Speaker #0Hola hola, chers auditeurs et auditrices de l'usobrive, tout douin ? C'est ce qui s'appelle être sur le fil. Pour des raisons de vie personnelle un poil bouleversées, j'ai eu beaucoup de mal à me mettre à la réalisation de cet épisode. Mon idée de départ, c'était de vous parler des Portugais pendant la Première Guerre Mondiale. Un sujet monstre, que j'ai dû me contraindre à abandonner, faute de possibilité de le traiter à fond. Considérez-vous avertis, j'y reviendrai, c'est promis. Aujourd'hui, il s'agissait donc de choisir un thème plus abordable. Je vous propose de parler de quelque chose que vous croisez partout au Portugal, sans toujours en connaître l'histoire. Les grands symboles du pays. Si vous suivez le podcast depuis le début, vous en savez déjà un peu plus sur le fado ou les azulejos. Mais ils sont nombreux ces symboles discrets qu'il nous reste encore à explorer. Derrière chaque image de carte postale, il y a une histoire politique, populaire ou intime. Allez, c'est parti ! Commençons par le plus visible, le drapeau. Avant la République, le drapeau portugais était bleu et blanc, avec les armoiries royales, un cerbole clairement monarchique. Le 31 janvier 1891, des républicains se soulèvent à Porto, ville libérale et contestataire. Les insurgés s'emparent du palais du conseil municipal, proclament la République au balcon et y hissent un drapeau rouge et vert, utilisé comme bannière du mouvement républicain. La révolte échouera, réprimée dans le sang, mais cet épisode fixe durablement l'association du rouge et du vert avec les valeurs républicaines, à la fois dans la mémoire politique et dans l'iconographie. Quand la révolution aboutit en 1910, la bascule s'opère alors pour tout le pays. Ces nouvelles couleurs sont adoptées officiellement en 1911. Le vert porte l'idée d'espoir et de renouveau. Le rouge rappelle le sang, le courage, les luttes pour défendre et inventer l'avenir d'un pays plus juste. Au centre, rien n'est décoratif. C'est une véritable bande dessinée historique. On y retrouve cinq petits écus, un symbole ancestral. Ces derniers apparaissent sur les armes de la nation dès la seconde moitié du XIIe siècle, sous le règne de Sancho Ier, fils d'Afonso Eriques, le premier roi portugais. Ils évoquent les rois morts vaincus à la bataille d'Urique en 1939, chacun contenant cinq petits points blancs qu'on relie souvent aux plaies du Christ et à la foi chrétienne du royaume. Autour Les sept châteaux d'or rappellent les forteresses reconquises lors de la Reconquista. L'ensemble repose sur une sphère armilière, un outil d'astronomie nautique, symbole des grandes découvertes et d'une nation tournée vers la mer. Autre symbole majeur, qu'on entend plus que l'on ne voit, l'hymne national, à Portuguesa. La Portuguesa naît en 1890 dans un contexte de crise. Le Royaume-Uni impose au Portugal un ultimatum colonial en Afrique et le pays bouillonne de colère. L'alliance luso-anglaise tremble devant l'humiliation. Le poète Éric López de Mendoza écrit alors les paroles sur une musique d'Alphandokil. C'est un chant de protestation et de fierté blessée. Très vite, à Portuguesa, devient le symbole du ralliement au mouvement républicain. Il est chanté lors des soulèvements de Porto en 1891 dont nous venons de parler. Suite à la répression sanglante, il est officiellement interdit. A Portuguesa est adopté officiellement comme hymne en 1911, après la chute de la monarchie, remplaçant l'ancien hymne royal. Certaines paroles ont été adoucies, notamment la référence directe « contre les Anglais » devenue « contre les canons » , histoire de maintenir la paix et de ne pas froisser ceux qui demeurent des alliés économiques majeurs, malgré les désaccords. Sous le régime de l'Estat de Novo, rien ne bouge. Le régime, obsédé par la gloire passée du pays, ne trouve rien à redire à ces symboles qui véhiculent une image de fierté nationale. Plus encore, il fixe en 1957 une version officielle de l'hymne, jusqu'alors réinterprétée librement par les orchestres et les fanfares du pays. Une manière sûrement d'éviter une dérive des textes, par la résistance au régime, par cette standardisation formelle. Les évocations de la République sont insidieusement gommées des discours par le régime qui les exècre, et qui s'applique à remettre l'accent sur la notion de nation. Depuis la révolution des œillets et la constitution de 1976, « A Portuguesa » est de nouveau célébré comme un des grands symboles de la République, au même titre que le drapeau ou la langue. On l'entend dans