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# 1 Quand un inconnu s'invite chez soi (partie 3) cover
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Les invisibles

# 1 Quand un inconnu s'invite chez soi (partie 3)

# 1 Quand un inconnu s'invite chez soi (partie 3)

13min |23/09/2024|

773

Play
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Description

La "Chronique de malade !", le nouveau format du podcast Les Invisibles, débute avec une trilogie métaphorique (dont voici la troisième partie) pour raconter le bouleversement causé par l’arrivée inopinée d’un invité inattendu : la maladie invisible et chronique.


À travers mes journaux intimes, enfin livrés à mon micro, je réaffirme mon engagement : visibiliser l’invisible.

Cette chronique, c’est mon histoire… et peut-être la vôtre aussi.


Chaque mois, sur Les Invisibles, je partagerai sans filtre ce que vivre avec une maladie chronique signifie vraiment.

De cette expérience quotidienne naît une réflexion sur les dynamiques sociétales, nos comportements et nos mécanismes humains.


Portée par les créations sonores de Michael Maaïk Pellegrini, compositeur et polyinstrumentiste, plongez dans cette chronique engagée, où je dévoile les dessous de l’invisibilisation de nos parcours de vie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une amie m'a dit un jour, Tamara, cette maladie a de la chance de t'avoir. Un compliment inattendu que j'ai choisi d'honorer. Plongée avec moi dans la chronique de malades, où les voix invisibles trouvent enfin leur écho. Bonne écoute ! Puis un matin au réveil... toujours destituée de ma maison, alors que j'épiais l'inconnue et échafaudais un énième plan à son encontre pour que la torture cesse. Une citation d'Einstein m'est revenue en tête. Oui, je suis assez performante au réveil. Elle disait cela. La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent. Depuis combien de temps mes réactions envers l'inconnu étaient les mêmes ? Lutter, combattre, rejeter, essayer de saisir ses mécanismes pour mieux les contrôler. Le constat était sans appel. Depuis le jour de son arrivée brutale dans mon vestibule, je tentais de l'éliminer. Résister à la douleur de son existence. au tourment de sa peau contre la mienne, à sa vertigineuse compagnie, contrôler l'épuisement de son intrusion, distraire son attention, endormir et anesthésier ce corps étranger. Prisonnière dans mon chez-moi, comment aurais-je pu faire autrement ? Mais pour la première fois ce matin-là, après des années d'emprisonnement, ma main s'est lentement dirigée vers la sienne. Un élan furtif, mais jusque-là inexistant. Je savais le syndrome de Stockholm loin de moi. Je n'allais donc pas tomber amoureuse de celui qui me tenait captive depuis des années. Il fut simplement bon de sentir qu'en engageant une nouvelle action envers lui, il ne prenait pas plus de place. Ni plus, ni moins. Ce jour-là, harassé par sa présence, lui tendre une main m'a semblé plus évident que de rejeter la sienne. Une fois prête, je lui l'ai prise franchement. Et il s'est laissé faire sans violence. Accrochés l'un à l'autre pour se donner l'impulsion, nous nous sommes levés presque comme deux enfants. J'ai alors mis une musique. Cet écho du cœur que j'avais abandonné. Je n'arrivais même plus à écouter le chant des oiseaux au réveil, tant la présence joyeuse d'un autre m'était devenue horripilante. Oui, même quand ça concerne les vertébrés tétrapodes. Merci Google ! Sur cette nouvelle mais familière mélodie, j'ai entendu résonner la phrase d'une magicienne. Une vraie, pas une de celles qui frottent des œufs entre mes jambes, qui m'avait accompagnée au début de cette intrusion. Elle me disait Si la présence de ce douloureux inconnu vous fait tanguer, pourquoi n'iriez-vous pas encore plus fort où il vous emmène ? Allez, tanguez plus fort encore ! Moi qui passais mon temps à éviter cet étranger complexe, je pris mon courage à deux mains. Je plongeais mes yeux dans les siens et sans parler, simplement avec l'élan de ma main, lui proposait une danse. Une danse du corps, pas de la tête. J'entends par là une danse qui ne ressemble à rien de chorégraphie. Il a vivement accepté, comme s'il n'attendait que ça. Évidemment, à choisir, je préférais un partenaire de bonne composition, ou mon mari. Mais en tant que compositeur, musicien et coach artistique, autant dire que le dancehall ou le reggaeton, c'est vraiment pas son truc. Bref, revenons au fait. Évidemment que ce n'est pas un inconnu trop collant, aux dents émaciées, à l'odeur nauséabonde, à la présence indiscrète, désagréable et aux pieds mal chaussés, dont je rêvais pour partager un espace de connexion et de sensualité. Mais j'agissais pour moi ce jour-là, avec cette question en retournelle. Et si me rencontrer, c'était rencontrer un peu de lui aussi. La danse entre nos deux entités, au départ timide et discrète, s'est transformée. De saccadée à passionnée, elle m'a déchaînée et clouée aussi. Mon corps s'est senti aussi léger que son corps était lourd à porter. Elle était aussi vertigineuse qu'elle m'a ancrée, majestueuse et impétueuse. Dans ce tourbillon de corps, nous étions deux, aux commandes. C'était la première fois depuis son arrivée. L'inconnu, que je connaissais que trop bien maintenant, avait parfois un coup d'avance. D'autres fois, c'est moi qui le surprenais dans mes pas. Porté dans un élan, on ne savait plus qui suivait qui, qui était l'étranger, le connu, qui était l'erreur, la doublure. Nous étions ensemble, nos mains enlacées, nos corps collés. N'allez pas croire que c'était agréable. Faites-le, simplement. Bien sûr que j'ai tangué, bien sûr qu'il y a des membres que j'arrivais à peine à bouger, bien sûr que j'ai pleuré, parfois crié, bien sûr que j'étais embrumé, bien sûr qu'au sol j'ai fini épuisé. Mais avec tout ça, j'ai composé. Avec tout