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Pierre Barouh - Les grands entretiens de compositeurs de musique à l'image cover
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Musique de film : une histoire d'inspiration

Pierre Barouh - Les grands entretiens de compositeurs de musique à l'image

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41min |05/10/2018
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Description

Chabadabada, chabadabada... Qui se cache derrière cette formule, quasi magique, qui accompagne Un homme et une femme ? Pierre Barouh, bien sûr ! 

Personnage atypique et multiple, on lui doit des classiques de la chanson, comme À bicyclette ou Des ronds dans l'eau. Nous sommes en 2006. 

Sa maison d'édition, Saravah, qui accueillit aussi bien Jacques Higelin et Brigitte Fontaine que l'Art ensemble of Chicago, Carole Laure ou David McNeill, fête alors ses 40 ans. 

À deux pas du Panthéon, Philippe Barbot se rend dans l'antre du Pdg bohème, qui fit découvrir à la France la bossa nova.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les grands entretiens du musée de la Sacem avec Philippe Barbeau. Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des grands entretiens. Chabadabada, cette formule magique, onomatopée célèbre, quelque part entre abracadabra et bibapelula, bande-son du film de Claude Lelouch Un homme et une femme, palme d'or du festival de Cannes la même année, cette formule donc est due, sur une mélodie de Francis Lay, à la plume d'un auteur pas comme les autres. Pierre Barou, promeneur insatiable et baroudeur utopique, daltonien et visionnaire, roi du barouf et empereur du slow-biz. Mais aussi comédien, chanteur, producteur, auteur dramatique, cinéaste, journaliste sportif, rugbyman, sans oublier, on le sait finalement peu, qu'il fut l'auteur de chansons depuis longtemps considérées comme des classiques, comme « À bicyclette » ou « Des ronds dans l'eau » . En 2006, Pierre Barouf fêtait les 40 ans de sa maison de disques, pas comme les autres non plus, « Sarava » , une sorte d'auberge espagnole qui accueillit des artistes aussi éclectiques que Jacques Higelin, Brigitte Fontaine, