Speaker #0Hola, chers auditeurs et auditrices de l'Usobrib ! Tout d'où ben ? En ce moment, on alterne canicule et jour maussade. Alors, selon le caprice météorologique du jour, attrapez-vous une citronade ou une bonne tasse de thé noir, car c'est parti pour un nouvel épisode. Plutôt facile de choisir la thématique pour ce mois de juin. Disons qu'un clin-cyc me tend les bras. Le 10 juin, c'est fête nationale. Pourtant, on ne peut pas dire que ce soit le jour dont on parle le plus. A Porto, ce jour est un peu coincé entre deux géants. Le 25 avril, qui n'est pas si lointain, et la Saint-Jean, dont résonne déjà le bruit des marteaux festifs. Et pourtant, il y en a des choses à dire sur ce jour. Jour de Camoèche, du Portugal et des communautés, rien que ça. Et vous allez voir, ça en dit long. Allez, je vous raconte. Si la plupart des pays du monde choisissent de célébrer une victoire militaire ou politique pour leur fête nationale, le Portugal ne fait encore une fois rien comme tout le monde. Le 10 juin, on célèbre en premier lieu un poète. Luís de Camoes. Attention, c'est pas le premier rime ailleurs venu C'est sous sa plume que naît l'exploit en 1572 Une épopée nationale, un texte fondateur, les Lusiades Ce texte, c'est dire, est fréquemment comparé avec l'Odyssée d'Homère En effet, il y répond par sa complexité, son lyrisme et son travail de la langue tout en rime Pour en comprendre l'importance, il faut remonter le temps Nous sommes environ 70 ans après que Vasco de Gama, grand héros des Portugais, ait ouvert la route maritime vers les Indes en contournant le Cap de Bonne Espérance. L'Empire colonial portugais commence déjà son long et lent déclin, le souffle des autres puissances colonisatrices se faisant sentir sur sa nuque. Le Portugal perd du terrain en Asie, la France menace le Brésil, or quand le géant vacille, le peuple doute, la nation tremble. Il lui faut retrouver un souffle dans un récit patriotique. C'est le but d'Élusiade, faire le récit de la naissance et de la grandeur du peuple portugais jusqu'à cet instant charnière. Et attention, on n'est pas sur un livre d'histoire un peu plat. La viracité historique n'a qu'à bien se tenir. Ici les dieux de l'Olympe rendent hommage à Lusus, fils rebelle de l'Egypte. de Bacchus et père mythique des Lusitaniens, ses ancêtres des Portugais qui placeraient de facto le Portugal à égalité avec la grandeur de l'Empire romain, rien que ça. Les difficultés du Cap de Bonne-Espérance ? Rien de moins qu'un géant belliqueux, Adamastor. L'otage, quant à lui, est peuplé de sirènes. Y a de quoi lever un sourcil ! Lors de la publication des Lusiades, l'Inquisition portugaise bat son plein, instaurée par Donjón Treix. Et autant vous le dire tout de suite, elle n'a rien à envier à sa cousine espagnole. On n'est pas sur de la grande rigolade ! Pourtant, cette dernière approuve le texte de Camoëch, criblé d'hérésie et de référence au péché de la chair. C'est dire si celui-ci est jugé nécessaire pour la nation en péril. Mais alors, c'est qui ce Kamouèche ? Eh ben, on n'en sait pas des tartines sur le personnage. Lieux et dates de naissance inconnues, longtemps exilé en Asie, en Inde et en Chine, sa biographie a plus de trous que de certitudes. Certains lui attribuent... des liens familiaux avec Vashko de Gama, mais rien n'est moins sûr. Kamoèche est plus un mythe qu'un homme. Même physiquement, le mec tient de la légende. Éborgné lors d'une bataille en Afrique du Nord, il est le plus souvent représenté avec son cache-œil mi-poète, mi-pirate. Bien loin d'une figure de gratte-papier ayant écrit dans le confort d'un salon feutré, on adore sa figure d'aventurier. On raconte par exemple que lors d'un naufrage, il aurait sauvé son œuvre des eaux d'un seul bras perçant les flots au risque de sa vie. Vérité ou fantasme ? Personne n'a envie de trancher. Il aurait fini d'écrire son texte dans une grotte, à Macao, aujourd'hui entouré de jardins en son honneur. Sa fin, pourtant, sera