- Speaker #0
Le musée sacem présente Évocation d'une vocation avec Stéphane Lerouge. Dans Évocation d'une vocation, un compositeur d'aujourd'hui nous raconte les 5 bandes originales fondatrices. qui ont façonné son ADN et lui ont transmis l'envie, l'impulsion d'écrire pour l'image. Pour ce quatrième épisode, nous accueillons la compositrice la plus active du cinéma français, dont le parcours est lié à celui de deux cinéastes, Pascal Ferrand et Dominique Cabrera. Pascal Ferrand est d'ailleurs à la fois sa sœur et mère de cinéma, puisqu'elle lui a offert son baptême de long métrage avec Petits Arrangements avec les Morts en 1994. À ce jour, les partitions emblématiques de notre compositrice s'intitulent L'autre côté de la mer, le lait de la tendresse humaine, Lady Chatterley, Le coeur des hommes, Bird People, Cornish Kennedy. Bonjour Béatrice Thiriet.
Bonjour Stéphane Lerouge.
Merci d'être présente aujourd'hui dans Évocation d'une vocation. Vous avez choisi de nous parler de 5 compositions pour l'image, pour le cinéma, de périodes différentes, de compositeurs différents, de langages différents et qui sont 5 partitions qui ont eu une influence sur votre vocation. Et vous avez choisi en premier lieu une musique écrite par quelqu'un qui est quasiment le père fondateur de l'École française de musique de film, Maurice Jobert, compositeur mort à 40 ans sur le front en 1940. Et cette partition, c'est La Talente de Jean Vigo. La Talente de Jean Vigo, je crois que c'est un des premiers films qui me marquent très, très, très profondément. À l'époque, je ne sais pas, en tout cas, je suis allée à l'école primaire. Et il y a un truc qui ressemble à collège au cinéma, sauf que les instituteurs nous amenaient, les institutrices nous amenaient au cinéma. Et je vois ce film et je suis bouleversée. Pourquoi ?
Parce que je le trouve beau, parce que c'est peut-être Michel Simon, l'histoire, la péniche et la musique. Parce qu'à l'époque, évidemment, j'ai déjà des oreilles qui sont beaucoup plus âgées que moi. Et je me rends compte que dans cette partition-là, il y a un grand compositeur. Et une manière d'utiliser aussi la musique, je crois que ça me touche, et qui est différente. À chaque fois qu'il m'est donné de revoir la talonte, spécialement le moment où elle monte sur la péniche, Le départ de la péniche, où elle arrive comme mariée, où elle a peur de lui, où le chat l'attaque et le griffe et où à ce moment-là elle décide de prendre dans ses bras celui que cinq minutes avant son futur époux elle considère comme une menace et là déjà elle a ce geste charmant de le bercer, de le prendre dans le bras avec le regard déjà de Michel Simon inquiétant mais envoûtant il y a cette musique et je suis émue aux larmes, voilà je trouve que c'est une justesse c'est une fragilité, c'est une fraîcheur et voilà C'est parti dans ce qu'on va dire la fascination, l'émotion. Alors c'est quelque chose qui doit me caractériser que quand je suis envoûtée, quand je suis charmée, j'ai envie de faire pareil. Et ce qui est très curieux, c'est que Jaubert avait un point de vue qui, d'une certaine façon, a rejoint le vôtre, évidemment à trois ou quatre générations de distance. À l'époque, dans les années 30, s'opposait à l'esthétique hollywoodienne qu'il détestait. Il détestait pas forcément l'écriture de Max Steiner, mettons, il détestait le rapport de la musique de Max Steiner à l'écran. On disait, mais tous ces films dans lesquels la musique ne fait que stabilobosser ce que l'on voit à l'image. Il disait, il faut que la musique, au contraire, soit un prolongement poétique de l'image et qu'elle apporte quelque chose que le metteur en scène n'a pas filmé. Et cette idée d'état supplémentaire qui faisait cher aussi. Oui, la musique, ça doit être un état du film. Et ça ne doit pas, évidemment, raconter ce que le film raconte. Et puis, il y a aussi une chose, je pense, que Maurice Jaubert sentait, s'il ne l'a pas