Speaker #0Musique Oh mais, vous êtes là ? Merci d'être au rendez-vous de la rentrée du podcast. Pour lancer cette nouvelle saison, j'ai décidé de choisir un thème en miroir du tout premier Lusobribe. Nous y avions parlé du mariage entre Juan Ier du Portugal et Filippa de Lancastre. Et bien aujourd'hui, nous parlerons de leur illustre progéniture. En effet, un de leurs fils est une absolue star du récit historique portugais. J'ai nommé Henri le Navigateur. L'infante Henri naît donc en 1394, troisième fils du couple royal. Autant vous le dire tout de suite, son surnom a un parfum de fake news. En effet, il n'a que très peu voyagé. Soyons honnêtes, vous avez déjà regardé un documentaire sur les grandes explorations ? Pensez-vous qu'on risquait la vie de personnes de la famille royale à travers les océans alors que les marins les plus aguerris avaient une légère tendance à finir par nourrir les petits poissons ? Mais alors pourquoi ce surnom ? Eh bien que ceux qui ne savent pas faire enseignent. Ou plutôt payent à leur pays les meilleurs techniciens, penseurs et savants pour faire du Portugal le roi des océans. Visionnaire et plutôt à l'aise financièrement, il transformera la nation profondément, ouvrant ce que beaucoup considèrent comme la plus grande page de son histoire. Il s'y consacra pleinement, restant célibataire toute sa vie. Extrêmement pieux, Il était certes motivé par une curiosité scientifique notable, mais également par des motivations religieuses féroces. Avec une obsession presque fanatique, il s'attachera toute sa vie à arracher des territoires au royaume musulman. En 1414, à l'heure âgée de 20 ans, il réussit à convaincre son père, jouant premier, de prendre le port de Ceuta au Maroc, afin de mettre un terme aux incursions fréquentes des pirates morts en Algarve. Eh oui ! Si Ceuta est aujourd'hui une enclave espagnole, elle fut d'abord prise par les portugais. Bien que fortifiée, elle ne résista pas longtemps, les portugais ayant feinté en annonçant se concentrer militairement sur des différents au nord de l'Europe. Ceuta, peu préparée, se retrouva confrontée à une arrivée de près de 20 000 hommes, galvanisée par un discours ravivant les flammes des anciennes croisades. Ce fut un véritable carnage, qu'on peut voir représenté en Azulejos dans la gare de San Bento. à Porto. Henri utilisa Ceuta comme base pour lancer des attaques périodiques contre les colonies musulmanes le long de la côte et les navires ennemis en méditerranée furent impitoyablement coulés. En remerciement de cette conquête, Henri devint duc de Viseo. Le port de Ceuta est à l'époque une étape essentielle de la pénible route commerciale traversant le Sahara, contrôlée par les morts. Le prince a alors une idée fixe la contourner et ouvrir de nouvelles voies par les mers. C'est avec ce plan en tête qu'il investit dans un petit village du sud-ouest du pays, Sagres. Oui, oui, c'est également le lieu qui donnera son nom à la bière qu'on boit dans le sud du pays, mais ici, on estime super boc, alors on reste concentré. Il encourage le repeuplement de la zone, jusque-là peu attractive, qui devient le cœur des réflexions sur les futures grandes découvertes. Un arsenal, un observatoire et une école de navigation à la pointe des savoirs de l'époque. On y fait des bonds de géants dans l'art de la conception des navires, de la navigation et les plus grands géographes échangent à bâtons rompus. Ces derniers sont chrétiens et juifs et ils n'hésitent pas à utiliser des sources d'informations venues des pays arabes. Les bateaux ainsi imaginés sont ensuite construits à Lagos, le port voisin. En 1418, premier pas de géant. L'archipel de Madère voit débarquer Juan González Zarco et Tristan Valls Teixeira, qui devaient attaquer la côte marocaine avant de se faire balayer par une tempête. Ces explorateurs involontaires colonisent immédiatement ce territoire d'intérêt, situé à environ 800 km au large du Maroc. Le prince en devient le gouverneur officiel et y développera des plantations de canne à sucre, qui seront plus tard copiées dans toutes les colonies de l'Empire, et notamment au Brésil. En 1419, le prince est nommé gouverneur de l'Algarve et le 25 mai 1420, une bulle papale le désigne comme gouverneur de l'Ordre du Christ, siégeant à Tomar, au nord de Lisbonne. Cet ordre est venu remplacer l'Ordre des Templiers après sa dissolution en 1312. Petit aparté contemporain, de nos jours, c'est le président de la République qui en est officiellement le grand maître. Henri, lui, en occupera la gouvernance jusqu'à sa mort. Cette position lui conférait un grand pouvoir, autant matériel que spirituel. Un véritable coup de boost à ses projets expansionnistes. De plus, on raconte qu'au milieu des infinis trésors que l'Ordre a hérité des Templiers se trouve une miraculeuse bibliothèque emplie de connaissances sur la construction et la navigation maritime. Le prince Henry chargea son équipe d'y puiser