- Speaker #0
La journée a été chaude aujourd'hui. Après le soleil de l'après-midi, les interjections au-dessus de vos têtes à l'heure d'étendre le linge, et les pauses en terrasse à écouter de loin les dernières nouvelles échangées par les petits vieux au comptoir des tascas, vous découvrez un autre Portugal. Celui de la nuit qui tombe, du verre de vin de Porto sur les petites tables rondes, et d'un petit restaurant, tout en bois sombre. L'heure se suspend, vous entendez... Silence, nous allons chanter le fado, ou tout du moins, essayer d'en découvrir les mystères. Bienvenue dans ce nouvel épisode de Luso Bribes. Le fado, de fatum en latin, c'est le destin. Le fado, c'est l'acceptation ou la résignation, la philosophie et la résilience de l'âme portugaise. Cet art fait de musique et de poésie est un trésor national pour les Portugais du monde entier. Patrimoine immatériel de l'UNESCO depuis 2011, il n'aura pourtant pas toujours reçu les honneurs des puissants. Loin de là. Allez, je vous raconte. Il existe plusieurs pistes et théories sur l'origine du fado. Toutes possèdent leurs arguments. Comme souvent dans les arts nés des pratiques populaires, il est difficile d'avoir le fin mot de l'histoire. La théorie la plus partagée nous raconte des histoires de marins, de longs voyages et de dangers. En effet, ce chant serait né en fond de cale. A partir du XVe siècle, les Portugais sillonnent les mers, participant à la découverte du reste du monde pour le regard occidental. Ces voyages sont souvent terrifiants, émaillés de maladies, de naufrages et de conflits. Les marins passent des années loin de leur terre d'origine et de leur famille. Alors, pour se réconforter, pour réchauffer les cœurs et pour tenir bon, On chante. Pour éloigner la saudade, ce sentiment qui ne trouve pas de juste traduction dans les autres langues du monde, cette nostalgie de ce qui est perdu, ce manque de l'autre, cette peine douce amère. Ces chants de marins, ancêtres du fado, se nourrissent des cultures des territoires traversés. Les contacts avec le Brésil ou encore le continent africain nourrissent ces champs de peine et de mélancolie. Ces sources de mélange et de métissage sont nombreuses. On peut citer par exemple le lundum brésilien. De retour au pays, nos marins continuent de chanter. Les tavernes et les bordels de Lisbonne s'emplissent de leur musique. Cette dernière évolue aussi à terre. Les prostituées notamment, venues des zones rurales à la recherche d'une vie meilleure, s'approprient ce chant, le mêlant à leur pratique des chansons populaires agricoles, pour chanter l'amour, le labeur et les souffrances qui emplissent leur vie de femme. Le fado est alors peu connu en dehors des quartiers les plus pauvres, étroitement lié à une vie de bohème en marge de la bonne société. C'est pourtant par une prostituée que le fado trouve ses lettres de noblesse. Dans les années 1840, la toute jeune Maria Sereva exerce le plus vieux métier du monde. Elle est également la première grande fadista connue de tous. C'est que son régulier, c'est pas n'importe qui. Le conte de Vimioso tombe sous le charme de son talent autant que de sa figure. Il lui ouvre les portes des salons. Elle y devient la première grande légende du fado, qui est reconnue comme un genre nouveau et commence là son histoire officielle. Si cette renommée n'épargnera pas à Marie la fosse commune à sa mort en 1846, elle fera d'elle l'héroïne de la Sereva, le premier film sonore portugais réalisé par Leitao de Barros en 1931. Petit aparté pour les curieux, le film a été en partie restauré par la cinémathèque portugaise et est aujourd'hui visible sur YouTube. Le voilà donc notre fado. Un chanteur ou une chanteuse, accompagné d'une guitare acoustique et d'une guitarra portuguesa portugaise, cette sorte de cythare en forme de poire ne contient pas moins de douze cordes. Une recette bien connue donc. Mais ce n'est en réalité pas si simple. Il existe deux fados au Portugal, chacun obéissant à ses codes. Celui de Lisbonne et celui de Coimbra. Le premier est chanté aussi bien par des hommes que par des femmes, la plupart du temps en solo. C'est en général le plus connu à l'étranger. Il sera en effet porté au-delà des frontières par de grandes voix, comme la véritable héroïne des Portugais, Amalia Rodrigues. Cette dernière sera bien plus qu'une interprète des grands classiques du genre, popularisant l'adaptation de grands textes poétiques,
