- Benjamin Ferré
C'est grâce à lui que je suis arrivé à Ushuaïa le jour J. Et donc j'ai pu embarquer sur ce bateau l'esprit d'équipe. Et là on a fait les canots patagoniens, le Cap Horn, etc. Et ce qui est marrant, c'est que moi pendant mon Vendée Globe, un des moments les plus extraordinaires c'était le passage du Cap Horn. Et aussi parce que quand je fais ce tour du monde en stop, on est en 2012, à ce moment-là il y a le Vendée Globe. Le jour où je passe le Cap Horn, François Gabart passe avec le bateau massif le Cap Horn en tête du Vendée Globe. Et moi, près de 10 ans, 12 ans plus tard, je passe ce même Cap Horn avec le même bateau. Franchement, c'était hyper émouvant. Moi, j'ai repensé à ça quand j'ai passé le Cap Horn. Je me suis dit, mais si on avait dit à ce petit gars-là, il y a 12 ans, qu'il serait là. C'est fou, le parcours qu'il peut y avoir, sans que tu puisses l'imaginer.
- Anthony Baron
Bonjour, je suis Anthony Baron et vous écoutez les Afters de la Transformation, un podcast adequancy qui donne la parole aux leaders et acteurs des enjeux de demain. Bonne écoute à tous ! Une immersion aujourd'hui dans l'univers de l'aventure extrême, nous avons l'honneur d'accueillir un entrepreneur, aventurier engagé et navigateur français, Benjamin Ferré.
Bonjour Benjamin.
- Benjamin Ferré
Bonjour Anthony.
- Anthony Baron
Bienvenue à toi dans ce nouveau numéro des Afters de la Transformation. Et dans cette interview, nous allons revenir sur les éléments de ton parcours, tes premières aventures à la voile, le défi ultime, le Vendée Globe, l'évolution également de l'univers de la voile. Très intéressant de savoir comment tu as pu t'intégrer dans cet environnement, tes pratiques managériales aussi, et également tout ce qui touche en termes d'impact sur tes défis, sur tes aventures, et notamment autour aussi des enjeux environnementaux. Donc cap tout de suite vers une course au large, et on rentre dans la vie d'un talentueux skipper à impact. Alors Benjamin, tu as 34 ans.
- Benjamin Ferré
C'est vrai. Je me suis arrêté à 30, moi, quand on me demande, je me dis que j'ai 30 ans.
- Anthony Baron
Voilà, malheureusement, l'âge avance. On ne peut pas jouer contre le temps. Tu es né à Rennes, maloin d'adoption, si c'est bien ça. Et dans ton parcours académique, tu fais un UTGEA à Angers, licence de commerce internationale à Edimbourg. Et ensuite, c'est la Grande École de Commerce, Skema.
- Benjamin Ferré
Exactement, à Lille.
- Anthony Baron
À Lille, option finance.
- Benjamin Ferré
Option finance.
- Anthony Baron
Donc là, pour le moment, on est très loin de l'aventure et de la voile. Et donc, derrière, tu comptabilises plusieurs aventures, plusieurs défis que tu t'es fixé déjà pendant tes études. Je vais les citer et puis on reviendra pendant cette interview dessus. 2010, traversée du Maroc en 4L. 2012, un tour du monde en stop, 40 000 kilomètres. Cap à l'Ouest en 2015, donc une traversée de l'Atlantique sans GPS et en autonomie énergétique. Et en 2017, tu crées également Imago, un incubateur d'aventure pour des projets à impact environnemental et sociétal. La formation Schema, elle se termine en 2012, c'est ça ?
- Benjamin Ferré
Je suis de la promo 2014.
- Anthony Baron
2014.
- Benjamin Ferré
Je vais toujours engueuler parce que j'ai jamais la bonne année de promo, mais je crois que je suis 2014.
- Anthony Baron
Et qu'est-ce qui se passe à l'issue de Skema ?
- Benjamin Ferré
Bah, Skema, déjà, j'ai déjà mis un petit pied dans l'aventure parce que mon année de césure... Justement, plutôt que d'aller dans un cabinet du Big Four à la Défense, je pars faire mon tour du monde en stop. Et en fait, mon mémoire de fin d'étude, c'est un documentaire de 52 minutes sur mon tour du monde que j'ai fait à la rencontre des anciens diplômés de l'école. Et donc, en terminant l'école... Je passe six mois à monter le documentaire avec un monteur qui était franco-polonais. Donc, j'ai fait ça à Varsovie, dans une cave. C'était génial, d'ailleurs. Et à la fin de ça, j'ai quand même bossé dans une boîte. J'étais en start-up. Et en fait, j'étais rentré chez Snapcar, qui était la première boîte de VTC en France. Oui, tout à fait. Juste avant, d'ailleurs, l'arrivée de Chauffeur Privé et Uber. Et donc, c'était Yves Vaisselle-Berger qui m'avait recruté. qui devait monter avant KDS etc etc. Et Yves, ça a été un peu mon mentor entrepreneurial pendant deux ans. Moi, j'arrivais petit stagiaire. Et d'ailleurs, à l'époque, ils n'avaient pas les moyens de me rémunérer. Donc, ils m'avaient proposé des BSPCE.
- Anthony Baron
Ok, donc une forme d'action. Oui,
- Benjamin Ferré
une forme d'actionnariat que tu acquiers au fur et à mesure du temps. Et donc, j'ai passé quand même deux ans et demi chez Snapcar. D'abord stagiaire et après, j'étais... J'avais le titre de responsable stratégique et commercial. Je m'occupais de l'équipe commerciale, mais qui avait vachement grandi en fait en En deux ans et demi. Et c'était un peu une aventure, en fait, déjà.
- Anthony Baron
Oui bien sûr. C'est la rentière entrepreneuriale, pour le coup.
- Benjamin Ferré
Oui, et puis, si tu vois les VTC, moi, j'avais une chance inouïe de tomber là-dedans. C'est que les VTC étaient passés de rien à... On parlait d'uberisation de la société. Yves m'emmenait à l'Assemblée avec le député Thévenoud pour négocier avec les... Taxi et tout, donc c'était vraiment le début de tout, mais du coup c'était vraiment l'aventure.
- Anthony Baron
Ok, très bien. Et donc ça, ça dure deux ans et demi et tu quittes l'aventure de Snapcar ?
- Benjamin Ferré
Et je quitte Snapcar au moment où il y a une levée de fond qui est en train de se préparer. Et du coup, moi je quitte Snapcar pour monter ce projet qui s'appelle Cap à l'Ouest, qui était une traversée de l'Atlantique sans GPS, donc au sextant. Et donc l'objectif était de se diriger seulement grâce aux astres, grâce au soleil et aux étoiles. Et donc on est parti avec deux copains sans expérience de la navigation. Enfin vraiment, à nous trois, on n'avait pas passé plus de 24 heures en mer, tu vois.
- Anthony Baron
D'accord, donc là, vous êtes vraiment novice sur le bateau. Ouais,
- Benjamin Ferré
ouais, complètement novice. D'ailleurs, on était une transat entre Saint-Malo et les Antilles, c'est à peu près trois semaines. Ouais. Et donc nous, on s'était dit, bon, on mettra trois semaines, un mois. On a mis trois mois et demi à arriver de l'autre côté.
- Anthony Baron
Qu'est-ce qui s'est passé pendant trois mois et demi ?
- Benjamin Ferré
Bah, déjà, on ne savait pas naviguer, quoi. Maintenant que je sais un peu plus naviguer, je me rends compte à quel point c'était de la folie ce truc-là. Mais on avait plein d'avaries, on a fait des escales parce qu'on cassait le bateau. En plus, on ne savait pas réparer, donc on le réparait n'importe comment. On repartait en mer, on recassait. On a raté Madère, on pensait faire une escale à Madère pour se réapprovisionner en vivre. Et en fait, comme on n'avait pas de GPS... On avait fait une estimation de Madère et en fait on a dépassé Madère et on ne trouvait plus l'île. On était perdu en pleine mer. D'accord. C'est un sentiment hyper bizarre.
- Anthony Baron
Oui, c'est stressant quand même pour le coup.
- Benjamin Ferré
Et en fait on a croisé un cargo à qui on a demandé sa position avec la petite VHF qu'on a à bord, petite radio. Il nous a donné sa position et on en a déduit la note. Et on s'est rendu compte qu'en fait, ça faisait trois jours qu'on allait dépasser Madère. D'accord. Donc, on a refait Cap au Nord.
- Anthony Baron
Ah oui, vous avez fait demi-tour.
- Benjamin Ferré
Ouais, pour retrouver Madère. Et voilà, c'était plein de péripéties pendant ces trois mois et demi de traversée.
- Anthony Baron
Et qu'est-ce que ça t'a apporté déjà cette première traversée ? Parce que là, vous étiez trois.
- Benjamin Ferré
Ouais, on était trois. On était trois. Déjà, sur l'aspect maritime, moi, je crois que c'est pendant cette traversée où... Je suis vraiment tombé amoureux de l'océan. Je me souviens, on n'avait pas de pilote automatique. Et du coup, on se relayait toutes les deux heures à la barre. Pendant deux heures, tu étais obligé de barrer de jour comme de nuit. Hyper fatigant. Et je me rappelle quand même de nuit, en plein milieu de l'Atlantique, où mes deux compères dormaient. Et je me disais, ça doit être tellement extraordinaire d'être en solitaire sur un bateau, de traverser l'Atlantique et tout. À cette époque-là, je ne connaissais pas vraiment... Ce n'est pas que je ne connaissais pas l'existence de la course au large, mais c'est un un univers qui était hyper lointain. Je me remémorais un peu ces grands navigateurs qui partaient de Saint-Malo quand j'allais voir le départ de la route du Rhum, des trucs comme ça. Mais je ne pensais pas que c'était accessible, donc j'imaginais plus me dire, j'aimerais bien vraiment apprendre à naviguer pour un jour naviguer tout seul. J'ai eu déjà l'appétence à l'univers maritime, il s'est vraiment développé à ce moment-là. Et puis, le fait de partir à trois sans connaître grand-chose, sans GPS, tu vois, on naviguait que à la carte, ça m'a vraiment appris assez tôt à identifier un peu les égos mal placés. En fait, c'était marrant.
- Anthony Baron
Parce que vous étiez copains.
- Benjamin Ferré
On était hyper copains.
- Anthony Baron
Et à la fin ?
- Benjamin Ferré
On est toujours copains. Je suis témoin de mariage des deux autres. On est restés, mais par contre, ce qui était hyper intéressant, c'est qu'on était trois, donc un nombre impair. Et ce qui était marrant, c'est qu'on ne s'est jamais pris la tête en mer et on était toujours d'accord en mer. On était hyper solidaires en mer, on a eu des moments vraiment difficiles en mer. Et quand il y en avait un qui était moins bien, les deux autres le tiraient vers le haut. Et donc, dans cet environnement un peu dangereux, on était hyper solidaires. Mais par contre, à terre, parce qu'on a fait beaucoup d'escales suite à nos réparations, qu'on était bloqué et tout. Et bien, à terre, je me rendais compte que l'ego reprenait le dessus. Et c'était des trucs cons, tu vois, mais pour savoir à quelle date on devait repartir, pour savoir quel truc on devait acheter comme nourriture, etc. Et en fait, je me rendais compte que parfois, on était d'accord. Tu vois, il y en avait un qui disait bleu et toi, tu pensais bleu. Mais tu disais rouge, juste pour voir si le troisième allait se rallier à ta cause ou pas. Juste pour voir l'impact que tu avais pour le groupe. Et je me disais, c'est marrant en fait ce truc d'ego un peu mal placé, de position que tu as envie d'avoir dans un groupe. De savoir si ce que toi tu as de l'impact, tu es capable de convaincre les autres. Et du coup, on se prenait beaucoup la tête sur des sujets un peu risibles.
- Anthony Baron
Qui n'étaient pas forcément porteurs de sens finalement sur la traversée.
- Benjamin Ferré
Parce qu'on n'était pas d'accord. mais je pense juste par contradiction pour savoir si le troisième se rallié à l'un ou à l'autre. Et ça, c'était marrant parce que moi, j'avais 22 ans. Et d'être en vase clos comme ça à trois pendant si longtemps, de voir une si grande distinction entre en mer et à terre. Donc c'est là où j'ai commencé à comprendre aussi que le comportement humain en mer était en fait beaucoup plus sain que dans la vie de terrien. Et qu'il y avait plein de réminiscences de personnalités qui peuvent s'exorciser quand tu es à terre.
- Anthony Baron
Et ça, comment tu l'expliques ? À terre, il y a plus de diversité, d'accès à différents éléments qui amènent justement ces contradictions ?
- Benjamin Ferré
Je pense qu'en mer, tu es beaucoup plus détaché du regard de l'autre, encore plus quand tu es en solitaire. moi je l'ai expérimenté avec ces trois mois mais j'ai jamais connu un... autant de jouissance de soi-même, d'être aussi aligné avec qui tu es. Je pense qu'en mer, tu te détaches quand même un peu le plus du regard de l'autre, ce qui n'est pas forcément le cas à terre. Et puis, tu as l'environnement insécure. Je pense que l'être humain aussi est fait pour oublier son égo. Quand tu as ta maison qui est en train de brûler, tu t'en fous de savoir qui décide de sortir par la porte ou par la fenêtre. Le but, c'est de s'en sortir. Et là, ton égo disparaît. Et la solidarité reprend le dessus. Et je pense qu'il y a un peu ça aussi dans l'équipage en mer. C'est que puisque tu es dans un environnement incertain et dangereux, du coup, l'ego s'efface au profit du groupe.
- Anthony Baron
Très bien, très belle image. Et donc, c'est à l'issue de cette traversée de l'Atlantique que tu crées Imago, c'est ça ?
- Benjamin Ferré
Oui, avec Thomas et Louis d'ailleurs au départ. Donc, on arrive de l'autre côté de l'Atlantique quand même, après trois mois et demi. et en fait à la suite de ça Nous, on a une grosse communauté sur Facebook à l'époque. Et en fait, on reçoit énormément de messages Facebook, de gens qui nous disent « Mais comment vous avez fait ? » « Moi, j'aimerais bien me lancer, mais je ne sais pas comment m'y prendre. » « J'ai un projet d'aventure, mais je ne sais pas comment... » Souvent, c'était « Comment chercher des sponsors ? » Mais aussi, c'était « J'aimerais bien donner du sens à mon aventure. » Et donc, on avait beaucoup de sollicitations comme ça. Et donc, en fait, c'est parti de ce constat de se dire qu'il y a énormément de jeunes et de moins jeunes qui ont envie de se lancer, mais qui ne savent pas comment s'y prendre. Et donc, on a l'idée de, on prend un petit panel de gens qui nous avaient interpellés et on se dit, on va organiser pour un week-end. Donc, on sélectionne, tu vois, trois porteurs de projet.
- Anthony Baron
C'est quoi, c'est un genre de concours de pitch un peu ? Ouais,
- Benjamin Ferré
En fait, on avait organisé tout un truc, on les a fait venir. Donc, on avait trois porteurs de projet et on s'était dit, on fera gagner un des porteurs de projet pour qu'on l'accompagne. Et donc, on organise ce week-end-là. Et donc, il y avait des moments où ils devaient pitcher leurs projets. Des moments où nous, on avait fait venir des copains aventuriers qui faisaient des petites conférences. Mais on faisait ça à Saint - Malo, dans le salon familial. Donc, des petites conférences, etc. On avait des sorties en mer. Donc, il y avait un mélange entre aventure, inspiration et puis un peu mentoring. Et ce qui est marrant, c'est qu'à la fin du week-end, on sélectionne un groupe. Le projet, c'était Encourage. C'était trois garçons qui voulaient faire un tour de l'Atlantique. apporter des filtres bio-sable pour donner l'accès à l'eau potable dans des régions reculées. Et donc, on fait gagner ce projet-là. Et en fait, quelques mois plus tard, tous les autres concurrents nous disent, nous, en fait, l'Imago Tour, ça nous a trop chauffé. Et donc, même sans vous, en fait, on s'est lancé.
