- Speaker #0
Bonjour et bienvenue sur le podcast Histoire de Sportif. 38 jours de marche, 900 kilomètres et 55 000 mètres de dénivelé positif. C'est l'incroyable randonnée à travers les Pyrénées que nous raconte Delphine dans cet épisode hors série.
- Speaker #1
Au début de chaque randonnée comme ça, tu te dis mais pourquoi est-ce que je fais ça ? Mais je sais pas, tu le fais parce que...
- Speaker #0
Parce que t'aimes bien ce dépassement, quoi.
- Speaker #1
Bonjour, je m'appelle Delphine, j'ai 29 ans et je vais vous raconter ma grande traversée des Pyrénées. Je travaillais chez Decathlon et puis j'ai décidé de faire des changements dans ma vie. J'avais décidé d'aller plus ou moins m'installer à la montagne. Et entre les deux, je m'étais un petit peu fixée un challenge et je m'étais dit, ok, je vais faire la grande traversée des Pyrénées. La grande traversée des Pyrénées, c'est donc une randonnée. de 900 km, qui va de la Méditerranée à l'Atlantique. Donc en fait, on traverse toute la chaîne des Pyrénées. Départ Banyuls, arrivée Andagne. 55 000 m de dénivelé, 900 km. Moi, j'ai toujours fait beaucoup de randos et beaucoup dans les Pyrénées. Et en fait, j'avais ce rêve à l'époque de faire le PCT, le Pacific Crest Trail. Donc c'est la traversée des Etats-Unis de la frontière mexicaine à la frontière canadienne. Et donc je m'étais dit, le bon entraînement pour faire le PCT, c'est de commencer en France par la Grande Traversée des Pyrénées. Donc c'était un peu l'idée de départ en me disant, si j'arrive à faire ces 900 km et ce dénivelé-là, si j'ai le bon matos pour faire ça, je serai capable ensuite de partir aux Etats-Unis pour cette traversée-là. Donc ça vient de là. Avant cette traversée des Pyrénées, moi j'avais fait plusieurs randos. Je m'étais déjà testée sur d'autres randos avant. Le West Island Way en Écosse, la Rota Vicentina au Portugal, le Marais-Monti en Corse. C'est des randonnées que j'ai faites seule. Et là, c'était vraiment un petit peu par plaisir. Et puis au fur et à mesure de ces randonnées, j'ai eu envie à chaque fois d'aller un peu plus longtemps, un petit peu plus loin, un petit peu plus haut. Et après, pour une rando de 900 kilomètres, évidemment, j'ai eu besoin de me préparer physiquement. L'idée, c'était d'être capable de porter mon sac, comme c'est une randonnée que je voulais faire en autonomie totale. C'est donc tant, environ 7 à 10 jours de nourriture. Donc moi, j'ai fait la moitié avec un ami et l'autre moitié toute seule. Et donc nous, on avait fait un système de colis. Donc en fait, on s'était envoyé en poste restante des colis de nourriture. Tous les dix jours, tu redescends en vallée et tu vas chercher le colis que tu t'es envoyé dans une poste. Donc l'aventure a commencé le 5 août. Donc là, à ce moment-là, j'étais avec mon ami Christophe. T'es super excité et en même temps, tu sais très bien qu'il t'attend des choses que tu peux pas imaginer avec ton cerveau à l'heure où tu t'en vas. C'est-à-dire que t'es prêt, t'es hyper prêt physiquement, tu penses que ton entraînement était hyper efficace. Mais d'un autre côté, ton cerveau sait qu'il va se passer des choses que tu ne peux pas imaginer. Donc on est parti, on va dire, en toute confiance, avec l'idée de suivre cette route qui est la Transpyrénéenne, par les crêtes des Pyrénées. Très rapidement, au bout de la première et deuxième heure, là tu te prends l'exercice de la rando dans la figure. Tu n'avais pas forcément calculé qu'il allait faire 40 degrés. Que ton petit entraînement dans ta salle tous les matins c'est bien, mais que le poids de ton sac, 19 kilos, la chaleur, le dénivelé, en fait tu ne l'avais pas vraiment imaginé. Donc la première journée, on s'est arrêté proche d'une cabane, ce qui s'appelle la cabane de la Taniarède. Là on a trouvé un petit