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Les Vrais Souverains

Le son retrouvé de la trompette française

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20min |08/11/2023
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Le son retrouvé de la trompette française

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Description

Le trompettiste Adrien Jaminet a pris la voie de l'artisanat afin de réaliser son rêve : recréer l'excellence française dans la fabrication d'instruments à cuivre. Parvenu à retrouver le son disparu de la trompette française, il milite pour faire des métiers de main les emplois de demain sur nos territoires. Il raconte son aventure à Arnaud Montebourg depuis son atelier des cuivres de Brétigny-sur-Orge.

 

Co-réalisé par Renaud Duguet et Maxime Verner. 

Voix off : Elia.

Générique : Guillaume Bérat.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Arnaud Montebourg

    Bonjour les Vrais Souverains, je suis Arnaud Montebourg et j'approuve ce podcast. J'ai créé il y a quelques années les Équipes du Made in France qui contribuent à construire, reconstruire la nouvelle agriculture et la nouvelle industrie de notre pays. On le fait modestement, mais on le fait concrètement. Et je vous emmène à la rencontre des Vrais Souverains, celles et ceux qui se battent au quotidien pour que la France redevienne ce grand pays inspirant que nous aimons tant et où nous voulons vivre longtemps.

  • Elia

    À 33 ans, Adrien Jaminet est resté fidèle à sa ville natale de Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne. Sur le chemin de son atelier de cuivre, il raconte à Arnaud Montebourg comment l'amour de la trompette l'a mené d'abord à l'artisanat comme luthier, puis à l'entrepreneuriat dans une industrie des instruments à cuivre où la France excellait jadis, avant que des milliers d'emplois ne disparaissent, après la Seconde Guerre Mondiale.

  • Adrien Jaminet

    Mon papa était musicien amateur et jouait de la musique. J'ai commencé la trompette ici à Bretigny-sur-Ange, dans l'école de musique qui est également un peu plus loin. Je me suis pris d'amour et de passion pour cet instrument qu'est la trompette. J'ai voulu en faire mon métier. J'ai fait le conservatoire, après à Boulogne et puis à notre conservatoire. Et puis parallèlement à ça, en troisième, j'ai découvert un métier que j'ignorais, qui est la lutherie. C'est-à-dire au départ de réparer des instruments de musique, et tout particulièrement des cuivres. et donc de fil en aiguille j'ai commencé à apprendre et à réparer mes trompettes, celles de mes amis et donc du coup mon activité entrepreneuriale si je puis dire, elle a commencé en haut de la ville, dans le sous-sol de chez mes parents, sans me douter où ça allait me mener et c'est vrai qu'au bout de quelques mois j'étais auto-entrepreneur et les plus grands trompettistes venaient chez moi, des gens que j'avais en affiche quelques étages plus haut venaient dans le sous-sol donc c'était assez... perturbant. L'activité a commencé comme ça. Puis, ça s'est développé ensuite de la réparation vers la vente et puis vers la fabrication. On va en parler. On va rentrer dans l'atelier pour...

  • Arnaud Montebourg

    Alors là, il y a deux activités. Adrien répare, Adrien fabrique. Complètement. Alors, Adrien répare, c'est la moitié, c'est les trois quarts. Adrien fabrique, c'est combien ?

  • Adrien Jaminet

    C'est même en réalité trois activités. En fait, au départ, c'est un tiers réparation, c'est notre métier historique. Un tiers. Un tiers. Et quand on s'est installé, enfin, quand je me suis installé, je me suis dit, c'est vrai qu'au départ, j'étais tout seul, sans le sous-sol de chez mes parents. J'étais le seul en France à être ultra spécialisé dans les cuivres. C'est-à-dire que mes concurrents, en fait... Je disais que tous ces emplois qui étaient des milliers au début du XXe siècle ont disparu. En revanche, il y a une grosse industrie des bois, clarinette, saxophone... En France, on est encore leader mondial. On a encore deux entreprises françaises qui sont Buffet Crampon et Selmer. Ces deux qui sont d'ailleurs dans la même rue, à Mantes-la-Jolie, un autre bastion du bassin parisien, qui sont leaders. Et donc, du coup, en cuivre, ça avait disparu. Et donc, j'étais le seul. Donc, de la réparation, en fait, j'ai eu besoin de pièces détachées. Et donc, du coup, j'ai commencé à faire de la vente et vendre tous les instruments de la famille des cuivres, et particulièrement la trompette, qui est mon instrument et celui évidemment que je préfère.

  • Arnaud Montebourg

    Et que tu pratiques.

  • Adrien Jaminet

    Et que je pratique, évidemment, parce que j'ai eu la chance sur la partie conservatoire d'être dans une génération un peu bénie. J'étais au conservatoire de Boulogne-Biancourt avec un Monsieur qui s'appelait Frédéric Presle. Et c'est vrai que mes copains de conservatoire, on avait tous entre 15 et 18 ans, aujourd'hui mes copains avec qui on a usé nos fonds de culotte au conservatoire de Boulogne, il y a le trompette solo de l'Opéra de Paris, le trompette solo de Bordeaux, le trompette solo du Capitole de Toulouse et c'est vrai qu'on a grandi ensemble et ça nous a créé un petit groupe pour recréer finalement un nouveau souffle à la trompette française

  • Elia

    Dans l'atelier des cuivres de Bretigny, Adrien Jaminet s'est alors lancé dans une troisième activité, la fabrication de trompettes.

  • Adrien Jaminet

    Nous, on s'est retrouvés pendant le confinement. Moi, j'habite au-dessus, là, on entend de la trompette, c'est mon épouse qui fait de la trompette. J'habite au-dessus et pendant le confinement, je me suis retrouvé, on était devenus non-essentiels. Et moi, l'activité avait complètement arrêtée et je me suis dit, bon, je ne savais pas quoi faire. Et je trouvais ça très dommage parce que je réparais tout un tas d'instruments, j'en vendais, mais j'avais... Vous avez observé qu'il y avait une histoire très très forte de la trompette en France, mais il n'y avait plus aucun fabricant.

  • Arnaud Montebourg

    Pourquoi ? Tout avait été...

  • Adrien Jaminet

    Pour plein de raisons, mais la raison...

  • Arnaud Montebourg

    Délocalisée aux Etats-Unis. Les Américains ont pris la trompette en fait.

  • Adrien Jaminet

    Ils ont pris la trompette. Au départ, ils l'ont fait avec des Français. C'est-à-dire qu'après la Première Guerre Mondiale, de super musiciens, justement encore une fois la Guerre républicaine, sont allés dans un orchestre, celui de Boston, et l'école américaine de trompette a été créée avec des Français. D'abord avec l'orchestre de Boston et puis en fait a rayonné un peu partout dans le monde. Et donc du coup, les fabricants de l'époque ont pris, se sont entourés d'une part de luthiers français, mais aussi de musiciens français pour constituer leur industrie. Et puis petit à petit, ils ont pris le pas et ça a pris vraiment son essor après la Seconde Guerre Mondiale.

  • Arnaud Montebourg

    Donc toutes les usines, les ateliers parisiens, il y a eu des milliers d'emplois qui fabriquaient des cuivres.

  • Adrien Jaminet

    Ils ont disparu petit à petit après la Seconde Guerre Mondiale, pour plein de raisons aussi. Par exemple, ce qui a aussi construit ce projet, c'est que je me suis dit, bon alors, moi je suis passionné d'histoire, il faut qu'on me raconte cette histoire-là. Il y a une grande tradition orale. Quand on apprend la trompette, il y a évidemment quelques méthodes, mais il y a une grande tradition orale et il y a assez peu d'écrits. Et donc du coup, il y a une mémoire vivante de la trompette française, il s'appelle Roger Delmotte. Et en fait, d'échanger avec lui, je me suis rendu compte qu'il y avait un type de trompette qui avait complètement disparu. Parce que, par exemple, lui, il était ensuite rentré à l'Opéra de Paris, trompette supersoliste à l'Opéra de Paris, et en fait, c'est vrai que les chefs, après la Guerre, avec la mondialisation, ils ont commencé à aller un petit peu partout, et ils voulaient un petit peu partout le même son. Et la typicité qui faisait un peu ce que chaque pays avait un son particulier a disparu et alors pour parler de la trompette française, les caractéristiques c'était qu'il y avait un tout petit pavillon, après c'est un peu technique, la paire était toute petite mais donc du coup c'était un son vraiment signature, très brillant. Alors définir un son c'est toujours très compliqué, parce que définir un son c'est un peu définir une couleur donc c'est très subjectif mais si on doit le caractériser c'est très brillant. Ça a beaucoup d'allure, c'est champagne un petit peu. Et ce son avait disparu. La trompette, ce n'est pas comme le violon. C'est-à-dire que les violons, ça se bonifiait. C'est comme le vin, ça se bonifie. La trompette, en fait, c'est très mécanique. Donc plus la trompette va jouer, plus le piston va s'abîmer. Donc du coup, le son va un petit peu se détériorer au bout de quelques années. Et donc j'ai repris une trompette à un collectionneur. On a beaucoup échangé sur ce fameux Alfred Aubertin, un luthier qui était lui à Aubervilliers justement. Et j'ai repris une de ces trompettes et je l'ai complètement disséquée, démontée complètement, repris toutes les mesures. Et je me suis dit je veux reprendre une trompette comme ça.

  • Arnaud Montebourg

    C'est pour ça que votre trompette française renaissante, elle s'appelle la trompette Alfred.

  • Adrien Jaminet

    Voilà, exactement.

  • Arnaud Montebourg

    C'est unnhommage à Alfred Aubertin, luthier à Aubervilliers.

  • Adrien Jaminet

    Complètement.

  • Arnaud Montebourg

    Au siècle précédent.

  • Adrien Jaminet

    Avec tout ce bagage-là, cette histoire-là, je me suis dit, il faut que je refasse une trompette. On a réfléchi, on a fait une trompette, on avait une manière très précise, on savait où on voulait aller. Je me suis entouré de grands musiciens avec lesquels je travaille, des musiciens de l'Opéra de Paris, et aussi un musicien qui jouait ce type de trompette qui s'appelle David Guerrier, et Marc Gueujon, qui est aussi à l'Opéra de Paris, m'ont aidé à recréer cet instrument-là. Et c'est vrai que tout de suite, on a retrouvé un son, enfin, nous, on a découvert un son qu'on imaginait, qu'on avait dans un fantasme de ce son-là, on l'imaginait, mais on ne l'avait jamais entendu. Et alors, c'était un peu une force pour nous, parce que post-confinement, comme je disais, l'activité culturelle était complètement arrêtée. Et l'Orchestre Philharmonique de Radio France nous a sollicités pour jouer nos trompettes dans une œuvre de Henri Tomasi, Voilà une œuvre de Tomasi qui passe à la radio sur mes trompettes. Moi, j'étais dans la salle, j'avais une autorisation. Alors pour moi, c'est une émotion toute particulière parce que d'entendre ces instruments que l'on a pensés, conçus, résonner au sein d'une si belle salle qu'est l'Auditorium de Radio France, c'était assez émouvant. Et puis la radiodiffusion nous a énormément aider parce que tous les orchestres de France nous ont dit "Mais c'est quoi ce son ? C'est fantastique, on veut essayer, on veut essayer". Et alors du coup, de là on a commencer à avoir plein de commandes, et puis j'ai eu un appel très très émouvant à ce moment-là. Parce que quand je l'avais interviewé, M. Delmotte, il m'a dit plein de choses, mais il ne comprenait pas exactement où je voulais aller. Et suite à cette première radiodiffusion, il m'a appelé, il m'a dit : "Félicitations, je viens d'entendre un son que je n'ai pas entendu depuis 70 ans." Alors là, c'était la chose la plus émouvante, parce que lui, il n'avait pas écouté ce son depuis 70 ans, mais des gens de mon âge ne l'avaient jamais écouté. Donc je me suis dit, c'est un patrimoine retrouvé. Et c'est là qu'est né vraiment l'ambition vraiment de relancer, de donner un nouveau souffle au cuivre à la française.

  • Elia

    Ce son espiègle de la trompette française, Adrien Jaminet nous l'offre en partage. L'idée de la trompette à la française, c'est aussi relocaliser la production de ces instruments en France, pour faire des métiers de main, les futurs emplois de demain.

  • Adrien Jaminet

    On s'est fixé des règles, et donc tous les éléments de notre trompette, ils proviennent de 800 km autour de notre atelier de Brétigny-sur-Orge, avec même un acteur un peu plus local, puisqu'il s'agit d'un atelier d'usinage qui est à 200 m à vol d'oiseau, et qui nous permet de fabriquer une grande partie de nos éléments de la trompette. Donc c'était aussi relancer toute une chaîne de fabrication, parce que comme je disais, il y avait des milliers d'emplois au début du XXe siècle, mais quand on rentre un peu dans ce cheminement-là, de se dire, mais où sont tous les accessoires ? Les housses, comment c'était fait ? Les housses, nous, nos housses, elles sont faites également par une marque française. C'était vraiment se poser les questions de comment c'est fait, pourquoi c'est fait, et quelque chose qui est très très rigolo, c'est une histoire que j'adore raconter, c'est que comme je vous disais, les leaders historiques... sont américains. Et donc, quand j'ai eu les premiers éléments de mes trompettes, j'ai commencé à les assembler dans mon atelier avec plein de pièces de bric et de broc. Alors, j'avais mes éléments centraux, que sont le bloc piston, le pavillon et la branche que j'avais fabriquée. Donc, du coup, je les ai assemblées, mais pour les assembler, il faut plein de petites pièces. Donc, du coup, comme au départ, c'était du prototypage, j'ai pris des choses que j'avais sous la main. Il y a une marque américaine qui est faite à Chicago, dont j'aimais bien les pièces, j'aimais bien le design, je trouvais les pièces bien pensées. Et donc du coup, j'avais ces pièces-là en stock, je les ai prises. Comme je disais, suite à ces vidéos que j'avais consommées, je me suis posé la question, mais ces pièces-là, elles viennent d'où ? Les pièces que j'avais, je les avais commandées à Chicago, chez le fabricant. Et en fait, j'ai découvert que ces pièces-là, elles étaient fabriquées à 250 km, et que j'achète des pièces à Chicago qui étaient fabriquées à côté de Troyes. Et donc du coup, c'était une grande découverte pour moi de savoir que finalement, l'industrie que je pensais morte, elle n'était pas si morte que ça et qu'il fallait peut-être relancer cette activité et faire parler de cette industrie.

  • Elia

    Le modèle Alfred a attiré à Adrien Jaminet d'autres collaborations qui repoussent sans cesse les frontières du possible.

  • Adrien Jaminet

    Quand j'ai par la suite fait découvert ces instruments-là, il y a quelqu'un, qui est aussi essonien comme moi, avec qui je travaillais, qui s'appelle Ibrahim Maalouf, aujourd'hui qui fait les plus grandes scènes de France, du monde même, était intéressé par ces petites trompettes françaises parce que c'est vrai qu'il est connu pour sa musique, mais au départ c'est un grand grand musicien de musique classique. Et pour la petite histoire, sa grand-mère, elle habitait dans la rue, en fait. Et donc, du coup, Ibrahim a trouvé cette trompette fantastique. Elle me dit : " Mais attends, si la trompette, elle est fantastique, il faut qu'on en fasse une tous les deux. Il faut que tu me refasses une trompette." Et Ibrahim, son papa, Nassim Maalouf, qui était un élève de Maurice André, déjà, avait travaillé avec la maison Selmer pour créer un système particulier qui est le quart de ton. Donc, le quart de ton, son papa l'avait imaginé pour jouer la musique arabe. Et donc Ibrahim, c'est ce qu'il joue et c'est ce qui fait la particularité du son d'Ibrahim avec cette couleur un petit peu occidentale. Et donc du coup, on a travaillé pendant très longtemps.

  • Arnaud Montebourg

    On rajoute un piston.

  • Adrien Jaminet

    On rajoute un piston. Alors, cette trompette-là, elle n'a rien en moins. C'est-à-dire qu'elle a juste quelque chose en plus. Quand on actionne, on a un quart de ton. Pour les gens qui ne sont pas musiciens, si vous voyez le piano, il y a des touches noires et des touches blanches. C'est comme si on mettait une... C'est comme si on doublait les touches. Il y avait des touches entre les touches pour faire cette couleur-là. Et donc, quand on a commencé le parcours avec Ibrahim, c'était vraiment passionnant parce que pour le coup, lui, il était guidé par ses sensations. Il savait où il voulait aller, mais il ne savait pas forcément les définir. Donc ça a été un travail très, très, très long de comprendre, parce que définir ses sensations, c'est jamais évident. Puis en plus de ça, quand on est luthier, nous on prolonge le geste et qu'on essaie de comprendre, il faut vraiment s'accorder. Ça a été un travail de longue haleine. Et en fait, quand on a commencé ce travail-là, il avait un concert à Bercy qui était prévu. Et j'avais fait le pari avec moi-même qu'il la joue à Bercy. C'était une espèce de défi. Puis je voyais ce concert qui arrivait, puis on n'avait pas fini. Et une fois de plus, le Covid m'a aidé, puisque le concert devait être en décembre. Et il a été reporté en mars et on a fini en janvier 2021, il me semble. Non, de 22. Et il joue cette trompette-là depuis... C'est aussi une fierté, parce que je vous ai tout à l'heure parlé de Roger Delmotte, et c'est quelqu'un qu'il connaissait de loin, et Ibrahim a été bercé par Maurice André, le Dieu de la trompette, qui était professeur de son papa. Et il a voulu, l'an passé, en novembre dernier, refaire le concours Maurice André, qui était un concours de la Ville de Paris qui avait disparu. Et donc il l'a refait, financé lui-même. Et il lui fallait un président de jury, mais quelqu'un d'une aura internationale. Et il me dit, mais tu... Il cherchait, il cherchait, mais je dis mais... J'ai la personne, Roger Delmotte, légende de la trompette française. Et Monsieur Roger Delmotte a été jury et président du jury à l'âge de, l'an passé, il avait 97 ans, de ce concours. Et il était déjà jury au premier concours qu'il y avait eu dans les années 70. Donc c'était un espèce de recommencement. Et puis j'étais très content de pouvoir mettre en relation ces deux grands trompettistes. Donc c'est vrai que nous, je dis souvent, en fait, à travers tout ce travail, ça permet aussi de connecter la communauté des trompettistes français, et même de manière mondiale, parce que, comme je le disais, même les Américains s'intéressent beaucoup à ce qu'on fait, parce qu'ils savent que leur histoire trouve ses racines en France.

  • Elia

    Le musicien et l'artisan de Bretigny-sur-Orge fédère avec succès toutes ces parties prenantes pour réussir sa mission, transmettre ces savoirs et ce savoir-faire français.

  • Adrien Jaminet

    Alors c'est sûr, moi je vous ai raconté un peu mon amour pour cette musique-là, cette histoire-là, mais c'est vrai qu'il y a une grande mission d'évangélisation, c'est-à-dire que moi cette histoire je la connais, mais il faut la faire connaître parce que les gens l'avaient oubliée cette histoire-là. Donc moi je passe mon temps à aller voir des musiciens d'orchestre, aller leur expliquer ce que c'était la trompette française, comment ces pièces ont été créées, puis leur faire tester, parce qu'aujourd'hui le retour d'expérience que j'ai c'est que... Certes, ça marche bien dans la musique française, mais pas que. C'est-à-dire que dans plein d'ensembles un peu plus petits, type orchestre de chambre, c'est vrai que ce son très brillant, très timbré, c'est un mot qu'on utilise, convient parfaitement. J'ai créé mon podcast qui s'appelle Cuivre à la française, où je vais voir des anciens, où on renoue avec cette tradition de l'oralité, de la transmission, mais on marque ça, on enregistre ça, et on pourra l'écouter dans 50 ans, et je trouve ça intéressant.

  • Elia

    Parmi ces petites histoires qui font la trompette française, une en dit plus long que d'autres, et raconte aussi pourquoi l'industrie des instruments à cuivre français s'est effondrée pendant la guerre. C'est celle de Marcel Caens, grand trompettiste.

  • Adrien Jaminet

    Après-guerre, il fallait qu'il achète une trompette. Et à l'époque, tout le monde achetait des fameuses Alfred Aubertin. Donc il voulait une Alfred Aubertin, sauf qu'il n'y en avait plus. Pourquoi ? Alfred Aubertin, il était là, dans son atelier. Sauf que pendant la Seconde Guerre mondiale, le laiton, ça servait à faire autre chose que des trompettes. Et donc du coup, pour pouvoir faire sa trompette, il est allé avec un sac d'obus vide pour faire refondre et faire une trompette. Je trouvais ça incroyable.

  • Elia

    Arnaud Montebourg, dont le rapport sur le made in France a inspiré la vision d'une trompette française, explique en quoi Adrien Jaminet est un Vrai Souverain.

  • Arnaud Montebourg

    L'exhumation du passé, la remise à l'ordre du jour de techniques qui avaient été ensevelies par l'économie et la renaissance d'une technique, d'une fabrique et d'un usage qui est porteur et vecteur de puissance culturelle,

  • Adrien Jaminet

    en gros.

  • Arnaud Montebourg

    Donc ce qu'a fait Adrien Jaminet va le mener très loin et il va être un de nos ambassadeurs culturels par l'économie, par le travail, par la facture d'instruments de la France.

  • Elia

    Les trompettes Jaminet résonnent déjà au défilé du 14 juillet sur les Champs-Elysées, dans les salles de concert les plus grandes, comme les plus petites, et dans les orchestres les plus prestigieux. Mais Adrien Jaminet ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Il prévoit de conquérir le monde en sortant de ses ateliers un nouveau modèle de cuivre à la française chaque année, pour que résonne, de génération en génération, le son retrouvé de la trompette française.

