Speaker #0Les aventures de Moustache Malauré, tome 1. L'esprit de famille, chapitre 1, l'adoption. Je suis un chat. Oh, je vous vois venir. Aujourd'hui, c'est vrai, je coule des jours paisibles. Mais cela n'a pas toujours été le cas. Le jour de ma naissance, par exemple, il pleuvait à verse. De gros nuages noirs obscurcissaient le ciel et des gouttes d'eau, épaisses comme le poing, frappaient le sol avec un bruit de martèlement continu. Évidemment, je ne me le rappelle pas, c'est ma mère qui me l'a raconté. Au beau milieu de ce délire, cette sublime minette rousse désespérée de réussir à me mettre au monde. Allongée là, sur une couche de foin sommaire à l'abri de la pluie, elle venait déjà de donner naissance à trois chatons et elle était très éprouvée. Moi de mon côté, j'attendais sagement mon tour, bien blottie au creux de son ventre. Je commençais à même. patienter quand, soudain, la pluie cessa comme par magie. Un rayon de soleil se posa sur le bout de son museau et l'instant d'après, le ventre de ma mère fut alors traversé par une violente secousse qu'elle accompagna des maigres forces qui lui restaient. Et c'est ainsi que je glissais parmi vous, fripé et chiffonné comme une chaussette tout droit sortie de la machine à laver. J'étais né sous le soleil, au beau milieu d'un jour de pluie. avec pour bonne fée un arc-en-ciel au-dessus de mon berceau. Enfin ça, c'est ce que raconte ma mère à qui veut l'entendre. Il ne manquait plus qu'une icorne magique ne passe par là et ne danse le flamenco. La famille adoptive de ma mère passa ensuite des annonces dans la gazette du village, donnant au chaton contre bon soin. Peu de temps après, des gens du nom de Maloré s'honnèrent à leur porte. La concurrence n'était pas rude entre mes deux frères qui ne pensaient qu'à vider les mamelles de lait de ma mère et ma sœur qui leur montrait effrontément son derrière. Bien décidée à vivre ma propre vie, j'adressais à nos visiteurs un regard mielleux d'une tendresse redoutable. Puis je leur tendis une patte, adorable, ouvertement suppliante, qui disait « Pitié, emmenez-moi avec vous » . J'achevais ma prestation en miaulant d'une tendre petite voix éraillée en direction des enfants. Impossible de résister. Tout le temps que dura le trajet vers ma nouvelle vie, les deux enfants n'eurent Dieu que pour moi. Malheureusement, c'est aussi ce jour-là que je découvris que j'étais malade en voiture. Je vomis l'essentiel de mon petit déjeuner dans la caisse de transport. Une chance qu'il ne m'ait pas ramené aussi sec. Je n'avais... Aucune envie de passer le reste de ma vie dans une vieille ferme délabrée, condamnée à contourner les bousses de vaches durant mes promenades. La famille qui m'adopta était installée depuis plusieurs années dans un lotissement calme et sans prétention, au numéro 27 rue des Lilas à Belleville. Une piste cyclable bordée des rues propres, bien entretenue par la municipalité, ombragée toute l'année par de grands tilleuls. et des acacias densément fournis. J'aimais beaucoup me promener dans le quartier. Comme la plupart des habitants qui circulaient en voiture, nos voisins retraités, monsieur et madame Marshall, veillaient à ne jamais accéder à la vitesse autorisée, limitée à seulement 30 km à l'heure. Je pouvais traverser en toute sécurité. Ils ralentissaient à l'approche d'un dodane, freinaient pour laisser traverser les enfants qui rejoignaient l'arrêt de bus et contournaient prudemment. en anticipant le clignotant longtemps à l'avance les camions de livraison qui déchargeaient leurs gros cartons le matin. Mais c'était toujours M. Michelon que je croisais en premier, un gentil boulanger grassouillier qui ouvrait le rideau de sa boutique en sifflotant. À cause de son métier, il se levait très tôt, et au fil des années, il était devenu un peu insomniaque. Tout le monde le connaissait dans le quartier, il avait lui-même grandi à Belleville. Il avait ensuite vadrouillé aux quatre coins de la France comme apprenti. Un jour enfin, il avait monté son affaire et n'était plus jamais reparti. Quand je passais devant sa boulangerie le matin, l'odeur des viennoiseries chatouillait ma truffe. Je voyais les belles villois qui s'y pressaient en fine indienne, bien disciplinées, attendant sagement leur tour. Quelques mètres plus loin, Madame Lebrun m'adressait souvent un mot gentil tandis qu'elle installait sa farandole de fleurs colorées sur la devanture de son magasin. Son visage dépassait à peine derrière la montagne de bouquets qu'elle arrangeait avec soin. Il y avait aussi le boucher M. Speck dans cette même rue principale que l'on appelait boulevard central. Ses épais sourcils foncés alourdissaient les contours de son visage rondouillard et lui donnaient un air injustement sévère. Chaque matin, l'opticienne rigolote Mme Le Yad ne manquait pas de le saluer chaleureusement. Fraîche et pétillante comme un fond à citron, elle lui souhaitait une bonne journée avec un sourire charmant. Et cela suffisait à le mettre en joie pour le reste de la journée. Je crois bien qu'il en pincait pour elle. Une boutique d'assurance, deux bars-restaurants, une pizzeria et un bureau de poste achevaient de faire battre le cœur tendre de cette bourgade de campagne active et dynamique. Annie et Franck Maloré, les parents de Caroline et Samuel, coulaient ainsi aussi des jours heureux à Belleville, au milieu de ces gens tellement gentils et si bien élevés. Ils habitaient dans un quartier résidentiel à deux pas du centre-ville. Ce qu'ils aimaient par-dessus tout, c'était les choses simples. Mais ne vous y trompez pas, faire simple, ce n'est pas donné à tout le monde. Regardez autour de vous, combien de personnes achètent vraiment une voiture pour aller d'un endroit à un autre ? Ou bien une paire de chaussures simplement pour marcher ? Les gens ne réfléchissaient plus ainsi. Ils voulaient tous le téléviseur dernier cri et des vacances au soleil pour les fêtes de Noël. Pas les malheureux. Eux, ils étaient différents. Dans cette famille, on roulait en monospace. Le jardin avait sa propre personnalité et tout le monde portait des baskets à scratch. Les boissons pétillantes et les sirops étaient réservés pour les jours d'anniversaire. On buvait de l'eau à table et on jouait au ballon avec des cages en bois, fabrication maison. Eh oui, aussi curieux que cela puisse paraître. Samuel et Caroline aimaient mieux construire des cabanes dans les arbres que de jouer aux jeux vidéo. Le soir, il tombait de fatigue et plongeait dans une mer pleine de rêves étoilés. Même les marmottes ne dormaient pas aussi profondément, croyez-moi. Bien sûr, l'adaptation ne fut pas facile, je dus faire quelques concessions. La première, et non la moindre, concerna le difficile choix de mon prénom. Merci.