- Speaker #0
Les rendez-vous de l'histoire sont bien pour les études de rencontre, d'échanges, la grande fête annuelle de l'histoire et des passionnés de l'histoire.
- Speaker #1
Enseignants, chercheurs,
- Speaker #0
le grand lieu d'expression et de débat,
- Speaker #1
lecteurs,
- Speaker #0
amateurs sur tout ce qui se dit,
- Speaker #1
curieux,
- Speaker #0
rêveurs sur tout ce qui s'écrit,
- Speaker #2
qui aident à prendre la mesure des choses,
- Speaker #1
à éclairer le présent et l'avenir dans l'espace et dans le temps. Je voulais vous dire peut-être un mot sur le titre de la conférence, qui est déjà très long, et en fait il devrait être encore plus long, puisque le livre dont nous allons vous parler, d'où cette conférence est tirée d'une certaine manière, s'appelle « Des jeunes filles exemplaires, Dolto, Zaza, Beauvoir » . Ça veut dire qu'il y a trois jeunes filles dans cette histoire. Françoise Marrette, qui deviendra Françoise Dolto, Simone de Beauvoir, et Élisabeth Lacroix, qui fut l'amie d'enfant de Simone de Beauvoir. et qui figure dans les mémoires d'une jeune fille rangée sous son surnom Zaza. C'est cette Zaza, son amie d'enfance, qu'elle évoque dans ses mémoires, que Simone de Beauvoir évoque dans ses mémoires avec beaucoup d'admiration et beaucoup de tendresse. Depuis que le livre est paru, puisqu'il est paru en juin, on nous demande souvent comment ça nous est venu, l'idée de relier entre elles les histoires de ces jeunes filles, et de les lier à l'histoire tout court. C'est vrai que pour Zaza et pour Simone, c'est clair, c'était des amis d'enfance. Oui, donc pour relier les histoires de ces jeunes filles, je disais que Simone de Beauvoir et Zaza, ça se comprenait facilement dans la mesure où elles étaient amies d'enfance. Mais pour Dolto, c'est plus étrange dans la mesure où Zaza et Dolto ne se sont dans leur enfance et dans leur adolescence jamais rencontrées. Et Simone de Beauvoir et Dolto non plus. Alors en dehors du fait qu'elles sont nées pratiquement la même année, Zaza en 1907 et Simone de Beauvoir et François de D'Aulto en 1908, on nous dit mais qu'est-ce qui vous a poussé à mettre en parallèle leur destin ? Alors c'est vrai que c'est une bonne question parce qu'ils répondent, c'est déjà entré dans une série de hasards et de coïncidences et dans le vif du sujet. Ça a commencé pour nous, pour Isabelle et pour moi, en 1991, vous voyez c'est déjà une longue histoire. Les éditions Atier possédaient à cette époque un département de littérature. Ils étaient sur le point de publier les premiers tomes de la correspondance d'enfance et d'adolescence de Françoise Dolteau, qui va de 1913 à 1938. Et Colline Fortpoiré, qui dirigeait ce département, m'avait donné comme seul manuscrit de la correspondance à Dior pour des petits points d'édition. Et bizarrement, juste la même année, en 1991, paraissait aussi au seuil la correspondance et le journal de Zaza, de cette Zaza qu'on ne connaissait jusqu'à présent que par les mémoires d'une jeune fille rangée, Simone de Beauvoir. On en avait parlé, Isabelle et moi, et on avait été frappés d'une étrange familiarité, d'une étrange ressemblance qui se dégageait de ces deux textes. Et c'est vrai qu'au-delà de la personnalité de ces deux jeunes filles, donc à l'époque c'était Françoise Marrette et Elisabeth Lacroix, au-delà aussi de la divergence de ce qui allait être leur destin, ce qui nous apparaissait comme ça, c'est que leur enfance et leur adolescence se ressemblaient. Elles étaient aussi du même milieu, une bourgeoisie catholique, à la fois éclairée et... et assez traditionnelles, même très traditionnelles. Et elles avaient été marquées dans l'éducation qu'elles avaient reçue, notamment de la part de leur mère, par les mêmes contraintes, les mêmes aspirations intellectuelles, les mêmes contradictions et les mêmes révoltes contre l'avenir très fermé, finalement, qu'on leur réservait. Et on a eu envie, on a décidé de travailler sur cette double correspondance. Alors, dans un premier temps, ce qui a attiré notre intérêt de chercheuse, Et peut-être parce que pour un livre précédent qui s'appelait La Déclaration d'amour, ce qu'on a l'habitude de travailler ensemble, qu'on avait écrit sur La Déclaration d'amour, on avait travaillé sur l'épistolaire. Et ce qui nous a frappés, c'est la pratique que ces deux jeunes filles faisaient de l'épistolaire. Et on sait depuis les travaux de Philippe Lejeune que tenir sa correspondance, pour les jeunes filles de bonne famille, c'était une obligation à la fois familiale et mondaine, qui était à la charnière d'une activité manuelle et d'une sorte de dressage un peu du tout. corps et d'un dressage intellectuel, d'une pratique intellectuelle. C'était une manière qu'on exigeait d'elles de se tenir sous le regard de l'autre, de rendre des comptes, et notamment à leur mère, et pas seulement parce que les mères ouvraient les lettres. La mère de Simone de Beauvoir ouvre ses lettres jusqu'à, je sais pas, Simone a 18 ans, elle ouvre encore ses lettres. 