- Speaker #0
Le Musée SACEM présente Ma Première Fois, un podcast animé par Stéphane Lerouge. Dans Ma Première Fois, un compositeur connu et reconnu nous raconte sa première expérience de musique à l'image avec son lot de réussite, de déception, d'aléatoire, de doute et d'enthousiasme. Pour ce cinquième épisode, nous accueillons la compositrice la plus active du cinéma français, dont le parcours est lié à celui de deux cinéastes, Pascal Ferrand et Dominique Cabrera. Pascal Ferrand est d'ailleurs à la fois sa sœur et mère de cinéma, puisqu'elle lui a offert son baptême de long métrage avec Petits Arrangements avec les Morts en 1994. À ce jour, les partitions emblématiques de notre compositrice s'intitulent L'autre côté de la mer. Le lait de la tendresse humaine, Lady Chatterley, Le cœur des hommes, Bird People, Cornish Kennedy. Bonjour Béatrice Thiriet.
Bonjour Stéphane Lerouge.
Alors cette première fois, elle est assez étonnante parce que c'est un mélange de beaucoup de contraires, parce que c'est un roman de Georges Simenon, un des plus grands écrivains belges, mais adapté par un cinéaste espagnol, Ressus Garay, et avec à l'écran une grande figure du cinéma de Casavetes. Ben Gazara. C'est une espèce de melting pot et ça s'appelle Les gens d'en face. Qu'a été pour vous cette expérience et comment est-ce que vous avez réussi à résoudre ce côté comme ça pluriculturel ? Et ça se passe à Batoum. C'est la première fois que je travaille sur une production Arte, Arte télévision, unité de programme de Pierre Chevalier, qui était quelqu'un qui voulait absolument soignait beaucoup les films que la chaîne produisait, que la chaîne de télévision produisait. Donc c'est une coproduction franco-catalane. J'arrive à persuader la chaîne et les producteurs qu'il faut un orchestre symphonique et j'ai créé une partition symphonique pour 45 musiciens qui va être juste enregistrée à Sofia. Et en allant à Sofia, on me montre un monsieur de dos. qui enregistre des cordes séparées et c'est juste le maestro Ennio Morricone. Donc, je tremble et je me dis que voilà, que je suis, ça y est Je suis une compositrice de musique de film et que je trouve les bonnes idées parce que Sophia, c'est une idée que j'ai eue avec un copain violoncelliste bulgare qui vit à Paris, qui m'a recommandé. À l'époque, il y a très, très peu de gens qui vont enregistrer à Sophia. Et on arrive Toujours dans cette politique de coproduction, à monter une séance d'enregistrement. Et là, je me rends compte que j'ai raison, puisque le plus grand maestro peut-être est là et que c'est finalement une vie qui existe. D'aller chercher les musiciens là où ils sont. Parce que ce n'est pas seulement une histoire d'économie, et je trouve qu'il faut arrêter de dire ça, mais il se trouve que dans les pays de l'Est, il y a des grands orchestres constitués qui sont tout à fait prêts à jouer la musique de film.
- Speaker #1
Comment se passe-t-il ? Vous travaillez avec ce cinéaste, Résus Garay ? Ou est-ce que la post-production se fait à Paris, il n'est pas là ? Ou est-ce qu'il y a une vraie collaboration, une vraie demande, des échanges, un ping-pong d'idées avec ce réalisateur ? Grâce à la productrice catalane, je rencontre Résus Garay à Barcelone. Et à Cadaquès d'ailleurs, parce qu'on a eu la chance de faire au moins une réunion de travail à Cadaquès. Et on parle, il parle français d'ailleurs. Et j'ai vu ses autres films et je lui raconte ce que je vais faire. Je fais des maquettes évidemment, parce qu'en plus l'idée, puisque je savais que j'allais enregistrer à Sofia, c'était d'utiliser des chœurs bulgares. Pour certaines matières qui représentent plutôt l'angoisse, puisque cette histoire, c'est l'histoire d'un ambassadeur qui va être empoisonné par une de ses assistantes. Voilà, il y a une histoire d'espionnage et il va être empoisonné. Montré un peu le système politique obscur de Batum dans ces années-là, j'ai décidé d'utiliser une matière contemporaine, de mélanger au timbre de l'orchestre les voix bulgares. Et aussi une chanteuse turque qui fait des borborimes, etc. Pour organiser une musique beaucoup plus contemporaine, beaucoup moins précise et beaucoup plus dramatique. C'est votre première vraie grande expérience, avec en plus une partition acoustique, avec cette formation que vous venez de décrire. Comment est-ce que vous arrivez à faire admettre ou comprendre vos idées au cinéaste ? Parce que vous découvrez aussi le dialogue, arriver à s'exprimer à travers l'univers d'un autre créateur, qui est le metteur en scène et qui est le patron, qui doit finalement le mettre à bord, qui va finalement, qui a le final cut quand même sur la sur le projet, notamment au moment du mixage. Comment est-ce qu'on apprend à accoucher un cinéaste ?