ça, j'ai composé. Dans cette intuitive valse, j'ai renoncé à choisir. J'ai simplement fait avec tout ce qu'il y avait. Les douleurs, les bruits sourds, les vertiges, les nausées, les peurs, les paralysies, les troubles visuels, les troubles cognitifs, l'anxiété, la tête serrée, les vomissements intermittents. Dorénavant lié, plutôt que de le faire sauter et par conséquent de sauter avec, j'ai compris qu'il souhaitait simplement être avec moi. Faut dire que je suis de très bonne compagnie. Ne confondez pas, à aucun moment je n'ai accepté sa présence. Je ne suis pas aussi passive. Je l'ai assumé. Et là encore, ne vous y trompez pas. Je ne suis responsable ni de lui, ni du fait qu'il soit là. Mais maintenant qu'il est là, et qu'il a ce fichu double de clé, je dois admettre que composer totalement avec qui il est, c'est composer totalement avec qui je suis. Même mon mari et mes amis l'apprécient plus depuis. À mes côtés, il est la deuxième voix à écouter. Alors j'assume qu'il soit parfois un peu grossier chez les invités, parce que oui, j'ose dorénavant me rendre chez les autres avec lui. Qu'il m'empêche de sortir à certaines occasions parce qu'il est trop fatigué. Que les voyages s'est payé trop cher maintenant qu'il est là. Que j'ai dû cesser ou modifier mon activité professionnelle parce qu'on n'a pas les mêmes objectifs de carrière. Que je dois dire non à des propositions parce qu'elles ne lui conviennent pas. Que j'ai dû remodeler le choix de mes activités, car on n'a pas les mêmes centres d'intérêt. Que j'ai dû faire des choix sur les enfants à venir, parce qu'ils prennent déjà plus de place qu'un enfant entier. J'assume tout cela parce que c'est la seule manière pour moi de réintégrer ma vie. De retrouver cette souveraineté égarée. Depuis que nous dansons, lui et moi, dans mon salon, je regarde parfois chez les voisins. Je vois que chez presque un voisin sur deux, un inconnu est installé. Bien sûr, ils ne sont pas tous aussi détestables, collants et handicapants. Et rappelez-vous, chez certains, les inconnus prennent parfois des congés. Mais ce que j'observe chez ces voisins où l'inconnu est sacrément installé, et pour qui il a fallu rallonger le canapé, c'est les toiles qui se sont dessinées, les livres qui se sont écrits, les mots d'amour. qui se sont enfin prononcées. Alors on continue notre danse, lui et moi. Il y a des instants où je suis la valseuse émérite, et d'autres où je me sens comme une marionnette désarticulée. Mais dans cette chorégraphie bancale et imprévisible, j'ai trouvé une étrange forme de liberté. À celles et ceux qui ont un intrus dans leur vie, que ce soit une douleur chronique, Un souvenir traumatisant, un inconfort tortueux, une manifestation envahissante, une peur paralysante. Dansez avec, chantez avec, dessinez avec, marchez avec, jouissez avec, respirez avec. Oui, je sais. C'est facile à dire quand on a une tendance naturelle à sublimer comme moi tout ce qui sort des égouts. C'est l'un des bénéfices secondaires de mon enfance mutilée. Mais c'est la seule que je trouve un semblant de beauté à ce fracas innommable. Créer aux côtés de l'inconnu. Créer dans l'inconnu. Être avec l'inconnu. Ce duo que l'on forme avec cet étrange étranger est moins glorieux que si j'étais seule en talons à briller sur scène. Parfois, ses interruptions brusques, sa cadence hachée et mes tentatives de continuer coûte que coûte sont quelque peu risibles. Dans ces moments d'absurdité, enlacés par les larmes, la vulnérabilité, j'ai réalisé que d'assumer de danser avec ce corps étranger, c'est cesser d'être défini seulement par ses besoins et ses envies. En dehors d'être un parasite envahissant, il est aussi une partie de mon numéro, une ombre, un contraste qui me révèle aux autres, mais surtout à moi-même, moi qui ne m'étais jamais vraiment rencontrée. Parce que vous savez, on peut passer une vie à côté de soi, sans jamais se faire face. Créer, me rencontrer, c'est là les trésors amenés par l'inconnu malchaussé. Et je sais aujourd'hui savourer les éclats de rire inatteintus, saisir les moments de grâce, occasionnés par le soleil sur la peau, et même croiser de subtils instants de paix. Crève de philosophie. Tu penses bien que j'aurais aimé t'apporter la pilule magique te permettant de repousser le mystérieux inconnu, parce que je sais combien sa présence est inconfortable, et comme ses conséquences semblent insurmontables. Mais dans ce cas-là, il faudrait que je sois rémunéré pour faire ce podcast. À la place, je te propose un partenaire. Peut-être au départ pour une nuit, des mois, des années, une vie. Si t'es de ma génération, tu connais forcément Sniper et t'as la référence. Il est probablement moins attrayant que tous les prétendants Tinder. Je pense même qu'il coche tous les red flags. Collant, douloureux, inconfortable, lourd, insistant, épuisant. Mais composer avec cet autre que soit, c'est la clé. C'est pour moi dorénavant la seule et unique clé de ma maison. Celle qui me permet à nouveau de prendre des risques, de fermer et ouvrir le verrou de ma porte d'entrée lorsque je l'ai décidée. Non pas par optimisme forcé, mais simplement pour retrouver l'élan que l'inconnu avait jusque-là figé. Et tu sais quoi ? Le fameux double des clés que portait sur lui l'inconnu. Eh ben, pour finir, il l'a égaré. Justement, pendant qu'on dansait et que je le faisais valser. Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Découvrez tous les engagements de l'association Les Invisibles sur le site internet lesinvisibles.ch. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

Description

La "Chronique de malade !", le nouveau format du podcast Les Invisibles, débute avec une trilogie métaphorique (dont voici la troisième partie) pour raconter le bouleversement causé par l’arrivée inopinée d’un invité inattendu : la maladie invisible et chronique.