18 ans, 19 ans, 20 ans. Bon ça, cette pratique épistolaire, c'est relativement banal, ce qui l'est moins. Et c'est ce qui nous est apparu, c'est que ces jeunes filles qui étaient en apparence très très soumises à ce que leur famille exigeait d'elles, l'usage qu'elles ont fait de cette contrainte, de cette contrainte à écrire. Il y avait une contrainte et elles s'en sont servies de manière assez intéressante. Elles l'ont détournée, elles ont fait une sorte d'outil de résistance intellectuelle. Petit à petit, les lettres qu'elles écrivaient à leur mère, où il fallait se montrer sous le regard, rendre des comptes, finalement fonctionnaient comme un leurre. Mais parallèlement, il y avait d'autres correspondants qui apparaissaient, et avec ces correspondants-là, elles avaient une autre pratique de l'épistolaire. Alors c'est surtout vrai pour Zaza dans ses lettres à Simone de Beauvoir. mais ça l'est aussi pour Dolto quand elle commence à se confier à des amis. Écrire, pour ces jeunes filles, ça a été un moyen de prendre du temps pour elles, d'échapper à cet extérieur, ce système de contraintes familiales et mondaines qui, selon l'expression de Zaza, leur volaient leur vie. Et l'écriture épistolaire leur a permis, un peu au sens où l'entend Montaigne, d'essayer leur pensée. On peut même dire qu'elle a constitué pour elle, dans ce travail de se lire dans ce que l'on écrit à l'autre, une tentative pour échapper à une sorte de déstructuration psychique qui les menaçait. On y reviendra, mais ça n'a pas été facile pour elles. Parallèlement, on s'est rendu compte aussi, bien sûr, en travaillant sur ces textes, que ces correspondances, par leur contenu même, pas seulement par le fait de la pratique épistolaire, donnaient un éclairage assez privilégié sur ce qu'a été l'éducation intellectuelle et affective des filles de la bonne bourgeoisie au début du XXe siècle. Zaza, comme Françoise et d'ailleurs comme Simone de Beauvoir, appartiennent en effet à une génération de transition. Elles ne sont pas les pionnières, elles ne sont pas dans la génération des pionnières, elles sont la génération juste après, la génération de nos mères, à toutes les deux en tout cas. Elles se situent à un moment charnière et il nous paraissait que la place qu'elles occupaient constituait un lieu d'observation vraiment privilégié sur ce qui a été un tournant de l'éducation féminine, à un moment où la bourgeoisie hésitait dans la représentation qu'elle se faisait de ses filles. Et leurs lettres constituent un témoignage, leurs correspondances, c'est aussi le journal intime de Zaza, constituent un témoignage particulièrement intéressant sur la manière dont elles ont été à la fois très stimulées intellectuellement dans leur petite enfance, très poussées, et freinées en même temps, un peu comme un mouvement zoom avant, retour arrière, on les poussait, on les retenait en même temps. Elles ont été freinées dans leurs ambitions intellectuelles par un milieu. qui voulait bien que ces filles fassent des études, mais à condition qu'elles n'y prennent pas trop de goût, qui envoyait éventuellement ces filles à l'université, mais en leur faisant comprendre qu'elles n'étaient pas à leur place, et qu'elles risquaient même de s'y perdre, en s'écartant à jamais de leur nature et de leur destin, qui est évidemment de se marier et d'avoir des enfants. C'est ainsi qu'on a petit à petit élargi notre recherche à d'autres témoignages, d'autres documents d'époque, ultérieurs, et notamment, bien sûr, au mémoire d'une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir. qui est née donc la même année, appartient évidemment à la même génération que Zaza et Françoise. Alors ce qui est important de vous dire, c'est que, même si Isabelle et moi, on ne s'est pas présenté parce que tout est allé un peu vite, mais on n'est pas des vraies historiennes. Donc on est à la base professeurs de lettres, moi je suis aussi psychothérapeute, je travaille dans le champ de la famille, Isabelle peut-être vous dira ce qu'elle fait par ailleurs. Donc même si on n'est pas historien, on a quand même le souci de nos sources, et donc les mémoires d'une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir n'ont évidemment pas le même statut, puisque les correspondances de Françoise et de Zaza sont des documents d'époque, alors qu'évidemment... Le regard que Simone de Beauvoir porte sur son enfance et sur son adolescence, c'est un regard retravaillé. Ce sera très intéressant, on ne sait pas très bien quand ça va apparaître, mais d'avoir les carnets qui vont, paraît-il, sortir bientôt, les carnets d'époque de Simone de Beauvoir. Et quand on les aura, ce sera intéressant de pouvoir aussi retravailler dessus. Donc, ça n'a pas le même statut que les correspondances, mais néanmoins, ça occupe une place privilégiée dans ce qui est devenu notre livre. Pour plusieurs raisons. D'abord, bien sûr, à cause de la... de la... stature de Simone de Beauvoir, sur laquelle je pense que ce n'est pas la peine de revenir, et sur l'importance qu'elle a eue dans la vie de beaucoup de femmes de notre génération. Et puis aussi, à cause de l'amitié vraiment exceptionnelle qui l'a liée à Zaza, et qu'elle résume par cette phrase très étrange à la fin des mémoires d'une jeune fille rangée. « Ensemble, nous avions lutté contre le destin fangeux qui nous guettait et j'ai longtemps pensé que j'avais payé ma liberté de sa mort. » Et c'est vrai que le destin de Zaza, qui mourra à 22 ans, de maladie sans doute, mais aussi d'épuisement psychique, aurait pu être celui de Simone. Ça n'a pas été celui de Françoise, ça n'a pas été loin, Françoise Dolto a traversé aussi dans sa jeunesse une crise très grave, sur laquelle on reviendra, qui l'a poussé à commencer son analyse et qui d'une certaine manière l'a sauvée, mais bon Zaza s'en est pas tirée elle. Et Simone, au fond, Simone de Beauvoir, c'est vrai qu'elle avait peut-être une capacité plus grande à lutter contre les pesanteurs de son milieu, mais sa chance peut-être paradoxalement c'est pas avoir eu le choix. Contrairement à Zaza et à Françoise Dolto qui ont dû se battre pendant des années pour exister intellectuellement, Simone, à la fin de son adolescence, a vu son avenir basculer. Comment ? Ce qui s'est passé c'est que son père était ruiné. Et donc tout naturellement, elle a dû... Enfin c'était d'ailleurs une grande tragédie pour son père qui disait « Mais quelle horreur, mes filles n'auront pas d'hôtes, elles vont être obligées de travailler. » Et ça a été la chance de Simone de Beauvoir, c'est qu'elle a pu comme ça poursuivre ses études et travailler. Elle n'avait pas d'hôtes, elle a été obligée de travailler. Et peut-être que je passe la parole à Isabelle maintenant.
