suis arrivée, je n'avais pas beaucoup de modèles en fait, en dehors de ma grand-mère ou de ma mère qui était en cuisine.

  • Speaker #0

    Et toi, ce serait quoi ton rêve final entre guillemets ? Tu as fait déjà énormément. Est-ce que justement parler d'Etoile Michelin pour toi, c'était égal ? Ou est-ce que c'est quelque chose qui te ferait rêver d'être une chef étoilée ?

  • Speaker #1

    Alors une chef étoilée, oui, pourquoi pas. Après, moi, ce n'est pas un rêve. Moi, mon rêve, honnêtement, parce que le problème de l'étoile, c'est qu'on peut la perdre. On vous donne un jour, après demain, vous...

  • Speaker #0

    Ce qui ferait beaucoup de stress d'ailleurs, j'ai vu.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Il y en a qui refusent même maintenant de dire, je ne veux plus ce système d'étoiles. Bien sûr. C'est un peu plus la santé.

  • Speaker #1

    Alors, ce qui est bien, c'est que c'est une reconnaissance des... paires et tout ça, ça vous apporte du business c'est sûr. Ça vous met un peu au devant de la scène et vous crée vous met sur un piédestal. Mais moi, mon vrai rêve honnêtement c'est d'avoir une école de cuisine notamment au Gabon. Parce que quand je suis venue en France, dans les différentes écoles de cuisine, on nous a d'abord appris la cuisine locale, c'est-à-dire de France, les terroirs français, les produits français, les techniques françaises. Et après avoir vu tout ça, on voit ce qui se passe à l'international. Et donc, comment chaque étudiant, à la fin, sait comment je m'inspire des produits français et de l'international pour créer ma cuisine. Le problème aujourd'hui dans beaucoup de pays africains, et notamment au Gabon, c'est qu'on leur apprend la cuisine française. Et moi, ce que j'aimerais, c'est avoir une école où on leur apprend la cuisine d'abord des neuf provinces du Gabon. Les produits du terroir gabonais. Maîtriser ça. Et après, on voit le reste et qu'ils puissent, en sortant de l'école, se dire avec les produits de chez moi et ce que j'ai pu voir à l'international, comment je crée ma cuisine. Parce qu'on a encore beaucoup de jeunes sur le continent africain, encore ce complexe de se dire si c'est de chez nous, c'est bas de gamme. Si ça vient d'ailleurs, c'est plus haut de gamme, alors que pas du tout. Et c'est là où je me dis que la France a quand même bien fait son travail en allant partout, en disant que c'est nous les meilleurs. Aujourd'hui, beaucoup de gens n'essayent même plus d'être les meilleurs. Ils se disent que si c'est français, c'est forcément mieux. Et donc, mon rêve, c'est vraiment d'avoir cette école où les jeunes vont apprendre à boire les produits de chez eux, des neuf provinces, qu'ils puissent maîtriser les produits des neuf provinces du Gabon. Quand on a fait le tournage au Maroc, j'ai vu la cuisson de... d'un agneau entier dans un four qui avait 120 ans. Donc, à base d'argile et tout ça. Et comment ils me disaient, une fois par an, on repart dans le four pour remettre de l'argile et tout. On a gardé cette technique depuis le XIIe siècle. Moi, mon rêve, c'est d'avoir une école où on peut travailler ce genre de technique et que les jeunes puissent se dire, nous aussi, en Afrique, on a des techniques. Et que des chefs français puissent venir et se dire, moi aussi, je vais apprendre de la même façon que je vais apprendre... chez les maîtres sous-spirés au Japon ou dans d'autres pays d'Asie, qu'on aille en Afrique apprendre aussi nos techniques.

  • Speaker #0

    Et tu me parlais de jeunes, justement, pour bondir par rapport à ça, est-ce que tu aurais quelque chose à dire à un jeune en France ou en Afrique qui a une aspiration à être chef ou un autre métier créatif ou autre ? Qu'est-ce que tu pourrais lui dire, toi, du coup, chef fantôme, qui a une très belle histoire ?

  • Speaker #1

    Alors ce que je pourrais dire, c'est que... vous êtes les seuls à donner la trajectoire à votre métier. Moi, quand j'ai dit que je voulais être cuisinière, on m'a dit, c'est pas un métier ambitieux, tu vas être la honte de la famille. Et c'est vrai que même mes parents, ils parlaient beaucoup de mes frères et sœurs qui étaient ingénieurs et tout ça, plutôt que de dire je fais cuisine. Aujourd'hui, ils sont beaucoup plus fiers parce qu'ils ont vu, en fait, finalement, que le métier, c'est cuisinier, mais à travers un métier, une seule passion, j'ai... diversifié. En fait, j'ai montré que la cuisine ne se limite pas à être dans une cuisine.

  • Speaker #0

    J'ai vu un post Insta, tu me dis que tu avais 12 sources de revenus.

  • Speaker #1

    Bien sûr, mais en fait, c'est pour montrer qu'avec la cuisine, j'ai pu ramener de l'argent de 12 façons différentes. Et souvent, quand on dit je veux être médecin, je dis mais attention, vous pouvez être médecin dans un petit village et être médecin sur les Champs-Élysées. C'est le même métier, mais c'est pas le même standing. Donc... Quel que soit le métier que vous voulez faire, c'est vous qui lui donnez la trajectoire. Donc, ça peut être cuisinier, ça peut être danseur, un artiste. C'est à vous de pouvoir donner la trajectoire. À travers un seul talent, vous pouvez diversifier, mais en tellement de choses que vous ne pouvez même pas imaginer.

  • Speaker #0

    Super intéressant. Dernière chose du coup, on a un petit bonus que je vais te montrer, le bonus sous les profondeurs.

  • Speaker #1

    Je sais qu'on ne se le dit pas suffisamment, mais je profite de cette interview pour te dire merci. Merci pour ton amitié, merci pour toutes ces années de confiance. On a passé des moments difficiles. des hauts et des bas. Merci pour ton amitié. On sait que souvent, c'est difficile de trouver des gens vrais, des gens en qui on peut avoir confiance dans ce monde et des gens sur qui on peut compter. Et tu es une personne formidable. Tu es une personne sur qui je sais que je peux compter à tout moment. Et je crois que tous les gens qui t'entourent t'adorent comme ça. Tu es quelqu'un d'authentique. Tu es quelqu'un avec un grand cœur. Tu es quelqu'un de sincère. Et je profitais de cette occasion pour te dire merci. merci et te dire que je t'aime d'amitié parce que je crois que je sais pas si c'est possible mais on dit que l'amitié garçon fille n'est pas possible mais on est la preuve que tout est possible et je voulais te remercier pour ça donc merci beaucoup en taux en top indy la grande femme des champs que tu es et je te dis à très bientôt merci pour tout et continue d'être ce que tu es et ne change surtout pas bisous à plus tard ciao ciao

  • Speaker #0

    C'est très mignon son message.

  • Speaker #2

    C'est très mignon, c'est très touchant. C'est vrai qu'avec Ossi, on a eu tellement de galères et tout ça. Des fois, que ce soit lui ou moi, à chaque fois on se dit, on veut abandonner. Parce que c'est vrai que nous, quand on a cru, notamment sur... Quand on a cru aux cuisines africaines, personne n'y croyait, quoi, depuis 2015. Aujourd'hui, on est en 2025, il y a beaucoup plus de restaurants, il y a beaucoup plus de chefs. Même que le milieu commence à être un peu saturé. Mais moi, je suis contente d'avoir des personnes comme Koussi et d'autres aussi.

  • Speaker #0

    C'est une chance. Ah oui,

  • Speaker #2

    c'est une chance. Surtout quand on est dans un marché de niche ou qu'on est un peu avant-gardiste. Parce que des fois, on a l'impression de se dire que c'est trop en avant, ça n'a pas marché. Et puis, ou quand les difficultés arrivent et qu'on se dit, est-ce que je suis vraiment dans le vrai ? Parce qu'on est tout premier quand on vient d'arriver, c'est difficile. Mais au final, des années après, on se dit, finalement, on avait raison.

  • Speaker #0

    Ça a été un soutien pour toi, du coup ?

  • Speaker #2

    Oui, ça a été un soutien. Ça a été un soutien parce que déjà, lui-même, il est entrepreneur. Alors, ce n'est pas évident quand on est en couple, notamment si vous êtes entrepreneur, d'être avec quelqu'un qu'il n'est pas. Parce qu'il ne comprend pas. Je veux dire, quelqu'un qui est salarié, il ne se... il ne réfléchit pas. Est-ce que l'entreprise, l'argent est rentré ? Lui, c'est que tous les mois, j'ai mon salaire. Donc, il ne se pose pas de questions sur les chiffres que font l'entreprise. Alors que quand on est entrepreneur et qu'on est tout le temps en train de regarder les chiffres et qu'on est tout le temps en train de réfléchir à comment je fais pour changer la donne, pour diversifier, pour attirer les clients, seul un entrepreneur... peut comprendre et c'est vrai que Kossi a été cet entrepreneur là où quand je voyais que mon conjoint ne comprenait pas, je disais mais toi, il disait bah oui bah c'est normal Antho il est pas entrepreneur donc il peut pas comprendre mais c'est vrai que c'est important d'avoir des personnes comme ça dans votre entourage qui vous disent qui sont prêts à vous dire bon là c'est bon ou là non là c'est pas bon il vaut mieux changer.

  • Speaker #0

    Ouais c'est sûr. Génial, bah écoute... L'interview se finit, je te remercie pour tout.

  • Speaker #2

    Merci à toi.

  • Speaker #0

    J'espère que tu ouvriras ton école au Gabon. Oui. Et que tu trouveras un restaurant. Je te souhaite tout le bonheur du monde, beaucoup de chance. Et continue comme ça. Et encore merci pour cet échange. C'était passionnant. Merci beaucoup, Étienne. Merci beaucoup, Anto. A bientôt.

  • Speaker #2

    A bientôt.

  • Speaker #3

    Merci de nous avoir écoutés. Retrouvez le Deep Dive tous les jeudis sur notre chaîne YouTube et sur les plateformes d'écoute Spotify et Deezer. Apple Podcasts et Amazon Music. Pensez à vous abonner pour ne rien manquer des prochains épisodes.

  • Speaker #0

    D'ici là, prenez soin de vous et à la prochaine !

Chapters

  • Introduction

    00:00

  • Explication du concept

    20:30

  • 1er badge : Son 1er livre: Goûts d’Afrique, recettes traditionnelles

    21:03

  • 2ᵉ badge : Photo du Tip Boy Dien, recette sénégalaise

    22:08

  • Mode Deep Dive : l’immersion

    23:26

  • Son objet inspirant : La cuisine au pays du soleil, le premier livre offert par sa maman

    23:35

  • 1er badge : Qui est la vraie Chef Anto ?

    25:07

  • 2ᵉ badge : Sa plus grande peur

    27:34

  • Les abysses : 1er badge : A-t-elle rêvé d’un restaurant étoilé ?

    43:52

  • Les abysses : 2ᵉ badge : A-t-elle déjà cuisiné des plats ratés pour ses proches ?

    46:26

  • Vidéo bonus

    57:50

Description

Bienvenue dans ce troisième épisode du Deep Dive, où l’on plonge avec Anto Cocagne, cheffe engagée qui réinvente la cuisine africaine tout en portant un regard fort sur les identités, la transmission et la culture.

Entre Paris et Libreville, cuisine et héritage, elle nous parle de création culinaire à travers toutes les saveurs d’un parcours inspirant.

Parce que cuisiner, c’est aussi raconter, Anto partage ici son histoire avec sincérité et générosité.


Un échange chaleureux, entre transmission et engagement.


Merci Chef Anto 🍽️


🔗 Retrouvez Anto Cocagne sur :


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et moi je dis mais nous on est des petits joueurs. Un Mexicain en moyenne mange 15 kilos de piment par an. Un Thaïlandais en moyenne mange 8 kilos de piment par an. Là où on va vous dire un Camerounais ou un Togolais, il va être à 5 kilos par an.

  • Speaker #1

    On voit ses recettes vibrantes et colorées sur Insta, ses émissions sur France 5, dans Échappez Belle, ses chroniques gourmandes sur Canal+, on la suit pour sa cuisine africaine, raffinée et contemporaine. Mais connaît-on vraiment la femme derrière le tablier ? Aujourd'hui, dans le Deep Dive, on plonge avec chef Anto, chef cuisinière, entrepreneur, autrice, consultante et porte-voix des cuisines africaines qu'elle fait rayonner avec force et conviction. Depuis des années, elle oeuvre pour faire entrer les saveurs du continent dans les esprits, dans les assiettes et jusque dans les institutions. Du Gabon à Paris, de la cuisine familiale aux tables les plus renommées, son parcours est tissé de transmission, de courage et de résilience. Ensemble, on va parler de goût, de racines, de lutte et de rêve, parce que derrière chaque plat, il y a une histoire à raconter. Bienvenue dans le Deep Dive, Chef Anto. Je suis ravi de t'accueillir.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Donc du coup, tu me disais que je pouvais t'appeler Anto. Oui. C'est pas forcément Chef Anto.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'en fait, mon prénom entier, c'est Anto Mpindi. Ouais. Anto, on prononce normalement Anto, qui veut dire femme, et Pindi, les champs. Donc mon prénom veut dire femme des champs. Mais comme en France, les gens n'arrivaient pas vraiment à bien le prononcer, donc c'est resté Anto. Et en fait, le chef Anto, c'était pour dire le chef au féminin. Parce que Anto, comme ça veut dire femme et féminin, le chef Anto, c'était pour dire le chef au féminin. C'est pour ça que dans ma communication, je ne mets jamais la chef Anto.

  • Speaker #1

    J'avais vu ça, effectivement, ce que tu disais, que c'était du coup un pléonasme. Exactement. C'est pour ça que tu veux dire le chef Anto. Ok, tu peux te présenter rapidement pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?

  • Speaker #0

    Alors, je suis Anto Kokagne, chef de cuisine et je suis une spécialiste des cuisines africaines et j'oeuvre depuis pas mal d'années maintenant à populariser nos cuisines, notamment en France, mais aussi à l'international.

  • Speaker #1

    Ok, parce que du coup, si je reprends un petit peu ton histoire, je crois que tu es né en France et que tu as fait ta jeunesse au Gabon et tu es revenu par la suite, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Exactement. En fait, je suis née en France pendant que mes parents étaient étudiants. Parce que mon père a fait l'école des mines d'Alès dans le Gard. Et à la fin de ses études, avec mes parents, ils sont rentrés directement au Gabon. Et donc, j'ai grandi au Gabon. J'ai fait toute ma scolarité du primaire jusqu'au baccalauréat.

  • Speaker #1

    Tu avais de quel âge à quel âge du coup ?

  • Speaker #0

    Quand je suis rentrée, j'avais que deux mois. Parce que je suis née au mois de juin, on est rentrée je crois fin août. Et donc j'avais à peine deux mois lorsqu'on est rentrée au Gabon avec mes frères. Et je suis restée jusqu'à après mes 18 ans lorsque j'ai voulu faire justement des études universitaires.

  • Speaker #1

    Ok. Et raconte-moi du coup cette jeunesse au Gabon, comment c'était ?

  • Speaker #0

    Alors mes meilleurs souvenirs d'enfance, c'était notamment auprès de ma grand-mère. parce que c'était tout ce qui est réunion familiale, toujours autour d'un repas, d'un plat. Dès l'âge de 9 ans, vu que je suis l'aînée des filles, ma mère me dit « quand je ne suis pas là, c'est toi qui me remplaces » parce que je suis née dans une culture où une fille bien élevée doit savoir tenir une maison, donc elle doit être éduquée durant toute sa présence chez ses parents. à être une bonne maîtresse de maison. Donc, ça passe par la cuisine, ça passe par les tâches ménagères. Et donc, dès l'âge de 9 ans, je commence à faire quelques plats en cuisine. Je commence à aider à la maison. Et donc, ça passe à être aussi en cuisine avec des femmes adultes, à entendre un peu les histoires de famille. Alors moi, c'était mon endroit préféré parce que c'était là. qu'on savait que tel, son mari l'a trompé, tel est en train de... C'était vraiment en cuisine où on avait tous les potins. Et puis, c'était là aussi où il y avait ce côté transmission avec les tantes, la grand-mère qui montrait comment rattraper un plat. Tu n'as pas fait bien tel jet, voici comment il faut le faire. Tu as tel souci, il faut utiliser telle plante. C'était vraiment dans ce contexte-là. Et donc que ce soit aussi au primaire, au lycée, enfin... J'ai eu vraiment cette affection pour la cuisine. Alors pour moi, au départ, je n'avais pas compris que c'était une passion. Pour moi, c'était l'endroit où je m'amusais, où je ne m'ennuyais pas surtout. Et donc, dès l'âge, j'avais 13-14 ans, j'ai mon premier commerce informel. Je fais des muffins, des madeleines que je revends en classe. Oui, et pour moi, c'était...

  • Speaker #1

    J'avais cette fille mon coronaria.

  • Speaker #0

    Alors, je ne savais pas même ce que ça voulait dire être entrepreneur, mais je commence à faire ça. Donc, au début, mon père me disait, tant que tu as de bonnes notes, ça ne me dérange pas. Donc, j'avais ma grosse boîte en plastique. Le soir, pendant que tout le monde dormait, je faisais mes gâteaux et tout. Le matin, la boîte était prête et j'allais vendre. Et au début, je vendais dans ma classe, après dans le bâtiment. Après, j'avais des commandes du quartier, des gens qui venaient. Et c'était des gâteaux tout simples. C'était vraiment des muffins, des cakes, ce genre de choses. Mais j'avais déjà ce goût de bien faire les choses. Et au fur et à mesure que je grandis, je me rends compte que finalement, j'ai envie d'en faire un métier.

  • Speaker #1

    À quel âge, du coup, ça t'est venu alors cette envie ?

  • Speaker #0

    Déjà, quand on rentre en seconde, parce qu'en seconde, mon père voulait à tout prix que je fasse une seconde scientifique. Et moi, je n'aime pas les maths. Je n'aimais pas la physique non plus. Et je me demandais pourquoi apprendre ces matières que je ne vais pas utiliser dans la vraie vie. Et donc, je fais une secondesse, mais c'était très, très difficile pour moi parce que je n'aimais pas les maths, j'aimais plutôt les langues, j'aimais l'histoire, la géographie. Et en seconde, on choisit un peu sa filière en fonction de ce qu'on veut faire plus tard. Et c'est là où moi, je commence à me dire, moi, je veux faire la cuisine. Je n'ai pas envie de... Ma mère aurait aimé que je sois médecin parce qu'elle, nutritionniste. Mon père aurait aimé que je fasse banque, assurance. En tout cas, quelque chose qui paraissait plus noble et plus ambitieux. Et moi, je disais, je veux faire de la cuisine. Et on me disait, mais tu sais déjà cuisiner. Depuis l'âge de 9 ans, on t'a appris à cuisiner. Tu n'as pas besoin d'aller dans une école. On ne va pas payer un billet, t'envoyer en Europe pour faire des études de cuisine.

  • Speaker #1

    Et c'était compliqué plus du coup avec ton père ou avec ta mère, le fait que tu aies voulu faire de la cuisine et qu'ils étaient un peu plus réticents ?

  • Speaker #0

    Alors, au début, c'était les deux. Mais je crois que c'est ma mère, comme toutes les mamans, elle a beaucoup observé. Elle a vu qu'avec pas grand chose, en fait, moi, j'arrivais à me faire le salaire d'un fonctionnaire juste en vendant des gâteaux.

  • Speaker #1

    C'est incroyable. À 13 ans, du coup. Oui,

  • Speaker #0

    donc hier, je venais, je disais, bon, ça, c'est ma participation pour la bouteille de gaz.

  • Speaker #1

    C'est trop mignon.

  • Speaker #0

    Oui, et des fois, elle venait faire la monnaie. Ouais, est-ce que tu as la monnaie de 10 000 francs qui représente, qui est à l'époque le plus gros billet ? de banque qui représente 15 euros aujourd'hui. Et donc, moi, elle me voyait avec ma boîte et puis je comptais mes billets pour lui faire la monnaie. Et donc, elle, elle voit ça. Et mon père, lui, il se disait, Nietzsche, ce n'est pas ambitieux. Donc, imaginez, moi, j'ai un frère expert comptable, j'ai un autre docteur en pharmacie, j'ai une sœur ingénieure en télécom et puis moi, j'arrive, je veux être cuisinière. Donc, ce n'est pas ambitieux. Et... et... Pour mon père, ce n'était juste pas possible. Mais ma mère, quand elle a vu que dès la quatrième, elle me voyait, je faisais mes gâteaux, je vendais et tout. À un moment, elle a dit à mon père, écoute, là, elle ne connaît pas grand-chose, mais regarde comment elle se débrouille.

  • Speaker #1

    Oui, c'est sûr.

  • Speaker #0

    Si on l'envoie en France, dans une école, elle va apprendre la cuisine des Français. Quand elle va revenir, elle travaillera sûrement dans une ambassade ou dans un ministère et tout ça. Être cuisinier dans une ambassade, c'est déjà un peu plus... valoureux que d'être cuisinier chez monsieur et madame tout le monde parce que c'est un peu le monsieur et madame tout le monde c'est un peu être le domestique alors que dans une ambassade je fais à manger pour des chefs d'état pour des ambassadeurs c'est plus vu de la même façon et c'est comme ça que papa dit ok qu'il accepte enfin de me laisser parce que moi j'avais dit c'est la cuisine ou rien.

  • Speaker #1

    Parce qu'ils voulaient... Ton père, il ne voulait pas du tout. C'est vraiment grâce à ta mère, justement, qu'il t'a laissé partir. Oui,

  • Speaker #0

    c'est grâce à ma mère et aussi grâce au petit frère de ma mère qui, lui, était professeur de philo en France, dans un lycée, notamment à Nanterre. Et donc, lui, il connaissait déjà les parcours de cuisinier et tout ça. Et à l'époque, il y avait une chef, Rouguidia. qui est une chef d'origine sénégalaise, qui avait fait de grandes tailles, qui avait travaillé chez Petrosian avec Philippe Conticini. Et donc, il a dit, mais non, mais si vous la laissez venir, elle peut devenir comme Rougidia, elle peut vraiment se défendre et tout ça. Et c'est comme ça que mes parents, et notamment mon père, acceptent de me laisser venir en France.

  • Speaker #1

    Ok, génial. Et du coup, raconte-nous un petit peu alors ton arrivée en France, comment ça s'est passé. Tu avais 18 ans, tu m'as dit, c'est ça ?

  • Speaker #0

    J'arrive à 18 ans et c'est vrai que c'est le choc culturel. D'abord parce qu'il fait froid. Au Gabon, quand il fait froid, c'est 18. Il fait 18 degrés. Là, on est en doudoune, en écharpe, on chope la grève. C'est 18 degrés. Et là, j'arrive en plus à Grenoble. Et donc, mon premier hiver, moins 10 degrés. Donc, je découvre la gastronomie française. Je suis née en France, mais je n'ai pas grandi en France. Tout ce que je connaissais de français, c'était Camembert président, la vache qui rit, les saucissons Justin Bridoux. Mais je n'y connaissais rien à tout ce qui était terroir, produits du terroir. Les plats et tout ça. Et donc, c'est le choc culturel. En plus, je dois faire une mise à niveau parce que j'ai un bac en sciences éco. Et la mise à niveau consiste en fait à faire en un an le programme que les autres ont fait de la seconde au bac professionnel.

  • Speaker #1

    C'est intense.

  • Speaker #0

    Donc, c'est très intense. Les semaines où on commence à 8h, on finit à 20h. C'est beaucoup de bourrage de crâne aussi. Donc, apprendre les cépages, le vin. J'y connais rien, donc j'avais jamais bu d'alcool de ma vie. Donc, découvrir les cépages, les régions de France avec leurs particularités, découvrir les fromages. Je veux dire, je connaissais que le camembert président et là je me disais mais pourquoi manger un fromage qui a un goût de pied ? Pourquoi manger un fromage qui sent aussi fort ? Je découvre les différentes sauces, les textures, tout ce côté technique. tout ce côté technique au niveau du travail, des produits, du respect, même dans les assaisonnements. Je viens d'une culture où on fait mariner, on fait tout mariner. Et là, on me dit juste sel, poivre. Et je dis, mais comment ça, sel, poivre ? Et pour moi, sel, poivre, ce n'est pas respecter le produit. Là où en France, justement, sel, poivre, c'est laisser au produit le soin de s'exprimer par lui-même. Et donc, il y a ce côté où je... Je découvre et je dois m'adapter. Je dois adapter mon palais aussi parce que je mange très pimenté.

  • Speaker #1

    Et du coup, tout paraît plus fade après ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas plus fade. Je ne dirais pas fade, mais je trouve que ça manque de quelque chose. Et donc, j'ai dû apprendre à manger moins pimenté.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Tu t'es habituée.

  • Speaker #0

    Exactement. Et je me rappelle de mon professeur, M. Fournat, qui à chaque fois me disait « Ah ben ça, c'est le plat d'Anto, ça. C'est obligé, c'est le plat d'Anto. »

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Et je disais « Mais pourquoi ? » Il dit « Mais regarde comment je suis tout rouge. » Tu as mis beaucoup de piment. Je dis, monsieur, chef, j'ai mis qu'un tout petit peu. Il dit, toi, pour toi, un tout petit peu, c'est beaucoup pour moi. Donc, il y avait ça, mais c'était chouette.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qui t'a le plus marqué, du coup, c'est d'apprendre, tu me parlais de fromage, de vin, etc. C'est quoi pour toi la chose qui t'a le plus marqué ?

  • Speaker #0

    Ce qui m'a le plus marqué dans tout ce processus, c'est que la culinaire, c'est vraiment la connaissance des produits. Le fait qu'en France, on avait vraiment, en tout cas, il y a des personnes, des professionnels qui s'étaient assis et qui avaient commencé à étudier les produits, à dire un bon produit doit être comme ça et pas comme ça. En lequel il y a telle maturité, il y avait vraiment une connaissance des produits et c'était écrit. Là où moi, je venais d'une culture où tout était oral, on ne connaissait pas forcément, je ne connaissais pas forcément. dans le même pays, ce que telle région du Gabon peut manger. Je connaissais moins bien. Et moi, ce qui m'a frappée, c'était vraiment cette connaissance. Et à un moment, je me suis dit, j'aimerais connaître aussi bien les produits de chez moi que les Français connaissent leurs produits de terroir.

  • Speaker #1

    Parce que du coup, au Gabon, tu me disais qu'il y avait une transmission. Donc, toi, tu as appris de ta tante, de ta grand-mère et de ta mère, c'est ça ? Oui. Et du coup, c'est une transmission. purement orale, il n'y a pas de livre de recettes qu'on peut se transmettre de génération en génération ?

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de livre de recettes et surtout, il n'y a pas de balance. Ça, c'est par exemple une des difficultés que j'ai eues lorsqu'il a fallu écrire mon premier livre de cuisine, c'est peser. Parce que je n'ai pas grandi avec cette notion de peser. Quand on me disait, il faut mettre un peu de sel, ce n'est pas une pincée, une poignée, il fallait regarder. Donc quand on voyait ce qu'elle prenait dans sa main, il fallait essayer de faire le même geste. Quand on dit il faut mettre un peu d'eau, on ne vous dit pas, ça c'est par exemple quelque chose que j'ai appris à l'école, pour un volume de riz, on met deux volumes d'eau. Moi, je n'ai pas appris ça à la maison.

  • Speaker #1

    Et vous faisiez comment ? Du coup, c'était un peu à l'instant ?

  • Speaker #0

    C'est à l'œil. C'est à l'œil. C'est l'œil qui mesure. Donc c'est...

  • Speaker #1

    Ça doit très bien marcher, même mieux, j'imagine.

  • Speaker #0

    Bah... Après, à force, au début, on se loupe. Au début, on a mis un peu trop. Au début, on a mis un peu moins. Et c'est à force de faire, de pratiquer, qu'on arrive à trouver le juste milieu. Parce qu'il suffit que la taille du récipient change et la quantité change aussi. Donc, c'est à force de faire qu'on apprend. Mais c'est ça. Il y a vraiment cette différence où moi, j'ai appris, que j'ai commencé à apprendre en regardant, en voyant le geste. avant de pouvoir le maîtriser moi. Là où en France, on me disait, maintenant tu pèses, maintenant c'est tendœuf, maintenant c'est comme ça, c'est comme ça. Ou c'est très normé.

