- Speaker #0
Rencontre sauvage avec Zelika Dinga, chef et créatrice du studio culinaire Caro Diario. Zelika Dinga, que représente pour vous ce terme de rencontre sauvage ?
- Speaker #1
Le terme de sauvage, c'est un terme qui m'a fait un petit peu buter quand il a été présenté pour la première fois. Je suis un petit peu partagée entre l'idée de quelque chose de naturel, avec la rencontre avec ce qui n'a pas été touché par l'homme, et puis le sauvage a aussi peut-être une connotation un petit peu plus inquiétante, un petit peu plus négative, sur laquelle j'ai peut-être un peu plus de mal à me projeter. Mais je suis citadine, urbaine, j'habite en ville. Donc, je n'ai pas vraiment l'occasion d'être confrontée à des rencontres sauvages.
- Speaker #0
Alors, pourquoi est-ce que ce terme pouvait vous rebuter d'une certaine manière ?
- Speaker #1
Parce que je crois que dans le mot sauvage, il y a aussi peut-être l'œil humain de ce qu'est le sauvage, c'est-à-dire quelque chose qui a besoin d'être dompté, qui a besoin d'être cadré, encadré. Et je trouve que ça y associe aussi une certaine tristesse dans la volonté de réguler. Et maintenant, le sauvage, pour moi aussi, très basiquement, je l'associe à la nature, à ce qui pousse naturellement, à ce qui est de l'ordre d'une balade en forêt ou en montagne, de ramasser des aiguilles de pin en randonnant dans les Alpes. Donc voilà, c'est peut-être un peu à la frontière entre les deux, entre quelque chose de très réjouissant et puis aussi qui effraie un peu le sauvage.
- Speaker #0
Dans sa volonté d'être cadré.
- Speaker #1
dans sa volonté d'être cadré et puis aussi dans sa dimension d'inconnu. Le sauvage, j'imagine que par définition, c'est ce que l'homme n'a pas vu, ne connaît pas. Et donc, c'est ce qui est aussi un peu inquiétant, peut-être.
- Speaker #0
Alors, quand vous êtes justement sur un chemin, en train de marcher, dans un décor naturel que vous sentez, par exemple, s'épeint, que vous venez de mentionner. Est-ce qu'il y a quelque chose qui vous touche particulièrement ? Est-ce que vous vous sentez dans votre élément, par exemple ?
- Speaker #1
Oui, oui, tout à fait. Moi, je suis une randonneuse. J'adore marcher. Quand je marche, j'adore froisser un peu les plantes qui sont autour de moi pour sentir leur odeur. J'étais, du coup, là, en randonnée récemment et c'était chouette de pouvoir ramasser des aiguilles de pin et j'espère que je pourrais les faire infuser pour en faire peut-être un parfum de glace. C'est un ravissement d'être entourée de ce qui est différent de l'environnement urbain dans lequel j'évolue habituellement et qui est aussi, je pense, peut-être sauvage dans sa connotation peut-être plus négative par d'autres aspects. Pour moi, le sauvage positif, c'est le sauvage naturel. Et puis le sauvage peut-être un peu plus négatif, c'est ça, c'est la présence de l'homme. Je trouve qu'il n'y a rien de plus sauvage que... Par exemple, qu'un pot d'échappement. Voilà.
- Speaker #0
De quelle manière le sauvage pourrait rentrer aussi dans votre art, qui est l'art de faire des gâteaux, l'art de cuisiner ? Est-ce que cette dimension-là peut faire partie de votre travail ?