- Speaker #2
Je voudrais revenir sur le paradoxe de l'éducation intellectuelle de ces jeunes filles. Caroline vous en a parlé. Elles ont été à la fois encouragées à faire des études et puis freinées. Je parle ici de Simone de Zaza et de Françoise Marrette d'Aulto. Je ne parle pas de Simone puisque pour elle c'était différent. Donc pour vous raconter un petit peu l'histoire. Zaza
- Speaker #0
a rencontré Simone de Beauvoir au cours d'ésir. Il fallait prononcer le cours d'ésir à Paris. Et elles étaient toutes les deux d'excellentes élèves. Et la famille Lacroix, la famille d'Elisabeth Lacroix, Zaza, a encouragé l'émulation entre Simone et Zaza. Elles travaillaient toutes les deux très bien. Ensuite, elles ont fait ensemble une licence. Zaza faisait une licence de lettre classique. Elle était très, très brillante. jusqu'au moment où elle s'est passionnée pour ce qu'elle faisait. Elle avait fini sa licence de lettre classique et elle voulait faire un diplôme d'études supérieures, une maîtrise. Et à ce moment-là, elle a dit « j'aimerais bien faire un mémoire d'études supérieures si maman me le permet » et maman n'a pas permis et on a même préféré l'envoyer à Berlin et lui faire interrompre ses études. Et par la suite, elle a continué à avoir une activité intellectuelle très grande, à lire beaucoup, mais elle a interrompu ses études. Quant à Françoise Dolto, elle a d'abord eu... Donc elle voulait passer la première partie de son baccalauréat et sa mère ne voulait pas. Alors il y a eu un incident rocambolesque avec sa mère, je ne sais pas, qui voulait l'empêcher de passer son bac. Ensuite elle ne voulait pas non plus qu'elle fasse la deuxième partie de son bac parce qu'une fille qui a son bac n'est plus mariable. Elle ne savait plus quoi en faire si elle passait son bac. Et ensuite elle a quand même eu son bac avec mention, bien ! mais elle voulait faire sa médecine mais elle n'avait pas le droit de commencer sa médecine. Et elle a dû attendre plusieurs années, elle avait des occupations, des occupations très variées, on y reviendra peut-être, mais elle a dû attendre d'avoir 23 ou 24 ans pour avoir le droit de commencer ses études de médecine. Elle a fait entre-temps des études d'infirmière, elle a fait des choses, mais elle n'avait pas le droit de commencer ses études. Alors ce paradoxe d'encourager toutes les deux des très bonnes élèves, des jeunes filles, à travailler et ensuite les freiner, les empêcher. C'est un paradoxe qu'on retrouve vraiment dans le système d'éducation féminine de cette époque. C'est-à-dire que c'est un système d'éducation en pleine crise de croissance. En 1880, Camille Sey a fondé l'enseignement secondaire féminin. Il était destiné à éduquer les filles des classes dirigeantes pour qu'elles soient des bonnes épouses et des bonnes mères. C'était un peu triste. pour les maris des classes dirigeantes de retrouver à la maison des épouses insipides, et on voulait former des ménagères à l'esprit orné. Et la devise qui était marquée, je crois, à l'école, peut-être à l'école de Sèvres, c'était la république instruit des vierges, futures mères des hommes. Ceci dit, j'ai l'air de présenter les choses de façon très réductrice, en fait c'était un enseignement extrêmement exigeant, très riche. très variés avec des langues de l'histoire de la chimie, sans compter les activités habituelles que devaient faire ces jeunes filles, des activités artistiques, des activités ménagères, donc c'était extrêmement prenant. Et en même temps, c'était tout à fait désintéressé, car ces études devaient ne mener à rien, à un diplôme de fin d'études. Il n'était pas question de préparer officiellement le baccalauréat, même si depuis longtemps on pouvait passer le baccalauréat, mais les établissements secondaires publics féminins, on n'aimait pas trop dire des lycées pour ne pas décourager ces jeunes filles, ne préparaient pas officiellement au baccalauréat. Donc c'était des études, une relation platonique avec les études, qui avaient aussi des avantages, c'est-à-dire... que c'était une recherche pédagogique tout à fait innovante, un enseignement désintéressé, comme il prétend l'être toujours, très loin du bachotage. Et certains grands pédagogues et grands enseignants ont bien aimé enseigner dans ces établissements secondaires de jeunes. Mais il y avait tout de même une certaine absurdité à poursuivre des études assez austères, souvent, qui est difficile, qui ne débouchait sur rien. Louise Weiss, en assistant à une cérémonie, je ne sais plus si c'était au lycée Molière, disait qu'elle assistait à l'institution d'un non-sens. Et ces établissements secondaires étaient destinés aux jeunes filles des classes dirigeantes et elle les fuyait un petit peu, au grand regret de ceux qui avaient créé ces lycées et ces écoles. Elle préférait aller dans des écoles privées. Alors j'ai parlé du cours d'ésir pour Zaza et Beauvoir, il y a eu ensuite un peu Sainte-Marie. et d'Aulto, elle était dans quelle école ? À Sainte-Clotilde.