  • Speaker #1

    Et tu trouves qu'en France, du coup, ça peut casser un peu cette créativité ou le fait que tout soit normé comme ça, tu vois ça comme quelque chose de plutôt positif ou négatif pour toi ?

  • Speaker #0

    Je pense que c'est quelque chose de positif, cette façon de normer, surtout quand on veut transmettre. Parce que quand on veut faire une recette et qu'on veut que quelqu'un après puisse refaire la même recette et puisse avoir les mêmes résultats, il faut qu'on ait cette notion de chronomètre, de pesée, de grammage et tout ça. Et donc c'est important. Et c'est aussi important d'écrire parce que quand on écrit... Moi, j'aime beaucoup les histoires familiales où on avait l'arrière-grand-père qui avait sa recette de macarons, qui était dans son carnet. Et puis, le grand-père est venu, il a repris la même recette en suivant exactement les mêmes pesées, qui étaient dans le même vieux carnet. Il a peut-être mis d'autres annotations. Et puis le père est venu à repris et le petit-fils et l'arrière-petit-fils. Et c'est la même recette qu'on garde. Et c'est ça qui fait le succès de beaucoup de grandes maisons françaises. C'est le fait qu'on ait écrit, qu'on ait gardé les racines de recettes. Nous, on n'a pas forcément gardé. Et donc, il y a eu beaucoup d'intrants qui ont modifié, qui ont changé beaucoup de choses. Et c'est pour ça que moi, à un moment donné, je me suis dit, il faut écrire. pour que ceux qui viendront après moi ne puissent pas repartir de zéro, mais puissent prendre quelque chose qui existait déjà et continuer avec.

  • Speaker #1

    D'ailleurs, quand tu me dis « faut écrire » , du coup, on a ton magnifique livre que j'ai lu, qui est vraiment magnifique. Les photos sont très belles, c'est super intéressant. Il y a une partie un peu d'histoire au début qui est vachement bien. Tu veux me raconter un petit peu du coup ? Ça, c'est ton deuxième livre que tu as écrit.

  • Speaker #0

    C'est le deuxième livre, Mon Afrique. Et en fait, ce livre est une réponse que je donne à tous ceux qui ont participé à mes cours de cuisine sur Paris et à tous ceux qui se posent les mêmes questions. C'est vrai que depuis 2018, je donne des cours de cuisine africaine sur Paris et j'avais souvent les mêmes questions. Mais Anto, pourquoi dans tel pays, il y a telle recette, mais je vois aussi que dans un autre pays, il y a la même recette. Pourquoi, comment utiliser ce produit ? Est-ce que je suis obligée de faire que des recettes africaines avec ce produit-là ? J'ai vu que dans un magasin, une épice, ça s'appelait comme ça, mais on m'a dit que dans un autre pays... Ça, ça plaît aussi comme ça. Ah ben, je n'arrive pas à faire des papillotes, je n'arrive pas à faire tel geste. Est-ce que tu peux m'expliquer ? Et je me suis rendu compte qu'en France, même si les communautés africaines sont les plus nombreuses, finalement, nos cuisines sont moins connues. Notamment celles qui... les cuisines d'Afrique subsaharienne. Les cuisines du Maghreb, elles sont plus accessibles parce que c'est plus facile d'y aller aussi avec le tourisme. Mais c'est vrai que l'Afrique subsaharienne, en dehors de deux, trois plats, Je pense aussi que si je te demande trois plats sans regarder le livre de tête, c'est souvent les mêmes plats qui reviennent. Et je me dis, ce n'est pas possible qu'on soit aussi nombreux et que finalement...

  • Speaker #1

    On connaît très mal en fait.

  • Speaker #0

    Sachant que les communautés qui viennent d'Asie, que ce soit le Japon, la Chine, la Corée ou l'Inde, finalement les Français connaissent mieux leurs plats que nos plats. Sachant que la France nous a quand même colonisés. Et je me dis, mais c'est incroyable. et Et donc, je me suis dit, il y a besoin de pédagogie. Le fait d'avoir été chef privé chez des particuliers, j'avais l'occasion de poser des questions. Est-ce que vous êtes déjà allé dans un restaurant africain ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui vous freine ? Qu'est-ce qui vous bloque ? Et c'était souvent les mêmes retours. On ne connaît pas, ça a l'air trop gras, on ne connaît pas vos produits, on ne sait pas trop ce que vous faites. Est-ce que vous avez vraiment des produits d'exception ? Qu'est-ce que vous faites ? Et je me suis dit, mais ce n'est pas possible que les gens... On est là, on pense qu'on nous connaît, mais finalement, on ne nous connaît pas. Et donc, ce deuxième livre, c'était répondre à ces questions que les gens se posaient et mettre aussi le produit vraiment au centre. Dans le sens où je parle d'un produit comme la banane plantain. J'explique.

  • Speaker #1

    Je crois que je n'ai jamais goûté la banane plantain, justement. Je ne savais même pas que ça ne se mangeait pas cru, justement, au début. Pour moi, c'est une banane normale, je ne savais même pas qu'il y avait un légume. C'est un légume, c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'est un légume,

  • Speaker #1

    oui. C'est fou, qui ressemble exactement à la banane de fruit.

  • Speaker #0

    Exactement. Et en tout cas, par exemple, quand il y a des bananes plantain, il y en a qui tentent de l'éplucher comme la banane de fruit. Et je dis non, mais ce n'est pas la même façon d'éplucher. Sachant qu'en plus...

  • Speaker #1

    Ça m'a donné tellement envie de découvrir le goût de la banane plantain.

  • Speaker #0

    En fonction du type de la recette que vous voulez faire, ce n'est pas la même banane plantain que vous allez utiliser. C'est pour ça que dans le chapitre...

  • Speaker #1

    La maturation, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Exactement. C'est pour ça que j'explique, suivant la recette, je dis, attention, si vous voulez faire tel type de choses, c'est tel type de maturation. Mais ce n'est pas toujours expliqué. On va vous dire, prenez une banane plantain. Quelqu'un qui ne connaît pas, il va prendre la banane qu'il a trouvée et après il me dit, mais ça n'a pas fonctionné.

  • Speaker #1

    C'était super bien expliqué, franchement. Et donc,

  • Speaker #0

    voilà, les cours de cuisine m'ont aidé à être plus pédagogue, plus indulgente. Parce que je dis toujours aux gens, il n'y a pas de question bête. La question bête, c'est celle qu'on ne pose pas. N'hésitez pas, c'est normal que vous ne connaissiez pas, que vous ne compreniez pas. Moi, je suis là pour répondre à vos questions.

  • Speaker #1

    Avant d'entrer dans le vif du sujet, le Deep Dive est un podcast bienveillant où l'on va à la rencontre d'invités au parcours inspirant. Chaque semaine, je vous emmène avec moi pour explorer la partie immergée de l'iceberg. Le concept est simple, un invité, trois niveaux de discussion. A chaque niveau, l'invité choisit un ou deux badges parmi quatre animaux polaires. directement sur la tablette. On commence en surface avec la partie émerger de l'iceberg, des questions plus légères pour apprendre à mieux connaître l'invité. Ensuite, on passe en mode deep dive. Direction la partie immerger de l'iceberg, puis dans les abysses pour des échanges de plus en plus deep. On vous laisse découvrir, c'est parti, l'exploration commence ici. Je te laisse faire. D'accord. Tu peux cliquer dessus directement.

  • Speaker #0

    Alors, je vais partir sur l'ours.

  • Speaker #1

    Donc là, on a justement, on était dessus, un de tes posts Instagram. Donc ça, c'est ton premier livre, Goût d'Afrique.

  • Speaker #0

    Goût d'Afrique, oui.

  • Speaker #1

    Alors, dis-moi un petit peu, explique-moi la différence. Du coup, je n'ai pas eu la chance de feuilleter Goût d'Afrique. J'ai regardé mon Afrique. C'est quoi la différence ? Explique-moi un petit peu la différence entre les deux livres.

  • Speaker #0

    Alors, la différence entre les deux, Goût d'Afrique, on va avoir beaucoup de recettes traditionnelles. On va avoir quelques... Alors, surtout dans les desserts, des recettes qui vont être... inspiré de recettes françaises, mais retravaillées avec des produits d'Afrique. Donc ça, c'est beaucoup dans les desserts parce que culturellement, on n'a pas cette technicité de dessert. En dehors des pays du Maghreb qui vont avoir vraiment toute cette connaissance avec les pâtisseries orientales et tout ça, nous, en Afrique subsaharienne, on a des plats sucrés, mais qui ne sont pas des pâtisseries, qui ne sont pas des desserts.

  • Speaker #1

    Génial. Je te laisse peut-être choisir un deuxième badge.

  • Speaker #0

    L'Otari. Donc ça, c'est une photo du tchiboudier, le riz au poisson, qui est une recette sénégalaise et qui est une recette qui a eu beaucoup de variantes dans le monde, que peu de gens connaissent. On a par exemple le jambalaya, qu'on va retrouver notamment en Caroline du Sud, en Louisiane, qui est un plat qui ressemble beaucoup. à ce plat-là, donc à base de riz, mais au lieu de poisson, on va avoir différents morceaux de viande avec des légumes et des épices. Et c'est un plat qui montre que l'Afrique a eu de l'influence à l'international, dans le sens où les esclaves, lorsqu'ils ont été déportés, en fait, ils ont amené aussi leur connaissance sur le travail de certains produits, de certaines épices. Et c'est pour ça que lorsqu'on va dans certains pays où il y a eu des esclaves noirs, on va retrouver des plats qui ressemblent beaucoup à des plats qui sont d'origine africaine.

  • Speaker #1

    Ok, super intéressant. Ça a l'air, en plus, extrêmement appétissant sur la photo. Du coup, on va rentrer en mode deep dive. Oui. Alors, je vais te laisser cliquer sur le mode deep dive, donc tout en bas, quand tu veux.

  • Speaker #0

    Deep dive.

  • Speaker #1

    Donc on est maintenant en mode deep dive, comme tu peux le voir. Est-ce que tu peux nous présenter, du coup les invités nous ramènent souvent un objet qui est important pour eux, qui a une histoire. N'hésite pas à nous présenter cet objet.

  • Speaker #0

    Alors cet objet, c'est mon tout premier livre de cuisine, La cuisine au pays du soleil. C'est pour ça qu'il est tout vieux, déchiré et tout. Avec quel âge ? Dès 9 ans, c'est le premier livre que ma mère m'a donné. Avec les recettes que j'ai fait le plus, il y a des traces. de farine, d'huile séchée et tout ça. Ça c'est la partie que j'ai fait le plus quand je faisais notamment mes gâteaux que je revendais à l'école.

  • Speaker #1

    On voit que c'est la partie que tu fais le plus, elle est presque colorée. Elle est à la partie de la sécher et tout ça.

  • Speaker #0

    Parce que c'est ce que je faisais pour vendre à l'école.

  • Speaker #1

    Donc c'est grâce à ces deux pages que tu es devenue la femme, la grande chef que tu es.

  • Speaker #0

    En tout cas, je me faisais un salaire presque de fonctionnaire. C'est tout bien. Mon tout premier. Et si tu remarques bien, il n'y a pas de photo. Contrairement au livre de cuisine d'aujourd'hui, où on a des photos, des pas à pas, on sait à quoi ça doit ressembler à la fin. Là, il n'y a pas de photo. Et donc, ça a laissé vraiment libre cours à l'imagination. Donc quand on faisait, on ne savait pas trop ce que ça ressemblait. C'est rigolo. Et voilà, c'est vraiment mon tout premier que je garde précieusement.

  • Speaker #1

    Très beau, très joli livre. Du coup, donc là, mode deep dive, on a quatre hauts de badge. Donc pour rappel, plus on descend, plus les questions sont deep. Je te laisse choisir un des quatre badges.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Chef Anto, j'ai une question pour toi. Quand on enlève la veste des cuisiniers, qu'est-ce qu'on trouve en dessous ? Quelle personne ? Donc qui es-tu ? Chef Anto, justement tu me disais que les gens t'appelaient souvent Chef Anto, Chef Anto. Même tu me disais, tiens, appelle-moi Anto. Oui. Donc qui es-tu sous cette toque ou derrière la chef que tu es ?

  • Speaker #0

    Derrière la chef que je suis, je suis juste Anto. Je suis une maman, je suis... Aussi, j'aime beaucoup la musique. J'écoute notamment tout ce qui est musique, que ce soit le jazz, le gospel, ce type de musique. J'aime beaucoup les voyages et d'ailleurs, je suis contente d'avoir trouvé un métier qui me permette aussi de voyager. J'aime beaucoup, je suis une fan d'histoire. regarder les émissions, les documentaires comme secrets d'histoire où on raconte un peu la vie des gens, comment ils ont vécu.

  • Speaker #1

    En parlant de documentaires, c'est vrai qu'on a peu parlé justement de tes émissions parce que tu fais beaucoup d'émissions de télé, donc Échappée Belle sur France 5 et sur Canal Plus Afrique.

  • Speaker #0

    Alors, l'Afrique a du goût sur Canal Plus Afrique.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de tes émissions ? Raconte-nous un petit peu comment ça se passe.

  • Speaker #0

    Alors, les émissions que je fais, ce sont des émissions où je fais découvrir un pays ou une région à travers la cuisine. Donc, j'ai commencé sur Canal+, Afrique. La première émission s'appelait « Rendez-vous avec le chef Anto » . Et à chaque fois, on partait dans une région ou un pays d'Afrique, pour le coup. Et le but, c'était de faire découvrir des recettes, des produits du terroir et d'apprendre des techniques de cuisine. Et c'est pour ça que moi, j'avais demandé quand on m'a proposé de faire cette émission d'aller dans les villages, parce que c'est là-bas où il y avait encore cette connaissance de produits traditionnels. On respecte encore les recettes traditionnelles. Et ce qui était marrant, le défi à la fin de l'émission, c'est que je devais cuisiner de façon gastronomique pour les personnes qui m'avaient reçu. alors c'était toujours très amusant parce que Souvent les femmes me regardaient en me disant « Mais tu ne sais pas cuisiner, ce n'est pas comme ça qu'on travaille tel produit. » Ça peut être.

  • Speaker #1

    Je te laisse choisir peut-être un deuxième badge du coup sur les quatre. Le dernier badge sur le… Salut Chef Anto, j'espère que tu vas bien. Je voulais savoir quelle est ta plus grande peur ?

  • Speaker #0

    Ta plus grande peur ?

  • Speaker #1

    Ma plus grande peur ? Je dirais que ma plus grande peur, c'est de ne pas réussir à transmettre, notamment à mes enfants, cette connaissance culturelle, en tout cas qui n'arrive pas à saisir, cette connaissance que je peux avoir du continent africain. Parce que je me rends compte aujourd'hui que mes enfants sont des métisses culturelles. c'est-à-dire qu'ils sont africains mais ils grandissent dans un pays français.

  • Speaker #0

    On est en France ? On est en France.

  • Speaker #1

    Tu as plein d'enfants,

  • Speaker #0

    excuse-moi ?

  • Speaker #1

    J'en ai deux, j'ai deux garçons. Et c'est vrai que comme beaucoup de jeunes qui sont nés en France, notamment de jeunes afro-descendants, ils sont un peu comme des chauves-souris. C'est-à-dire qu'ils ont du mal à trouver leur place. En France, des fois, ils ont l'impression de ne pas être assez français. Et quand ils vont en Afrique, ils ont l'impression, en tout cas dans les pays d'Afrique où ils vont, de ne pas être assez africains. Et donc, d'appartenir en fait à...

  • Speaker #0

    Je pense à un de mes meilleurs potes qui est algérien, qui est né en France. Il me disait effectivement pareil qu'en France, il se sentait un peu algérien. En Algérie, on se sent tant qu'il est français.

  • Speaker #1

    Exactement. Déjà, je sais que par exemple, mes garçons, quand ils vont au Gabon, à cause de leur accent, parce qu'ils vont avoir l'accent parisien, on va dire « Ah, mais t'es pas d'ici » . Et quand ils sont ici, « T'es pas d'ici non plus » . Donc, il y a ce côté où on recherche un peu une identité. Donc, ça fait, comme je dis, des métisses culturelles. et c'est... Le but, c'est de leur transmettre. C'est pour ça que j'essaye de leur parler, notamment dans ma langue maternelle, de leur parler beaucoup du Gabon, de les emmener aussi en voyage pour qu'ils voient.

  • Speaker #0

    Tu as peur qu'ils perdent cette identité,

  • Speaker #1

    leurs origines gabonaises ? Oui, j'ai peur qu'ils le perdent. C'est pour ça que j'essaye de les emmener le plus souvent possible et qu'ils soient vraiment en immersion. Et quand on a une immersion, je dis tout ce que vous connaissez de la France, on oublie ici. Il n'y a pas de dessert, il n'y a pas de crème de serre, on mange local. Qu'ils arrivent à s'adapter. Et c'est vrai que c'est, en tout cas pour moi, c'est une grande peur.

  • Speaker #0

    Ouais, ok, super intéressant. Par rapport au fait d'être une femme noire justement dans le milieu de la cuisine, comment tu as vécu justement tout ça par rapport à ça ?

  • Speaker #1

    Alors moi, je l'ai plutôt bien vécu. Je pense que j'ai eu de la chance parce que je sais que tout le monde n'a pas vécu de la même façon. J'ai eu la chance d'avoir des super maîtres de stage qui m'ont pris tout de suite sous leur aile. Parce que dans tous les endroits où j'étais, j'étais souvent la seule noire de la classe. Peut-être la seule noire en cuisine. Là où la plupart du temps, les Noirs on les trouvait, c'était les femmes de chambre, c'était les femmes de ménage, c'était le plongeur, là moi j'étais dans l'équipe de cuisine et j'ai eu la chance d'avoir notamment dans toutes les maisons où je suis passée, tous les chefs que j'ai rencontrés, de me prendre sous leurs ailes. Là où c'était plus compliqué, c'était lorsque je parlais des cuisines de chez moi. et que je voyais qu'il n'y avait pas forcément d'intérêt. Je pense notamment à une grande maison parisienne où on avait ce qu'on appelait la Bible. C'était un gros traiteur parisien. On a la Bible et la Bible, chez les traiteurs, c'est en fait le référencement de tous les produits, de toutes les pièces cocktail, de tous les plats qu'on sert. Et à chaque fois qu'il y avait, par exemple, Asie ou Maghreb ou même pâtisserie orientale, En fait, cette maison-là sous-traitait à des personnes originaires de la région et qui leur faisaient des pièces ou des plats ou une animation qui était en adéquation avec leur niveau de gamme. C'est-à-dire, comme c'était très haut de gamme, ils avaient des sous-traitants qui arrivaient à leur faire des choses qui correspondaient à leur niveau de gamme. Mais dès qu'on était sur l'Afrique, notamment subsaharienne, en fait, les chefs inventaient des recettes.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    C'est incroyable, ça. Moi, je me disais, mais... Ça, ce n'est pas africain, mais ça qui vous a dit que c'est de chez nous, ça, ce n'est pas de chez nous et tout ça. Et en fait, il me disait, mais on n'a pas de... Déjà, il n'avait pas d'entreprise, en tout cas, il ne pouvait pas sous-traiter à une entreprise qui pouvait répondre à leurs exigences. Il n'en trouvait pas. Il disait qu'on ne connaît pas vos produits, il n'y a rien d'écrit. Et c'est vrai qu'à cette époque-là, même les blogs, il n'y avait pas de blog qui parlait de nos cuisines, il n'y avait pas d'émission, il n'y avait pas de livre, il y avait très peu de livre.

  • Speaker #0

    Ah ouais, c'est fou.

  • Speaker #1

    Et je sais que par exemple, en 2019...

  • Speaker #0

    C'était quoi ? Il y a 15 ans, 20 ans ?

  • Speaker #1

    Il y a... On parle de... On était aux alentours de 2010. Donc oui, il y a 15 ans. Et je me rappelle quand j'ai voulu écrire « Goût d'Afrique » parce que le goût d'Afrique... C'est Aline Princes, qui est photographe culinaire, qui me contacte, qui me dit, moi, elle a un enfant qui est franco-béninois. Et elle me dit, moi, j'ai beaucoup voyagé en Afrique. J'ai fait beaucoup de livres. J'ai photographié beaucoup de recettes pour des livres de cuisine, mais je n'ai jamais photographié de recettes pour un livre de cuisine avec des recettes africaines. Que ce serait bien, est-ce que vous serez partante pour écrire des recettes ? Et je dis complètement, mais on a eu du mal à trouver une maison d'édition.

  • Speaker #0

    C'est fou, ça. Parce que...

  • Speaker #1

    À cette époque-là, on était en 2018, les maisons d'édition disaient « l'Afrique, ça ne vend pas, personne n'achètera, personne ne s'y intéresse » . Et je me pense à une grande maison d'édition qu'on est allé voir et qui n'a pas voulu du projet. C'est Mango, qui est spécialisé notamment dans tout ce qui est cuisine du monde, qui nous a dit « c'est vrai qu'on a fait tous les continents, mais on n'a rien de l'Afrique subsaharienne, donc on pense que ça peut marcher » . Et finalement, ça a été un best-seller au point où ça a été traduit en allemand, ça a été traduit en anglais américain et par une autre maison d'édition en anglais britannique et bientôt en espagnol.

  • Speaker #0

    Bravo, félicitations.

  • Speaker #1

    Déjà, on a eu des super photos. Jusqu'à présent, livre de cuisine africaine et photos, ça ne donnait pas envie.

  • Speaker #0

    C'est la même que sur ton deuxième livre, du coup ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est Aline qui a fait aussi les photos du deuxième livre.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas vu le premier, mais celle du deuxième, les photos sont extraordinaires. C'est magnifique.

  • Speaker #1

    Et en plus, on a eu la chance d'avoir aussi une styliste culinaire qui n'y connaissait rien des cuisines d'Afrique et qui a aussi mis en scène. Moi, je lui racontais les histoires, je lui amenais les produits et elle a su aussi faire des jolies mises en scène avec les produits, avec les plats. Et donc, c'est vraiment ce que j'ai rencontré. C'est que dès qu'on parlait d'Afrique, même si en tant que Noir, je n'avais pas de soucis pour travailler ou de... Mais dès qu'on parlait de cuisine ou de produits, les gens trouvaient que ce n'était pas vraiment intéressant. Les gens étaient un peu dédaigneux en disant, ben non, l'avenir, c'est l'Asie. On parlait du yuzu, du matcha.

  • Speaker #0

    Mais comment tu expliques justement, par rapport à ça, que les cuisines... Mouah ! justement asiatiques ou même indiennes, sont beaucoup plus démocratisées que les cuisines africaines ?

  • Speaker #1

    Il y a eu plusieurs choses. Déjà, ce sont des pays où on peut aller facilement en tourisme. Si vous voulez aller en Inde, si vous voulez aller en Chine, vous avez moins de difficulté à avoir un visa pour aller là-bas que si vous voulez aller dans un pays d'Afrique subsaharienne. Le tourisme est déjà un peu plus développé dans ces pays-là. Ça veut dire qu'un Français lambda, il part avec son sac à dos s'il veut aller Il va trouver des informations sur internet, ou dormir, ou loger. C'est plus ou moins organisé. Nous, chez nous, c'est beaucoup moins. En dehors de quelques pays qui ont vraiment compris, comme le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Rwanda, qui sont en train de miser ces dernières années sur le tourisme, parce qu'ils se rendent compte que quand les touristes viennent, il y a aussi un impact financier. Parce qu'un touriste qui vient, c'est quelqu'un qui mange, c'est quelqu'un qui dort, c'est quelqu'un qui se déplace. Et donc, il y a tout ça. toutes ces structures dans lesquelles il faut investir parce qu'on met de l'argent dedans. Il y a ce côté-là. La deuxième chose, c'est que quand on va dans... Et tous les Chinois ou les Indiens vous diront ce que vous mangez dans un restaurant indien à Paris, ce n'est pas la même chose que vous mangerez en Inde.

  • Speaker #0

    Vraiment, c'est...

  • Speaker #1

    Parce qu'ils ont adapté.

  • Speaker #0

    C'est occidentalisé.

  • Speaker #1

    Ils ont adapté. C'est qu'à un moment donné, ils ont vu que les Français, ils aiment... tel type de choses, on va leur proposer ça.

  • Speaker #0

    Je ne savais pas qu'ils avaient adapté à ce point-là.

  • Speaker #1

    Ils ont adapté. Moi, je suis allée, par exemple, dans des restaurants chinois aux États-Unis, restaurants chinois en Australie, restaurants chinois au Gabon. Ce n'est pas la même chose. Ça n'a rien à voir. C'est incroyable,

  • Speaker #0

    je ne savais pas.

  • Speaker #1

    Chaque pays, ils ont adapté par rapport à ce que les gens aiment. Nous, quand on est venus, on a dit, chez nous, c'est comme ça qu'on mange ça. On adapte. pas. On mange ça comme ça. Et donc, pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être... Vous avez bien fait. J'imagine. Alors, pour des Africains...

  • Speaker #0

    C'est très adapté, je trouve, la nourriture en France.

  • Speaker #1

    Je suis d'accord, mais pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être un frein. Quand vous mangez français dans les pays étrangers, ce n'est pas la même chose qu'en France. On vous dira toujours, si vous voulez manger vraiment français, allez en France. Mais vous avez un aperçu qui vous donne envie de découvrir ce qui se passe vraiment en France. Et donc, nous, c'est ce qu'on aurait dû faire. C'est de se dire, c'est un aperçu. Si vous voulez vraiment manger sénégalais, allez au Sénégal. Si vous voulez vraiment manger un plat du Congo, allez au Congo. Mais c'est un aperçu de ce que vous pourrez découvrir.

  • Speaker #0

    Parce que justement, par rapport au cliché de la nourriture africaine, il y en a quand même pas mal. C'est quoi pour toi les clichés principaux ?

  • Speaker #1

    Alors les clichés principaux c'est « ah c'est trop gras, vos cuisines sont trop grasses » . Moi à chaque fois je dis « mais la mayonnaise c'est pas africain et pourtant ça vous gêne pas » .

  • Speaker #0

    Et pourquoi on dit que… moi mon frère il cuisine beaucoup, j'en discutais avec lui, il m'expliquait que c'était pas plus gras que la cuisine française, mais c'est qu'en France on faisait beaucoup d'émulsions, donc on voyait moins le…

  • Speaker #1

    Exactement, en France il y a cette technique qui fait… qu'on travaille le gras d'une façon à ce qu'on ne le voit pas.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. Mais pourtant, ça reste...

  • Speaker #1

    Mais ça reste gras. Je veux dire, un foie gras, c'est gras. Oui, c'est sûr. C'est gras, mais la façon dont il est présenté, on ne voit pas le gras. Donc, il y a beaucoup d'émulsions, que ce soit dans les sauces, les béarnaises, les mornées. Enfin, on est toujours en train d'émulsionner. Et donc, ce gras, on ne le voit pas. Ce qui, nous, n'est pas... L'émulsion n'est pas une technique de chez nous. et donc Culturellement, ça ne nous gêne pas de voir ce gras-là. Il y avait, par exemple, c'est trop pimenté. Et moi, je dis, mais nous, on est des petits joueurs. Un Mexicain, en moyenne, mange 15 kilos de piment par an. Un Thaïlandais, en moyenne, mange 8 kilos de piment par an. Là où, on va vous dire, un Camerounais ou un Togolais, il va être à 5 kilos par an. Le piment ne devrait pas être un frein parce qu'on est... pas les plus gros joueurs sur l'utilisation du piment. Après, on va avoir des préjugés sur, on n'a pas forcément de produits nobles. Et ça encore, c'est une méconnaissance. Moi, je me suis beaucoup...

  • Speaker #0

    Quand on parle de produits nobles, tu dirais que c'est quoi exactement justement ?

  • Speaker #1

    Quand on parle de produits nobles, par exemple, je pense au miel d'Oku, qui est un miel rare, qui est blanc, ressemble en couleur à de la vaseline, mais qui est du miel qu'on va retrouver au Cameroun. On a le poivre de Penja qui vient du Cameroun aussi. On a le café des montagnes Ziaman qui vient de Guinée, Conakry. On a l'ananas peint de sucre du plateau d'Alada qui on trouve au Bénin. On va avoir la tiequée des lagunes en Côte d'Ivoire. Donc on a, on commence à avoir en tout cas, des produits avec des appellations. Après, on a aussi des épices qui sont vraiment, alors qui sont peu connues. C'est pour ça qu'on ne sait pas que c'est noble. Je pense notamment aux graines de Néré. C'est un produit typique d'Afrique qu'on trouve dans les villages, que malheureusement, nous, Africains, comme c'est dans notre quotidien, on néglige. Et que moi, j'essaye de rendre leur lettre de noblesse, notamment dans l'épicerie que j'ai ouverte.