dit, et que moi, j'ai ressenti aussi, c'est que vous savez, vous prenez des images, vous pouvez mettre n'importe quoi comme musique, en fait, si vous réfléchissez un peu. C'est un truc que faisaient les journalistes à un moment sur France Télévisions quand ils commentaient les buts. suivant le fait qu'ils aimaient le but ou pas, ils mettaient des musiques qui influençaient sur ce qu'on regardait. Donc un but, moi je suis désolée, je ne suis pas spécialiste de flou, mais c'est quand même un peu toujours la même chose. C'est toujours, peu importe, l'action ça se ressort. Essayez ! Donc en fait, le problème de la musique et de l'image, c'est que ça fonctionne toujours un peu. Donc on peut toujours trouver une espèce de justification à ça. Mais par contre, quand on a décidé que la musique était un état, une possibilité. un niveau du film, là, ça devient très différent. Et là, il faut vraiment s'appliquer à ce qu'on fait. Alors à notre choix d'un film qui est un film marquant de la nouvelle vague, qui est un film de 1959 et qui est le premier long métrage de François Truffaut, Les 400 coups, et qui est aussi la naissance d'un personnage iconique du cinéma, Antoine Douanel, incarné par le jeune Jean-Pierre Léaud. à 14 ans. Et du côté de la musique, un compositeur qui ne venait absolument pas du cinéma, qui était un compositeur de chansons, paroles et musiques, et lui-même chansonnier, faisant du cabaret, Jean Constantin. Oui, les 400 coups, c'est un thème. Ce qui m'a plu, c'est la couleur, le thème. On pense au thème des 400 coups dans sa vie. On le réécoute. Alors c'est peut-être justement Jean Constantin qui écrit des musiques, donc qui a l'habitude de trouver un idiome, une histoire, à une petite... Une chanson, c'est une miniature, en fait. C'est un petit univers qui a ce talent pour le thème. Le thème, c'est important dans la musique de film. Et puis, il y a aussi une couleur dans les arrangements. Donc, voilà, une marque. Et du coup, les 400 coups, c'est un film, c'est pareil, c'est un film qui m'a tellement émue. Je ne suis pas la seule. C'est un film très important, les 400 coups.
- Speaker #1
Vous l'avez vu à quel âge ? Je l'ai vu à l'âge d'Antoine Douanel. Et puis la personnalité de Truffaut, Balzac. Quand on le voit, on n'oublie jamais ce film. Est-ce que vous pensez justement comme le jeune Douanel est en révolte contre toutes les formes d'autorité, à la fois l'école bien sûr, le collège, contre ses parents aussi qui ne s'occupent pas vraiment de lui. Et on a l'impression que cette petite valse... traduit ce qu'on ne voit pas à l'image. C'est-à-dire sa fragilité enfouie, sa tendresse enfouie. Oui, puis elle raconte aussi sa volonté d'échapper aux choses. Voilà, avec son imaginaire. Parce que c'est vrai que c'est un enfant qui est en colère, mais c'est un enfant qui est très imaginatif. Et il est aussi drôle et il a aussi beaucoup d'humour. Et avec son copain et tout, ils ont une manière de... de se faufiler dans la vie des adultes et même jusqu'à son rapport à la littérature. C'est-à-dire qu'il se faufile partout, il s'observe, il s'échappe, mais il rêve aussi. Et Truffaut, d'ailleurs, étrangement, à plusieurs reprises, dans plusieurs interviews, déclarera qu'il n'aimait pas la musique des 400 coups. Il ne continuera pas un bout de chemin avec Jean-Constantin. C'est Georges Delrucq qui arrivera sur son deuxième film, tiré sur le pianiste. Et il déclarera plusieurs fois que pour lui, la musique des 400 coups était un coup. contresens.
- Speaker #0
En tout cas, on va dire qu'il a assumé son contresens, puisqu'il a gardé la musique. Peu importe, ça c'est drôle, parce que c'est vrai que, même au niveau de sa propre composition, on peut ne pas aimer une musique qu'on compose pour un film. De ne pas l'aimer intrinsèquement. Peut-être qu'il n'aimait pas intrinsèquement la musique, mais oui, contresens, c'est ça. En tout cas, il l'a gardée, pour moi, ça c'est important.