- Speaker #0
J'ai de la chance parce que c'est un homme qui est cultivé et qui aime l'orchestre. Donc je lui parle de ça. Et puis c'est quelqu'un qui n'a pas eu peur, quand je lui ai parlé aussi des chœurs bulgares, parce que Parce que je lui fais écouter des choses. Je me souviens même que j'ai 100 de plaies, mais aussi des chœurs georgiens pour lui montrer l'importance. J'ai de l'ambition. Je lis ce scénario. Moi, j'ai toujours bien aimé Simnon. Je lis le scénario, je le trouve très ambitieux. Je rencontre le cinéaste. On a un échange. Je vois que c'est un esthète. Et j'arrive à les persuader, à persuader tout le monde. Et je trouve cette idée nouvelle, puisqu'à l'époque, vraiment très peu de gens y vont, d'aller à Sofia. Et comme le tournage est à Sofia, ça tombe bien. Et j'arrive à trouver une connexion. Vous savez, ce qui est intéressant quand on est compositeur de musique de film, c'est que quelque part, on est le producteur exécutif de la musique, même si aujourd'hui, il y a des music producers, etc. Et que donc, on arrive à influer sur l'organisation de la séance. Quel orchestre commander ? où aller, etc. Donc là, c'est cette idée et cette idée fait son chemin. En plus, la mer Noire, Batoum, tout ça, ça marche. Quelles erreurs vous pensez qu'on a tendance à commettre quand on est un jeune compositeur ou une jeune compositrice de musique pour l'image lors de sa première expérience ? L'erreur, ça serait de se désolidariser de l'équipe du film, de la volonté du film, de l'essence même du film. Il faut Quand on se projette avec le film, c'est bon. L'erreur, ça serait de dire, je vais écrire une fugue parce que j'ai envie d'écrire une fugue. Voilà, si on a envie d'écrire une fugue, il faut l'écrire. Et donc, la bonne idée, c'est de rester dans le mood. Moi, j'appelle mood l'équipe. Ce qui est intéressant, ce qui est chouette, je vais vous dire avec un langage un peu d'ado, dans la musique de film, c'est que justement, on travaille en équipe. Alors, il faut être là-dedans, il faut respecter ça. Et là, on trouve. On va aussi vous parler d'économie, on va vous parler de tas de choses qui ne sont pas de mise, dont on ne vous a pas parlé avant. On va savoir qu'on a un budget, qu'on a le temps pour faire la musique, il faut commencer à réfléchir. Et il faut être ambitieux ou ambitieuse.
- Speaker #1
Est-ce qu'avec le recul du temps, vous avez tiré une expérience de ce film fondateur, est-ce qu'il y a des erreurs qu'aujourd'hui vous parviendrez à ne plus recommettre ? L'erreur que je ne recommettrai pas aujourd'hui, c'est de ne pas oser. C'est quelque part de retenir un peu des choses. En fait, il ne faut pas. Il faut dire, voilà, quand on a besoin de quelque chose. Et avec le temps, j'ai appris à dire, mais il faut ça. Il faut faire ça. Il faut aller dans cette direction-là. D'essayer de convaincre quand on voit, quand il y a un problème par exemple, d'essayer d'argumenter et puis de rester bien sur le sujet du film et de la musique, de ne pas aller ailleurs. Cette partition déterminante a une histoire et elle a même presque une fonction de déclencheur, puisqu'elle va vous valoir une invitation chez Frédéric Ledeon sur France Inter. Oui, alors là, c'est vraiment, quand on parle d'ambition et de culot, c'est que j'étais fière de cette partition, parce que c'était une partition complète, originale, avec un grand orchestre, j'avais vraiment l'impression d'avoir bien fait ce qu'il fallait faire. Et donc là, je découvre qu'on ne parle jamais des compositeurs de musique de film quand le film sort. A fortiori pour un téléfilm.