- Speaker #1
Alors, moi, j'exerce à la fois en tant que cuisinière et que pâtissière. J'ai un studio culinaire qui s'appelle Carro Diario, par lequel on rend un service à des marques. en les accompagnant sur la partie culinaire de certains de leurs événements, donc en développant des choses extrêmement personnalisées. Je ne dirais pas que le sauvage a vraiment sa place dans l'activité que nous développons. Au contraire, il s'agit de quelque chose de très cadré, avec une part très décortiquée, une part de recherche qui ne laisse pas beaucoup la place au hasard. Alors, je ne sais pas si le sauvage est synonyme de hasard. En tout cas, dans la conception de notre activité au quotidien, Je ne dirais pas que le sauvage est vraiment présent. En pâtisserie, encore moins. La pâtisserie, c'est une discipline qui est extrêmement rigoureuse, qui est très formelle, qui fonctionne si on applique des règles préexistantes. Maintenant, je pense qu'en cuisine, il y a peut-être une possibilité d'expérimenter, d'aller à la rencontre. de saveurs, de gestes, de façon peut-être un peu plus instinctive. Et après, est-ce qu'utiliser le sauvage, c'est peut-être faire infuser un beurre avec des pousses de bleuets ? Ou est-ce que c'est vraiment utiliser ce que la nature a à offrir de manière très saisonnière, très momentanée, succincte, en suivant les saisons, dans notre discipline ? Oui, sans doute. Moi, j'ai l'impression que quand même, le travail qu'on effectue via notre studio est assez... J'ai envie d'utiliser le mot contraint, mais pas de façon négative. Mais on expérimente de façon assez limitée quand même. Maintenant, je pense que les pâtissiers s'inspirent aussi de... On est quand même très influencés par le naturel. D'ailleurs, il y a eu quelque chose d'assez drôle qui s'est passé ce matin en cuisine. On fait des tests pour faire une glace à la... à la feuille de figuier. Et c'est là qu'il est intéressant de voir que la nature n'en fait un peu qu'à sa tête parce qu'on infusait des feuilles de figuier dans un lait pour en faire une glace. Et la feuille de figuier, c'est très compliqué de la travailler avec des produits laitiers parce qu'elle a un taux d'acidité qui va être plus ou moins intense selon les produits qu'on reçoit et qui peut faire cailler les produits. Donc voilà, ce matin en cuisine, on n'a pas eu de chance, on a fait infuser des feuilles de figuier. dans du lait, ce qui a fait immédiatement cailler le produit. Évidemment, il n'est pas question de le jeter. Donc, ce qui est chouette, c'est de pouvoir imaginer ce qu'on peut faire avec ce lait qui a caillé du fait de l'acidité de la feuille de figuier. Et peut-être que ça peut être une base pour faire un yaourt qui servira à faire une glace au yaourt infusé à la feuille de figuier ou peut-être pour tourner la crème en beurre plus tard. Peut-être que le sauvage, il apporte aussi une... Une possibilité d'imprévu dans une discipline qui est extrêmement normée et dans laquelle traditionnellement, on va vouloir recevoir des ingrédients qui se ressemblent tous, qui sont extrêmement calibrés. Le calibre, il a une grande importance en pâtisserie. Je pense que si demain, certains pâtissiers reçoivent des framboises qui ont des tailles différentes les unes des autres, ils seront dans l'incapacité de faire une tarte aux framboises qui convienne aux normes de la présentation qu'ils ont envisagé.
- Speaker #0
Si on devait faire une liste d'ingrédients qui pourraient être justement des ingrédients sauvages pour faire après de la pâtisserie, qu'est-ce qui vous viendrait à l'esprit ? Qu'est-ce que vous auriez envie de tester ?
- Speaker #1
En fait, moi, j'ai l'impression que les ingrédients sauvages, ce sont les ingrédients qui se présentent à nous un peu de façon peut-être spontanée ou sans les avoir commandés ou désirés. Alors si, effectivement, là, en ce moment, on travaille avec un cueilleur avéronné. qui va nous envoyer sa liste de cueillettes possibles, disponibles, dans un champ de, je ne sais pas, peut-être un périmètre, un diamètre de 20 kilomètres autour de chez lui. Donc on va recevoir une liste où il va nous dire, cette semaine, je peux avoir telle fleur, telle feuille, telle racine, et je pense que ça, c'est une... pouvoir imaginer des accords, des possibilités de plats, de mets, que ce soit de la pâtisserie ou de la cuisine, ... qui soit directement liée à cette ultra-saisonnalité, peut-être que c'est ça une rencontre sauvage en fait. Et je pense que la nature est bien faite et que se fournir de façon extrêmement locale, extrêmement saisonnière, ne peut que résulter en des accords heureux dans l'assiette. Je crois que les fruits et les légumes de saison fonctionnent très très bien entre eux. Je dirais que c'est peut-être ça, la cuisine ou la pâtisserie sauvage. de respecter cette temporalité.