- Speaker #1
Elle semble aujourd'hui absolument à jamais indissociable des images du film. et des travelling au générique début sur les façades de Paris, comment dire, encrassé, le Paris de la fin des années 50. Et ce Paris-Soul du 9e arrondissement dans lequel évolue le jeune Douanel. Il y a un film à part dans le parcours de Fellini des années 70, qui est le Casanova avec Donald Sutherland, qui est un film esthétiquement très ambitieux et surtout une partition où on a l'impression que le compositeur fétiche de Fellini depuis déjà 23 ans, Nina Rota, se réinvente complètement et trouve une plus grande liberté, ou en tout cas, s'échappe un peu des schémas de cirque, de musical et du fameux spectre de Je cherche après Titine. Comment est-ce que vous le vivez, vous, Béatrice ?
- Speaker #0
Alors, la sortie du film, c'est en 76. Moi, je vois ce film au Roxane à Versailles. Donc, je suis à la fin de... en terminale et en horaire aménagé entre le lycée Hoche et le conservatoire de Versailles. Et je m'intéresse à Et puis, je trouve ce film génial, Donald Sutherland, etc. Et la musique me fascine. Pourquoi ? Parce que sur un film historique, justement, Nino Rota, comme vous dites, il échappe à une espèce de facilité qu'aurait été de faire une musique de film. Et ils ont l'idée de cette musique, de cette boîte à musique, enfin, de cet automate qui est le double de de Casanova, symbole phallique s'il en exista, et il fait cette petite musique que je trouve super bien faite, parce que c'est toujours pareil, j'ai des oreilles de professionnel et je trouve que son thème est magnifique et que c'est une très très belle idée. Et puis le film extraordinaire, il y a aussi le rapport à l'opéra dans ce film où on voit Casanova à l'opéra avec toutes les lumières qui s'allument et sa mère qui C'est un film que je trouve euh... C'est un film où il y a beaucoup de musique. Il y a aussi les filles qui jouent de l'orgue, etc. C'est un film historique où, je pense, Nino Rota nous rappelle que c'est un grand compositeur. Est-ce que vous mesuriez à quel point ce Casanova, dans le langage, était une sorte de césure pour lui ? Oui, ce qui est sûr, c'est que vous savez, c'est ça un chef-d'oeuvre. Pour moi, Casanova, c'est un chef-d'oeuvre. Et c'est un moment où Fellini, justement, quitte son territoire connu et c'est un film historique. Et donc, il se déporte et il emmène Nino Rota avec lui. Et ils inventent quelque chose. Parce que justement, ils sortent de leur cadre. Tous les deux, ils ont fait quelque chose d'extraordinaire. Vous parlez de chercher après Titine, mais ils ont quand même réussi à rendre gloire à la musique populaire italienne. C'est un fonctionnement. Donc, C'est un moment où ils réalisent tous les deux un chef-d'oeuvre. Et donc, ils vont encore beaucoup plus loin. Et qui dit chef-d'oeuvre, il y a une espèce de nouveauté, il y a une espèce de mystère, il y a quelque chose qu'on n'a jamais vu ou entendu avant. Et il y a une force là-dedans. Et donc, voilà, c'est peut-être une musique de Nino Rota qu'on entendra beaucoup moins que les autres. Parce que, voilà, elle est à part.
- Speaker #1
Elle casse le moule, oui.