  • Speaker #0

    Justement, j'allais t'en parler. Baraka, c'est ça ? Baraka, oui. Raconte-nous un petit peu. Tu as ouvert ça il y a quelques mois, je crois, non ?

  • Speaker #1

    Il y a quelques mois.

  • Speaker #0

    J'ai vu les photos, c'est magnifique.

  • Speaker #1

    Alors aujourd'hui, ça fait six mois. Alors déjà, Baraka, c'est le nom d'un quartier à Libreville. parce que j'ai souvent des... des amis arabes qui vont me dire, « Oh, Baraka, ça veut dire la bénédiction ou la chance et tout. » Je dis, « Ah, ben moi, ça vient d'abord d'un quartier à Libreville. » Parce que les premiers explorateurs à avoir découvert le Gabon, c'était des Portugais. Et donc, on a beaucoup de quartiers ou de villes au Gabon qui ont des noms portugais. Et Baraka veut dire en français « barak » . C'était en fait des cases, des huttes, où à l'époque de l'esclavage, on mettait les esclaves. parce que c'est un quartier qui n'est pas loin de la mer. Et avant de les mettre dans les bateaux, on parquait les esclaves dans ces baracas. Et donc, le quartier a eu le nom Baraka. Sauf que Baraka, c'est le quartier où ma grand-mère vivait. Et c'est là-bas où je passais toutes mes vacances quand j'étais enfant. Et où j'ai mes meilleurs souvenirs d'enfance, d'odeurs, de plats, de casse-cou, de ce qu'on a pu faire avec les frères, les cousins, les cousines. et quand j'ai voulu ouvrir Une épicerie fine, le nom Baraka pour moi était une évidence parce que cette épicerie fine c'était pour raconter un peu tous les souvenirs que j'ai ramenés de mes voyages. Ok. Voilà.

  • Speaker #0

    Ça a l'air magnifique en tout cas, quand j'ai regardé un petit peu les produits etc. ça donne vraiment envie de découvrir, c'est super joli ouais. Les photos,

  • Speaker #1

    les… C'est des produits déjà j'avais… c'était aussi, en tout cas cette épicerie, une réponse à beaucoup de clients. Parce qu'à la fin des cours de cuisine, ils me disaient « Anton, on veut acheter les produits » .

  • Speaker #0

    C'est vrai, là tu me parles de tellement de produits, j'ai envie de tout découvrir en fait.

  • Speaker #1

    Et à chaque fois, ils me disaient « On a utilisé tel épice, où est-ce que je peux acheter ? » Non, moi je les envoyais à Château Rouge. Je me disais « Allez à Château Rouge, allez trouver, allez dans telle boutique » . Et naïvement, je les envoyais là-bas. Et un jour, je discute avec un, il me dit « Tu sais, tu m'as envoyé à Château Rouge, mais franchement, si toi tu ouvres une boutique, moi je vais venir acheter chez toi. »

  • Speaker #0

    Ok, génial.

  • Speaker #1

    Parce qu'à Châteaurouge, on ne nous donne pas forcément le conseil. On ne prend pas forcément le temps de nous expliquer.

  • Speaker #0

    Parce que c'est pour les habituer, j'imagine.

  • Speaker #1

    Et puis, des fois, tout est dans un coin. Nous-mêmes, on doit chercher, on ne nous aide pas. Donc, pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être un frein. Et alors que ceux qui viennent à Baraka, en général, quand ils viennent prendre une épice, je leur explique que c'est... Les épices ou ce produit, ils ne sont pas obligés de l'utiliser pour réaliser une recette africaine. Ils peuvent l'utiliser dans leur quotidien, leur recette de tous les jours. Par exemple, les graines de Néré qui ont un goût de fromage. Je dis, une sauce tomate avec vos gnocchis, vous mettez ça, vous avez un goût de fromage.

  • Speaker #0

    Tu l'as chez Baraka du coup les graines de Néré ?

  • Speaker #1

    Les graines de Néré.

  • Speaker #0

    J'ai fait un petit tour du coup. Bien sûr. J'ai envie de découvrir ça.

  • Speaker #1

    Il y a une autre graine qu'on appelle rondelle qui donne un goût de truche. J'ai une écorce qui fait penser à l'ail des ours. On a des choses qui sont vraiment des produits de forêt ou qui poussent dans des zones semi-arides.

  • Speaker #0

    Ok, génial. On va aller dans le dernier mode, donc encore un peu plus en profondeur. D'accord. Donc là, je te laisse choisir, pareil, un des quatre badges.

  • Speaker #1

    Un des quatre badges.

  • Speaker #2

    Salut Antho, il y a quelques temps tu as eu l'occasion d'avoir ton propre restaurant, finalement ça s'est pas fait et on sait que le Graal du cuisinier en France c'est le Michelin, j'aimerais avoir ton avis là dessus et est ce que tu regrettes de ne pas avoir eu ton lieu pour pouvoir justement un jour peut-être prétendre au Guide Michelin, à l'étoile du Guide Michelin ?

  • Speaker #0

    Voilà donc déjà on peut dire qui c'est donc c'est C'est la personne avec qui tu fais l'émission du coup sur Canal plus Afrique ?

  • Speaker #1

    Exactement, Kossi Modeste, on te connaît depuis dix ans maintenant. Et c'est l'une des toutes premières personnes à m'avoir fait confiance aussi dans le milieu. Et il venait de sortir un magazine, Afro Cooking. Et donc moi, j'écrivais beaucoup de recettes pour le magazine. Et c'est vrai que c'est une personne avec qui je travaille beaucoup et qui n'a pas peur aussi, parce que ça c'est bien aussi d'avoir quelqu'un à côté de toi qui vous dit la vérité. C'est-à-dire quand vous commencez à prendre la grosse tête, à vous dire vos quatre vérités, vous vous faites défendre.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Et c'est l'une des rares personnes qui a ce pouvoir en tout cas sur moi. Et c'est vrai, en 2023 j'ai été contactée pour ouvrir un restaurant. Pour moi, c'était une sorte d'aboutissement. En fait, tout cuisinier, à un moment donné, a envie d'avoir son lieu pour pouvoir faire sa cuisine, accueillir les gens. Surtout que j'avais souvent des appels après les émissions. Où est-ce qu'on peut goûter votre cuisine ? Où est-ce qu'on peut vous trouver ? Parce que j'étais beaucoup itinérante à me déplacer, aller soit chez des particuliers, soit dans des lieux qui ont été privatisés et tout ça. Mais c'est vrai, c'est quelque chose, c'est un rêve que je nourris secrètement. Alors pas forcément pour avoir une étoile au guide Michelin, même si je sais que c'est important, c'est une distinction importante, mais déjà pour faire découvrir les cuisines et les produits que le continent africain a à offrir. Parce que je me rends compte qu'il y a tellement de choses qu'on pourrait proposer, mais que les gens ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    J'imagine. Génial, peut-être qu'on va regarder du coup une deuxième question. Normalement on ne fait pas plus que deux mais il y en a quatre au total donc je vais choisir au hasard celle que tu veux. Voilà, question supplémentaire.

  • Speaker #2

    En tant que chef de cuisine, est-ce qu'il t'est arrivé de préparer quelque chose à la maison et ta famille t'a dit que c'était pas bon ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est déjà arrivé, oui, c'est déjà arrivé, c'est déjà arrivé et les juges les plus terribles, ce sont les enfants.

  • Speaker #0

    T'imagines, ils ont quel âge d'ailleurs ?

  • Speaker #1

    10 ans et 4 ans, dire ah ça sent trop fort, ah mais c'est quoi ton truc, ah mais c'est pas bon et tout. Alors j'ai mon mari qui lui va rien dire parce qu'il est pour la paix des ménages, mais je vais voir à sa réaction que voilà ça passe pas, mais les enfants ils vont être... Tout de suite intransigeant en disant « Ah non mais nous on n'aime pas et tout, mais ton truc... »

  • Speaker #0

    Ah la la...

  • Speaker #1

    Et des fois même, j'ai l'aîné qui va me dire, mais Sarah, tu nous fais manger, africain, africain, tu sais, on est aussi français. C'est vrai,

  • Speaker #0

    il t'a dit ça ? Ah, c'est drôle.

  • Speaker #1

    Des fois, ils vont me dire ça et tout, je dis oui, mais d'accord. Mais si, c'est arrivé déjà.

  • Speaker #0

    Et tes enfants, justement, ils préfèrent quel type de cuisine ? C'est quoi leur préférence ?

  • Speaker #1

    Alors l'aîné, lui, il va être beaucoup sur la cuisine française.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    Beaucoup. Là où le deuxième, lui, il est beaucoup sur les plats africains. Après, il s'adapte aussi.

  • Speaker #0

    T'aimerais bien qu'il fasse quelque chose dans la cuisine plus tard ou ça t'est égal ?

  • Speaker #1

    Non, moi ça m'est égal qu'il fasse quelque chose dans la cuisine. En revanche, ils sauront cuisiner. Parce que dès le deuxième qui a 4 ans et puis l'aîné dès qu'il avait 4 ans aussi, avec moi en cuisine...

  • Speaker #0

    C'est encore plus tôt qu'au Gabon parce que toi tu me disais que c'était 9 ans au Gabon. Oui,

  • Speaker #1

    au Gabon c'était 9 ans. Mais pour être en France,

  • Speaker #0

    c'est 3 ans,

  • Speaker #1

    4 ans.

  • Speaker #0

    4 ans,

  • Speaker #1

    pas tout l'été. tourner, pour regarder. Je veux qu'il soit le plus autonome possible. Et donc ça, c'est quelque chose que je veux qu'il qu'il ait.

  • Speaker #0

    C'est sûr. Et d'ailleurs, par rapport à ça, justement, vu que toi, tu as deux fils, au Gabon, c'est plutôt les femmes qui cuisinent ?

  • Speaker #1

    Oui, au Gabon, enfin, en tout cas, dans ma culture, les garçons ne doivent pas aller en cuisine. Il y a même des cultures où c'est interdit. Ah oui, c'est interdit. Un homme en cuisine, c'est la honte. Ah oui, après c'est culturel. Ce qui fait qu'il y en a beaucoup quand ils viennent en France et qu'ils font même cuisinier comme job étudiant, ils ne le disent pas à leurs parents. C'est un truc de femme. On va avoir dit, attends, t'as allé faire un truc de femme et tout, t'es un homme. Donc, il y a encore cette culture-là. Et moi, je disais non. À chaque fois, je leur dis, vos conjointes, vous me remercieront parce que vous saurez faire tout ce qu'une femme sait faire, vous saurez le faire.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, par rapport à ça, comment tu expliques qu'en France, alors je ne sais pas pour les autres pays, mais que les plus grands chefs étoilés sont des hommes pour la majorité ?

  • Speaker #1

    Pour la majorité ?

  • Speaker #0

    Je n'ai jamais su.

  • Speaker #1

    Après, ce n'est pas qu'en France.

  • Speaker #0

    C'est vraiment dans le monde entier ?

  • Speaker #1

    Dans le monde entier, la plupart des chefs, ce sont des hommes. Moi, je sais qu'en 2010, quand j'ai voulu rentrer au Gabon, on m'a dit qu'on ne voulait pas de femme au poste auquel je prétendais. Malgré mon CV, malgré mes compétences, ils voulaient un homme. Alors d'une part, ça s'explique parce que les femmes elles-mêmes renoncent à la carrière pour avoir une vie de famille. Parce qu'à un moment donné, c'est un choix qui s'impose. Et souvent, lorsqu'on veut avoir des étoiles, lorsqu'on veut… voilà. Surtout quand on est très jeune, on met le côté familial de côté. C'est aujourd'hui qu'on commence à avoir des chefs étoilés qui ont des enfants. pendant longtemps.

  • Speaker #0

    Ils n'avaient pas d'enfants ?

  • Speaker #1

    Non, elles n'avaient pas d'enfants et féminines. Les chefs étoilés et féminines parce que moi, je me rappelle quand j'étais à l'école, il ne fallait pas ressembler à une fille, il fallait ressembler à un garçon. Il ne fallait pas se maquiller parce que dès que vous étiez un peu maquillée, les autres en cuisine vous charriaient et tout.

  • Speaker #0

    Il y a quand même du sexisme. Donc,

  • Speaker #1

    il fallait se fondre un peu dans la masse. Voilà. Et donc beaucoup ont renoncé à la carrière professionnelle pour... parce qu'elles voulaient avoir une vie de famille, parce qu'à un moment donné, il fallait choisir. C'est un métier très difficile aussi. Il y a beaucoup, dans certaines cultures, des hommes qui ne veulent pas dire « oui chef » à une femme.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est vrai. Ah bah oui.

  • Speaker #1

    Qui ne veulent pas dire « oui chef » à une femme. Et donc quand vous avez un chef-femme, il y en a qui le vivent... qui ne le vivent pas bien. Donc il y a eu... toutes ces explications-là qui ont fait que les hommes ont été plus mis en avant que les femmes. Mais ça commence à changer. Maintenant, les femmes sont de plus en plus cherchées en cuisine.

  • Speaker #0

    C'est cool, c'est l'attent. Bien sûr. C'est chouette. Et d'ailleurs, par rapport à ça, toi, est-ce que tu as des chefs qui t'inspirent ? C'est qui les chefs que tu préfères ?

  • Speaker #1

    Alors, les sources d'inspiration de chefs, au départ, c'était ma grand-mère. parce que Elle avait ce truc où quand on lui demandait alors qu'est-ce que tu as cuisiné aujourd'hui, elle disait dans ma langue, en fait la traduction littérale c'est dire je n'ai que mes deux seins, pour dire en fait j'ai pas grand chose en fait. Et avec son pas grand chose, à chaque fois je lui disais mais toi ton pas grand chose, finalement c'est très bon.

  • Speaker #0

    Ah c'est génial.

  • Speaker #1

    Et elle arrivait toujours à faire des choses exceptionnelles.

  • Speaker #0

    C'est ce que tu fais d'ailleurs dans tes émissions, souvent tu cuisines chez les gens avec ce qu'ils ont non ?

  • Speaker #1

    Avec ce qu'ils ont. Oui c'est ça. Oui oui c'est ça. C'est ça le défi c'est de se dire avec le matériel qu'ils ont, avec les produits qu'ils ont, comment je fais pour faire quelque chose de bien. Et là où aujourd'hui les gens n'arrivent plus à travailler sans leur super robot, sans l'épice qui vient de je sais où. On oublie souvent que la cuisine, c'est d'abord quelque chose de très simple, où on met du cœur et où on travaille avec technicité. Après, en grandissant, en arrivant en France, j'ai découvert des chefs comme Rouguidia, qui est l'une des premières chefs noires à avoir eu quand même une certaine notoriété, être passée par plusieurs grandes maisons. Mais c'est vrai que quand je suis arrivée, je n'avais pas beaucoup de modèles en fait, en dehors de ma grand-mère ou de ma mère qui était en cuisine.

  • Speaker #0

    Et toi, ce serait quoi ton rêve final entre guillemets ? Tu as fait déjà énormément. Est-ce que justement parler d'Etoile Michelin pour toi, c'était égal ? Ou est-ce que c'est quelque chose qui te ferait rêver d'être une chef étoilée ?

  • Speaker #1

    Alors une chef étoilée, oui, pourquoi pas. Après, moi, ce n'est pas un rêve. Moi, mon rêve, honnêtement, parce que le problème de l'étoile, c'est qu'on peut la perdre. On vous donne un jour, après demain, vous...

  • Speaker #0

    Ce qui ferait beaucoup de stress d'ailleurs, j'ai vu.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Il y en a qui refusent même maintenant de dire, je ne veux plus ce système d'étoiles. Bien sûr. C'est un peu plus la santé.

  • Speaker #1

    Alors, ce qui est bien, c'est que c'est une reconnaissance des... paires et tout ça, ça vous apporte du business c'est sûr. Ça vous met un peu au devant de la scène et vous crée vous met sur un piédestal. Mais moi, mon vrai rêve honnêtement c'est d'avoir une école de cuisine notamment au Gabon. Parce que quand je suis venue en France, dans les différentes écoles de cuisine, on nous a d'abord appris la cuisine locale, c'est-à-dire de France, les terroirs français, les produits français, les techniques françaises. Et après avoir vu tout ça, on voit ce qui se passe à l'international. Et donc, comment chaque étudiant, à la fin, sait comment je m'inspire des produits français et de l'international pour créer ma cuisine. Le problème aujourd'hui dans beaucoup de pays africains, et notamment au Gabon, c'est qu'on leur apprend la cuisine française. Et moi, ce que j'aimerais, c'est avoir une école où on leur apprend la cuisine d'abord des neuf provinces du Gabon. Les produits du terroir gabonais. Maîtriser ça. Et après, on voit le reste et qu'ils puissent, en sortant de l'école, se dire avec les produits de chez moi et ce que j'ai pu voir à l'international, comment je crée ma cuisine. Parce qu'on a encore beaucoup de jeunes sur le continent africain, encore ce complexe de se dire si c'est de chez nous, c'est bas de gamme. Si ça vient d'ailleurs, c'est plus haut de gamme, alors que pas du tout. Et c'est là où je me dis que la France a quand même bien fait son travail en allant partout, en disant que c'est nous les meilleurs. Aujourd'hui, beaucoup de gens n'essayent même plus d'être les meilleurs. Ils se disent que si c'est français, c'est forcément mieux. Et donc, mon rêve, c'est vraiment d'avoir cette école où les jeunes vont apprendre à boire les produits de chez eux, des neuf provinces, qu'ils puissent maîtriser les produits des neuf provinces du Gabon. Quand on a fait le tournage au Maroc, j'ai vu la cuisson de... d'un agneau entier dans un four qui avait 120 ans. Donc, à base d'argile et tout ça. Et comment ils me disaient, une fois par an, on repart dans le four pour remettre de l'argile et tout. On a gardé cette technique depuis le XIIe siècle. Moi, mon rêve, c'est d'avoir une école où on peut travailler ce genre de technique et que les jeunes puissent se dire, nous aussi, en Afrique, on a des techniques. Et que des chefs français puissent venir et se dire, moi aussi, je vais apprendre de la même façon que je vais apprendre... chez les maîtres sous-spirés au Japon ou dans d'autres pays d'Asie, qu'on aille en Afrique apprendre aussi nos techniques.

  • Speaker #0

    Et tu me parlais de jeunes, justement, pour bondir par rapport à ça, est-ce que tu aurais quelque chose à dire à un jeune en France ou en Afrique qui a une aspiration à être chef ou un autre métier créatif ou autre ? Qu'est-ce que tu pourrais lui dire, toi, du coup, chef fantôme, qui a une très belle histoire ?

  • Speaker #1

    Alors ce que je pourrais dire, c'est que... vous êtes les seuls à donner la trajectoire à votre métier. Moi, quand j'ai dit que je voulais être cuisinière, on m'a dit, c'est pas un métier ambitieux, tu vas être la honte de la famille. Et c'est vrai que même mes parents, ils parlaient beaucoup de mes frères et sœurs qui étaient ingénieurs et tout ça, plutôt que de dire je fais cuisine. Aujourd'hui, ils sont beaucoup plus fiers parce qu'ils ont vu, en fait, finalement, que le métier, c'est cuisinier, mais à travers un métier, une seule passion, j'ai... diversifié. En fait, j'ai montré que la cuisine ne se limite pas à être dans une cuisine.

  • Speaker #0

    J'ai vu un post Insta, tu me dis que tu avais 12 sources de revenus.

  • Speaker #1

    Bien sûr, mais en fait, c'est pour montrer qu'avec la cuisine, j'ai pu ramener de l'argent de 12 façons différentes. Et souvent, quand on dit je veux être médecin, je dis mais attention, vous pouvez être médecin dans un petit village et être médecin sur les Champs-Élysées. C'est le même métier, mais c'est pas le même standing. Donc... Quel que soit le métier que vous voulez faire, c'est vous qui lui donnez la trajectoire. Donc, ça peut être cuisinier, ça peut être danseur, un artiste. C'est à vous de pouvoir donner la trajectoire. À travers un seul talent, vous pouvez diversifier, mais en tellement de choses que vous ne pouvez même pas imaginer.

  • Speaker #0

    Super intéressant. Dernière chose du coup, on a un petit bonus que je vais te montrer, le bonus sous les profondeurs.

  • Speaker #1

    Je sais qu'on ne se le dit pas suffisamment, mais je profite de cette interview pour te dire merci. Merci pour ton amitié, merci pour toutes ces années de confiance. On a passé des moments difficiles. des hauts et des bas. Merci pour ton amitié. On sait que souvent, c'est difficile de trouver des gens vrais, des gens en qui on peut avoir confiance dans ce monde et des gens sur qui on peut compter. Et tu es une personne formidable. Tu es une personne sur qui je sais que je peux compter à tout moment. Et je crois que tous les gens qui t'entourent t'adorent comme ça. Tu es quelqu'un d'authentique. Tu es quelqu'un avec un grand cœur. Tu es quelqu'un de sincère. Et je profitais de cette occasion pour te dire merci. merci et te dire que je t'aime d'amitié parce que je crois que je sais pas si c'est possible mais on dit que l'amitié garçon fille n'est pas possible mais on est la preuve que tout est possible et je voulais te remercier pour ça donc merci beaucoup en taux en top indy la grande femme des champs que tu es et je te dis à très bientôt merci pour tout et continue d'être ce que tu es et ne change surtout pas bisous à plus tard ciao ciao

  • Speaker #0

    C'est très mignon son message.

  • Speaker #2

    C'est très mignon, c'est très touchant. C'est vrai qu'avec Ossi, on a eu tellement de galères et tout ça. Des fois, que ce soit lui ou moi, à chaque fois on se dit, on veut abandonner. Parce que c'est vrai que nous, quand on a cru, notamment sur... Quand on a cru aux cuisines africaines, personne n'y croyait, quoi, depuis 2015. Aujourd'hui, on est en 2025, il y a beaucoup plus de restaurants, il y a beaucoup plus de chefs. Même que le milieu commence à être un peu saturé. Mais moi, je suis contente d'avoir des personnes comme Koussi et d'autres aussi.

  • Speaker #0

    C'est une chance. Ah oui,

  • Speaker #2

    c'est une chance. Surtout quand on est dans un marché de niche ou qu'on est un peu avant-gardiste. Parce que des fois, on a l'impression de se dire que c'est trop en avant, ça n'a pas marché. Et puis, ou quand les difficultés arrivent et qu'on se dit, est-ce que je suis vraiment dans le vrai ? Parce qu'on est tout premier quand on vient d'arriver, c'est difficile. Mais au final, des années après, on se dit, finalement, on avait raison.

  • Speaker #0

    Ça a été un soutien pour toi, du coup ?

  • Speaker #2

    Oui, ça a été un soutien. Ça a été un soutien parce que déjà, lui-même, il est entrepreneur. Alors, ce n'est pas évident quand on est en couple, notamment si vous êtes entrepreneur, d'être avec quelqu'un qu'il n'est pas. Parce qu'il ne comprend pas. Je veux dire, quelqu'un qui est salarié, il ne se... il ne réfléchit pas. Est-ce que l'entreprise, l'argent est rentré ? Lui, c'est que tous les mois, j'ai mon salaire. Donc, il ne se pose pas de questions sur les chiffres que font l'entreprise. Alors que quand on est entrepreneur et qu'on est tout le temps en train de regarder les chiffres et qu'on est tout le temps en train de réfléchir à comment je fais pour changer la donne, pour diversifier, pour attirer les clients, seul un entrepreneur... peut comprendre et c'est vrai que Kossi a été cet entrepreneur là où quand je voyais que mon conjoint ne comprenait pas, je disais mais toi, il disait bah oui bah c'est normal Antho il est pas entrepreneur donc il peut pas comprendre mais c'est vrai que c'est important d'avoir des personnes comme ça dans votre entourage qui vous disent qui sont prêts à vous dire bon là c'est bon ou là non là c'est pas bon il vaut mieux changer.

  • Speaker #0

    Ouais c'est sûr. Génial, bah écoute... L'interview se finit, je te remercie pour tout.

  • Speaker #2

    Merci à toi.

  • Speaker #0

    J'espère que tu ouvriras ton école au Gabon. Oui. Et que tu trouveras un restaurant. Je te souhaite tout le bonheur du monde, beaucoup de chance. Et continue comme ça. Et encore merci pour cet échange. C'était passionnant. Merci beaucoup, Étienne. Merci beaucoup, Anto. A bientôt.

  • Speaker #2

    A bientôt.

  • Speaker #3

    Merci de nous avoir écoutés. Retrouvez le Deep Dive tous les jeudis sur notre chaîne YouTube et sur les plateformes d'écoute Spotify et Deezer. Apple Podcasts et Amazon Music. Pensez à vous abonner pour ne rien manquer des prochains épisodes.

  • Speaker #0

    D'ici là, prenez soin de vous et à la prochaine !

Chapters

  • Introduction

    00:00

  • Explication du concept

    20:30

  • 1er badge : Son 1er livre: Goûts d’Afrique, recettes traditionnelles

    21:03

  • 2ᵉ badge : Photo du Tip Boy Dien, recette sénégalaise

    22:08

  • Mode Deep Dive : l’immersion

    23:26

  • Son objet inspirant : La cuisine au pays du soleil, le premier livre offert par sa maman

    23:35

  • 1er badge : Qui est la vraie Chef Anto ?

    25:07

  • 2ᵉ badge : Sa plus grande peur

    27:34

  • Les abysses : 1er badge : A-t-elle rêvé d’un restaurant étoilé ?

    43:52

  • Les abysses : 2ᵉ badge : A-t-elle déjà cuisiné des plats ratés pour ses proches ?

    46:26

  • Vidéo bonus

    57:50

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Description

Bienvenue dans ce troisième épisode du Deep Dive, où l’on plonge avec Anto Cocagne, cheffe engagée qui réinvente la cuisine africaine tout en portant un regard fort sur les identités, la transmission et la culture.

Entre Paris et Libreville, cuisine et héritage, elle nous parle de création culinaire à travers toutes les saveurs d’un parcours inspirant.

Parce que cuisiner, c’est aussi raconter, Anto partage ici son histoire avec sincérité et générosité.


Un échange chaleureux, entre transmission et engagement.


Merci Chef Anto 🍽️


🔗 Retrouvez Anto Cocagne sur :


📩 Nos réseaux & contact :


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et moi je dis mais nous on est des petits joueurs. Un Mexicain en moyenne mange 15 kilos de piment par an. Un Thaïlandais en moyenne mange 8 kilos de piment par an. Là où on va vous dire un Camerounais ou un Togolais, il va être à 5 kilos par an.

  • Speaker #1

    On voit ses recettes vibrantes et colorées sur Insta, ses émissions sur France 5, dans Échappez Belle, ses chroniques gourmandes sur Canal+, on la suit pour sa cuisine africaine, raffinée et contemporaine. Mais connaît-on vraiment la femme derrière le tablier ? Aujourd'hui, dans le Deep Dive, on plonge avec chef Anto, chef cuisinière, entrepreneur, autrice, consultante et porte-voix des cuisines africaines qu'elle fait rayonner avec force et conviction. Depuis des années, elle oeuvre pour faire entrer les saveurs du continent dans les esprits, dans les assiettes et jusque dans les institutions. Du Gabon à Paris, de la cuisine familiale aux tables les plus renommées, son parcours est tissé de transmission, de courage et de résilience. Ensemble, on va parler de goût, de racines, de lutte et de rêve, parce que derrière chaque plat, il y a une histoire à raconter. Bienvenue dans le Deep Dive, Chef Anto. Je suis ravi de t'accueillir.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Donc du coup, tu me disais que je pouvais t'appeler Anto. Oui. C'est pas forcément Chef Anto.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'en fait, mon prénom entier, c'est Anto Mpindi. Ouais. Anto, on prononce normalement Anto, qui veut dire femme, et Pindi, les champs. Donc mon prénom veut dire femme des champs. Mais comme en France, les gens n'arrivaient pas vraiment à bien le prononcer, donc c'est resté Anto. Et en fait, le chef Anto, c'était pour dire le chef au féminin. Parce que Anto, comme ça veut dire femme et féminin, le chef Anto, c'était pour dire le chef au féminin. C'est pour ça que dans ma communication, je ne mets jamais la chef Anto.

