Speaker #0Mais dans quoi je me suis embarquée encore ? Un épisode sur le vin de Porto. Tout semblait simple. Mais parler d'une telle industrie séculaire, c'est parler histoire, géopolitique, mais aussi économie. Et a-t-on vu un art plus bavard que l'œnologie ? Oh ! Bon, commençons par le commencement. Le vin de Porto n'est pas de Porto. Il est produit uniquement dans le Haut d'Ouro, c'est-à-dire à 100 km de Porto environ, entre Pesada-Régois et la frontière espagnole. Les vignes y sont exploitées dans des quintes, des domaines dont beaucoup restent des exploitations familiales. Le paysage y est saisissant de beauté, et est d'ailleurs classé depuis 2001 au patrimoine mondial de l'UNESCO. Les falaises de schiste abruptes y ont été explosées à la dynamite ou travaillées à la pioche, créant des structures en terrasses. C'est le climat de la région qui explique ce choix. Les pluies, parfois très abondantes en hiver, viennent créer des nappes sous la pierre de schiste explosée. Lorsque les chaleurs atteignent 40 degrés en été, les vignes plongent leurs racines entre les pierres pour atteindre cette ressource bienvenue, conservée dans le sous-sol. Cette région du Haut d'Ouro a été exploitée par les vignerons depuis l'Antiquité, bien avant les progrès techniques de la Révolution industrielle. Son histoire est peuplée de récits sur la conquête de ce territoire à façonner, à force d'hommes. Un défi permanent. Paysans pauvres, portugais mais aussi espagnols, y ont travaillé la terre depuis des siècles dans l'espoir d'une vie meilleure. Ce n'est qu'au XVIIe qu'apparaît l'appellation Vin de Portou Et ce développement, une fois n'est pas coutume, à avoir avec les disputes opposant la France à son ennemi de toujours, grand allié des Portugais, l'Angleterre. En effet, Colbert, premier ministre sous Louis XIV, décide d'un embargo empêchant les Anglais de s'approvisionner en vins de Bordeaux. Qu'à ça ne tienne, chère grenouille, car les alliés historiques sont ravis d'offrir aux british de magnifiques vignobles où s'abreuver et investir. Sir Paul Mathuen Désolé pour l'accent, ambassadeur britannique à Lisbonne signe un traité qui portera son nom en 1703, obtenant notamment pour les riches dynasties anglaises le privilège de fonder des maisons de négoces en échange de la baisse des droits de douane sur les vins portugais. Malheureusement, ces derniers supportent mal le voyage. Il est courant d'y ajouter de l'alcool pour les stabiliser durant la traversée. Mais un marchand anglais, Gene Beardsley, à l'idée d'augmenter le degré et d'ajouter de l'eau de vie de vin pure. La répartition est précise. 1 cinquième d'eau de vie vinicole et 4 cinquièmes de vin. C'est la naissance du produit que nous connaissons aujourd'hui et qui est donc un vin muté. C'est le coup de cœur chez les british. Et le début d'une foire au grand n'importe quoi. Le produit est altéré, pour maximiser les profits, on réduit les coûts par tous les moyens. C'est le tremblement de terre de Lisbonne et l'implication du marquis de Pombal dans la valorisation des exportations portugaises pour renflouer les caisses qui va remettre les pendules à l'heure. Vous avez fait plaisir, maintenant vous oubliez tout ça et on arrête, d'accord ? Ce visionnaire s'inspire du travail en cours sur le Chianti italien pour créer par décret royal en 1756 la Compagnie Générale de l'Agriculture des Vignes du Haut-Dourou et il délimite une zone de production stricte. Cette première pierre à l'édifice s'associe à un cahier des charges très détaillé, posant ainsi les fondations du concept d'appellation d'origine contrôlée. Un siècle avant le vin de Bordeaux, on étudie ici le climat, la composition des sols, l'inclinaison des parcelles, l'altitude, tout est classifié. Les fûts contenant la matière première sont alors transportés par bateau jusqu'à Villanova de Gaille, face au Quai de Porto. où se trouvaient les principales sociétés de vente et de vieillissement du Porto. La descente du Douro ne se faisait alors pas sans mal. Ce fleuve, plein de rapides et de dangers, cause bien des pertes, humaines comme matérielles. Le baron écossais