spot très sympa. Et donc on s'est dit, on va se poser là, il y avait un peu d'eau, une source, la nuit s'annonçait reposante et bien méritée. Bivouac habituel, tu fais ta bouffe tranquille, petite douche dans la source et puis on se couche pas trop tard, vers 9h, 9h30. Et vers 10h, plus de lumière et là, moi je commence à entendre un petit peu des bruits à côté de la tente. Alors évidemment... Tu te dis en randonnée, c'est sûr que oui, il y a des bruits quand tu es dans ta tente, il y a des bruits, il y a des animaux, c'est évident. Et puis, petit à petit, ça se rapproche des passages et puis tout d'un coup, je réalise que voilà, c'est en fait des sangliers. toute la nuit Ça a circulé près de la tente parce qu'en fait on avait très mal choisi notre spot. On avait choisi notre spot à côté d'une source où il y avait évidemment de l'eau partout autour de cette source avec de la boue. Et on était à l'entrée d'un petit sous-bois, donc évidemment l'emplacement idéal pour les sangliers. Donc une fois toute lumière éteinte, eux ils sortent, c'est la fête. Et donc ça n'a pas arrêté de la nuit, c'est-à-dire que vraiment jusqu'à je pense 6h30 du matin, il y a eu des passages autour de la tente. Alors en plus, évidemment, ça vient renifler, ça repart, ça va se baigner, ça fait un boucan. Moi, je pense que la rupture, elle a été tellement soudaine entre... Quand tu commences ta randonnée, la veille, t'es quand même dans un Airbnb, dans un lit. Donc évidemment, tu passes à la montagne, c'est sûr. Mais là, la transition, elle était hyper sèche, quoi. C'est-à-dire que... T'es dans ta tente et puis tout d'un coup t'as vraiment la nature qui arrive et qui te fait face quoi, tu te fais pas ta petite nuit tranquille, tu te rends compte que bah oui t'es dans la nature, qu'il y a des sangliers, qu'il y a des bruits, y'a pas finalement que l'effort physique, y'a aussi des choses qui vont venir un petit peu perturber aussi cette rando que t'avais pas forcément imaginé ou que tu pensais pas qui te ferait un peu peur quoi. Donc moi j'ai très mal dormi cette nuit là, j'ai eu extrêmement peur. En fait t'as pas le pouvoir quoi, c'est pas toi qui... Oui, il y a une partie que tu gères, mais il y a quand même une grande partie où c'est la nature, malgré tout, qui prend le dessus. Même si, voilà, peut-être quand on écoute ce podcast et qu'on est dans son lit, on se dit, mais sanglier, c'est rien du tout. Mais en fait, quand t'es tout seul dans ta tente et que t'es sur une journée de transition, que tu viens de la ville et que t'arrives dans cette nature un peu sauvage, t'es un peu déboussolé. Et moi, je pense qu'à ce moment-là, ça a un petit peu fait basculer ma confiance. En tout cas, celle que je pensais que j'avais sur cette randonnée. Tout d'un coup, je me suis dit, s'il arrive d'autres trucs comme ça, est-ce que je vais arriver jusqu'au bout ? Et puis surtout, je me souviens que c'était à peu près, on avait calculé, je crois que c'est une quarantaine de jours. Et en fait, je me souviens, mais j'ai exactement ces souvenirs que quand je commençais mes journées, je me disais jour 2 sur 40. Ça me paraissait, je me disais, mais j'arriverai jamais au bout. Et j'essayais de me faire des espèces de statistiques. Je me disais, mais là, j'en suis à 1 huitième. et je me disais mais jamais de ma vie je tiendrai jusqu'au bout ça me semblait être une épreuve très très longue et puis bon on était deux quand il y en a un qui a un peu moins de morale bon bah l'autre t'entraîne et puis t'avances comme ça et puis on arrive au cinquième jour où là donc sur la Transpyrénène tu passes normalement par les sommets et donc là le premier sommet qu'il y avait sur notre liste c'était le pic du Canigou
- Speaker #0
Avant-hier et hier, on a fait un truc qui s'appelle le Pic du Canigou.
