Speaker #0Bonjour, hola, cher public de l'Usobrib, l'idée de la thématique du jour est née au mois d'août. Depuis, le Portugal, et surtout le Nord dans lequel je vis, a vécu un terrible épisode d'incendie. Impossible de commencer à enregistrer cet épisode sans prendre le temps de dire merci. Merci à ces hommes et ces femmes, professionnels ou volontaires, qui ont risqué et parfois perdu leur vie pour nous protéger toutes et tous. Obrigada. Cela me semblait indispensable car oui, aujourd'hui, nous allons parler de catastrophes naturelles. Le 26 août dernier, à 5h11, le sol tremble dans les profondeurs, à une cinquantaine de kilomètres des côtes au sud de Lisbonne. La nuit lisboète se sent traversée d'un étrange frisson, 5,4 sur l'échelle de Richter, qui surprend les fêtards sur le retour et les travailleurs sur le départ. Aucun dégât, aucune victime, un jour de chance. Car on l'oublie parfois, mais la capitale portugaise a été frappée par... plusieurs tremblements de terre dévastateurs au cours de son histoire. Un risque qu'on aurait tort de conjuguer au passé. Proche de la faille de Gibraltar, où la plaque tectonique eurasiatique rencontre la plaque africaine, le Portugal reste très exposé au séisme. Les géologues, sismologues et urbanistes considèrent encore aujourd'hui la capitale comme vulnérable à un événement sismique majeur. La ville en a déjà connu plusieurs. Le plus célèbre, aux conséquences impressionnantes, mettra la ville à genoux le 1er novembre 1755. Fermez les yeux et remontons l'histoire. Depuis la France, Voltaire s'interroge, effaré.
Speaker #0Le choc est énorme, même vu de France. Il faut dire que la catastrophe totale a des ampleurs bibliques en ce jour de la Toussaint. Par trois fois, la terre a tremblé. La ville s'est ouverte, se fissurant de cicatrices béantes. Un tsunami submerge les quais où certains cherchaient à fuir. Ces malheureux sont emportés par des vagues faisant jusqu'à 15 mètres de haut, là où derrière eux la ville flambe. Les églises, illuminées de bougies en ce jour sain, s'enflamment. Pendant cinq jours, le feu ravage la capitale. Au total, plus de 100 000 personnes perdent la vie. Pour les philosophes des Lumières, comme notre ami Voltaire, cette catastrophe est la preuve tant attendue que les malheurs des hommes ne sont pas des conséquences justes et mesurées d'une providence divine, administrée dans le meilleur des mondes possible, ainsi que l'a dénommé le philosophe allemand Leibniz. Les portugais, peuples extrêmement croyants, n'ont tout simplement rien fait pour être ainsi frappés un jour de fête religieuse au prix de tant de vie et de la destruction quasi totale de la ville. D'ailleurs, la plupart des églises ne sont plus que des ruines. Cette critique du fatalisme, Voltaire la développera, faisant une description saisissante de l'événement dans Candide en 1759. Pour faire sens devant l'enfer de cette nature déchaînée, On va pour la première fois faire appel à la raison et à la science. Le penseur Emmanuel Kant se penche longuement sur cet événement, cherchant dans la nature les causes du phénomène. Du côté du pouvoir, le premier ministre d'alors, le marquis de Pombal, envoie des questionnaires à travers tout le royaume. Il s'agit de comprendre, à travers des données les plus objectives possibles, les causes et les conséquences d'un phénomène contre lequel mieux se protéger à l'avenir. La science est également au centre des plans de reconstruction de la ville. Ingénieurs et architectes sont consultés pour concevoir une ville moderne, capable de résister aux futurs tremblements de terre et mieux adaptée à la vie urbaine. Les nouvelles constructions intègrent notamment des guayolèches, structures en bois flexible insérées dans les murs pour absorber les secousses sismiques. Avenues larges, places régulières facilitant la circulation et la gestion des foules, la nouvelle Lisbonne contraste avec le labyrinthe des villes médiévales. Qui s'est déjà perdu dans les ruelles de Porto connaît ce contraste frappant entre ces deux grandes cités. Un nom marque l'épisode d'aujourd'hui, le Marquis de Pombal. Mais attends, mais c'est qui ce mec ? Sébastien José de Carvalho et Mel, un nom central dans l'histoire du Portugal. En effet, ce tremblement de terre aurait pu laisser le pays dans un effondrement sans lendemain. Les effets du séisme se sont fait ressentir dans toute la péninsule ébérique et jusqu'au Maroc. Le port de Lisbonne est détruit et le Portugal se retrouve distancé par la Grande-Bretagne dans son expansion coloniale. Le commerce avec les Amériques se déplace également au nord de l'Europe. Les conséquences économiques sont colossales. La poigne autoritaire du Premier ministre empêchera le pays de sombrer au prix d'énormes efforts. Contrôle des finances publiques, nationalisation des biens de l'Église, réduction des privilèges fiscaux de la noblesse. Il se montrera également visionnaire. favorisant l'exportation de produits portugais à l'étranger. Il innove, créant par exemple la première appellation d'origine contrôlée sur les vins de Porto. Mais ça, c'est une autre histoire. Alors, récapitulons. Une terre qui gronde, meurtrière et puissante, emportant avec elle les idées du passé. Un homme de pouvoir et de science, et un avenir à reconstruire sur les ruines. Ce tremblement de terre marque un véritable tournant dans l'histoire portugaise et européenne, laissant une marque indélébile sur la culture et la politique du pays. Transformant à jamais la capitale, il plonge la nation dans une crise immense et un projet de reconstruction s'étalant sur plusieurs décennies, l'obligeant à se réinventer. Cent ans plus tard, Almeida Garrett en tirera une pièce de théâtre, Le Tremblement de Terre de 1755. revenant sur cet événement et explorant ses répercussions sociales et morales. Poids de la destinée, interrogations sur la condition humaine et résilience face au bouleversement du monde en sont les thématiques principales. Et aujourd'hui ? Quelles peuvent encore être les résonances d'un tel passé ? Chaque année, le programme Atera Trem organise des exercices de simulation pour former les citoyens à la réponse en cas de tremblement de terre. Le Réseau National de Surveillance Sismique, IPMA, surveille en permanence l'activité sismique et continue, année après année, à se perfectionner. Aujourd'hui, la réalité du réchauffement climatique pousse les pays du monde entier à trouver des réponses dans la science et dans l'action. Le Portugal, particulièrement vulnérable aux incendies avec ses étés secs et chauds, mais également aux tempêtes et à la montée des eaux, fait face à une série de défis qu'il nous faudra relever. collectivement. Peut-être le souvenir du tremblement de terre de 1755 peut-il nous permettre de penser qu'une nation peut trouver en son sein les capacités d'inventer un monde sur ses ruines. C'en est fini de ce nouvel épisode de l'Usobribe. Mon intérêt pour les faits historiques a encore fait des siennes, mais l'actualité me semblait propice à aborder ce fait marquant. Promis, la prochaine fois c'est l'apéro. Nous parlerons du vin de Porto, ce trésor national qui fait la fierté de ma ville d'adoption. À consommer avec modération, bien sûr. N'hésitez pas à me laisser un commentaire ou un avis sur votre plateforme de podcast préférée. À bientôt !