- Speaker #0
Puisque là, à l'époque, je suis une apprentie compositrice, je suis une étudiante. Ce qui m'intéresse, c'est la nouveauté et quoi de plus nourrissant qu'un chef-d'oeuvre, quoi de plus mystérieux. Vous savez, on fait des études sur le nombre d'or, etc. On va chercher à savoir pourquoi, dans une oeuvre, tout à coup, on sort de son équilibre et on fait quelque chose. Un module totalement à part et qui va vraiment fasciner. Alors, Béatrice Thirier, votre quatrième choix, et c'est un autre. Film d'époque, mais avec un traitement, disons, plus réaliste que le Casanova de Fellini, qui évidemment est une fantasmagorie. Et c'est un regard d'un cinéaste polonais sur la Révolution française, sur les idéaux de la Révolution française, à travers le portrait d'une grande figure de la Révolution, qui est Danton, et avec une musique, avec un langage et un parti pris, disons. très radical, signé Jean Prodromides. Qu'a représenté ce film et la figure de Jean Prodromides dans votre parcours ? Si vous voulez, c'est un choc parce que tout ce que je vous ai raconté, c'est que depuis le début, je suis une enfant très douée. Après, je deviens une jeune compositrice, une jeune pianiste, etc. Et donc, je travaille dans le milieu de la musique écrite, de la musique savante. Et j'ai du mal à penser que L'écriture contemporaine est vraiment un médium intéressant. Et là, je vois un film d'époque et la musique, c'est une partition avec un langage contemporain. Donc là, je me dis, le cinéma, ça peut aller très, très loin. Et puis cette partition, je la trouve très belle, très intéressante. D'autant que là, il y a quelques moments dans le film où vraiment, je sens que la musique... agit sur l'image. Il y a des matières sonores qui font qu'il y a comme des tâches musicales sur le film et que le temps se distend. Vous voyez, il y a un rapport tout à coup où je comprends qu'il y a une adéquation telle entre le langage de la musique et le film d'époque, que vraiment, il y a la pensée contemporaine, c'est-à-dire ce que veut dire le réalisateur, ce que veut dire Wajda sur qui est polonais, sur la révolution, ce que ça fait. Comment il parle de la Pologne actuelle aussi à travers ce film, etc. Comme la musique sert vraiment à ce moment-là très très fort à un rôle vraiment encore différent, une pensée. Comment le fait d'utiliser cette musique-là, c'est une pensée cinématographique.
- Speaker #1
Il y a aussi une forme d'abstraction dans cette partition. C'est vraiment une musique non thématique. Oui, et ça rend le film intemporel, on est bien d'accord. c'est-à-dire qu'on sort du film d'époque qui serait une réconstitution d'époque. Et on rentre dans un film moderne, dans la modernité et dans la question que pourrait poser un philosophe ou un écrivain. Qu'est-ce que c'est que la révolution aujourd'hui ? Voilà, c'est tout. Et ça, c'est l'adéquation entre les deux mondes. C'est le choc entre les deux mondes qui fait ça. Et puis, alors du coup, peut-être que ça rassure la jeune compositrice qui se dit qu'elle n'abandonne pas l'idée de trouver un langage actuel. dans son propre langage. Mais du coup, je me dis vraiment, en fait, les cinéastes sont des gens qui sont très intéressants. Ça me rassure sur le langage qu'on peut avoir au cinéma. Et puis, ça, j'ai une réelle admiration pour cette partition qui est signée Jean Prodromides, que je trouve vraiment magnifique, avec orchestre, violoncelle solo, des chœurs. Bon, voilà, j'ai des oreilles qui sont capables de me dire, et je me dis d'ailleurs, je me souviens, ce type est fort. Oui. Et vous allez le rencontrer, le fréquenter. Et il va être pour vous, je ne dirais pas une sorte de mentor, mais presque. Il va vous donner des conseils qui vous guident toujours aujourd'hui, des années plus tard. Alors d'abord, il y a une anecdote qui est quand même, rétrospectivement, assez fascinante. C'est que 82, c'est la sortie de Danton. Et c'est là où j'écris la première musique de court-métrage. Et donc, c'est là où, pour la première fois, un cinéaste me propose une musique. Un petit court-métrage. Et l'histoire est assez dingue, c'est que je me retrouve dans un studio de Joinville avec un ingénieur du son qui me dit que peu de temps avant, il a vu passer Jean Prodromides qui préparait son matériel pour Danton, qu'il a fréquenté. Et il me parle de la fascination qu'il a eue pour cet homme qu'il a rencontré. Et voilà, et on continue à travailler. Et des années plus tard, en 93, 94, après petits arrangements avec les morts, La SRF me donne une espèce de prix. Elle me dit, voilà, vous allez avoir un parrain. On a proposé à Jean Prodromides d'être votre parrain. Et moi, je me dis, la vache, j'avais vraiment envie de... S'il y avait une personne à l'époque que j'avais envie de rencontrer, c'était vraiment lui. Donc, on va se rencontrer. Et c'est très important parce qu'à l'époque, j'ai dans mes projets d'écrire des opéras. La première chaîne de l'ORTF. L'ORTF, donc il a derrière lui une œuvre importante. Et donc on se rend compte, je lui parle de mes émotions de compositrice de musique de film. Et surtout, je lui dis, mais je voudrais écrire un opéra. Et là, c'est quelqu'un qui va me guider jusqu'à l'écriture de mon premier opéra. et avec qui on va parler de longues années ? pratiquement jusqu'à sa mort, parce que oui, on a beaucoup de choses à se dire et il va être un guide. Pour conclure, ce qui est assez frappant dans les choix que vous avez faits pour cette évocation d'une vocation, c'est qu'entre Jean Prodromides, mais aussi Nino Rota, mais aussi Maurice Jobert, ce sont des compositeurs qui ont beaucoup écrit pour le concert, certains d'entre eux pour l'opéra. Est-ce que ça veut dire qu'il est important d'avoir une vie avec le cinéma et une vie en dehors du cinéma ?