- Speaker #1
Stonne, tout de suite. Oui,
- Speaker #0
il y a parfois plusieurs noms qui sont donnés. Au contraire, les jeunes filles des classes moyennes espéraient avoir une meilleure formation et envahissaient, alors qu'on ne les encourageait pas du tout, envahissaient ces lycées. Elles auraient aimé aussi avoir un diplôme, même le brevet, ce qui désolait tout à fait Camille Hissé parce qu'il trouvait que c'était un peu dévalorisé. C'était un petit peu... une impasse et il y a eu une pression pour obtenir de pouvoir passer le bac. Mais la préparation officielle du baccalauréat dans les établissements secondaires féminins date de 1924. Vous voyez, il y a eu un grand écart entre les deux. Et il y a eu une très grande pression, en fait, il y avait une guerre aussi entre l'enseignement public et l'enseignement privé. Donc dans l'enseignement privé, les contraintes n'étaient pas les mêmes. La pression des familles était très grande. Donc à Sévigné ou à Sainte-Marie, on a préparé le baccalauréat, on s'est mis à faire du latin et de la philosophie beaucoup plus tôt pour préparer le baccalauréat. En 1924, il y a une avancée inéluctable, les filles préparent officiellement le baccalauréat et elles ont un peu accès exactement aux mêmes études que les garçons. C'est vraiment un détournement majeur du système éducatif. Et la loi CAMIC... confirmaient l'exclusion des filles, mais comme le dit Françoise Maier, la grande historienne de l'éducation féminine, en même temps, elle leur donnait des instruments qui leur permettaient de lutter contre cette exclusion. Avec le baccalauréat, l'accès des jeunes filles est beaucoup plus facile aux études supérieures, c'est la fin du rapport platonique des jeunes filles aux études, et curieusement, Antoine Praud dit qu'il y a peut-être là la perte. d'une spécificité et qui a peut-être aussi une défaite des femmes. Vous voyez, on est toujours dans le paradoxe. Mais en tout cas, c'est vraiment le moment où cet enseignement va complètement basculer. Et peut-être qu'on pourrait parler aussi des représentations.
- Speaker #1
Oui, mais je vais peut-être faire une transition à Bill, Isabelle. Oui, mais là, tu n'y es pas. Donc, à ces paradoxes du système éducatif dont Isabelle vient de parler, on peut dire que font écho les représentations complexes que l'époque se donne de ces filles. La guerre, ça se situe tout de suite à leur enfance et à leur adolescence, se situe juste après la guerre de 1914. Je ne reviens pas, je ne suis pas développée, mais les travaux de Françoise Maillard dont parlait Isabelle tout à l'heure ont bien montré comment la guerre a... précipiter ce processus de morcellement des représentations. Durant la période de la guerre, les femmes ont accédé à des professions nouvelles, sont devenues visibles dans l'espace public, mais une fois la guerre terminée, elles se sont vite rendues compte qu'elles avaient guère été considérées que comme des remplaçantes, et qu'à force d'insister, on n'allait pas tarder à les considérer comme des usurpatrices. Pourtant, cette liberté si transitoire doit-elle a laissé des traces. Et à l'époque où ces jeunes filles, Françoise Dulto, Simone de Beauvoir ou Zaza, s'interrogent sur leur... De venir à l'époque où elles commencent à se sentir en décalage et en porte-à-faux par rapport à leur mère, par rapport aussi à leur sœur, elles sont confrontées à cette multiplicité des représentations contradictoires qui leur sont proposées à l'école, dans leur milieu familial, mais aussi dans la presse ou dans les romans. Alors, ce ne sont pas des oies blanches, comme le précise bien Françoise Dolto, ce ne sont pas non plus des jeunes filles flirtes. Elles sont bien trop sérieuses pour ça. Ce ne sont pas non plus des garçonnes. Je vis, il y avait un panneau où on parlait de la garçonne à l'extérieur. C'est quand même une représentation qui a été prégnante à l'époque. C'est le titre du roman de Victor Marguerite, qui avait fait scandale en 1922, en présentant une jeune fille qui se livre à toutes sortes d'expériences amoureuses peu recommandables. Et dont Simone de Beauvoir, dans ses mémoires, dit qu'à l'époque, elle lui faisait horreur tout autant qu'à son père. Elles ne veulent pas non plus être des cervelines. C'est une autre catégorie, les cervelines. Cette catégorie fait encore beaucoup plus peur aux familles bourgeoises pour leurs filles que les garçonnes. Elles leur paraissent encore plus irrécupérables. La garçonne de Victor Marguerite, petite parenthèse, au fond, elle finit bien. Elle abandonne ses mauvaises manières. Elle se relaisse pousser les cheveux, justement, pour se marier. Et