- Speaker #0
Bienvenue dans les podcasts d'AUNEGe en collaboration avec IAE France.  Pour ce quatrième volet de la série Grands Auteurs,  Sonia et Eddy vont vous parler de Marshall McLuhan et la théorie des médias.
 -  Eddy
Bienvenue.  Aujourd'hui,  on plonge dans un sujet assez pointu,  mais passionnant,  surtout pour les chercheurs en sciences de gestion et management.
 -  Sonia
Oui,  on va parler de Marshall McLuhan.  Est-ce que ses idées tiennent encore la route aujourd'hui ?
 -  Eddy
C'est la question.  Comment sa pensé sur les médias nous aide à comprendre notre environnement numérique actuel avec l'IA,  les réseaux sociaux,  partout.
 -  Sonia
Pour ça,  on s'appuie sur des textes académiques,  des essais plus récents et bien sûr McLuhan lui-même.
 -  Eddy
L'objectif,  c'est vraiment d'extraire les concepts clés de McLuhan qui peuvent,  disons,  décrypter les transformations,  celles que ces technologies induisent sur nos perceptions,  la société et surtout les organisations.
 -  Sonia
C'est ça.  Comment ça résonne concrètement aujourd'hui dans le monde du management ?
 -  Eddy
Bon,  alors le point de départ obligé,  c'est le médium et le message.
 -  Sonia
Ah oui,  le classique.
 -  Eddy
L'idée forte,  c'est que la technologie elle-même,  le médium,  façonne nos interactions,  nos structures,  bien plus que le contenu qu'elle transporte.
 -  Sonia
Tout à fait.
 -  Eddy
Prenons un exemple actuel pour les organisations.  L'arrivée massive de l'IA générative.
 -  Sonia
Oui.
 -  Eddy
Au-delà des textes ou des images qu'elle produit,  comment l'outil IA,  en lui-même,  reconfigure les équipes ?  Les compétences requises ?  Voire le pouvoir dans l'organisation ?
 -  Sonia
C'est exactement ça,  l'effet médium.  Et c'est là que McLuhan est pertinent.  Il nous dit,  attention,  ne vous focalisez pas que sur le quoi,  le contenu.
 -  Eddy
Oui,  sinon on rate l'essentiel.
 -  Sonia
On risque de manquer les bouleversements profonds,  psychiques,  institutionnels qu'un nouveau médium amène.  Pour analyser les entreprises aujourd'hui,  comprendre cet impact structurel,  c'est fondamental.
 -  Eddy
Le comment finalement prime sur le quoi.
 -  Sonia
C'est ça.
 -  Eddy
Macluan évoquait aussi une "retribalisation" avec les médias électriques.  On voit des choses qui font écho aujourd'hui,  non ?  Dans le numérique ?
 -  Sonia
Ah oui,  clairement.  La polarisation,  les bulles d'infos,  l'importance du groupe d'appartenance.
 -  Eddy
Certains analystes comme Andrey Mir parlent même de "post-littératie",  de médias sociaux "néo-tribaux".  Qu'est-ce que ça veut dire concrètement ?  Peut-être un glissement d'une culture du texte,  linéaire,  rationnelle,  vers quelque chose de plus immédiat,  plus émotionnel, qui favorise l'adhésion au groupe.
 -  Sonia
Ce qui est vraiment fascinant,  c'est que ce n'est pas juste un retour en arrière,  cette "retribalisation".  C'est une forme nouvelle,  hybride,  post-littéraire,  comme vous disiez.
 -  Eddy
Oui.
 -  Sonia
Avec ses propres codes.  L'immédiateté,  une certaine émotivité,  disons.  À courte vue,  Mir parle de "short-sighted emotionality".
 -  Eddy
D'accord.
 -  Sonia
Et potentiellement,  oui,  une érosion du raisonnement éthique plus posé,  plus nuancé.  Le risque,  par exemple,  d'un journalisme qui devient du "chournalisme",  comme dit Mir.
 -  Eddy
La production de contenu à la chaîne,  sans recul.
 -  Sonia
Voilà.  Et ça,  ça a des implications directes sur la communication des entreprises,  en interne comme en externe.
 -  Eddy
Et il y a aussi l'idée des médias comme extension de nous-mêmes.
 -  Sonia
Oui,  extension de nos sens,  de notre système nerveux.