Description

Le trompettiste Adrien Jaminet a pris la voie de l'artisanat afin de réaliser son rêve : recréer l'excellence française dans la fabrication d'instruments à cuivre. Parvenu à retrouver le son disparu de la trompette française, il milite pour faire des métiers de main les emplois de demain sur nos territoires. Il raconte son aventure à Arnaud Montebourg depuis son atelier des cuivres de Brétigny-sur-Orge.

 

Co-réalisé par Renaud Duguet et Maxime Verner. 

Voix off : Elia.

Générique : Guillaume Bérat.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Arnaud Montebourg

    Bonjour les Vrais Souverains, je suis Arnaud Montebourg et j'approuve ce podcast. J'ai créé il y a quelques années les Équipes du Made in France qui contribuent à construire, reconstruire la nouvelle agriculture et la nouvelle industrie de notre pays. On le fait modestement, mais on le fait concrètement. Et je vous emmène à la rencontre des Vrais Souverains, celles et ceux qui se battent au quotidien pour que la France redevienne ce grand pays inspirant que nous aimons tant et où nous voulons vivre longtemps.

  • Elia

    À 33 ans, Adrien Jaminet est resté fidèle à sa ville natale de Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne. Sur le chemin de son atelier de cuivre, il raconte à Arnaud Montebourg comment l'amour de la trompette l'a mené d'abord à l'artisanat comme luthier, puis à l'entrepreneuriat dans une industrie des instruments à cuivre où la France excellait jadis, avant que des milliers d'emplois ne disparaissent, après la Seconde Guerre Mondiale.

  • Adrien Jaminet

    Mon papa était musicien amateur et jouait de la musique. J'ai commencé la trompette ici à Bretigny-sur-Ange, dans l'école de musique qui est également un peu plus loin. Je me suis pris d'amour et de passion pour cet instrument qu'est la trompette. J'ai voulu en faire mon métier. J'ai fait le conservatoire, après à Boulogne et puis à notre conservatoire. Et puis parallèlement à ça, en troisième, j'ai découvert un métier que j'ignorais, qui est la lutherie. C'est-à-dire au départ de réparer des instruments de musique, et tout particulièrement des cuivres. et donc de fil en aiguille j'ai commencé à apprendre et à réparer mes trompettes, celles de mes amis et donc du coup mon activité entrepreneuriale si je puis dire, elle a commencé en haut de la ville, dans le sous-sol de chez mes parents, sans me douter où ça allait me mener et c'est vrai qu'au bout de quelques mois j'étais auto-entrepreneur et les plus grands trompettistes venaient chez moi, des gens que j'avais en affiche quelques étages plus haut venaient dans le sous-sol donc c'était assez... perturbant. L'activité a commencé comme ça. Puis, ça s'est développé ensuite de la réparation vers la vente et puis vers la fabrication. On va en parler. On va rentrer dans l'atelier pour...

  • Arnaud Montebourg

    Alors là, il y a deux activités. Adrien répare, Adrien fabrique. Complètement. Alors, Adrien répare, c'est la moitié, c'est les trois quarts. Adrien fabrique, c'est combien ?

  • Adrien Jaminet

    C'est même en réalité trois activités. En fait, au départ, c'est un tiers réparation, c'est notre métier historique. Un tiers. Un tiers. Et quand on s'est installé, enfin, quand je me suis installé, je me suis dit, c'est vrai qu'au départ, j'étais tout seul, sans le sous-sol de chez mes parents. J'étais le seul en France à être ultra spécialisé dans les cuivres. C'est-à-dire que mes concurrents, en fait... Je disais que tous ces emplois qui étaient des milliers au début du XXe siècle ont disparu. En revanche, il y a une grosse industrie des bois, clarinette, saxophone... En France, on est encore leader mondial. On a encore deux entreprises françaises qui sont Buffet Crampon et Selmer. Ces deux qui sont d'ailleurs dans la même rue, à Mantes-la-Jolie, un autre bastion du bassin parisien, qui sont leaders. Et donc, du coup, en cuivre, ça avait disparu. Et donc, j'étais le seul. Donc, de la réparation, en fait, j'ai eu besoin de pièces détachées. Et donc, du coup, j'ai commencé à faire de la vente et vendre tous les instruments de la famille des cuivres, et particulièrement la trompette, qui est mon instrument et celui évidemment que je préfère.

  • Arnaud Montebourg

    Et que tu pratiques.

  • Adrien Jaminet

    Et que je pratique, évidemment, parce que j'ai eu la chance sur la partie conservatoire d'être dans une génération un peu bénie. J'étais au conservatoire de Boulogne-Biancourt avec un Monsieur qui s'appelait Frédéric Presle. Et c'est vrai que mes copains de conservatoire, on avait tous entre 15 et 18 ans, aujourd'hui mes copains avec qui on a usé nos fonds de culotte au conservatoire de Boulogne, il y a le trompette solo de l'Opéra de Paris, le trompette solo de Bordeaux, le trompette solo du Capitole de Toulouse et c'est vrai qu'on a grandi ensemble et ça nous a créé un petit groupe pour recréer finalement un nouveau souffle à la trompette française

  • Elia

    Dans l'atelier des cuivres de Bretigny, Adrien Jaminet s'est alors lancé dans une troisième activité, la fabrication de trompettes.

  • Adrien Jaminet

    Nous, on s'est retrouvés pendant le confinement. Moi, j'habite au-dessus, là, on entend de la trompette, c'est mon épouse qui fait de la trompette. J'habite au-dessus et pendant le confinement, je me suis retrouvé, on était devenus non-essentiels. Et moi, l'activité avait complètement arrêtée et je me suis dit, bon, je ne savais pas quoi faire. Et je trouvais ça très dommage parce que je réparais tout un tas d'instruments, j'en vendais, mais j'avais... Vous avez observé qu'il y avait une histoire très très forte de la trompette en France, mais il n'y avait plus aucun fabricant.

  • Arnaud Montebourg

    Pourquoi ? Tout avait été...

  • Adrien Jaminet

    Pour plein de raisons, mais la raison...

  • Arnaud Montebourg

    Délocalisée aux Etats-Unis. Les Américains ont pris la trompette en fait.

  • Adrien Jaminet

    Ils ont pris la trompette. Au départ, ils l'ont fait avec des Français. C'est-à-dire qu'après la Première Guerre Mondiale, de super musiciens, justement encore une fois la Guerre républicaine, sont allés dans un orchestre, celui de Boston, et l'école américaine de trompette a été créée avec des Français. D'abord avec l'orchestre de Boston et puis en fait a rayonné un peu partout dans le monde. Et donc du coup, les fabricants de l'époque ont pris, se sont entourés d'une part de luthiers français, mais aussi de musiciens français pour constituer leur industrie. Et puis petit à petit, ils ont pris le pas et ça a pris vraiment son essor après la Seconde Guerre Mondiale.

  • Arnaud Montebourg

    Donc toutes les usines, les ateliers parisiens, il y a eu des milliers d'emplois qui fabriquaient des cuivres.

  • Adrien Jaminet

    Ils ont disparu petit à petit après la Seconde Guerre Mondiale, pour plein de raisons aussi. Par exemple, ce qui a aussi construit ce projet, c'est que je me suis dit, bon alors, moi je suis passionné d'histoire, il faut qu'on me raconte cette histoire-là. Il y a une grande tradition orale. Quand on apprend la trompette, il y a évidemment quelques méthodes, mais il y a une grande tradition orale et il y a assez peu d'écrits. Et donc du coup, il y a une mémoire vivante de la trompette française, il s'appelle Roger Delmotte. Et en fait, d'échanger avec lui, je me suis rendu compte qu'il y avait un type de trompette qui avait complètement disparu. Parce que, par exemple, lui, il était ensuite rentré à l'Opéra de Paris, trompette supersoliste à l'Opéra de Paris, et en fait, c'est vrai que les chefs, après la Guerre, avec la mondialisation, ils ont commencé à aller un petit peu partout, et ils voulaient un petit peu partout le même son. Et la typicité qui faisait un peu ce que chaque pays avait un son particulier a disparu et alors pour parler de la trompette française, les caractéristiques c'était qu'il y avait un tout petit pavillon, après c'est un peu technique, la paire était toute petite mais donc du coup c'était un son vraiment signature, très brillant. Alors définir un son c'est toujours très compliqué, parce que définir un son c'est un peu définir une couleur donc c'est très subjectif mais si on doit le caractériser c'est très brillant. Ça a beaucoup d'allure, c'est champagne un petit peu. Et ce son avait disparu. La trompette, ce n'est pas comme le violon. C'est-à-dire que les violons, ça se bonifiait. C'est comme le vin, ça se bonifie. La trompette, en fait, c'est très mécanique. Donc plus la trompette va jouer, plus le piston va s'abîmer. Donc du coup, le son va un petit peu se détériorer au bout de quelques années. Et donc j'ai repris une trompette à un collectionneur. On a beaucoup échangé sur ce fameux Alfred Aubertin, un luthier qui était lui à Aubervilliers justement. Et j'ai repris une de ces trompettes et je l'ai complètement disséquée, démontée complètement, repris toutes les mesures. Et je me suis dit je veux reprendre une trompette comme ça.

  • Arnaud Montebourg

    C'est pour ça que votre trompette française renaissante, elle s'appelle la trompette Alfred.

  • Adrien Jaminet

    Voilà, exactement.

  • Arnaud Montebourg

    C'est unnhommage à Alfred Aubertin, luthier à Aubervilliers.

  • Adrien Jaminet

    Complètement.

  • Arnaud Montebourg

    Au siècle précédent.

  • Adrien Jaminet

    Avec tout ce bagage-là, cette histoire-là, je me suis dit, il faut que je refasse une trompette. On a réfléchi, on a fait une trompette, on avait une manière très précise, on savait où on voulait aller. Je me suis entouré de grands musiciens avec lesquels je travaille, des musiciens de l'Opéra de Paris, et aussi un musicien qui jouait ce type de trompette qui s'appelle David Guerrier, et Marc Gueujon, qui est aussi à l'Opéra de Paris, m'ont aidé à recréer cet instrument-là. Et c'est vrai que tout de suite, on a retrouvé un son, enfin, nous, on a découvert un son qu'on imaginait, qu'on avait dans un fantasme de ce son-là, on l'imaginait, mais on ne l'avait jamais entendu. Et alors, c'était un peu une force pour nous, parce que post-confinement, comme je disais, l'activité culturelle était complètement arrêtée. Et l'Orchestre Philharmonique de Radio France nous a sollicités pour jouer nos trompettes dans une œuvre de Henri Tomasi, Voilà une œuvre de Tomasi qui passe à la radio sur mes trompettes. Moi, j'étais dans la salle, j'avais une autorisation. Alors pour moi, c'est une émotion toute particulière parce que d'entendre ces instruments que l'on a pensés, conçus, résonner au sein d'une si belle salle qu'est l'Auditorium de Radio France, c'était assez émouvant. Et puis la radiodiffusion nous a énormément aider parce que tous les orchestres de France nous ont dit "Mais c'est quoi ce son ? C'est fantastique, on veut essayer, on veut essayer". Et alors du coup, de là on a commencer à avoir plein de commandes, et puis j'ai eu un appel très très émouvant à ce moment-là. Parce que quand je l'avais interviewé, M. Delmotte, il m'a dit plein de choses, mais il ne comprenait pas exactement où je voulais aller. Et suite à cette première radiodiffusion, il m'a appelé, il m'a dit : "Félicitations, je viens d'entendre un son que je n'ai pas entendu depuis 70 ans." Alors là, c'était la chose la plus émouvante, parce que lui, il n'avait pas écouté ce son depuis 70 ans, mais des gens de mon âge ne l'avaient jamais écouté. Donc je me suis dit, c'est un patrimoine retrouvé. Et c'est là qu'est né vraiment l'ambition vraiment de relancer, de donner un nouveau souffle au cuivre à la française.

  • Elia

    Ce son espiègle de la trompette française, Adrien Jaminet nous l'offre en partage. L'idée de la trompette à la française, c'est aussi relocaliser la production de ces instruments en France, pour faire des métiers de main, les futurs emplois de demain.

  • Adrien Jaminet

    On s'est fixé des règles, et donc tous les éléments de notre trompette, ils proviennent de 800 km autour de notre atelier de Brétigny-sur-Orge, avec même un acteur un peu plus local, puisqu'il s'agit d'un atelier d'usinage qui est à 200 m à vol d'oiseau, et qui nous permet de fabriquer une grande partie de nos éléments de la trompette. Donc c'était aussi relancer toute une chaîne de fabrication, parce que comme je disais, il y avait des milliers d'emplois au début du XXe siècle, mais quand on rentre un peu dans ce cheminement-là, de se dire, mais où sont tous les accessoires ? Les housses, comment c'était fait ? Les housses, nous, nos housses, elles sont faites également par une marque française. C'était vraiment se poser les questions de comment c'est fait, pourquoi c'est fait, et quelque chose qui est très très rigolo, c'est une histoire que j'adore raconter, c'est que comme je vous disais, les leaders historiques... sont américains. Et donc, quand j'ai eu les premiers éléments de mes trompettes, j'ai commencé à les assembler dans mon atelier avec plein de pièces de bric et de broc. Alors, j'avais mes éléments centraux, que sont le bloc piston, le pavillon et la branche que j'avais fabriquée. Donc, du coup, je les ai assemblées, mais pour les assembler, il faut plein de petites pièces. Donc, du coup, comme au départ, c'était du prototypage, j'ai pris des choses que j'avais sous la main. Il y a une marque américaine qui est faite à Chicago, dont j'aimais bien les pièces, j'aimais bien le design, je trouvais les pièces bien pensées. Et donc du coup, j'avais ces pièces-là en stock, je les ai prises. Comme je disais, suite à ces vidéos que j'avais consommées, je me suis posé la question, mais ces pièces-là, elles viennent d'où ? Les pièces que j'avais, je les avais commandées à Chicago, chez le fabricant. Et en fait, j'ai découvert que ces pièces-là, elles étaient fabriquées à 250 km, et que j'achète des pièces à Chicago qui étaient fabriquées à côté de Troyes. Et donc du coup, c'était une grande découverte pour moi de savoir que finalement, l'industrie que je pensais morte, elle n'était pas si morte que ça et qu'il fallait peut-être relancer cette activité et faire parler de cette industrie.

  • Elia

    Le modèle Alfred a attiré à Adrien Jaminet d'autres collaborations qui repoussent sans cesse les frontières du possible.

  • Adrien Jaminet

    Quand j'ai par la suite fait découvert ces instruments-là, il y a quelqu'un, qui est aussi essonien comme moi, avec qui je travaillais, qui s'appelle Ibrahim Maalouf, aujourd'hui qui fait les plus grandes scènes de France, du monde même, était intéressé par ces petites trompettes françaises parce que c'est vrai qu'il est connu pour sa musique, mais au départ c'est un grand grand musicien de musique classique. Et pour la petite histoire, sa grand-mère, elle habitait dans la rue, en fait. Et donc, du coup, Ibrahim a trouvé cette trompette fantastique. Elle me dit : " Mais attends, si la trompette, elle est fantastique, il faut qu'on en fasse une tous les deux. Il faut que tu me refasses une trompette." Et Ibrahim, son papa, Nassim Maalouf, qui était un élève de Maurice André, déjà, avait travaillé avec la maison Selmer pour créer un système particulier qui est le quart de ton. Donc, le quart de ton, son papa l'avait imaginé pour jouer la musique arabe. Et donc Ibrahim, c'est ce qu'il joue et c'est ce qui fait la particularité du son d'Ibrahim avec cette couleur un petit peu occidentale. Et donc du coup, on a travaillé pendant très longtemps.

  • Arnaud Montebourg

    On rajoute un piston.

  • Adrien Jaminet

    On rajoute un piston. Alors, cette trompette-là, elle n'a rien en moins. C'est-à-dire qu'elle a juste quelque chose en plus. Quand on actionne, on a un quart de ton. Pour les gens qui ne sont pas musiciens, si vous voyez le piano, il y a des touches noires et des touches blanches. C'est comme si on mettait une... C'est comme si on doublait les touches. Il y avait des touches entre les touches pour faire cette couleur-là. Et donc, quand on a commencé le parcours avec Ibrahim, c'était vraiment passionnant parce que pour le coup, lui, il était guidé par ses sensations. Il savait où il voulait aller, mais il ne savait pas forcément les définir. Donc ça a été un travail très, très, très long de comprendre, parce que définir ses sensations, c'est jamais évident. Puis en plus de ça, quand on est luthier, nous on prolonge le geste et qu'on essaie de comprendre, il faut vraiment s'accorder. Ça a été un travail de longue haleine. Et en fait, quand on a commencé ce travail-là, il avait un concert à Bercy qui était prévu. Et j'avais fait le pari avec moi-même qu'il la joue à Bercy. C'était une espèce de défi. Puis je voyais ce concert qui arrivait, puis on n'avait pas fini. Et une fois de plus, le Covid m'a aidé, puisque le concert devait être en décembre. Et il a été reporté en mars et on a fini en janvier 2021, il me semble. Non, de 22. Et il joue cette trompette-là depuis... C'est aussi une fierté, parce que je vous ai tout à l'heure parlé de Roger Delmotte, et c'est quelqu'un qu'il connaissait de loin, et Ibrahim a été bercé par Maurice André, le Dieu de la trompette, qui était professeur de son papa. Et il a voulu, l'an passé, en novembre dernier, refaire le concours Maurice André, qui était un concours de la Ville de Paris qui avait disparu. Et donc il l'a refait, financé lui-même. Et il lui fallait un président de jury, mais quelqu'un d'une aura internationale. Et il me dit, mais tu... Il cherchait, il cherchait, mais je dis mais... J'ai la personne, Roger Delmotte, légende de la trompette française. Et Monsieur Roger Delmotte a été jury et président du jury à l'âge de, l'an passé, il avait 97 ans, de ce concours. Et il était déjà jury au premier concours qu'il y avait eu dans les années 70. Donc c'était un espèce de recommencement. Et puis j'étais très content de pouvoir mettre en relation ces deux grands trompettistes. Donc c'est vrai que nous, je dis souvent, en fait, à travers tout ce travail, ça permet aussi de connecter la communauté des trompettistes français, et même de manière mondiale, parce que, comme je le disais, même les Américains s'intéressent beaucoup à ce qu'on fait, parce qu'ils savent que leur histoire trouve ses racines en France.

  • Elia

    Le musicien et l'artisan de Bretigny-sur-Orge fédère avec succès toutes ces parties prenantes pour réussir sa mission, transmettre ces savoirs et ce savoir-faire français.

  • Adrien Jaminet

    Alors c'est sûr, moi je vous ai raconté un peu mon amour pour cette musique-là, cette histoire-là, mais c'est vrai qu'il y a une grande mission d'évangélisation, c'est-à-dire que moi cette histoire je la connais, mais il faut la faire connaître parce que les gens l'avaient oubliée cette histoire-là. Donc moi je passe mon temps à aller voir des musiciens d'orchestre, aller leur expliquer ce que c'était la trompette française, comment ces pièces ont été créées, puis leur faire tester, parce qu'aujourd'hui le retour d'expérience que j'ai c'est que... Certes, ça marche bien dans la musique française, mais pas que. C'est-à-dire que dans plein d'ensembles un peu plus petits, type orchestre de chambre, c'est vrai que ce son très brillant, très timbré, c'est un mot qu'on utilise, convient parfaitement. J'ai créé mon podcast qui s'appelle Cuivre à la française, où je vais voir des anciens, où on renoue avec cette tradition de l'oralité, de la transmission, mais on marque ça, on enregistre ça, et on pourra l'écouter dans 50 ans, et je trouve ça intéressant.

  • Elia

    Parmi ces petites histoires qui font la trompette française, une en dit plus long que d'autres, et raconte aussi pourquoi l'industrie des instruments à cuivre français s'est effondrée pendant la guerre. C'est celle de Marcel Caens, grand trompettiste.

  • Adrien Jaminet

    Après-guerre, il fallait qu'il achète une trompette. Et à l'époque, tout le monde achetait des fameuses Alfred Aubertin. Donc il voulait une Alfred Aubertin, sauf qu'il n'y en avait plus. Pourquoi ? Alfred Aubertin, il était là, dans son atelier. Sauf que pendant la Seconde Guerre mondiale, le laiton, ça servait à faire autre chose que des trompettes. Et donc du coup, pour pouvoir faire sa trompette, il est allé avec un sac d'obus vide pour faire refondre et faire une trompette. Je trouvais ça incroyable.

  • Elia

    Arnaud Montebourg, dont le rapport sur le made in France a inspiré la vision d'une trompette française, explique en quoi Adrien Jaminet est un Vrai Souverain.

  • Arnaud Montebourg

    L'exhumation du passé, la remise à l'ordre du jour de techniques qui avaient été ensevelies par l'économie et la renaissance d'une technique, d'une fabrique et d'un usage qui est porteur et vecteur de puissance culturelle,

  • Adrien Jaminet

    en gros.

  • Arnaud Montebourg

    Donc ce qu'a fait Adrien Jaminet va le mener très loin et il va être un de nos ambassadeurs culturels par l'économie, par le travail, par la facture d'instruments de la France.

  • Elia

    Les trompettes Jaminet résonnent déjà au défilé du 14 juillet sur les Champs-Elysées, dans les salles de concert les plus grandes, comme les plus petites, et dans les orchestres les plus prestigieux. Mais Adrien Jaminet ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Il prévoit de conquérir le monde en sortant de ses ateliers un nouveau modèle de cuivre à la française chaque année, pour que résonne, de génération en génération, le son retrouvé de la trompette française.