  • Speaker #1

    J'avais vu ça, effectivement, ce que tu disais, que c'était du coup un pléonasme. Exactement. C'est pour ça que tu veux dire le chef Anto. Ok, tu peux te présenter rapidement pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?

  • Speaker #0

    Alors, je suis Anto Kokagne, chef de cuisine et je suis une spécialiste des cuisines africaines et j'oeuvre depuis pas mal d'années maintenant à populariser nos cuisines, notamment en France, mais aussi à l'international.

  • Speaker #1

    Ok, parce que du coup, si je reprends un petit peu ton histoire, je crois que tu es né en France et que tu as fait ta jeunesse au Gabon et tu es revenu par la suite, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Exactement. En fait, je suis née en France pendant que mes parents étaient étudiants. Parce que mon père a fait l'école des mines d'Alès dans le Gard. Et à la fin de ses études, avec mes parents, ils sont rentrés directement au Gabon. Et donc, j'ai grandi au Gabon. J'ai fait toute ma scolarité du primaire jusqu'au baccalauréat.

  • Speaker #1

    Tu avais de quel âge à quel âge du coup ?

  • Speaker #0

    Quand je suis rentrée, j'avais que deux mois. Parce que je suis née au mois de juin, on est rentrée je crois fin août. Et donc j'avais à peine deux mois lorsqu'on est rentrée au Gabon avec mes frères. Et je suis restée jusqu'à après mes 18 ans lorsque j'ai voulu faire justement des études universitaires.

  • Speaker #1

    Ok. Et raconte-moi du coup cette jeunesse au Gabon, comment c'était ?

  • Speaker #0

    Alors mes meilleurs souvenirs d'enfance, c'était notamment auprès de ma grand-mère. parce que c'était tout ce qui est réunion familiale, toujours autour d'un repas, d'un plat. Dès l'âge de 9 ans, vu que je suis l'aînée des filles, ma mère me dit « quand je ne suis pas là, c'est toi qui me remplaces » parce que je suis née dans une culture où une fille bien élevée doit savoir tenir une maison, donc elle doit être éduquée durant toute sa présence chez ses parents. à être une bonne maîtresse de maison. Donc, ça passe par la cuisine, ça passe par les tâches ménagères. Et donc, dès l'âge de 9 ans, je commence à faire quelques plats en cuisine. Je commence à aider à la maison. Et donc, ça passe à être aussi en cuisine avec des femmes adultes, à entendre un peu les histoires de famille. Alors moi, c'était mon endroit préféré parce que c'était là. qu'on savait que tel, son mari l'a trompé, tel est en train de... C'était vraiment en cuisine où on avait tous les potins. Et puis, c'était là aussi où il y avait ce côté transmission avec les tantes, la grand-mère qui montrait comment rattraper un plat. Tu n'as pas fait bien tel jet, voici comment il faut le faire. Tu as tel souci, il faut utiliser telle plante. C'était vraiment dans ce contexte-là. Et donc que ce soit aussi au primaire, au lycée, enfin... J'ai eu vraiment cette affection pour la cuisine. Alors pour moi, au départ, je n'avais pas compris que c'était une passion. Pour moi, c'était l'endroit où je m'amusais, où je ne m'ennuyais pas surtout. Et donc, dès l'âge, j'avais 13-14 ans, j'ai mon premier commerce informel. Je fais des muffins, des madeleines que je revends en classe. Oui, et pour moi, c'était...

  • Speaker #1

    J'avais cette fille mon coronaria.

  • Speaker #0

    Alors, je ne savais pas même ce que ça voulait dire être entrepreneur, mais je commence à faire ça. Donc, au début, mon père me disait, tant que tu as de bonnes notes, ça ne me dérange pas. Donc, j'avais ma grosse boîte en plastique. Le soir, pendant que tout le monde dormait, je faisais mes gâteaux et tout. Le matin, la boîte était prête et j'allais vendre. Et au début, je vendais dans ma classe, après dans le bâtiment. Après, j'avais des commandes du quartier, des gens qui venaient. Et c'était des gâteaux tout simples. C'était vraiment des muffins, des cakes, ce genre de choses. Mais j'avais déjà ce goût de bien faire les choses. Et au fur et à mesure que je grandis, je me rends compte que finalement, j'ai envie d'en faire un métier.

  • Speaker #1

    À quel âge, du coup, ça t'est venu alors cette envie ?

  • Speaker #0

    Déjà, quand on rentre en seconde, parce qu'en seconde, mon père voulait à tout prix que je fasse une seconde scientifique. Et moi, je n'aime pas les maths. Je n'aimais pas la physique non plus. Et je me demandais pourquoi apprendre ces matières que je ne vais pas utiliser dans la vraie vie. Et donc, je fais une secondesse, mais c'était très, très difficile pour moi parce que je n'aimais pas les maths, j'aimais plutôt les langues, j'aimais l'histoire, la géographie. Et en seconde, on choisit un peu sa filière en fonction de ce qu'on veut faire plus tard. Et c'est là où moi, je commence à me dire, moi, je veux faire la cuisine. Je n'ai pas envie de... Ma mère aurait aimé que je sois médecin parce qu'elle, nutritionniste. Mon père aurait aimé que je fasse banque, assurance. En tout cas, quelque chose qui paraissait plus noble et plus ambitieux. Et moi, je disais, je veux faire de la cuisine. Et on me disait, mais tu sais déjà cuisiner. Depuis l'âge de 9 ans, on t'a appris à cuisiner. Tu n'as pas besoin d'aller dans une école. On ne va pas payer un billet, t'envoyer en Europe pour faire des études de cuisine.

  • Speaker #1

    Et c'était compliqué plus du coup avec ton père ou avec ta mère, le fait que tu aies voulu faire de la cuisine et qu'ils étaient un peu plus réticents ?

  • Speaker #0

    Alors, au début, c'était les deux. Mais je crois que c'est ma mère, comme toutes les mamans, elle a beaucoup observé. Elle a vu qu'avec pas grand chose, en fait, moi, j'arrivais à me faire le salaire d'un fonctionnaire juste en vendant des gâteaux.

  • Speaker #1

    C'est incroyable. À 13 ans, du coup. Oui,

  • Speaker #0

    donc hier, je venais, je disais, bon, ça, c'est ma participation pour la bouteille de gaz.

  • Speaker #1

    C'est trop mignon.

  • Speaker #0

    Oui, et des fois, elle venait faire la monnaie. Ouais, est-ce que tu as la monnaie de 10 000 francs qui représente, qui est à l'époque le plus gros billet ? de banque qui représente 15 euros aujourd'hui. Et donc, moi, elle me voyait avec ma boîte et puis je comptais mes billets pour lui faire la monnaie. Et donc, elle, elle voit ça. Et mon père, lui, il se disait, Nietzsche, ce n'est pas ambitieux. Donc, imaginez, moi, j'ai un frère expert comptable, j'ai un autre docteur en pharmacie, j'ai une sœur ingénieure en télécom et puis moi, j'arrive, je veux être cuisinière. Donc, ce n'est pas ambitieux. Et... et... Pour mon père, ce n'était juste pas possible. Mais ma mère, quand elle a vu que dès la quatrième, elle me voyait, je faisais mes gâteaux, je vendais et tout. À un moment, elle a dit à mon père, écoute, là, elle ne connaît pas grand-chose, mais regarde comment elle se débrouille.

  • Speaker #1

    Oui, c'est sûr.

  • Speaker #0

    Si on l'envoie en France, dans une école, elle va apprendre la cuisine des Français. Quand elle va revenir, elle travaillera sûrement dans une ambassade ou dans un ministère et tout ça. Être cuisinier dans une ambassade, c'est déjà un peu plus... valoureux que d'être cuisinier chez monsieur et madame tout le monde parce que c'est un peu le monsieur et madame tout le monde c'est un peu être le domestique alors que dans une ambassade je fais à manger pour des chefs d'état pour des ambassadeurs c'est plus vu de la même façon et c'est comme ça que papa dit ok qu'il accepte enfin de me laisser parce que moi j'avais dit c'est la cuisine ou rien.

  • Speaker #1

    Parce qu'ils voulaient... Ton père, il ne voulait pas du tout. C'est vraiment grâce à ta mère, justement, qu'il t'a laissé partir. Oui,

  • Speaker #0

    c'est grâce à ma mère et aussi grâce au petit frère de ma mère qui, lui, était professeur de philo en France, dans un lycée, notamment à Nanterre. Et donc, lui, il connaissait déjà les parcours de cuisinier et tout ça. Et à l'époque, il y avait une chef, Rouguidia. qui est une chef d'origine sénégalaise, qui avait fait de grandes tailles, qui avait travaillé chez Petrosian avec Philippe Conticini. Et donc, il a dit, mais non, mais si vous la laissez venir, elle peut devenir comme Rougidia, elle peut vraiment se défendre et tout ça. Et c'est comme ça que mes parents, et notamment mon père, acceptent de me laisser venir en France.

  • Speaker #1

    Ok, génial. Et du coup, raconte-nous un petit peu alors ton arrivée en France, comment ça s'est passé. Tu avais 18 ans, tu m'as dit, c'est ça ?

  • Speaker #0

    J'arrive à 18 ans et c'est vrai que c'est le choc culturel. D'abord parce qu'il fait froid. Au Gabon, quand il fait froid, c'est 18. Il fait 18 degrés. Là, on est en doudoune, en écharpe, on chope la grève. C'est 18 degrés. Et là, j'arrive en plus à Grenoble. Et donc, mon premier hiver, moins 10 degrés. Donc, je découvre la gastronomie française. Je suis née en France, mais je n'ai pas grandi en France. Tout ce que je connaissais de français, c'était Camembert président, la vache qui rit, les saucissons Justin Bridoux. Mais je n'y connaissais rien à tout ce qui était terroir, produits du terroir. Les plats et tout ça. Et donc, c'est le choc culturel. En plus, je dois faire une mise à niveau parce que j'ai un bac en sciences éco. Et la mise à niveau consiste en fait à faire en un an le programme que les autres ont fait de la seconde au bac professionnel.

  • Speaker #1

    C'est intense.

  • Speaker #0

    Donc, c'est très intense. Les semaines où on commence à 8h, on finit à 20h. C'est beaucoup de bourrage de crâne aussi. Donc, apprendre les cépages, le vin. J'y connais rien, donc j'avais jamais bu d'alcool de ma vie. Donc, découvrir les cépages, les régions de France avec leurs particularités, découvrir les fromages. Je veux dire, je connaissais que le camembert président et là je me disais mais pourquoi manger un fromage qui a un goût de pied ? Pourquoi manger un fromage qui sent aussi fort ? Je découvre les différentes sauces, les textures, tout ce côté technique. tout ce côté technique au niveau du travail, des produits, du respect, même dans les assaisonnements. Je viens d'une culture où on fait mariner, on fait tout mariner. Et là, on me dit juste sel, poivre. Et je dis, mais comment ça, sel, poivre ? Et pour moi, sel, poivre, ce n'est pas respecter le produit. Là où en France, justement, sel, poivre, c'est laisser au produit le soin de s'exprimer par lui-même. Et donc, il y a ce côté où je... Je découvre et je dois m'adapter. Je dois adapter mon palais aussi parce que je mange très pimenté.

  • Speaker #1

    Et du coup, tout paraît plus fade après ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas plus fade. Je ne dirais pas fade, mais je trouve que ça manque de quelque chose. Et donc, j'ai dû apprendre à manger moins pimenté.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Tu t'es habituée.

  • Speaker #0

    Exactement. Et je me rappelle de mon professeur, M. Fournat, qui à chaque fois me disait « Ah ben ça, c'est le plat d'Anto, ça. C'est obligé, c'est le plat d'Anto. »

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Et je disais « Mais pourquoi ? » Il dit « Mais regarde comment je suis tout rouge. » Tu as mis beaucoup de piment. Je dis, monsieur, chef, j'ai mis qu'un tout petit peu. Il dit, toi, pour toi, un tout petit peu, c'est beaucoup pour moi. Donc, il y avait ça, mais c'était chouette.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qui t'a le plus marqué, du coup, c'est d'apprendre, tu me parlais de fromage, de vin, etc. C'est quoi pour toi la chose qui t'a le plus marqué ?

  • Speaker #0

    Ce qui m'a le plus marqué dans tout ce processus, c'est que la culinaire, c'est vraiment la connaissance des produits. Le fait qu'en France, on avait vraiment, en tout cas, il y a des personnes, des professionnels qui s'étaient assis et qui avaient commencé à étudier les produits, à dire un bon produit doit être comme ça et pas comme ça. En lequel il y a telle maturité, il y avait vraiment une connaissance des produits et c'était écrit. Là où moi, je venais d'une culture où tout était oral, on ne connaissait pas forcément, je ne connaissais pas forcément. dans le même pays, ce que telle région du Gabon peut manger. Je connaissais moins bien. Et moi, ce qui m'a frappée, c'était vraiment cette connaissance. Et à un moment, je me suis dit, j'aimerais connaître aussi bien les produits de chez moi que les Français connaissent leurs produits de terroir.

  • Speaker #1

    Parce que du coup, au Gabon, tu me disais qu'il y avait une transmission. Donc, toi, tu as appris de ta tante, de ta grand-mère et de ta mère, c'est ça ? Oui. Et du coup, c'est une transmission. purement orale, il n'y a pas de livre de recettes qu'on peut se transmettre de génération en génération ?

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de livre de recettes et surtout, il n'y a pas de balance. Ça, c'est par exemple une des difficultés que j'ai eues lorsqu'il a fallu écrire mon premier livre de cuisine, c'est peser. Parce que je n'ai pas grandi avec cette notion de peser. Quand on me disait, il faut mettre un peu de sel, ce n'est pas une pincée, une poignée, il fallait regarder. Donc quand on voyait ce qu'elle prenait dans sa main, il fallait essayer de faire le même geste. Quand on dit il faut mettre un peu d'eau, on ne vous dit pas, ça c'est par exemple quelque chose que j'ai appris à l'école, pour un volume de riz, on met deux volumes d'eau. Moi, je n'ai pas appris ça à la maison.

  • Speaker #1

    Et vous faisiez comment ? Du coup, c'était un peu à l'instant ?

  • Speaker #0

    C'est à l'œil. C'est à l'œil. C'est l'œil qui mesure. Donc c'est...

  • Speaker #1

    Ça doit très bien marcher, même mieux, j'imagine.

  • Speaker #0

    Bah... Après, à force, au début, on se loupe. Au début, on a mis un peu trop. Au début, on a mis un peu moins. Et c'est à force de faire, de pratiquer, qu'on arrive à trouver le juste milieu. Parce qu'il suffit que la taille du récipient change et la quantité change aussi. Donc, c'est à force de faire qu'on apprend. Mais c'est ça. Il y a vraiment cette différence où moi, j'ai appris, que j'ai commencé à apprendre en regardant, en voyant le geste. avant de pouvoir le maîtriser moi. Là où en France, on me disait, maintenant tu pèses, maintenant c'est tendœuf, maintenant c'est comme ça, c'est comme ça. Ou c'est très normé.

  • Speaker #1

    Et tu trouves qu'en France, du coup, ça peut casser un peu cette créativité ou le fait que tout soit normé comme ça, tu vois ça comme quelque chose de plutôt positif ou négatif pour toi ?

  • Speaker #0

    Je pense que c'est quelque chose de positif, cette façon de normer, surtout quand on veut transmettre. Parce que quand on veut faire une recette et qu'on veut que quelqu'un après puisse refaire la même recette et puisse avoir les mêmes résultats, il faut qu'on ait cette notion de chronomètre, de pesée, de grammage et tout ça. Et donc c'est important. Et c'est aussi important d'écrire parce que quand on écrit... Moi, j'aime beaucoup les histoires familiales où on avait l'arrière-grand-père qui avait sa recette de macarons, qui était dans son carnet. Et puis, le grand-père est venu, il a repris la même recette en suivant exactement les mêmes pesées, qui étaient dans le même vieux carnet. Il a peut-être mis d'autres annotations. Et puis le père est venu à repris et le petit-fils et l'arrière-petit-fils. Et c'est la même recette qu'on garde. Et c'est ça qui fait le succès de beaucoup de grandes maisons françaises. C'est le fait qu'on ait écrit, qu'on ait gardé les racines de recettes. Nous, on n'a pas forcément gardé. Et donc, il y a eu beaucoup d'intrants qui ont modifié, qui ont changé beaucoup de choses. Et c'est pour ça que moi, à un moment donné, je me suis dit, il faut écrire. pour que ceux qui viendront après moi ne puissent pas repartir de zéro, mais puissent prendre quelque chose qui existait déjà et continuer avec.

  • Speaker #1

    D'ailleurs, quand tu me dis « faut écrire » , du coup, on a ton magnifique livre que j'ai lu, qui est vraiment magnifique. Les photos sont très belles, c'est super intéressant. Il y a une partie un peu d'histoire au début qui est vachement bien. Tu veux me raconter un petit peu du coup ? Ça, c'est ton deuxième livre que tu as écrit.

  • Speaker #0

    C'est le deuxième livre, Mon Afrique. Et en fait, ce livre est une réponse que je donne à tous ceux qui ont participé à mes cours de cuisine sur Paris et à tous ceux qui se posent les mêmes questions. C'est vrai que depuis 2018, je donne des cours de cuisine africaine sur Paris et j'avais souvent les mêmes questions. Mais Anto, pourquoi dans tel pays, il y a telle recette, mais je vois aussi que dans un autre pays, il y a la même recette. Pourquoi, comment utiliser ce produit ? Est-ce que je suis obligée de faire que des recettes africaines avec ce produit-là ? J'ai vu que dans un magasin, une épice, ça s'appelait comme ça, mais on m'a dit que dans un autre pays... Ça, ça plaît aussi comme ça. Ah ben, je n'arrive pas à faire des papillotes, je n'arrive pas à faire tel geste. Est-ce que tu peux m'expliquer ? Et je me suis rendu compte qu'en France, même si les communautés africaines sont les plus nombreuses, finalement, nos cuisines sont moins connues. Notamment celles qui... les cuisines d'Afrique subsaharienne. Les cuisines du Maghreb, elles sont plus accessibles parce que c'est plus facile d'y aller aussi avec le tourisme. Mais c'est vrai que l'Afrique subsaharienne, en dehors de deux, trois plats, Je pense aussi que si je te demande trois plats sans regarder le livre de tête, c'est souvent les mêmes plats qui reviennent. Et je me dis, ce n'est pas possible qu'on soit aussi nombreux et que finalement...

  • Speaker #1

    On connaît très mal en fait.

  • Speaker #0

    Sachant que les communautés qui viennent d'Asie, que ce soit le Japon, la Chine, la Corée ou l'Inde, finalement les Français connaissent mieux leurs plats que nos plats. Sachant que la France nous a quand même colonisés. Et je me dis, mais c'est incroyable. et Et donc, je me suis dit, il y a besoin de pédagogie. Le fait d'avoir été chef privé chez des particuliers, j'avais l'occasion de poser des questions. Est-ce que vous êtes déjà allé dans un restaurant africain ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui vous freine ? Qu'est-ce qui vous bloque ? Et c'était souvent les mêmes retours. On ne connaît pas, ça a l'air trop gras, on ne connaît pas vos produits, on ne sait pas trop ce que vous faites. Est-ce que vous avez vraiment des produits d'exception ? Qu'est-ce que vous faites ? Et je me suis dit, mais ce n'est pas possible que les gens... On est là, on pense qu'on nous connaît, mais finalement, on ne nous connaît pas. Et donc, ce deuxième livre, c'était répondre à ces questions que les gens se posaient et mettre aussi le produit vraiment au centre. Dans le sens où je parle d'un produit comme la banane plantain. J'explique.

  • Speaker #1

    Je crois que je n'ai jamais goûté la banane plantain, justement. Je ne savais même pas que ça ne se mangeait pas cru, justement, au début. Pour moi, c'est une banane normale, je ne savais même pas qu'il y avait un légume. C'est un légume, c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'est un légume,

  • Speaker #1

    oui. C'est fou, qui ressemble exactement à la banane de fruit.

  • Speaker #0

    Exactement. Et en tout cas, par exemple, quand il y a des bananes plantain, il y en a qui tentent de l'éplucher comme la banane de fruit. Et je dis non, mais ce n'est pas la même façon d'éplucher. Sachant qu'en plus...

  • Speaker #1

    Ça m'a donné tellement envie de découvrir le goût de la banane plantain.

  • Speaker #0

    En fonction du type de la recette que vous voulez faire, ce n'est pas la même banane plantain que vous allez utiliser. C'est pour ça que dans le chapitre...

  • Speaker #1

    La maturation, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Exactement. C'est pour ça que j'explique, suivant la recette, je dis, attention, si vous voulez faire tel type de choses, c'est tel type de maturation. Mais ce n'est pas toujours expliqué. On va vous dire, prenez une banane plantain. Quelqu'un qui ne connaît pas, il va prendre la banane qu'il a trouvée et après il me dit, mais ça n'a pas fonctionné.

  • Speaker #1

    C'était super bien expliqué, franchement. Et donc,

  • Speaker #0

    voilà, les cours de cuisine m'ont aidé à être plus pédagogue, plus indulgente. Parce que je dis toujours aux gens, il n'y a pas de question bête. La question bête, c'est celle qu'on ne pose pas. N'hésitez pas, c'est normal que vous ne connaissiez pas, que vous ne compreniez pas. Moi, je suis là pour répondre à vos questions.

  • Speaker #1

    Avant d'entrer dans le vif du sujet, le Deep Dive est un podcast bienveillant où l'on va à la rencontre d'invités au parcours inspirant. Chaque semaine, je vous emmène avec moi pour explorer la partie immergée de l'iceberg. Le concept est simple, un invité, trois niveaux de discussion. A chaque niveau, l'invité choisit un ou deux badges parmi quatre animaux polaires. directement sur la tablette. On commence en surface avec la partie émerger de l'iceberg, des questions plus légères pour apprendre à mieux connaître l'invité. Ensuite, on passe en mode deep dive. Direction la partie immerger de l'iceberg, puis dans les abysses pour des échanges de plus en plus deep. On vous laisse découvrir, c'est parti, l'exploration commence ici. Je te laisse faire. D'accord. Tu peux cliquer dessus directement.

  • Speaker #0

    Alors, je vais partir sur l'ours.

  • Speaker #1

    Donc là, on a justement, on était dessus, un de tes posts Instagram. Donc ça, c'est ton premier livre, Goût d'Afrique.

  • Speaker #0

    Goût d'Afrique, oui.

  • Speaker #1

    Alors, dis-moi un petit peu, explique-moi la différence. Du coup, je n'ai pas eu la chance de feuilleter Goût d'Afrique. J'ai regardé mon Afrique. C'est quoi la différence ? Explique-moi un petit peu la différence entre les deux livres.

  • Speaker #0

    Alors, la différence entre les deux, Goût d'Afrique, on va avoir beaucoup de recettes traditionnelles. On va avoir quelques... Alors, surtout dans les desserts, des recettes qui vont être... inspiré de recettes françaises, mais retravaillées avec des produits d'Afrique. Donc ça, c'est beaucoup dans les desserts parce que culturellement, on n'a pas cette technicité de dessert. En dehors des pays du Maghreb qui vont avoir vraiment toute cette connaissance avec les pâtisseries orientales et tout ça, nous, en Afrique subsaharienne, on a des plats sucrés, mais qui ne sont pas des pâtisseries, qui ne sont pas des desserts.

  • Speaker #1

    Génial. Je te laisse peut-être choisir un deuxième badge.

  • Speaker #0

    L'Otari. Donc ça, c'est une photo du tchiboudier, le riz au poisson, qui est une recette sénégalaise et qui est une recette qui a eu beaucoup de variantes dans le monde, que peu de gens connaissent. On a par exemple le jambalaya, qu'on va retrouver notamment en Caroline du Sud, en Louisiane, qui est un plat qui ressemble beaucoup. à ce plat-là, donc à base de riz, mais au lieu de poisson, on va avoir différents morceaux de viande avec des légumes et des épices. Et c'est un plat qui montre que l'Afrique a eu de l'influence à l'international, dans le sens où les esclaves, lorsqu'ils ont été déportés, en fait, ils ont amené aussi leur connaissance sur le travail de certains produits, de certaines épices. Et c'est pour ça que lorsqu'on va dans certains pays où il y a eu des esclaves noirs, on va retrouver des plats qui ressemblent beaucoup à des plats qui sont d'origine africaine.

  • Speaker #1

    Ok, super intéressant. Ça a l'air, en plus, extrêmement appétissant sur la photo. Du coup, on va rentrer en mode deep dive. Oui. Alors, je vais te laisser cliquer sur le mode deep dive, donc tout en bas, quand tu veux.

  • Speaker #0

    Deep dive.

  • Speaker #1

    Donc on est maintenant en mode deep dive, comme tu peux le voir. Est-ce que tu peux nous présenter, du coup les invités nous ramènent souvent un objet qui est important pour eux, qui a une histoire. N'hésite pas à nous présenter cet objet.

  • Speaker #0

    Alors cet objet, c'est mon tout premier livre de cuisine, La cuisine au pays du soleil. C'est pour ça qu'il est tout vieux, déchiré et tout. Avec quel âge ? Dès 9 ans, c'est le premier livre que ma mère m'a donné. Avec les recettes que j'ai fait le plus, il y a des traces. de farine, d'huile séchée et tout ça. Ça c'est la partie que j'ai fait le plus quand je faisais notamment mes gâteaux que je revendais à l'école.

  • Speaker #1

    On voit que c'est la partie que tu fais le plus, elle est presque colorée. Elle est à la partie de la sécher et tout ça.

  • Speaker #0

    Parce que c'est ce que je faisais pour vendre à l'école.

  • Speaker #1

    Donc c'est grâce à ces deux pages que tu es devenue la femme, la grande chef que tu es.

  • Speaker #0

    En tout cas, je me faisais un salaire presque de fonctionnaire. C'est tout bien. Mon tout premier. Et si tu remarques bien, il n'y a pas de photo. Contrairement au livre de cuisine d'aujourd'hui, où on a des photos, des pas à pas, on sait à quoi ça doit ressembler à la fin. Là, il n'y a pas de photo. Et donc, ça a laissé vraiment libre cours à l'imagination. Donc quand on faisait, on ne savait pas trop ce que ça ressemblait. C'est rigolo. Et voilà, c'est vraiment mon tout premier que je garde précieusement.

  • Speaker #1

    Très beau, très joli livre. Du coup, donc là, mode deep dive, on a quatre hauts de badge. Donc pour rappel, plus on descend, plus les questions sont deep. Je te laisse choisir un des quatre badges.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Chef Anto, j'ai une question pour toi. Quand on enlève la veste des cuisiniers, qu'est-ce qu'on trouve en dessous ? Quelle personne ? Donc qui es-tu ? Chef Anto, justement tu me disais que les gens t'appelaient souvent Chef Anto, Chef Anto. Même tu me disais, tiens, appelle-moi Anto. Oui. Donc qui es-tu sous cette toque ou derrière la chef que tu es ?

  • Speaker #0

    Derrière la chef que je suis, je suis juste Anto. Je suis une maman, je suis... Aussi, j'aime beaucoup la musique. J'écoute notamment tout ce qui est musique, que ce soit le jazz, le gospel, ce type de musique. J'aime beaucoup les voyages et d'ailleurs, je suis contente d'avoir trouvé un métier qui me permette aussi de voyager. J'aime beaucoup, je suis une fan d'histoire. regarder les émissions, les documentaires comme secrets d'histoire où on raconte un peu la vie des gens, comment ils ont vécu.

  • Speaker #1

    En parlant de documentaires, c'est vrai qu'on a peu parlé justement de tes émissions parce que tu fais beaucoup d'émissions de télé, donc Échappée Belle sur France 5 et sur Canal Plus Afrique.

  • Speaker #0

    Alors, l'Afrique a du goût sur Canal Plus Afrique.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de tes émissions ? Raconte-nous un petit peu comment ça se passe.