- Anthony Baron
Ils ont été rechercher leur sponsor, etc. pour se lancer. Canon !
- Benjamin Ferré
Et en fait, ils nous ont dit, c'est ce week-end-là qui nous a donné l'énergie de nous lancer. Et donc, on s'est dit, en fait, on s'est planté. Le but, c'est pas de faire gagner un projet pour l'accompagner. Le but, c'est de reproduire ce qui s'était passé pendant ce week-end et qu'en fait, on s'était rendu compte que le passage à l'action, il reposait sur trois points. C'était un, l'inspiration. Donc, c'est de se dire, si ce type-là, qui a un parcours similaire au mien, l'a fait, c'est que moi aussi, je peux peut-être le faire. Il y a l'expérience collective. En fait, on se rendait compte que tous avaient peur de se lancer parce qu'ils étaient isolés. Parce que quand tu as un projet un peu atypique, mais je pense que c'est vrai aussi dans l'entrepreneuriat, tu te sens un peu le mouton à cinq pattes. Mais quand tu mets 12 moutons à cinq pattes pendant une semaine dans la même salle... En fait, des projets atypiques, ça devient la norme. Bien sûr.
- Anthony Baron
Il y a l'adhésion, l'acculturation de tout le monde autour du projet.
- Benjamin Ferré
Et du coup, tu n'es plus en marge d'un truc classique de la société, mais ton projet devient la norme. Donc, c'est le truc d'expérience collective. Le troisième point, c'était une expérience des clics. C'est-à-dire faire un pas pour lequel tu ne peux pas faire marche arrière. Donc, c'est acheter un bateau si tu veux faire un tour de l'Atlantique, c'est n'importe quoi, mais prendre ton dossard si tu veux faire un marathon. Enfin, tu vois, il y a un peu ce pas qui fait qu'une fois que tu l'as fait, tu ne peux plus faire marche arrière. Et donc, sur cette base-là, on s'est dit, le passage à l'action repose sur ces trois points. Et donc, on va créer le premier incubateur d'aventure en France pour aider ces jeunes et ces moins jeunes à passer à l'action. Et on va organiser pour eux un truc qui s'appelle l'Imago Tour. On va lancer un appel à candidature. On va sélectionner entre 10 et 20 personnes. Et on va organiser une semaine de tours, on va faire venir des aventuriers, des explorateurs qui vont faire des conférences sur ce qu'ils ont fait. On va faire venir des professionnels du passage à l'action et de structuration de projets pour les mentorer. Et on va créer des événements d'expérience collective. Donc tu vois, moi j'ai fait appel à un metteur en scène spécialisé dans les expériences collectives. Pour faire vivre des trucs forts tous ensemble. Et donc tout ça, ça s'est appelé Imago. L'Imago, c'est la phase durant laquelle la chrysalide devient papillon. C'est le moment où les...
- Anthony Baron
D'accord, ok. Ouais, tout à fait.
- Benjamin Ferré
Et donc voilà, c'est devenu Imago, un incubateur.
- Anthony Baron
D'accord.
- Benjamin Ferré
Et donc depuis, tu vois, on a fait 4 Imago Tours. Ok. Et on a accompagné maintenant, je crois, 24 projets. Et t'as 95% des gens qui ont fait l'Imago Tour qui se sont lancés dans un projet d'aventure.
- Anthony Baron
Excellent. L'Imago, tu l'animes toujours ou avec tes fondateurs ?
- Benjamin Ferré
Thomas et Louis, assez rapidement, ils sont sortis de ce truc-là. Ils sont retournés dans une aventure plus salariale. Et puis, il y en a un qui est parti au Vietnam avec sa femme, etc. Et donc, moi, j'ai continué l'aventure tout seul d'Imago. avec toute une petite équipe que j'ai montée. Et là, c'est vrai que ces quatre dernières années, c'était un peu chaud de continuer. Donc, tu vois, j'ai refait un Imago tour pendant la préparation du Vendée Globe.
- Anthony Baron
Tu étais bien occupé.
- Benjamin Ferré
Oui, c'était assez intense. Et du coup, là, j'aimerais bien continuer à faire vivre l'asso, mais sans y être impliqué, comme je l'ai été jusqu'à présent. Et donc, ce qui est marrant, c'est qu'il n'y a pas très longtemps, j'ai mis sur un groupe, on a des groupes de promo, des enseignes promo. J'ai dit, voilà, on cherche un directeur général pour Imago. et du coup Là j'ai quatre entretiens à venir avec des anciens qui ont fait Imago. J'appelle ça les promos Imago. Je dois aller voir pour mettre quelqu'un qui reprendrait en fait ça. Ils ont déjà vécu l'Imago Tour, ils savent exactement ce qu'on y cherche. Il y a aujourd'hui les partenaires qui sont là, le réseau qui est là. Donc voilà le but c'est de continuer à faire vivre l'asso mais moins en y étant de moins en moins impliqué.
- Anthony Baron
Bon, excellent. Alors, si on continue dans les réalisations qui ont été les tiennes, notamment à travers cette fois-ci la voile, je voulais juste citer, encore une fois, on reviendra après dessus, mais 2019, tu fais ta première traversée de l'Atlantique en solitaire avec la Mini Transat. Là, tu termines troisième. 2022, il y a la Route du Rhum, tu finis quinzième. Transat Jacques-Vabre en 2023, treizième. Pole Position des Dérivers. Et 2024-2025, donc le Vendée Globe. tour du monde par les trois caps, cap de Bonne Espérance, Lewin, Cap Horn, et tu termines en 16e position, premier bateau à dérive, sur les 16 bateaux à dérive engagés, et tout ça en 84 jours, 23 heures, 19 minutes, 17 secondes.
- Benjamin Ferré
Je suis précis.
- Anthony Baron
Et en parallèle, tu as aussi créé un hôtel au Touquet, et tu as écrit un livre qui s'appelle À toute allure, cap sur mon premier Vendée Globe, qui est aux éditions Marabout. Voilà. Comment tu te sens, aujourd'hui ?
- Benjamin Ferré
C'est bien, c'est que je n'ai pas chômé ces dernières. Je comprends pourquoi je suis cramé, en fait.
- Anthony Baron
Effectivement, quand on revient à ces débuts de tes aventures, le 4L Trophy, le Tour du Monde en stop, dont tu parlais tout à l'heure, Cap à l'Ouest également, que tu as fait avec tes deux amis, d'où te vient ce goût de l'aventure au départ et cette envie finalement de partir, d'aller découvrir l'inconnu ?
- Benjamin Ferré
Déjà je pense qu'on est toujours un peu le fruit d'une construction. Je pense que mes parents Tu t'en rends pas compte sur le coup mais tu vois rétrospectivement Je me rends compte que nos parents Nous ont toujours élevé avec Une grosse notion de liberté Ils nous faisaient toujours vachement confiance Et on a toujours été éduqué En étant hyper libre Moi je me rappelle même quand j'étais ado Je pouvais partir en vélo n'importe où On avait toujours 3 règles à respecter C'est qu'il fallait plus de 14 de moyenne à l'école Un sport Un instrument de musique. Et à partir du moment où on respectait ça, et qu'on donnait une heure de départ et une heure de rentrée à la maison, on avait une liberté totale. Je pense que cette notion de liberté que mes parents nous ont inculquée, alors après on est trois enfants et on n'a pas tous les mêmes trajectoires, mais je pense que moi j'ai été particulièrement réceptif à ça. Il y a la notion de liberté et je pense la notion de défi. Je le raconte dans le livre, mais tu vois c'est un truc qui m'a trop marqué, c'est qu'on était partis aux Etats-Unis avec mes parents. Et donc, on faisait toute la côte ouest en camping-car, machin. Et parfois, on allait dormir dans des petits motels, quoi. Et je me rappelle qu'un soir, mon père avait acheté, tu sais, les énormes pizzas fraîches. Les XXXL, là. Size américain, quoi. Et donc, on est dans le petit motel, il n'y a pas de four pour faire chauffer ça. Et je me rappelle que Dan nous donne, genre, 5 dollars, tu vois, avec mon frère. Il nous dit, voilà, je vous donne 5 dollars la pizza et vous devez la ramener cuite, quoi. Et donc, on se part dans la rue, mais je ne sais pas, je vais genre... Moi, 11 ans et mon frère 12. On ne parlait pas anglais. On part dans les rues aux Etats-Unis. On trouve une pizza qui nous la cuit au feu de bois. Parfaite. Qui nous la met dans le carton. On rentre trop fier à la maison avec notre carton et la pizza cuite. On a su après que notre maman nous suivait de loin pour s'assurer qu'il ne nous arrive rien. Il y avait un peu cette idée de défi à chaque fois. On voyait une rivière. Notre mère nous lançait le défi de la traversée à la nage. Il y avait quand même toujours cette notion de défi dans mon éducation. donc je pense que ces de là, la liberté plus la notion de défi ben C'est un peu ça qui m'a conduit vers l'aventure. Et c'est des récits. Je me souviens lire mon livre préféré, c'est Mermoz de Kessel. Ces grands aviateurs couvraient la voie de l'aéropostale, qu'il y avait des accidents qui se posaient au milieu du désert, qui marchaient pendant des jours. C'est des trucs qui me faisaient rêver. Je pense que j'avais un peu envie de retrouver cette notion d'aventure. Et donc quand j'ai découvert d'abord le 4L Trophy, C'est un truc qui est très court, ça dure 15 jours, mais qui est hyper intense. Et donc là, je pense qu'à 18 ans, je me suis dit, tout ce qu'on peut vivre avec l'aventure, c'est quand même assez fou. Ça t'apprend plein de trucs d'un point de vue entrepreneurial, parce qu'en fait, tu as toute la gestion de projet. Je me suis dit, l'aventure, c'est quand même pas mal, parce que moi qui aime bien la... la liberté et l'entrepreneuriat. De toute façon, dans l'aventure, tu mets tout dans la même boîte et moi, j'ai ouvert ça et après, c'était sans fin. Petit à petit, ça a bifurqué vers la course au large. Je pense que c'est un peu ça qui m'a guidé vers l'aventure au départ.
- Anthony Baron
Avant la course au large, justement, quand tu fais ton tour du monde en stop, tu prends goût déjà un peu à la voile. Justement, quand tu dois rejoindre Ushuaïa pour aller voir le Cap Horn, je trouvais l'anecdote qui était extraordinaire.
- Benjamin Ferré
En fait, j'avais 20 ans et moi, je rêvais d'aller en Antarctique. Et donc, j'avais commencé mon tour du monde à Lima, au Pérou. Et donc, je descendais, je faisais Pérou, Bolivie, Chili. Et donc, j'étais dans le désert d'Atacama, tout au nord du Chili, si je me souviens bien. Enfin, frontière Chili-Bolivie. Et là, j'avais envoyé des dizaines et des dizaines de mails à des propriétaires de bateaux, de charters, tu vois, qui faisaient des départs d'Ushuaïa et qui allaient en Antarctique. Et donc, personne ne m'a jamais répondu, sauf une personne. qui était le propriétaire de l'esprit d'équipe, qui était un bateau mythique de course, transformé en course-croisière, et qui m'envoie un mail en me disant écoute, on a été touché par ton mail, on a un bateau qui part dans 4 jours d'Ushuaïa, si tu y es, on t'embarque avec nous. Moi j'étais à... plus de 4000 km d'Ushuaïa.
- Anthony Baron
Et il y a 3 jours.
- Benjamin Ferré
Et donc je regarde sur Google Maps, tu vois déjà en voiture, en route directe, combien ça prend, et ça prend à peu près 4 jours. Et donc là, je me rappelle, je prends mon baluchon, et je pars en stop, non-stop, jour et nuit, pour arriver à temps. Et c'était incroyable, parce que je suis arrivé... Je pense deux, trois heures avant, tu vois.
- Anthony Baron
Ah oui, le timing super serré.
- Benjamin Ferré
Avec un mec qui m'avait pris à San Carlos de Bariloche. Donc j'invite ceux qui nous écoutent à regarder sur une carte où c'était. Et le mec allait juste dîner chez des amis. et je lui raconte tu vois un peu mon histoire et il me raconte plein de trucs sur sa vie etc et à un moment il me dit moi j'ai toujours rêvé d'aller a Ushuaïa et donc il annule son dîner et on a fait quasiment 1000 bornes ensemble tu vois incroyable pour conduire etc et donc c'est grâce à lui que je suis arrivé à Ushuaïa le jour J et donc j'ai pu embarquer sur ce bateau l'esprit d'équipe et là on a fait les canots patagoniens le Cap Horn etc et ce qui est marrant c'est que moi pendant mon Vendée Globe un des moments les plus extraordinaires c'était le passage du Cap Horn et aussi parce que quand je fais ce tour du monde en stop on est en 2012 à ce moment là il y a le Vendée Globe et le jour où je passe le Cap Horn François Gabart passe avec le bateau massif le Cap Horn en tête du Vendée Globe et moi, près de 10 ans, 12 ans plus tard, je passe ce même Cap Horn avec le même bateau et franchement, c'était hyper émouvant. Moi, j'ai repensé à ça quand j'ai passé le Cap Horn, je me suis dit, mais si on avait dit à ce petit gars-là, il y a 12 ans, qu'il serait là, c'est fou quoi. Il y a eu un signe. Il y a eu un signe de parcours qui peut y avoir sans que tu puisses l'imaginer.
- Anthony Baron
C'est beau. Comme quoi la vie fait parfois... Très bien les choses. Exactement, très bien les choses. Alors, donc là, la voile commence un peu à prendre quand tu fais cette navigation sur ce bateau ou ça vient...
- Benjamin Ferré
Ouais, en fait, je navigue avec ce bateau, l'esprit d'équipe. Et après, pendant mon tour du monde, je suis souvent embarqué sur des bateaux. Et j'adore ça, quoi. J'adore l'idée de se déplacer à la voile, de la déconnexion que tu vis quand tu es sur un bateau. Pour l'instant, je ne pense pas du tout à la course au large, mais j'adore ce qu'on ressent en mer. C'est surtout la déconnexion qui me plaît quand tu es sur un bateau.
- Anthony Baron
Donc là déjà, il y a une attractivité à quelque chose qui t'appelle. Et il y a une rencontre qui est décisive dans ta vie. C'est au moment du défi Cap à l'Ouest, la traversée de l'Atlantique, c'est Jean Le Cam.
- Benjamin Ferré
bah ouais Jean euh euh Jean, tu vois, je me disais ce matin, c'était son anniversaire il y a deux jours, je me suis dit, ça fait longtemps que je ne l'ai pas eu, ça me manque. Je me suis dit que je l'appelle aujourd'hui, mais Jean, c'est devenu une personne hyper importante pour moi. Je pense que souvent, quand tu arrives quelque part, c'est... quand même souvent grâce à des rencontres que tu as pu avoir. Jean, moi je l'ai rencontré.
- Anthony Baron
Tu la provoques cette rencontre avec Jean Le Cam ?