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Description

Le trompettiste Adrien Jaminet a pris la voie de l'artisanat afin de réaliser son rêve : recréer l'excellence française dans la fabrication d'instruments à cuivre. Parvenu à retrouver le son disparu de la trompette française, il milite pour faire des métiers de main les emplois de demain sur nos territoires. Il raconte son aventure à Arnaud Montebourg depuis son atelier des cuivres de Brétigny-sur-Orge.

 

Co-réalisé par Renaud Duguet et Maxime Verner. 

Voix off : Elia.

Générique : Guillaume Bérat.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Arnaud Montebourg

    Bonjour les Vrais Souverains, je suis Arnaud Montebourg et j'approuve ce podcast. J'ai créé il y a quelques années les Équipes du Made in France qui contribuent à construire, reconstruire la nouvelle agriculture et la nouvelle industrie de notre pays. On le fait modestement, mais on le fait concrètement. Et je vous emmène à la rencontre des Vrais Souverains, celles et ceux qui se battent au quotidien pour que la France redevienne ce grand pays inspirant que nous aimons tant et où nous voulons vivre longtemps.

  • Elia

    À 33 ans, Adrien Jaminet est resté fidèle à sa ville natale de Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne. Sur le chemin de son atelier de cuivre, il raconte à Arnaud Montebourg comment l'amour de la trompette l'a mené d'abord à l'artisanat comme luthier, puis à l'entrepreneuriat dans une industrie des instruments à cuivre où la France excellait jadis, avant que des milliers d'emplois ne disparaissent, après la Seconde Guerre Mondiale.

  • Adrien Jaminet

    Mon papa était musicien amateur et jouait de la musique. J'ai commencé la trompette ici à Bretigny-sur-Ange, dans l'école de musique qui est également un peu plus loin. Je me suis pris d'amour et de passion pour cet instrument qu'est la trompette. J'ai voulu en faire mon métier. J'ai fait le conservatoire, après à Boulogne et puis à notre conservatoire. Et puis parallèlement à ça, en troisième, j'ai découvert un métier que j'ignorais, qui est la lutherie. C'est-à-dire au départ de réparer des instruments de musique, et tout particulièrement des cuivres. et donc de fil en aiguille j'ai commencé à apprendre et à réparer mes trompettes, celles de mes amis et donc du coup mon activité entrepreneuriale si je puis dire, elle a commencé en haut de la ville, dans le sous-sol de chez mes parents, sans me douter où ça allait me mener et c'est vrai qu'au bout de quelques mois j'étais auto-entrepreneur et les plus grands trompettistes venaient chez moi, des gens que j'avais en affiche quelques étages plus haut venaient dans le sous-sol donc c'était assez... perturbant. L'activité a commencé comme ça. Puis, ça s'est développé ensuite de la réparation vers la vente et puis vers la fabrication. On va en parler. On va rentrer dans l'atelier pour...

  • Arnaud Montebourg

    Alors là, il y a deux activités. Adrien répare, Adrien fabrique. Complètement. Alors, Adrien répare, c'est la moitié, c'est les trois quarts. Adrien fabrique, c'est combien ?

  • Adrien Jaminet

    C'est même en réalité trois activités. En fait, au départ, c'est un tiers réparation, c'est notre métier historique. Un tiers. Un tiers. Et quand on s'est installé, enfin, quand je me suis installé, je me suis dit, c'est vrai qu'au départ, j'étais tout seul, sans le sous-sol de chez mes parents. J'étais le seul en France à être ultra spécialisé dans les cuivres. C'est-à-dire que mes concurrents, en fait... Je disais que tous ces emplois qui étaient des milliers au début du XXe siècle ont disparu. En revanche, il y a une grosse industrie des bois, clarinette, saxophone... En France, on est encore leader mondial. On a encore deux entreprises françaises qui sont Buffet Crampon et Selmer. Ces deux qui sont d'ailleurs dans la même rue, à Mantes-la-Jolie, un autre bastion du bassin parisien, qui sont leaders. Et donc, du coup, en cuivre, ça avait disparu. Et donc, j'étais le seul. Donc, de la réparation, en fait, j'ai eu besoin de pièces détachées. Et donc, du coup, j'ai commencé à faire de la vente et vendre tous les instruments de la famille des cuivres, et particulièrement la trompette, qui est mon instrument et celui évidemment que je préfère.

  • Arnaud Montebourg

    Et que tu pratiques.

  • Adrien Jaminet

    Et que je pratique, évidemment, parce que j'ai eu la chance sur la partie conservatoire d'être dans une génération un peu bénie. J'étais au conservatoire de Boulogne-Biancourt avec un Monsieur qui s'appelait Frédéric Presle. Et c'est vrai que mes copains de conservatoire, on avait tous entre 15 et 18 ans, aujourd'hui mes copains avec qui on a usé nos fonds de culotte au conservatoire de Boulogne, il y a le trompette solo de l'Opéra de Paris, le trompette solo de Bordeaux, le trompette solo du Capitole de Toulouse et c'est vrai qu'on a grandi ensemble et ça nous a créé un petit groupe pour recréer finalement un nouveau souffle à la trompette française

  • Elia

    Dans l'atelier des cuivres de Bretigny, Adrien Jaminet s'est alors lancé dans une troisième activité, la fabrication de trompettes.

  • Adrien Jaminet

    Nous, on s'est retrouvés pendant le confinement. Moi, j'habite au-dessus, là, on entend de la trompette, c'est mon épouse qui fait de la trompette. J'habite au-dessus et pendant le confinement, je me suis retrouvé, on était devenus non-essentiels. Et moi, l'activité avait complètement arrêtée et je me suis dit, bon, je ne savais pas quoi faire. Et je trouvais ça très dommage parce que je réparais tout un tas d'instruments, j'en vendais, mais j'avais... Vous avez observé qu'il y avait une histoire très très forte de la trompette en France, mais il n'y avait plus aucun fabricant.

  • Arnaud Montebourg

    Pourquoi ? Tout avait été...

  • Adrien Jaminet

    Pour plein de raisons, mais la raison...

  • Arnaud Montebourg

    Délocalisée aux Etats-Unis. Les Américains ont pris la trompette en fait.

  • Adrien Jaminet

    Ils ont pris la trompette. Au départ, ils l'ont fait avec des Français. C'est-à-dire qu'après la Première Guerre Mondiale, de super musiciens, justement encore une fois la Guerre républicaine, sont allés dans un orchestre, celui de Boston, et l'école américaine de trompette a été créée avec des Français. D'abord avec l'orchestre de Boston et puis en fait a rayonné un peu partout dans le monde. Et donc du coup, les fabricants de l'époque ont pris, se sont entourés d'une part de luthiers français, mais aussi de musiciens français pour constituer leur industrie. Et puis petit à petit, ils ont pris le pas et ça a pris vraiment son essor après la Seconde Guerre Mondiale.

  • Arnaud Montebourg

    Donc toutes les usines, les ateliers parisiens, il y a eu des milliers d'emplois qui fabriquaient des cuivres.

  • Adrien Jaminet

    Ils ont disparu petit à petit après la Seconde Guerre Mondiale, pour plein de raisons aussi. Par exemple, ce qui a aussi construit ce projet, c'est que je me suis dit, bon alors, moi je suis passionné d'histoire, il faut qu'on me raconte cette histoire-là. Il y a une grande tradition orale. Quand on apprend la trompette, il y a évidemment quelques méthodes, mais il y a une grande tradition orale et il y a assez peu d'écrits. Et donc du coup, il y a une mémoire vivante de la trompette française, il s'appelle Roger Delmotte. Et en fait, d'échanger avec lui, je me suis rendu compte qu'il y avait un type de trompette qui avait complètement disparu. Parce que, par exemple, lui, il était ensuite rentré à l'Opéra de Paris, trompette supersoliste à l'Opéra de Paris, et en fait, c'est vrai que les chefs, après la Guerre, avec la mondialisation, ils ont commencé à aller un petit peu partout, et ils voulaient un petit peu partout le même son. Et la typicité qui faisait un peu ce que chaque pays avait un son particulier a disparu et alors pour parler de la trompette française, les caractéristiques c'était qu'il y avait un tout petit pavillon, après c'est un peu technique, la paire était toute petite mais donc du coup c'était un son vraiment signature, très brillant. Alors définir un son c'est toujours très compliqué, parce que définir un son c'est un peu définir une couleur donc c'est très subjectif mais si on doit le caractériser c'est très brillant. Ça a beaucoup d'allure, c'est champagne un petit peu. Et ce son avait disparu. La trompette, ce n'est pas comme le violon. C'est-à-dire que les violons, ça se bonifiait. C'est comme le vin, ça se bonifie. La trompette, en fait, c'est très mécanique. Donc plus la trompette va jouer, plus le piston va s'abîmer. Donc du coup, le son va un petit peu se détériorer au bout de quelques années. Et donc j'ai repris une trompette à un collectionneur. On a beaucoup échangé sur ce fameux Alfred Aubertin, un luthier qui était lui à Aubervilliers justement. Et j'ai repris une de ces trompettes et je l'ai complètement disséquée, démontée complètement, repris toutes les mesures. Et je me suis dit je veux reprendre une trompette comme ça.

  • Arnaud Montebourg

    C'est pour ça que votre trompette française renaissante, elle s'appelle la trompette Alfred.

  • Adrien Jaminet

    Voilà, exactement.

  • Arnaud Montebourg

    C'est unnhommage à Alfred Aubertin, luthier à Aubervilliers.

  • Adrien Jaminet

    Complètement.

  • Arnaud Montebourg

    Au siècle précédent.

  • Adrien Jaminet

    Avec tout ce bagage-là, cette histoire-là, je me suis dit, il faut que je refasse une trompette. On a réfléchi, on a fait une trompette, on avait une manière très précise, on savait où on voulait aller. Je me suis entouré de grands musiciens avec lesquels je travaille, des musiciens de l'Opéra de Paris, et aussi un musicien qui jouait ce type de trompette qui s'appelle David Guerrier, et Marc Gueujon, qui est aussi à l'Opéra de Paris, m'ont aidé à recréer cet instrument-là. Et c'est vrai que tout de suite, on a retrouvé un son, enfin, nous, on a découvert un son qu'on imaginait, qu'on avait dans un fantasme de ce son-là, on l'imaginait, mais on ne l'avait jamais entendu. Et alors, c'était un peu une force pour nous, parce que post-confinement, comme je disais, l'activité culturelle était complètement arrêtée. Et l'Orchestre Philharmonique de Radio France nous a sollicités pour jouer nos trompettes dans une œuvre de Henri Tomasi, Voilà une œuvre de Tomasi qui passe à la radio sur mes trompettes. Moi, j'étais dans la salle, j'avais une autorisation. Alors pour moi, c'est une émotion toute particulière parce que d'entendre ces instruments que l'on a pensés, conçus, résonner au sein d'une si belle salle qu'est l'Auditorium de Radio France, c'était assez émouvant. Et puis la radiodiffusion nous a énormément aider parce que tous les orchestres de France nous ont dit "Mais c'est quoi ce son ? C'est fantastique, on veut essayer, on veut essayer". Et alors du coup, de là on a commencer à avoir plein de commandes, et puis j'ai eu un appel très très émouvant à ce moment-là. Parce que quand je l'avais interviewé, M. Delmotte, il m'a dit plein de choses, mais il ne comprenait pas exactement où je voulais aller. Et suite à cette première radiodiffusion, il m'a appelé, il m'a dit : "Félicitations, je viens d'entendre un son que je n'ai pas entendu depuis 70 ans." Alors là, c'était la chose la plus émouvante, parce que lui, il n'avait pas écouté ce son depuis 70 ans, mais des gens de mon âge ne l'avaient jamais écouté. Donc je me suis dit, c'est un patrimoine retrouvé. Et c'est là qu'est né vraiment l'ambition vraiment de relancer, de donner un nouveau souffle au cuivre à la française.