  • Speaker #0

    Alors, les émissions que je fais, ce sont des émissions où je fais découvrir un pays ou une région à travers la cuisine. Donc, j'ai commencé sur Canal+, Afrique. La première émission s'appelait « Rendez-vous avec le chef Anto » . Et à chaque fois, on partait dans une région ou un pays d'Afrique, pour le coup. Et le but, c'était de faire découvrir des recettes, des produits du terroir et d'apprendre des techniques de cuisine. Et c'est pour ça que moi, j'avais demandé quand on m'a proposé de faire cette émission d'aller dans les villages, parce que c'est là-bas où il y avait encore cette connaissance de produits traditionnels. On respecte encore les recettes traditionnelles. Et ce qui était marrant, le défi à la fin de l'émission, c'est que je devais cuisiner de façon gastronomique pour les personnes qui m'avaient reçu. alors c'était toujours très amusant parce que Souvent les femmes me regardaient en me disant « Mais tu ne sais pas cuisiner, ce n'est pas comme ça qu'on travaille tel produit. » Ça peut être.

  • Speaker #1

    Je te laisse choisir peut-être un deuxième badge du coup sur les quatre. Le dernier badge sur le… Salut Chef Anto, j'espère que tu vas bien. Je voulais savoir quelle est ta plus grande peur ?

  • Speaker #0

    Ta plus grande peur ?

  • Speaker #1

    Ma plus grande peur ? Je dirais que ma plus grande peur, c'est de ne pas réussir à transmettre, notamment à mes enfants, cette connaissance culturelle, en tout cas qui n'arrive pas à saisir, cette connaissance que je peux avoir du continent africain. Parce que je me rends compte aujourd'hui que mes enfants sont des métisses culturelles. c'est-à-dire qu'ils sont africains mais ils grandissent dans un pays français.

  • Speaker #0

    On est en France ? On est en France.

  • Speaker #1

    Tu as plein d'enfants,

  • Speaker #0

    excuse-moi ?

  • Speaker #1

    J'en ai deux, j'ai deux garçons. Et c'est vrai que comme beaucoup de jeunes qui sont nés en France, notamment de jeunes afro-descendants, ils sont un peu comme des chauves-souris. C'est-à-dire qu'ils ont du mal à trouver leur place. En France, des fois, ils ont l'impression de ne pas être assez français. Et quand ils vont en Afrique, ils ont l'impression, en tout cas dans les pays d'Afrique où ils vont, de ne pas être assez africains. Et donc, d'appartenir en fait à...

  • Speaker #0

    Je pense à un de mes meilleurs potes qui est algérien, qui est né en France. Il me disait effectivement pareil qu'en France, il se sentait un peu algérien. En Algérie, on se sent tant qu'il est français.

  • Speaker #1

    Exactement. Déjà, je sais que par exemple, mes garçons, quand ils vont au Gabon, à cause de leur accent, parce qu'ils vont avoir l'accent parisien, on va dire « Ah, mais t'es pas d'ici » . Et quand ils sont ici, « T'es pas d'ici non plus » . Donc, il y a ce côté où on recherche un peu une identité. Donc, ça fait, comme je dis, des métisses culturelles. et c'est... Le but, c'est de leur transmettre. C'est pour ça que j'essaye de leur parler, notamment dans ma langue maternelle, de leur parler beaucoup du Gabon, de les emmener aussi en voyage pour qu'ils voient.

  • Speaker #0

    Tu as peur qu'ils perdent cette identité,

  • Speaker #1

    leurs origines gabonaises ? Oui, j'ai peur qu'ils le perdent. C'est pour ça que j'essaye de les emmener le plus souvent possible et qu'ils soient vraiment en immersion. Et quand on a une immersion, je dis tout ce que vous connaissez de la France, on oublie ici. Il n'y a pas de dessert, il n'y a pas de crème de serre, on mange local. Qu'ils arrivent à s'adapter. Et c'est vrai que c'est, en tout cas pour moi, c'est une grande peur.

  • Speaker #0

    Ouais, ok, super intéressant. Par rapport au fait d'être une femme noire justement dans le milieu de la cuisine, comment tu as vécu justement tout ça par rapport à ça ?

  • Speaker #1

    Alors moi, je l'ai plutôt bien vécu. Je pense que j'ai eu de la chance parce que je sais que tout le monde n'a pas vécu de la même façon. J'ai eu la chance d'avoir des super maîtres de stage qui m'ont pris tout de suite sous leur aile. Parce que dans tous les endroits où j'étais, j'étais souvent la seule noire de la classe. Peut-être la seule noire en cuisine. Là où la plupart du temps, les Noirs on les trouvait, c'était les femmes de chambre, c'était les femmes de ménage, c'était le plongeur, là moi j'étais dans l'équipe de cuisine et j'ai eu la chance d'avoir notamment dans toutes les maisons où je suis passée, tous les chefs que j'ai rencontrés, de me prendre sous leurs ailes. Là où c'était plus compliqué, c'était lorsque je parlais des cuisines de chez moi. et que je voyais qu'il n'y avait pas forcément d'intérêt. Je pense notamment à une grande maison parisienne où on avait ce qu'on appelait la Bible. C'était un gros traiteur parisien. On a la Bible et la Bible, chez les traiteurs, c'est en fait le référencement de tous les produits, de toutes les pièces cocktail, de tous les plats qu'on sert. Et à chaque fois qu'il y avait, par exemple, Asie ou Maghreb ou même pâtisserie orientale, En fait, cette maison-là sous-traitait à des personnes originaires de la région et qui leur faisaient des pièces ou des plats ou une animation qui était en adéquation avec leur niveau de gamme. C'est-à-dire, comme c'était très haut de gamme, ils avaient des sous-traitants qui arrivaient à leur faire des choses qui correspondaient à leur niveau de gamme. Mais dès qu'on était sur l'Afrique, notamment subsaharienne, en fait, les chefs inventaient des recettes.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    C'est incroyable, ça. Moi, je me disais, mais... Ça, ce n'est pas africain, mais ça qui vous a dit que c'est de chez nous, ça, ce n'est pas de chez nous et tout ça. Et en fait, il me disait, mais on n'a pas de... Déjà, il n'avait pas d'entreprise, en tout cas, il ne pouvait pas sous-traiter à une entreprise qui pouvait répondre à leurs exigences. Il n'en trouvait pas. Il disait qu'on ne connaît pas vos produits, il n'y a rien d'écrit. Et c'est vrai qu'à cette époque-là, même les blogs, il n'y avait pas de blog qui parlait de nos cuisines, il n'y avait pas d'émission, il n'y avait pas de livre, il y avait très peu de livre.

  • Speaker #0

    Ah ouais, c'est fou.

  • Speaker #1

    Et je sais que par exemple, en 2019...

  • Speaker #0

    C'était quoi ? Il y a 15 ans, 20 ans ?

  • Speaker #1

    Il y a... On parle de... On était aux alentours de 2010. Donc oui, il y a 15 ans. Et je me rappelle quand j'ai voulu écrire « Goût d'Afrique » parce que le goût d'Afrique... C'est Aline Princes, qui est photographe culinaire, qui me contacte, qui me dit, moi, elle a un enfant qui est franco-béninois. Et elle me dit, moi, j'ai beaucoup voyagé en Afrique. J'ai fait beaucoup de livres. J'ai photographié beaucoup de recettes pour des livres de cuisine, mais je n'ai jamais photographié de recettes pour un livre de cuisine avec des recettes africaines. Que ce serait bien, est-ce que vous serez partante pour écrire des recettes ? Et je dis complètement, mais on a eu du mal à trouver une maison d'édition.

  • Speaker #0

    C'est fou, ça. Parce que...

  • Speaker #1

    À cette époque-là, on était en 2018, les maisons d'édition disaient « l'Afrique, ça ne vend pas, personne n'achètera, personne ne s'y intéresse » . Et je me pense à une grande maison d'édition qu'on est allé voir et qui n'a pas voulu du projet. C'est Mango, qui est spécialisé notamment dans tout ce qui est cuisine du monde, qui nous a dit « c'est vrai qu'on a fait tous les continents, mais on n'a rien de l'Afrique subsaharienne, donc on pense que ça peut marcher » . Et finalement, ça a été un best-seller au point où ça a été traduit en allemand, ça a été traduit en anglais américain et par une autre maison d'édition en anglais britannique et bientôt en espagnol.

  • Speaker #0

    Bravo, félicitations.

  • Speaker #1

    Déjà, on a eu des super photos. Jusqu'à présent, livre de cuisine africaine et photos, ça ne donnait pas envie.

  • Speaker #0

    C'est la même que sur ton deuxième livre, du coup ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est Aline qui a fait aussi les photos du deuxième livre.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas vu le premier, mais celle du deuxième, les photos sont extraordinaires. C'est magnifique.

  • Speaker #1

    Et en plus, on a eu la chance d'avoir aussi une styliste culinaire qui n'y connaissait rien des cuisines d'Afrique et qui a aussi mis en scène. Moi, je lui racontais les histoires, je lui amenais les produits et elle a su aussi faire des jolies mises en scène avec les produits, avec les plats. Et donc, c'est vraiment ce que j'ai rencontré. C'est que dès qu'on parlait d'Afrique, même si en tant que Noir, je n'avais pas de soucis pour travailler ou de... Mais dès qu'on parlait de cuisine ou de produits, les gens trouvaient que ce n'était pas vraiment intéressant. Les gens étaient un peu dédaigneux en disant, ben non, l'avenir, c'est l'Asie. On parlait du yuzu, du matcha.

  • Speaker #0

    Mais comment tu expliques justement, par rapport à ça, que les cuisines... Mouah ! justement asiatiques ou même indiennes, sont beaucoup plus démocratisées que les cuisines africaines ?

  • Speaker #1

    Il y a eu plusieurs choses. Déjà, ce sont des pays où on peut aller facilement en tourisme. Si vous voulez aller en Inde, si vous voulez aller en Chine, vous avez moins de difficulté à avoir un visa pour aller là-bas que si vous voulez aller dans un pays d'Afrique subsaharienne. Le tourisme est déjà un peu plus développé dans ces pays-là. Ça veut dire qu'un Français lambda, il part avec son sac à dos s'il veut aller Il va trouver des informations sur internet, ou dormir, ou loger. C'est plus ou moins organisé. Nous, chez nous, c'est beaucoup moins. En dehors de quelques pays qui ont vraiment compris, comme le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Rwanda, qui sont en train de miser ces dernières années sur le tourisme, parce qu'ils se rendent compte que quand les touristes viennent, il y a aussi un impact financier. Parce qu'un touriste qui vient, c'est quelqu'un qui mange, c'est quelqu'un qui dort, c'est quelqu'un qui se déplace. Et donc, il y a tout ça. toutes ces structures dans lesquelles il faut investir parce qu'on met de l'argent dedans. Il y a ce côté-là. La deuxième chose, c'est que quand on va dans... Et tous les Chinois ou les Indiens vous diront ce que vous mangez dans un restaurant indien à Paris, ce n'est pas la même chose que vous mangerez en Inde.

  • Speaker #0

    Vraiment, c'est...

  • Speaker #1

    Parce qu'ils ont adapté.

  • Speaker #0

    C'est occidentalisé.

  • Speaker #1

    Ils ont adapté. C'est qu'à un moment donné, ils ont vu que les Français, ils aiment... tel type de choses, on va leur proposer ça.

  • Speaker #0

    Je ne savais pas qu'ils avaient adapté à ce point-là.

  • Speaker #1

    Ils ont adapté. Moi, je suis allée, par exemple, dans des restaurants chinois aux États-Unis, restaurants chinois en Australie, restaurants chinois au Gabon. Ce n'est pas la même chose. Ça n'a rien à voir. C'est incroyable,

  • Speaker #0

    je ne savais pas.

  • Speaker #1

    Chaque pays, ils ont adapté par rapport à ce que les gens aiment. Nous, quand on est venus, on a dit, chez nous, c'est comme ça qu'on mange ça. On adapte. pas. On mange ça comme ça. Et donc, pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être... Vous avez bien fait. J'imagine. Alors, pour des Africains...

  • Speaker #0

    C'est très adapté, je trouve, la nourriture en France.

  • Speaker #1

    Je suis d'accord, mais pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être un frein. Quand vous mangez français dans les pays étrangers, ce n'est pas la même chose qu'en France. On vous dira toujours, si vous voulez manger vraiment français, allez en France. Mais vous avez un aperçu qui vous donne envie de découvrir ce qui se passe vraiment en France. Et donc, nous, c'est ce qu'on aurait dû faire. C'est de se dire, c'est un aperçu. Si vous voulez vraiment manger sénégalais, allez au Sénégal. Si vous voulez vraiment manger un plat du Congo, allez au Congo. Mais c'est un aperçu de ce que vous pourrez découvrir.

  • Speaker #0

    Parce que justement, par rapport au cliché de la nourriture africaine, il y en a quand même pas mal. C'est quoi pour toi les clichés principaux ?

  • Speaker #1

    Alors les clichés principaux c'est « ah c'est trop gras, vos cuisines sont trop grasses » . Moi à chaque fois je dis « mais la mayonnaise c'est pas africain et pourtant ça vous gêne pas » .

  • Speaker #0

    Et pourquoi on dit que… moi mon frère il cuisine beaucoup, j'en discutais avec lui, il m'expliquait que c'était pas plus gras que la cuisine française, mais c'est qu'en France on faisait beaucoup d'émulsions, donc on voyait moins le…

  • Speaker #1

    Exactement, en France il y a cette technique qui fait… qu'on travaille le gras d'une façon à ce qu'on ne le voit pas.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. Mais pourtant, ça reste...

  • Speaker #1

    Mais ça reste gras. Je veux dire, un foie gras, c'est gras. Oui, c'est sûr. C'est gras, mais la façon dont il est présenté, on ne voit pas le gras. Donc, il y a beaucoup d'émulsions, que ce soit dans les sauces, les béarnaises, les mornées. Enfin, on est toujours en train d'émulsionner. Et donc, ce gras, on ne le voit pas. Ce qui, nous, n'est pas... L'émulsion n'est pas une technique de chez nous. et donc Culturellement, ça ne nous gêne pas de voir ce gras-là. Il y avait, par exemple, c'est trop pimenté. Et moi, je dis, mais nous, on est des petits joueurs. Un Mexicain, en moyenne, mange 15 kilos de piment par an. Un Thaïlandais, en moyenne, mange 8 kilos de piment par an. Là où, on va vous dire, un Camerounais ou un Togolais, il va être à 5 kilos par an. Le piment ne devrait pas être un frein parce qu'on est... pas les plus gros joueurs sur l'utilisation du piment. Après, on va avoir des préjugés sur, on n'a pas forcément de produits nobles. Et ça encore, c'est une méconnaissance. Moi, je me suis beaucoup...

  • Speaker #0

    Quand on parle de produits nobles, tu dirais que c'est quoi exactement justement ?

  • Speaker #1

    Quand on parle de produits nobles, par exemple, je pense au miel d'Oku, qui est un miel rare, qui est blanc, ressemble en couleur à de la vaseline, mais qui est du miel qu'on va retrouver au Cameroun. On a le poivre de Penja qui vient du Cameroun aussi. On a le café des montagnes Ziaman qui vient de Guinée, Conakry. On a l'ananas peint de sucre du plateau d'Alada qui on trouve au Bénin. On va avoir la tiequée des lagunes en Côte d'Ivoire. Donc on a, on commence à avoir en tout cas, des produits avec des appellations. Après, on a aussi des épices qui sont vraiment, alors qui sont peu connues. C'est pour ça qu'on ne sait pas que c'est noble. Je pense notamment aux graines de Néré. C'est un produit typique d'Afrique qu'on trouve dans les villages, que malheureusement, nous, Africains, comme c'est dans notre quotidien, on néglige. Et que moi, j'essaye de rendre leur lettre de noblesse, notamment dans l'épicerie que j'ai ouverte.

  • Speaker #0

    Justement, j'allais t'en parler. Baraka, c'est ça ? Baraka, oui. Raconte-nous un petit peu. Tu as ouvert ça il y a quelques mois, je crois, non ?

  • Speaker #1

    Il y a quelques mois.

  • Speaker #0

    J'ai vu les photos, c'est magnifique.

  • Speaker #1

    Alors aujourd'hui, ça fait six mois. Alors déjà, Baraka, c'est le nom d'un quartier à Libreville. parce que j'ai souvent des... des amis arabes qui vont me dire, « Oh, Baraka, ça veut dire la bénédiction ou la chance et tout. » Je dis, « Ah, ben moi, ça vient d'abord d'un quartier à Libreville. » Parce que les premiers explorateurs à avoir découvert le Gabon, c'était des Portugais. Et donc, on a beaucoup de quartiers ou de villes au Gabon qui ont des noms portugais. Et Baraka veut dire en français « barak » . C'était en fait des cases, des huttes, où à l'époque de l'esclavage, on mettait les esclaves. parce que c'est un quartier qui n'est pas loin de la mer. Et avant de les mettre dans les bateaux, on parquait les esclaves dans ces baracas. Et donc, le quartier a eu le nom Baraka. Sauf que Baraka, c'est le quartier où ma grand-mère vivait. Et c'est là-bas où je passais toutes mes vacances quand j'étais enfant. Et où j'ai mes meilleurs souvenirs d'enfance, d'odeurs, de plats, de casse-cou, de ce qu'on a pu faire avec les frères, les cousins, les cousines. et quand j'ai voulu ouvrir Une épicerie fine, le nom Baraka pour moi était une évidence parce que cette épicerie fine c'était pour raconter un peu tous les souvenirs que j'ai ramenés de mes voyages. Ok. Voilà.

  • Speaker #0

    Ça a l'air magnifique en tout cas, quand j'ai regardé un petit peu les produits etc. ça donne vraiment envie de découvrir, c'est super joli ouais. Les photos,

  • Speaker #1

    les… C'est des produits déjà j'avais… c'était aussi, en tout cas cette épicerie, une réponse à beaucoup de clients. Parce qu'à la fin des cours de cuisine, ils me disaient « Anton, on veut acheter les produits » .

  • Speaker #0

    C'est vrai, là tu me parles de tellement de produits, j'ai envie de tout découvrir en fait.

  • Speaker #1

    Et à chaque fois, ils me disaient « On a utilisé tel épice, où est-ce que je peux acheter ? » Non, moi je les envoyais à Château Rouge. Je me disais « Allez à Château Rouge, allez trouver, allez dans telle boutique » . Et naïvement, je les envoyais là-bas. Et un jour, je discute avec un, il me dit « Tu sais, tu m'as envoyé à Château Rouge, mais franchement, si toi tu ouvres une boutique, moi je vais venir acheter chez toi. »

  • Speaker #0

    Ok, génial.

  • Speaker #1

    Parce qu'à Châteaurouge, on ne nous donne pas forcément le conseil. On ne prend pas forcément le temps de nous expliquer.

  • Speaker #0

    Parce que c'est pour les habituer, j'imagine.

  • Speaker #1

    Et puis, des fois, tout est dans un coin. Nous-mêmes, on doit chercher, on ne nous aide pas. Donc, pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être un frein. Et alors que ceux qui viennent à Baraka, en général, quand ils viennent prendre une épice, je leur explique que c'est... Les épices ou ce produit, ils ne sont pas obligés de l'utiliser pour réaliser une recette africaine. Ils peuvent l'utiliser dans leur quotidien, leur recette de tous les jours. Par exemple, les graines de Néré qui ont un goût de fromage. Je dis, une sauce tomate avec vos gnocchis, vous mettez ça, vous avez un goût de fromage.

  • Speaker #0

    Tu l'as chez Baraka du coup les graines de Néré ?

  • Speaker #1

    Les graines de Néré.

  • Speaker #0

    J'ai fait un petit tour du coup. Bien sûr. J'ai envie de découvrir ça.

  • Speaker #1

    Il y a une autre graine qu'on appelle rondelle qui donne un goût de truche. J'ai une écorce qui fait penser à l'ail des ours. On a des choses qui sont vraiment des produits de forêt ou qui poussent dans des zones semi-arides.

  • Speaker #0

    Ok, génial. On va aller dans le dernier mode, donc encore un peu plus en profondeur. D'accord. Donc là, je te laisse choisir, pareil, un des quatre badges.

  • Speaker #1

    Un des quatre badges.

  • Speaker #2

    Salut Antho, il y a quelques temps tu as eu l'occasion d'avoir ton propre restaurant, finalement ça s'est pas fait et on sait que le Graal du cuisinier en France c'est le Michelin, j'aimerais avoir ton avis là dessus et est ce que tu regrettes de ne pas avoir eu ton lieu pour pouvoir justement un jour peut-être prétendre au Guide Michelin, à l'étoile du Guide Michelin ?

  • Speaker #0

    Voilà donc déjà on peut dire qui c'est donc c'est C'est la personne avec qui tu fais l'émission du coup sur Canal plus Afrique ?

  • Speaker #1

    Exactement, Kossi Modeste, on te connaît depuis dix ans maintenant. Et c'est l'une des toutes premières personnes à m'avoir fait confiance aussi dans le milieu. Et il venait de sortir un magazine, Afro Cooking. Et donc moi, j'écrivais beaucoup de recettes pour le magazine. Et c'est vrai que c'est une personne avec qui je travaille beaucoup et qui n'a pas peur aussi, parce que ça c'est bien aussi d'avoir quelqu'un à côté de toi qui vous dit la vérité. C'est-à-dire quand vous commencez à prendre la grosse tête, à vous dire vos quatre vérités, vous vous faites défendre.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Et c'est l'une des rares personnes qui a ce pouvoir en tout cas sur moi. Et c'est vrai, en 2023 j'ai été contactée pour ouvrir un restaurant. Pour moi, c'était une sorte d'aboutissement. En fait, tout cuisinier, à un moment donné, a envie d'avoir son lieu pour pouvoir faire sa cuisine, accueillir les gens. Surtout que j'avais souvent des appels après les émissions. Où est-ce qu'on peut goûter votre cuisine ? Où est-ce qu'on peut vous trouver ? Parce que j'étais beaucoup itinérante à me déplacer, aller soit chez des particuliers, soit dans des lieux qui ont été privatisés et tout ça. Mais c'est vrai, c'est quelque chose, c'est un rêve que je nourris secrètement. Alors pas forcément pour avoir une étoile au guide Michelin, même si je sais que c'est important, c'est une distinction importante, mais déjà pour faire découvrir les cuisines et les produits que le continent africain a à offrir. Parce que je me rends compte qu'il y a tellement de choses qu'on pourrait proposer, mais que les gens ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    J'imagine. Génial, peut-être qu'on va regarder du coup une deuxième question. Normalement on ne fait pas plus que deux mais il y en a quatre au total donc je vais choisir au hasard celle que tu veux. Voilà, question supplémentaire.

  • Speaker #2

    En tant que chef de cuisine, est-ce qu'il t'est arrivé de préparer quelque chose à la maison et ta famille t'a dit que c'était pas bon ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est déjà arrivé, oui, c'est déjà arrivé, c'est déjà arrivé et les juges les plus terribles, ce sont les enfants.

  • Speaker #0

    T'imagines, ils ont quel âge d'ailleurs ?

  • Speaker #1

    10 ans et 4 ans, dire ah ça sent trop fort, ah mais c'est quoi ton truc, ah mais c'est pas bon et tout. Alors j'ai mon mari qui lui va rien dire parce qu'il est pour la paix des ménages, mais je vais voir à sa réaction que voilà ça passe pas, mais les enfants ils vont être... Tout de suite intransigeant en disant « Ah non mais nous on n'aime pas et tout, mais ton truc... »

  • Speaker #0

    Ah la la...

  • Speaker #1

    Et des fois même, j'ai l'aîné qui va me dire, mais Sarah, tu nous fais manger, africain, africain, tu sais, on est aussi français. C'est vrai,

  • Speaker #0

    il t'a dit ça ? Ah, c'est drôle.

  • Speaker #1

    Des fois, ils vont me dire ça et tout, je dis oui, mais d'accord. Mais si, c'est arrivé déjà.

  • Speaker #0

    Et tes enfants, justement, ils préfèrent quel type de cuisine ? C'est quoi leur préférence ?

  • Speaker #1

    Alors l'aîné, lui, il va être beaucoup sur la cuisine française.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    Beaucoup. Là où le deuxième, lui, il est beaucoup sur les plats africains. Après, il s'adapte aussi.

  • Speaker #0

    T'aimerais bien qu'il fasse quelque chose dans la cuisine plus tard ou ça t'est égal ?

  • Speaker #1

    Non, moi ça m'est égal qu'il fasse quelque chose dans la cuisine. En revanche, ils sauront cuisiner. Parce que dès le deuxième qui a 4 ans et puis l'aîné dès qu'il avait 4 ans aussi, avec moi en cuisine...

  • Speaker #0

    C'est encore plus tôt qu'au Gabon parce que toi tu me disais que c'était 9 ans au Gabon. Oui,

  • Speaker #1

    au Gabon c'était 9 ans. Mais pour être en France,

  • Speaker #0

    c'est 3 ans,

  • Speaker #1

    4 ans.

  • Speaker #0

    4 ans,

  • Speaker #1

    pas tout l'été. tourner, pour regarder. Je veux qu'il soit le plus autonome possible. Et donc ça, c'est quelque chose que je veux qu'il qu'il ait.

  • Speaker #0

    C'est sûr. Et d'ailleurs, par rapport à ça, justement, vu que toi, tu as deux fils, au Gabon, c'est plutôt les femmes qui cuisinent ?

  • Speaker #1

    Oui, au Gabon, enfin, en tout cas, dans ma culture, les garçons ne doivent pas aller en cuisine. Il y a même des cultures où c'est interdit. Ah oui, c'est interdit. Un homme en cuisine, c'est la honte. Ah oui, après c'est culturel. Ce qui fait qu'il y en a beaucoup quand ils viennent en France et qu'ils font même cuisinier comme job étudiant, ils ne le disent pas à leurs parents. C'est un truc de femme. On va avoir dit, attends, t'as allé faire un truc de femme et tout, t'es un homme. Donc, il y a encore cette culture-là. Et moi, je disais non. À chaque fois, je leur dis, vos conjointes, vous me remercieront parce que vous saurez faire tout ce qu'une femme sait faire, vous saurez le faire.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, par rapport à ça, comment tu expliques qu'en France, alors je ne sais pas pour les autres pays, mais que les plus grands chefs étoilés sont des hommes pour la majorité ?

  • Speaker #1

    Pour la majorité ?

  • Speaker #0

    Je n'ai jamais su.

  • Speaker #1

    Après, ce n'est pas qu'en France.

  • Speaker #0

    C'est vraiment dans le monde entier ?

  • Speaker #1

    Dans le monde entier, la plupart des chefs, ce sont des hommes. Moi, je sais qu'en 2010, quand j'ai voulu rentrer au Gabon, on m'a dit qu'on ne voulait pas de femme au poste auquel je prétendais. Malgré mon CV, malgré mes compétences, ils voulaient un homme. Alors d'une part, ça s'explique parce que les femmes elles-mêmes renoncent à la carrière pour avoir une vie de famille. Parce qu'à un moment donné, c'est un choix qui s'impose. Et souvent, lorsqu'on veut avoir des étoiles, lorsqu'on veut… voilà. Surtout quand on est très jeune, on met le côté familial de côté. C'est aujourd'hui qu'on commence à avoir des chefs étoilés qui ont des enfants. pendant longtemps.

  • Speaker #0

    Ils n'avaient pas d'enfants ?

  • Speaker #1

    Non, elles n'avaient pas d'enfants et féminines. Les chefs étoilés et féminines parce que moi, je me rappelle quand j'étais à l'école, il ne fallait pas ressembler à une fille, il fallait ressembler à un garçon. Il ne fallait pas se maquiller parce que dès que vous étiez un peu maquillée, les autres en cuisine vous charriaient et tout.

  • Speaker #0

    Il y a quand même du sexisme. Donc,

  • Speaker #1

    il fallait se fondre un peu dans la masse. Voilà. Et donc beaucoup ont renoncé à la carrière professionnelle pour... parce qu'elles voulaient avoir une vie de famille, parce qu'à un moment donné, il fallait choisir. C'est un métier très difficile aussi. Il y a beaucoup, dans certaines cultures, des hommes qui ne veulent pas dire « oui chef » à une femme.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est vrai. Ah bah oui.

  • Speaker #1

    Qui ne veulent pas dire « oui chef » à une femme. Et donc quand vous avez un chef-femme, il y en a qui le vivent... qui ne le vivent pas bien. Donc il y a eu... toutes ces explications-là qui ont fait que les hommes ont été plus mis en avant que les femmes. Mais ça commence à changer. Maintenant, les femmes sont de plus en plus cherchées en cuisine.