- Speaker #1
C'était une très longue étape. Tu montes, c'est plutôt touristique. Et quand tu descends, tu dois descendre par une cheminée. Si vous voulez regarder sur internet, la cheminée du Canigou. Souvent, les gens, comme ils font la rando dans l'autre sens, ils la font en montant. Et là, comme on était dans l'autre sens, il a fallu qu'on le fasse en descendant. Donc voilà, il faut mettre les mains, c'est de l'escalade un peu quoi, ça fait... voilà. Donc là on se dit, bon bah on est là, on avait tous les deux fait de l'escalade, on se dit on va quand même le faire, on va quand même descendre. Et donc voilà, on est descendu par cette cheminée. Au final, l'exercice, il n'est pas du tout insurmontable. Je ne vous dis pas, on n'a pas fait de l'alpinisme. Ce n'est pas du tout ouf. Simplement, c'est toujours pareil. Ce n'est pas forcément raisonnable. Et à un moment, si tu fais un peu une... Que tu ne places pas bien tes pieds ou qu'à un moment, tu es déconcentré, c'est ça un petit peu, de toute façon, la montagne. C'est que ça peut être risqué. Donc je pense qu'il y a un peu un truc où j'ai eu... hyper peur et puis je pense la fatigue cumulée des 5 jours j'ai commencé à pas du tout bien me sentir je pense que j'étais vraiment au bout du relax, j'étais épuisée, donc le 5ème jour, le soir, moi j'étais au bout, franchement je pleurais je me disais mais je peux pas continuer et donc là, on a redormi dans un refuge et heureusement j'avais un voisin, je sais pas si vous Vous voyez un peu les refuges, c'est vraiment une grande grande paillasse. Et en gros, t'as 10 personnes qui dorment dans le même lit. Ça veut dire que t'as une grande grande planche et tout le monde est aligné. Donc t'as 10 personnes. Donc tu te retrouves avec un voisin juste à côté que tu connais pas, qui peut te tenir la main. Et j'ai eu de la chance, mon voisin était tout à fait sympathique. Je pense qu'il m'a vu arriver dans un tel état, il m'a mis une petite caisse au bout des pieds pour que j'ai les pieds qui soient un petit peu surélevés, il m'a fait un sachet de réhydratation pour me réhydrater, il m'a mis un truc sur la tête, il m'a massé avec des huiles essentielles, donc je pense que cette personne m'a sauvée la nuit. Et donc le lendemain, disons que je me sentais capable dans ma tête de me dire il faut que j'essaie, il faut que je réessaie de marcher une ou deux journées. Mais le problème c'est qu'en fait quand j'ai commencé À marcher, mon corps ne voulait absolument plus. C'est-à-dire que remonter, refaire du dénivelé positif, c'était impossible. Je pense que quand tu es crevé, tu n'as pas bien mangé, tu n'as pas le moral. Donc là, j'ai dit à mon pote, j'ai dit à Christophe, écoute, moi, je ne peux pas continuer avec toi sur la Transpyrénène. Je vais descendre sur le GR10, parce que la journée prévue sur le GR10, les étapes, en tout cas l'étape suivante, faisait qu'au lieu de remonter, je partais pour au moins 2-3 heures de descente. Et comme j'étais absolument pas capable de monter, je me suis dit, bah là, la seule chose que je peux faire si je veux continuer et continuer à avancer, c'est trouver un peu un chemin alternatif et redescendre. Donc lui, il a continué sur la Transpyrénène et moi, je suis redescendue sur le GR10. C'était à Mantetz, qui est un... tout petit village avec des petites maisons en pierre. Et donc là, il y avait un espèce de petit café. Donc vers 4-5 heures, je me suis posée là en me disant, je vais essayer de regarder mes cartes pour voir s'il y a moyen. Peut-être que demain, je retrouve Christophe. Je sentais quand même que l'énergie était un peu revenue. J'essayais de calculer mon itinéraire pour rejoindre Christophe par rapport à l'endroit où lui devait passer. Il fallait que je marche. 