  • Elia

    Ce son espiègle de la trompette française, Adrien Jaminet nous l'offre en partage. L'idée de la trompette à la française, c'est aussi relocaliser la production de ces instruments en France, pour faire des métiers de main, les futurs emplois de demain.

  • Adrien Jaminet

    On s'est fixé des règles, et donc tous les éléments de notre trompette, ils proviennent de 800 km autour de notre atelier de Brétigny-sur-Orge, avec même un acteur un peu plus local, puisqu'il s'agit d'un atelier d'usinage qui est à 200 m à vol d'oiseau, et qui nous permet de fabriquer une grande partie de nos éléments de la trompette. Donc c'était aussi relancer toute une chaîne de fabrication, parce que comme je disais, il y avait des milliers d'emplois au début du XXe siècle, mais quand on rentre un peu dans ce cheminement-là, de se dire, mais où sont tous les accessoires ? Les housses, comment c'était fait ? Les housses, nous, nos housses, elles sont faites également par une marque française. C'était vraiment se poser les questions de comment c'est fait, pourquoi c'est fait, et quelque chose qui est très très rigolo, c'est une histoire que j'adore raconter, c'est que comme je vous disais, les leaders historiques... sont américains. Et donc, quand j'ai eu les premiers éléments de mes trompettes, j'ai commencé à les assembler dans mon atelier avec plein de pièces de bric et de broc. Alors, j'avais mes éléments centraux, que sont le bloc piston, le pavillon et la branche que j'avais fabriquée. Donc, du coup, je les ai assemblées, mais pour les assembler, il faut plein de petites pièces. Donc, du coup, comme au départ, c'était du prototypage, j'ai pris des choses que j'avais sous la main. Il y a une marque américaine qui est faite à Chicago, dont j'aimais bien les pièces, j'aimais bien le design, je trouvais les pièces bien pensées. Et donc du coup, j'avais ces pièces-là en stock, je les ai prises. Comme je disais, suite à ces vidéos que j'avais consommées, je me suis posé la question, mais ces pièces-là, elles viennent d'où ? Les pièces que j'avais, je les avais commandées à Chicago, chez le fabricant. Et en fait, j'ai découvert que ces pièces-là, elles étaient fabriquées à 250 km, et que j'achète des pièces à Chicago qui étaient fabriquées à côté de Troyes. Et donc du coup, c'était une grande découverte pour moi de savoir que finalement, l'industrie que je pensais morte, elle n'était pas si morte que ça et qu'il fallait peut-être relancer cette activité et faire parler de cette industrie.

  • Elia

    Le modèle Alfred a attiré à Adrien Jaminet d'autres collaborations qui repoussent sans cesse les frontières du possible.

  • Adrien Jaminet

    Quand j'ai par la suite fait découvert ces instruments-là, il y a quelqu'un, qui est aussi essonien comme moi, avec qui je travaillais, qui s'appelle Ibrahim Maalouf, aujourd'hui qui fait les plus grandes scènes de France, du monde même, était intéressé par ces petites trompettes françaises parce que c'est vrai qu'il est connu pour sa musique, mais au départ c'est un grand grand musicien de musique classique. Et pour la petite histoire, sa grand-mère, elle habitait dans la rue, en fait. Et donc, du coup, Ibrahim a trouvé cette trompette fantastique. Elle me dit : " Mais attends, si la trompette, elle est fantastique, il faut qu'on en fasse une tous les deux. Il faut que tu me refasses une trompette." Et Ibrahim, son papa, Nassim Maalouf, qui était un élève de Maurice André, déjà, avait travaillé avec la maison Selmer pour créer un système particulier qui est le quart de ton. Donc, le quart de ton, son papa l'avait imaginé pour jouer la musique arabe. Et donc Ibrahim, c'est ce qu'il joue et c'est ce qui fait la particularité du son d'Ibrahim avec cette couleur un petit peu occidentale. Et donc du coup, on a travaillé pendant très longtemps.

  • Arnaud Montebourg

    On rajoute un piston.

  • Adrien Jaminet

    On rajoute un piston. Alors, cette trompette-là, elle n'a rien en moins. C'est-à-dire qu'elle a juste quelque chose en plus. Quand on actionne, on a un quart de ton. Pour les gens qui ne sont pas musiciens, si vous voyez le piano, il y a des touches noires et des touches blanches. C'est comme si on mettait une... C'est comme si on doublait les touches. Il y avait des touches entre les touches pour faire cette couleur-là. Et donc, quand on a commencé le parcours avec Ibrahim, c'était vraiment passionnant parce que pour le coup, lui, il était guidé par ses sensations. Il savait où il voulait aller, mais il ne savait pas forcément les définir. Donc ça a été un travail très, très, très long de comprendre, parce que définir ses sensations, c'est jamais évident. Puis en plus de ça, quand on est luthier, nous on prolonge le geste et qu'on essaie de comprendre, il faut vraiment s'accorder. Ça a été un travail de longue haleine. Et en fait, quand on a commencé ce travail-là, il avait un concert à Bercy qui était prévu. Et j'avais fait le pari avec moi-même qu'il la joue à Bercy. C'était une espèce de défi. Puis je voyais ce concert qui arrivait, puis on n'avait pas fini. Et une fois de plus, le Covid m'a aidé, puisque le concert devait être en décembre. Et il a été reporté en mars et on a fini en janvier 2021, il me semble. Non, de 22. Et il joue cette trompette-là depuis... C'est aussi une fierté, parce que je vous ai tout à l'heure parlé de Roger Delmotte, et c'est quelqu'un qu'il connaissait de loin, et Ibrahim a été bercé par Maurice André, le Dieu de la trompette, qui était professeur de son papa. Et il a voulu, l'an passé, en novembre dernier, refaire le concours Maurice André, qui était un concours de la Ville de Paris qui avait disparu. Et donc il l'a refait, financé lui-même. Et il lui fallait un président de jury, mais quelqu'un d'une aura internationale. Et il me dit, mais tu... Il cherchait, il cherchait, mais je dis mais... J'ai la personne, Roger Delmotte, légende de la trompette française. Et Monsieur Roger Delmotte a été jury et président du jury à l'âge de, l'an passé, il avait 97 ans, de ce concours. Et il était déjà jury au premier concours qu'il y avait eu dans les années 70. Donc c'était un espèce de recommencement. Et puis j'étais très content de pouvoir mettre en relation ces deux grands trompettistes. Donc c'est vrai que nous, je dis souvent, en fait, à travers tout ce travail, ça permet aussi de connecter la communauté des trompettistes français, et même de manière mondiale, parce que, comme je le disais, même les Américains s'intéressent beaucoup à ce qu'on fait, parce qu'ils savent que leur histoire trouve ses racines en France.

  • Elia

    Le musicien et l'artisan de Bretigny-sur-Orge fédère avec succès toutes ces parties prenantes pour réussir sa mission, transmettre ces savoirs et ce savoir-faire français.

  • Adrien Jaminet

    Alors c'est sûr, moi je vous ai raconté un peu mon amour pour cette musique-là, cette histoire-là, mais c'est vrai qu'il y a une grande mission d'évangélisation, c'est-à-dire que moi cette histoire je la connais, mais il faut la faire connaître parce que les gens l'avaient oubliée cette histoire-là. Donc moi je passe mon temps à aller voir des musiciens d'orchestre, aller leur expliquer ce que c'était la trompette française, comment ces pièces ont été créées, puis leur faire tester, parce qu'aujourd'hui le retour d'expérience que j'ai c'est que... Certes, ça marche bien dans la musique française, mais pas que. C'est-à-dire que dans plein d'ensembles un peu plus petits, type orchestre de chambre, c'est vrai que ce son très brillant, très timbré, c'est un mot qu'on utilise, convient parfaitement. J'ai créé mon podcast qui s'appelle Cuivre à la française, où je vais voir des anciens, où on renoue avec cette tradition de l'oralité, de la transmission, mais on marque ça, on enregistre ça, et on pourra l'écouter dans 50 ans, et je trouve ça intéressant.

  • Elia

    Parmi ces petites histoires qui font la trompette française, une en dit plus long que d'autres, et raconte aussi pourquoi l'industrie des instruments à cuivre français s'est effondrée pendant la guerre. C'est celle de Marcel Caens, grand trompettiste.

  • Adrien Jaminet

    Après-guerre, il fallait qu'il achète une trompette. Et à l'époque, tout le monde achetait des fameuses Alfred Aubertin. Donc il voulait une Alfred Aubertin, sauf qu'il n'y en avait plus. Pourquoi ? Alfred Aubertin, il était là, dans son atelier. Sauf que pendant la Seconde Guerre mondiale, le laiton, ça servait à faire autre chose que des trompettes. Et donc du coup, pour pouvoir faire sa trompette, il est allé avec un sac d'obus vide pour faire refondre et faire une trompette. Je trouvais ça incroyable.

  • Elia

    Arnaud Montebourg, dont le rapport sur le made in France a inspiré la vision d'une trompette française, explique en quoi Adrien Jaminet est un Vrai Souverain.

  • Arnaud Montebourg

    L'exhumation du passé, la remise à l'ordre du jour de techniques qui avaient été ensevelies par l'économie et la renaissance d'une technique, d'une fabrique et d'un usage qui est porteur et vecteur de puissance culturelle,

  • Adrien Jaminet

    en gros.

  • Arnaud Montebourg

    Donc ce qu'a fait Adrien Jaminet va le mener très loin et il va être un de nos ambassadeurs culturels par l'économie, par le travail, par la facture d'instruments de la France.

  • Elia

    Les trompettes Jaminet résonnent déjà au défilé du 14 juillet sur les Champs-Elysées, dans les salles de concert les plus grandes, comme les plus petites, et dans les orchestres les plus prestigieux. Mais Adrien Jaminet ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Il prévoit de conquérir le monde en sortant de ses ateliers un nouveau modèle de cuivre à la française chaque année, pour que résonne, de génération en génération, le son retrouvé de la trompette française.