- Benjamin Ferré
En fait, en 2015, on lance le projet Cap à l'Ouest. Du coup, on a une petite communauté Facebook qui nous suit. Et en même temps, Jean Le Cam veut participer au Vendée Globe 2016. Il n'arrive pas à trouver de sponsor. Et donc, ils lancent un Kiss Kiss Bank Bank, donc campagne participative de financement. Et voilà, c'était pas de Vendée Globe sans Jean Le Cam. Et donc, nous, on voit ça, et donc, on se dit, bah ouais, c'est vrai, pas de Vendée Globe sans Jean Le Cam. Et donc, j'envoie un mail à, tu vois, un truc genre contact@lecam.com que je trouve sur leur site internet. Et j'envoie un mail en disant on a une petite communauté sur Facebook, ce serait chouette que Jean vienne naviguer sur le bateau. On mobiliserait des copains vidéastes pour faire une petite vidéo et on la publierait sur nos réseaux pour inciter les gens à participer au financement de Jean. Et contre toute attente, le lendemain, j'ai un message de Anne Lecam qui dit « Ah, c'est trop sympa, on prend toutes les bonnes initiatives et donc on vient dimanche pour naviguer. » Et là, c'était trop drôle quand Anne arrive avec Jean. Et il y a toujours Anne derrière Jean. C'est elle qui met quand même de l'huile dans les rouages, je crois que je l'ai compris avec le temps. Mais tu vois, Anne hyper joviale, hyper avenante, etc. Jean un peu plus bourru, je pense qu'il a dû dire bonjour le matin, au revoir le soir. D'accord. et on a fait 2-3 blagues il a souri quand même il a souri mais tu sens qu'il était dans l'observation comme Jean il est au début et en fait Jean il a jamais oublié ça il a jamais oublié ce petit coup de main qu'on avait donné et donc derrière il a suivi tout mon parcours mes débuts en course au large la mini transat et en fait à la fin de la mini transat donc je termine 3ème et Anne m'envoie un SMS en me disant un truc genre bien navigué tu vois belle mini-transat viens fêter ça à la maison quand tu veux et en fait ils avaient tout suivi et c'est comme ça que l'histoire a continué et c'est comme ça que quelques mois après ma mini-transat ces gens pendant un dîner c'était incroyable quoi on me rappelle toujours à part la forêt enfin la forêt Frenant chez eux et donc Anne cuisine merveilleusement bien et puis on termine la soirée à 3h du mat, tu vois, Anne est partis se coucher, on boit des petits coups de rouge avec Jean, quoi. Petits coups de rouge en terrasse, etc. Et genre, on me dit, pourquoi tu fais pas le prochain Vendée Globe, quoi ? Je pense que tu peux faire le prochain Vendée Globe. Et c'est d'ailleurs la préface de mon livre, c'est que tu peux faire le prochain Vendée Globe. C'est vrai. Et ça, ça a tout accéléré parce que je dis toujours, quand c'est Zidane qui te dit que tu peux faire la Coupe du Monde, ça a de la valeur, quoi.
- Anthony Baron
Bien sûr.
- Benjamin Ferré
Et surtout, quand tu sais que c'est un personnage Merci. qui ne dit jamais rien pour te faire plaisir et quand il dit quelque chose, il le pense vraiment. Donc ça a un double impact. Et de là, s'en est suivi une espèce d'histoire de transmission, de presque... Je les appelais les darons à mes gens, parce que c'était presque mes deuxièmes parents pendant que j'habitais trois mois chez eux. C'était les parrains et marraines de mon bateau. Donc il y a une vraie histoire qui s'est écrite. Et moi, ce que je retiens quand même de ça, c'est que tu as souvent, dans la vie, parfois tu as l'opportunité de rencontrer des gens que tu pensais inspirants, etc. Et moi, j'ai pu constater que bien souvent, une fois que tu les rencontrais, tu étais toujours un peu déçu par l'homme qui se cachait derrière la façade médiatique. Et Jean, franchement, c'est une des rares personnes avec une certaine notoriété qui m'a toujours plus agréablement surpris. Plus je l'ai connu, plus je me disais que c'était un mec extraordinaire. Et je pense que tu n'en croises pas beaucoup. Pour moi, c'est de la trompe des gens d'Ormesson. C'est sûr que c'est vraiment une personnalité qui a marqué. Ça sert.
- Anthony Baron
C'est ressenti les liens qui vous unissaient pendant le Vendée Globe. C'était assez fort. Même à l'arrivée, etc. Tu étais présent.
- Benjamin Ferré
Je peux te dire que les retrouvailles, déjà, je l'ai dit à l'arrivée, c'est grâce à Jean que je termine devant Jean. Parce que sans lui, je ne termine pas mon Vendée Globe. Non seulement parce que pendant 4 ans, il m'a ouvert sa boîte à savoir. C'était open bar. Et ça, c'est tellement précieux. j'ai pas eu de cesse de le répéter pendant mes 4 ans de préparation mais je pense qu'il faut faire confiance à la jeunesse mais que la jeunesse ne peut rien faire sans les enseignements des anciens et il y a des gens qui sont passés par là, qui ont fait des conneries avant nous et donc d'avoir accès à eux, à leur savoir, à leur expérience ça n'empêche pas de faire sa propre trajectoire mais par contre ça permet de gagner Un temps incalculable du côté des étapes.
- Anthony Baron
Cette transmission d'expérience est vraiment clé.
- Benjamin Ferré
Et qui est devenue un partage. Jean le disait très bien, mais il disait que la transmission c'est que dans un sens. Et j'ai horreur des sens interdits. L'intergénérationnel c'est du partage, c'est dans les deux sens. Et donc Jean a apporté ça pendant le Vendée Globe. Moi j'ai eu une énorme avarie au sud de la Tasmanie. Et c'est Jean qui m'a appelé pour m'aider à réparer. Pour m'aider à trouver des solutions que je n'aurais pas trouvées tout seul. Et donc, c'est pour ça qu'à l'arrivée, j'ai dit, c'est grâce à Jean de Vengeant. Et donc, quand je vais à son arrivée, moi, je n'ai pas encore dormi. J'ai fait mon arrivée la veille. Et franchement, c'était hyper fort. Quand on s'est serré dans les bras, je me suis dit, l'humanité qui se dégage de ça, ça peut régler toutes les guerres du monde. C'était tellement puissant. C'était dingue. Bravo.
- Anthony Baron
Et la voile également, comment tu apprends la voile ? Parce que globalement, oui tu finis 3ème de la mini Transat, mais avant tu t'es entraîné, tu as eu un entraîneur où tu as suivi Tanguy Le Glatin.
- Benjamin Ferré
Deuxième personne bien importante.
- Anthony Baron
Oui c'est ce que j'ai cru comprendre. Et là il a fallu beaucoup de détermination parce que de la même manière je crois que tu n'as pas forcément quelqu'un en face de toi qui est hyper chaleureux au premier abord.
- Benjamin Ferré
Non, c'est sûr que la Mini Transat, c'est pour moi le début de la découverte de la course en large. J'arrive là-dedans parce que je rencontre quelqu'un qui a déjà fait la Mini Transat auparavant, qui me parle un peu de ce qu'il a vécu. Il me met en lien avec Clarisse Crémer, qui à l'époque prépare la Mini Transat et qui va vendre son bateau à l'issue de sa Mini Transat. Moi, je rencontre Clarisse, je me dis, je vais essayer d'acheter son bateau, si elle me le vend à moi parce que beaucoup de gens voulaient son bateau. Et donc je me dis... Si elle me vend son bateau, c'est que je dois faire la mini. Si elle ne me le vend pas, c'est que je ne dois pas le faire. Comme ça, c'est toujours des petites techniques que je fais où je me dis que ce n'est pas moi qui ai décidé. Je me déresponsabilise. C'est ça. Elle décide de me vendre son bateau. Donc là, recherche de sponsor, etc. pour pouvoir payer le bateau six mois plus tard. Et ensuite, deux ans de préparation pour faire la mini-transat. Et donc là, tu intègres un pôle. Moi, j'ai intégré le pôle de Lorient. Et je ne connaissais rien du tout. Je suis arrivé...
- Anthony Baron
avec ton bateau ?
- Benjamin Ferré
du coup avec le bateau de Clarisse qui était devenu mon bateau et là en fait c'est comme je sais pas comment expliquer il y a un truc que mon père m'a souvent répété c'était s'immerger c'est émerger Et en fait, je me suis rendu compte que tous les projets que j'ai faits, j'avais toujours la même méthode. C'est qu'à un moment, je m'immergeais pleinement dans cet univers-là. Et je faisais boire, manger, dormir autour de cet univers-là. Et donc, c'est ce que j'ai fait au départ pour la course au large. Et en fait, c'est comme apprendre une nouvelle langue. Tu vois, quand tu arrives, je pense que les entrepreneurs peuvent se reconnaître là-dedans. C'est quand tu arrives dans une nouvelle activité, c'est comme apprendre une langue. Si tu es dans l'hôtellerie et tu arrives dans la musique, la musique, c'est un univers, c'est un langage, c'est des codes. La course au large, c'était pareil pour moi. J'arrivais, je devais apprendre une nouvelle langue. Au début, je n'ai fait qu'écouter et observer. Je faisais les entraînements, j'écoutais les débriefs. L'entraîneur de ce pôle-là, c'était Tanguy Le Glatin. C'est vrai qu'au début, il ne me calculait pas. On partait en entraînement, chacun était en solitaire sur son petit bateau de 6,50 m. Il arrivait avec son Zodiac, il regardait mes voiles. Ils faisaient une petite moue et ils se barraient sans rien dire. Ah oui, ok.
- Anthony Baron
Débrouille-toi.
- Benjamin Ferré
Il y avait zéro...
- Anthony Baron
Zéro transmission à ce moment-là.
- Benjamin Ferré
Ils n'étaient même pas reconnaissants, c'est qu'il n'y avait même pas de... Calculez pas quoi. Ok. Ce qui est marrant, c'est qu'aujourd'hui, c'est devenu quelqu'un de très important qui m'a accompagné pendant tout le Vendée Globe. On en a reparlé. Ma troisième place sur la mini, je lui dois en grande partie à lui. En fait, il avait identifié que c'était une façon chez moi de me motiver. Moi, c'est vrai que pendant très longtemps, ce que je voulais, ce n'était pas gagner des courses. Je voulais progresser pour avoir un jour peut-être un mot de Tanguy Le Glatin. Tu vois ? Un truc... Et donc, c'était ça qui me motivait au début, quoi, de progresser.
- Anthony Baron
il a décelé ça chez toi il s'est dit ok voilà comment Benjamin je vais le prendre
- Benjamin Ferré
C'est vrai que ça a super bien marché. Et à la fin, deux jours avant le départ de la Mini Transat, deux ans plus tard, je suis peut-être un des derniers concurrents qui l'appelle pour revoir le système météo, etc. avant de partir. Moi, j'avais besoin aussi de m'assurer que j'avais bien tout compris le modèle météo dans lequel on partait. Et voilà, c'est devenu vraiment quelqu'un de proche, un ami et qui m'a accompagné aussi. Du coup, je l'ai cherché aussi pour le Vendée Globe. Et donc voilà, comme quoi ça part parfois de... Tout comme ça. Et donc, pour répondre à ta question, tu te prépares pendant deux ans. Et donc, tu découvres un peu toutes les facettes de la course large. C'est ça qui est fascinant, c'est que la performance est liée à tout un tas de facteurs différents. C'est un peu comme quand on jouait à FIFA quand on était petit.
- Anthony Baron
Oui, absolument. Il y avait des étoiles.
- Benjamin Ferré
Absolument. Un bon navigateur, c'est quelqu'un qui n'a pas une pointe d'excellence, mais qui a l'étoile la plus homogène possible et qui est bon à peu près partout. Et donc on t'apprend la météo, la mécanique, la réparation de voile, la stratégie, le réglage des voiles, le rythme avant solitaire, le sommeil, la nutrition, la prépa physique, la prépa mentale. Et voilà, il y a tout un tas de facteurs et à la fin, tout ça, mis bout à bout, fait que tu es performant ou non sur l'eau. C'est ça le course large.
- Anthony Baron
Et donc tu finis 3ème de cette course, c'est ta première course au large ?
- Benjamin Ferré
Première grande traversée.
- Anthony Baron
Ouais, première grande traversée, 3ème. Là tu te dis quoi ?
- Benjamin Ferré
Et ben là je me dis que je me demande un peu comment je me suis retrouvé là. Je pense que c'était une énorme surprise pour plein de monde, mais moi j'étais le premier surpris.
- Anthony Baron
Ouais j'imagine, parce qu'également le regard aussi des autres participants, c'est qui celui-là ?
- Benjamin Ferré
C'est sûr que Pépin, moi mon surnom c'était Pépin. Benjamin voit le pépin et pépin il avait rien à faire sur le podium de la mini-transat et parce que t'as deux ans de préparation que moi j'avais beaucoup progressé pendant les deux ans mais qu'on est 80 participants au départ de la mini-transat et que certains concurrents faisaient de la course au large depuis tout petit c'était leur univers et donc même si moi j'essayais de m'insérer et de me coller au plus haut niveau en me mettant un peu dans leur roue pour progresser jamais j'aurais pensé pouvoir atteindre cette place là quoi et en fait ce qui est marrant c'est que c'est Tanguy qui a beaucoup joué c'est que la mini transat c'est en deux étapes la première étape qui nous amène de la rochelle jusqu'aux canaries et ensuite des canaries jusqu'à jusqu'aux antilles et donc la première étape moi je termine 11e et dans un coin de ma tête avant la mini même si je le reconnaissais pas forcément je m'étais dit bon un top 10 ce serait extraordinaire tu vois J'étais toujours entre 10 et 15, donc je me suis dit, 10e, ce serait fou. Et en fait, pendant l'escale entre les deux étapes, au Canary, Tanguy me dit, j'ai regardé ta première étape, et en fait, tu as lâché un moment, mais tu avais la speed, tu avais la vitesse, tu avais la vitesse des meilleurs. Et donc, je pense que si tu es capable de tenir un rythme élevé pendant toute la traversée, tu peux avoir un truc à l'arrivée. Et alors ça, moi, ça a fait un espèce d'effet.
- Anthony Baron
C'est un boost de motivation.
- Benjamin Ferré
Ça a créé quelque chose en moi. À partir du moment où il m'a mis ça, je me suis mis en mode compétiteur, mais même pendant l'escale aux Canaries. Du coup, après ça, tous les matins, j'allais nager, je faisais de la prépa physique, machin. J'étais vraiment passé en mode ultra compétitif. Je me souviens quand je voyais un des rushs de la traversée, tu vois, on filmait avec des petites GoPro, et le premier jour, je sens, tu vois, je dis, si j'arrive à garder ce rythme-là jusqu'à l'arrivée, il va se passer quelque chose, quoi. Et je sentais qu'il pouvait y avoir un truc. Et au final... Premier jour, la première nuit, je suis deuxième, et je suis deuxième quasiment toute la traversée, et je suis doublé, je crois, la dernière nuit par Nicolas Desté, et j'arrive à troisième de la deuxième étape, et en temps cumulé, troisième au général. Et en fait, ce qui est extraordinaire, c'est que pendant la mini, tu n'as pas connaissance de ton classement. Normalement, tu as une petite BLU, une petite radio. Et tous les jours, tu reçois depuis Radio Monaco ta distance au but. Et donc, c'est comme ça que tu connais ton classement. Et moi, ma BLU, à partir de la moitié de la course, est morte. Et du coup, moi, je ne sais pas. Donc, je donne mon maximum, mais je ne sais pas.
- Anthony Baron
Du coup, tu connais pas ton classement jusqu'à la fin.
- Benjamin Ferré
Et c'est un catamaran qui arrive à la pointe des Antilles, de la Martinique, et qui vient me voir et qui me fait le signe 3 comme ça. Il dit, ah, t'es troisième et tout. Alors là, moi, je suis parti dans les tours. C'était extraordinaire.
- Anthony Baron
Ouais, j'imagine.
- Benjamin Ferré
Le passage de ligne d'arrivée. Il fallait que le quatrième arrive plus de 7 heures derrière moi. je voulais garder la 3ème place il est arrivé je crois à 7h avec des brouettes donc c'était bon, c'était validé c'était bon et voilà comment se termine l'histoire mini Transat mais donc extraordinaire et encore une fois lié à des petites phrases, des personnes qui t'accompagnent Tanguy y avait beaucoup joué, mais il y a aussi d'autres concurrents de la mini qui m'avaient vachement fait progresser pendant les deux ans. Je crois que parfois, les gens ne soupçonnent pas l'aide ou les bouleversements qu'ils peuvent créer par des petites phrases, par une attention, quand ils sont crédibles dans un domaine.