elle se marie avec un monsieur très bien qui, d'ailleurs, quand il l'épouse, a cette phrase charmante. Il dit « Est-ce qu'on sauge au fumier quand on respire une fleur ? » Par rapport au passé de sa future épouse. C'est particulièrement élégant. Les cervelines, c'est autre chose. Les cervelines ne sont pas des babelues, ce ne sont pas des filles considérées comme vilaines et incasables, bien au contraire, ce sont très souvent des jolies femmes. Ce que j'ai oublié de vous dire, c'est le titre d'un roman qui a aussi eu beaucoup d'importance à l'époque, et c'était presque devenu un nom commun, un cerveline, un roman d'une certaine collette hiver qui a beaucoup écrit, à cette époque-là, sur les destins féminins. En cherchant à montrer que oui, bien sûr, les femmes pouvaient avoir un devenir professionnel et intellectuel, mais il fallait qu'elles choisissent, elles ne pouvaient pas tout faire. Si elles choisissaient de devenir des intellectuelles, très bien, mais à ce moment-là, il n'est plus question qu'elles soient des mères de famille, ni des épouses d'ailleurs. Et elles sont décrites, ces cervelines, comme des espèces de monstres au cœur froid, des fruits secs qui ont annoncé à leur vraie nature d'épouse et de mère pour se livrer à des activités intellectuelles où elles se perdront encore. plus sûrement que la garçonne dans sa débauche. Sans compter, c'est un reproche récurrent qu'on fait aux jeunes filles de la bonne bourgeoisie qui veulent avoir un métier, c'est très clair notamment dans les mémoires de Louise Weiss, sans compter qu'en ayant un métier, elles vont prendre la place d'autres jeunes filles, bien méritantes celles-là, qui elles n'ont pas la chance de pouvoir se dispenser de travailler en faisant un beau mariage. Et de surcroît, pire encore, elles risquent de prendre la place des hommes. Et ça, c'est quelque chose que... qui est quand même vraiment inadmissible. Et c'est vrai, on le voit d'ailleurs dans la correspondance de Françoise Dolto, quand elle commence à faire ses études de médecine, elle les commence en même temps que son frère Philippe. Et elle éprouve énormément de culpabilité à réussir mieux que lui. Bon, réussir mieux, elle sent que ça ne va pas qu'elle réussisse mieux que lui. Ce n'est pas la seule raison du malaise qu'elle ressent, loin de là. Mais ça en fait partie, elle sent vraiment envie de culpabilité aussi pour ça. Donc pour des jeunes filles comme ces trois-là, Zaza, Dolto et Beauvoir, au fond, il n'y a pas de place. Aucune place n'est envisageable. Ce ne sont pas des rebelles, au sens où elles veulent se marier, elles veulent avoir des enfants, elles veulent être aimées d'un homme, pourquoi pas, mais... Elles veulent aussi pouvoir, et Simone de Beauvoir le dit aussi, avant de dire je ne me marierai jamais, j'aurai pas d'enfant, à cette époque-là, elle envisage quand même un avenir de femme mariée avec des enfants, c'est assez amusant de le relire comme ça. Mais elles veulent aussi pouvoir continuer à penser, à réfléchir et puis à faire de cette pensée, de cette réflexion une action et pourquoi pas un métier. Donc elles sont déchirées entre une très très grande curiosité intellectuelle, la peur du célibat, l'hantise du déclassement dont on menace les filles qui vont à l'université, comme Isabelle l'a dit, elles ne seront plus trouvées de mari, elles seront rejetées par leur père. Il y a un débouché à la rigueur qui pourrait être possible pour elles, c'est l'enseignement. Mais l'enseignement, c'est aussi un livre de Geneviève Fraisse qui l'a bien montré. Le paradoxe de ce métier d'enseignante, c'est que c'est un métier qu'on réserve aux femmes, où elles peuvent, a priori, apprendre aux jeunes filles à être des femmes dignes de ce nom, mais en même temps, elles-mêmes sont très souvent célibataires. Jusqu'aux années 50, il y a plus de la moitié des femmes qui étaient enseignantes qui... qui étaient célibataires, parce qu'elles ont énormément de mal à se situer socialement. Alors, elles sont prises au sein d'injonctions contradictoires qui les épuisent et qui les détournent vraiment d'elles-mêmes. Et on voit qu'au moment charnière, au fond, il y a deux... Aussi bien pour Zaza que pour Françoise Dolto, puisque pour Simone, comme je l'ai dit tout à l'heure, les choses se sont passées un peu différemment. Elles sombrent soit dans une espèce de léthargie volontaire, Isabelle vous l'a dit, Zaza a commencé ses études de médecine, elle ne fait rien. Elle ne fait absolument rien pendant 7 ans, c'est quand même impressionnant. Elle a des occupations, elle fait de la peinture, de la poterie, elle repasse des écoles, elle