bien loin du grandiose. Il ne faut jamais mourir quand on est une légende. Il faudra un artiste français, Joseph Léon Roland de l'Eston-Parade, je reprends ma respiration, pour la représenter avec simplicité. La mort de Camoèche, en 1835. On y voit le poète, très humain, sur son lit de mort, entouré par un esclave ayant accompagné sa fin de vie, et d'une marchande de poissons. Selon la légende. Camoèche est donc mort le 10 juin 1580, dans la pauvreté, dans un hospice. C'est une date importante au Portugal, car elle marque le début d'une période complexe que nous évoquerons sûrement dans un futur épisode. La perte d'autonomie quasi totale par le Portugal, réunie avec l'Espagne dans l'Union ibérique. Camoèche aurait prononcé ses dernières paroles « Morro com a patria » « Je meurs avec la patrie » . Là encore, on est sur du légendaire. et de l'Ottman symbolique. Mais alors, à quel moment cette date de la mort de Camoège est-elle devenue la fête nationale ? Il s'agit d'une création de la première république portugaise. Le gouvernement républicain cherche alors à instaurer un férié laïque pour la nation. On avait déjà célébré les 300 ans de la mort du poète au XIXe siècle sous l'impulsion du roi Luís Ier et de figures républicaines comme Théophile Braga. Le choix se porte donc assez naturellement sur ce poète mythique mais aussi subversif. C'est en 1919 qu'est célébré le premier jour de Camoëche, d'abord férié municipal à Lisbonne avant de devenir la fête nationale en 1925. Salazar va très vite saisir le pouvoir nationaliste et impérialiste de cette fête qu'il renomme Dia de Camoëche de Portugal et da Raça, soit le jour de Camoëche du Portugal et de la race portugaise. La journée sert alors pleinement la propagande du régime. A partir de 1963, elle devient également un hommage aux forces armées, alors que les guerres coloniales drainent le pays de ses forces humaines et de ses ressources. Après la révolution de 1974, cette journée perd sa connotation raciste et militariste. La polémique s'installe. Faut-il conserver cette date, salie par la dictature, ou lui préférer une date politique comme le 25 avril, révolution des œillets, ou le 5 octobre ? proclamation de la République. Finalement, la fête nationale sera conservée face aux autres options jugées trop politiques ou clivantes. La célébration de la race est remplacée en 1977 par celle des communautés portugaises, célébrant la diaspora, la culture et la langue portugaise à travers le monde. Chaque année, une ville différente accueille les cérémonies officielles et une partie des festivités se déroulent à l'étranger auprès des communautés portugaises. En 2025, les célébrations ont donc eu lieu à Lagos, en Algarve et à Macao. Mais de qui parle-t-on donc avec ce mot de communauté ? La diaspora portugaise est l'une des plus anciennes et des plus vastes du monde. On parle de plus de 82 millions de personnes d'origine portugaise ou lusodescendante, dont seulement 10,7 millions vivent au Portugal. On les retrouve principalement au Brésil, ancienne colonie reine du Portugal. Viennent ensuite dans l'ordre démographique les États-Unis, la France, la Suisse, le Luxembourg, le Royaume-Uni, le Canada, la Belgique et les Pays-Bas. En France, les Portugais représentent la deuxième nationalité étrangère, avec 550 000 personnes en 2023, et la troisième population née à l'étranger. On retrouve également des communautés historiques en Afrique et en Asie, héritières de la colonisation. En Angola, au Mozambique, au Cap-Vert... en Inde, à Goa principalement, à Macao ou au Timor-Oriental. Ces Portugais de l'étranger ne sont pas que des chiffres. Ils participent activement à la vie démocratique du pays, avec leurs propres représentants à l'Assemblée de la République et via un organe consultatif spécifique appelé le Conseil des Communautés Portugaises, CCP. Pour parler plus concrètement, la diaspora a joué un rôle crucial dans la consolidation de la démocratie après