les stades, lors des cérémonies officielles, des commémorations. Chaque fois, il évoque cette mémoire de lutte, d'humiliation surmontée et d'espoir collectif. Bon, ça y est, nous avons couvert les symboles officiels. Mais il en existe bien d'autres, omniprésents, symboles de la culture populaire que l'on retrouve en bibelot, en broderie ou dans les boutiques de souvenirs. Citons en premier un animal commun à la France et au Portugal, le coq. Derrière le petit coq coloré que vous croiserez à tous les coins de rue ici se cache une vieille légende du XVIe siècle liée au pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Barcelos, petite ville de la région du Migno, est un passage obligé de la route des pèlerins sur le Caminho portugues. Un pauvre pèlerin y fut accusé d'un crime. Le malheureux eut beau protester de son innocence, rien n'y fait. Il fut condamné manu militari à la pendaison. Confiant son secours à Dieu et à Saint-Jacques, il déclara que le coq chanterait trois fois avant l'heure de son exécution pour prouver son innocence. Problème ? Le coq en question était destiné au menu du repas du juge. Autant vous dire qu'autour de lui, on s'esclafe. Le coq chante bien deux fois, mais le voilà cuit, et notre pèlerin aussi. À moins que... Pile à l'heure où la corde se tend, voici le miracle. Le coq se redresse sur la table, plume intacte, et se met à chanter avec force. On accourt, on coupe la corde, sauvant le pèlerin, miraculé. Libéré, ce dernier reprend son pèlerinage. Des années plus tard, il revient à Barcelouche et érige un cruzeiro, une croix monumentale en l'honneur de Saint Jacques, de la Vierge et du coq sauveur. Ce calvaire du seigneur Gallo se trouve aujourd'hui au musée archéologique de Paso dos Dux. Le coq polychromant céramique, popularisé au XXe siècle par les artisans locaux, est devenu un symbole de justice, de chance et de foi. et représente aujourd'hui tout un pays au même titre que le coq français. Dans les maisons, un autre oiseau est partout. L'hirondelle. Souvent en céramique, elle orne les murs des maisons et des boutiques. Elle symbolise le retour, la fidélité, les migrations saisonnières. Tout ce qui résonne fort dans un pays marqué par l'émigration. Une hirondelle, c'est l'idée qu'on revient toujours chez soi, même si on part loin travailler ou élever ses enfants, poussés par des conditions difficiles. Ces petits oiseaux noirs et blancs sont devenus de véritables icônes de la saudade portugaise. Parlons maintenant d'un symbole plus intime, que l'on retrouve également partout ici, le cœur de Viana. C'est un symbole vivant du Mignon, cette région nord du Portugal où l'or venu des grandes découvertes et du Brésil a nourri un art hors-fèvre exceptionnel dès le XVIIIe siècle. Apparu au début des années 1700, le cœur tire ses racines du culte du Sacré Cœur de Jésus qui se répand alors dans toute l'Europe catholique. Dans l'Antiquité déjà, le cœur symbolisait le centre de la vie, de la fraternité et de l'amour divin. Des valeurs incarnées par les saints, souvent représentées un cœur nu sur la poitrine. Au Portugal, l'afflux d'or brésilien permet au maître bijoutier de Viana do Castelo, un des grands ports du pays, de créer ses pièces ajourées en filigrane d'or. Un cœur stylisé, avec une courbe et contre-courbe élégantes, souvent surmontées d'une flamme ou d'épines, symbole de dévotion. Une légende tenace le lie à la reine Maria Ière. Après des années d'infertilité, elle aurait commandé un cœur en or massif pour remercier Dieu de lui avoir donné un fils, Juan VI. Enchantée par les modèles locaux lors d'une visite à Viana, elle en aurait popularisé la forme. Fabriquée à la main dans des villages comme Travas ou Gondomar, Ces cœurs deviennent des ex-voto, des portes-bonheurs pour les mariés ou des cadeaux de fiançailles, passant de mère en fille comme un talisman d'amour et de protection. Aujourd'hui, ils n'évoquent plus uniquement un symbole religieux, mais l'amour au sens large. Fraternité, amitié, sourdade. Et on le voit partout, des bijoux familiaux, aux colliers portés par des stars hollywoodiennes, jusqu'aux logos de campagne comme l'Euro 2004. Si vous avez déjà visité le Portugal, vous avez sûrement déjà foulé un autre grand symbole national, emblème discret et omniprésent, la calçade portugaise. Ces trottoirs en petits pavés blancs et noirs. On les associe souvent à Lisbonne, mais on en retrouve un peu partout dans le pays. C'est beau, un peu périlleux quand il pleut, et c'est surtout un art urbain qui parle des liens du Portugal