À travers mes journaux intimes, enfin livrés à mon micro, je réaffirme mon engagement : visibiliser l’invisible.

Cette chronique, c’est mon histoire… et peut-être la vôtre aussi.


Chaque mois, sur Les Invisibles, je partagerai sans filtre ce que vivre avec une maladie chronique signifie vraiment.

De cette expérience quotidienne naît une réflexion sur les dynamiques sociétales, nos comportements et nos mécanismes humains.


Portée par les créations sonores de Michael Maaïk Pellegrini, compositeur et polyinstrumentiste, plongez dans cette chronique engagée, où je dévoile les dessous de l’invisibilisation de nos parcours de vie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    Une amie m'a dit un jour, Tamara, cette maladie a de la chance de t'avoir. Un compliment inattendu que j'ai choisi d'honorer. Plongée avec moi dans la chronique de malades, où les voix invisibles trouvent enfin leur écho. Bonne écoute ! Puis un matin au réveil... toujours destituée de ma maison, alors que j'épiais l'inconnue et échafaudais un énième plan à son encontre pour que la torture cesse. Une citation d'Einstein m'est revenue en tête. Oui, je suis assez performante au réveil. Elle disait cela. La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent. Depuis combien de temps mes réactions envers l'inconnu étaient les mêmes ? Lutter, combattre, rejeter, essayer de saisir ses mécanismes pour mieux les contrôler. Le constat était sans appel. Depuis le jour de son arrivée brutale dans mon vestibule, je tentais de l'éliminer. Résister à la douleur de son existence. au tourment de sa peau contre la mienne, à sa vertigineuse compagnie, contrôler l'épuisement de son intrusion, distraire son attention, endormir et anesthésier ce corps étranger. Prisonnière dans mon chez-moi, comment aurais-je pu faire autrement ? Mais pour la première fois ce matin-là, après des années d'emprisonnement, ma main s'est lentement dirigée vers la sienne. Un élan furtif, mais jusque-là inexistant. Je savais le syndrome de Stockholm loin de moi. Je n'allais donc pas tomber amoureuse de celui qui me tenait captive depuis des années. Il fut simplement bon de sentir qu'en engageant une nouvelle action envers lui, il ne prenait pas plus de place. Ni plus, ni moins. Ce jour-là, harassé par sa présence, lui tendre une main m'a semblé plus évident que de rejeter la sienne. Une fois prête, je lui l'ai prise franchement. Et il s'est laissé faire sans violence. Accrochés l'un à l'autre pour se donner l'impulsion, nous nous sommes levés presque comme deux enfants. J'ai alors mis une musique. Cet écho du cœur que j'avais abandonné. Je n'arrivais même plus à écouter le chant des oiseaux au réveil, tant la présence joyeuse d'un autre m'était devenue horripilante. Oui, même quand ça concerne les vertébrés tétrapodes. Merci Google ! Sur cette nouvelle mais familière mélodie, j'ai entendu résonner la phrase d'une magicienne. Une vraie, pas une de celles qui frottent des œufs entre mes jambes, qui m'avait accompagnée au début de cette intrusion. Elle me disait Si la présence de ce douloureux inconnu vous fait tanguer, pourquoi n'iriez-vous pas encore plus fort où il vous emmène ? Allez, tanguez plus fort encore ! Moi qui passais mon temps à éviter cet étranger complexe, je pris mon courage à deux mains. Je plongeais mes yeux dans les siens et sans parler, simplement avec l'élan de ma main, lui proposait une danse. Une danse du corps, pas de la tête. J'entends par là une danse qui ne ressemble à rien de chorégraphie. Il a vivement accepté, comme s'il n'attendait que ça. Évidemment, à choisir, je préférais un partenaire de bonne composition, ou mon mari. Mais en tant que compositeur, musicien et coach artistique, autant dire que le dancehall ou le reggaeton, c'est vraiment pas son truc. Bref, revenons au fait. Évidemment que ce n'est pas un inconnu trop collant, aux dents émaciées, à l'odeur nauséabonde, à la présence indiscrète, désagréable et aux pieds mal chaussés, dont je rêvais pour partager un espace de connexion et de sensualité. Mais j'agissais pour moi ce jour-là, avec cette question en retournelle. Et si me rencontrer, c'était rencontrer un peu de lui aussi. La danse entre nos deux entités, au départ timide et discrète, s'est transformée. De saccadée à passionnée, elle m'a déchaînée et clouée aussi. Mon corps s'est senti aussi léger que son corps était lourd à porter. Elle était aussi vertigineuse qu'elle m'a ancrée, majestueuse et impétueuse. Dans ce tourbillon de corps, nous étions deux, aux commandes. C'était la première fois depuis son arrivée. L'inconnu, que je connaissais que trop bien maintenant, avait parfois un coup d'avance. D'autres fois, c'est moi qui le surprenais dans mes pas. Porté dans un élan, on ne savait plus qui suivait qui, qui était l'étranger, le connu, qui était l'erreur, la doublure. Nous étions ensemble, nos mains enlacées, nos corps collés. N'allez pas croire que c'était agréable. Faites-le, simplement. Bien sûr que j'ai tangué, bien sûr qu'il y a des membres que j'arrivais à peine à bouger, bien sûr que j'ai pleuré, parfois crié, bien sûr que j'étais embrumé, bien sûr qu'au sol j'ai fini épuisé. Mais avec tout ça, j'ai composé. Avec tout ça, j'ai composé. Dans cette intuitive valse, j'ai renoncé à choisir. J'ai simplement fait avec tout ce qu'il y avait. Les douleurs, les bruits sourds, les vertiges, les nausées, les peurs, les paralysies, les troubles visuels, les troubles cognitifs, l'anxiété, la tête serrée, les vomissements intermittents. Dorénavant lié, plutôt que de le