- Anthony Baron
C'est justement la question que j'avais aussi pour toi. C'est quoi cet univers de la voile, des navigateurs, enfin les grands navigateurs est-ce que c'est un univers de solidarité très forte ou au contraire un monde plutôt individualiste parce que c'est un monde aussi de compétition comment toi déjà tu as été accueilli dans cet univers parce que tu n'es pas, ce que j'ai compris, issu non plus d'une famille de navigateurs donc...
- Benjamin Ferré
je pense qu'il y a deux échelles la mini Transat c'est extraordinaire l'ambiance et nous en plus on est tombé une année vraiment magique et t'avais une espèce de solidarité mais c'était une colonie de vacances pendant deux ans de 85 participants, pour te donner un exemple l'arrivée du dernier Georges Kik je crois il avait plus de 70 ans et à son arrivée en Martinique 100% des autres participants étaient là à son arrivée. Sa femme, la cordée, on était là pour son arrivée. Tout le monde a sauté à l'eau pour célébrer son arrivée. C'était une arrivée de Vendée Globe pour lui. C'était tellement logique. Pendant les deux ans, tu as une entraide extraordinaire. Moi, j'ai cassé mon bateau une fois en trois jours. Les autres concurrents ont délaissé leur bateau pour que je puisse participer à cette course de préparation. il y avait une solidarité, une osmose un espèce de de petits mondes idéale, bourrés de bienveillance, de solidarité. La mini-transat, c'était magique pour ça. Et après, le Vendée Globe, qui est une catégorie où il y a plus d'enjeux, plus d'argent, plus de... Là, je t'avoue, je n'ai pas ressenti la même chose, du moins au début. Je pense qu'il y a toujours cet ADN de solidarité entre les gens de mer. Ça, c'est un fondement de la course au large. Il y a énormément de respect parce qu'on sait... que c'est tellement dur quand un autre concurrent termine la course, on sait qu'il se bat avant tout contre lui, avant de se battre contre quelqu'un d'autre. Donc il y a cette solidarité et ce respect. Par contre, en arrivant en IMOCA, moi je sentais que, comme je n'ai un peu de nulle part et que je n'avais pas fait mes classes habituelles, je fais karting, Formule 1, et souvent tu passes par des étapes intermédiaires. Je sentais au début quand même que... La discrétion était de mise.
- Anthony Baron
D'accord. Faire un peu profil bas, c'est ça ?
- Benjamin Ferré
J'avais l'impression qu'il y avait une horde de kalachnikovs qui m'attendaient, prêts à dégainer au moindre faux pas ou à la moindre contre-performance sportive. En se disant... peut-être qu'il n'a pas sa place ici. En fait, au début, je trouvais ça hyper dur. Et avec le recul, je me suis rendu compte qu'en fait, tu ne pouvais acquérir la reconnaissance de tes pairs par ce que tu faisais en mer. Et en fait, tu peux à terre être le plus médiatique du monde, bien parler ou ce que tu veux. Ce qui compte, c'est qu'est-ce que tu donnes tout seul sur ton bateau. Et ça, en fait, c'est assez noble finalement. Et moi, j'ai eu beaucoup de chance parce qu'une de mes premières courses, c'était la Vendée-Arctique. Je découvrais l'IMOCA, Jean m'avait pas mal accompagné déjà jusqu'à présent. Et bref, il y a tout un phénomène météo qui se passe, etc. Et moi, je prends un petit trou au météo et je termine quatrième de la Vendée-Arctique. Et là, j'ai senti...
- Anthony Baron
C'est en 2022, la Vendée-Arctique.
- Benjamin Ferré
Et là, c'était marrant parce que... Moi, ça m'a mis une espèce de couche de protection, tu vois ma petite couche d'ozone là. Et j'ai senti que le regard avait changé aussi de certaines personnes du circuit. Il y en a qui ne me calculaient pas avant et qui ont commencé à dire bonjour. Enfin, tu vois, mais je trouvais ça paradoxal et à la fois, je trouvais ça assez sain en fait de se dire, bah oui, en fait.
- Anthony Baron
C'était une source de motivation pour toi, justement, d'aller chercher la reconnaissance des autres navigateurs du Vendée Globe ?
- Benjamin Ferré
Pas forcément des autres navigateurs, mais par contre, j'avais envie d'être à la hauteur.
- Anthony Baron
Ou de la légitimité ?
- Benjamin Ferré
C'est plus de la confiance que, tu vois, Jean Le Cam, je savais le risque qu'il avait pris quelque part en me pariant sur un petit gars qui venait de nulle part. Mes sponsors, ils n'avaient jamais fait de sponsoring de leur vie, ils étaient aussi novices. Et donc, je crois que j'avais plutôt envie au début d'être à la hauteur des gens qui m'avaient fait confiance. Et voilà, mais je sentais qu'il fallait le faire avec... avec beaucoup de discrétion et d'humilité par le haut niveau quoi l'imoka ça m'a vraiment appris ça quoi
parce que justement si on revient au bateau donc il y a un bateau de légende qui est l'imoka tu le croises après dix ans auparavant au Cap Horn parce que c'est François Gabart qui gagne le Vendée Globe avec durant cette édition et ensuite donc c'est Clarisse Kremer qui navigue avec sur l'édition la 12e édition je crois du Vendée Globe 2020 2021 Paul Meillat entre temps et Paul Meillat avec SMA et après Clarisse avec Banque Populaire et ouais il y a des belles histoires sur ce bateau exactement et tu écris la suite de cette histoire donc c'est magnifique mais comment tu fais l'acquisition de ce bateau parce que j'imagine que ça ne va pas être évident enfin il y a des IMOCA il n'y en a pas on ne le trouve pas sur le bon coin ça ne court pas les rues alors l'histoire est longue mais donc le bateau il appartient à Michel Desjoyons il le loue à Banque Populaire pour le Vendée Globe de Clarisse. D'accord. Et en fait, quand je commence à penser au Vendée Globe, je navigue sur le bateau de Fabrice Amedeo, qui est un des concurrents du Vendée Globe. Je fais une nuit en mer avec lui, etc. Et il me donne un numéro de téléphone en me disant, appelle ce numéro, il te servira si un jour tu as envie de faire le Vendée Globe. Et moi, je ne savais pas trop à ce moment-là si j'en avais envie ou pas. Et bref, il s'avère que c'était... le numéro de Michel Desjoyons. Et donc on papote de plein de choses, y compris qu'il est propriétaire d'un IMOCA et qu'il le vendra à la suite du Vendée Globe de Clarisse.
- Anthony Baron
Ah donc là il était prêt à le vendre ? Ouais. Donc c'est pas le même budget forcément ? C'est pas du tout le même budget.
- Benjamin Ferré
c'est pas du tout le même budget c'est pas les mêmes enjeux c'est pas le même risque et du coup donc quelques mois plus tard donc on est pendant le c'est pendant le vendée globe de clarisse donc pendant le vendée globe 2020 2021 qu'on est en décembre décembre 2020 comme ça Et donc là, j'appelle Michel Desjoyons et je lui dis, je pense que je vais me lancer sur le prochain Vendée Globe. Qu'en est-il de ce bateau ? Et donc, je suis dans les premiers à le contacter. Et donc, je signe avec lui un contrat de réservation. Et donc, j'ai un accompte qui n'est pas très important à verser, que je perds si je ne verse pas l'intégralité du bateau. Et j'ai six mois pour trouver les sponsors pour pouvoir financer le bateau.
- Anthony Baron
C'est hyper court, six mois.
- Benjamin Ferré
Oui, six mois, ce n'est pas énorme. enfin un peu plus que ça parce qu'on est en décembre j'ai jusqu'en septembre 2021 donc là c'est la course au sponsor ouais et donc du coup là je signe le contrat de réservation à Mifdèges et là je disparais des radars et je passe ma vie à Paris jour et nuit à faire que chercher des sponsors mais quand je te dis que ça je pense à un job à temps plein j'étais devenu maladif c'est que je voyais Roadcaster sur un enregistrement de podcast je me suis dit Roadcaster ok je vais je vais les contacter, etc. Chaque marque, un paquet de Kellogg's, c'était un sponsor potentiel. Il n'y avait plus que des logos. J'étais entouré plus que par des logos et des sponsors potentiels. Et même les dîners, je me rappelle, on faisait des dîners et dès qu'il y avait quelqu'un autour de la table, c'était presque devenu malsain parce que je disais « Ah, tu fais quoi ? Je suis en marketing. » Et là, je ne voyais plus la personne. Je voyais le potentiel.
- Anthony Baron
Le potentiel financeur.
- Benjamin Ferré
Et à la fin, c'était devenu un Hyper hyper stressant.
- Anthony Baron
T'étais seul sur la recherche des sponsors ?
- Benjamin Ferré
J'étais tout seul au début et après Julie, qui est un peu ma petite fée avec qui je travaillais avec Imago, faisait toutes mes plaquettes. Donc on avait un process assez bien ficelé, c'est que moi la journée je faisais plein de rendez-vous. Le soir j'allais dans des événements à Paris, des salons, des trucs comme ça, en me disant peut-être qu'à la soirée je vais rencontrer quelqu'un. Je prenais des cartes de visite, j'envoyais le soir à Julie. Le soir et une partie de la nuit, elle faisait des plaquettes un peu personnalisées à ce que j'avais dit. Et le lendemain matin, comme ça, j'envoyais la plaquette au mec en lui disant « Ah, on s'est rencontrés hier soir, j'ai fait un truc hyper personnalisé. » Et donc ça montrait quand même que tu étais ultra réactif.
- Anthony Baron
Bien sûr.
- Benjamin Ferré
Et donc on a eu notre petit process. Et on a eu des hauts et des bas. Terrible quoi, des sponsors.
- Anthony Baron
C'est très bien raconté dans le livre, cette recherche de sponsors.
- Benjamin Ferré
De haut, de bas, de moments où tu penses aller le matin pour aller signer le contrat et en fait tout s'effondre. Après, d'arriver au moment où tu vas signer le contrat, c'est un travail de titan. Et quand tout ça s'effondre, tu repars à zéro. Donc moi, je passe un peu plus de six mois à bosser vraiment jour et nuit sur la route.
- Anthony Baron
Et là, il n'y a pas d'entraînement, il n'y a pas de navigation.
- Benjamin Ferré
Non. Et là, j'ai disparu des radars. Je ne suis plus du tout en Bretagne. Je ne navigue plus du tout. Et d'ailleurs, la plupart pensent que j'ai arrêté le bateau après la mini-transat. Et moi, franchement, j'ai adoré cette partie-là. Tu vois, d'avoir disparu des radars et de revenir à un moment en disant... Parce qu'en fait, tout le monde se posait la question de qui avait racheté ce bateau-là. C'était un bateau un peu mythique. Et ce qui était hyper frustrant, c'est que plus on se rapprochait de l'échéance... du montant à payer. En fait, les banques ne voulaient pas me financer tant que je n'avais pas de contrat de sponsoring signé. Tant que je n'étais pas capable de démontrer que le contrat de sponsoring pouvait rembourser l'emprunt du bateau, je ne pouvais pas me faire financer. Et Michel Desjoyaux n'avait pas communiqué sur qui avait fait le contrat de réservation. Et au fur et à mesure, le bruit a commencé à courir que c'était moi qui avais le contrat de réservation. Et donc, il y avait des gens qui m'appelaient. Et qui me disait, à priori, tu ne vas pas trouver tes sponsors. Et du coup, on sera prêt à te racheter ton contrat de réservation un peu plus cher. Et comme ça, nous, on récupère le bateau. C'est une autre pression. Parce que ça me donnait aussi un peu de motivation supplémentaire. parce que ça me rendait fou de perdre potentiellement le bateau et je trouvais ça un peu indélicat de t'appeler en disant je sais que t'es dans la merde donc je vais te prendre le bateau que t'as réservé je trouvais ça un peu indélicat et j'ai signé avec le groupe Monoyer je crois le 9 septembre 15 jours avant la date butoir.
- Anthony Baron
Une première pour Monoyer d'ailleurs.
- Benjamin Ferré
Qui n'avait jamais fait de sponsoring. Et donc voilà, j'appelle Michel Desjoyeux et je lui dis, laisse-moi juste encore un peu de temps pour monter le dossier bancaire, etc. Mais c'est bon, j'ai trouvé le sponsor, je peux acheter le bateau et on part là-dessus.
- Anthony Baron
Parce que le budget que tu recherchais, c'était 1,5 million d'euros par an sur 4 ans. Globalement, c'était ça ce qui fait 6 millions.
- Benjamin Ferré
Oui, mais au final...
- Anthony Baron
Ok, ça a permis de boucler quand même. Et après, il y a une association également qui est due au For a Job. Comment également tu trouves cette association pour l'inscrire sur le bateau ?
- Benjamin Ferré
Déjà, il y a des discussions qui s'instaurent avec Monoyer. Monoyer, comme tu le disais, ils n'ont jamais fait de sponsoring de leur vie. C'est d'ailleurs le tout premier entretien que j'ai fait avec Philippe Monoyer. Elle démarre comme ça, il ne savait pas pourquoi on faisait la visio. Et quand il commence à comprendre que je vais lui demander de l'argent, il me dit, tu sais Benjamin, on existe depuis un peu plus de 100 ans, on n'a jamais fait de sponsoring et on ne fera probablement jamais de sponsoring. Donc parle-moi de ce que tu veux, j'ai une heure devant moi. Et c'est comme ça que ça a démarré et c'est ça qui était extraordinaire, c'est que du coup je lui ai parlé de manière hyper... Détaché. de mon projet. Et en fait, ça a été plus un coup de foudre humain que de projet. Et donc, petit à petit, les choses se sont ficelées. Et Monoyer n'a jamais fait ça pour être ostentatoire. C'est des gens qui sont très discrets. Et du coup, on a parlé avec Philippe Monoyer, et lui disait que ce serait intéressant d'associer Monoyer et d'offrir la moitié de la visibilité du bateau à un projet qui aurait du sens. et donc moi j'ai proposé duo for a Job parce que il y avait toute cette histoire d'intergénérationnel qui me tenait à coeur par rapport à ton vécu aussi ce que tu disais en fait moi c'est toujours par des gens qui avaient le double de mon âge que je me suis enrichi et donc ça a été mes parents puis Vessel Berger puis Jean Lecam puis tu vois j'ai toujours eu des mentors qui avaient cette histoire de transmission Mon sponsor principal était une boîte familiale centenaire. Il y avait cette histoire de transmission avec Jean Lecam. Et Duo for a job, c'est une asso qui crée des binômes entre des jeunes issus de l'immigration et des mentors de plus de 60 ans qui les accompagnent pour retrouver le chemin de l'emploi. et retrouver après les parcours de vie difficiles une vie un peu plus respirable et donc encore cette histoire d'intergénérationnel et donc voilà c'est comme ça que c'est parti avec Duo for a Job et que le bateau s'est appelé Monoyer Duo for a Job et je pense qu'on a compris la richesse que c'était aussi de mettre une association ou en tout cas une cause en avant même pour les collaborateurs de Monoyer et les énergies entre eux etc et tu vois c'est marrant, hier j'étais à un événement pour Gustave Roussy la recherche contre le cancer Monoyer est très impliqué depuis très longtemps chez eux et je sais que si un jour une histoire doit s'écrire de nouveau avec Monoyer, moi je trouverais ça génial de le faire avec Gustave Roussy de ce que j'ai entendu hier je le dis là parce que je l'ai en tête depuis hier mais l'objectif dans 15 ans de pouvoir guérir 80% des cancers 80%
- Anthony Baron
C'est énorme. L'enjeu est extraordinaire. C'est un très objectif en soi et totalement louable.