12h le lendemain pour pouvoir le rejoindre à l'étape, lui, où il était censé arriver le lendemain. Et il y avait trois mecs à côté qui discutaient, qui ont dû se dire cette pauvre nanate qui a l'air paumée. Et puis en plus, je me disais, mais où je vais dormir si je redescends et qu'il y a encore des sangliers ? Enfin bon, bref, je me disais, dans tous les cas, ça va être la misère. Bref, comme ce qui arrive toujours d'ailleurs quand t'es tout seul en randonnée, tu sais pas pourquoi, mais quand t'es au bout du rouleau, t'as... toujours un truc qui t'arrive, qui vient un peu te sauver. C'est assez hallucinant. Donc, il y a ce mec à côté qui vient me voir et qui me dit, bon, voilà, qui me demande est-ce que ça va ? Donc, bon, je lui raconte que, ouais, en gros, c'est six premiers jours de traversée des Pyrénées, que c'est la misère et que, en gros, si je veux rejoindre un pote demain, il faut que je marche 12h. Et le mec, il me dit, ouais, il n'y a pas de problème. Moi, je suis berger. Demain, il faut que je remonte mes brebis. Si tu veux, je te fais passer par un raccourci. tes six premières heures, je pense qu'on peut faire ça en quatre heures. Donc voilà, il me dit, écoute, on se dit 5h du matin devant demain. Me voilà à 4h du matin à ranger ma tente avec ma langue frontale, et puis à 5h devant le petit bar, en me disant, mais espérons que ce mec ne m'oublie pas, quoi. Espérons qu'il vienne. Enfin, je sais pas, je me disais, je sais pas ce qu'il va avoir fait la veille, ou s'il a oublié, ou j'en sais rien. Et le mec arrive à 5h du matin avec ses chiens, sa petite lampe frontale, et nous voilà partis, tous les deux, pour faire cette première partie de l'étape. Bon, il avait bien picolé la veille, donc il n'était pas très efficace sur sa marche, donc il me disait, si tu veux, on peut se poser, on peut se poser, mais moi, en fait, j'étais au taquet, moi j'étais prête pour mes 12h de marche, et lui, il était plutôt, j'espère qu'il n'entendra jamais ce podcast, mais il était un peu au bout du rouleau, pour le coup. Donc on a marché, je pense, 4 heures comme ça ensemble. En effet, un raccourci puisque j'ai dû faire 4 heures peut-être au lieu de 6 heures. Et mine de rien, ça, c'est des trucs, ça te redonne un peu la motivation. C'est des choses qui te... Voilà, ça te remotive de rencontrer quelqu'un de nouveau. Tu parles de d'autres choses. Tu sors un peu aussi de l'épreuve physique que tu t'es fixée parce que quand tu pars pour une rando comme ça, un truc dont t'as rêvé, que t'as préparé pendant un an, T'as aussi en fait une pression que tu te mets quoi et quand tu vois que l'exercice il est plus difficile que ce que tu avais imaginé, qu'il y a des choses qui t'échappent ben forcément ça ça touche un peu à ton moral donc là c'était aussi ça m'a un peu fait décrocher de ce challenge que je m'étais mis et je me souviens que ce berger ça m'a replongé dans ce truc de dire en fait quand tu fais comme ça une traversée tu le fais peut-être pour le challenge mais tu le fais aussi parce que Il y a un vrai plaisir à marcher, il y a un vrai plaisir à être dans la nature, il y a un vrai plaisir à regarder ce qu'il y a autour de toi. Et moi je sais que dans mes randos comme ça, j'oublie un peu que c'est pas que un... Un challenge, que c'est aussi des vacances, que c'est aussi un plaisir. Donc voilà, ce mec-là, il m'a mis dans une autre réalité, et dans un truc un petit peu plus posé, et un peu moins sportif. Par contre, là on était, je pense, presque à l'entrée de l'Ariège. Les premières conversations autour de l'ours ont commencé à arriver. Chose auxquelles je n'avais pas tellement pensé. Je savais bien qu'il y avait des ours dans les Pyrénées, mais j'avais lu quelques trucs, ça ne m'avait pas plus angoissée que ça. Je n'avais pas trop intellectualisé le truc. Et en fait, en parlant avec ce berger, tu te dis, ah oui, il est vraiment là. C'est un peu plus embêtant qu'un sanglier. Donc voilà, on fait nos quatre heures. Et puis à un moment, il me dit, bon, moi, ma cabane, elle est plus haute. Là, tu continues, il me dit tu suis un peu les brebis jusqu'à une petite rivière et puis après tu remontes et tu retrouves le sentier.
- Speaker #0
Et puis après il m'a laissé un moment en me disant « Oui, là, il y a un chemin,
- Speaker #1
on va pour une demi-heure, tu suis le chemin et tu retombes sur le GR10. » Je suis par là. Dix minutes après l'avoir quitté, je ne voyais même plus le chemin. Mais bon, ça va, je savais que je n'étais pas loin. Je savais où je devais aller et j'ai mon GPS. Donc voilà. Et donc là j'ai rebisurqué sur les GR10 pour arriver à la moitié de mon étape. J'espère dans moins d'une heure. Voilà. Et après,
- Speaker #0
cet après-midi j'aurai encore un bon morceau pour rejoindre Christophe que j'ai hâte de retrouver parce que... J'ai la trouille en fait toute seule.