- Speaker #0
Il faut avoir une vie en dehors du cinéma et avec le cinéma. Il faut poursuivre son travail, il faut chercher son langage, il faut organiser des choses, il faut se montrer bien sûr. Parce que je pense que le relais entre plusieurs films, c'est sa propre création, ça permet de se structurer. Et puis voilà, c'est un aller-retour. Quelquefois dans les films, j'ai trouvé des choses. Pascal Ferrand m'a aidée à trouver des choses. Vraiment. Quand je lui dis, ça la fait rire, mais c'est vrai. Parce qu'en l'écoutant, j'ai trouvé, j'ai réfléchi à une écriture. Et voilà, quand on a envie, quand on a envie d'écrire une symphonie, il faut l'écrire. Quand on a envie d'écrire un opéra, il faut l'écrire. Si on a envie d'écrire des chansons, parce que là, je parle d'un domaine qui est un peu précis, mais si o La musique de film accueille des gens d'horizons musicaux très variés. Il faut absolument continuer sa vie, bien sûr. Alors voilà, donc hommage à Jean Prodromides, grand symphoniste et aussi grand compositeur pour le cinéma, qui a beaucoup écrit au début de sa carrière pour toute une série de films interprétés par Jean Gabin, notamment Le Baron de l'Écluse, Maigret, l'Affaire Saint-Fiacre, qui a travaillé pour Jean Delanois, Les Amitiés Particulières. Le voyage en ballon également d'Albert Lamorice et ce qui sera en fait sa dernière partition pour le cinéma et c'est cette partition que vous avez choisi, Danton, Vajda, 82, film qui était pour vous un séisme. Alors pour conclure, on va revenir à François Truffaut avec un compositeur que vous souhaitiez intégrer à vos partitions marquantes, décisives, fondatrices. C'est Georges Delru. Pourquoi ? Parce que c'est un immense compositeur. C'est un compositeur, c'est difficile de décrire qui est Georges Delerue, je trouve. C'est quelqu'un qui a quelque chose de classique, et en même temps, il a réussi à faire ressurgir des choses dans la modernité, donc à rendre des choses intemporelles. Peut-être c'est ça, Georges Delerue, c'est l'intemporalité. Alors on va le retrouver évidemment avec le mépris, parce qu'alors là, c'est vraiment énorme. Et j'ai choisi la Nuit américaine parce que c'est un hymne au cinéma, parce que c'est magnifique, parce que cette musique représente pour moi le cinéma et le cinéma mondial. D'abord, il y a l'idée qu'a eue Truffaut, que je trouve vraiment géniale, c'est que dans la Nuit américaine, Truffaut raconte un tournage. Et il trouve deux places pour la musique. Générique début, où on entend Georges Delerue faire répéter son orchestre. C'est... C'est tellement génial, c'est tellement émouvant pour moi, en tant que compositrice, d'entendre ça. C'est-à-dire que c'est le moment que le cinéaste a voulu montrer, et donc il l'enregistre, et le générique début, c'est ça.
- Speaker #1
Et le cinéaste que joue Truffaut, Ferrand, appelle son comporteur.