faire sauter et par conséquent de sauter avec, j'ai compris qu'il souhaitait simplement être avec moi. Faut dire que je suis de très bonne compagnie. Ne confondez pas, à aucun moment je n'ai accepté sa présence. Je ne suis pas aussi passive. Je l'ai assumé. Et là encore, ne vous y trompez pas. Je ne suis responsable ni de lui, ni du fait qu'il soit là. Mais maintenant qu'il est là, et qu'il a ce fichu double de clé, je dois admettre que composer totalement avec qui il est, c'est composer totalement avec qui je suis. Même mon mari et mes amis l'apprécient plus depuis. À mes côtés, il est la deuxième voix à écouter. Alors j'assume qu'il soit parfois un peu grossier chez les invités, parce que oui, j'ose dorénavant me rendre chez les autres avec lui. Qu'il m'empêche de sortir à certaines occasions parce qu'il est trop fatigué. Que les voyages s'est payé trop cher maintenant qu'il est là. Que j'ai dû cesser ou modifier mon activité professionnelle parce qu'on n'a pas les mêmes objectifs de carrière. Que je dois dire non à des propositions parce qu'elles ne lui conviennent pas. Que j'ai dû remodeler le choix de mes activités, car on n'a pas les mêmes centres d'intérêt. Que j'ai dû faire des choix sur les enfants à venir, parce qu'ils prennent déjà plus de place qu'un enfant entier. J'assume tout cela parce que c'est la seule manière pour moi de réintégrer ma vie. De retrouver cette souveraineté égarée. Depuis que nous dansons, lui et moi, dans mon salon, je regarde parfois chez les voisins. Je vois que chez presque un voisin sur deux, un inconnu est installé. Bien sûr, ils ne sont pas tous aussi détestables, collants et handicapants. Et rappelez-vous, chez certains, les inconnus prennent parfois des congés. Mais ce que j'observe chez ces voisins où l'inconnu est sacrément installé, et pour qui il a fallu rallonger le canapé, c'est les toiles qui se sont dessinées, les livres qui se sont écrits, les mots d'amour. qui se sont enfin prononcées. Alors on continue notre danse, lui et moi. Il y a des instants où je suis la valseuse émérite, et d'autres où je me sens comme une marionnette désarticulée. Mais dans cette chorégraphie bancale et imprévisible, j'ai trouvé une étrange forme de liberté. À celles et ceux qui ont un intrus dans leur vie, que ce soit une douleur chronique, Un souvenir traumatisant, un inconfort tortueux, une manifestation envahissante, une peur paralysante. Dansez avec, chantez avec, dessinez avec, marchez avec, jouissez avec, respirez avec. Oui, je sais. C'est facile à dire quand on a une tendance naturelle à sublimer comme moi tout ce qui sort des égouts. C'est l'un des bénéfices secondaires de mon enfance mutilée. Mais c'est la seule que je trouve un semblant de beauté à ce fracas innommable. Créer aux côtés de l'inconnu. Créer dans l'inconnu. Être avec l'inconnu. Ce duo que l'on forme avec cet étrange étranger est moins glorieux que si j'étais seule en talons à briller sur scène. Parfois, ses interruptions brusques, sa cadence hachée et mes tentatives de continuer coûte que coûte sont quelque peu risibles. Dans ces moments d'absurdité, enlacés par les larmes, la vulnérabilité, j'ai réalisé que d'assumer de danser avec ce corps étranger, c'est cesser d'être défini seulement par ses besoins et ses envies. En dehors d'être un parasite envahissant, il est aussi une partie de mon numéro, une ombre, un contraste qui me révèle aux autres, mais surtout à moi-même, moi qui ne m'étais jamais vraiment rencontrée. Parce que vous savez, on peut passer une vie à côté de soi, sans jamais se faire face. Créer, me rencontrer, c'est là les trésors amenés par l'inconnu malchaussé. Et je sais aujourd'hui savourer les éclats de rire inatteintus, saisir les moments de grâce, occasionnés par le soleil sur la peau, et même croiser de subtils instants de paix. Crève de philosophie. Tu penses bien que j'aurais aimé t'apporter la pilule magique te permettant de repousser le mystérieux inconnu, parce que je sais combien sa présence est inconfortable, et comme ses conséquences semblent insurmontables. Mais dans ce cas-là, il faudrait que je sois rémunéré pour faire ce podcast. À la place, je te propose un partenaire. Peut-être au départ pour une nuit, des mois, des années, une vie. Si t'es de ma génération, tu connais forcément Sniper et t'as la référence. Il est probablement moins attrayant que tous les prétendants Tinder. Je pense même qu'il coche tous les red flags. Collant, douloureux, inconfortable, lourd, insistant, épuisant. Mais composer avec cet autre que soit, c'est la clé. C'est pour moi dorénavant la seule et unique clé de ma maison. Celle qui me permet à nouveau de prendre des risques, de fermer et ouvrir le verrou de ma porte d'entrée lorsque je l'ai décidée. Non pas par optimisme forcé, mais simplement pour retrouver l'élan que l'inconnu avait jusque-là figé. Et tu sais quoi ? Le fameux double des clés que portait sur lui l'inconnu. Eh ben, pour finir, il l'a égaré. Justement, pendant qu'on dansait et que je le faisais valser. Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Découvrez tous les engagements de l'association Les Invisibles sur le site internet lesinvisibles.ch. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

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La "Chronique de malade !", le nouveau format du podcast Les Invisibles, débute avec une trilogie métaphorique (dont voici la troisième partie) pour raconter le bouleversement causé par l’arrivée inopinée d’un invité inattendu : la maladie invisible et chronique.