fait du tennis, elle fait un peu de musique. Mais intellectuellement, elle ne fait rien, rien du tout. Ou alors, elle se laisse emporter comme Zaza par une espèce d'agitation fiévreuse, d'un emploi du temps qui est saturé d'occupations mondaines que leur impose leur famille. Ce qu'il faut dire aussi, c'est que, et c'est un point important pour nous, c'est qu'au cœur de l'éducation de ces filles, on trouve un lien très très fort, et là aussi très paradoxal, qui les lie à leur mère. À cet égard, Isabelle vous parlera peut-être un peu de la relation entre Zaza et Madame Lacroix, mais on trouve que la relation entre Françoise et Suzanne Marrette, donc entre Françoise Dolto et sa mère, est exemplaire à cet égard. La mère de Françoise Dolto était loin d'être... une femme au foyer aux capacités intellectuelles limitées. Quand elle était jeune, elle avait tenu lieu de secrétaire à son père. Elle l'accompagnait dans ses voyages à l'étranger. Elle prenait en note, cachée derrière un paravent, pour ne pas qu'on la voit, ses rendez-vous d'affaires. Et elle était dans la cosmosse qu'elle échange avec Françoise. On voit que c'est une femme très curieuse et passionnée de science, et notamment, comme par hasard, passionnée de tout ce qui touche à la médecine. Et pourtant... Pour ceux ou celles d'entre vous qui ont lu les mémoires, les livres de souvenirs que Françoise Dolto a fait paraître, Enfance, Autoportrait d'une psychanalyste, elle trace de sa mère un portrait assez terrifiant. Bon, Isabelle vous l'a dit, la mère de Françoise Dolto ne l'a pas réveillée le jour de son bac. Elle ne l'a pas réveillée. Elle s'était engagée à la réveiller. Elle ne l'a tout simplement pas réveillée le jour de son bac, parce qu'il n'était pas question que sa fille aille à l'université. Elle a résisté pendant des années à son désir de faire médecine. Et ce sont les propres mots qu'utilise Françoise de Latorre, la traité de putain et de salope, parce que Françoise de Latorre, en plus, s'est fiancée, puisqu'elle s'est rendue compte, d'une part, qu'elle n'aimait pas son fiancé, qu'on lui avait bien sûr imposé, et puis parce que ce fiancé ne trouvait pas de bon ton que sa femme continue à faire des études de médecine et qu'il pensait que c'était bien plus intéressant qu'elle les laisse et qu'elle s'occupe de lui. Pendant que lui, il continue, bien sûr, à les faire, évidemment. Bon, tout ceci, la correspondance le montre, mais le montre en creux. c'est assez curieux cette correspondance si vous êtes amené à la lire ou si vous l'avez déjà lue tous ces conflits violents n'apparaissent pas dans les lettres mais la tension se sent au fait par exemple que cette mère et cette fille qui pendant des années n'ont pas cessé de s'écrire même plusieurs fois par jour, au bout d'un moment ne s'écrivent plus n'arrivent plus à s'écrire et que c'est à ce moment là le père Isabelle le dira, il a joué un rôle important dans l'évolution qu'a pu prendre Françoise d'Aulto c'est le père qui a servi de relais entre la mère et la fille mais ce qui apparaît néanmoins Merci. Quand on compare les souvenirs de Françoise Dolto et aussi, d'une certaine manière, les silences de la correspondance, c'est la force et la violence de cette relation mère-fille, ce qu'on a appelé le double désir des mères. Elles veulent à la fois que leurs filles réussissent à leur place, braves à leur place, l'interdit des mères dont elles-mêmes ont été victimes de la part de leur propre mère, et en même temps elles sont prises d'une jalousie terrible à l'idée que leurs filles pourraient réussir là où elles ont échoué. C'est comme si elle leur disait, fais et ne fais pas ce que j'ai pas pu faire moi-même et que m'identifiant à toi, j'ai tellement envie que tu fasses pour pouvoir te le reprocher comme je me reproche à moi-même de ne pas l'avoir fait. C'est quelque chose, c'est un lien très très très cool, c'est une injonction très paradoxale, c'est un lien très compliqué. Et du coup les filles elles peuvent que t'échouer à réussir ou réussir à échouer, enfin il n'y a pas de choix. C'est vraiment là que c'est là-dedans que on se donne le toit. Elle a dit qu'elle avait été prise comme ça, d'une sorte de sidération psychique dans cet interdit qui pesait sur elle. Et au terme, c'est cette contradiction aussi terrible de sa mère qu'elle finira par entendre au terme de son analyse, en comprenant qu'elle avait réalisé, en faisant médecine, évidemment, elle avait réalisé le vœu que sa mère avait jadis fait pour elle-même. Et c'est pour ça que sa mère a été à la fois si fière et si jalouse, et qu'en même temps, elle ne pouvait pas le supporter.