avec la pierre, la mer et l'ancienne empire coloniale, puisque ces techniques ont voyagé jusqu'au Brésil ou à Macao. Ces décors de pavés noirs de basalte et blancs de calcaire ont des racines anciennes, remontant à l'antiquité romaine. Ils sont d'ailleurs évoqués dans Astérix en Lusitanie, sorti le mois dernier. Leurs motifs se sont également enrichis par les motifs élaborés utilisés dans l'art mort. Leur utilisation a été développée par un roi très important dans l'histoire portugaise, sur lequel nous reviendrons probablement dans un prochain épisode. Manuel Ier, monarque à l'origine de son propre courant esthétique, le manuelisme au XVe siècle. Beaucoup des réalisations lisboètes disparaîtront lors du tremblement de terre de 1755, dont je vous ai parlé dans l'épisode 3 de la saison 1. La forme actuelle de la calzada naît en 1842 au château Saint-Georges. Le général Eusebio Pinheiro Furtado, gouverneur, y fait poser par des prisonniers un motif simple de vagues en noir et blanc, premier exemple connu de calzada artistique. Le succès est immédiat, et en 1848, il fait paver la Praça do Rocio, 8712 m2 quand même, en hommage aux navigateurs portugais. Ces motifs, des vagues, des rosaces, des compas, des soleils, évoquent la mer, l'empire et la foi, et est réalisé par des calceteiros, des paveurs, posant les pierres sur un lit de sable et de chaux. La technique se répand alors dans tout le Portugal et ses colonies dès 1905, comme à Manaus, au Brésil. Aujourd'hui, ces pavés continuent de causer de belles chutes, jusqu'à 150 par jour à Lisbonne quand même, et offrent des défis de restauration avec des nouveaux matériaux antidérapants. Mais ils font la fierté des Portugais. Enfin, j'avais envie de terminer cette liste non exhaustive de symboles nationaux par un symbole des Portugais en tant que peuple, le personnage de Zé Pouvignon, un personnage populaire dessiné par Rafael Bordalo Pinheiro en 1875. Cet homme du peuple, au chapeau cabossé, à la barbie hirsute et aux gestes moqueurs, est bien plus qu'une caricature. C'est l'incarnation satirique du Portugais lambda. Bordalo Pinheiro, né en 1846 à Lisbonne au sein d'une famille bourgeoise et cultivée, utilise ce « monsieur tout le monde » pour fustiger la corruption, les impôts écrasants et l'incompétence politique d'une monarchie agonisante, minée par la dette et les crises coloniales. Zépovignou râle, subit, ironise, mais ne se révolte jamais vraiment, symbole parfait de la déchconfiance portugaise, cette résignation mêlée de révolte passive. Il commentera assidûment toute l'actualité mouvementée de la fin du XIXe siècle. Après la mort de son créateur en 1905, d'autres caricaturistes le reprennent et en font un étendard républicain en 1910, puis un cri de désillusion post-révolutionnaire. Sous les Stade Honoraux, la censure bride ses apparitions, mais il survit dans l'imaginaire populaire. Aujourd'hui, 150 ans après sa naissance, célébrée en 2025, Zépo Vigneault est la personnification non officielle du Portugal. Il critique les élites, dénonce l'abandon rural, l'émigration ou la bureaucratie européenne, toujours avec son air bonhomme et son pouce narquois. Présent au musée Bordalopinier ou à Lisbonne, ou en statue dans les rues, il incarne le petit peuple frondeur, résigné mais fier, reflet d'un Portugal kiral sans jamais abdiquer sa saudade ironique. Alors récapitulons. Les symboles portugais dont on a parlé aujourd'hui sont bien plus qu'un folklore touristique. C'est un kaléidoscope vivant d'identité nationale, tissé entre héritages médiévaux, rêves d'exploration et révoltes républicaines et populaires. Ce patchwork iconique, né de luttes, d'histoires de pèlerins, de prisonniers et de reines, révèle un Portugal toujours aussi complexe. Entre le coq qui chante pour la justice divine, les hirondelles migrantes de la Saoudade et un hymne né d'un peuple fier face à l'humiliation, ces emblèmes restent un miroir d'une nation riche de sa petite et de sa grande histoire. Ils tracent tous un chemin vers l'essence d'un pays qui refuse de se laisser définir. J'espère que cet épisode vous a plu. N'hésitez pas à me dire quel symbole vous touche le plus, ou à partager ceux que vous croisez dans votre quotidien lusophone. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode de l'usobribe, où l'on continuera d'explorer ensemble les nuances et les mystères du Portugal. Merci pour votre écoute. N'hésitez pas à me laisser vos commentaires et vos remarques sur votre plateforme de podcast préférée, Facebook ou Insta. À bientôt !