- Speaker #1
Donc voilà, la journée a continué comme ça et puis le soir on s'est retrouvés à l'endroit prévu avec mon ami Christophe. Je me sentais un peu plus quand même de continuer la rando. Je me disais bon ben voilà, il y a déjà six jours, ça veut dire qu'il faut y aller petit à petit, un jour après l'autre et puis au final, ça va être possible. Donc après on s'est retrouvés et il me semble à peu près que quand on s'est retrouvés, on arrivait en Ariège. C'est vraiment un changement de paysage par rapport aux Pyrénées-Orientales qui sont on va dire assez touristiques. Là tu arrives dans un environnement qui est très sauvage. Aussi une météo qui est très différente, c'est hyper vert, beaucoup de brouillard. Donc tu as une atmosphère très très particulière aussi dans l'Ariège. C'est ça vraiment dont je me souviens. Parce qu'autant à partir de ce moment-là, ça a été... Vraiment que du plaisir, on n'a pas eu de galère, mais il y a vraiment une atmosphère qui s'installe, c'est très vert, tu as beaucoup de petits lacs, tu as beaucoup aussi de passages dans des alpages en hauteur, tu es en hauteur, tu as beaucoup de chevaux et tout ça dans le brouillard, c'est vraiment une atmosphère hyper particulière. Les gens qu'on a rencontrés en Ariège, qui venaient de l'autre côté, donc qui avaient fait le chemin de l'autre côté, nous disaient aussi, c'est ça, il y a vraiment quelque chose d'hyper particulier. En Ariège, c'est là aussi où il y a la plus grosse concentration d'ours des Pyrénées. Donc il y a aussi un peu cette atmosphère où quand tu croises des bergers ou que tu croises des cabanes de bergers, ils te parlent vraiment de ça tout le temps. C'est les premiers mots qu'ils utilisent. Ils te disent, alors vous avez vu l'ours ? Donc toi, t'as tous envie d'entendre ça. Eux, c'est vraiment leur quotidien. Et en plus, comme l'atmosphère est très particulière, avec la brume et tout, c'était vraiment magnifique. Moi, c'est la partie que j'ai préférée de toute la randonnée. Et pourtant, c'est celle où j'étais un petit peu... Voilà, quand tu fais des passages où t'as un petit lac, à droite, t'as des champs de myrtilles, tu te dis, là, l'ours, il est typiquement... Là, c'est son environnement idéal. On avait dû faire 8 ou 9 jours de rando, et donc on est arrivés à Bolker, qui est une station de ski, pour récupérer notre premier carton de nourriture. En gros, quand tu prépares des cartons comme ça pour une rando en autonomie, tu emmènes... Qu'est-ce que tu prends comme nourriture ? Ton objectif, c'est quand même de pouvoir manger avec un minimum de poids. Donc en gros, c'est préparer... Tu vraiment calcules le poids de chaque ingrédient pour un repas. Donc par exemple... Tu vas te dire, ok, il y a un repas, je prends de la polenta. Pour un repas, il me faut environ tant de grammes de polenta pour un repas. Donc c'est vraiment calculé au gramme près pour ne pas avoir trop de bouffe. Tu te dis, j'ai jusqu'au prochain carton, j'ai 10 jours. Tu calcules ton nombre de repas, petit déjeuner, déjeuner, dîner, et tu calcules le grammage de ce que t'emmènes. Et ensuite, avec la contrainte qui est que tu as accès normalement à l'eau si tu trouves des sources ou dans les villages. Et tu as simplement ton réchaud. Moi, j'avais un réchaud. Et après, il y a des gens qui partent même sans réchaud. Mais donc, moi, j'avais un réchaud. Et donc là, qu'est-ce que t'emmènes ? Moi, dans mon carton, il y avait, oui, tu manges globalement de la pollen-tarne, de la purée en flocons. Quelques repas lyophilisés, histoire de changer, avoir des trucs un petit peu préparés, mais c'est beaucoup plus lourd. Je pense que par carton, j'avais 2-3 plats lyophilisés. J'avais de l'avoine, après j'avais mis des sachets de lait en poudre, du fromage, mais du coup, le fromage, c'est pareil, si tu prends du comté au bout de deux jours, il est complètement fondu dans ton sac. Donc on avait pris du parmesan, du parmesan entier. Parce que du coup, ça fond beaucoup moins du parmesan, de la sauce tomate en tube. Du couscous épicé. Ça, c'est pas mal parce que ça pèse pas très lourd et ça remplit bien l'estomac. Et après, évidemment, du sucre parce que quand tu randonnes, t'as envie de manger du sucre. Donc voilà, des sneakers, ça, ça sauve la vie. Voilà, quand tu sais que t'as ta pause prévue avec ton sneakers, c'est beaucoup de joie dans ton cœur. Et le grand plaisir... de cette rando, c'était quand tu te mettais de la polenta avec un sachet entier de parmesan