À travers mes journaux intimes, enfin livrés à mon micro, je réaffirme mon engagement : visibiliser l’invisible.

Cette chronique, c’est mon histoire… et peut-être la vôtre aussi.


Chaque mois, sur Les Invisibles, je partagerai sans filtre ce que vivre avec une maladie chronique signifie vraiment.

De cette expérience quotidienne naît une réflexion sur les dynamiques sociétales, nos comportements et nos mécanismes humains.


Portée par les créations sonores de Michael Maaïk Pellegrini, compositeur et polyinstrumentiste, plongez dans cette chronique engagée, où je dévoile les dessous de l’invisibilisation de nos parcours de vie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une amie m'a dit un jour, Tamara, cette maladie a de la chance de t'avoir. Un compliment inattendu que j'ai choisi d'honorer. Plongée avec moi dans la chronique de malades, où les voix invisibles trouvent enfin leur écho. Bonne écoute ! Puis un matin au réveil... toujours destituée de ma maison, alors que j'épiais l'inconnue et échafaudais un énième plan à son encontre pour que la torture cesse. Une citation d'Einstein m'est revenue en tête. Oui, je suis assez performante au réveil. Elle disait cela. La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent. Depuis combien de temps mes réactions envers l'inconnu étaient les mêmes ? Lutter, combattre, rejeter, essayer de saisir ses mécanismes pour mieux les contrôler. Le constat était sans appel. Depuis le jour de son arrivée brutale dans mon vestibule, je tentais de l'éliminer. Résister à la douleur de son existence. au tourment de sa peau contre la mienne, à sa vertigineuse compagnie, contrôler l'épuisement de son intrusion, distraire son attention, endormir et anesthésier ce corps étranger. Prisonnière dans mon chez-moi, comment aurais-je pu faire autrement ? Mais pour la première fois ce matin-là, après des années d'emprisonnement, ma main s'est lentement dirigée vers la sienne. Un élan furtif, mais jusque-là inexistant. Je savais le syndrome de Stockholm loin de moi. Je n'allais donc pas tomber amoureuse de celui qui me tenait captive depuis des années. Il fut simplement bon de sentir qu'en engageant une nouvelle action envers lui, il ne prenait pas plus de place. Ni plus, ni moins. Ce jour-là, harassé par sa présence, lui tendre une main m'a semblé plus évident que de rejeter la sienne. Une fois prête, je lui l'ai prise franchement. Et il s'est laissé faire sans violence. Accrochés l'un à l'autre pour se donner l'impulsion, nous nous sommes levés presque comme deux enfants. J'ai alors mis une musique. Cet écho du cœur que j'avais abandonné. Je n'arrivais même plus à écouter le chant des oiseaux au réveil, tant la présence joyeuse d'un autre m'était devenue horripilante. Oui, même quand ça concerne les vertébrés tétrapodes. Merci Google ! Sur cette nouvelle mais familière mélodie, j'ai entendu résonner la phrase d'une magicienne. Une vraie, pas une de celles qui frottent des œufs entre mes jambes, qui m'avait accompagnée au début de cette intrusion. Elle me disait Si la présence de ce douloureux inconnu vous fait tanguer, pourquoi n'iriez-vous pas encore plus fort où il vous emmène ? Allez, tanguez plus fort encore ! Moi qui passais mon temps à éviter cet étranger complexe, je pris mon courage à deux mains. Je plongeais mes yeux dans les siens et sans parler, simplement avec l'élan de ma main, lui proposait une danse. Une danse du corps, pas de la tête. J'entends par là une danse qui ne ressemble à rien de chorégraphie. Il a vivement accepté, comme s'il n'attendait que ça. Évidemment, à choisir, je préférais un partenaire de bonne composition, ou mon mari. Mais en tant que compositeur, musicien et coach artistique, autant dire que le dancehall ou le reggaeton, c'est vraiment pas son truc. Bref, revenons au fait. Évidemment que ce n'est pas un inconnu trop collant, aux dents émaciées, à l'odeur nauséabonde, à la présence indiscrète, désagréable et aux pieds mal chaussés, dont je rêvais pour partager un espace de connexion et de sensualité. Mais j'agissais pour moi ce jour-là, avec cette question en retournelle. Et si me rencontrer, c'était rencontrer un peu de lui aussi. La danse entre nos deux entités, au départ timide et discrète, s'est transformée. De saccadée à passionnée, elle m'a déchaînée et clouée aussi. Mon corps s'est senti aussi léger que son corps était lourd à porter. Elle était aussi vertigineuse qu'elle m'a ancrée, majestueuse et impétueuse. Dans ce tourbillon de corps, nous étions deux, aux commandes. C'était la première fois depuis son arrivée. L'inconnu, que je connaissais que trop bien maintenant, avait parfois un coup d'avance. D'autres fois, c'est moi qui le surprenais dans mes pas. Porté dans un élan, on ne savait plus qui suivait qui, qui était l'étranger, le connu, qui était l'erreur, la doublure. Nous étions ensemble, nos mains enlacées, nos corps collés. N'allez pas croire que c'était agréable. Faites-le, simplement. Bien sûr que j'ai tangué, bien sûr qu'il y a des membres que j'arrivais à peine à bouger, bien sûr que j'ai pleuré, parfois crié, bien sûr que j'étais embrumé, bien sûr qu'au sol j'ai fini épuisé. Mais avec tout ça, j'ai composé. Avec tout ça, j'ai composé. Dans cette intuitive valse, j'ai renoncé à choisir. J'ai simplement fait avec tout ce qu'il y avait. Les douleurs, les bruits sourds, les vertiges, les nausées, les peurs, les paralysies, les troubles visuels, les troubles cognitifs, l'anxiété, la tête serrée, les vomissements intermittents. Dorénavant