  • Speaker #0

    C'est cool, c'est l'attent. Bien sûr. C'est chouette. Et d'ailleurs, par rapport à ça, toi, est-ce que tu as des chefs qui t'inspirent ? C'est qui les chefs que tu préfères ?

  • Speaker #1

    Alors, les sources d'inspiration de chefs, au départ, c'était ma grand-mère. parce que Elle avait ce truc où quand on lui demandait alors qu'est-ce que tu as cuisiné aujourd'hui, elle disait dans ma langue, en fait la traduction littérale c'est dire je n'ai que mes deux seins, pour dire en fait j'ai pas grand chose en fait. Et avec son pas grand chose, à chaque fois je lui disais mais toi ton pas grand chose, finalement c'est très bon.

  • Speaker #0

    Ah c'est génial.

  • Speaker #1

    Et elle arrivait toujours à faire des choses exceptionnelles.

  • Speaker #0

    C'est ce que tu fais d'ailleurs dans tes émissions, souvent tu cuisines chez les gens avec ce qu'ils ont non ?

  • Speaker #1

    Avec ce qu'ils ont. Oui c'est ça. Oui oui c'est ça. C'est ça le défi c'est de se dire avec le matériel qu'ils ont, avec les produits qu'ils ont, comment je fais pour faire quelque chose de bien. Et là où aujourd'hui les gens n'arrivent plus à travailler sans leur super robot, sans l'épice qui vient de je sais où. On oublie souvent que la cuisine, c'est d'abord quelque chose de très simple, où on met du cœur et où on travaille avec technicité. Après, en grandissant, en arrivant en France, j'ai découvert des chefs comme Rouguidia, qui est l'une des premières chefs noires à avoir eu quand même une certaine notoriété, être passée par plusieurs grandes maisons. Mais c'est vrai que quand je suis arrivée, je n'avais pas beaucoup de modèles en fait, en dehors de ma grand-mère ou de ma mère qui était en cuisine.

  • Speaker #0

    Et toi, ce serait quoi ton rêve final entre guillemets ? Tu as fait déjà énormément. Est-ce que justement parler d'Etoile Michelin pour toi, c'était égal ? Ou est-ce que c'est quelque chose qui te ferait rêver d'être une chef étoilée ?

  • Speaker #1

    Alors une chef étoilée, oui, pourquoi pas. Après, moi, ce n'est pas un rêve. Moi, mon rêve, honnêtement, parce que le problème de l'étoile, c'est qu'on peut la perdre. On vous donne un jour, après demain, vous...

  • Speaker #0

    Ce qui ferait beaucoup de stress d'ailleurs, j'ai vu.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Il y en a qui refusent même maintenant de dire, je ne veux plus ce système d'étoiles. Bien sûr. C'est un peu plus la santé.

  • Speaker #1

    Alors, ce qui est bien, c'est que c'est une reconnaissance des... paires et tout ça, ça vous apporte du business c'est sûr. Ça vous met un peu au devant de la scène et vous crée vous met sur un piédestal. Mais moi, mon vrai rêve honnêtement c'est d'avoir une école de cuisine notamment au Gabon. Parce que quand je suis venue en France, dans les différentes écoles de cuisine, on nous a d'abord appris la cuisine locale, c'est-à-dire de France, les terroirs français, les produits français, les techniques françaises. Et après avoir vu tout ça, on voit ce qui se passe à l'international. Et donc, comment chaque étudiant, à la fin, sait comment je m'inspire des produits français et de l'international pour créer ma cuisine. Le problème aujourd'hui dans beaucoup de pays africains, et notamment au Gabon, c'est qu'on leur apprend la cuisine française. Et moi, ce que j'aimerais, c'est avoir une école où on leur apprend la cuisine d'abord des neuf provinces du Gabon. Les produits du terroir gabonais. Maîtriser ça. Et après, on voit le reste et qu'ils puissent, en sortant de l'école, se dire avec les produits de chez moi et ce que j'ai pu voir à l'international, comment je crée ma cuisine. Parce qu'on a encore beaucoup de jeunes sur le continent africain, encore ce complexe de se dire si c'est de chez nous, c'est bas de gamme. Si ça vient d'ailleurs, c'est plus haut de gamme, alors que pas du tout. Et c'est là où je me dis que la France a quand même bien fait son travail en allant partout, en disant que c'est nous les meilleurs. Aujourd'hui, beaucoup de gens n'essayent même plus d'être les meilleurs. Ils se disent que si c'est français, c'est forcément mieux. Et donc, mon rêve, c'est vraiment d'avoir cette école où les jeunes vont apprendre à boire les produits de chez eux, des neuf provinces, qu'ils puissent maîtriser les produits des neuf provinces du Gabon. Quand on a fait le tournage au Maroc, j'ai vu la cuisson de... d'un agneau entier dans un four qui avait 120 ans. Donc, à base d'argile et tout ça. Et comment ils me disaient, une fois par an, on repart dans le four pour remettre de l'argile et tout. On a gardé cette technique depuis le XIIe siècle. Moi, mon rêve, c'est d'avoir une école où on peut travailler ce genre de technique et que les jeunes puissent se dire, nous aussi, en Afrique, on a des techniques. Et que des chefs français puissent venir et se dire, moi aussi, je vais apprendre de la même façon que je vais apprendre... chez les maîtres sous-spirés au Japon ou dans d'autres pays d'Asie, qu'on aille en Afrique apprendre aussi nos techniques.

  • Speaker #0

    Et tu me parlais de jeunes, justement, pour bondir par rapport à ça, est-ce que tu aurais quelque chose à dire à un jeune en France ou en Afrique qui a une aspiration à être chef ou un autre métier créatif ou autre ? Qu'est-ce que tu pourrais lui dire, toi, du coup, chef fantôme, qui a une très belle histoire ?

  • Speaker #1

    Alors ce que je pourrais dire, c'est que... vous êtes les seuls à donner la trajectoire à votre métier. Moi, quand j'ai dit que je voulais être cuisinière, on m'a dit, c'est pas un métier ambitieux, tu vas être la honte de la famille. Et c'est vrai que même mes parents, ils parlaient beaucoup de mes frères et sœurs qui étaient ingénieurs et tout ça, plutôt que de dire je fais cuisine. Aujourd'hui, ils sont beaucoup plus fiers parce qu'ils ont vu, en fait, finalement, que le métier, c'est cuisinier, mais à travers un métier, une seule passion, j'ai... diversifié. En fait, j'ai montré que la cuisine ne se limite pas à être dans une cuisine.

  • Speaker #0

    J'ai vu un post Insta, tu me dis que tu avais 12 sources de revenus.

  • Speaker #1

    Bien sûr, mais en fait, c'est pour montrer qu'avec la cuisine, j'ai pu ramener de l'argent de 12 façons différentes. Et souvent, quand on dit je veux être médecin, je dis mais attention, vous pouvez être médecin dans un petit village et être médecin sur les Champs-Élysées. C'est le même métier, mais c'est pas le même standing. Donc... Quel que soit le métier que vous voulez faire, c'est vous qui lui donnez la trajectoire. Donc, ça peut être cuisinier, ça peut être danseur, un artiste. C'est à vous de pouvoir donner la trajectoire. À travers un seul talent, vous pouvez diversifier, mais en tellement de choses que vous ne pouvez même pas imaginer.

  • Speaker #0

    Super intéressant. Dernière chose du coup, on a un petit bonus que je vais te montrer, le bonus sous les profondeurs.

  • Speaker #1

    Je sais qu'on ne se le dit pas suffisamment, mais je profite de cette interview pour te dire merci. Merci pour ton amitié, merci pour toutes ces années de confiance. On a passé des moments difficiles. des hauts et des bas. Merci pour ton amitié. On sait que souvent, c'est difficile de trouver des gens vrais, des gens en qui on peut avoir confiance dans ce monde et des gens sur qui on peut compter. Et tu es une personne formidable. Tu es une personne sur qui je sais que je peux compter à tout moment. Et je crois que tous les gens qui t'entourent t'adorent comme ça. Tu es quelqu'un d'authentique. Tu es quelqu'un avec un grand cœur. Tu es quelqu'un de sincère. Et je profitais de cette occasion pour te dire merci. merci et te dire que je t'aime d'amitié parce que je crois que je sais pas si c'est possible mais on dit que l'amitié garçon fille n'est pas possible mais on est la preuve que tout est possible et je voulais te remercier pour ça donc merci beaucoup en taux en top indy la grande femme des champs que tu es et je te dis à très bientôt merci pour tout et continue d'être ce que tu es et ne change surtout pas bisous à plus tard ciao ciao

  • Speaker #0

    C'est très mignon son message.

  • Speaker #2

    C'est très mignon, c'est très touchant. C'est vrai qu'avec Ossi, on a eu tellement de galères et tout ça. Des fois, que ce soit lui ou moi, à chaque fois on se dit, on veut abandonner. Parce que c'est vrai que nous, quand on a cru, notamment sur... Quand on a cru aux cuisines africaines, personne n'y croyait, quoi, depuis 2015. Aujourd'hui, on est en 2025, il y a beaucoup plus de restaurants, il y a beaucoup plus de chefs. Même que le milieu commence à être un peu saturé. Mais moi, je suis contente d'avoir des personnes comme Koussi et d'autres aussi.

  • Speaker #0

    C'est une chance. Ah oui,

  • Speaker #2

    c'est une chance. Surtout quand on est dans un marché de niche ou qu'on est un peu avant-gardiste. Parce que des fois, on a l'impression de se dire que c'est trop en avant, ça n'a pas marché. Et puis, ou quand les difficultés arrivent et qu'on se dit, est-ce que je suis vraiment dans le vrai ? Parce qu'on est tout premier quand on vient d'arriver, c'est difficile. Mais au final, des années après, on se dit, finalement, on avait raison.

  • Speaker #0

    Ça a été un soutien pour toi, du coup ?

  • Speaker #2

    Oui, ça a été un soutien. Ça a été un soutien parce que déjà, lui-même, il est entrepreneur. Alors, ce n'est pas évident quand on est en couple, notamment si vous êtes entrepreneur, d'être avec quelqu'un qu'il n'est pas. Parce qu'il ne comprend pas. Je veux dire, quelqu'un qui est salarié, il ne se... il ne réfléchit pas. Est-ce que l'entreprise, l'argent est rentré ? Lui, c'est que tous les mois, j'ai mon salaire. Donc, il ne se pose pas de questions sur les chiffres que font l'entreprise. Alors que quand on est entrepreneur et qu'on est tout le temps en train de regarder les chiffres et qu'on est tout le temps en train de réfléchir à comment je fais pour changer la donne, pour diversifier, pour attirer les clients, seul un entrepreneur... peut comprendre et c'est vrai que Kossi a été cet entrepreneur là où quand je voyais que mon conjoint ne comprenait pas, je disais mais toi, il disait bah oui bah c'est normal Antho il est pas entrepreneur donc il peut pas comprendre mais c'est vrai que c'est important d'avoir des personnes comme ça dans votre entourage qui vous disent qui sont prêts à vous dire bon là c'est bon ou là non là c'est pas bon il vaut mieux changer.

  • Speaker #0

    Ouais c'est sûr. Génial, bah écoute... L'interview se finit, je te remercie pour tout.

  • Speaker #2

    Merci à toi.

  • Speaker #0

    J'espère que tu ouvriras ton école au Gabon. Oui. Et que tu trouveras un restaurant. Je te souhaite tout le bonheur du monde, beaucoup de chance. Et continue comme ça. Et encore merci pour cet échange. C'était passionnant. Merci beaucoup, Étienne. Merci beaucoup, Anto. A bientôt.

  • Speaker #2

    A bientôt.

  • Speaker #3

    Merci de nous avoir écoutés. Retrouvez le Deep Dive tous les jeudis sur notre chaîne YouTube et sur les plateformes d'écoute Spotify et Deezer. Apple Podcasts et Amazon Music. Pensez à vous abonner pour ne rien manquer des prochains épisodes.

  • Speaker #0

    D'ici là, prenez soin de vous et à la prochaine !

Chapters

  • Introduction

    00:00

  • Explication du concept

    20:30

  • 1er badge : Son 1er livre: Goûts d’Afrique, recettes traditionnelles

    21:03

  • 2ᵉ badge : Photo du Tip Boy Dien, recette sénégalaise

    22:08

  • Mode Deep Dive : l’immersion

    23:26

  • Son objet inspirant : La cuisine au pays du soleil, le premier livre offert par sa maman

    23:35

  • 1er badge : Qui est la vraie Chef Anto ?

    25:07

  • 2ᵉ badge : Sa plus grande peur

    27:34

  • Les abysses : 1er badge : A-t-elle rêvé d’un restaurant étoilé ?

    43:52

  • Les abysses : 2ᵉ badge : A-t-elle déjà cuisiné des plats ratés pour ses proches ?

    46:26

  • Vidéo bonus

    57:50

Description

Bienvenue dans ce troisième épisode du Deep Dive, où l’on plonge avec Anto Cocagne, cheffe engagée qui réinvente la cuisine africaine tout en portant un regard fort sur les identités, la transmission et la culture.

Entre Paris et Libreville, cuisine et héritage, elle nous parle de création culinaire à travers toutes les saveurs d’un parcours inspirant.

Parce que cuisiner, c’est aussi raconter, Anto partage ici son histoire avec sincérité et générosité.


Un échange chaleureux, entre transmission et engagement.


Merci Chef Anto 🍽️


🔗 Retrouvez Anto Cocagne sur :


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et moi je dis mais nous on est des petits joueurs. Un Mexicain en moyenne mange 15 kilos de piment par an. Un Thaïlandais en moyenne mange 8 kilos de piment par an. Là où on va vous dire un Camerounais ou un Togolais, il va être à 5 kilos par an.

  • Speaker #1

    On voit ses recettes vibrantes et colorées sur Insta, ses émissions sur France 5, dans Échappez Belle, ses chroniques gourmandes sur Canal+, on la suit pour sa cuisine africaine, raffinée et contemporaine. Mais connaît-on vraiment la femme derrière le tablier ? Aujourd'hui, dans le Deep Dive, on plonge avec chef Anto, chef cuisinière, entrepreneur, autrice, consultante et porte-voix des cuisines africaines qu'elle fait rayonner avec force et conviction. Depuis des années, elle oeuvre pour faire entrer les saveurs du continent dans les esprits, dans les assiettes et jusque dans les institutions. Du Gabon à Paris, de la cuisine familiale aux tables les plus renommées, son parcours est tissé de transmission, de courage et de résilience. Ensemble, on va parler de goût, de racines, de lutte et de rêve, parce que derrière chaque plat, il y a une histoire à raconter. Bienvenue dans le Deep Dive, Chef Anto. Je suis ravi de t'accueillir.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Donc du coup, tu me disais que je pouvais t'appeler Anto. Oui. C'est pas forcément Chef Anto.

  • Speaker #0

    Oui, parce qu'en fait, mon prénom entier, c'est Anto Mpindi. Ouais. Anto, on prononce normalement Anto, qui veut dire femme, et Pindi, les champs. Donc mon prénom veut dire femme des champs. Mais comme en France, les gens n'arrivaient pas vraiment à bien le prononcer, donc c'est resté Anto. Et en fait, le chef Anto, c'était pour dire le chef au féminin. Parce que Anto, comme ça veut dire femme et féminin, le chef Anto, c'était pour dire le chef au féminin. C'est pour ça que dans ma communication, je ne mets jamais la chef Anto.

  • Speaker #1

    J'avais vu ça, effectivement, ce que tu disais, que c'était du coup un pléonasme. Exactement. C'est pour ça que tu veux dire le chef Anto. Ok, tu peux te présenter rapidement pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?

  • Speaker #0

    Alors, je suis Anto Kokagne, chef de cuisine et je suis une spécialiste des cuisines africaines et j'oeuvre depuis pas mal d'années maintenant à populariser nos cuisines, notamment en France, mais aussi à l'international.

  • Speaker #1

    Ok, parce que du coup, si je reprends un petit peu ton histoire, je crois que tu es né en France et que tu as fait ta jeunesse au Gabon et tu es revenu par la suite, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Exactement. En fait, je suis née en France pendant que mes parents étaient étudiants. Parce que mon père a fait l'école des mines d'Alès dans le Gard. Et à la fin de ses études, avec mes parents, ils sont rentrés directement au Gabon. Et donc, j'ai grandi au Gabon. J'ai fait toute ma scolarité du primaire jusqu'au baccalauréat.

  • Speaker #1

    Tu avais de quel âge à quel âge du coup ?

  • Speaker #0

    Quand je suis rentrée, j'avais que deux mois. Parce que je suis née au mois de juin, on est rentrée je crois fin août. Et donc j'avais à peine deux mois lorsqu'on est rentrée au Gabon avec mes frères. Et je suis restée jusqu'à après mes 18 ans lorsque j'ai voulu faire justement des études universitaires.

  • Speaker #1

    Ok. Et raconte-moi du coup cette jeunesse au Gabon, comment c'était ?

  • Speaker #0

    Alors mes meilleurs souvenirs d'enfance, c'était notamment auprès de ma grand-mère. parce que c'était tout ce qui est réunion familiale, toujours autour d'un repas, d'un plat. Dès l'âge de 9 ans, vu que je suis l'aînée des filles, ma mère me dit « quand je ne suis pas là, c'est toi qui me remplaces » parce que je suis née dans une culture où une fille bien élevée doit savoir tenir une maison, donc elle doit être éduquée durant toute sa présence chez ses parents. à être une bonne maîtresse de maison. Donc, ça passe par la cuisine, ça passe par les tâches ménagères. Et donc, dès l'âge de 9 ans, je commence à faire quelques plats en cuisine. Je commence à aider à la maison. Et donc, ça passe à être aussi en cuisine avec des femmes adultes, à entendre un peu les histoires de famille. Alors moi, c'était mon endroit préféré parce que c'était là. qu'on savait que tel, son mari l'a trompé, tel est en train de... C'était vraiment en cuisine où on avait tous les potins. Et puis, c'était là aussi où il y avait ce côté transmission avec les tantes, la grand-mère qui montrait comment rattraper un plat. Tu n'as pas fait bien tel jet, voici comment il faut le faire. Tu as tel souci, il faut utiliser telle plante. C'était vraiment dans ce contexte-là. Et donc que ce soit aussi au primaire, au lycée, enfin... J'ai eu vraiment cette affection pour la cuisine. Alors pour moi, au départ, je n'avais pas compris que c'était une passion. Pour moi, c'était l'endroit où je m'amusais, où je ne m'ennuyais pas surtout. Et donc, dès l'âge, j'avais 13-14 ans, j'ai mon premier commerce informel. Je fais des muffins, des madeleines que je revends en classe. Oui, et pour moi, c'était...

  • Speaker #1

    J'avais cette fille mon coronaria.

  • Speaker #0

    Alors, je ne savais pas même ce que ça voulait dire être entrepreneur, mais je commence à faire ça. Donc, au début, mon père me disait, tant que tu as de bonnes notes, ça ne me dérange pas. Donc, j'avais ma grosse boîte en plastique. Le soir, pendant que tout le monde dormait, je faisais mes gâteaux et tout. Le matin, la boîte était prête et j'allais vendre. Et au début, je vendais dans ma classe, après dans le bâtiment. Après, j'avais des commandes du quartier, des gens qui venaient. Et c'était des gâteaux tout simples. C'était vraiment des muffins, des cakes, ce genre de choses. Mais j'avais déjà ce goût de bien faire les choses. Et au fur et à mesure que je grandis, je me rends compte que finalement, j'ai envie d'en faire un métier.

  • Speaker #1

    À quel âge, du coup, ça t'est venu alors cette envie ?

  • Speaker #0

    Déjà, quand on rentre en seconde, parce qu'en seconde, mon père voulait à tout prix que je fasse une seconde scientifique. Et moi, je n'aime pas les maths. Je n'aimais pas la physique non plus. Et je me demandais pourquoi apprendre ces matières que je ne vais pas utiliser dans la vraie vie. Et donc, je fais une secondesse, mais c'était très, très difficile pour moi parce que je n'aimais pas les maths, j'aimais plutôt les langues, j'aimais l'histoire, la géographie. Et en seconde, on choisit un peu sa filière en fonction de ce qu'on veut faire plus tard. Et c'est là où moi, je commence à me dire, moi, je veux faire la cuisine. Je n'ai pas envie de... Ma mère aurait aimé que je sois médecin parce qu'elle, nutritionniste. Mon père aurait aimé que je fasse banque, assurance. En tout cas, quelque chose qui paraissait plus noble et plus ambitieux. Et moi, je disais, je veux faire de la cuisine. Et on me disait, mais tu sais déjà cuisiner. Depuis l'âge de 9 ans, on t'a appris à cuisiner. Tu n'as pas besoin d'aller dans une école. On ne va pas payer un billet, t'envoyer en Europe pour faire des études de cuisine.

  • Speaker #1

    Et c'était compliqué plus du coup avec ton père ou avec ta mère, le fait que tu aies voulu faire de la cuisine et qu'ils étaient un peu plus réticents ?

  • Speaker #0

    Alors, au début, c'était les deux. Mais je crois que c'est ma mère, comme toutes les mamans, elle a beaucoup observé. Elle a vu qu'avec pas grand chose, en fait, moi, j'arrivais à me faire le salaire d'un fonctionnaire juste en vendant des gâteaux.

  • Speaker #1

    C'est incroyable. À 13 ans, du coup. Oui,

  • Speaker #0

    donc hier, je venais, je disais, bon, ça, c'est ma participation pour la bouteille de gaz.

  • Speaker #1

    C'est trop mignon.

  • Speaker #0

    Oui, et des fois, elle venait faire la monnaie. Ouais, est-ce que tu as la monnaie de 10 000 francs qui représente, qui est à l'époque le plus gros billet ? de banque qui représente 15 euros aujourd'hui. Et donc, moi, elle me voyait avec ma boîte et puis je comptais mes billets pour lui faire la monnaie. Et donc, elle, elle voit ça. Et mon père, lui, il se disait, Nietzsche, ce n'est pas ambitieux. Donc, imaginez, moi, j'ai un frère expert comptable, j'ai un autre docteur en pharmacie, j'ai une sœur ingénieure en télécom et puis moi, j'arrive, je veux être cuisinière. Donc, ce n'est pas ambitieux. Et... et... Pour mon père, ce n'était juste pas possible. Mais ma mère, quand elle a vu que dès la quatrième, elle me voyait, je faisais mes gâteaux, je vendais et tout. À un moment, elle a dit à mon père, écoute, là, elle ne connaît pas grand-chose, mais regarde comment elle se débrouille.

  • Speaker #1

    Oui, c'est sûr.

  • Speaker #0

    Si on l'envoie en France, dans une école, elle va apprendre la cuisine des Français. Quand elle va revenir, elle travaillera sûrement dans une ambassade ou dans un ministère et tout ça. Être cuisinier dans une ambassade, c'est déjà un peu plus... valoureux que d'être cuisinier chez monsieur et madame tout le monde parce que c'est un peu le monsieur et madame tout le monde c'est un peu être le domestique alors que dans une ambassade je fais à manger pour des chefs d'état pour des ambassadeurs c'est plus vu de la même façon et c'est comme ça que papa dit ok qu'il accepte enfin de me laisser parce que moi j'avais dit c'est la cuisine ou rien.

  • Speaker #1

    Parce qu'ils voulaient... Ton père, il ne voulait pas du tout. C'est vraiment grâce à ta mère, justement, qu'il t'a laissé partir. Oui,

  • Speaker #0

    c'est grâce à ma mère et aussi grâce au petit frère de ma mère qui, lui, était professeur de philo en France, dans un lycée, notamment à Nanterre. Et donc, lui, il connaissait déjà les parcours de cuisinier et tout ça. Et à l'époque, il y avait une chef, Rouguidia. qui est une chef d'origine sénégalaise, qui avait fait de grandes tailles, qui avait travaillé chez Petrosian avec Philippe Conticini. Et donc, il a dit, mais non, mais si vous la laissez venir, elle peut devenir comme Rougidia, elle peut vraiment se défendre et tout ça. Et c'est comme ça que mes parents, et notamment mon père, acceptent de me laisser venir en France.

  • Speaker #1

    Ok, génial. Et du coup, raconte-nous un petit peu alors ton arrivée en France, comment ça s'est passé. Tu avais 18 ans, tu m'as dit, c'est ça ?

  • Speaker #0

    J'arrive à 18 ans et c'est vrai que c'est le choc culturel. D'abord parce qu'il fait froid. Au Gabon, quand il fait froid, c'est 18. Il fait 18 degrés. Là, on est en doudoune, en écharpe, on chope la grève. C'est 18 degrés. Et là, j'arrive en plus à Grenoble. Et donc, mon premier hiver, moins 10 degrés. Donc, je découvre la gastronomie française. Je suis née en France, mais je n'ai pas grandi en France. Tout ce que je connaissais de français, c'était Camembert président, la vache qui rit, les saucissons Justin Bridoux. Mais je n'y connaissais rien à tout ce qui était terroir, produits du terroir. Les plats et tout ça. Et donc, c'est le choc culturel. En plus, je dois faire une mise à niveau parce que j'ai un bac en sciences éco. Et la mise à niveau consiste en fait à faire en un an le programme que les autres ont fait de la seconde au bac professionnel.

  • Speaker #1

    C'est intense.

  • Speaker #0

    Donc, c'est très intense. Les semaines où on commence à 8h, on finit à 20h. C'est beaucoup de bourrage de crâne aussi. Donc, apprendre les cépages, le vin. J'y connais rien, donc j'avais jamais bu d'alcool de ma vie. Donc, découvrir les cépages, les régions de France avec leurs particularités, découvrir les fromages. Je veux dire, je connaissais que le camembert président et là je me disais mais pourquoi manger un fromage qui a un goût de pied ? Pourquoi manger un fromage qui sent aussi fort ? Je découvre les différentes sauces, les textures, tout ce côté technique. tout ce côté technique au niveau du travail, des produits, du respect, même dans les assaisonnements. Je viens d'une culture où on fait mariner, on fait tout mariner. Et là, on me dit juste sel, poivre. Et je dis, mais comment ça, sel, poivre ? Et pour moi, sel, poivre, ce n'est pas respecter le produit. Là où en France, justement, sel, poivre, c'est laisser au produit le soin de s'exprimer par lui-même. Et donc, il y a ce côté où je... Je découvre et je dois m'adapter. Je dois adapter mon palais aussi parce que je mange très pimenté.

  • Speaker #1

    Et du coup, tout paraît plus fade après ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas plus fade. Je ne dirais pas fade, mais je trouve que ça manque de quelque chose. Et donc, j'ai dû apprendre à manger moins pimenté.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Tu t'es habituée.

  • Speaker #0

    Exactement. Et je me rappelle de mon professeur, M. Fournat, qui à chaque fois me disait « Ah ben ça, c'est le plat d'Anto, ça. C'est obligé, c'est le plat d'Anto. »

  • Speaker #1

    C'est vrai.

  • Speaker #0

    Et je disais « Mais pourquoi ? » Il dit « Mais regarde comment je suis tout rouge. » Tu as mis beaucoup de piment. Je dis, monsieur, chef, j'ai mis qu'un tout petit peu. Il dit, toi, pour toi, un tout petit peu, c'est beaucoup pour moi. Donc, il y avait ça, mais c'était chouette.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qui t'a le plus marqué, du coup, c'est d'apprendre, tu me parlais de fromage, de vin, etc. C'est quoi pour toi la chose qui t'a le plus marqué ?

  • Speaker #0

    Ce qui m'a le plus marqué dans tout ce processus, c'est que la culinaire, c'est vraiment la connaissance des produits. Le fait qu'en France, on avait vraiment, en tout cas, il y a des personnes, des professionnels qui s'étaient assis et qui avaient commencé à étudier les produits, à dire un bon produit doit être comme ça et pas comme ça. En lequel il y a telle maturité, il y avait vraiment une connaissance des produits et c'était écrit. Là où moi, je venais d'une culture où tout était oral, on ne connaissait pas forcément, je ne connaissais pas forcément. dans le même pays, ce que telle région du Gabon peut manger. Je connaissais moins bien. Et moi, ce qui m'a frappée, c'était vraiment cette connaissance. Et à un moment, je me suis dit, j'aimerais connaître aussi bien les produits de chez moi que les Français connaissent leurs produits de terroir.

  • Speaker #1

    Parce que du coup, au Gabon, tu me disais qu'il y avait une transmission. Donc, toi, tu as appris de ta tante, de ta grand-mère et de ta mère, c'est ça ? Oui. Et du coup, c'est une transmission. purement orale, il n'y a pas de livre de recettes qu'on peut se transmettre de génération en génération ?

  • Speaker #0

    Il n'y a pas de livre de recettes et surtout, il n'y a pas de balance. Ça, c'est par exemple une des difficultés que j'ai eues lorsqu'il a fallu écrire mon premier livre de cuisine, c'est peser. Parce que je n'ai pas grandi avec cette notion de peser. Quand on me disait, il faut mettre un peu de sel, ce n'est pas une pincée, une poignée, il fallait regarder. Donc quand on voyait ce qu'elle prenait dans sa main, il fallait essayer de faire le même geste. Quand on dit il faut mettre un peu d'eau, on ne vous dit pas, ça c'est par exemple quelque chose que j'ai appris à l'école, pour un volume de riz, on met deux volumes d'eau. Moi, je n'ai pas appris ça à la maison.

  • Speaker #1

    Et vous faisiez comment ? Du coup, c'était un peu à l'instant ?

  • Speaker #0

    C'est à l'œil. C'est à l'œil. C'est l'œil qui mesure. Donc c'est...

  • Speaker #1

    Ça doit très bien marcher, même mieux, j'imagine.

  • Speaker #0

    Bah... Après, à force, au début, on se loupe. Au début, on a mis un peu trop. Au début, on a mis un peu moins. Et c'est à force de faire, de pratiquer, qu'on arrive à trouver le juste milieu. Parce qu'il suffit que la taille du récipient change et la quantité change aussi. Donc, c'est à force de faire qu'on apprend. Mais c'est ça. Il y a vraiment cette différence où moi, j'ai appris, que j'ai commencé à apprendre en regardant, en voyant le geste. avant de pouvoir le maîtriser moi. Là où en France, on me disait, maintenant tu pèses, maintenant c'est tendœuf, maintenant c'est comme ça, c'est comme ça. Ou c'est très normé.

  • Speaker #1

    Et tu trouves qu'en France, du coup, ça peut casser un peu cette créativité ou le fait que tout soit normé comme ça, tu vois ça comme quelque chose de plutôt positif ou négatif pour toi ?

  • Speaker #0

    Je pense que c'est quelque chose de positif, cette façon de normer, surtout quand on veut transmettre. Parce que quand on veut faire une recette et qu'on veut que quelqu'un après puisse refaire la même recette et puisse avoir les mêmes résultats, il faut qu'on ait cette notion de chronomètre, de pesée, de grammage et tout ça. Et donc c'est important. Et c'est aussi important d'écrire parce que quand on écrit... Moi, j'aime beaucoup les histoires familiales où on avait l'arrière-grand-père qui avait sa recette de macarons, qui était dans son carnet. Et puis, le grand-père est venu, il a repris la même recette en suivant exactement les mêmes pesées, qui étaient dans le même vieux carnet. Il a peut-être mis d'autres annotations. Et puis le père est venu à repris et le petit-fils et l'arrière-petit-fils. Et c'est la même recette qu'on garde. Et c'est ça qui fait le succès de beaucoup de grandes maisons françaises. C'est le fait qu'on ait écrit, qu'on ait gardé les racines de recettes. Nous, on n'a pas forcément gardé. Et donc, il y a eu beaucoup d'intrants qui ont modifié, qui ont changé beaucoup de choses. Et c'est pour ça que moi, à un moment donné, je me suis dit, il faut écrire. pour que ceux qui viendront après moi ne puissent pas repartir de zéro, mais puissent prendre quelque chose qui existait déjà et continuer avec.

  • Speaker #1

    D'ailleurs, quand tu me dis « faut écrire » , du coup, on a ton magnifique livre que j'ai lu, qui est vraiment magnifique. Les photos sont très belles, c'est super intéressant. Il y a une partie un peu d'histoire au début qui est vachement bien. Tu veux me raconter un petit peu du coup ? Ça, c'est ton deuxième livre que tu as écrit.

  • Speaker #0

    C'est le deuxième livre, Mon Afrique. Et en fait, ce livre est une réponse que je donne à tous ceux qui ont participé à mes cours de cuisine sur Paris et à tous ceux qui se posent les mêmes questions. C'est vrai que depuis 2018, je donne des cours de cuisine africaine sur Paris et j'avais souvent les mêmes questions. Mais Anto, pourquoi dans tel pays, il y a telle recette, mais je vois aussi que dans un autre pays, il y a la même recette. Pourquoi, comment utiliser ce produit ? Est-ce que je suis obligée de faire que des recettes africaines avec ce produit-là ? J'ai vu que dans un magasin, une épice, ça s'appelait comme ça, mais on m'a dit que dans un autre pays... Ça, ça plaît aussi comme ça. Ah ben, je n'arrive pas à faire des papillotes, je n'arrive pas à faire tel geste. Est-ce que tu peux m'expliquer ? Et je me suis rendu compte qu'en France, même si les communautés africaines sont les plus nombreuses, finalement, nos cuisines sont moins connues. Notamment celles qui... les cuisines d'Afrique subsaharienne. Les cuisines du Maghreb, elles sont plus accessibles parce que c'est plus facile d'y aller aussi avec le tourisme. Mais c'est vrai que l'Afrique subsaharienne, en dehors de deux, trois plats, Je pense aussi que si je te demande trois plats sans regarder le livre de tête, c'est souvent les mêmes plats qui reviennent. Et je me dis, ce n'est pas possible qu'on soit aussi nombreux et que finalement...

  • Speaker #1

    On connaît très mal en fait.

  • Speaker #0

    Sachant que les communautés qui viennent d'Asie, que ce soit le Japon, la Chine, la Corée ou l'Inde, finalement les Français connaissent mieux leurs plats que nos plats. Sachant que la France nous a quand même colonisés. Et je me dis, mais c'est incroyable. et Et donc, je me suis dit, il y a besoin de pédagogie. Le fait d'avoir été chef privé chez des particuliers, j'avais l'occasion de poser des questions. Est-ce que vous êtes déjà allé dans un restaurant africain ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui vous freine ? Qu'est-ce qui vous bloque ? Et c'était souvent les mêmes retours. On ne connaît pas, ça a l'air trop gras, on ne connaît pas vos produits, on ne sait pas trop ce que vous faites. Est-ce que vous avez vraiment des produits d'exception ? Qu'est-ce que vous faites ? Et je me suis dit, mais ce n'est pas possible que les gens... On est là, on pense qu'on nous connaît, mais finalement, on ne nous connaît pas. Et donc, ce deuxième livre, c'était répondre à ces questions que les gens se posaient et mettre aussi le produit vraiment au centre. Dans le sens où je parle d'un produit comme la banane plantain. J'explique.

  • Speaker #1

    Je crois que je n'ai jamais goûté la banane plantain, justement. Je ne savais même pas que ça ne se mangeait pas cru, justement, au début. Pour moi, c'est une banane normale, je ne savais même pas qu'il y avait un légume. C'est un légume, c'est ça ?

  • Speaker #0

    C'est un légume,

  • Speaker #1

    oui. C'est fou, qui ressemble exactement à la banane de fruit.

  • Speaker #0

    Exactement. Et en tout cas, par exemple, quand il y a des bananes plantain, il y en a qui tentent de l'éplucher comme la banane de fruit. Et je dis non, mais ce n'est pas la même façon d'éplucher. Sachant qu'en plus...

  • Speaker #1

    Ça m'a donné tellement envie de découvrir le goût de la banane plantain.

  • Speaker #0

    En fonction du type de la recette que vous voulez faire, ce n'est pas la même banane plantain que vous allez utiliser. C'est pour ça que dans le chapitre...

  • Speaker #1

    La maturation, c'est ça ?

  • Speaker #0

    Exactement. C'est pour ça que j'explique, suivant la recette, je dis, attention, si vous voulez faire tel type de choses, c'est tel type de maturation. Mais ce n'est pas toujours expliqué. On va vous dire, prenez une banane plantain. Quelqu'un qui ne connaît pas, il va prendre la banane qu'il a trouvée et après il me dit, mais ça n'a pas fonctionné.

  • Speaker #1

    C'était super bien expliqué, franchement. Et donc,

  • Speaker #0

    voilà, les cours de cuisine m'ont aidé à être plus pédagogue, plus indulgente. Parce que je dis toujours aux gens, il n'y a pas de question bête. La question bête, c'est celle qu'on ne pose pas. N'hésitez pas, c'est normal que vous ne connaissiez pas, que vous ne compreniez pas. Moi, je suis là pour répondre à vos questions.

  • Speaker #1

    Avant d'entrer dans le vif du sujet, le Deep Dive est un podcast bienveillant où l'on va à la rencontre d'invités au parcours inspirant. Chaque semaine, je vous emmène avec moi pour explorer la partie immergée de l'iceberg. Le concept est simple, un invité, trois niveaux de discussion. A chaque niveau, l'invité choisit un ou deux badges parmi quatre animaux polaires. directement sur la tablette. On commence en surface avec la partie émerger de l'iceberg, des questions plus légères pour apprendre à mieux connaître l'invité. Ensuite, on passe en mode deep dive. Direction la partie immerger de l'iceberg, puis dans les abysses pour des échanges de plus en plus deep. On vous laisse découvrir, c'est parti, l'exploration commence ici. Je te laisse faire. D'accord. Tu peux cliquer dessus directement.

  • Speaker #0

    Alors, je vais partir sur l'ours.

  • Speaker #1

    Donc là, on a justement, on était dessus, un de tes posts Instagram. Donc ça, c'est ton premier livre, Goût d'Afrique.

  • Speaker #0

    Goût d'Afrique, oui.

  • Speaker #1

    Alors, dis-moi un petit peu, explique-moi la différence. Du coup, je n'ai pas eu la chance de feuilleter Goût d'Afrique. J'ai regardé mon Afrique. C'est quoi la différence ? Explique-moi un petit peu la différence entre les deux livres.

  • Speaker #0

    Alors, la différence entre les deux, Goût d'Afrique, on va avoir beaucoup de recettes traditionnelles. On va avoir quelques... Alors, surtout dans les desserts, des recettes qui vont être... inspiré de recettes françaises, mais retravaillées avec des produits d'Afrique. Donc ça, c'est beaucoup dans les desserts parce que culturellement, on n'a pas cette technicité de dessert. En dehors des pays du Maghreb qui vont avoir vraiment toute cette connaissance avec les pâtisseries orientales et tout ça, nous, en Afrique subsaharienne, on a des plats sucrés, mais qui ne sont pas des pâtisseries, qui ne sont pas des desserts.

  • Speaker #1

    Génial. Je te laisse peut-être choisir un deuxième badge.

  • Speaker #0

    L'Otari. Donc ça, c'est une photo du tchiboudier, le riz au poisson, qui est une recette sénégalaise et qui est une recette qui a eu beaucoup de variantes dans le monde, que peu de gens connaissent. On a par exemple le jambalaya, qu'on va retrouver notamment en Caroline du Sud, en Louisiane, qui est un plat qui ressemble beaucoup. à ce plat-là, donc à base de riz, mais au lieu de poisson, on va avoir différents morceaux de viande avec des légumes et des épices. Et c'est un plat qui montre que l'Afrique a eu de l'influence à l'international, dans le sens où les esclaves, lorsqu'ils ont été déportés, en fait, ils ont amené aussi leur connaissance sur le travail de certains produits, de certaines épices. Et c'est pour ça que lorsqu'on va dans certains pays où il y a eu des esclaves noirs, on va retrouver des plats qui ressemblent beaucoup à des plats qui sont d'origine africaine.

  • Speaker #1

    Ok, super intéressant. Ça a l'air, en plus, extrêmement appétissant sur la photo. Du coup, on va rentrer en mode deep dive. Oui. Alors, je vais te laisser cliquer sur le mode deep dive, donc tout en bas, quand tu veux.

  • Speaker #0

    Deep dive.

  • Speaker #1

    Donc on est maintenant en mode deep dive, comme tu peux le voir. Est-ce que tu peux nous présenter, du coup les invités nous ramènent souvent un objet qui est important pour eux, qui a une histoire. N'hésite pas à nous présenter cet objet.

  • Speaker #0

    Alors cet objet, c'est mon tout premier livre de cuisine, La cuisine au pays du soleil. C'est pour ça qu'il est tout vieux, déchiré et tout. Avec quel âge ? Dès 9 ans, c'est le premier livre que ma mère m'a donné. Avec les recettes que j'ai fait le plus, il y a des traces. de farine, d'huile séchée et tout ça. Ça c'est la partie que j'ai fait le plus quand je faisais notamment mes gâteaux que je revendais à l'école.

  • Speaker #1

    On voit que c'est la partie que tu fais le plus, elle est presque colorée. Elle est à la partie de la sécher et tout ça.

  • Speaker #0

    Parce que c'est ce que je faisais pour vendre à l'école.

  • Speaker #1

    Donc c'est grâce à ces deux pages que tu es devenue la femme, la grande chef que tu es.

  • Speaker #0

    En tout cas, je me faisais un salaire presque de fonctionnaire. C'est tout bien. Mon tout premier. Et si tu remarques bien, il n'y a pas de photo. Contrairement au livre de cuisine d'aujourd'hui, où on a des photos, des pas à pas, on sait à quoi ça doit ressembler à la fin. Là, il n'y a pas de photo. Et donc, ça a laissé vraiment libre cours à l'imagination. Donc quand on faisait, on ne savait pas trop ce que ça ressemblait. C'est rigolo. Et voilà, c'est vraiment mon tout premier que je garde précieusement.

  • Speaker #1

    Très beau, très joli livre. Du coup, donc là, mode deep dive, on a quatre hauts de badge. Donc pour rappel, plus on descend, plus les questions sont deep. Je te laisse choisir un des quatre badges.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Chef Anto, j'ai une question pour toi. Quand on enlève la veste des cuisiniers, qu'est-ce qu'on trouve en dessous ? Quelle personne ? Donc qui es-tu ? Chef Anto, justement tu me disais que les gens t'appelaient souvent Chef Anto, Chef Anto. Même tu me disais, tiens, appelle-moi Anto. Oui. Donc qui es-tu sous cette toque ou derrière la chef que tu es ?

  • Speaker #0

    Derrière la chef que je suis, je suis juste Anto. Je suis une maman, je suis... Aussi, j'aime beaucoup la musique. J'écoute notamment tout ce qui est musique, que ce soit le jazz, le gospel, ce type de musique. J'aime beaucoup les voyages et d'ailleurs, je suis contente d'avoir trouvé un métier qui me permette aussi de voyager. J'aime beaucoup, je suis une fan d'histoire. regarder les émissions, les documentaires comme secrets d'histoire où on raconte un peu la vie des gens, comment ils ont vécu.

  • Speaker #1

    En parlant de documentaires, c'est vrai qu'on a peu parlé justement de tes émissions parce que tu fais beaucoup d'émissions de télé, donc Échappée Belle sur France 5 et sur Canal Plus Afrique.

  • Speaker #0

    Alors, l'Afrique a du goût sur Canal Plus Afrique.

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de tes émissions ? Raconte-nous un petit peu comment ça se passe.

  • Speaker #0

    Alors, les émissions que je fais, ce sont des émissions où je fais découvrir un pays ou une région à travers la cuisine. Donc, j'ai commencé sur Canal+, Afrique. La première émission s'appelait « Rendez-vous avec le chef Anto » . Et à chaque fois, on partait dans une région ou un pays d'Afrique, pour le coup. Et le but, c'était de faire découvrir des recettes, des produits du terroir et d'apprendre des techniques de cuisine. Et c'est pour ça que moi, j'avais demandé quand on m'a proposé de faire cette émission d'aller dans les villages, parce que c'est là-bas où il y avait encore cette connaissance de produits traditionnels. On respecte encore les recettes traditionnelles. Et ce qui était marrant, le défi à la fin de l'émission, c'est que je devais cuisiner de façon gastronomique pour les personnes qui m'avaient reçu. alors c'était toujours très amusant parce que Souvent les femmes me regardaient en me disant « Mais tu ne sais pas cuisiner, ce n'est pas comme ça qu'on travaille tel produit. » Ça peut être.

  • Speaker #1

    Je te laisse choisir peut-être un deuxième badge du coup sur les quatre. Le dernier badge sur le… Salut Chef Anto, j'espère que tu vas bien. Je voulais savoir quelle est ta plus grande peur ?

  • Speaker #0

    Ta plus grande peur ?

  • Speaker #1

    Ma plus grande peur ? Je dirais que ma plus grande peur, c'est de ne pas réussir à transmettre, notamment à mes enfants, cette connaissance culturelle, en tout cas qui n'arrive pas à saisir, cette connaissance que je peux avoir du continent africain. Parce que je me rends compte aujourd'hui que mes enfants sont des métisses culturelles. c'est-à-dire qu'ils sont africains mais ils grandissent dans un pays français.

  • Speaker #0

    On est en France ? On est en France.

  • Speaker #1

    Tu as plein d'enfants,

  • Speaker #0

    excuse-moi ?

  • Speaker #1

    J'en ai deux, j'ai deux garçons. Et c'est vrai que comme beaucoup de jeunes qui sont nés en France, notamment de jeunes afro-descendants, ils sont un peu comme des chauves-souris. C'est-à-dire qu'ils ont du mal à trouver leur place. En France, des fois, ils ont l'impression de ne pas être assez français. Et quand ils vont en Afrique, ils ont l'impression, en tout cas dans les pays d'Afrique où ils vont, de ne pas être assez africains. Et donc, d'appartenir en fait à...

  • Speaker #0

    Je pense à un de mes meilleurs potes qui est algérien, qui est né en France. Il me disait effectivement pareil qu'en France, il se sentait un peu algérien. En Algérie, on se sent tant qu'il est français.

  • Speaker #1

    Exactement. Déjà, je sais que par exemple, mes garçons, quand ils vont au Gabon, à cause de leur accent, parce qu'ils vont avoir l'accent parisien, on va dire « Ah, mais t'es pas d'ici » . Et quand ils sont ici, « T'es pas d'ici non plus » . Donc, il y a ce côté où on recherche un peu une identité. Donc, ça fait, comme je dis, des métisses culturelles. et c'est... Le but, c'est de leur transmettre. C'est pour ça que j'essaye de leur parler, notamment dans ma langue maternelle, de leur parler beaucoup du Gabon, de les emmener aussi en voyage pour qu'ils voient.

  • Speaker #0

    Tu as peur qu'ils perdent cette identité,

  • Speaker #1

    leurs origines gabonaises ? Oui, j'ai peur qu'ils le perdent. C'est pour ça que j'essaye de les emmener le plus souvent possible et qu'ils soient vraiment en immersion. Et quand on a une immersion, je dis tout ce que vous connaissez de la France, on oublie ici. Il n'y a pas de dessert, il n'y a pas de crème de serre, on mange local. Qu'ils arrivent à s'adapter. Et c'est vrai que c'est, en tout cas pour moi, c'est une grande peur.

  • Speaker #0

    Ouais, ok, super intéressant. Par rapport au fait d'être une femme noire justement dans le milieu de la cuisine, comment tu as vécu justement tout ça par rapport à ça ?

  • Speaker #1

    Alors moi, je l'ai plutôt bien vécu. Je pense que j'ai eu de la chance parce que je sais que tout le monde n'a pas vécu de la même façon. J'ai eu la chance d'avoir des super maîtres de stage qui m'ont pris tout de suite sous leur aile. Parce que dans tous les endroits où j'étais, j'étais souvent la seule noire de la classe. Peut-être la seule noire en cuisine. Là où la plupart du temps, les Noirs on les trouvait, c'était les femmes de chambre, c'était les femmes de ménage, c'était le plongeur, là moi j'étais dans l'équipe de cuisine et j'ai eu la chance d'avoir notamment dans toutes les maisons où je suis passée, tous les chefs que j'ai rencontrés, de me prendre sous leurs ailes. Là où c'était plus compliqué, c'était lorsque je parlais des cuisines de chez moi. et que je voyais qu'il n'y avait pas forcément d'intérêt. Je pense notamment à une grande maison parisienne où on avait ce qu'on appelait la Bible. C'était un gros traiteur parisien. On a la Bible et la Bible, chez les traiteurs, c'est en fait le référencement de tous les produits, de toutes les pièces cocktail, de tous les plats qu'on sert. Et à chaque fois qu'il y avait, par exemple, Asie ou Maghreb ou même pâtisserie orientale, En fait, cette maison-là sous-traitait à des personnes originaires de la région et qui leur faisaient des pièces ou des plats ou une animation qui était en adéquation avec leur niveau de gamme. C'est-à-dire, comme c'était très haut de gamme, ils avaient des sous-traitants qui arrivaient à leur faire des choses qui correspondaient à leur niveau de gamme. Mais dès qu'on était sur l'Afrique, notamment subsaharienne, en fait, les chefs inventaient des recettes.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    C'est incroyable, ça. Moi, je me disais, mais... Ça, ce n'est pas africain, mais ça qui vous a dit que c'est de chez nous, ça, ce n'est pas de chez nous et tout ça. Et en fait, il me disait, mais on n'a pas de... Déjà, il n'avait pas d'entreprise, en tout cas, il ne pouvait pas sous-traiter à une entreprise qui pouvait répondre à leurs exigences. Il n'en trouvait pas. Il disait qu'on ne connaît pas vos produits, il n'y a rien d'écrit. Et c'est vrai qu'à cette époque-là, même les blogs, il n'y avait pas de blog qui parlait de nos cuisines, il n'y avait pas d'émission, il n'y avait pas de livre, il y avait très peu de livre.

  • Speaker #0

    Ah ouais, c'est fou.

  • Speaker #1

    Et je sais que par exemple, en 2019...

  • Speaker #0

    C'était quoi ? Il y a 15 ans, 20 ans ?

  • Speaker #1

    Il y a... On parle de... On était aux alentours de 2010. Donc oui, il y a 15 ans. Et je me rappelle quand j'ai voulu écrire « Goût d'Afrique » parce que le goût d'Afrique... C'est Aline Princes, qui est photographe culinaire, qui me contacte, qui me dit, moi, elle a un enfant qui est franco-béninois. Et elle me dit, moi, j'ai beaucoup voyagé en Afrique. J'ai fait beaucoup de livres. J'ai photographié beaucoup de recettes pour des livres de cuisine, mais je n'ai jamais photographié de recettes pour un livre de cuisine avec des recettes africaines. Que ce serait bien, est-ce que vous serez partante pour écrire des recettes ? Et je dis complètement, mais on a eu du mal à trouver une maison d'édition.

  • Speaker #0

    C'est fou, ça. Parce que...

  • Speaker #1

    À cette époque-là, on était en 2018, les maisons d'édition disaient « l'Afrique, ça ne vend pas, personne n'achètera, personne ne s'y intéresse » . Et je me pense à une grande maison d'édition qu'on est allé voir et qui n'a pas voulu du projet. C'est Mango, qui est spécialisé notamment dans tout ce qui est cuisine du monde, qui nous a dit « c'est vrai qu'on a fait tous les continents, mais on n'a rien de l'Afrique subsaharienne, donc on pense que ça peut marcher » . Et finalement, ça a été un best-seller au point où ça a été traduit en allemand, ça a été traduit en anglais américain et par une autre maison d'édition en anglais britannique et bientôt en espagnol.

  • Speaker #0

    Bravo, félicitations.

  • Speaker #1

    Déjà, on a eu des super photos. Jusqu'à présent, livre de cuisine africaine et photos, ça ne donnait pas envie.

  • Speaker #0

    C'est la même que sur ton deuxième livre, du coup ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est Aline qui a fait aussi les photos du deuxième livre.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas vu le premier, mais celle du deuxième, les photos sont extraordinaires. C'est magnifique.

  • Speaker #1

    Et en plus, on a eu la chance d'avoir aussi une styliste culinaire qui n'y connaissait rien des cuisines d'Afrique et qui a aussi mis en scène. Moi, je lui racontais les histoires, je lui amenais les produits et elle a su aussi faire des jolies mises en scène avec les produits, avec les plats. Et donc, c'est vraiment ce que j'ai rencontré. C'est que dès qu'on parlait d'Afrique, même si en tant que Noir, je n'avais pas de soucis pour travailler ou de... Mais dès qu'on parlait de cuisine ou de produits, les gens trouvaient que ce n'était pas vraiment intéressant. Les gens étaient un peu dédaigneux en disant, ben non, l'avenir, c'est l'Asie. On parlait du yuzu, du matcha.

  • Speaker #0

    Mais comment tu expliques justement, par rapport à ça, que les cuisines... Mouah ! justement asiatiques ou même indiennes, sont beaucoup plus démocratisées que les cuisines africaines ?

  • Speaker #1

    Il y a eu plusieurs choses. Déjà, ce sont des pays où on peut aller facilement en tourisme. Si vous voulez aller en Inde, si vous voulez aller en Chine, vous avez moins de difficulté à avoir un visa pour aller là-bas que si vous voulez aller dans un pays d'Afrique subsaharienne. Le tourisme est déjà un peu plus développé dans ces pays-là. Ça veut dire qu'un Français lambda, il part avec son sac à dos s'il veut aller Il va trouver des informations sur internet, ou dormir, ou loger. C'est plus ou moins organisé. Nous, chez nous, c'est beaucoup moins. En dehors de quelques pays qui ont vraiment compris, comme le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Rwanda, qui sont en train de miser ces dernières années sur le tourisme, parce qu'ils se rendent compte que quand les touristes viennent, il y a aussi un impact financier. Parce qu'un touriste qui vient, c'est quelqu'un qui mange, c'est quelqu'un qui dort, c'est quelqu'un qui se déplace. Et donc, il y a tout ça. toutes ces structures dans lesquelles il faut investir parce qu'on met de l'argent dedans. Il y a ce côté-là. La deuxième chose, c'est que quand on va dans... Et tous les Chinois ou les Indiens vous diront ce que vous mangez dans un restaurant indien à Paris, ce n'est pas la même chose que vous mangerez en Inde.

  • Speaker #0

    Vraiment, c'est...

  • Speaker #1

    Parce qu'ils ont adapté.

  • Speaker #0

    C'est occidentalisé.

  • Speaker #1

    Ils ont adapté. C'est qu'à un moment donné, ils ont vu que les Français, ils aiment... tel type de choses, on va leur proposer ça.

  • Speaker #0

    Je ne savais pas qu'ils avaient adapté à ce point-là.

  • Speaker #1

    Ils ont adapté. Moi, je suis allée, par exemple, dans des restaurants chinois aux États-Unis, restaurants chinois en Australie, restaurants chinois au Gabon. Ce n'est pas la même chose. Ça n'a rien à voir. C'est incroyable,

  • Speaker #0

    je ne savais pas.

  • Speaker #1

    Chaque pays, ils ont adapté par rapport à ce que les gens aiment. Nous, quand on est venus, on a dit, chez nous, c'est comme ça qu'on mange ça. On adapte. pas. On mange ça comme ça. Et donc, pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être... Vous avez bien fait. J'imagine. Alors, pour des Africains...

  • Speaker #0

    C'est très adapté, je trouve, la nourriture en France.

  • Speaker #1

    Je suis d'accord, mais pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être un frein. Quand vous mangez français dans les pays étrangers, ce n'est pas la même chose qu'en France. On vous dira toujours, si vous voulez manger vraiment français, allez en France. Mais vous avez un aperçu qui vous donne envie de découvrir ce qui se passe vraiment en France. Et donc, nous, c'est ce qu'on aurait dû faire. C'est de se dire, c'est un aperçu. Si vous voulez vraiment manger sénégalais, allez au Sénégal. Si vous voulez vraiment manger un plat du Congo, allez au Congo. Mais c'est un aperçu de ce que vous pourrez découvrir.

  • Speaker #0

    Parce que justement, par rapport au cliché de la nourriture africaine, il y en a quand même pas mal. C'est quoi pour toi les clichés principaux ?

  • Speaker #1

    Alors les clichés principaux c'est « ah c'est trop gras, vos cuisines sont trop grasses » . Moi à chaque fois je dis « mais la mayonnaise c'est pas africain et pourtant ça vous gêne pas » .