déjà bien mixé, et donc ça te faisait une espèce de polenta au fromage, ça c'était vraiment le top quoi, ça c'est le repas de luxe quand tu te fais ça, avec un petit peu de tomate dessus et là t'es bien alors il y a un truc particulier en Ariège, que moi, j'ai jamais vu autre part, aussi bien à d'autres endroits dans les Pyrénées, sur toute la traversée que, par exemple, en faisant la traversée des Alpes, il y a des espèces de cabanes qui sont gérées par des scouts. Là, en l'occurrence, c'était ça. Et donc, au milieu de rien, elles sont approvisionnées par les scouts qui, dans des placards, mettent des provisions. Donc, t'as tout. T'as des sachets de riz, de polenta, de couscous, des paquets de gâteaux, des chips. Et donc, en fait, tu prends ce dont tu as besoin. Ils ont un prix indicatif et tu laisses ta pièce qui vaut à ce que tu as pris. Mais donc, c'est vraiment toute confiance. Déjà, quand tu trouves une cabane, tu es déjà content parce qu'il y a une journée en arrière qu'on a faite vraiment du matin jusqu'au soir sous la flotte. Donc là, en fait, au début, tu te dis bon, ça va, j'ai rien de mouillé. Après, tu commences à te dire bon, j'ai mes pieds de mouillé. Après, tu te dis j'ai mes chaussettes. après tu diges Au fur et à mesure de la journée, tu vois que t'es de plus en plus trempée. Et puis en fait, à la fin, t'arrives à 4h, tu rentres dans une cabane et t'es sort, t'es fringue. Et c'est vrai que là, de pouvoir te faire un petit feu, de pouvoir peut-être te prendre un truc, un paquet de gâteaux. C'est des trucs que, bien sûr, quand tu le racontes et que t'es dans ta vie normale, ça paraît ridicule. Mais quand t'es en randonnée, c'est des trucs, un feu et un paquet de gâteaux, ça te fait ta journée. Donc voilà, ça, c'est des trucs qu'on a vus qu'en Aréache, cette espèce de petite cabane autogérée. Et en fait, comme c'est bien entretenu, t'as aussi envie de faire perdurer le truc. Donc t'as toujours une cabane. C'est aussi souvent, ça se passe comme ça. T'utilises le bois qui est déjà dans la cabane. Et avant de repartir, tu vas rechercher du bois pour les prochains qui s'en serviront. A priori, le bois, il va avoir le temps de sécher. Voilà, donc les prochains arrivent dans une petite cabane que t'as nettoyée avec du bois qui est prêt. Et donc là, en plus, t'as la chance d'avoir un petit peu de provision à ta dispo. Donc c'était un peu des cabanes luxe en Ariège, mais c'est aussi parce que tu as tellement peu de villages que tu traverses que c'est un peu les seuls moyens de se réapprovisionner. Nous voilà repartis, donc départ, là c'était Lac des Bouillouses, c'est un très très bel endroit et là c'était, je crois qu'on a fait notre première nuit à, il devait faire 0 ou 1 degré. C'est encore un peu une galère mais bon, en randonnée t'en as quand même. Mais bon, je pense que quand tu fais de la rando, c'est que t'aimes bien cet état aussi d'aller un petit peu au bout de certaines limites. Je pense que, en fait, c'est terrible, mais je pense que ça, ça te fait... C'est comme les gens qui font de l'alpinisme. C'est ces moments-là qui te font te sentir particulièrement en vie et qui font qu'après, dans ta journée, quand tu vois des belles choses, ça te les fait voir encore plus belles. Tellement t'as galéré pour les atteindre. Je pense qu'il y a ça aussi. Là, on partait pour le Pic Carlite. Je pense que c'est le premier jour où vraiment le paysage et ce qu'il y a autour de toi te fait vraiment oublier justement l'effort physique et tout ce que tu t'es mis, et les galères, et le challenge, et ton sac, et ta bouffe, et ta nuit. Le lac des Bouilloux, c'est une espèce de traversée pour arriver au Pic Carlite où tu as plein de petits lacs que tu traverses. Et c'est vraiment un paysage vraiment magnifique. Et puis cette descente aussi qui est très très belle quand tu descends de l'autre côté du Picard-Lyc. C'est donc un pierrier, donc c'est une grande pente avec... Plein de toutes petites pierres, donc c'est très très beau parce que ça fait quelque chose que tu vois de loin, gris, avec que des pierres. Le Pic Carlite c'est un endroit qui est vraiment magnifique, c'est très grand, très ouvert, c'est très beau. Donc là la journée se passe, on va dire, plutôt bien, c'est grosse journée mais les paysages sont tellement beaux que tu oublies tout le reste. Et là c'est justement pour ces moments-là que tu marches. Donc voilà, et puis on se pose le soir dans une toute petite cabane avec une vue de