lié, plutôt que de le faire sauter et par conséquent de sauter avec, j'ai compris qu'il souhaitait simplement être avec moi. Faut dire que je suis de très bonne compagnie. Ne confondez pas, à aucun moment je n'ai accepté sa présence. Je ne suis pas aussi passive. Je l'ai assumé. Et là encore, ne vous y trompez pas. Je ne suis responsable ni de lui, ni du fait qu'il soit là. Mais maintenant qu'il est là, et qu'il a ce fichu double de clé, je dois admettre que composer totalement avec qui il est, c'est composer totalement avec qui je suis. Même mon mari et mes amis l'apprécient plus depuis. À mes côtés, il est la deuxième voix à écouter. Alors j'assume qu'il soit parfois un peu grossier chez les invités, parce que oui, j'ose dorénavant me rendre chez les autres avec lui. Qu'il m'empêche de sortir à certaines occasions parce qu'il est trop fatigué. Que les voyages s'est payé trop cher maintenant qu'il est là. Que j'ai dû cesser ou modifier mon activité professionnelle parce qu'on n'a pas les mêmes objectifs de carrière. Que je dois dire non à des propositions parce qu'elles ne lui conviennent pas. Que j'ai dû remodeler le choix de mes activités, car on n'a pas les mêmes centres d'intérêt. Que j'ai dû faire des choix sur les enfants à venir, parce qu'ils prennent déjà plus de place qu'un enfant entier. J'assume tout cela parce que c'est la seule manière pour moi de réintégrer ma vie. De retrouver cette souveraineté égarée. Depuis que nous dansons, lui et moi, dans mon salon, je regarde parfois chez les voisins. Je vois que chez presque un voisin sur deux, un inconnu est installé. Bien sûr, ils ne sont pas tous aussi détestables, collants et handicapants. Et rappelez-vous, chez certains, les inconnus prennent parfois des congés. Mais ce que j'observe chez ces voisins où l'inconnu est sacrément installé, et pour qui il a fallu rallonger le canapé, c'est les toiles qui se sont dessinées, les livres qui se sont écrits, les mots d'amour. qui se sont enfin prononcées. Alors on continue notre danse, lui et moi. Il y a des instants où je suis la valseuse émérite, et d'autres où je me sens comme une marionnette désarticulée. Mais dans cette chorégraphie bancale et imprévisible, j'ai trouvé une étrange forme de liberté. À celles et ceux qui ont un intrus dans leur vie, que ce soit une douleur chronique, Un souvenir traumatisant, un inconfort tortueux, une manifestation envahissante, une peur paralysante. Dansez avec, chantez avec, dessinez avec, marchez avec, jouissez avec, respirez avec. Oui, je sais. C'est facile à dire quand on a une tendance naturelle à sublimer comme moi tout ce qui sort des égouts. C'est l'un des bénéfices secondaires de mon enfance mutilée. Mais c'est la seule que je trouve un semblant de beauté à ce fracas innommable. Créer aux côtés de l'inconnu. Créer dans l'inconnu. Être avec l'inconnu. Ce duo que l'on forme avec cet étrange étranger est moins glorieux que si j'étais seule en talons à briller sur scène. Parfois, ses interruptions brusques, sa cadence hachée et mes tentatives de continuer coûte que coûte sont quelque peu risibles. Dans ces moments d'absurdité, enlacés par les larmes, la vulnérabilité, j'ai réalisé que d'assumer de danser avec ce corps étranger, c'est cesser d'être défini seulement par ses besoins et ses envies. En dehors d'être un parasite envahissant, il est aussi une partie de mon numéro, une ombre, un contraste qui me révèle aux autres, mais surtout à moi-même, moi qui ne m'étais jamais vraiment rencontrée. Parce que vous savez, on peut passer une vie à côté de soi, sans jamais se faire face. Créer, me rencontrer, c'est là les trésors amenés par l'inconnu malchaussé. Et je sais aujourd'hui savourer les éclats de rire inatteintus, saisir les moments de grâce, occasionnés par le soleil sur la peau, et même croiser de subtils instants de paix. Crève de philosophie. Tu penses bien que j'aurais aimé t'apporter la pilule magique te permettant de repousser le mystérieux inconnu, parce que je sais combien sa présence est inconfortable, et comme ses conséquences semblent insurmontables. Mais dans ce cas-là, il faudrait que je sois rémunéré pour faire ce podcast. À la place, je te propose un partenaire. Peut-être au départ pour une nuit, des mois, des années, une vie. Si t'es de ma génération, tu connais forcément Sniper et t'as la référence. Il est probablement moins attrayant que tous les prétendants Tinder. Je pense même qu'il coche tous les red flags. Collant, douloureux, inconfortable, lourd, insistant, épuisant. Mais composer avec cet autre que soit, c'est la clé. C'est pour moi dorénavant la seule et unique clé de ma maison. Celle qui me permet à nouveau de prendre des risques, de fermer et ouvrir le verrou de ma porte d'entrée lorsque je l'ai décidée. Non pas par optimisme forcé, mais simplement pour retrouver l'élan que l'inconnu avait jusque-là figé. Et tu sais quoi ? Le fameux double des clés que portait sur lui l'inconnu. Eh ben, pour finir, il l'a égaré. Justement, pendant qu'on dansait et que je le faisais valser. Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Découvrez tous les engagements de l'association Les Invisibles sur le site internet lesinvisibles.ch. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

Description

La "Chronique de malade !", le nouveau format du podcast Les Invisibles, débute avec une trilogie métaphorique (dont voici la troisième partie) pour raconter le bouleversement causé par l’arrivée inopinée d’un invité inattendu : la maladie invisible et chronique.