Description

Le trompettiste Adrien Jaminet a pris la voie de l'artisanat afin de réaliser son rêve : recréer l'excellence française dans la fabrication d'instruments à cuivre. Parvenu à retrouver le son disparu de la trompette française, il milite pour faire des métiers de main les emplois de demain sur nos territoires. Il raconte son aventure à Arnaud Montebourg depuis son atelier des cuivres de Brétigny-sur-Orge.

 

Co-réalisé par Renaud Duguet et Maxime Verner. 

Voix off : Elia.

Générique : Guillaume Bérat.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Arnaud Montebourg

    Bonjour les Vrais Souverains, je suis Arnaud Montebourg et j'approuve ce podcast. J'ai créé il y a quelques années les Équipes du Made in France qui contribuent à construire, reconstruire la nouvelle agriculture et la nouvelle industrie de notre pays. On le fait modestement, mais on le fait concrètement. Et je vous emmène à la rencontre des Vrais Souverains, celles et ceux qui se battent au quotidien pour que la France redevienne ce grand pays inspirant que nous aimons tant et où nous voulons vivre longtemps.

  • Elia

    À 33 ans, Adrien Jaminet est resté fidèle à sa ville natale de Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne. Sur le chemin de son atelier de cuivre, il raconte à Arnaud Montebourg comment l'amour de la trompette l'a mené d'abord à l'artisanat comme luthier, puis à l'entrepreneuriat dans une industrie des instruments à cuivre où la France excellait jadis, avant que des milliers d'emplois ne disparaissent, après la Seconde Guerre Mondiale.

  • Adrien Jaminet

    Mon papa était musicien amateur et jouait de la musique. J'ai commencé la trompette ici à Bretigny-sur-Ange, dans l'école de musique qui est également un peu plus loin. Je me suis pris d'amour et de passion pour cet instrument qu'est la trompette. J'ai voulu en faire mon métier. J'ai fait le conservatoire, après à Boulogne et puis à notre conservatoire. Et puis parallèlement à ça, en troisième, j'ai découvert un métier que j'ignorais, qui est la lutherie. C'est-à-dire au départ de réparer des instruments de musique, et tout particulièrement des cuivres. et donc de fil en aiguille j'ai commencé à apprendre et à réparer mes trompettes, celles de mes amis et donc du coup mon activité entrepreneuriale si je puis dire, elle a commencé en haut de la ville, dans le sous-sol de chez mes parents, sans me douter où ça allait me mener et c'est vrai qu'au bout de quelques mois j'étais auto-entrepreneur et les plus grands trompettistes venaient chez moi, des gens que j'avais en affiche quelques étages plus haut venaient dans le sous-sol donc c'était assez... perturbant. L'activité a commencé comme ça. Puis, ça s'est développé ensuite de la réparation vers la vente et puis vers la fabrication. On va en parler. On va rentrer dans l'atelier pour...

  • Arnaud Montebourg

    Alors là, il y a deux activités. Adrien répare, Adrien fabrique. Complètement. Alors, Adrien répare, c'est la moitié, c'est les trois quarts. Adrien fabrique, c'est combien ?

  • Adrien Jaminet

    C'est même en réalité trois activités. En fait, au départ, c'est un tiers réparation, c'est notre métier historique. Un tiers. Un tiers. Et quand on s'est installé, enfin, quand je me suis installé, je me suis dit, c'est vrai qu'au départ, j'étais tout seul, sans le sous-sol de chez mes parents. J'étais le seul en France à être ultra spécialisé dans les cuivres. C'est-à-dire que mes concurrents, en fait... Je disais que tous ces emplois qui étaient des milliers au début du XXe siècle ont disparu. En revanche, il y a une grosse industrie des bois, clarinette, saxophone... En France, on est encore leader mondial. On a encore deux entreprises françaises qui sont Buffet Crampon et Selmer. Ces deux qui sont d'ailleurs dans la même rue, à Mantes-la-Jolie, un autre bastion du bassin parisien, qui sont leaders. Et donc, du coup, en cuivre, ça avait disparu. Et donc, j'étais le seul. Donc, de la réparation, en fait, j'ai eu besoin de pièces détachées. Et donc, du coup, j'ai commencé à faire de la vente et vendre tous les instruments de la famille des cuivres, et particulièrement la trompette, qui est mon instrument et celui évidemment que je préfère.

  • Arnaud Montebourg

    Et que tu pratiques.

  • Adrien Jaminet

    Et que je pratique, évidemment, parce que j'ai eu la chance sur la partie conservatoire d'être dans une génération un peu bénie. J'étais au conservatoire de Boulogne-Biancourt avec un Monsieur qui s'appelait Frédéric Presle. Et c'est vrai que mes copains de conservatoire, on avait tous entre 15 et 18 ans, aujourd'hui mes copains avec qui on a usé nos fonds de culotte au conservatoire de Boulogne, il y a le trompette solo de l'Opéra de Paris, le trompette solo de Bordeaux, le trompette solo du Capitole de Toulouse et c'est vrai qu'on a grandi ensemble et ça nous a créé un petit groupe pour recréer finalement un nouveau souffle à la trompette française

  • Elia

    Dans l'atelier des cuivres de Bretigny, Adrien Jaminet s'est alors lancé dans une troisième activité, la fabrication de trompettes.

  • Adrien Jaminet

    Nous, on s'est retrouvés pendant le confinement. Moi, j'habite au-dessus, là, on entend de la trompette, c'est mon épouse qui fait de la trompette. J'habite au-dessus et pendant le confinement, je me suis retrouvé, on était devenus non-essentiels. Et moi, l'activité avait complètement arrêtée et je me suis dit, bon, je ne savais pas quoi faire. Et je trouvais ça très dommage parce que je réparais tout un tas d'instruments, j'en vendais, mais j'avais... Vous avez observé qu'il y avait une histoire très très forte de la trompette en France, mais il n'y avait plus aucun fabricant.

  • Arnaud Montebourg

    Pourquoi ? Tout avait été...

  • Adrien Jaminet

    Pour plein de raisons, mais la raison...

  • Arnaud Montebourg

    Délocalisée aux Etats-Unis. Les Américains ont pris la trompette en fait.

  • Adrien Jaminet

    Ils ont pris la trompette. Au départ, ils l'ont fait avec des Français. C'est-à-dire qu'après la Première Guerre Mondiale, de super musiciens, justement encore une fois la Guerre républicaine, sont allés dans un orchestre, celui de Boston, et l'école américaine de trompette a été créée avec des Français. D'abord avec l'orchestre de Boston et puis en fait a rayonné un peu partout dans le monde. Et donc du coup, les fabricants de l'époque ont pris, se sont entourés d'une part de luthiers français, mais aussi de musiciens français pour constituer leur industrie. Et puis petit à petit, ils ont pris le pas et ça a pris vraiment son essor après la Seconde Guerre Mondiale.

  • Arnaud Montebourg

    Donc toutes les usines, les ateliers parisiens, il y a eu des milliers d'emplois qui fabriquaient des cuivres.

  • Adrien Jaminet

    Ils ont disparu petit à petit après la Seconde Guerre Mondiale, pour plein de raisons aussi. Par exemple, ce qui a aussi construit ce projet, c'est que je me suis dit, bon alors, moi je suis passionné d'histoire, il faut qu'on me raconte cette histoire-là. Il y a une grande tradition orale. Quand on apprend la trompette, il y a évidemment quelques méthodes, mais il y a une grande tradition orale et il y a assez peu d'écrits. Et donc du coup, il y a une mémoire vivante de la trompette française, il s'appelle Roger Delmotte. Et en fait, d'échanger avec lui, je me suis rendu compte qu'il y avait un type de trompette qui avait complètement disparu. Parce que, par exemple, lui, il était ensuite rentré à l'Opéra de Paris, trompette supersoliste à l'Opéra de Paris, et en fait, c'est vrai que les chefs, après la Guerre, avec la mondialisation, ils ont commencé à aller un petit peu partout, et ils voulaient un petit peu partout le même son. Et la typicité qui faisait un peu ce que chaque pays avait un son particulier a disparu et alors pour parler de la trompette française, les caractéristiques c'était qu'il y avait un tout petit pavillon, après c'est un peu technique, la paire était toute petite mais donc du coup c'était un son vraiment signature, très brillant. Alors définir un son c'est toujours très compliqué, parce que définir un son c'est un peu définir une couleur donc c'est très subjectif mais si on doit le caractériser c'est très brillant. Ça a beaucoup d'allure, c'est champagne un petit peu. Et ce son avait disparu. La trompette, ce n'est pas comme le violon. C'est-à-dire que les violons, ça se bonifiait. C'est comme le vin, ça se bonifie. La trompette, en fait, c'est très mécanique. Donc plus la trompette va jouer, plus le piston va s'abîmer. Donc du coup, le son va un petit peu se détériorer au bout de quelques années. Et donc j'ai repris une trompette à un collectionneur. On a beaucoup échangé sur ce fameux Alfred Aubertin, un luthier qui était lui à Aubervilliers justement. Et j'ai repris une de ces trompettes et je l'ai complètement disséquée, démontée complètement, repris toutes les mesures. Et je me suis dit je veux reprendre une trompette comme ça.

  • Arnaud Montebourg

    C'est pour ça que votre trompette française renaissante, elle s'appelle la trompette Alfred.

  • Adrien Jaminet

    Voilà, exactement.

  • Arnaud Montebourg

    C'est unnhommage à Alfred Aubertin, luthier à Aubervilliers.

  • Adrien Jaminet

    Complètement.

  • Arnaud Montebourg

    Au siècle précédent.

  • Adrien Jaminet

    Avec tout ce bagage-là, cette histoire-là, je me suis dit, il faut que je refasse une trompette. On a réfléchi, on a fait une trompette, on avait une manière très précise, on savait où on voulait aller. Je me suis entouré de grands musiciens avec lesquels je travaille, des musiciens de l'Opéra de Paris, et aussi un musicien qui jouait ce type de trompette qui s'appelle David Guerrier, et Marc Gueujon, qui est aussi à l'Opéra de Paris, m'ont aidé à recréer cet instrument-là. Et c'est vrai que tout de suite, on a retrouvé un son, enfin, nous, on a découvert un son qu'on imaginait, qu'on avait dans un fantasme de ce son-là, on l'imaginait, mais on ne l'avait jamais entendu. Et alors, c'était un peu une force pour nous, parce que post-confinement, comme je disais, l'activité culturelle était complètement arrêtée. Et l'Orchestre Philharmonique de Radio France nous a sollicités pour jouer nos trompettes dans une œuvre de Henri Tomasi, Voilà une œuvre de Tomasi qui passe à la radio sur mes trompettes. Moi, j'étais dans la salle, j'avais une autorisation. Alors pour moi, c'est une émotion toute particulière parce que d'entendre ces instruments que l'on a pensés, conçus, résonner au sein d'une si belle salle qu'est l'Auditorium de Radio France, c'était assez émouvant. Et puis la radiodiffusion nous a énormément aider parce que tous les orchestres de France nous ont dit "Mais c'est quoi ce son ? C'est fantastique, on veut essayer, on veut essayer". Et alors du coup, de là on a commencer à avoir plein de commandes, et puis j'ai eu un appel très très émouvant à ce moment-là. Parce que quand je l'avais interviewé, M. Delmotte, il m'a dit plein de choses, mais il ne comprenait pas exactement où je voulais aller. Et suite à cette première radiodiffusion, il m'a appelé, il m'a dit : "Félicitations, je viens d'entendre un son que je n'ai pas entendu depuis 70 ans." Alors là, c'était la chose la plus émouvante, parce que lui, il n'avait pas écouté ce son depuis 70 ans, mais des gens de mon âge ne l'avaient jamais écouté. Donc je me suis dit, c'est un patrimoine retrouvé. Et c'est là qu'est né vraiment l'ambition vraiment de relancer, de donner un nouveau souffle au cuivre à la française.