- Benjamin Ferré
Tout ça ne repose que sur la recherche et donc les montants qu'on peut redonner à la recherche. En fait, tu te dis, avec ça, on peut être la génération qui a éradiqué le cancer. Comme une génération a éradiqué le sida, on peut être la génération qui fait disparaître le cancer. Tout à fait. J'étais très touché de l'événement hier soir. Je pense que si un jour je repars en bateau, je pense que de proposer quelque chose à Gustave aussi, ça aurait du sens.
- Anthony Baron
Très bien, on le note pour plus tard. Et donc en fait, là tu as le bateau, tu as le financement, donc là c'est parti.
- Benjamin Ferré
Oui, c'est parti.
- Anthony Baron
Donc là il y a l'entraînement sur le bateau, apprendre à l'apprivoiser. Il y a des courses qualificatives également. Et donc ça, c'est ce que tu fais pendant globalement les 2-3 ans avant le départ du Vendée Globe.
- Benjamin Ferré
Oui, c'est ça. Pour les grandes courses, c'est la route du Rhum et la Trinidad-Jagob, qui s'appelle Café Or maintenant. Et après, il y a des entraînements et il y a aussi toutes les formations à côté. Puisqu'on va partir en solitaire autour du monde, il faut qu'on sache gérer l'électronique, la mécanique, l'hydraulique, etc. et j'ai un petit sourire en coin parce que Jean Jean, c'est vraiment un technicien. Jean, à 7h du matin, il est au chantier. À 22h, il part du chantier.
- Anthony Baron
Il y est le samedi.
- Benjamin Ferré
Il n'est que au chantier.
- Anthony Baron
Et tu as suivi le même rythme ?
- Benjamin Ferré
Non, mais il m'a chambré pendant 4 ans en me disant « mais tu n'es jamais au chantier ! » Et c'est vrai que moi, j'ai essayé de me former autant que possible, mais tu as aussi plein de choses à côté. Tu as les sollicitations de tes sponsors, etc. Mais Jean, c'est un vrai... C'est un des derniers, je pense, vrais techniciens de la course au large. Et du coup, même si selon lui, j'étais passé au chantier, j'ai appris mille choses. Au début, j'allais le week-end, tu vois, quand j'habitais chez eux, j'allais le week-end avec le chantier. Et là, c'est magique, tu te mets juste à côté, tu regardes, tu apprends. Et voilà, donc je m'entraînais comme ça, en mer et à terre.
- Anthony Baron
C'est ça, parce que toi, tu as une autre théorie que tu évoques dans le livre. C'est que globalement, passer beaucoup de temps sur le bateau permet effectivement aussi de progresser très,très vite.
- Benjamin Ferré
Moi, ma philosophie, c'était la même que pour la mini-transat. Encore une fois, ça revient à s'immerger, c'est émerger. C'est que je pensais que je pouvais rattraper mon retard par rapport aux autres en passant plus de temps qu'eux sur mon bateau. C'est que le bateau, c'est comme un instrument de musique. C'est comme un violon celliste. S'il passe plus d'heures à répéter, il connaît son objet par cœur. C'est le prolongement de soi. Et donc, tu es plus performant avec un outil que tu connais par cœur. Et donc, mon outil était peut-être un peu moins récent et un peu plus vieux que les autres. Mais si je le connaissais mieux que les autres, ta vieille visseuse que tu connais par cœur, tu visseras plus vite que la dernière crie que tu ne connais pas sur le bout des doigts. Moi, c'était un peu ça ma philosophie. C'était de connaître parfaitement mon outil de travail et donc de pouvoir compenser mon inexpérience par une connaissance absolue de mon bateau.
- Anthony Baron
Et après, il y a toute cette partie également de préparation physique, mentale. On est dans l'univers des sportifs de haut niveau.
- Benjamin Ferré
Alors là, toute cette partie-là, Elle est fascinante et encore une fois, c'est au contact des meilleurs, moi, qui m'a fait progresser. C'est que j'intègre, grâce à Jean Le Cam, le pôle France, course au large de Port-la-Forêt, pôle Finistère course au large. Et donc, mes petits camarades d'entraînement, c'est Jérémy Beyou, Thomas Ruyant, Sam Davis, les plus grands noms de la course au large. Et moi, je me souviens que quand j'arrive... La première fois en salle, j'ai vraiment l'impression d'être le sixième qui s'est planté de classe et qui est en terminale. Je suis hyper impressionné des noms qu'il y a autour de cette table. Et en fait, grâce au pôle, on a des préparateurs physiques, mentaux, une ostéo à disposition, un corps médical. des formations météo. Et donc, non seulement tu progresses vite, mais en plus, tu vois aussi comment les plus grands s'entraînent. Moi, ma prépa physique, je la faisais avec Charlie Dalin. Enfin, voilà, tu vois, ceux qui visaient. la gagne sur le Pays Globe donc forcément ça tire vers le haut et donc moi j'essaie de me mettre encore une fois dans la roue des meilleurs j'essaie de me mettre à leur cadence et donc il y a un gros travail de préparation comme tu dis tu deviens un peu sportif de haut niveau.
- Anthony Baron
En tout cas c'est très bien dit et c'est effectivement ce qu'il y a ressenti il y a quelque chose qui m'a marqué c'est la connaissance de ton corps elle est extrême et quasi à la perfection La gestion du sommeil, elle est également millimétrée. Tu utilises justement cette image ou la métaphore de la batterie de téléphone où tu ne peux pas te décharger à moins de 10 ou 20%. J'ai adoré cette anecdote.
- Benjamin Ferré
Déjà, tu apprends une chose, la réussite repose sur la discipline. Moi, je l'ai découvert ces quatre dernières années. C'est en ayant une rigueur extrême et une grande discipline que tu peux atteindre des objectifs élevés. Et donc c'est vrai dans tous les secteurs dont je te parlais tout à l'heure, enfin tous les facteurs de performance. Et le sommeil en fait partie. Et en fait le sommeil, c'est assez marrant comment ça fonctionne. Pendant très longtemps, les navigateurs pensaient qu'il fallait s'entraîner à ne pas dormir avant de partir en course. Parce qu'il faut savoir que nous en mer, on dort par sieste de 20 à 40 minutes. Et on espace ça sur 24 heures et en général, ça fait une moyenne d'entre 4 et 5 heures par 24 heures.
- Anthony Baron
Par 24 heures, d'accord.
- Benjamin Ferré
Par petite sieste de 20 à 40 minutes. Et donc le sommeil, on a découvert qu'en fait, ça fonctionnait exactement comme une batterie de téléphone. C'est-à-dire qu'avant de partir pour les grandes courses, il faut partir avec ta batterie le plus chargée possible. Donc moi par exemple les trois mois avant le départ du Vendée Globe, je dormais 9h par nuit, je me couchais à 22h, je me levais à 7h du matin et je faisais une sieste après le déjeuner. Donc je cumulais 10h de sommeil, ce qui m'a fait me rendre compte d'ailleurs à quel point le sommeil était le meilleur outil du monde. de clairvoyance et de lucidité. Tu pars avec ta batterie la plus chargée possible. L'objectif pendant la course, pendant le Vendée Globe, est de jamais descendre à un seuil critique de sommeil. Pour nous, c'est quand on commence à avoir des hallucinations sonores d'abord. et ensuite visuel. Et donc là, c'est le seuil critique. Et en fait, je prenais l'exemple du téléphone portable parce que ton téléphone, s'il s'éteint, quand tu vas le brancher, il met un peu de temps, tu vas retrouver la petite pomme qui apparaît. Le sommeil, c'est exactement pareil. C'est-à-dire que si tu descends à 30% de batterie et que tu branches, donc en allant faire ta sieste, tu réatteins beaucoup plus rapidement tes 70-80%. Par contre, si tu descends en dessous de 20%, et encore pire si tu le laisses s'éteindre, là quand tu vas le brancher, tu vas mettre énormément de temps à retrouver un seuil acceptable. Et donc nous, c'est ça notre métier sur le Vendée Globe, c'est d'essayer d'avoir toujours un petit coussin de sécurité. Au cas où tu as une grosse avarie qui fait que tu ne peux vraiment pas dormir pendant 24 ou 48 heures. Et de jamais descendre en dessous de ce seuil-là. Donc de jamais avoir d'hallucinations sonores ou visuelles. Et pour toujours rester aussi à un seuil de lucidité. Qui fait que tes manœuvres, tu les fais proprement. Qui fait que ta stratégie, tu es un peu plus lucide quand tu décides de prendre telle ou telle trajectoire. Moi, j'avais plein de petites techniques aussi sur le Vendée pour identifier mon degré de lucidité par rapport à la prise de décision. parfois, toi qui est entrepreneur, parfois tu prends des décisions mais t'as pas dormi de la semaine, tu t'es engueulé avec ta femme.
- Anthony Baron
C'est pas toujours rationnel parfois et oui, on a besoin d'un peu de lucidité. Donc d'où le fait aussi parfois de dire ok, je laisse poser le sujet et je reviens dessus le lendemain par exemple.
- Benjamin Ferré
Par exemple en bateau, parfois t'as l'impression de voir un coup météo que personne n'a vu, etc. Et moi, j'avais une frise où je mettais quatre catégories, donc boire, manger, dormir. Donc une bouteille d'eau d'un litre cinq, un tiré, un repas, un tiré et une sieste de 40 minutes, un tiré. Et donc je faisais ça toutes les 24 heures. Ce qui me permettait de voir instantanément et visuellement mon degré de lucidité à tel moment de la course. Et donc à un moment, si j'ai une manœuvre un peu compliquée à faire, mais qu'en fait, je n'ai pas bu,
- Anthony Baron
pas mangé,
- Benjamin Ferré
en fait, ma priorité à ce moment-là, elle n'est pas d'aller changer de voile, elle est d'aller récupérer de l'énergie et de la lucidité. Et en fait, la course au large, c'est ça le principe, c'est que comme on ne peut pas tout faire tout seul, on passe notre vie à gérer des priorités. Et donc parfois, même si l'urgence serait d'aller changer de voile, la priorité... Et d'aller retrouver de l'énergie.
- Anthony Baron
C'est soi.
- Benjamin Ferré
Et ça, ça sert vachement, je trouve, dans le quotidien. C'est que, on est tous pareil dans la vie. Bien sûr. On passe notre vie à gérer des priorités. Oui, tout à fait. Et d'apprendre à le faire, et à le faire avec un certain degré de lucidité, je trouve que ça aide pas mal.
- Anthony Baron
Absolument. Et donc, ce Vendée Globe, là, tu te sens prêt au moment du départ ? Ou il reste encore quelques doutes ?
- Benjamin Ferré
Alors, je me sens vraiment prêt. D'ailleurs, je me souviens avoir dit à Philippe Monoyer, euh Peut-être tu vois la veille du départ, que je ne me suis jamais senti aussi prêt pour une course. Et c'est assez étonnant d'ailleurs parce que le Vendée Globe c'est hyper impressionnant. L'engouement qu'il y a, le nombre de personnes qu'il y a, et puis c'est l'accomplissement de 4 ans de sacrifice. Bien sûr. Et tu sais que tu pars pour une course qui peut peut-être s'arrêter dans 24 heures. C'est 4 ans de préparation, de sacrifice, où tu demandes aussi à 100% des gens autour de toi de se mettre à ton diapason. C'est eux qui t'aident à réaliser ton rêve, c'est eux qui s'adaptent à tes contraintes. Et donc, tu y es, tu es à la veille de la réalisation de ton rêve, déjà d'être au départ. Et ce qui est étonnant, c'est que moi, je me sentais particulièrement prêt parce que... Il y a quelque chose qui m'a beaucoup aidé. J'avais beaucoup fait de prépa mental. Et en fait, il y a deux choses. Donc avec Tanguy Le Glatin, qui n'est pas préparateur mental, mais j'en avais essayé plein, tu vois. Et je n'avais jamais vraiment trouvé les chaussures à mon pied. Et Tanguy, en fait, il me connaissait tellement par cœur que je savais qu'il saurait s'adapter, tu vois, au même titre qu'on disait en préambule, il a su comment me motiver. Et bien, je disais qu'il arriverait à rentrer dans ma tête pour bien me préparer. Et il m'a donné, je pense, les deux meilleurs conseils qu'on pouvait me donner. c'est que sur le village du départ du Vendée Globe. Il m'a fait faire deux choses. La première, c'était revenir deux jours des Sables d'Olonne à Saint-Malo chez moi. Et j'ai fait un week-end avec toute ma famille, avec mes parents, mes frères et sœurs, ma belle-sœur, etc. Et en fait, je leur ai dit, c'est pendant ce week-end-là qu'on va se dire au revoir. Moi, c'était mon anniversaire, donc on a fêté mon anniversaire. Et on s'est dit les choses qu'on avait besoin de se dire. Moi, je les ai serrées dans les bras comme si c'était le départ. Et ce qui fait que dix jours plus tard, ce dont on ne se rend pas compte, c'est qu'un jour de départ comme ça, toi, tu es dans ton émotion à toi et tu as déjà du mal à gérer la tienne. Mais le plus dur, c'est de gérer l'émotion des autres. Et quand tu es parent, quand tu es frère, quand tu es copine, quand tu es équipe technique, en fait, cette émotion-là, elle est présente aussi. Et donc parfois, je ne sais pas, une maman qui n'a pas eu le dernier regard avec son fils ou un dernier enlacement, ça génère de la frustration, de la tristesse et toi, tu le ressens. Et ça, ça peut te déstabiliser, tu vois, sur un départ. Et là, ce qui était extraordinaire, c'est que quand j'ai remonté le ponton pour monter sur mon bateau, il y avait toute ma famille, mes amis, mon équipe technique qui était là. Et j'ai croisé ces regards-là et je sentais qu'il n'y avait pas une once de frustration, tu vois. Il y avait un truc vraiment de « t'inquiète, on s'est déjà dit au revoir et donc profite de ce moment-là » . Et ça, moi, ça m'a donné une sérénité qui était…
- Anthony Baron
Un soulagement aussi, le poids de la culpabilité qui part.
- Benjamin Ferré
C'est ça qui était absolu. Donc ça, c'est la première chose que Tanguy m'a conseillé de faire, qui était vraiment très juste. Et la seconde, c'était de faire une répétition générale du départ du Vendée Globe avec mon équipe technique. Et donc, on a décidé 15 jours avant le départ au Sable d'Olonne. Il y a le village départ, le bateau est là. Je me suis levé à la même heure que le départ du Vendée Globe. J'ai pris la douche du même temps. J'ai pris le même petit déjeuner. Je me suis habillé exactement comme pour le départ du Vendée Globe. J'ai pris mon vélo en suivant le même trajet. Je suis arrivé à l'heure précise à laquelle je partirais pour le départ du Vendée Globe. L'équipe technique était là. On est parti à l'heure pile comme le départ. On a descendu le chenal. Alors, il n'y avait personne, mais moi, je saluais quand même à l'avant du bateau.
- Anthony Baron
Même le geste de la main est répété.
- Benjamin Ferré
À l'avant du bateau. Et ensuite, on a fait une ligne fictive au large des Sables d'Olonne. Et tu sais, les équipiers sautent du bateau peu de temps avant le départ. Donc, on a répété tout ça. J'ai pris le départ tout seul. J'ai navigué un quart d'heure tout seul. Et après, ils sont montés sur le bateau. D'accord. On a ramené le bateau. Et ça... Ça,
- Anthony Baron
ça t'a apporté quoi ?