- Speaker #0
Alors le lien entre Zaza et sa mère est très insidieux. Dans son enfance, Zaza semble bénéficier d'une grande liberté. Elle peut sortir seule dans la rue, voyager, elle putoie certaines de ses amies, elle a une grande agilité physique, elle fait beaucoup de sport et elle semble très libre et peu à peu, c'est comme un piège, les contraintes vont se resserrer sur elle et elle va se trouver empêchée par exemple de faire une partie de tennis avec des étudiants de la Sorbonne qui n'ont pas été présentés à sa mère. Par deux fois, sa famille va intervenir dans ses amours. Elle va devoir interrompre ses études, comme je l'ai dit. On l'envoie à l'étranger sans lui demander son avis. C'est-à-dire que peu à peu, les contraintes sont très très violentes et sa correspondance est rythmée par des phrases comme « Maman veut, maman ne veut pas, si maman veut » . C'est très impressionnant. Et récemment, la famille Lacroix a réédité la correspondance de Zaza à l'Armatan. C'est très récent et j'ai lu les lettres de Mme Lacroix. C'est très impressionnant. La violence des interdits qu'elle impose à sa fille et sa fille répond avec un grand respect, mais en même temps, de temps en temps, elle revendique sa liberté. Quand par exemple sa mère lui dit qu'elle devrait aller faire une retraite, elle lui dit « vous trouverez bon que je sache moi-même si je dois ou non faire une retraite, vous n'avez pas à diriger ma vie spirituelle » . Enfin, elle prend quand même, mais toujours avec un très très grand respect. Ce qui est assez curieux aussi pour ces deux jeunes filles, c'est les relations avec leur mère. Elles ont des mères qui sont à la fois très possessives et très absorbées. Ce sont des mères de familles nombreuses, toujours débordées. Et elles sont aussi en demande de l'amour de leur mère. L'amour de leur mère les étouffe, mais en même temps, elles ont l'impression que leur mère, parfois, ne s'occupe pas assez d'elles. Enfin, là, c'est assez compliqué. Alors, la place des pères. Les pères travaillent beaucoup à l'extérieur. Ce qui fait qu'à une première lecture de ces deux correspondances, on a l'impression que les pères sont assez absents et c'est vraiment les autorisations les plus importantes doivent toujours être demandées à la mère. Cependant, Zaza, quand elle est à la fin de sa vie, elle est morte à 21 ans, écrit à son père pour lui demander de faire une démarche importante auprès de sa mère. Mais elle dit bien, je vous écris, vous allez trouver cette démarche un petit peu incongrue. car elle n'a pas des liens très intimes avec son père. Quant à Françoise Dolto, elle aura un lien très fort avec son père qui va l'aider finalement à résoudre la situation impossible dans laquelle elle est arrivée avec sa mère et c'est son père qui va servir d'intermédiaire. Toujours est-il que cette très forte autorité des parents culpabilise terriblement ces jeunes filles et ce qui apparaît dans les deux correspondances, c'est un sentiment d'une dette immense qu'elles ont à l'égard de leur famille et sans arrêt chacune à sa manière elles font des comptes elles endossent des dettes elles doivent rendre des choses pour tout ce qu'elles doivent à leurs parents et ses correspondants c'est aussi l'histoire d'une tentative de libération alors pour Zaza ça peut sembler un petit peu étrange mais malgré tout il y a eu un échange très fort avec Simone de Beauvoir donc elle a résolu par cet échange avec Simone qui est reconnaissante de ce qu'elle doit à Zaza. Quant à Françoise Dolto, bien sûr, vous voyez que c'est l'histoire d'une transmission et qu'elle a compris et elle le dit dans une très belle lettre à la fin du recueil qu'elle écrit quand elle a 30 ans qu'elle sait qu'elle doit beaucoup passer par en, mais que maintenant, tout ce qu'elle leur doit, elle le rendra à d'autres, elle le rendra à l'extérieur à d'autres en s'occupant des enfants et des gens qu'elle va rencontrer. Je crois qu'on va en venir à la conclusion.
- Speaker #1
Éventuellement, vous avez des questions à poser, comme ça, ça nous laissera un peu de temps. Sinon, il y a déjà des gens qui ont...