À travers mes journaux intimes, enfin livrés à mon micro, je réaffirme mon engagement : visibiliser l’invisible.

Cette chronique, c’est mon histoire… et peut-être la vôtre aussi.


Chaque mois, sur Les Invisibles, je partagerai sans filtre ce que vivre avec une maladie chronique signifie vraiment.

De cette expérience quotidienne naît une réflexion sur les dynamiques sociétales, nos comportements et nos mécanismes humains.


Portée par les créations sonores de Michael Maaïk Pellegrini, compositeur et polyinstrumentiste, plongez dans cette chronique engagée, où je dévoile les dessous de l’invisibilisation de nos parcours de vie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une amie m'a dit un jour, Tamara, cette maladie a de la chance de t'avoir. Un compliment inattendu que j'ai choisi d'honorer. Plongée avec moi dans la chronique de malades, où les voix invisibles trouvent enfin leur écho. Bonne écoute ! Puis un matin au réveil... toujours destituée de ma maison, alors que j'épiais l'inconnue et échafaudais un énième plan à son encontre pour que la torture cesse. Une citation d'Einstein m'est revenue en tête. Oui, je suis assez performante au réveil. Elle disait cela. La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent. Depuis combien de temps mes réactions envers l'inconnu étaient les mêmes ? Lutter, combattre, rejeter, essayer de saisir ses mécanismes pour mieux les contrôler. Le constat était sans appel. Depuis le jour de son arrivée brutale dans mon vestibule, je tentais de l'éliminer. Résister à la douleur de son existence. au tourment de sa peau contre la mienne, à sa vertigineuse compagnie, contrôler l'épuisement de son intrusion, distraire son attention, endormir et anesthésier ce corps étranger. Prisonnière dans mon chez-moi, comment aurais-je pu faire autrement ? Mais pour la première fois ce matin-là, après des années d'emprisonnement, ma main s'est lentement dirigée vers la sienne. Un élan furtif, mais jusque-là inexistant. Je savais le syndrome de Stockholm loin de moi. Je n'allais donc pas tomber amoureuse de celui qui me tenait captive depuis des années. Il fut simplement bon de sentir qu'en engageant une nouvelle action envers lui, il ne prenait pas plus de place. Ni plus, ni moins. Ce jour-là, harassé par sa présence, lui tendre une main m'a semblé plus évident que de rejeter la sienne. Une fois prête, je lui l'ai prise franchement. Et il s'est laissé faire sans violence. Accrochés l'un à l'autre pour se donner l'impulsion, nous nous sommes levés presque comme deux enfants. J'ai alors mis une musique. Cet écho du cœur que j'avais abandonné. Je n'arrivais même plus à écouter le chant des oiseaux au réveil, tant la présence joyeuse d'un autre m'était devenue horripilante. Oui, même quand ça concerne les vertébrés tétrapodes. Merci Google ! Sur cette nouvelle mais familière mélodie, j'ai entendu résonner la phrase d'une magicienne. Une vraie, pas une de celles qui frottent des œufs entre mes jambes, qui m'avait accompagnée au début de cette intrusion. Elle me disait Si la présence de ce douloureux inconnu vous fait tanguer, pourquoi n'iriez-vous pas encore plus fort où il vous emmène ? Allez, tanguez plus fort encore ! Moi qui passais mon temps à éviter cet étranger complexe, je pris mon courage à deux mains. Je plongeais mes yeux dans les siens et sans parler, simplement avec l'élan de ma main, lui proposait une danse. Une danse du corps, pas de la tête. J'entends par là une danse qui ne ressemble à rien de chorégraphie. Il a vivement accepté, comme s'il n'attendait que ça. Évidemment, à choisir, je préférais un partenaire de bonne composition, ou mon mari. Mais en tant que compositeur, musicien et coach artistique, autant dire que le dancehall ou le reggaeton, c'est vraiment pas son truc. Bref, revenons au fait. Évidemment que ce n'est pas un inconnu trop collant, aux dents émaciées, à l'odeur nauséabonde, à la présence indiscrète, désagréable et aux pieds mal chaussés, dont je rêvais pour partager un espace de connexion et de sensualité. Mais j'agissais pour moi ce jour-là, avec cette question en retournelle. Et si me rencontrer, c'était rencontrer un peu de lui aussi. La danse entre nos deux entités, au départ timide et discrète, s'est transformée. De saccadée à passionnée, elle m'a déchaînée et clouée aussi. Mon corps s'est senti aussi léger que son corps était lourd à porter. Elle était aussi vertigineuse qu'elle m'a ancrée, majestueuse et impétueuse. Dans ce tourbillon de corps, nous étions deux, aux commandes. C'était la première fois depuis son arrivée. L'inconnu, que je connaissais que trop bien maintenant, avait parfois un coup d'avance. D'autres fois, c'est moi qui le surprenais dans mes pas. Porté dans un élan, on ne savait plus qui suivait qui, qui était l'étranger, le connu, qui était l'erreur, la doublure. Nous étions ensemble, nos mains enlacées, nos corps collés. N'allez pas croire que c'était agréable. Faites-le, simplement. Bien sûr que j'ai tangué, bien sûr qu'il y a des membres que j'arrivais à peine à bouger, bien sûr que j'ai pleuré, parfois crié, bien sûr que j'étais embrumé, bien sûr qu'au sol j'ai fini épuisé. Mais avec tout ça, j'ai composé. Avec tout ça, j'ai composé. Dans cette intuitive valse, j'ai renoncé à choisir. J'ai simplement fait avec tout ce qu'il y avait. Les douleurs, les bruits sourds, les vertiges, les nausées, les peurs, les paralysies, les