 -  Eddy
Alors,  comment nos outils d'aujourd'hui,  le smartphone greffé à la main ou l'IA,  comment est-ce qu'ils nous étendent,  spécifiquement dans un contexte organisationnel ?
 -  Sonia
Et quel nouvel équilibre ou déséquilibre ça crée entre nos sens nos capacités cognitives ?
 -  Eddy
Ça soulève des questions de surveillance,  bien sûr.  Le "super-panopticon" de Poster,  cette idée qu'on s'auto-censure parce qu'on sait qu'on pourrait être surveillé numériquement.  Les défis éthiques que soulève Cooper.  La confidentialité des données,  la désinfo,  les risques de fraude.  On pourrait presque analyser l'IA avec les lois des médias de McLuhan.
 -  Sonia
Ah oui,  qu'est-ce que ça amplifie ?  Qu'est-ce que ça rend obsolète ?  Qu'est-ce que ça récupère du passé ?  Et en quoi ça se renverse quand on le pousse à l'extrême ?
 -  Eddy
Exactement.  Appliquer l'IA en entreprise,  est-ce une extension de nos capacités ?  Ou un nouveau vecteur de contrôle,  de formatage ?
 -  Sonia
Et si on prend un peu d'hauteur ?  McLuhan disait que l'instantanéité de l'information électrique,  ou numérique aujourd'hui,  s'attend à dissoudre les hiérarchies classiques,  les pyramides basées sur la délégation lente de l'info.
 -  Eddy
L'information circule plus vite,  plus largement.
 -  Sonia
Du coup,  c'est l'autorité de la connaissance qui devient plus importante,  car elle est  plus accessible.  Et l'automatisation,  vue comme une extension de nos processus mentaux,  elle transforme le travail en traitement d'infos quasi permanent.
 -  Eddy
Ce qui demande de nouvelles compétences.
 -  Sonia
Oui,  ça rend l'adaptabilité une forme d'éducation plus générale,  polyvalente,  libérale au sens large,  essentielle.  Pour les managers,  pour les employés. On est loin de l'hyperspécialisation de l'ère industrielle.  Le management doit intégrer cette fluidité.
 -  Eddy
Il faut quand même nuancer un peu.  L'idée d'un impact technologique uniforme subit passivement.
 -  Sonia
Bien sûr.
 -  Eddy
Arjun Appadurai,  par exemple,  nous rappelle qu'il y a toujours des résistances,  des réappropriations culturelles.  Le fameux village global n'est pas si homogène.
 -  Sonia
Non,  effectivement.
 -  Eddy
Comment les cultures d'entreprises spécifiques,  ou même les contextes nationaux,  s'approprient,  adaptent,  voire détournent les outils numériques globaux ?  L'action humaine,  la culture,  ça compte toujours.
 -  Sonia
Tout à fait.  Et c'est pour ça qu'en conclusion,  on peut dire que les cadres d'analyse de McLuhan,  surtout le médium et le message et les extensions de l'homme,  ça reste des outils intellectuels,  des sondes comme il disait,  très puissantes.
 -  Eddy
Pour aller voir sous la surface.
 -  Sonia
Exactement.  Pour percevoir et analyser les effets profonds,  souvent cachés,  des technologies actuelles.  Sur notre perception,  sur l'organisation sociale,  et donc par extension sur les pratiques de management.
 -  Eddy
Alors qu'est-ce qu'on en retient concrètement,  nous,  chercheurs en gestion ?  McLuhan disait que l'artiste,  par sa sensibilité aux formes nouvelles,  agit un peu comme un système d'alerte précoce.
 -  Sonia
Oui,  il perçoit les changements d'environnement liés à la technologie avant les autres.
 -  Eddy
Une sorte de radar.
 -  Sonia
C'est ça,  et ça nous amène à une question clé pour nous.  Dans notre environnement médiatique actuel si complexe,  si rapide,  qui joue ce rôle d'artiste,  de navigateur pour les organisations ?
 -  Eddy
Bonne question !
 -  Sonia
Et surtout,  comment nous,  chercheurs en sciences de gestion et management,  on peut cultiver cette sensibilité ?  Cette attention aux formes médiatiques pour ne pas seulement analyser à prix coup,  mais peut-être anticiper et aider les organisations à naviguer ces transformations,  plutôt que de simplement les subir ?
 -  Eddy
À la prochaine.
 -  Sonia
Au revoir.
 -  Eddy
Au revoir.