le savoir nécessaire à la conception d'un nouveau type de navire qui pourrait naviguer à la fois avec et contre le vent, pourraient explorer de dangereux rivages rocheux inconnus, des voies navigables intérieures et la haute mer. Ainsi naissent les caravels, avec leur voile arborant la croix templière. En 1427, un de ces navigateurs débarque aux Açores. Rapidement colonisés, ces terres demeurent plus complexes à explorer que Madère. Leur reconnaissance s'étend jusqu'en 1452. Aujourd'hui encore, ces deux archipels font partie de la nation portugaise, bénéficiant néanmoins chacun d'un statut politico-administratif leur permettant une certaine autonomie, avec notamment une constitution propre. Fort de ses succès, le prince obtint auprès de son frère, le roi Édouard Ier, le financement de ses projets par le versement d'un cinquième de tous les profits du commerce avec les nouveaux territoires explorés. Comme si ça ne suffisait pas, il suffit également accorder le droit exclusif d'autoriser les expéditions au-delà du Cap Bojador, aujourd'hui Cap Bouchdour, au sud des îles Canaries. Ce cap représentait une promesse de richesse infinie. En effet, en 1324, le souverain de l'Empire du Mali s'était rendu au Caire et avait laissé derrière lui une traînée de mystères, déclenchant une soif infinie chez ses contemporains. En effet, son entourage transportait une quantité d'or impressionnantes, de quoi nourrir des fantasmes de mines remplies de trésors. Le Cap Bojador se dressait comme un obstacle majeur à l'accès à la région par les Européens, agité par des vents du nord et des courants dominants défavorables. Se murmuraient également des histoires de tempêtes malveillantes, de brumes fantomatiques et de monstres marins sanguinaires. pendant 12 ans Henri finança 14 expéditions ayant comme objectif le dépassement de ce cap légendaire. 14 échecs. C'est un de ses compatriotes, Gilles Iannich, désolé pour la prononciation, qui sera le premier européen à dépasser ce cap légendaire grâce à sa caravel en 1434. Déniche d'Iache passe lui le cap vert au Sénégal 10 ans plus tard, dépassant ainsi la frontière sud du désert. Les routes contrôlées par les musulmans enfin contournées, Le prince atteint l'objectif d'une vie. Il fit conserver les notes et les cartes des navigateurs dans un registre scientifique centralisé. Gardien jaloux de ce savoir, il en fit un véritable secret d'état. En 1444 s'ouvre une autre page, que beaucoup de guides touristiques et de livres d'images préfèreraient occulter, mais qu'il nous faut absolument aborder. Le rôle sombre d'Henri le Navigateur dans la traite négrière. Un peu de contexte. L'esclavage pratiqué dans l'Antiquité avait quasiment disparu en Occident, et ce depuis le XIe siècle. Les Européens restaient évidemment familiers du principe, car la pratique était encore très répandue, notamment dans le monde arabe. Dans la péninsule ibérique et dans les régions méditerranéennes, des exceptions demeuraient, concernant principalement les guerriers musulmans capturés, ou, à partir du XIVe siècle, les esclaves achetés sur les marchés d'Afrique du Nord. Néanmoins, on ne parlait pas alors de pratiques massives. Ces esclaves servaient dans les maisons des familles nobles et dans la grande bourgeoisie. Les fameuses grandes découvertes portugaises seront aussi l'heure de la découverte tragique de l'intérêt économique du commerce des êtres humains à grande échelle. Quand Gilles et Heinrich et Lanserod de Freitasch rentrent de leur expédition à la recherche d'une mythique rivière d'or en 1444, c'est sans le trésor escompté, mais avec 235 captifs rasiés pour ne pas rentrer les cales vides de la côte mauritanienne. On parle de femmes, d'enfants et d'hommes arrachés à leur terre. Pas d'intermédiaires pour laver les mains des Portugais ici. Ceux-ci n'ont pas été achetés sur les marchés aux esclaves, mais bien capturés directement. Trois ans plus tôt déjà, dans la même région, Anton Gonçalves, marin portugais connu comme le premier négrier européen, avait ramené de la même région deux premiers esclaves noirs. Cette fois pourtant, on change d'échelle, et c'est la première fois que des Européens s'autorisent un crime d'une telle ampleur. Et ne pensez pas que le prince se tienne loin de l'action. Il assiste au débarquement de cette première cargaison funeste, et ne manque pas de réclamer sa part. 46 esclaves lui sont ainsi remis au titre de l'impôt. Vous avez un peu la nausée devant le revers peu glorieux de la médaille ? Attendez d'entendre cet extrait du journal de Gomez de Zarura, historien et courtisan du prince. « Certains gardaient la tête baissée, et leur visage baignait de larmes en se regardant. » D'autres, debout, gémissaient avec une grande douleur, en regardant le ciel fixement, en criant de toute leur force comme s'ils demandaient de l'aide aux pères de la nature. D'autres se frappaient le visage de la paume, se jetaient de tout leur long sur le