  • Elia

    Ce son espiègle de la trompette française, Adrien Jaminet nous l'offre en partage. L'idée de la trompette à la française, c'est aussi relocaliser la production de ces instruments en France, pour faire des métiers de main, les futurs emplois de demain.

  • Adrien Jaminet

    On s'est fixé des règles, et donc tous les éléments de notre trompette, ils proviennent de 800 km autour de notre atelier de Brétigny-sur-Orge, avec même un acteur un peu plus local, puisqu'il s'agit d'un atelier d'usinage qui est à 200 m à vol d'oiseau, et qui nous permet de fabriquer une grande partie de nos éléments de la trompette. Donc c'était aussi relancer toute une chaîne de fabrication, parce que comme je disais, il y avait des milliers d'emplois au début du XXe siècle, mais quand on rentre un peu dans ce cheminement-là, de se dire, mais où sont tous les accessoires ? Les housses, comment c'était fait ? Les housses, nous, nos housses, elles sont faites également par une marque française. C'était vraiment se poser les questions de comment c'est fait, pourquoi c'est fait, et quelque chose qui est très très rigolo, c'est une histoire que j'adore raconter, c'est que comme je vous disais, les leaders historiques... sont américains. Et donc, quand j'ai eu les premiers éléments de mes trompettes, j'ai commencé à les assembler dans mon atelier avec plein de pièces de bric et de broc. Alors, j'avais mes éléments centraux, que sont le bloc piston, le pavillon et la branche que j'avais fabriquée. Donc, du coup, je les ai assemblées, mais pour les assembler, il faut plein de petites pièces. Donc, du coup, comme au départ, c'était du prototypage, j'ai pris des choses que j'avais sous la main. Il y a une marque américaine qui est faite à Chicago, dont j'aimais bien les pièces, j'aimais bien le design, je trouvais les pièces bien pensées. Et donc du coup, j'avais ces pièces-là en stock, je les ai prises. Comme je disais, suite à ces vidéos que j'avais consommées, je me suis posé la question, mais ces pièces-là, elles viennent d'où ? Les pièces que j'avais, je les avais commandées à Chicago, chez le fabricant. Et en fait, j'ai découvert que ces pièces-là, elles étaient fabriquées à 250 km, et que j'achète des pièces à Chicago qui étaient fabriquées à côté de Troyes. Et donc du coup, c'était une grande découverte pour moi de savoir que finalement, l'industrie que je pensais morte, elle n'était pas si morte que ça et qu'il fallait peut-être relancer cette activité et faire parler de cette industrie.

  • Elia

    Le modèle Alfred a attiré à Adrien Jaminet d'autres collaborations qui repoussent sans cesse les frontières du possible.

  • Adrien Jaminet

    Quand j'ai par la suite fait découvert ces instruments-là, il y a quelqu'un, qui est aussi essonien comme moi, avec qui je travaillais, qui s'appelle Ibrahim Maalouf, aujourd'hui qui fait les plus grandes scènes de France, du monde même, était intéressé par ces petites trompettes françaises parce que c'est vrai qu'il est connu pour sa musique, mais au départ c'est un grand grand musicien de musique classique. Et pour la petite histoire, sa grand-mère, elle habitait dans la rue, en fait. Et donc, du coup, Ibrahim a trouvé cette trompette fantastique. Elle me dit : " Mais attends, si la trompette, elle est fantastique, il faut qu'on en fasse une tous les deux. Il faut que tu me refasses une trompette." Et Ibrahim, son papa, Nassim Maalouf, qui était un élève de Maurice André, déjà, avait travaillé avec la maison Selmer pour créer un système particulier qui est le quart de ton. Donc, le quart de ton, son papa l'avait imaginé pour jouer la musique arabe. Et donc Ibrahim, c'est ce qu'il joue et c'est ce qui fait la particularité du son d'Ibrahim avec cette couleur un petit peu occidentale. Et donc du coup, on a travaillé pendant très longtemps.

  • Arnaud Montebourg

    On rajoute un piston.

  • Adrien Jaminet

    On rajoute un piston. Alors, cette trompette-là, elle n'a rien en moins. C'est-à-dire qu'elle a juste quelque chose en plus. Quand on actionne, on a un quart de ton. Pour les gens qui ne sont pas musiciens, si vous voyez le piano, il y a des touches noires et des touches blanches. C'est comme si on mettait une... C'est comme si on doublait les touches. Il y avait des touches entre les touches pour faire cette couleur-là. Et donc, quand on a commencé le parcours avec Ibrahim, c'était vraiment passionnant parce que pour le coup, lui, il était guidé par ses sensations. Il savait où il voulait aller, mais il ne savait pas forcément les définir. Donc ça a été un travail très, très, très long de comprendre, parce que définir ses sensations, c'est jamais évident. Puis en plus de ça, quand on est luthier, nous on prolonge le geste et qu'on essaie de comprendre, il faut vraiment s'accorder. Ça a été un travail de longue haleine. Et en fait, quand on a commencé ce travail-là, il avait un concert à Bercy qui était prévu. Et j'avais fait le pari avec moi-même qu'il la joue à Bercy. C'était une espèce de défi. Puis je voyais ce concert qui arrivait, puis on n'avait pas fini. Et une fois de plus, le Covid m'a aidé, puisque le concert devait être en décembre. Et il a été reporté en mars et on a fini en janvier 2021, il me semble. Non, de 22. Et il joue cette trompette-là depuis... C'est aussi une fierté, parce que je vous ai tout à l'heure parlé de Roger Delmotte, et c'est quelqu'un qu'il connaissait de loin, et Ibrahim a été bercé par Maurice André, le Dieu de la trompette, qui était professeur de son papa. Et il a voulu, l'an passé, en novembre dernier, refaire le concours Maurice André, qui était un concours de la Ville de Paris qui avait disparu. Et donc il l'a refait, financé lui-même. Et il lui fallait un président de jury, mais quelqu'un d'une aura internationale. Et il me dit, mais tu... Il cherchait, il cherchait, mais je dis mais... J'ai la personne, Roger Delmotte, légende de la trompette française. Et Monsieur Roger Delmotte a été jury et président du jury à l'âge de, l'an passé, il avait 97 ans, de ce concours. Et il était déjà jury au premier concours qu'il y avait eu dans les années 70. Donc c'était un espèce de recommencement. Et puis j'étais très content de pouvoir mettre en relation ces deux grands trompettistes. Donc c'est vrai que nous, je dis souvent, en fait, à travers tout ce travail, ça permet aussi de connecter la communauté des trompettistes français, et même de manière mondiale, parce que, comme je le disais, même les Américains s'intéressent beaucoup à ce qu'on fait, parce qu'ils savent que leur histoire trouve ses racines en France.

  • Elia

    Le musicien et l'artisan de Bretigny-sur-Orge fédère avec succès toutes ces parties prenantes pour réussir sa mission, transmettre ces savoirs et ce savoir-faire français.

  • Adrien Jaminet

    Alors c'est sûr, moi je vous ai raconté un peu mon amour pour cette musique-là, cette histoire-là, mais c'est vrai qu'il y a une grande mission d'évangélisation, c'est-à-dire que moi cette histoire je la connais, mais il faut la faire connaître parce que les gens l'avaient oubliée cette histoire-là. Donc moi je passe mon temps à aller voir des musiciens d'orchestre, aller leur expliquer ce que c'était la trompette française, comment ces pièces ont été créées, puis leur faire tester, parce qu'aujourd'hui le retour d'expérience que j'ai c'est que... Certes, ça marche bien dans la musique française, mais pas que. C'est-à-dire que dans plein d'ensembles un peu plus petits, type orchestre de chambre, c'est vrai que ce son très brillant, très timbré, c'est un mot qu'on utilise, convient parfaitement. J'ai créé mon podcast qui s'appelle Cuivre à la française, où je vais voir des anciens, où on renoue avec cette tradition de l'oralité, de la transmission, mais on marque ça, on enregistre ça, et on pourra l'écouter dans 50 ans, et je trouve ça intéressant.

  • Elia

    Parmi ces petites histoires qui font la trompette française, une en dit plus long que d'autres, et raconte aussi pourquoi l'industrie des instruments à cuivre français s'est effondrée pendant la guerre. C'est celle de Marcel Caens, grand trompettiste.

  • Adrien Jaminet

    Après-guerre, il fallait qu'il achète une trompette. Et à l'époque, tout le monde achetait des fameuses Alfred Aubertin. Donc il voulait une Alfred Aubertin, sauf qu'il n'y en avait plus. Pourquoi ? Alfred Aubertin, il était là, dans son atelier. Sauf que pendant la Seconde Guerre mondiale, le laiton, ça servait à faire autre chose que des trompettes. Et donc du coup, pour pouvoir faire sa trompette, il est allé avec un sac d'obus vide pour faire refondre et faire une trompette. Je trouvais ça incroyable.

  • Elia

    Arnaud Montebourg, dont le rapport sur le made in France a inspiré la vision d'une trompette française, explique en quoi Adrien Jaminet est un Vrai Souverain.

  • Arnaud Montebourg

    L'exhumation du passé, la remise à l'ordre du jour de techniques qui avaient été ensevelies par l'économie et la renaissance d'une technique, d'une fabrique et d'un usage qui est porteur et vecteur de puissance culturelle,

  • Adrien Jaminet

    en gros.

  • Arnaud Montebourg

    Donc ce qu'a fait Adrien Jaminet va le mener très loin et il va être un de nos ambassadeurs culturels par l'économie, par le travail, par la facture d'instruments de la France.

  • Elia

    Les trompettes Jaminet résonnent déjà au défilé du 14 juillet sur les Champs-Elysées, dans les salles de concert les plus grandes, comme les plus petites, et dans les orchestres les plus prestigieux. Mais Adrien Jaminet ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Il prévoit de conquérir le monde en sortant de ses ateliers un nouveau modèle de cuivre à la française chaque année, pour que résonne, de génération en génération, le son retrouvé de la trompette française.

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