Speaker #0Vous vous êtes peut-être déjà demandé pourquoi il y a autant de joueurs de nationalités espagnoles, italiennes, belges ou encore portugaises dans le championnat de France de football. Réciproquement, pourquoi autant de joueurs français jouent dans des championnats des pays voisins ? Si vous ne le savez pas, demandez à Jean-Marc Bosman, je suis sûr qu'il a une idée. Jean-Marc Bossman, sans lui faire injure, n'a pas marqué le football par ses performances sur le terrain. Footballeur professionnel, il a eu une carrière pour le moins modeste, même si j'admets que j'aurais bien aimé avoir la même. Son parcours l'a amené à jouer à un bon niveau dans les années 80 et un petit peu au début des années 90. Mais il n'a jamais gagné la Ligue des champions, il n'a jamais participé à une Coupe du Monde et il n'a jamais fait l'objet d'un classement pour le Ballon d'Or. Il n'empêche que son abnégation, sa persévérance et sa motivation à faire valoir ses droits ont permis à la Cour de Justice de rendre un arrêt fondamental sur la libre circulation, non seulement des footballeurs, mais de tous les sportifs professionnels dans l'Union. Cet arrêt a été rendu par la Cour de Justice le 15 décembre 1995 et restera à jamais appelé l'affaire Bossman, du fait de ce joueur qui n'imaginait sans doute pas avoir une influence sur son sport de cette manière. L'histoire de Jean-Marc Bosman nous amène au printemps de l'année 1990. Il joue alors en Belgique, dans un club qui s'appelle le Royal Club Liégeois. Son contrat avec le club prend fin au 30 juin 1990, mais le club lui propose de prolonger pour une saison supplémentaire. Jean-Marc Bosman refuse, et pour cause. Le Royal Club Liégeois lui propose de diviser son salaire par quatre. De nos jours, l'histoire pourrait s'arrêter là, et un joueur en fin de contrat serait libre de signer dans le club de son choix, et ce gratuitement. Mais la réglementation applicable de l'époque implique que des indemnités de transfert doivent être payées au club d'origine du joueur. La mise à prix du transfert de Jean-Marc Bossman en 1990 est alors fixée à près de 12 millions de francs belges, ce qui correspond à un peu moins de 300 000 euros actuellement. Une somme qui peut paraître dérisoire dans l'économie du football professionnel tel qu'on le connaît aujourd'hui. Ce prix est pourtant trop élevé, et Jean-Marc Bossman ne trouve pas preneur. Il se rapproche néanmoins d'un club français, l'Union Sportive du littoral de Dunkerque, qui lui propose un contrat, mais ne peut débourser une telle somme. Un arrangement est alors trouvé. Jean-Marc Bossman restera engagé avec Liège pour une saison de plus, mais prêté à Dunkerque, moyennant une somme réduite à 1,2 millions de francs belges, ce qui fait à peu près 30 000 euros. Et en fin de saison 90-91, Dunkerque versera une autre somme pour bénéficier du transfert définitif du joueur pour un montant de 4,8 millions de francs belges, ce qui nous fait environ 120 000 euros. L'accord entre les deux clubs et le joueur est total. Bosman doit devenir un joueur de Dunkerque. Pour finaliser l'affaire, il ne reste plus qu'à la Fédération de football belge de transmettre à son homologue française un certificat de transfert. Cette opération administrative permettra à Bosman de débuter sous ses nouvelles couleurs le 2 août 1990 pour la première journée de Division 2 du championnat français. Et pourtant, ce document ne sera jamais délivré par la Fédération belge. Le club de Liège... a finalement fait machine arrière, demandant à la fédération de ne pas livrer le document, invoquant un risque d'insolvabilité du club de Dunkerque, et donc une absence de paiement des indemnités de transfert. Jean-Marc Bossman se retrouve alors bloqué, et il ne peut même pas espérer retrouver sa place dans l'équipe du Royal Club de Liège, le club l'ayant mis à l'écart. Pourtant, Jean-Marc Bossman ne va pas se laisser faire. Il va d'abord saisir le tribunal de première instance de Liège en référé. pour obtenir une solution rapide quant à sa situation. Il va d'ailleurs obtenir gain de cause, et le juge du référé va prononcer une interdiction d'entraver la poursuite de la carrière de M. Bossmann à l'encontre du Royal Club de Liège et de la Fédération Belge de Football. Cette décision lui permet d'ailleurs de s'engager avec un autre club français, l'Olympique de Saint-Quentin, avec lequel il ne finira d'ailleurs pas la saison, puisque le club va résilier son contrat, mais