James Forrester dédie sa vie à cartographier la région et à améliorer les conditions de navigation sur le Douro. En 1848, c'est lui qui produit le plus grand document topographique sur la région, qui servira de référence officielle au gouvernement portugais. Il dédie sa vie entière à décrire ce paysage qui le passionne et qui lui coûtera la vie. A 52 ans, il se noie dans le fleuve après que son navire ait chaviré dans les rapides. Aujourd'hui, les rats-béloches, ces fameuses barques à fond plat munies de longues rames à l'arrière, permettant aux plus experts de descendre le fleuve sans embûches, ne naviguent plus que lors de la Saint-Jean, grande fête de Porto. Le reste de l'année, Elles se prélassent délicatement sur les rives, s'offrant au regard du touriste. Pendant un temps, certains petits producteurs continuent de gérer l'élaboration et la vente du produit directement sur leurs exploitations. C'est la création de l'entrepôt de Gaïa en 1926 qui mettra fin à cette pratique, dans une volonté de contrôle pour limiter les contrefaçons et les mélanges. Le retour du vieillissement et de la vente directe dans les exploitations ne sera de nouveau possible que 60 ans plus tard, en 1986. Et on ne rigole toujours pas aujourd'hui avec la qualité du Porto. L'institution phare chargée du contrôle de la qualité du produit, de la promotion des vins à l'étranger et de veiller à la défense de la marque est l'Institut des vins du Douro et de Porto. Cépages, terroirs... Il faudrait bien plus d'un épisode pour vous parler en détail de toute cette richesse. Il a fallu faire des choix. Je peux néanmoins vous en dire un peu plus sur l'élaboration du vin de Porto. Tout commence par les vendanges. Elles sont particulièrement difficiles. Les multiples terrasses ne sont accessibles qu'à pied et on y travaille sous un soleil de plomb. La mécanisation est pratiquement impossible. Le foulage se fait, parfois au pied, lavé avant je vous rassure, dans des lagares, ces grands cuviers en granit que vous trouverez encore dans les quintas les plus traditionnels. Au cours de la fermentation, on ajoute au mou sucré une bonne dose d'eau de vie de vin. Le timing est serré. Trop tôt et le vin sera pâteux et lourd, trop tard, il manquera de rondeur. C'est cette opération, le mutage, qui permet de stopper la fermentation primaire et de conserver le sucre du vin. Elle lui permet aussi de mieux vieillir. Le vin reste ainsi dans les quintas tout l'hiver, avant de partir vers l'échelle où il vieillira dans des pipes, des tonneaux de 550 litres, des foudres ou en bouteille. Ça va vous ? Pas trop perdu ? Tant mieux ! Parce qu'il y a... des vins de Porto. Et voici comment les choisir selon vos goûts et votre portefeuille. Ils sont en réalité divisés suivant trois grandes familles. Les taonis, les rubis et les blancs. Les rosés, eux, sont beaucoup plus récents. Les Porto oxydatifs sont élevés au contact de l'air et du bois jusqu'à maturation. Ce sont les taonis. Le tawny simple est un assemblage de vin à partir de cuves ayant vieilli entre 5 et 7 ans, au goût caramélisé et à la couleur ambrée. Viennent ensuite du plus jeune au plus ancien, le tawny réserve, puis les tawnys avec indication d'âge, et enfin le tawny colliette, ou récolte, qui est issu d'une seule année de récolte exceptionnelle. Pouvant être conservé longtemps après ouverture d'une bouteille, Les taunis s'accordent très bien avec un fromage un peu corsé ou un dessert. C'est le type de porto le plus consommé en France. Autre famille, les portos réductifs. Eux n'ont eu quasiment aucun contact avec l'air. Ils gardent de ce fait beaucoup plus de saveur du fruit et du terroir. La maturation du porto rubis n'excède pas 3 ans en tonneau avant sa mise en bouteille. Cette forme simple est la plus produite et la plus vendue. car relativement peu onéreuse. Ce n'est pas le cas des rubis plus complexes. Le rubis réserve, le LBV ou Late Bottle Vintage, issu d'un seul grand millésime, et enfin le Porto Vintage. Ce vin de longue garde est conservé entre 15 années et plus d'un siècle sur accord après dégustation de l'Institut du Vin de Porto. Les rubis