Speaker #0Bienvenue dans les petites histoires de Michelle, un podcast dans lequel je raconte mon exploration de la cuisine japonaise. Cet art ultime de bien manger que j'ai à cœur de transmettre aujourd'hui est la synthèse entre mes pratiques d'artiste, de jardinière et de cuisinière. Il s'adresse aux amoureux du Japon, aux gourmets de tous bords et aux cuisiniers soucieux de préparer une cuisine saine, savoureuse et créative, qui nourrit aussi bien le corps que l'esprit. Vous y trouverez des récits de voyages et des témoignages d'expériences qui ont fait sens dans mon parcours. J'y délivre également, au-delà des recettes, les principes qui sous-tendent la cuisine japonaise. Nous ferons des visites dans le jardin, source d'émerveillement et d'abondance, et nous prêterons l'oreille à des personnes qui ont contribué à enrichir mon parcours dans l'oasis nippone que je me suis créée. Belle écoute à vous ! Nous avons vu dans le précédent épisode le principe Gokhan, qui est un appel à mobiliser nos cinq sens. Dans la présente émission, nous allons nous focaliser sur l'aspect visuel des plats. Il s'agit de mettre l'eau à la bouche et de susciter l'appétit. On salive par anticipation. La vue contribue aussi à nous alerter sur la texture des aliments présentés. On mange d'abord avec les yeux. On a pu voir à travers la nouvelle cuisine dans les années 80-90 l'influence japonaise sur nos chefs qui ont fait le voyage au Japon. Ils ont fait évoluer le dressage de leurs assiettes en s'inspirant des présentations japonaises, privilégiant la sobriété à travers des assiettes épurées. La mise en valeur du vide, l'usage réfléchi de la couleur et des formes. Ce qui n'a pas manqué de soulever des critiques qui pointaient une tendance à privilégier l'apparence des plats au détriment de la générosité ou de la gourmandise et au risque d'une dilution des traditions culinaires hexagonales. Aujourd'hui, dans un nouvel effet de mode globalisé, c'est le côté instagrammable qui est mis en avant. Nous assistons à une focalisation sur la forme avec une perte de lien sur le fond. Au Japon, avec la notion de Gokan qui encourage à stimuler les cinq sens, La présentation des plats est hautement codifiée, guidée par des principes spécifiques qui vont bien au-delà de la simple apparence pour transmettre des significations culturelles, spirituelles et saisonnières. Les principes de base, ancrés dans des traditions comme le shintoïsme et le bouddhisme zen, mettent en valeur la beauté naturelle des ingrédients et l'harmonie avec l'environnement. L'aspect visuel est une célébration de la nature, de la saison et de l'harmonie. Avec Gochiki, le premier concept que nous avons abordé, nous avons compris l'importance d'introduire cinq couleurs dans un repas pour créer un équilibre visuel tout en veillant à la santé de nos organes, souvenez-vous. D'autres aspects proprement japonais entrent en jeu concernant la présentation des plats. L'esthétique Wabi-Sabi qui valorise la simplicité, l'imperfection et la beauté éphémère influencent fortement la présentation japonaise. La symétrie est souvent recherchée car elle évoque la nature et l'imperfection. De ce fait, on évite les compositions trop strictement symétriques. Dans ma pratique de peintre, j'appliquais déjà ces notions sans avoir pleinement conscience que l'esthétique wabi-sabi, m'habitait déjà. Elle faisait partie intégrante de mon univers esthétique. J'ai spontanément transposé ces notions dans mes assiettes, considérant que celle-ci était un moyen d'expression de ce qui m'habite, au même titre qu'une peinture. L'esthétique Wabi-Sabi est complétée par le concept de « ma » , que l'on retrouve dans l'art de la calligraphie et de l'Ikebana. et qui désigne l'utilisation intentionnelle de l'espace vide. Cet espace vide est essentiel comme dans un tableau. Il donne de la respiration au plat et met en valeur ce qui est présenté. Souvent des clients m'interpellent quand ils m'observent au moment du dressage des assiettes. C'est surtout l'aspect asymétrique qui les interroge. Je m'aperçois que ce qui est naturel pour moi ne l'est pas forcément pour tout le monde. C'est alors l'occasion de les sensibiliser aux intentions à l'œuvre derrière