la Révolution des Oeillets. S'inspirant des réussites démocratiques de leur pays d'adoption, ils ont apporté avec eux une ouverture sur le monde essentielle et salvatrice. Les exilés ont également participé activement à la transformation économique et sociale du pays avec les revenus de leurs labeurs, investissant largement dans leur région d'origine. La diaspora fait également énormément pour la diffusion de la culture nationale en maintenant des écoles portugaises partout dans le monde, en organisant des événements et en tissant un réseau associatif très dynamique. Elle mérite donc assurément sa place aux côtés de Camoèche pour cette fête nationale. D'ailleurs, les deux se donnent la main via le réseau de l'Institut Camoèche dans le monde. Cet organisme public, géré par le ministère des Affaires étrangères, a été créé pour promouvoir la langue et la culture comme nos instituts français. Il coordonne l'enseignement du portugais, de l'école primaire à l'université, célèbre la lusophonie et organise de nombreux événements culturels dans plus de 80 pays. Allez, avant de conclure cet épisode, c'est l'heure des recommandations culturelles. Je ne sais pas vous, mais moi lire Kamouèche dans le texte, ça me paraît encore un peu costaud. Sachez malgré tout que vous trouverez facilement le texte traduit en français, notamment chez Gallimard par Yacine Garin, ou en édition bilingue chez Robert Laffont. Les deux sont dispo à ma petite librairie à Porto, pour info. Côté ciné vintage, un film de 1946, Camouèche, de José Leighton de Barroche. Ce biopic classique sur la vie du poète a été présenté au premier festival de Cannes. Pour les fans de peinture, les illustrations d'Élusiade par Antonio Soares d'Ostreix réalisées en 1878 sont visibles au musée du même nom à Porto. Pour la team Lisbonne, passez sur la place Camorèche. Une statue monumentale rend hommage au poète signé Victor Bastos, 1867. Passez également au monastère des Hieronymites à Belém, voire son tombeau, et au musée national d'art ancien, vous y trouverez de nombreuses œuvres inspirées des Lusiades. Petit clin d'œil à mes amours parisiennes, à Paris aussi, on trouve une statue hommage à Camoëch. Et pas n'importe où, son buste a vu sur la tour Eiffel. Pour l'anecdote, les riverains du 16e arrondissement étaient contre son installation à l'origine, affolés par la réputation de libertin de Camoëch le sulfureux. La statue a été régulièrement vandalisée, au point que le buste présent aujourd'hui n'est pas l'original. Merci à la grande bourgeoisie parisienne, jamais décevant. Alors récapitulons. Un récit mythique fait de tempêtes et de monstres vengeurs, un récit national complexe et un peuple en équilibre entre impérialisme et immigration. En faisant mes recherches pour cet épisode, j'ai beaucoup appris. Le Choix de Camoège parle pour moi de la même du Portugal. Son personnage d'aventurier, son statut d'exilé, de voyageur. Le jour du Portugal, c'est aussi celui de la diaspora et des communautés à travers le monde. De Pessoa à Ronaldo, les Portugais les plus fameux ont toujours vécu en dehors du Portugal. Pessoa définissait d'ailleurs ainsi l'essence même de l'identité portugaise, toujours cosmopolite, jamais seulement portugaise, mais portant en elle l'influence de ses voyages, de ses migrations et de ses errances. Le 25 avril me semble bien plus célébré que le 10 juin. Cette date, vue comme trop politique pour faire fête nationale, serait-elle finalement plus confortable ? La Révolution est un moment de rupture, là où le 10 juin parle des racines, d'une base qui fait nation avec ses zones d'ombre. Ces deux jours si proches fonctionnent comme en miroir, deux faces d'une même pièce, portant en eux toute la complexité de l'identité portugaise d'aujourd'hui. Merci pour votre écoute et votre fidélité. Nous avons encore tant de choses à découvrir. N'hésitez pas à me laisser un commentaire ou un avis sur votre plateforme de podcast préférée. À bientôt !