ayant été préservés de l'oxydation, ils ne se conservent pas une fois une bouteille ouverte. Il faudra donc bien choisir son moment. Le Porto blanc, quant à lui, est le seul à être issu de raisins… et bien blancs. Leur élaboration est légèrement différente selon les Quinta. Ils sont parfois moins alcoolisés que les autres types de Porto et peuvent être secs ou doux selon 6 variantes, de l'extra dry aux lagrimes. Ils se boivent très frais ou en cocktail. Quant au Porto rosé, c'est une création récente de la maison Croft datant de la Saint-Valentin 2008 et visant à conquérir de nouveaux clients, notamment américains. Le mou du raisin est retiré très tôt du jus au moment de la presse. Les autres maisons ayant suivi L'Institut du vin de Porto a intégré cette variante du rubis en tant que style officiel. D'accord, c'est mieux. Cette anecdote est très parlante pour comprendre la répartition des rapports de force et commerciaux qui animent aujourd'hui le monde du Porto. Certains acteurs sont extrêmement puissants et peuvent orienter le marché et son évolution. Les producteurs peuvent en réalité être répartis en trois catégories. Grande compagnie de négociants, producteurs. embouteilleurs et caves coopératives. Les premières sont une quarantaine, possèdent plus de 200 marques et représentent 90% du marché. Symington Family Estates, par exemple, possède Grahams, Dawes, Wears et Colburn. Les portes-eau vendues par ces compagnies sont le résultat de soigneux assemblages de vins achetés à des caves coopératives ou à des producteurs indépendants. Ces compagnies sont parmi les plus connues et elles occupent le devant de la Seine à Villanova de Gaia. Face à cette quarantaine de géants, une quarantaine de petits poussets, les producteurs embouteilleurs. Ils ne représentent de leur côté que 5% des ventes. Impossible de toutes les citer, mais voici quelques noms d'importance et de renom. Quinta da Pacheca, Quinta do Valado, Quinta de la Rosa, Quinta do Infantado. Kitta Daromanel. Ici, c'est le nom du domaine qui prime. On cultive la terre et des vignes qui donnent un caractère précis au vin. Entre ces deux modèles, on retrouve les caves coopératives. On en trouve dans chaque village de la région du Douro. Les productions y sont issues des raisins apportés par les habitants qui possèdent quelques pieds de vignes ou de petites propriétés sans contrat avec de grandes compagnies. Il y a... 33 000 propriétaires de vignes pour 30 000 hectares dans le Douro, dont 80% possèdent moins d'un demi-hectare. Ces caves vendent leurs portos aux grandes compagnies, mais font aussi souvent de la vente directe. Alors, entre géants qui ont fait l'histoire de la région et petits producteurs indépendants, vers qui penchera votre cœur lors de votre prochaine visite ? Je vous laisse en débattre et je me sers un verre ! Alors récapitulons. Les Portugais et les Anglais, toujours main dans la main, une terre revêche mais chargée de trésors, un patrimoine unique, construit par des hommes et des femmes acharnés pour nous réchauffer le cœur. Mais il en resterait des choses à dire. Vous parlez des personnalités phares de cette industrie, comme Donna Antonia Ferreira, par les cuisines et cocktails. Évoquez les merveilleux villages à visiter dans la région, ou l'histoire... incroyable des peintures rupestres de la vallée du Coa qui ont sauvé des Quintas destinées à finir sous les eaux d'un barrage. Pas moyen, il faudra y revenir. Pour les curieux, je vous conseille déjà la très bonne série des Vignes et des Hommes produite par Arte. L'épisode 12 de la saison 1 est consacré au Porto. Si cette série ne se trouve plus en streaming, je ne peux que vous conseiller de l'emprunter en DVD dans votre médiathèque la plus proche. ou de l'offrir aux plus grands fans de vin de votre entourage pour Noël qui arrive. C'en est fini de cet épisode de l'usobribe bien rempli. Décembre oblige, je reviens le mois prochain pour vous parler folklore, légendes et traditions entourant les fêtes de fin d'année au Portugal. N'hésitez pas à me laisser un commentaire ou un avis sur votre plateforme de podcast préférée. A bientôt !