dingue. Là, c'est le petit rituel du soir. T'arrives, tu te fais une petite toilette dans une source où tu trouves un petit endroit où il y a de l'eau. Tu te poses, tu fais ta polenta ou ta purée. Et puis de toutes les façons, à 9h, t'es cuit, quoi. La douzième journée, là je sais que je me suis réveillée avec une douleur dans tout le côté gauche. Donc là, la journée a été particulièrement pénible. Et c'est à ce moment-là qu'on a, au vu des douze premiers jours qu'on avait passés, qui globalement étaient sous le signe de la galère maximum, qu'on s'est dit, on s'est posé, on s'est dit, est-ce qu'on a fait ça pour vraiment juste se mettre en difficulté ou est-ce qu'à un moment on a aussi envie... de faire cette rando aussi en profitant, en n'étant pas que dans la souffrance, c'est dans l'exercice et dans le challenge. Et donc c'est à ce moment-là qu'on a décidé de bifurquer de la transpirénène et de redescendre sur le GR10. Donc là, le GR10, ça simplifie un peu les choses puisque tu as des refuges. Tous les deux jours, normalement, deux, trois jours, tu passes dans des petits villages. Donc tu peux te réapprovisionner, tu peux acheter des choses. Si tu as envie de te faire une nuit en refuge, c'est possible. Tu lâches aussi complètement tes cartes, ton GPS parce que le GR10 est complètement balisé. Là, c'est beaucoup plus facile. Tu es un peu plus, je pense, en tout cas pour ma part, un peu plus dans le lâcher, un peu plus dans le plaisir parce que tu peux décrocher de ta carte, tu peux décrocher un petit peu aussi de tes provisions et te dire là, j'ai envie de me faire un repas dans un refuge. Là, ça devient possible. Je pense que vraiment à partir de ce moment-là, déjà, je pense qu'au bout de 12 jours, tu lâches un peu prise. C'est-à-dire que tu as tellement marché, tu as l'habitude de ton bivouac, que ça devient un peu quelque chose de... Ton corps s'est habitué à l'exercice physique, ton corps s'est habitué au poids du sac. Mentalement aussi, au bout de 12 jours, tu arrêtes de compter. Il y a un truc, tu te dis si j'ai fait 12 jours, je suis capable de faire 40. Donc l'Ariège, atmosphère hyper particulière, mais très beau. Et puis là, on arrive au 20e jour. je crois à peu près 19-20 et c'est Bannière de Luchon donc sur la carte c'est vraiment le milieu de la randonnée t'as un peu une énergie nouvelle où tu te dis j'ai fait la moitié donc je vais être capable d'aller jusqu'au bout après par contre je savais que mon pote allait me laisser je pense un ou deux jours après donc je sentais aussi le moment où j'allais commencer à randonner toute seule qui s'approchait de plus en plus t'es content parce que randonner seule c'est... Aussi un vrai lâcher prise parce que du coup t'as plus quelqu'un ou tu dois peut-être te coller au rythme. Voilà t'es vraiment tout seul dans la nature là vraiment le choix de randonnée il est maximum. Mais c'était quand même un petit peu une petite angoisse où je me disais bon bah là je vais devoir continuer toute seule quoi. Arrive le moment où je quitte donc mon ami Christophe qui termine là et donc je continue toute seule Haute-Pyrénée. Et puis là, j'arrive à la frontière du Pays Basque, qui est le dernier département que je vais traverser. Et c'est la Pierre Saint-Martin. La Pierre Saint-Martin, c'est une station de ski. Donc t'arrives là, évidemment, il n'y a pas de neige. Mais là, je me souviens bien que quand j'avais regardé mes cartes avant de partir, je m'étais dit, c'est bon, si j'arrive à la Pierre Saint-Martin, c'est gagné, j'arriverai jusqu'au bout. T'es encore plus dans... Quand tu sais que tu vas terminer et que le Pays Basque, en plus, c'est... Il y a beaucoup moins de dénivelé, c'est beaucoup moins challengeant. Dans ta tête, tu es un peu déjà arrivé. Tu quittes les hautes montagnes et tu arrives presque un peu sur des paysages d'Ecosse. Tu as des grands vallons, souvent avec énormément de brebis. Et puis tu traverses ces immenses vallons, donc tu as une vue qui est super dégagée. C'est pareil, c'est très humide et très vert, donc ça rajoute aussi une atmosphère particulière. C'est aussi des passages que j'ai adoré le Pays Basque. Parce que voilà, c'est les brebis, des immenses étendues, les couleurs sont très belles, t'es aussi beaucoup moins dans le challenge physique parce qu'il y a moins de dénivelé, tu sais aussi que tu vas... Tu vas vers la fin, donc aussi ton mental est complètement différent. Et puis là, je crois que c'était 4 ou 5 jours avant d'arriver, tu