- Benjamin Ferré
Une espèce de sérénité absolue, même pour l'équipe, c'est qu'en fait, le jour du départ, nous on était tous bizu. Personne dans mon équipe n'avait jamais fait le Vendée Globe, que ce soit mes sponsors, mon équipe technique, on était tous dans la découverte. Et pour autant, je crois que le jour du départ du Vendée Globe, tout le monde était tellement parfaitement à sa place, parfaitement concentré. C'était lié non seulement à une osmose, je pense qu'on avait réussi à toucher avec l'équipe, tout le monde était heureux de vivre ce moment-là ensemble. mais aussi cette répétition générale en fait avait amené de la sérénité à tout le monde parce qu'on n'était plus dans la découverte de l'instant chacun pouvait vivre son émotion parce qu'on était dans une espèce de répétition comme je pas comme un artiste au théâtre tu vois bien sûr bien sûr ben voilà on avait fait notre répétition générale et donc on a fait que dérouler pour le jour du départ et ça moi le fait de sentir les gens autour de moi serein Moi qui suis un peu une éponge, je chantais les gens heureux et sereins. Et du coup, moi, j'étais heureux et serein.
- Anthony Baron
Très bien. Alors, comment se passe ce Vendée Globe ?
- Benjamin Ferré
Le Vendée Globe, il est extraordinaire. La fin de l'histoire, elle est magique. Alors, c'est difficile de raconter trois mois comme ça. Il y a des hauts et des bas. Je dis souvent que c'est un condensé de vie en accéléré. C'est que tu vis un peu toutes les palettes des émotions de la vie. Mais des émotions qui sont très simplifiées, très enfantines en fait. Moi, c'est ce qui m'a beaucoup plu. C'est que, tu vois, c'était marrant, j'étais dans une école à Boulogne il n'y a pas très longtemps et la maîtresse leur avait fait une exposition sur les émotions. Donc, c'était des gamins de 5-6 ans et ils bossaient leurs émotions. Et en fait, ils avaient pris plein de screenshots de mes vidéos du Vendée Globe et tu avais la joie, la tristesse, la peur, la colère et c'était à peu près tout, tu vois. Et en fait, j'ai trouvé ça hyper juste parce que pendant le Vendée Globe, c'est à peu près les émotions qu'on traverse. C'est des émotions qui sont très simples, mais très exacerbées. Et je trouvais qu'en fait, ce qui était magique, c'est qu'il y avait un côté enfantin là-dedans, c'est que tu n'avais pas toute la complexité des émotions que tu peux ressentir à terre. À terre, j'ai l'impression que tout est un peu plus complexe avec les gens.
- Anthony Baron
Parce que tu es dans l'interaction humaine.
- Benjamin Ferré
Tu es face au regard de l'autre aussi. Alors que là, c'était euh T'es triste, t'es joyeux, t'es en colère, mais c'est vraiment très enfantin. Et surtout, hyper intense. T'as des degrés de, moi je me souviens, d'avoir pleuré quasiment tous les jours de joie d'être là. Je pense que le Vendée Globe c'est 99% de souffrance pour 1% de joie. Mais ces moments de joie, ils sont tellement intenses, et tellement uniques et tellement singuliers. qu'ils effacent les 99 autre pourcent et que comme le cerveau est bien fait c'est pour ça aussi que des femmes peuvent accoucher plusieurs fois c'est que le cerveau oublie la douleur et la difficulté quand t'arrives bah T'oublies les moments difficiles et c'est aussi pour ça je pense que parfois t'as envie de repartir c'est que t'oublies à quel point ça a été dur et moi la cerise sur le gâteau c'est qu'il y a eu un scénario qui était impensable Parce que t'avais une ambition ou un objectif sur le Vendée Globe ? Le premier objectif c'était de finir ça c'est un truc que Jean m'a toujours répété c'est que l'essentiel c'est d'arriver le deuxième c'était bien sûr j'avais envie de faire une bonne performance Je crois que j'avais envie d'être acteur de la course. J'avais envie que les gens qui connaissent vraiment la course au large regardent ma trace et se disent « Ok, Pépin, il a bien navigué. Il a fait une jolie trajectoire, il allait vite, il avait la bonne vitesse. » J'avais envie d'être acteur de cette course d'un point de vue performance. Et en fait, le scénario a fait que Jean Lecam a mené la course des bateaux à dérive pendant très longtemps. Moi, à un moment, j'ai accumulé 1000 milles de retard sur lui. Et puis après le Cap Horn, il y a eu un phénomène météo qui a fait qu'on avait une porte pour revenir. On s'est inséré dedans avec Tanguy, le Turquet, qui était sur le bateau Lazare. On a réussi à doubler Jean, qui en plus avait un pépin technique à ce moment-là. Et à ce moment-là, s'est mis en place une espèce de course effrénée avec Tanguy. C'est-à-dire que pendant... quasiment 20 jours 21 jours on s'est pas quitté d'une semelle c'est à dire que tous les jours il y en avait un qui repassait devant qui double d'accord c'était effectivement la course dans la course quoi la course dans la course pour la compétition des bateaux à dérive c'était d'une intensité folle ce qui faisait que la difficulté de la fin de course elle était en fait mentale elle était psychologique comme moi je me souviens que le dernier jour la dernière nuit J'en pouvais plus. J'avais envie de dire, ok, passe devant, mais qu'on en finisse.
- Anthony Baron
C'est quoi ? C'est l'épuisement psychique ?
- Benjamin Ferré
L'épuisement psychique, c'est la nécessité de faire toutes les manœuvres. Parce que normalement, le Vendée Globe, moi, je m'étais imaginé que les 3-4 derniers jours, tu as le temps de savourer, de penser à ton tour du monde, que le classement est un peu fait à ce moment-là. Et voilà, tu es plus dans la satisfaction de l'accomplissement que dans la compétition pure. Et nous, ça a été tout l'inverse.
- Anthony Baron
C'est dans les derniers jours où vous vous êtes battus. Enfin non, ça faisait 20 jours que vous vous battiez l'un contre l'autre.
- Benjamin Ferré
Quasiment depuis le Cap Horne.
- Anthony Baron
Jusqu'au bout.
- Benjamin Ferré
Et jusqu'à la dernière nuit, le dernier lever de soleil, qui est un des plus beaux que j'ai eu en mer. J'ai dit à Tanguy, on a nos petites radios VHF. On était à portée de VHF. Et je lui ai dit, tu me gâches même mon dernier lever de soleil. Je ne peux même pas en profiter. Parce que je dois aller manœuvrer, je dois faire avancer vite mon bateau. Et voilà, il y a ce dernier virement de bord où je vire de bord juste devant lui et là j'ai, je pense, peut-être 4-5 minutes pour réaliser que je vais finir premier des bateaux à dérive et que je vais finir le Vendée Globe. Et on arrive, tu te rends compte, je mets 84 jours à faire le tour du monde, on arrive avec 16 minutes d'écart après avoir fait le tour du monde. Je crois le plus petit écart entre deux bateaux qui se bagarraient pour la... pour la première place, tu vois, là, des bateaux à dérive. Et donc, une intensité qui est folle, quoi. Et je me souviens que... Je vais passer la ligne d'arrivée, je suis peut-être deux minutes avant, quoi. Là, on comprend tous les deux que c'est terminé, quoi. Et là, Tanguy m'appelle à la VHF et il me dit merci. Il me dit merci mec de m'avoir poussé, etc. Et moi, je suis à moitié en larmes et je le remercie aussi. Je pense qu'on s'est tiré vers le haut comme jamais. On a dépassé des limites que jamais on n'aurait pu dépasser. Et donc, tu me parlais un peu de l'esprit de la course au large. Je pense qu'on était les plus gros compétiteurs du monde. Moi, j'aurais tout donné pour le voir disparaître. Et à la fois, dès qu'il disparaissait de mon tableau arrière, Il me manquait parce que c'était lui ma source d'énergie pour me dépasser.
- Anthony Baron
Vous vous êtes vraiment apporté mutuellement jusqu'où ?
- Benjamin Ferré
J'ai trouvé qu'il y avait une certaine noblesse dans cette compétition-là. C'est qu'on est parti, on était connaissance.
- Anthony Baron
Vous vous connaissiez peu.
- Benjamin Ferré
Oui, on était copains, on se connaissait sur le ponton. Pendant trois mois, on ne s'est pas vus une seule fois et on est revenus les meilleurs amis du monde.
- Anthony Baron
Incroyable.
- Benjamin Ferré
C'est dingue de faire corps et de lier une amitié et de faire connaissance. à ce point-là, avec quelqu'un que tu ne vois pas pendant trois mois. Et ça, on peut retenir tout ce qu'on veut du Vendée Globe, des émotions personnelles, de l'aventure, mais le plus beau, c'est les émotions que tu partages avec les autres. C'est les embrassades avec Jean à l'arrivée, c'est l'amitié qui s'est forgée avec Tanguy. Et ça, ça écrase toute performance possible.
- Anthony Baron
Il y a quelque chose qui m'a marqué dans ton Vendée Globe, c'est notamment les vidéos que tu postais sur Instagram. T'as toujours le smile. C'est un truc de fou, il t'arrive une avarie, n'importe quoi. On voyait d'autres navigateurs qui râlaient, qui balançaient des jurons. Toi, tu le prends avec un recul incroyable. Le sourire est toujours là. Franchement, ça faisait dans une période où on est plutôt en période hivernale ici. Moi, j'avais énormément de plaisir à regarder tes vidéos, Benjamin.
- Benjamin Ferré
Je pense qu'il y a deux choses. La première, c'est que moi, j'ai toujours dit plus t'es heureux, plus tu vas vite. Moi, j'étais vraiment trop heureux en mer.
- Anthony Baron
Ça se voyait.
- Benjamin Ferré
Après, bien sûr, il y a des moments difficiles, etc. Mais ça me conduit au deuxième point. C'est que je me souviens un jour, c'était Augustin qui m'a dit Michel et Augustin. Et Augustin, c'est pas un secret, il a une petite fille handicapée. Et je me souviens, il m'avait dit on choisit pas toujours tout dans la vie, mais on choisit toujours la façon dont on vit les choses. Et donc, ma petite fille handicapée, j'ai décidé que ce serait la meilleure chose qui nous arriverait dans la vie. Et ça, moi, ça m'a vachement marqué depuis très longtemps. Et particulièrement pendant le Vendée Globe. C'est que... Je me disais, bah oui, tu choisis pas ce qui va t'arriver, donc tu peux avoir une avarie de vérin, une voile qui tombe à l'eau. Par contre, la seule chose sur laquelle t'as du pouvoir, c'est la façon dont tu décides de vivre les choses. Et donc soit, quand ton hook de grand voile pète et que ta voile se retombe à l'eau et que t'as 181 mètres carrés de voile à l'eau et qu'il faut la remonter, soit tu te dis pourquoi moi et je perds du terrain soit tu te dis il faut régler ce problème là et donc tu le vis pas de la même façon et le fait d'y arriver en fait c'est ça que t'apprends sur le Vendée Globe c'est que plus c'est dur plus c'est bon à l'arrivée c'est une emmerde par jour mais plus t'as des emmerdes plus t'arrives à les résoudre plus tu prends confiance en toi et ça c'est assez magique en fait c'est que Tu as réussi à résoudre un problème que tu pensais insoluble, à réparer quelque chose que tu ne pensais pas capable de réparer. Et donc petit à petit, tu prends aussi confiance dans ta capacité à finir ce tour du monde. Et à le faire vite. Et donc en fait, moi c'est aussi un peu ce que je me dis dans la vie, c'est que rien n'arrive par hasard. Et que les emmerdes qui viennent te couper les jambes, tu peux choisir la façon dont tu les vis, et elles peuvent être salvatrices pour la suite.
- Anthony Baron
La façon, encore une fois, dont tu l'exprimes et la façon également où tu le matérialisais à travers ces vidéos, on sent quand même une grosse force mentale pour aller au bout et tenir. On se dit pas grand-chose et peut te déstabiliser. Là, c'est vraiment fort, en tout cas.
- Benjamin Ferré
Après, moi, j'avais des moments de...
- Anthony Baron
Oui, j'imagine, de bad.
- Benjamin Ferré
Cela dit, je n'ai pas le souvenir d'avoir été malheureux. Je me souviens d'un moment qui était le... le pire mais je crois un des pires moments de ma vie quoi où j'étais vraiment me sentais seul abandonné enfin je crois que j'ai jamais j'étais défiguré de pleurs tellement j'étais malheureux quoi mais à part ce moment là je crois que j'ai pas eu de j'ai eu des moments hyper dur Mais en fait, tu apprends que c'est l'espoir, que la souffrance s'arrête qui te fait tenir. Et donc, tu te dis toujours, je ne sais pas, c'est comme quand tu fais une rando et tu te dis d'y aller encore 5 kilomètres et tu as le prochain pic. Là, c'est un peu pareil. C'est quand tu es dans la tempête et que c'est hyper dur pendant 4 jours. Tu te dis, il faut que je tienne jusqu'à ce que ça s'arrête.
- Anthony Baron
Que ça se passe, oui. Et ça s'arrêtera.
- Benjamin Ferré
Et ça s'arrêtera. et c'est ça qui fait que quand ça s'arrête Il n'y a pas plus luxueux qu'une nuit dans une tente au sec après avoir passé une journée à marcher sous la pluie. Bien sûr. Là, c'est parce que tu as vécu quatre jours l'invivable, l'insoutenable, que quand la mer se calme, que le soleil revient te chatouiller le visage, te chauffer, que tu enlèves les couches, de trempé, etc. Ce moment-là, il est extraordinaire. Et c'est parce que tu en as chié pendant quatre jours avant.
- Anthony Baron
Clairement. Il y a aussi dans cette aventure, il y a une équipe. Ce qui m'a surpris, c'est qu'à un moment donné, tu dis « Conduire l'équipe aurait été la tâche la plus ardue qui m'aurait été confiée pour ce projet Vendée Globe. » Plus difficile et de loin, c'est de gérer l'humain. Et j'ai beau avoir fait une école de management, ce genre de compétences ne s'apprend pas sur les bancs de l'école.
- Benjamin Ferré
Ben ouais, ça c'est sûr. Moi je pensais être un très bon manager parce que j'avais fait une école de management. Et en fait, je pense que je suis le pire manager du monde. Je ne suis pas du tout... Je suis vraiment très mauvais là-dedans. Et j'ai trouvé que c'était d'une difficulté extrême. J'ai trouvé ça hyper dur. D'emmener une équipe dans ton sillage...
- Anthony Baron
Parce qu'il y avait combien de personnes dans l'équipe ?
- Benjamin Ferré
On était 12.
- Anthony Baron
12 ouais, effectivement il y a...
- Benjamin Ferré
Il y a des enjeux qui sont importants, avec une intensité qui est forte, une instabilité aussi, c'est que tu sais quand tu pars mais tu ne sais jamais quand tu arrives pour les courses. Et toujours une contrainte de temps, c'est que le rapport au temps sur le départ du Vendée Globe c'est le 10 novembre 2024 et il n'y a rien ni personne qui pourra bouger. cette date-là. Même le Covid a pas réussi à régler cette date, tu vois. Et le temps est incompréssible. Donc le temps que tu perds à un moment donné, jamais tu pourras le rattraper. Et ça, c'est un exercice qui est pas évident à intégrer. Et même pour une équipe, c'est-à-dire que quand t'es en chantier et que tu dois préparer le bateau, t'as toujours une contrainte de temps. Et donc, ça met parfois la pression. C'est des métiers qui ne sont pas faciles pour l'équipe parce qu'il y a une équipe technique qui, très clairement, qui passe les mains dans le cambouis à longueur de l'été, à boiter dans le bateau.
- Anthony Baron
C'est des tâches ingrates pour certains.
- Benjamin Ferré
C'est des tâches hyper ingrates. Et voilà, il y a des moments qui sont plus durs que d'autres.
- Anthony Baron
C'est quoi la difficulté que tu as rencontré sur l'axe managérial ?