sol, tandis que d'autres encore se lamentaient dans un champ funèbre selon la coutume de leur pays. Derrière cette bascule morale, un appétit économique. Combler les besoins de main-d'œuvre des plantations sucrières du sud de la péninsule ibérique et de Madère, mises en place par le prince. Cette pratique va beaucoup se développer au siècle suivant, quand Portugais et Espagnols étendront au Nouveau Monde le système de ces plantations esclavagistes. Dix ans plus tard, le 8 janvier 1454, Henri le Navigateur obtient l'autorisation suprême du pape Nicolas V de pratiquer la traite des peuples non-chrétiens sans crainte de damnation. Par la suite, les Portugais préféreront ne pas trop se mêler de la sale besogne, se concentrant sur la signature de contrats commerciaux avec les chefs africains du littoral. Ainsi se mettront en place les grands principes de la traite négrière, qui atteindra son pic entre la fin du XVIIe et le début du XIXe siècle. Au Portugal, il faudra attendre 1861 pour voir l'interdiction ferme de la traite des esclaves en métropole, et 1869 pour que l'interdiction s'étende aux colonies. Mais revenons-en à notre prince. A partir de 1452, l'or coule à flot et en 1457, le roi Alphonse V, petit-neveu d'Henri, fait frapper les premiers cruzados, pièces de grande valeur frappées d'une croix faisant référence au projet d'atteindre le légendaire royaume du prêtre Jean, situé très probablement quelque part en Éthiopie. Le but était de prendre en tenaille les Turcs ottomans, mais également de trouver une route maritime directe vers les Indes et les Épices. Un but qui sera atteint à la fin du siècle, mais sans le soutien de ce royaume qui restera un mythe. Henri meurt en 1460 à Sagres, au milieu de son incroyable héritage. Moins de 30 ans plus tard, le Cap de Bonne Espérance est dépassé par Bartholomeo X et Vasco de Gama atteindra l'Inde la décennie suivante. Alors, figure parfaite et héroïque, Henri le Navigateur ? Pas tant. On a déjà évoqué son rôle sombre dans la mise en place de la traite des êtres humains et ses motivations empreintes de fanatisme religieux. Mais même sans regarder le personnage avec nos yeux d'aujourd'hui, même en lui laissant les bénéfices du doute dû à son époque ou en pensant que les décisions auraient été prises à son cœur défendant, est-il le champion militaire sans tâche qu'on aime parfois à décrire ? Eh ben, pas tout à fait. Parlons déjà de la catastrophe représentée par les îles Canaries. Les armées de Castille et de Gouanche repoussèrent férocement les Portugais. Henri n'arrivera jamais à remporter cette bataille, mais il s'entêtera à trois reprises au prix de beaucoup de vie humaine. Un entêtement et une fermeture à la raison qu'on retrouve dans sa gestion du problème de C.E.T.A. Et oui, revoilà cette première conquête qui paraissait si promptement remportée au début de notre récit. Pourtant, cet épisode sera en réalité un énorme gâchis. Ayant traumatisé la région par son fanatisme, Henri aura détourné tout le commerce alimenté par les marchands arabes de ce port anciennement prospère. Loin de manquer d'alternatives, les navires se dirigent simplement vers Tangier, continuant de suivre la côte. Henri essayera bien de prendre la ville à son tour, mais s'y cassera les dents. La campagne, arrachée par Henri à son père en 1437, à force de nombreuses négociations, fut une catastrophe. Henri fut obligé de livrer son frère, Ferdinand, en otage afin de permettre la retraite. Une partie de l'accord de paix signé dans la foulée consistait à renoncer à ses états. Mais Henri le regna farouchement et son frère mourut dans une prison musulmane. Un peu moins classe tout de suite, le frérot. Alors récapitulons. Henri le Navigateur, prince, croyant, visionnaire, mais aussi cruel, obstiné, avide. Un personnage somme toute bien plus complexe qu'on pourrait le croire. J'ai été étonnée par la difficulté que j'ai eu à trouver des sources nuancées sur le personnage. Érigé en héros du peuple portugais, son portrait est souvent lisse et doré, comme si admettre la critique allait faire s'effondrer la nation. Pourtant, regarder l'histoire du pays avec objectivité, pourrait permettre de mettre à distance une nostalgie, un passéisme qui pèse, enfermant le Portugal dans une image de gloire bien trop lourde à porter. Salazar ne s'y était pas trompé. En sensé, cette période permettait de museler le peuple, de le paralyser, figer dans le temps. Le pays a tellement plus à offrir que cette image de conquête démesurée. Et vous, qu'en pensez-vous ? La période des grandes découvertes portugaises est immense, et nous y reviendrons sûrement dans d'autres Lusobribes. Merci pour votre écoute et de m'accompagner dans cette nouvelle saison. Quel sujet allons-nous encore pouvoir aborder ensemble ? Les possibilités sont nombreuses. Vos recommandations et commentaires sont les bienvenus sur votre plateforme de podcast préférée, Facebook ou Instagram. A bientôt !