vois la mer. Et donc c'est ta première vue de la mer, sachant que tu es partie de la mer. Tu as fait 30 ou 32 jours. Et en fait, cette journée-là, tu montes et après, ce n'est que des passages de crête. Et donc c'est à la fin d'un passage de crête que normalement tu vois la mer et que tu commences à descendre. Et puis qu'ensuite, tu vas entamer tes 4-5 jours vers la mer où tu redescends petit à petit vers les villes. Et là, tu abandonnes de jour en jour la montagne. Et j'arrive à ces crêtes. Et là, c'était vraiment... Je pense que c'était franchement le plus beau moment de la rando où il y a eu une espèce d'éclaircie. En fait, les crêtes, les passages de crêtes, tu as souvent les nuages qui sont bloqués d'un côté d'une crête. Donc très souvent, tu as à droite... une vue qui est trouble avec le brouillard et à gauche souvent une vue qui est assez dégagée. Donc là c'était ça, c'est déjà un spectacle qui est super beau à voir quand tu traverses des crêtes. Et à ce moment-là le côté gauche se dégage, arc-en-ciel, et là je vois la mer. Donc t'imagines ça fait genre 32 jours que t'as pas vu ça, que c'est le truc que t'as voulu atteindre. Et là tu te dis, je suis presque arrivée, j'ai presque réussi. Je pense que je me souviendrai toujours de cette journée trempée, arc-en-ciel, et là tu vois la mer et tu te dis « j'y suis presque » . Et après, les cinq derniers jours, ils sont un peu durs parce qu'en fait, t'as juste envie d'arriver au bout. Une fois que t'as vu la mer, tu te dis « mais c'est pas possible, elle peut pas être à quatre jours, c'est impossible » . Et en fait, si t'as encore... Pas mal de kilomètres et en plus, là, ça m'a fait complètement devenir chèvre. C'est-à-dire qu'ils te font monter des trucs alors que t'as juste envie d'aller tout droit. T'as juste envie de dire, allez, je vais faire ça en deux jours, mais j'arrive au bout. Et puis le dernier jour, tu te lèves, t'as juste envie d'arriver. Je me souviens que le dernier jour, il m'a paru tellement long. Et là, c'est un truc que t'as imaginé pendant 38 jours et tu te dis, c'est aujourd'hui que ça va se terminer. Et puis voilà, à un moment t'arrives, je sais pas comment raconter la fin, ça paraît tellement bidon, mais en fait c'est quand même, quand t'as marché 38 jours, c'est assez ouf de, voilà, t'arrives devant la mer et tu te dis, tu regardes ta carte. Et je me souviens, j'ai pris une photo de mon point GPS quand j'étais presque arrivée, et tu te dis, bah en fait j'ai vraiment traversé de la mer à la mer quoi. Et voilà, et là il y a un petit panneau qui te dit, grande traversée des Pyrénées. Et en fait c'est très bizarre comme sensation parce que toi t'arrives, t'es quand même content de ce que t'as fait, t'as envie de pleurer, tu te dis mais j'ai fait 900 km et en fait le monde autour de toi n'en a absolument rien à faire quoi. C'est-à-dire que toi t'es devant ton panneau, tu te dis putain j'ai quand même fait jusqu'au bout, j'ai tenu, putain c'était tellement galère et en fait les gens ils sont en train de se baigner, t'es dégueulasse avec tes chaussures de rando, tu t'es pas lavé depuis 10 jours et puis t'as les gens qui sont tout propres. et qui doivent se dire mais d'où elle sort avec... Donc t'as un peu un choc mais t'es complètement aussi sur un nuage quoi. Et voilà. Au début de chaque randonnée comme ça tu te dis mais pourquoi est-ce que je fais ça ? Mais je sais pas, tu le fais parce que t'aimes bien ce dépassement quoi. Tu t'es approprié un morceau de toi-même, t'as reculé un peu tes limites, t'as connu aussi certaines choses que tu connaissais pas chez toi. T'as cette sensation de t'être pleinement approprié ton corps, d'avoir aussi dépassé des limites mentales ou des moments où t'as eu peur justement. T'as aussi une confiance un peu qui est regagnée. T'as un sentiment de confiance, de satisfaction, et puis de bonheur aussi parce que mine de rien c'est... 38 jours d'efforts physiques. Donc voilà, c'est plein de choses qui font que quand t'as terminé ça, en fait, tu te demandes mais qu'est-ce que je vais faire après, quoi ?
- Speaker #0
Merci Delphine pour ce témoignage rempli d'humilité. Merci à vous d'avoir écouté cet épisode. Et si l'histoire de Delphine vous a plu, partagez-la et laissez des commentaires sur Apple Podcasts et des étoiles sur Spotify et Apple Podcasts. On se retrouve la semaine prochaine pour de nouveaux épisodes de Conseils Sportifs.
- Speaker #1
Voilà, bon, je vous fais des bisous et à plus tard. Bye !