- Speaker #0
Deux mots de conclusion. La question qu'on peut se poser, c'est que reste-t-il aujourd'hui de ces images, de ces jeunes filles du début du XXe siècle ? La situation économique a beaucoup changé. Le fait pour les jeunes filles de ce milieu à Paris, le fait d'avoir une profession. Ça n'est plus un caprice, c'est le plus souvent une nécessité, c'est un petit peu la norme. Mais malgré tout, on remarque la persistance de certaines représentations. Un petit peu comme on dit qu'on a toujours une sensation pour un membre qui a été coupé, il y a toujours des représentations qui restent et qui sont très fortes. La dispersion des activités des jeunes filles. de ce milieu qui se disperse peut-être plus que les garçons de leur âge entre des activités charitables, artistiques, sportives, etc. Plus que les garçons parce que la pression malgré tout pour les études est un peu moins forte. Ce qui les amène à un certain amateurisme et à une certaine impression de faire semblant quand on fait des activités, de les faire avec une certaine désinvolture. Et on remarque une influence sur les choix professionnels et les orientations qui se font quand même plus souvent. pour les jeunes filles d'après les goûts et une sorte d'aveuglement pour les conséquences économiques d'un choix d'orientation. Je parle toujours des jeunes filles de ce milieu d'une bourgeoisie très aisée. Donc il y a quand même cette idée de... La persistance à certains aveuglements sur des réalités économiques. Je crois que cette idée de l'aveuglement, c'est quelque chose que nous avons découvert au cours de l'écriture de ce livre. C'est-à-dire qu'au départ, nous travaillons depuis très longtemps sur ce sujet, nous avions écrit des articles uniquement à partir des correspondances et des mémoires du jeune fille rangée de Simone de Beauvoir. Donc nous avions la trame depuis. Pour écrire le livre, nous avons fait évidemment d'autres recherches. La complexité du système éducatif nous a frappés, donc permettait de relativiser les choses. Et nous avons comparé la correspondance de Françoise Deltau avec les mémoires qu'elle a écrites bien des années plus tard. Autour de Zaza, nous avons eu aussi d'autres points de vue. J'ai rencontré à plusieurs reprises la famille Lacroix. Et évidemment, c'était très émouvant, très impressionnant. On réalise aussi que les mères ont été défis et qu'elles sont aussi victimes d'un système qui les aveuglait. Zaza a été fiancé à Merleau-Ponty et du côté de Merleau-Ponty, il y a beaucoup de mystères. Il y avait des secrets de famille, ce qui explique que les pressions de la famille Lacroix sur Merleau-Ponty, pour lui aussi c'était très difficile de prendre des décisions. Finalement, nous avons confronté de multiples points de vue contradictoires qui nous ont amené à prendre énormément de distance. à ne pas trop juger, mais à donner un peu les pièces à partir desquelles on peut se poser des questions et peut-être laisser les interprétations ouvertes, mais avoir un instrument de réflexion sur nos réalités d'aujourd'hui. Vous avez quelques questions à poser ?
- Speaker #2
Oui, je voudrais savoir si les sources sur lesquelles vous avez travaillé sont des lettres, donc les lettres écrites par les filles à leur mère ? mais s'il y a aussi les lettres des mères aux filles, et puis des lettres aux filles à d'autres personnes.
- Speaker #1
Alors, d'abord on travaille sur des correspondances publiées. C'est-à-dire que la correspondance publiée de Françoise Deltaud comprend la première lettre, ça va de la première lettre qu'elle a écrite au Père Noël, à 5 ans ou 6 ans, jusqu'à une très très belle et très longue lettre qu'elle a écrite à son père, dont parle Isabelle, quand elle avait 30 ans. L'éditeur de l'époque, qui était Atier, qui est maintenant Egalima, a fait paraître les lettres de Françoise, mais aussi les lettres qu'elle écrivait, mais également les réponses, les lettres qu'on lui envoyait. Donc pour Françoise Dolto, pendant une très très grande partie de sa vie, ce sont des correspondances familiales, c'est-à-dire qu'elle écrit à sa mère, elle écrit à son père, puis c'est à peu près tout. Petit à petit, c'est là qu'on voit d'ailleurs son évolution, petit à petit, il n'y a pas de correspondance masculine jusqu'à un âge avancé, c'est seulement quand elle rentre à l'université. qu'elle commence à... et là, à ce moment-là, elle a déjà rompu en partie, enfin, elle est déjà rentrée en conflit très violent avec sa mère. Et là, commencent à apparaître des camarades masculins, bien évidemment, puisque en fac de médecine, il n'y avait pas beaucoup de filles, et que, bon, ses compagnons étaient essentiellement des garçons, des amis. Pour Zaza, c'est un peu différent, dans la mesure où la correspondance sur laquelle nous avons travaillé à l'époque n'incluait pas les réponses. Et que...
- Speaker #0
Publier au seuil.
- Speaker #1
Ça avait été publié au Seuil, ça n'incluait pas les réponses, donc on avait les lettres de Zaza. Et ce qui est assez émouvant, c'est de voir à quel point d'ailleurs Simone de Beauvoir les a vraiment... Quand elle les a, parce qu'elle les recopie dans les mémoires d'une jeune fille rangée. C'est vraiment les lettres de Zaza, c'est-à-dire qu'elle n'a rien changé. C'est vraiment très émouvant. Mais il n'y a pas les réponses de Simone, et c'est un peu... C'est un peu la même chose, il y a beaucoup de lettres à la famille, beaucoup de lettres de Zaza à sa mère, à sa grand-mère aussi qui avait une grande place dans sa vie. Et puis très vite, puisqu'elles ont été toutes petites ensemble au cours des îles, très vite beaucoup de lettres à Simone de Beauvoir.
- Speaker #0
Et à une autre amie,
- Speaker #1
qui est l'autre... C'est comme si elle distribuait sa personnalité. Il y a une jeune fille sage qui s'appelle Geneviève de Neuville et que Simone de Beauvoir exécrait, d'ailleurs elle lui rendait bien, et Simone de Beauvoir. C'est comme s'il y avait les deux aspects de la personnalité de Zaza qui se distribuaient comme ça entre ces deux correspondantes. Sa partie révoltée vers Simone de Beauvoir et sa partie plus soumise vers Geneviève de Neuville. Voilà, merci.