- Speaker #0
C'est que ça n'intéresse personne de parler de la musique. Et là, je me souviens très bien d'une projection chez Arte, où j'ai vraiment le culot des culots. Je vais voir l'attaché de presse d'Arte, du film qui était là, qu'on me présente. Et je dis, mais c'est vraiment invraisemblable, on ne parle jamais de la musique des films. Et tac, elle me trouve. Trois rendez-vous. Et parallèlement à ça, j'ai une amie qui connaît bien Frédéric Claudéon et qui me le présente. Et Frédéric Claudéon écoute la musique, il dit juste « ch'une » et il m'invite au dernier moment sur France Inter. C'est-à-dire que je suis là, dans le studio de France Inter, du côté des bobines, et il me dit « venez » . Et on fait toutes les missions ensemble et il présente le film et il présente ma musique. Parce qu'il a trouvé ça « ch'une » . Et... De l'autre côté du poste de radio, Pierre Trividique est en train de parachever le scénario de Petits Arrangements avec les Morts, puisqu'il travaille sur le scénario avec Pascal Ferrand. Et ils sont en train de Ils sont déjà après le scénario. Ils sont plutôt dans le tournage et dans la préparation du film. Et il appelle Pascal et il lui dit écoute, moi j'ai entendu cette jeune femme-là À France Inter, la musique est vachement bien, tu devrais écouter la musique et essayons de la rencontrer.
- Speaker #1
Donc ça, ça a été l'effet, les gens d'en face. Oui. Une conséquence comme ça inattendue qui a été en fait la rencontre de votre vie. Voilà.
- Speaker #0
Professionnelle. Exactement. Et j'ai un papier dans Le Monde, un papier dans Libération et dans Le Figaro. Il faut quand même savoir. C'est-à-dire qu'en voulant parler, je parle. J'ai peut-être jamais eu autant de presse, sur un film que sur Les gens d'en face. Et voilà, je suis arrivée et c'est le cinéma qui commence. Béatrice, est-ce que vous pourriez nous jouer les premières mesures du thème des Les gens d'en face ? Oui, du thème de Laval. C'était un thème comme ça, très nostalgique. C'était quelques mesures comme ça. Un thème qui ramenait la mélancolie au passé du personnage ? Oui, et puis c'est un thème russe, c'est clair. Avec le recul, quel conseil vous donneriez à un jeune compositeur, à une jeune compositrice d'aujourd'hui, qui serait exactement dans votre situation de 1993 sur Les gens d'en face ? Je dirais de faire la même chose, de parler de son travail. Ma problématique sur Les gens d'en face, c'est que je faisais du téléfilm et que je voulais aller au cinéma. Je pense que cette intuition que j'ai eue de dire, puisque je suis fière de ma musique, je veux en parler, il faut le faire. Et puis, le conseil, alors moi, je n'ai pas parlé de Maurice Jarre, qui est pour moi vraiment un génie absolu dans la musique de film. J'aurais pu citer tout, tout. Toutes les musiques de Maurice Jarre, je l'ai rencontrée une fois. Et il m'a dit juste cette chose, et je le dis maintenant à mes élèves, puisque je suis professeure à l'école normale de musique de Paris, l'école Alfred Cortot, et j'ai repris la classe qu'a dirigée Antoine Duhamel, par exemple, la classe de musique de film. Il m'a dit, il m'a raconté la première fois où il rencontre David Lean, et qu'il sent la main de David Lean sur son épaule qui lui dit « tu feras la musique de mon film » .
- Speaker #1
Le film s'appelait « Laurence d'Arabie » . Un petit film. Et je dis ça aujourd'hui à tous les jeunes compositeurs et compositrices. Ça, un professeur, une idole, un maître ne pourra jamais remplacer ça. C'est ça qui nous fait devenir de fait compositeurs de musique de film. C'est quand un cinéaste ou une cinéaste vous fait confiance et vous dit mets la main sur l'épaule et vous dit c'est toi qui feras la musique de mon film. Et il n'y a que ça. Aujourd'hui, on a inventé des classes de musique de film, il faut travailler, il faut faire les exercices, il faut écouter les profs, il faut passer les degrés, il faut réfléchir, ça c'est important. Mais il faut aller au-devant des cinéastes, il faut chercher les cinéastes, il faut les rencontrer, il faut aller au cinéma. Il faut se passionner parce que, étape par étape, c'est aussi en regardant des films qu'on se forge sa propre personnalité. parce que c'est en écoutant les musiques de films en regardant le travail fait sur les films, que petit à petit, on arrive à forger sa propre personnalité. Et c'est cette personnalité qui va être intéressante. Parce que ça va être une nouvelle personnalité dans ce périmètre-là, dans ce choix-là. Et voilà, on a toujours besoin des talents, on a toujours besoin des idées, on a toujours besoin des personnes. Et c'est comme ça que le cinéma avance et c'est comme ça que la musique avance aussi avec le cinéma. Merci Béatrice.