- Benjamin Ferré
La difficulté de gérer les émotions des gens. en fait moi j'ai besoin que les gens soient bien pour être bien. J'ai besoin qu'ils soient heureux de venir travailler. J'ai besoin qu'ils soient enthousiastes et j'ai besoin qu'ils soient positifs. Et moi, ça, ça ricoche sur moi. Et je ne sais pas en faire abstraction, en fait. Donc, quelqu'un qui arrive au boulot et qui fait la gueule et qui est malheureux, je ressors de ma journée et je fais la gueule et je suis malheureux. Et ça, j'aimerais pouvoir en faire abstraction, mais je n'y arrive pas. Et donc, ça, c'était assez dur de créer une vraie synergie tu vois entre tous les tous les membres de l'équipe. Et puis, tu passes ta vie à prendre des décisions, à faire des choix. Et en fait, tu as 11 personnes qui, en permanence, te demandent, j'imagine comme un chef d'entreprise, une vision, là où on va, comment on y va.
- Anthony Baron
C'est la question que j'allais te poser. C'est derrière le cadre. Quel est ce cadre que tu mets ? En tout cas, que tu as essayé de mettre auprès de l'équipe.
- Benjamin Ferré
Et moi, tu vois, au début, c'était tellement une chance d'avoir un projet comme celui-ci qu'en fait, je voulais un peu qu'on soit tous copains. Et en fait, je me suis rendu compte que ce n'était pas ça, une bonne façon de manager les gens. Les gens, ils ne sont pas là pour que tu sois leur pote. Tu leur donnes, comme tu dis, un cadre très précis, que tu les embarques dans quelque chose qui est très clair, que les objectifs soient très identifiés. Et voilà, c'est un peu ce que je disais dans le livre à un moment. C'est un moment instauré de la rigueur.
- Anthony Baron
Et des valeurs aussi. Tu parles de valeurs à un moment donné au sein de l'équipe.
- Benjamin Ferré
Et en fait, je crois qu'à un moment, moi j'ai essayé d'identifier ça, donc j'ai réuni tout le monde, et je leur ai dit, voilà, il y a cinq mots qui caractérisent mon projet, c'est ceux-là, et donc j'essaye, à chaque fois que je prends une décision, de voir si cette décision-là colle avec ces cinq mots. Et ensuite, j'ai trois objectifs. Les objectifs, ils étaient hyper clairs, qui étaient ceux que je t'avais donnés tout à l'heure. C'était, un, finir toutes les courses, y compris le Vendée des Globes. Être acteur des courses et de la performance. Et il y avait une notion d'apprentissage, de s'épanouir par l'apprentissage pour moi et pour le reste de l'équipe. Et ça, c'était mes trois objectifs du Vendée Globe. Et en fait, au fur et à mesure, l'équipe avait du mal à trouver son équilibre, sa stabilité. Et j'ai mis énormément de temps à m'en rendre compte. c'est que euh euh Je ne sais pas comment dire ça, mais je dis que quand le verre est dans la pomme, il faut l'en sortir. Et parfois, c'est dur parce qu'en fait, j'avais des personnes dans l'équipe qui n'étaient pas incompétentes. Elles faisaient très bien leur travail, mais juste, elles n'étaient pas alignées avec moi, ce dont j'avais besoin et avec les valeurs du reste de l'équipe. Et du coup... Comme tu as des contraintes de temps, si tu veux, à un moment, tu es en plein bilan et tu dois le rendre dans un mois, tu ne te sépares pas de ton expert comptable trois semaines avant. Moi, j'avais cette problématique-là, c'est que je me disais, vu l'échéance qui approche, je ne peux pas me séparer d'un membre de l'équipe. Et en fait, par la force des choses, à un moment, j'ai pris cette décision-là et j'avais l'impression de me tirer une énorme balle dans le pied, et en fait... Je crois que c'est la meilleure décision que j'ai prise du projet Vendée. Et je l'ai prise trois mois avant le départ du Vendée Globe. Mais ce qui est marrant, c'est qu'après ça, tu trouves des solutions. En fait, il y a des gens qui viennent t'aider alors que tu ne pensais pas. Et donc, tu as des nouvelles ressources qui arrivent. Et surtout, à ce moment-là, nous, on a trouvé un espèce d'équilibre d'équipe qui était magique. Et moi, c'était... exactement ce dont j'avais besoin dans la dernière ligne droite avant de partir. C'est que j'avais besoin qu'on soit tous autour de la table, qu'on rigole ensemble, que je sente que tout le monde était heureux d'être là. Et on a trouvé ça vraiment dans la dernière ligne droite. On se l'est dit, on a fait un team debuilding. On est allé faire une initiation à l'apnée avec toute l'équipe. Et donc on se disait, c'est quoi nos pierres blanches et nos pierres noires du projet ? Une grosse partie des pierres blanches, c'était le village du Vendée Globe, les trois semaines. Et beaucoup ont dit ça parce que tous, on a vécu un super village. C'était la plus grosse intensité et c'était là où le travail était le plus exigeant. Et pourtant, c'est là où on a passé les meilleurs moments. Et moi, tous les midis, je déjeunais avec mon équipe. Et en fait, je me suis chargé de leur énergie. Chose que je n'avais pas réussi à faire. Et ça, je pense que ça a été vrai parce qu'à un moment ou à un autre, il y avait des personnalités qui n'étaient pas en adéquation avec l'équipe. Et que c'était hyper dur pour moi de rendre compte qu'il fallait s'en séparer. Mais en fait, avec le recul, je me dis que c'était la meilleure chose à faire.
- Anthony Baron
C'est vrai que c'est souvent une difficulté. Créer un collectif, c'est l'association de plusieurs individualités avec lesquelles on essaie de créer l'adhésion. et malheureusement des fois ça peut pas fonctionner et ça peut mettre un peu de temps donc en tout cas bravo pour ce courage d'avoir fait le choix aussi de devoir changer qui a pas été fait tout seul parce que dans l'équipe moi je crois que
- Benjamin Ferré
la qualité la plus importante en tout cas moi que j'aime le plus chez l'homme c'est la loyauté et moi j'étais quand même entouré de personnes proches qui étaient d'une loyauté sans faille et Pierre Leroy qui était mon bot captain et avec qui on échangeait beaucoup. Chaque décision que j'ai prise, on les a challengées et parfois on en parlait ensemble, mais une fois qu'elle était prise, à aucun moment il venait mettre un petit caillou dans la chaussure en disant « Ah mais voilà, ça c'était un soutien extraordinaire » . Et Pierre, il a pris une immense partie de ce que moi je ne savais pas faire, et tu vois, gérer le management au quotidien. Pierre, il a endossé ça.
- Anthony Baron
Ça t'a soulagé ?
- Benjamin Ferré
Je ne fais pas ça de tout seul.
- Anthony Baron
Oui, tout à fait. Vous avez trouvé cette complémentarité avec Pierre.
- Benjamin Ferré
Il y avait des gens autour de moi qui étaient d'une grande loyauté, d'une grande bienveillance. Et je crois que ces deux qualités-là, elles ne sont pas si communes que ça. Tu ne les retrouves pas beaucoup.
- Anthony Baron
Absolument.
- Benjamin Ferré
Et en fait, pour tenir dans la durée, je crois que ces deux qualités-là sont essentielles. et qui sont... On voit plein de boîtes d'entrepreneurs qui brillent très fort, mais pas très longtemps. Tu vois, des petites étoiles filantes. Et tu te rends compte que comme sur le Vendée Globe, ce qui est dur, c'est de briller de la même intensité longtemps. Et je crois que pour briller longtemps et tenir dans le temps, il faut s'entourer de gens qui ont ces deux qualités, la loyauté et la bienveillance.
- Anthony Baron
Et ça me fait penser justement, quelle relation tu gardes avec l'équipe pendant le Vendée Globe ? Tu as des connexions avec eux ?
- Benjamin Ferré
moi volontairement je voulais quand même m'extraire un peu de la surcommunication pendant le Vendée c'est quand même une belle opportunité de déconnecter et après on avait un canal Telegram avec l'équipe technique et donc au début je leur faisais un récap hebdomadaire parce que ce qui était important c'est que eux, aient une connaissance de l'état du bateau pour que s'il y a une grosse avarie, ils puissent savoir où en est le bateau. Moi, je leur faisais un... Quand j'avais des petits problèmes techniques, même que j'arrivais à résoudre, je les en informais.
- Anthony Baron
Dans le rapport hebdomadaire, c'est peu en termes de fréquence, parce qu'une fois par semaine...
- Benjamin Ferré
Ouais, et en même temps, toi, t'es tellement occupé...
- Anthony Baron
J'entends, mais on se dit qu'il peut se passer tellement de choses en une semaine sur le bateau que... Ouais.
- Benjamin Ferré
Et après, dès que j'avais des avaries, en fait, c'est sans assistance. On a le droit à une assistance technique. Et donc, quand j'avais des avaries que moi, je n'arrivais pas à résoudre, et qui, pour être tout à fait honnête, étaient assez nombreuses, parce qu'encore une fois, je ne passais pas assez de temps au chantier, donc je ne suis pas un as de la bricole. Bon, quand tu es tout seul, il n'y a que toi qui peux le faire. Mais moi, il y avait beaucoup d'avaries où je sollicitais mon équipe technique pour m'aider à la résoudre. Et donc là, à ce moment-là, tu exposes le problème. Et eux te donnent des options. pour les résoudre. Et toi, ensuite, tu arbitre déjà quand est-ce que tu le fais et si tu arrives à le faire ou pas. Donc, c'était ça la relation qu'on avait. Et voilà, donc, un truc hebdomadaire minimum et pendant les grosses... pour régler les gros problèmes, une connexion un peu plus intensifiée.
- Anthony Baron
Très clair. Merci beaucoup, Benjamin, en tout cas, pour cet éclairage sur l'axe managérial, parce que forcément, on imagine que vu les contraintes et les enjeux Il peut y avoir des tensions et c'est vraiment intéressant de savoir comment est-ce que tu les as traitées. Je veux aussi qu'on parle un peu des enjeux environnementaux, de l'impact aussi. Il y a une première action que tu as menée qui était Imago, donc dans ce sens. Tu nous as dit qu'aujourd'hui, tu avais un futur directeur général qui arriverait à reprendre l'association. Toi, c'est quoi le constat que tu as fait à travers tes aventures ? à travers aussi tes navigations au grand large, sur les impacts environnementaux et climatiques ?
- Benjamin Ferré
C'est un vaste sujet, parce qu'en fait, on dit toujours que les navigateurs sont des témoins privilégiés du dérèglement climatique, etc. À la fois des amoureux de la nature, parce que c'est notre terrain de jeu, et à la fois, moi parfois, j'ai du mal à me positionner là-dessus, parce qu'on fabrique des bateaux qui sont en carbone, et le carbone c'est du plastique. Parce qu'il arrive. qu'on touche des cétacés et un cétacé touché, c'est un cétacé. Alors, il y a de plus en plus de moyens qui se font bien en oeuvre pour éviter ça. Tu vois, cette année, on avait mis en place des zones d'exclusion dans lesquelles il y a beaucoup de cétacés. Et sur les 40 bateaux qui étaient au départ, il n'y en a pas un seul qui a tapé un cétacé pendant le Vendée Globe. Ce qui est une première, je crois, ce qui est extraordinaire.
- Anthony Baron
Surtout, je crois que ça, avec les bateaux à foil, il y a plus de risque de taper.
- Benjamin Ferré
Oui, parce qu'ils vont plus vite. Et voilà, donc aujourd'hui, il y a une vraie recherche qui est faite par rapport à cette faune marine. Et après, en fait, le dérèglement climatique, la pollution maritime, etc., on ne la voit pas, mais parce qu'elle est invisible. Parce que ce que nous, on peut voir à l'œil nu, c'est 0,1% de la pollution maritime. Ce qui est terrible, c'est justement ce qu'on ne voit pas. Ce qu'on voit par contre, c'est que moi je n'ai pas cette expérience-là, mais tu vois un Jean Lecam qui en a fait 6 de Vendée Globe, on en a parlé à l'arrivée, il m'a dit « j'ai jamais vu autant de brutalité dans les phénomènes et autant d'enchaînement des phénomènes. » C'est-à-dire que les dépressions sont plus fortes, sont plus brutales, les transitions sont plus intenses, et donc on sent quand même qu'au niveau météorologique pur, Il y a une transformation, il y a une intensité des phénomènes qui est plus importante. Et ça, moi, je n'ai pas le recul pour le dire, mais Jean, qui est sur les mers depuis maintenant, peut-être 50 ans, et qui a fait six fois le tour du monde, il a pu identifier cette transformation-là.
- Anthony Baron
C'est bien d'avoir ce témoignage, effectivement.
- Benjamin Ferré
Après, je pense que c'est plus philosophique, mais tu as un peu une conscience d'appartenance. J'en parlais hier soir, mais je disais, il y a un truc qui est dingue. C'est que quand tu vas là où on est allé, tu peux mettre Macron, Poutine, Trump, ou le mec qui mendie en sortant de ta supérette. N'importe qui à cet endroit-là est la même personne, en fait. Il n'y a pas de différence. Je ne sais pas comment expliquer ça, mais c'est un truc que j'ai vachement ressenti pendant le Vendée Globe. C'est que... tu as vraiment l'impression de faire partie du même bateau. Et tu vois, on nous le dit à terre, on l'intellectualise ce truc-là, qu'on est tous les mêmes, etc. Mais là, ce que je veux dire, c'est que tu ressens ça. Tu ressens cette unité collective. Et tu as un truc que tu perds quand tu reviens à terre. Mais moi, en mer, je ne comprenais pas les conflits, je ne comprenais pas les guerres. Tu as un truc très enfantin, tu vois, là-dessus. Et donc forcément, ça t'impacte. Tu reviens avec tout ça. Et tu te dis, qu'est-ce que j'en fais maintenant de tout ça ? Parce que j'ai pris conscience de ça. Comment je vais faire pour convaincre 6 milliards de personnes de cette une histoire ? Tu aurais envie d'envoyer tout le monde dans les mers du Sud pour vivre ça. Donc tu te demandes un peu, qu'est-ce que tu fais de tout ça ? Comment tu as un impact aussi là-dessus ? Comment tu te sers de cette expérience et de cette conviction ? Et voilà, ça nourrit beaucoup de réflexions.
- Anthony Baron
T'en es où aujourd'hui justement sur ces réflexions ?
- Benjamin Ferré
En fait, j'aimerais bien... trouver un moyen d'inciter davantage la jeunesse à s'engager dans des projets d'aventure. C'était un peu l'initiative d'Imago à un moment, mais d'un point de vue aussi plus politique. Il y a eu une époque où on appelait faire ça, faire ses humanités. Mais j'ai l'impression que dans le monde ultra connecté dans lequel on est, de passer presque un an obligatoire après le bac pour aller se déconnecter et faire une initiative où tu te reconnectes avec la nature, avec l'autre, sans téléphone portable, tu vas te déconnecter. tu te connectes à l'instant présent, tu, je pense, apprends sur toi et sur les autres, et donc j'aimerais bien réussir à créer une dynamique d'initiative pour que toute la jeunesse qui arrive là, ait passé au moins un an dans leur vie autour d'un truc comme ça, et je pense que ça servirait déjà à notre société, mais qu'il n'y ait pas que les privilégiés qui aient accès à ça. C'est qu'aujourd'hui, c'est aussi ce que j'ai essayé de faire avec Imago, c'est que des projets d'aventure et d'exploration quand t'es jeune, t'arrives à le faire quand t'as aussi, on va dire, un certain privilège d'éducation, etc. Mais il y a certains jeunes qui n'ont pas accès à ça et qui, j'en suis sûr, se découvriraient aussi là-dedans. Donc, tu vois, j'en suis là de mes...