troubles visuels, les troubles cognitifs, l'anxiété, la tête serrée, les vomissements intermittents. Dorénavant lié, plutôt que de le faire sauter et par conséquent de sauter avec, j'ai compris qu'il souhaitait simplement être avec moi. Faut dire que je suis de très bonne compagnie. Ne confondez pas, à aucun moment je n'ai accepté sa présence. Je ne suis pas aussi passive. Je l'ai assumé. Et là encore, ne vous y trompez pas. Je ne suis responsable ni de lui, ni du fait qu'il soit là. Mais maintenant qu'il est là, et qu'il a ce fichu double de clé, je dois admettre que composer totalement avec qui il est, c'est composer totalement avec qui je suis. Même mon mari et mes amis l'apprécient plus depuis. À mes côtés, il est la deuxième voix à écouter. Alors j'assume qu'il soit parfois un peu grossier chez les invités, parce que oui, j'ose dorénavant me rendre chez les autres avec lui. Qu'il m'empêche de sortir à certaines occasions parce qu'il est trop fatigué. Que les voyages s'est payé trop cher maintenant qu'il est là. Que j'ai dû cesser ou modifier mon activité professionnelle parce qu'on n'a pas les mêmes objectifs de carrière. Que je dois dire non à des propositions parce qu'elles ne lui conviennent pas. Que j'ai dû remodeler le choix de mes activités, car on n'a pas les mêmes centres d'intérêt. Que j'ai dû faire des choix sur les enfants à venir, parce qu'ils prennent déjà plus de place qu'un enfant entier. J'assume tout cela parce que c'est la seule manière pour moi de réintégrer ma vie. De retrouver cette souveraineté égarée. Depuis que nous dansons, lui et moi, dans mon salon, je regarde parfois chez les voisins. Je vois que chez presque un voisin sur deux, un inconnu est installé. Bien sûr, ils ne sont pas tous aussi détestables, collants et handicapants. Et rappelez-vous, chez certains, les inconnus prennent parfois des congés. Mais ce que j'observe chez ces voisins où l'inconnu est sacrément installé, et pour qui il a fallu rallonger le canapé, c'est les toiles qui se sont dessinées, les livres qui se sont écrits, les mots d'amour. qui se sont enfin prononcées. Alors on continue notre danse, lui et moi. Il y a des instants où je suis la valseuse émérite, et d'autres où je me sens comme une marionnette désarticulée. Mais dans cette chorégraphie bancale et imprévisible, j'ai trouvé une étrange forme de liberté. À celles et ceux qui ont un intrus dans leur vie, que ce soit une douleur chronique, Un souvenir traumatisant, un inconfort tortueux, une manifestation envahissante, une peur paralysante. Dansez avec, chantez avec, dessinez avec, marchez avec, jouissez avec, respirez avec. Oui, je sais. C'est facile à dire quand on a une tendance naturelle à sublimer comme moi tout ce qui sort des égouts. C'est l'un des bénéfices secondaires de mon enfance mutilée. Mais c'est la seule que je trouve un semblant de beauté à ce fracas innommable. Créer aux côtés de l'inconnu. Créer dans l'inconnu. Être avec l'inconnu. Ce duo que l'on forme avec cet étrange étranger est moins glorieux que si j'étais seule en talons à briller sur scène. Parfois, ses interruptions brusques, sa cadence hachée et mes tentatives de continuer coûte que coûte sont quelque peu risibles. Dans ces moments d'absurdité, enlacés par les larmes, la vulnérabilité, j'ai réalisé que d'assumer de danser avec ce corps étranger, c'est cesser d'être défini seulement par ses besoins et ses envies. En dehors d'être un parasite envahissant, il est aussi une partie de mon numéro, une ombre, un contraste qui me révèle aux autres, mais surtout à moi-même, moi qui ne m'étais jamais vraiment rencontrée. Parce que vous savez, on peut passer une vie à côté de soi, sans jamais se faire face. Créer, me rencontrer, c'est là les trésors amenés par l'inconnu malchaussé. Et je sais aujourd'hui savourer les éclats de rire inatteintus, saisir les moments de grâce, occasionnés par le soleil sur la peau, et même croiser de subtils instants de paix. Crève de philosophie. Tu penses bien que j'aurais aimé t'apporter la pilule magique te permettant de repousser le mystérieux inconnu, parce que je sais combien sa présence est inconfortable, et comme ses conséquences semblent insurmontables. Mais dans ce cas-là, il faudrait que je sois rémunéré pour faire ce podcast. À la place, je te propose un partenaire. Peut-être au départ pour une nuit, des mois, des années, une vie. Si t'es de ma génération, tu connais forcément Sniper et t'as la référence. Il est probablement moins attrayant que tous les prétendants Tinder. Je pense même qu'il coche tous les red flags. Collant, douloureux, inconfortable, lourd, insistant, épuisant. Mais composer avec cet autre que soit, c'est la clé. C'est pour moi dorénavant la seule et unique clé de ma maison. Celle qui me permet à nouveau de prendre des risques, de fermer et ouvrir le verrou de ma porte d'entrée lorsque je l'ai décidée. Non pas par optimisme forcé, mais simplement pour retrouver l'élan que l'inconnu avait jusque-là figé. Et tu sais quoi ? Le fameux double des clés que portait sur lui l'inconnu. Eh ben, pour finir, il l'a égaré. Justement, pendant qu'on dansait et que je le faisais valser. Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Découvrez tous les engagements de l'association Les Invisibles sur le site internet lesinvisibles.ch. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

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