  • Speaker #0

    Et pourquoi on dit que… moi mon frère il cuisine beaucoup, j'en discutais avec lui, il m'expliquait que c'était pas plus gras que la cuisine française, mais c'est qu'en France on faisait beaucoup d'émulsions, donc on voyait moins le…

  • Speaker #1

    Exactement, en France il y a cette technique qui fait… qu'on travaille le gras d'une façon à ce qu'on ne le voit pas.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. Mais pourtant, ça reste...

  • Speaker #1

    Mais ça reste gras. Je veux dire, un foie gras, c'est gras. Oui, c'est sûr. C'est gras, mais la façon dont il est présenté, on ne voit pas le gras. Donc, il y a beaucoup d'émulsions, que ce soit dans les sauces, les béarnaises, les mornées. Enfin, on est toujours en train d'émulsionner. Et donc, ce gras, on ne le voit pas. Ce qui, nous, n'est pas... L'émulsion n'est pas une technique de chez nous. et donc Culturellement, ça ne nous gêne pas de voir ce gras-là. Il y avait, par exemple, c'est trop pimenté. Et moi, je dis, mais nous, on est des petits joueurs. Un Mexicain, en moyenne, mange 15 kilos de piment par an. Un Thaïlandais, en moyenne, mange 8 kilos de piment par an. Là où, on va vous dire, un Camerounais ou un Togolais, il va être à 5 kilos par an. Le piment ne devrait pas être un frein parce qu'on est... pas les plus gros joueurs sur l'utilisation du piment. Après, on va avoir des préjugés sur, on n'a pas forcément de produits nobles. Et ça encore, c'est une méconnaissance. Moi, je me suis beaucoup...

  • Speaker #0

    Quand on parle de produits nobles, tu dirais que c'est quoi exactement justement ?

  • Speaker #1

    Quand on parle de produits nobles, par exemple, je pense au miel d'Oku, qui est un miel rare, qui est blanc, ressemble en couleur à de la vaseline, mais qui est du miel qu'on va retrouver au Cameroun. On a le poivre de Penja qui vient du Cameroun aussi. On a le café des montagnes Ziaman qui vient de Guinée, Conakry. On a l'ananas peint de sucre du plateau d'Alada qui on trouve au Bénin. On va avoir la tiequée des lagunes en Côte d'Ivoire. Donc on a, on commence à avoir en tout cas, des produits avec des appellations. Après, on a aussi des épices qui sont vraiment, alors qui sont peu connues. C'est pour ça qu'on ne sait pas que c'est noble. Je pense notamment aux graines de Néré. C'est un produit typique d'Afrique qu'on trouve dans les villages, que malheureusement, nous, Africains, comme c'est dans notre quotidien, on néglige. Et que moi, j'essaye de rendre leur lettre de noblesse, notamment dans l'épicerie que j'ai ouverte.

  • Speaker #0

    Justement, j'allais t'en parler. Baraka, c'est ça ? Baraka, oui. Raconte-nous un petit peu. Tu as ouvert ça il y a quelques mois, je crois, non ?

  • Speaker #1

    Il y a quelques mois.

  • Speaker #0

    J'ai vu les photos, c'est magnifique.

  • Speaker #1

    Alors aujourd'hui, ça fait six mois. Alors déjà, Baraka, c'est le nom d'un quartier à Libreville. parce que j'ai souvent des... des amis arabes qui vont me dire, « Oh, Baraka, ça veut dire la bénédiction ou la chance et tout. » Je dis, « Ah, ben moi, ça vient d'abord d'un quartier à Libreville. » Parce que les premiers explorateurs à avoir découvert le Gabon, c'était des Portugais. Et donc, on a beaucoup de quartiers ou de villes au Gabon qui ont des noms portugais. Et Baraka veut dire en français « barak » . C'était en fait des cases, des huttes, où à l'époque de l'esclavage, on mettait les esclaves. parce que c'est un quartier qui n'est pas loin de la mer. Et avant de les mettre dans les bateaux, on parquait les esclaves dans ces baracas. Et donc, le quartier a eu le nom Baraka. Sauf que Baraka, c'est le quartier où ma grand-mère vivait. Et c'est là-bas où je passais toutes mes vacances quand j'étais enfant. Et où j'ai mes meilleurs souvenirs d'enfance, d'odeurs, de plats, de casse-cou, de ce qu'on a pu faire avec les frères, les cousins, les cousines. et quand j'ai voulu ouvrir Une épicerie fine, le nom Baraka pour moi était une évidence parce que cette épicerie fine c'était pour raconter un peu tous les souvenirs que j'ai ramenés de mes voyages. Ok. Voilà.

  • Speaker #0

    Ça a l'air magnifique en tout cas, quand j'ai regardé un petit peu les produits etc. ça donne vraiment envie de découvrir, c'est super joli ouais. Les photos,

  • Speaker #1

    les… C'est des produits déjà j'avais… c'était aussi, en tout cas cette épicerie, une réponse à beaucoup de clients. Parce qu'à la fin des cours de cuisine, ils me disaient « Anton, on veut acheter les produits » .

  • Speaker #0

    C'est vrai, là tu me parles de tellement de produits, j'ai envie de tout découvrir en fait.

  • Speaker #1

    Et à chaque fois, ils me disaient « On a utilisé tel épice, où est-ce que je peux acheter ? » Non, moi je les envoyais à Château Rouge. Je me disais « Allez à Château Rouge, allez trouver, allez dans telle boutique » . Et naïvement, je les envoyais là-bas. Et un jour, je discute avec un, il me dit « Tu sais, tu m'as envoyé à Château Rouge, mais franchement, si toi tu ouvres une boutique, moi je vais venir acheter chez toi. »

  • Speaker #0

    Ok, génial.

  • Speaker #1

    Parce qu'à Châteaurouge, on ne nous donne pas forcément le conseil. On ne prend pas forcément le temps de nous expliquer.

  • Speaker #0

    Parce que c'est pour les habituer, j'imagine.

  • Speaker #1

    Et puis, des fois, tout est dans un coin. Nous-mêmes, on doit chercher, on ne nous aide pas. Donc, pour quelqu'un qui ne connaît pas, ça peut être un frein. Et alors que ceux qui viennent à Baraka, en général, quand ils viennent prendre une épice, je leur explique que c'est... Les épices ou ce produit, ils ne sont pas obligés de l'utiliser pour réaliser une recette africaine. Ils peuvent l'utiliser dans leur quotidien, leur recette de tous les jours. Par exemple, les graines de Néré qui ont un goût de fromage. Je dis, une sauce tomate avec vos gnocchis, vous mettez ça, vous avez un goût de fromage.

  • Speaker #0

    Tu l'as chez Baraka du coup les graines de Néré ?

  • Speaker #1

    Les graines de Néré.

  • Speaker #0

    J'ai fait un petit tour du coup. Bien sûr. J'ai envie de découvrir ça.

  • Speaker #1

    Il y a une autre graine qu'on appelle rondelle qui donne un goût de truche. J'ai une écorce qui fait penser à l'ail des ours. On a des choses qui sont vraiment des produits de forêt ou qui poussent dans des zones semi-arides.

  • Speaker #0

    Ok, génial. On va aller dans le dernier mode, donc encore un peu plus en profondeur. D'accord. Donc là, je te laisse choisir, pareil, un des quatre badges.

  • Speaker #1

    Un des quatre badges.

  • Speaker #2

    Salut Antho, il y a quelques temps tu as eu l'occasion d'avoir ton propre restaurant, finalement ça s'est pas fait et on sait que le Graal du cuisinier en France c'est le Michelin, j'aimerais avoir ton avis là dessus et est ce que tu regrettes de ne pas avoir eu ton lieu pour pouvoir justement un jour peut-être prétendre au Guide Michelin, à l'étoile du Guide Michelin ?

  • Speaker #0

    Voilà donc déjà on peut dire qui c'est donc c'est C'est la personne avec qui tu fais l'émission du coup sur Canal plus Afrique ?

  • Speaker #1

    Exactement, Kossi Modeste, on te connaît depuis dix ans maintenant. Et c'est l'une des toutes premières personnes à m'avoir fait confiance aussi dans le milieu. Et il venait de sortir un magazine, Afro Cooking. Et donc moi, j'écrivais beaucoup de recettes pour le magazine. Et c'est vrai que c'est une personne avec qui je travaille beaucoup et qui n'a pas peur aussi, parce que ça c'est bien aussi d'avoir quelqu'un à côté de toi qui vous dit la vérité. C'est-à-dire quand vous commencez à prendre la grosse tête, à vous dire vos quatre vérités, vous vous faites défendre.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Et c'est l'une des rares personnes qui a ce pouvoir en tout cas sur moi. Et c'est vrai, en 2023 j'ai été contactée pour ouvrir un restaurant. Pour moi, c'était une sorte d'aboutissement. En fait, tout cuisinier, à un moment donné, a envie d'avoir son lieu pour pouvoir faire sa cuisine, accueillir les gens. Surtout que j'avais souvent des appels après les émissions. Où est-ce qu'on peut goûter votre cuisine ? Où est-ce qu'on peut vous trouver ? Parce que j'étais beaucoup itinérante à me déplacer, aller soit chez des particuliers, soit dans des lieux qui ont été privatisés et tout ça. Mais c'est vrai, c'est quelque chose, c'est un rêve que je nourris secrètement. Alors pas forcément pour avoir une étoile au guide Michelin, même si je sais que c'est important, c'est une distinction importante, mais déjà pour faire découvrir les cuisines et les produits que le continent africain a à offrir. Parce que je me rends compte qu'il y a tellement de choses qu'on pourrait proposer, mais que les gens ne connaissent pas.

  • Speaker #0

    J'imagine. Génial, peut-être qu'on va regarder du coup une deuxième question. Normalement on ne fait pas plus que deux mais il y en a quatre au total donc je vais choisir au hasard celle que tu veux. Voilà, question supplémentaire.

  • Speaker #2

    En tant que chef de cuisine, est-ce qu'il t'est arrivé de préparer quelque chose à la maison et ta famille t'a dit que c'était pas bon ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est déjà arrivé, oui, c'est déjà arrivé, c'est déjà arrivé et les juges les plus terribles, ce sont les enfants.

  • Speaker #0

    T'imagines, ils ont quel âge d'ailleurs ?

  • Speaker #1

    10 ans et 4 ans, dire ah ça sent trop fort, ah mais c'est quoi ton truc, ah mais c'est pas bon et tout. Alors j'ai mon mari qui lui va rien dire parce qu'il est pour la paix des ménages, mais je vais voir à sa réaction que voilà ça passe pas, mais les enfants ils vont être... Tout de suite intransigeant en disant « Ah non mais nous on n'aime pas et tout, mais ton truc... »

  • Speaker #0

    Ah la la...

  • Speaker #1

    Et des fois même, j'ai l'aîné qui va me dire, mais Sarah, tu nous fais manger, africain, africain, tu sais, on est aussi français. C'est vrai,

  • Speaker #0

    il t'a dit ça ? Ah, c'est drôle.

  • Speaker #1

    Des fois, ils vont me dire ça et tout, je dis oui, mais d'accord. Mais si, c'est arrivé déjà.

  • Speaker #0

    Et tes enfants, justement, ils préfèrent quel type de cuisine ? C'est quoi leur préférence ?

  • Speaker #1

    Alors l'aîné, lui, il va être beaucoup sur la cuisine française.

  • Speaker #0

    OK.

  • Speaker #1

    Beaucoup. Là où le deuxième, lui, il est beaucoup sur les plats africains. Après, il s'adapte aussi.

  • Speaker #0

    T'aimerais bien qu'il fasse quelque chose dans la cuisine plus tard ou ça t'est égal ?

  • Speaker #1

    Non, moi ça m'est égal qu'il fasse quelque chose dans la cuisine. En revanche, ils sauront cuisiner. Parce que dès le deuxième qui a 4 ans et puis l'aîné dès qu'il avait 4 ans aussi, avec moi en cuisine...

  • Speaker #0

    C'est encore plus tôt qu'au Gabon parce que toi tu me disais que c'était 9 ans au Gabon. Oui,

  • Speaker #1

    au Gabon c'était 9 ans. Mais pour être en France,

  • Speaker #0

    c'est 3 ans,

  • Speaker #1

    4 ans.

  • Speaker #0

    4 ans,

  • Speaker #1

    pas tout l'été. tourner, pour regarder. Je veux qu'il soit le plus autonome possible. Et donc ça, c'est quelque chose que je veux qu'il qu'il ait.

  • Speaker #0

    C'est sûr. Et d'ailleurs, par rapport à ça, justement, vu que toi, tu as deux fils, au Gabon, c'est plutôt les femmes qui cuisinent ?

  • Speaker #1

    Oui, au Gabon, enfin, en tout cas, dans ma culture, les garçons ne doivent pas aller en cuisine. Il y a même des cultures où c'est interdit. Ah oui, c'est interdit. Un homme en cuisine, c'est la honte. Ah oui, après c'est culturel. Ce qui fait qu'il y en a beaucoup quand ils viennent en France et qu'ils font même cuisinier comme job étudiant, ils ne le disent pas à leurs parents. C'est un truc de femme. On va avoir dit, attends, t'as allé faire un truc de femme et tout, t'es un homme. Donc, il y a encore cette culture-là. Et moi, je disais non. À chaque fois, je leur dis, vos conjointes, vous me remercieront parce que vous saurez faire tout ce qu'une femme sait faire, vous saurez le faire.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, par rapport à ça, comment tu expliques qu'en France, alors je ne sais pas pour les autres pays, mais que les plus grands chefs étoilés sont des hommes pour la majorité ?

  • Speaker #1

    Pour la majorité ?

  • Speaker #0

    Je n'ai jamais su.

  • Speaker #1

    Après, ce n'est pas qu'en France.

  • Speaker #0

    C'est vraiment dans le monde entier ?

  • Speaker #1

    Dans le monde entier, la plupart des chefs, ce sont des hommes. Moi, je sais qu'en 2010, quand j'ai voulu rentrer au Gabon, on m'a dit qu'on ne voulait pas de femme au poste auquel je prétendais. Malgré mon CV, malgré mes compétences, ils voulaient un homme. Alors d'une part, ça s'explique parce que les femmes elles-mêmes renoncent à la carrière pour avoir une vie de famille. Parce qu'à un moment donné, c'est un choix qui s'impose. Et souvent, lorsqu'on veut avoir des étoiles, lorsqu'on veut… voilà. Surtout quand on est très jeune, on met le côté familial de côté. C'est aujourd'hui qu'on commence à avoir des chefs étoilés qui ont des enfants. pendant longtemps.

  • Speaker #0

    Ils n'avaient pas d'enfants ?

  • Speaker #1

    Non, elles n'avaient pas d'enfants et féminines. Les chefs étoilés et féminines parce que moi, je me rappelle quand j'étais à l'école, il ne fallait pas ressembler à une fille, il fallait ressembler à un garçon. Il ne fallait pas se maquiller parce que dès que vous étiez un peu maquillée, les autres en cuisine vous charriaient et tout.

  • Speaker #0

    Il y a quand même du sexisme. Donc,

  • Speaker #1

    il fallait se fondre un peu dans la masse. Voilà. Et donc beaucoup ont renoncé à la carrière professionnelle pour... parce qu'elles voulaient avoir une vie de famille, parce qu'à un moment donné, il fallait choisir. C'est un métier très difficile aussi. Il y a beaucoup, dans certaines cultures, des hommes qui ne veulent pas dire « oui chef » à une femme.

  • Speaker #0

    Ah oui, c'est vrai. Ah bah oui.

  • Speaker #1

    Qui ne veulent pas dire « oui chef » à une femme. Et donc quand vous avez un chef-femme, il y en a qui le vivent... qui ne le vivent pas bien. Donc il y a eu... toutes ces explications-là qui ont fait que les hommes ont été plus mis en avant que les femmes. Mais ça commence à changer. Maintenant, les femmes sont de plus en plus cherchées en cuisine.

  • Speaker #0

    C'est cool, c'est l'attent. Bien sûr. C'est chouette. Et d'ailleurs, par rapport à ça, toi, est-ce que tu as des chefs qui t'inspirent ? C'est qui les chefs que tu préfères ?

  • Speaker #1

    Alors, les sources d'inspiration de chefs, au départ, c'était ma grand-mère. parce que Elle avait ce truc où quand on lui demandait alors qu'est-ce que tu as cuisiné aujourd'hui, elle disait dans ma langue, en fait la traduction littérale c'est dire je n'ai que mes deux seins, pour dire en fait j'ai pas grand chose en fait. Et avec son pas grand chose, à chaque fois je lui disais mais toi ton pas grand chose, finalement c'est très bon.

  • Speaker #0

    Ah c'est génial.

  • Speaker #1

    Et elle arrivait toujours à faire des choses exceptionnelles.

  • Speaker #0

    C'est ce que tu fais d'ailleurs dans tes émissions, souvent tu cuisines chez les gens avec ce qu'ils ont non ?

  • Speaker #1

    Avec ce qu'ils ont. Oui c'est ça. Oui oui c'est ça. C'est ça le défi c'est de se dire avec le matériel qu'ils ont, avec les produits qu'ils ont, comment je fais pour faire quelque chose de bien. Et là où aujourd'hui les gens n'arrivent plus à travailler sans leur super robot, sans l'épice qui vient de je sais où. On oublie souvent que la cuisine, c'est d'abord quelque chose de très simple, où on met du cœur et où on travaille avec technicité. Après, en grandissant, en arrivant en France, j'ai découvert des chefs comme Rouguidia, qui est l'une des premières chefs noires à avoir eu quand même une certaine notoriété, être passée par plusieurs grandes maisons. Mais c'est vrai que quand je suis arrivée, je n'avais pas beaucoup de modèles en fait, en dehors de ma grand-mère ou de ma mère qui était en cuisine.

  • Speaker #0

    Et toi, ce serait quoi ton rêve final entre guillemets ? Tu as fait déjà énormément. Est-ce que justement parler d'Etoile Michelin pour toi, c'était égal ? Ou est-ce que c'est quelque chose qui te ferait rêver d'être une chef étoilée ?

  • Speaker #1

    Alors une chef étoilée, oui, pourquoi pas. Après, moi, ce n'est pas un rêve. Moi, mon rêve, honnêtement, parce que le problème de l'étoile, c'est qu'on peut la perdre. On vous donne un jour, après demain, vous...

  • Speaker #0

    Ce qui ferait beaucoup de stress d'ailleurs, j'ai vu.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Il y en a qui refusent même maintenant de dire, je ne veux plus ce système d'étoiles. Bien sûr. C'est un peu plus la santé.

  • Speaker #1

    Alors, ce qui est bien, c'est que c'est une reconnaissance des... paires et tout ça, ça vous apporte du business c'est sûr. Ça vous met un peu au devant de la scène et vous crée vous met sur un piédestal. Mais moi, mon vrai rêve honnêtement c'est d'avoir une école de cuisine notamment au Gabon. Parce que quand je suis venue en France, dans les différentes écoles de cuisine, on nous a d'abord appris la cuisine locale, c'est-à-dire de France, les terroirs français, les produits français, les techniques françaises. Et après avoir vu tout ça, on voit ce qui se passe à l'international. Et donc, comment chaque étudiant, à la fin, sait comment je m'inspire des produits français et de l'international pour créer ma cuisine. Le problème aujourd'hui dans beaucoup de pays africains, et notamment au Gabon, c'est qu'on leur apprend la cuisine française. Et moi, ce que j'aimerais, c'est avoir une école où on leur apprend la cuisine d'abord des neuf provinces du Gabon. Les produits du terroir gabonais. Maîtriser ça. Et après, on voit le reste et qu'ils puissent, en sortant de l'école, se dire avec les produits de chez moi et ce que j'ai pu voir à l'international, comment je crée ma cuisine. Parce qu'on a encore beaucoup de jeunes sur le continent africain, encore ce complexe de se dire si c'est de chez nous, c'est bas de gamme. Si ça vient d'ailleurs, c'est plus haut de gamme, alors que pas du tout. Et c'est là où je me dis que la France a quand même bien fait son travail en allant partout, en disant que c'est nous les meilleurs. Aujourd'hui, beaucoup de gens n'essayent même plus d'être les meilleurs. Ils se disent que si c'est français, c'est forcément mieux. Et donc, mon rêve, c'est vraiment d'avoir cette école où les jeunes vont apprendre à boire les produits de chez eux, des neuf provinces, qu'ils puissent maîtriser les produits des neuf provinces du Gabon. Quand on a fait le tournage au Maroc, j'ai vu la cuisson de... d'un agneau entier dans un four qui avait 120 ans. Donc, à base d'argile et tout ça. Et comment ils me disaient, une fois par an, on repart dans le four pour remettre de l'argile et tout. On a gardé cette technique depuis le XIIe siècle. Moi, mon rêve, c'est d'avoir une école où on peut travailler ce genre de technique et que les jeunes puissent se dire, nous aussi, en Afrique, on a des techniques. Et que des chefs français puissent venir et se dire, moi aussi, je vais apprendre de la même façon que je vais apprendre... chez les maîtres sous-spirés au Japon ou dans d'autres pays d'Asie, qu'on aille en Afrique apprendre aussi nos techniques.

  • Speaker #0

    Et tu me parlais de jeunes, justement, pour bondir par rapport à ça, est-ce que tu aurais quelque chose à dire à un jeune en France ou en Afrique qui a une aspiration à être chef ou un autre métier créatif ou autre ? Qu'est-ce que tu pourrais lui dire, toi, du coup, chef fantôme, qui a une très belle histoire ?

  • Speaker #1

    Alors ce que je pourrais dire, c'est que... vous êtes les seuls à donner la trajectoire à votre métier. Moi, quand j'ai dit que je voulais être cuisinière, on m'a dit, c'est pas un métier ambitieux, tu vas être la honte de la famille. Et c'est vrai que même mes parents, ils parlaient beaucoup de mes frères et sœurs qui étaient ingénieurs et tout ça, plutôt que de dire je fais cuisine. Aujourd'hui, ils sont beaucoup plus fiers parce qu'ils ont vu, en fait, finalement, que le métier, c'est cuisinier, mais à travers un métier, une seule passion, j'ai... diversifié. En fait, j'ai montré que la cuisine ne se limite pas à être dans une cuisine.

  • Speaker #0

    J'ai vu un post Insta, tu me dis que tu avais 12 sources de revenus.

  • Speaker #1

    Bien sûr, mais en fait, c'est pour montrer qu'avec la cuisine, j'ai pu ramener de l'argent de 12 façons différentes. Et souvent, quand on dit je veux être médecin, je dis mais attention, vous pouvez être médecin dans un petit village et être médecin sur les Champs-Élysées. C'est le même métier, mais c'est pas le même standing. Donc... Quel que soit le métier que vous voulez faire, c'est vous qui lui donnez la trajectoire. Donc, ça peut être cuisinier, ça peut être danseur, un artiste. C'est à vous de pouvoir donner la trajectoire. À travers un seul talent, vous pouvez diversifier, mais en tellement de choses que vous ne pouvez même pas imaginer.

  • Speaker #0

    Super intéressant. Dernière chose du coup, on a un petit bonus que je vais te montrer, le bonus sous les profondeurs.

  • Speaker #1

    Je sais qu'on ne se le dit pas suffisamment, mais je profite de cette interview pour te dire merci. Merci pour ton amitié, merci pour toutes ces années de confiance. On a passé des moments difficiles. des hauts et des bas. Merci pour ton amitié. On sait que souvent, c'est difficile de trouver des gens vrais, des gens en qui on peut avoir confiance dans ce monde et des gens sur qui on peut compter. Et tu es une personne formidable. Tu es une personne sur qui je sais que je peux compter à tout moment. Et je crois que tous les gens qui t'entourent t'adorent comme ça. Tu es quelqu'un d'authentique. Tu es quelqu'un avec un grand cœur. Tu es quelqu'un de sincère. Et je profitais de cette occasion pour te dire merci. merci et te dire que je t'aime d'amitié parce que je crois que je sais pas si c'est possible mais on dit que l'amitié garçon fille n'est pas possible mais on est la preuve que tout est possible et je voulais te remercier pour ça donc merci beaucoup en taux en top indy la grande femme des champs que tu es et je te dis à très bientôt merci pour tout et continue d'être ce que tu es et ne change surtout pas bisous à plus tard ciao ciao

  • Speaker #0

    C'est très mignon son message.

  • Speaker #2

    C'est très mignon, c'est très touchant. C'est vrai qu'avec Ossi, on a eu tellement de galères et tout ça. Des fois, que ce soit lui ou moi, à chaque fois on se dit, on veut abandonner. Parce que c'est vrai que nous, quand on a cru, notamment sur... Quand on a cru aux cuisines africaines, personne n'y croyait, quoi, depuis 2015. Aujourd'hui, on est en 2025, il y a beaucoup plus de restaurants, il y a beaucoup plus de chefs. Même que le milieu commence à être un peu saturé. Mais moi, je suis contente d'avoir des personnes comme Koussi et d'autres aussi.

  • Speaker #0

    C'est une chance. Ah oui,

  • Speaker #2

    c'est une chance. Surtout quand on est dans un marché de niche ou qu'on est un peu avant-gardiste. Parce que des fois, on a l'impression de se dire que c'est trop en avant, ça n'a pas marché. Et puis, ou quand les difficultés arrivent et qu'on se dit, est-ce que je suis vraiment dans le vrai ? Parce qu'on est tout premier quand on vient d'arriver, c'est difficile. Mais au final, des années après, on se dit, finalement, on avait raison.

  • Speaker #0

    Ça a été un soutien pour toi, du coup ?

  • Speaker #2

    Oui, ça a été un soutien. Ça a été un soutien parce que déjà, lui-même, il est entrepreneur. Alors, ce n'est pas évident quand on est en couple, notamment si vous êtes entrepreneur, d'être avec quelqu'un qu'il n'est pas. Parce qu'il ne comprend pas. Je veux dire, quelqu'un qui est salarié, il ne se... il ne réfléchit pas. Est-ce que l'entreprise, l'argent est rentré ? Lui, c'est que tous les mois, j'ai mon salaire. Donc, il ne se pose pas de questions sur les chiffres que font l'entreprise. Alors que quand on est entrepreneur et qu'on est tout le temps en train de regarder les chiffres et qu'on est tout le temps en train de réfléchir à comment je fais pour changer la donne, pour diversifier, pour attirer les clients, seul un entrepreneur... peut comprendre et c'est vrai que Kossi a été cet entrepreneur là où quand je voyais que mon conjoint ne comprenait pas, je disais mais toi, il disait bah oui bah c'est normal Antho il est pas entrepreneur donc il peut pas comprendre mais c'est vrai que c'est important d'avoir des personnes comme ça dans votre entourage qui vous disent qui sont prêts à vous dire bon là c'est bon ou là non là c'est pas bon il vaut mieux changer.

  • Speaker #0

    Ouais c'est sûr. Génial, bah écoute... L'interview se finit, je te remercie pour tout.

  • Speaker #2

    Merci à toi.

  • Speaker #0

    J'espère que tu ouvriras ton école au Gabon. Oui. Et que tu trouveras un restaurant. Je te souhaite tout le bonheur du monde, beaucoup de chance. Et continue comme ça. Et encore merci pour cet échange. C'était passionnant. Merci beaucoup, Étienne. Merci beaucoup, Anto. A bientôt.

  • Speaker #2

    A bientôt.

  • Speaker #3

    Merci de nous avoir écoutés. Retrouvez le Deep Dive tous les jeudis sur notre chaîne YouTube et sur les plateformes d'écoute Spotify et Deezer. Apple Podcasts et Amazon Music. Pensez à vous abonner pour ne rien manquer des prochains épisodes.

  • Speaker #0

    D'ici là, prenez soin de vous et à la prochaine !

Chapters

  • Introduction

    00:00

  • Explication du concept

    20:30

  • 1er badge : Son 1er livre: Goûts d’Afrique, recettes traditionnelles

    21:03

  • 2ᵉ badge : Photo du Tip Boy Dien, recette sénégalaise

    22:08

  • Mode Deep Dive : l’immersion

    23:26

  • Son objet inspirant : La cuisine au pays du soleil, le premier livre offert par sa maman

    23:35

  • 1er badge : Qui est la vraie Chef Anto ?

    25:07

  • 2ᵉ badge : Sa plus grande peur

    27:34

  • Les abysses : 1er badge : A-t-elle rêvé d’un restaurant étoilé ?

    43:52

  • Les abysses : 2ᵉ badge : A-t-elle déjà cuisiné des plats ratés pour ses proches ?

    46:26

  • Vidéo bonus

    57:50

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