chaque parti pris esthétique. La disposition des aliments, mori, ainsi que utsuwa, le choix de la vaisselle, ont leur importance également. J'ai été recadrée par mes amis japonais à qui j'avais demandé de me superviser à mes débuts. Ils m'ont transmis certains codes de présentation qui m'ont permis de prendre conscience des intentions sous-jacentes dans la présentation des plats. Pour les sashimis, par exemple, le poisson le plus noble ou le plus gras est placé à l'arrière ou au centre, les autres autour. À ce stade de mes pratiques culinaires japonaises, j'étais loin du compte et leur regard a été déterminant pour affûter ma compréhension. J'ai développé un nouvel axe de recherche et porté davantage d'attention aux différents types de présentations lors de mes voyages culinaires au Japon. Chaque forme proposée fait sens et porte un nom évocateur, souvent inspiré par des éléments naturels comme les montagnes, les rivières, les végétaux, et suivent des règles précises que j'ignorais jusqu'alors. Dans le style Yamamori, les aliments sont empilés pour évoquer une montagne. Avec Hiramori, les aliments sont disposés à plat, comme des tranches de sashimi en éventail. Sugimori, qui vient de cèdre, suggère que les ingrédients soient alignés en diagonale. Kassan et Mori proposent d'empiler les aliments, de les superposer pour créer du volume comme dans un bento avec des couches de légumes et de viande. Les aliments sont souvent présentés pour évoquer la saison. En automne, on dispose des aliments pour rappeler les feuilles tombantes, en spirale ou en cascade. Au printemps, en privilégie des formes en éventail évoquant l'éclosion. Des éléments décoratifs naturels comme des feuilles de bambou, des fleurs, des branches sont utilisés pour accentuer cette évocation. Les garnitures, Kazari, ont leur importance aussi. Elles sont utilisées avec parcimonie pour rehausser l'aspect visuel sans surcharger le plat. Elles reflètent le moment de l'année. Chaque saison est associée à des éléments visuels spécifiques, comme le kinomi et la crosse de fougère, qui sont des marqueurs de printemps. La saisonnalité ancre le plat dans un contexte temporel, renforçant le lien avec la nature. Le choix de la vaisselle, Utsuwa, est un autre élément clé. de la présentation japonaise. Chaque assiette, bol ou plateau est sélectionnée pour compléter le plat en termes de couleurs, formes, textures et saisons. Elle est choisie pour ne pas éclipser les aliments mais pour les mettre en valeur. Par exemple, une assiette blanche met en avant les couleurs vives d'un plat tandis qu'une assiette sombre crée un contraste dramatique. la vaisselle agit comme une toile de fond qui amplifie l'esthétique du plat engageant le sens de la vue de manière subtile elle s'accorde à la saison plus lourde sombre et épaisse en hiver Elle sera plus claire, voire transparente, pour apporter une sensation de fraîcheur lors des étés chauds et étouffants japonais. L'enjeu pour moi n'est pas d'appliquer toutes ces règles de dressage des assiettes à la lettre, mais d'en saisir l'esprit et de me laisser guider par ma sensibilité. La préparation de mes repas commence par une visite au jardin. C'est la récolte, donc la saison, qui dicte la composition du menu avec, comme trame de fond, les alternances de textures et de saveurs. La météo du jour aura une influence sur le choix des cuissons. La suite de l'élaboration du menu se passe dans mon précieux carnet de travail. Je fais des esquisses. Je dessine le contenu des assiettes avec différentes options pour déterminer quelle sera la vaisselle la plus appropriée. Parfois, il m'arrive de fabriquer de nouveaux contenants. Par exemple, en fendant de gros bambous dans leur longueur. Ou alors, je m'amuse à détourner des objets, comme des pots à bonsaï, pour y présenter des papillotes de poissons à l'ail des ours. Je m'amuse beaucoup. C'est en jouant avec ces multiples paramètres que la cuisine se révèle être un acte créatif total qui nourrit à plus d'un titre aussi bien celui qui l'élabore que celui qui la déguste. Un nouvel épisode des petites histoires de Michelle vous attend tous les mardis. Pensez à vous abonner à ma newsletter pour continuer de voyager au Japon avec moi.