- Speaker #0
Voilà, et le deuxième moment, c'est qu'il appelle Delorue, qui est à Hollywood, donc il reste aussi dans la temporalité, dans la réalité, dans le réalisme, parce que, de fait, à cette époque-là, Deleuze était super célèbre à Hollywood. Et donc, là, il y a ce truc bizarre où il écoute la musique au téléphone. Donc, voilà. Moi, je suis Je ne vais pas vous dire que je trouve Truffaut extraordinaire. Je trouve ça extraordinaire qu'il ait montré ça comme ça. C'est parfaitement juste. C'est la réalité de nos rapports super vite. Et puis, c'est la réalité de l'émotion que moi, j'ai ressentie à chaque fois qu'un cinéaste venait avec moi dans une séance d'enregistrement. C'est que c'est un moment où il était mu. Parce qu'Alphéran, souvent, quand elle arrive, par exemple, elle est arrivée pour Board People, elle a vu un orchestre de 40 musiciens, et elle a dit très simplement à l'orchestre, j'ai jamais vu autant de monde s'occuper de mon film en même temps, depuis le début du tournage. Et voilà, c'est fabuleux. Et c'est aussi ce moment où le cinéaste reçoit la subjectivité. du regard du compositeur sur son propre travail à lui. C'est-à-dire, c'est ce que vous renvoyez, ou Georges Delerue renvoie au cinéaste. Et le cinéaste découvre ça, découvre le regard, l'interprétation d'un autre créateur sur son propre travail. Le regard et l'oreille. C'est-à-dire que c'est un moment très émouvant, et puis je pense aussi que pour quelqu'un qui ne fait pas de musique, c'est génial d'arriver, de découvrir un orchestre. qui est en train de se préparer, qui s'accorde, qui joue, les musiciens qui travaillent. Tout ça, c'est un moment super émouvant. C'est un moment aussi où je crois qu'on lâche le film. Il y a plusieurs cinéastes qui m'ont dit que c'est un peu des vacances. Et ça, La Nuit Américaine, c'est un film que vous voyez à quel moment de votre vie ? Quand il est sorti, je ne me souviens plus, c'est la date de sortie. Quand il est sorti ? 1973. J'ai 13 ans. Et vous vous souvenez du jour où Vous avez vu le film et ce que ça vous a dit du cinéma et ce que vous avez ressenti devant notamment le thème principal qui est un grand choral un peu post-Vivaldien en quelque sorte. Oui, il y a aussi du Honegger dedans quelque part. Mais oui, Händel, Honegger. Et je trouve ça magnifique. Voilà, j'ai envie de me lever. Vous voyez, j'ai envie de me lever dans la salle parce que je trouve ça génial. Voilà. ce que j'entends me bouleverse et je trouve que justement c'est une histoire de ce classicisme de Delorue parce que je crois que ça marche pareil pour le mépris c'est qu'en imposant cette musique de facture assez classique pas du true jazz par exemple vous êtes tout à fait d'accord alors qu'à l'époque il y a beaucoup de musiques de films qui sont empreintes de jazz et complètement aussi déconnecté pour par rapport à quelqu'un comme Delruc qui est né en 1925, qui a exactement le même âge que Pierre Boulez, de la dominante esthétique de musique moderne de l'époque. Oui, parce que le cinéma s'en éloigne quelquefois, souvent, pas toujours. Mais ce choral, c'est un hymne au cinéma, c'est ce que raconte. C'est pour ça que c'est juste. Et en plus, moi, je trouve ça beau. Il y a les trompettes, parfois dans l'aigu, pas toujours très juste. D'ailleurs, c'est assez intéressant parce que dans la Dans le prologue, justement, Delorue règle son orchestre et il dit, je ne sais plus quel pupitre, parce que je n'ai plus le texte, que ce n'est pas très juste. C'est aussi dans le Je trouve ça magnifique. Et puis tout le film est beau. C'est un film très, très beau. C'est un film très émouvant. C'est un film très senti. Et bien voilà. Donc, La Nuit américaine, le grand choral et Georges l'avaient mis beaucoup de temps avant d'arriver à cette idée d'un choral, parce que c'est vrai que la musique d'un film, c'est comme le film lui-même, il lui faut un sujet. Et Delru disait, au bout d'un moment, je me suis dit, mais finalement, Truffaut a fait un film qui est une déclaration d'amour au cinéma. Et bien, comme tous les grands compositeurs de l'époque baroque, il fallait qu'il écrivait à la gloire de Dieu un grand choral, mais à la gloire du cinéma. Merci à vous, Bonjour, je m'appelle Jean-Luc, je suis un professionnel de la vie,