a priori pour des raisons sportives cette fois. Mais ce n'est pas tellement la suite de la carrière sportive de Bosman qui a un intérêt, mais plutôt les suites de l'action en justice qu'il a entrepris devant les juridictions brej. En plus de l'action en référé que l'on vient de rappeler, Bosman introduit une autre action, pour obtenir une réparation en raison du préjudice qu'il estime avoir subi en étant empêché d'être transféré à Dunkerque. Il saisit le tribunal de première instance de Liège d'une action en responsabilité qui vise non seulement Son ancien club, le Royal Club des Jeux, mais aussi la Fédération Belge Football, mais encore l'UEFA, la très puissante fédération européenne de football. Jean-Marc Bossman estime en effet avoir subi un préjudice dans l'histoire de son transfert avorté avec Dunkerque, mais plus généralement un gros manque à gagner tout au long de sa carrière en raison des règles restrictives de l'UEFA sur le transfert des joueurs qui sont selon lui trop contraignantes. Et c'est à partir de là que notre histoire va rencontrer le droit de l'Union Européenne. Parce que Bosman considère que les règles applicables en matière de transfert sont contraires à une disposition fondamentale de l'Union, la libre circulation des travailleurs. Il développe un argumentaire consistant à contester le paiement d'une indemnité entre clubs alors qu'un joueur arrive en fin de contrat, exactement comme dans sa situation. Et il s'en prend aussi à une autre réglementation de l'UEFA de l'époque. qui n'existe d'ailleurs plus précisément grâce à l'arrêt Bosman. Une réglementation qu'on appelle les clauses de nationalité et qui obligeait en pratique les clubs à n'aligner que des joueurs de la même nationalité que le club concerné. Les clubs français étaient donc composés de joueurs français, les clubs italiens de joueurs italiens et les clubs belges de joueurs belges. Indirectement, Bosman pose cette question. Est-il bien normal que des sportifs professionnels soient contraints d'appliquer Ce qui n'est autre qu'une discrimination fondée sur la nationalité. Cet argumentaire va finir par faire douter le juge de Liège, qui va alors se tourner vers la Cour de justice pour lui poser la question. Les règles applicables en matière de transfert de joueurs et la prise en compte de la nationalité dans les effectifs des clubs sportifs sont-elles bien conformes à la libre circulation des travailleurs européens, telle que cela est prévu dans le traité de Rome de 1957 ? Ok, on y arrive. Deux minutes d'arrêt à Luxembourg. Quelles ont été les réponses apportées par la Cour dans son arrêt rendu le 15 décembre 1995 ? Premièrement, la Cour va dire pour droit que la réclamation d'une indemnité de transfert pour un joueur en fin de contrat dans son club est un obstacle à la libre circulation des travailleurs. Parce qu'une telle règle affecte l'accès au marché du travail dans un État membre de l'Union. Et de ce point de vue, il s'agit d'une entrave non discriminatoire au marché intérieur, parce qu'il y a un empêchement pour le travailleur de circuler librement pour chercher un emploi dans un autre état membre que le sien. Deuxièmement, la Cour va également dire pour droit que les règles de l'UEFA, celles qui sont relatives aux clauses de nationalité, sont également contraires à la libre circulation des travailleurs. En limitant la présence de joueurs non nationaux dans les effectifs des clubs, La Cour estime qu'une Une telle réglementation constitue une entrave, et une entrave discriminatoire cette fois, au marché intérieur. Sous l'effet de cet arrêt, l'UEFA a été contrainte de changer ses règles et de supprimer les clauses de nationalité. Et c'est ce qui explique qu'aujourd'hui, les joueurs, qu'ils soient français, sloven, polonais, espagnol, ou toute autre nationalité d'un État membre de l'Union, puissent jouer sans restrictions en Europe. L'arrêt Bosman a donc été le point de départ d'un phénomène de libéralisation du marché du travail des sportifs professionnels. Un phénomène qui a par la suite été amplifié sous l'effet d'autres arrêts de la cour. Mais ça, ce sont d'autres histoires qu'on aura l'occasion de raconter dans d'autres épisodes. Si vous êtes arrivé au bout de cet épisode, je vous remercie. Je vous remercie d'avoir suivi la petite histoire de Jean-Marc Bossman, qui a conduit à un grand arrêt de la cour de justice. Un grand merci et à bientôt pour un nouvel épisode de Luxembourg, 2 minutes d'arrêt.