- Speaker #1
comme ici ceux de Camoëche. Que meurt, non, c'est jamais Que me deixe au tempo Que me deixe au tempo Desenganado De meu bem desenganado
- Speaker #0
Elle fera école, influençant Juan Braga notamment, et diffusant par le chant tout un pan de la riche littérature portugaise. Dans sa forme moderne, le fado de Lisbonne s'accompagne de violoncelles, d'un orchestre ou même de musique électronique, mais reprend souvent les codes sonores si caractéristiques de la guitare à portugaise. On peut citer Marisa, Cristina Branco ou ici, Ana Mouras. Le fado de Quimbra, c'est une autre histoire. Ciao les grands textes classiques, bonjour la ferveur et studentine. En effet, ici, le fado se lie aux traditions académiques de l'université, la plus ancienne du pays. Les étudiants mâles, quasi exclusivement, donnent de la voix parée dans ces grands uniformes noirs si chers aux Portugais. Seuls ou en chœur, appelés des tunas, ils s'y laissent exploser leur fierté d'appartenir à cette université séculaire. Mais pas que. Le fado de Coimbra se fait tantôt sérénade, costaud la sérénade se dit en passant, tantôt champ militant et subtilement révolutionnaire sous les années de dictature. A partir des années 50, il devient de plus en plus vindicatif, alors même que les Stados Novos souhaitent faire du fado l'art national par excellence, entretenant une image fantasmée des conquêtes du passé, afin de soutenir les efforts des guerres coloniales. Tous les classiques de la jeunesse, infusés dans un champ, qui retrouvent ici le lien avec ses origines subversives. Cette pratique du fado s'est lentement diffusée dans les autres universités du pays, qui se retrouvent tous les ans pour une compétition à Porto. Quelques grands noms ? Augusto Hilario, José Afonso et bien d'autres. En 200 ans, le fado a su s'imprégner de la complexité de l'âme portugaise. Faites de ça au DAD ! de patriotisme mais aussi d'appétit d'amour et de liberté. Pour ce peuple de la mer, on chante comme on vit, habité de mouvements profonds, intenses et complexes qui prennent parfois des détours poétiques pour surpasser la pudeur. Alors, récapitulons. Des marins, des femmes et des étudiants, des terres étrangères et une terre de cœur, des personnages mythiques, une histoire de liberté et de misère. Aujourd'hui, les touristes se pressent pour entendre ce chant qui parvient à conserver envers et contre tout son authenticité et ses repères secrets. Derrière la carte postale, il nous faudra veiller à l'écouter comme un témoin de toute l'histoire contemporaine du Portugal, née du métissage et du peuple. Le voyage fera toujours partie de l'ADN de cet art. Le fado en Ile-de-France est d'ailleurs une pratique reconnue et inscrite en son nom propre au patrimoine immatériel de France depuis 2019. Et voilà, c'en est presque fini de ce deuxième épisode de l'Usobribe. J'ai cité quelques artistes qui sont loin de représenter toute la richesse du fado. N'hésitez pas à m'indiquer vos interprètes préférés en commentaire. Pour continuer votre découverte, je vous recommande également un podcast d'une grande qualité, Agosto. Céline Lopez y réalise de passionnantes interviews fleuves, allant à la rencontre de personnes portugaises, lusodescendantes ou tout simplement ayant un lien fort avec le Portugal et sa culture. C'est le cas de Lizzy, sa partenaire pour l'épisode 3. Cette artiste française, fondatrice du trio Fado-Clandestino, lui parle de sa rencontre avec le Fado comme un coup au cœur et de son rapport à la culture. Aimeriez-vous d'autres lusobribes sur les chants populaires portugais ? Pour ma part, je viens de découvrir le cante Alantejano, une autre tradition chorale classée par l'UNESCO depuis 2014. Pour le moment, je m'en vais vous concocter le prochain épisode. Pour vous donner un indice concernant la thématique, voici une petite question. Mais que s'est-il passé au Portugal dans la nuit du 25 au 26 août dernier ? N'hésitez pas à me laisser un commentaire ou un avis sur votre plateforme de podcast préférée. A bientôt !
- Speaker #1
Tant que ça plaît,
- Speaker #0
je ne suis rien.
- Speaker #1
Les oiseaux chantent,
- Speaker #2
pas de erreur.