- Anthony Baron
C'est sûr que ça forge déjà l'expérience et l'ouverture au monde. Enfin, on reste ici, en France, dans un environnement qui est quand même très aseptisé. Quand on voit ce qui se passe, et ne serait-ce que déjà quand on traverse des frontières ou des continents, et qu'on met les pieds dans des pays qui sont sous-développés. Donc oui, ça change le regard. Et tu as, je pense, raison d'amener sans doute le développement de cette envie, cette ambition d'aventure chez les jeunes, pour ceux qui le peuvent. Ou surtout, c'est pas ceux qui le peuvent, mais surtout pour ceux qui en ont l'envie. Je pense que c'est essentiellement une question de motivation aussi, in fine.
- Benjamin Ferré
ouais probablement en fait pendant le Vendée Globe tu passes 3 mois tout seul sans voir personne et ça te ramène quand même beaucoup à ce qui est essentiel dans la vie, tu vois moi les choses qui me manquaient c'était un petit verre à ballon avec un copain en terrasse en one to one c'était ma maman qui vient dîner qui me raconte une partie de sa vie tu as des trucs très simples en fait et je trouve que quand t'as touché du doigt Une telle simplicité, tu te rends compte quand même que vraiment ce qui rend fondamentalement heureux, ce n'est pas d'accumuler des biens matériels, c'est les gens, les rencontres et la simplicité des émotions. C'est de vivre des émotions, d'être connecté à l'instant présent. Et moi, je suis convaincu que le bonheur réside là-dedans. Et donc, tu te dis quand tu as touché ça du doigt, qu'est-ce que tu en fais une fois que tu reviens à terre ? C'est ça qui nourrit un peu ma réflexion aujourd'hui.
- Anthony Baron
Parce que ça fait trois mois que tu es revenu maintenant. Comment ça se passe aujourd'hui ? Comment tu vis justement ce retour à terre ? Est-ce que tu as commencé à avoir un peu de recul après trois mois ? Ou tu as encore besoin de temps pour continuer ?
- Benjamin Ferré
Oui, j'ai encore besoin de beaucoup. Je vis ma joyeuse dépression. Tu as à la fois un sentiment de joie, d'accomplissement qui est assez fort. Et à la fois, tu as une espèce de petit manque qui s'installe, de petit vide. Je ne sais pas, c'est comme un artiste qui termine une grande tournée et qui se retrouve tout seul dans sa loge. Tu as envie de te remettre un shoot de rappel, tu as envie de te refaire un shonal. Et ces émotions-là, elles manquent un peu. Après, je trouve qu'en rentrant, tu te fais quand même un peu rouler dessus.
- Anthony Baron
Par les sollicitations ?
- Benjamin Ferré
Oui, par les sollicitations, par plein de choses géniales qui t'arrivent.
- Anthony Baron
On a mis du temps,à t'appeler.
- Benjamin Ferré
Mais il n'empêche que tu refais un petit Vendée Globe en rentrant. Et là, tu vois, ça commence seulement à s'estomper. Et voilà, donc je pense qu'il faut du temps aussi pour retrouver...
- Anthony Baron
Ça te fait peur d'être oublié après toutes ces sollicitations ?
- Benjamin Ferré
Oui. pas d'être oublié, mais de... Tu vois, là, je ne navigue plus beaucoup. Et en fait, j'ai peur d'oublier comment on navigue, j'ai peur de perdre mes sensations en mer, etc. Après, le côté, tu vois, notoriété, etc., il est à un degré qui est epsilon. Enfin, voilà, c'est que des gens bienveillants, etc. Donc ça, ça ne me prend pas trop la tête. Mais par contre, non, tu perds en... C'est comme si ton vase à motivation, il s'était vidé, tu vois. Et tu vois, même là, j'ai repris le sport, des choses comme ça. Et dès que ça devient un peu difficile, mon mental, il craque. Dès que ça devient dur, je n'ai plus envie de souffrir. Je crois que j'ai dépensé beaucoup, beaucoup, beaucoup d'énergie.
- Anthony Baron
Donc là, tu as une décompression physique qui se fait peut-être.
- Benjamin Ferré
et mental dès que ouais j'ai plus envie de souffrir et ça je trouve que c'est hyper long quoi ça fait 3 mois que je suis rentré et ouais dès que c'est dur j'ai pas envie mon cerveau il dit laisse moi tranquille j'ai fait le Vendée Globe lâche moi la grappe quoi
- Anthony Baron
Je crois qu'il y a des enfin d'autres navigateurs qui disaient que c'était entre 9 et 12 mois pour se remettre je parlais d'Alain il disait 9 mois 9 mois enfin 3 fois le temps de la course qui a mis 3 mois ouais donc ouais c'est Il te reste encore 6 mois, Benjamin.
- Benjamin Ferré
C'est long, mais c'est intéressant. C'est aussi le temps d'aller dire merci. C'est ce que je disais à l'arrivée. C'est que tu es quand même plein de gratitude quand tu as réalisé un truc comme ça. Tu sais quand même que tu ne l'as pas fait tout seul. Encore une fois, tu as plein de gens qui se sont mis un peu à ton diapason. Et donc, tu as quand même aussi un peu envie de prendre le temps de... Tu vois, ma copine, elle a fait des sacrifices énormes. Donc, tu as en fait envie de se réinsérer un peu dans la vie des autres et que ce ne soient plus les autres qui viennent à toi en permanence. Et donc, tu as envie de t'insérer dans leur vie. Et je trouve que c'est un truc qui n'est pas facile à faire parce que pendant trois mois, tu as été très centré sur toi, mais pas par égoïsme, mais par survie. Et donc, tu étais à l'écoute de toi, tes envies, tes sensations, ton bateau. Et d'un seul coup, quand tu reviens à terre, tu dois te réouvrir aux autres, tu dois être attentif aux autres, aux besoins des autres, etc. Et ça, en fait, c'est pas évident de changer comme ça, de switcher du tout au tout. Et voilà, donc tu réapprends aussi un peu ça, je trouve.
- Anthony Baron
Parce que les gens ont des attentes, j'imagine aussi, vis à vis toi, quand tu reviens.
- Benjamin Ferré
Ouais, je pense qu'ils disent que non, mais en fait, inconsciemment, ils en ont, parce que... parce que c'est normal il y a une absence qui doit être aussi je ne sais pas si c'est une attente mais c'est tu as besoin d'une interaction aussi quand même C'est pas si facile que ça à faire, je dirais, de se réinsérer dans la vie des autres. Mais c'est un exercice qui est intéressant.
- Anthony Baron
Oui, absolument. C'est trop tôt pour te demander les projets que tu as, ce que tu ambitionnes pour la suite, comme autre défi ?
- Benjamin Ferré
Les projets, moi je suis assez transparent là-dessus. J'ai toujours un peu dit ce qui me... Je ne dis pas que ce sera vrai demain ou après-demain, mais en tout cas aujourd'hui, j'ai dit que je ne faisais pas le prochain Vendée Globe. pour les raisons qu'on évoquait juste avant. L'équilibre aussi. Je pense que tu mets quand même beaucoup de choses en déséquilibre quand tu prépares. C'est ça qu'on oublie, c'est que c'est quatre ans de préparation. Et c'est beaucoup d'instabilité. Tes courses, mais aussi tes préparations, tes entraînements, t'es toujours dépendant de la météo. Donc en fait, tu penses que tu vas t'entraîner la semaine prochaine, mais en fait c'est la semaine d'après, donc tu peux jamais rien prévoir. Et donc les gens autour de toi, ils peuvent jamais rien prévoir avec toi pendant quatre ans. C'est un peu insupportable. tu es très sollicité et voilà, je ne sais pas si tu peux construire grand chose pendant quand tu es focus comme ça sur un objectif et donc je pense qu'il y a un peu un temps pour tout et moi je crois que j'ai vu j'en ai observé beaucoup, un peu se brûler les ailes en voulant repartir trop vite et je crois qu'il y a une chose qui est importante, c'est que quand tu vis un truc aussi fort que l'émotion d'un chenal retour du Vendée Globe il y a aussi un moment de de digestion, de recul à prendre par rapport à ça. Si tu repars tout de suite, déjà tu perds cette phase-là, qui est peut-être une des plus importantes. Et tu remets tout le monde en déséquilibre. Et en fait, la course au large, c'est un sport mécanique. C'est-à-dire que tu peux très bien te préparer pendant 4 ans. Et Maxime Sorel l'a vécu. Et au bout de 4 jours, il te pétait la cheville. Et c'est la fin de ton voyage.
- Anthony Baron
Et c'est fini.
- Benjamin Ferré
Et donc, tu as remis tout le monde en déséquilibre pour un truc qui est très incertain. Et là, je pense que ton château de cartes s'effondre totalement. Moi, je suis plus dans une envie de bien clôturer le projet. d'aller dire merci. Et en fait, dire merci, ça prend plus de temps qu'on ne le croit. Tu vois, il y a plein de gens qui m'ont laissé des lettres pour le Vendée Globe. Je me suis promis de leur répondre. Je n'ai toujours pas fait. Donc, il y a plein de choses comme ça que j'ai envie de faire. De consolider aussi ma vie de terrien. De me lancer dans des projets à terre. De savourer des moments du quotidien qui m'ont manqué quand j'étais en mer. Après, je crois que si je suis... totalement honnête, il y a quand même une envie de repartir pour un tour. En tout cas, mon histoire avec la mer et en tout cas la course, je ne crois pas qu'elle soit terminée. Ça ne me dérange pas qu'elle revienne dans quelques temps, je ne suis pas pressé. Mais je crois que j'ai quand même envie de repartir pour un tour. Je vois bien quand j'en parle à peu de personnes aujourd'hui. Mais quand j'en parle, j'ai des étoiles dans les yeux, j'ai l'excitation qui monte. Je ne sais pas encore sous quel format.
- Anthony Baron
Solitaire ou en équipe ?
- Benjamin Ferré
Le Vendée Globe, c'est extraordinaire. Mais tu vois, j'en parlais l'autre jour avec Thomas Bangalter. Il me disait un truc qui a vachement résonné. Il me disait que je me suis toujours efforcé, même si j'ai toujours fait de la musique, je me suis toujours efforcé de jamais refaire quelque chose que j'avais déjà fait. pas donner d'opportunité de comparaison. Moi, ça m'a fait vachement cogiter.
- Anthony Baron
Il a parfait d'électro alors.
- Benjamin Ferré
Oui, où cet album était hyper différent. Les Daft Punk, ils se sont vachement... Je me dis, je n'arrête pas forcément de faire du bateau. Mais par contre, c'est vrai que si je refais un Vendée Globe, il sera mieux ou moins bien que celui-là, mais il y aura un outil de comparaison. Et donc, je réfléchis aussi à d'autres formats. Et tu vois, l'équipage... D'imaginer un truc avec Jean, tu vois, pour boucler la boucle en équipage. Donc, ce n'est pas la même histoire. Tu n'es pas tout seul. Enfin, voilà, il y a des petits trucs qui me titillent.
- Anthony Baron
C'est un cours de réflexion.
- Benjamin Ferré
Où je me dis qu'il y a encore des choses jolies à faire.
- Anthony Baron
Oui, absolument. Là-dessus, quoi. Absolument. Et le bateau L'Imoca, tu le revends ?
- Benjamin Ferré
Oui, il est à vendre. Il est à vendre, d'accord.
- Anthony Baron
On passe une annonce.
- Benjamin Ferré
Il est à vendre. Il y a plusieurs skippers qui sont intéressés. là je le remets à l'eau dans 15 jours
- Anthony Baron
j'ai pas mal de sorties à faire tu vois y compris avec mes partenaires pour un peu clôturé cette histoire là du moins et ensuite il vauguera vers vers j'espère un nouveau vendée globe, ouais ce serait top excellent excellent et puis je rajoute aussi tu as quand même eu le temps d'écrire un livre comment tu es venu l'idée de ce livre.
- Benjamin Ferré
C'est Ninon mon attachée de presse Ninon bardel ouais qui est mon attachée de presse et en fait moi j'écrivais pendant le le Vendée Globe, j'ai beaucoup écrit, et même avant. J'écrivais souvent des textes, j'aimais bien écrire. Et donc c'est Ninon qui, en a parlé avec les éditions Marabout qu'elle connaissait. Et voilà, donc ils m'ont proposé d'écrire un livre. Et en fait, moi je voulais raconter. Les marins font toujours des livres après avoir fait le Vendée Globe et ils racontent leur Vendée Globe. Et je trouvais que l'aventure des 4 ans de préparation, elle était tellement riche que c'était ça qu'il fallait raconter. Et du coup, moi c'est ce que j'ai essayé de raconter. Je ne l'ai pas écrit à 100%, je l'ai fait avec un co-auteur, qui s'appelle Gilles. C'était marrant, c'était un peu mon psy, je lui ai raconté ma vie, et puis lui, il écrivait. Après, je suis repassé, j'ai réécrit plusieurs passages, mais ça s'est fait quand même en binôme. Ça raconte les quatre ans de préparation entre l'idée et la ligne de départ du Vendée Globe.
- Anthony Baron
Il est passionnant le livre, j'invite vraiment tous ceux qui nous écoutent à le lire parce que déjà ça se lit très facilement et puis on suit vraiment toute ton aventure. Et même ce que j'expliquais à Ninon quand je lui ai fait le retour un peu sur le livre, limite on est sur un livre de management en fait. C'est vrai. L'aventure que tu as vécue, si je devais la résumer, c'est celle d'une startup où tu as un projet fou qui est faire le tour du monde en bateau. en solitaire, sans assistance. Tu dois monter le bateau, donc tu l'achètes, tu dois le financer, tu as une équipe à gérer, que tu recrutes. Et puis, il y a plein de belles choses qui se passent, mais aussi d'autres, effectivement, qui sont plus aléatoires et avec des déconvenus. Ce que tu en as eu, pendant notamment la... Je crois que c'était à traverser, pour aller à New York, là.
- Benjamin Ferré
Oui, j'y suis jamais allé du coup.
- Anthony Baron
Exactement. Tu es parti, bon, fallait partir, ça te suffisait pour te qualifier, mais voilà. donc euh Je pense que l'histoire est vraiment belle et c'est une très bonne idée de décrire avant. Et effectivement, on y découvre plein de choses et plein de concepts qu'on peut appliquer dans le monde de l'entreprise. Donc moi, si je peux te souhaiter quelque chose, c'est si tu as la possibilité d'aller faire des conférences en entreprise, n'hésite pas à le faire. C'est aussi ce message qu'on veut faire passer. Benjamin, je ne pense pas être disponible pour ça. Mais la vérité, c'est que c'est vraiment passionnant. Moi, je suis très content que tu aies pu venir sur les ondes aujourd'hui. Exactement. Donc voilà, cette interview touche à sa fin, Benjamin. Il y a une fin à tout. Et peut-être pour finaliser, moi j'inviterais aussi nos auditeurs à regarder ton site internet et notamment le journal de bord et Clap de fin. C'est toi qui l'as écrit. Tu as une vraie justesse aussi avec les mots et moi j'ai trouvé ça magnifique. Donc voilà, je voulais en lire un extrait mais on est aussi un peu pris par le temps, mais vraiment l'idée c'est d'aller le voir parce que c'est plein de sens et on comprend aussi ce que tu... ce que tu ressens au moment de l'arrivée à la fin de ce Vendée Globe et le retour à la vie terrienne. Donc en tout cas, encore une fois, un grand merci Benjamin.
- Benjamin Ferré
Merci beaucoup.
- Anthony Baron
C'était un vrai plaisir de t'accueillir. Et donc je rappelle le nom du livre de Benjamin qui s'appelle « À toute allure » , cap sur mon premier Vendée Globe. Et on te souhaite une belle continuation et en tout cas de beaux projets à venir.
- Benjamin Ferré
Merci beaucoup.
- Anthony Baron
À très bientôt Benjamin et une interview à écouter et réécouter. sur l'ensemble des plateformes d'écoute musicale. Merci d'avoir écouté les Afters de la Transformation, un podcast produit par Adequancy. Retrouvez l'intégralité de nos épisodes sur les plateformes de streaming. On se retrouve la semaine prochaine pour un nouvel épisode. A très bientôt.