- Speaker #0
Célica Dinga, quel serait selon vous un goût sauvage ?
- Speaker #1
Si le sauvage, ça représente ce qui n'a pas été touché, vu par l'homme, s'il y a une représentation de l'inconnu, j'imagine qu'un goût sauvage, c'est un goût qui, peut-être par son intensité, peut-être par sa nouveauté, va emplir d'une manière complètement inattendue. On se souvient peut-être tous de la première fois qu'on a mangé, je ne sais pas. des poivres de Sencha ou du Sichuan, vraiment des poivres qui vont un peu anesthésier la bouche et qui vont mettre l'essence dans une sorte de dissonance. On va se demander, mais qu'est-ce qui se passe ? Est-ce qu'après avoir mangé ce piment, je vais retrouver mon palais tel qu'il était avant ? Est-ce qu'après avoir mangé ce poivre, je vais pouvoir déguster mon repas tel que je m'attendais à l'apprécier ? Peut-être qu'un goût sauvage, c'est un goût qui déstabilise, qui est en dehors de l'attendu parce qu'il est nouveau. Et peut-être que ça n'arrive qu'une fois. Je veux dire, on mange, on est surpris. Après tout, dans le goût, on est sur... pris une seule fois par quelque chose parce qu'après elle est connue, elle est enregistrée, elle est processée. Voilà. Peut-être. Je ne sais pas. En fait, moi, je suis quand même assez classique dans les goûts que je développe et j'aime bien ce qu'on appelle un petit peu un palais de bébé. Donc j'aime bien, là, quand je propose des glaces, j'aime bien proposer des parfums que les gens vont connaître, qu'ils vont apprécier, etc. Mais peut-être qu'il faut que je sois plus audacieuse et que je pense à faire une, je ne sais pas, une glace avec un... un arôme complètement, enfin, ou un produit complètement inconnu et fou qui fasse un petit peu froncer les sourcils. Mais c'est drôle parce que je n'ai jamais entendu parler de cuisine en ces termes. Je ne me suis jamais dit, oh là là, ce chef fait une cuisine. sauvage.
- Speaker #0
On est ici au musée de la chasse et de la nature vous avez l'habitude de proposer des mets, des gâteaux pour des marques alors je me demandais s'il fallait faire un gâteau qui représenterait l'esprit du musée de la chasse et de la nature quels seraient les ingrédients que vous pourriez avoir envie de mettre dedans ?
- Speaker #1
C'est drôle parce que le musée de la chasse et de la nature je le vois plus salé que sucré mais c'est peut-être en raison du mot chasse j'ai pas envie de faire un gâteau au foie de grouse ou de perdreau. Mais alors, le musée de la chasse et de la nature, c'est vrai qu'il y a nature aussi dedans. Et du coup, la nature, elle est peut-être un peu plus sucrée. Qu'est-ce que je pourrais faire comme gâteau pour ce si beau musée ? Je pense qu'il faudrait que ce soit un gâteau visuellement très élégant. On est quand même dans un bel hôtel particulier, du marais, dans lequel rien n'est laissé au hasard. je pense que j'imaginerais un gâteau peut-être Une structure assez haute, avec quelque chose qui évoque une balade dans les bois ou dans un champ. Donc peut-être que je le recouvrerai de pétales de fleurs. Je ferai peut-être une base infusée avec des herbes, je ne sais pas, peut-être une génoise à la verveine. Et peut-être que dedans, je mettrai une crème muséale. Si, si, si, je mettrai des baies peut-être trouvées en se baladant dans les bois. Donc peut-être des... des murs cueillis comme ça. Et puis oui, je pense que juste je le recouvrirai de jolis pétales de fleurs.
- Speaker #0
On aurait là notre gâteau sauvage finalement.
- Speaker #1
Oui, on aurait notre gâteau sauvage, c'est vrai. Bien vu. J'ai fini par y arriver.
- Speaker #0
C'était Zélica Dinga, chef et créatrice du studio culinaire Caro Diario. qui propose en ce moment et jusqu'au 13 juillet un pop-up de glace italienne dans la cour du musée de la chasse et de la nature. Rencontre sauvage, un podcast du musée de la chasse et de la nature, réalisé par Céline Duchesnet et Laurent Polret.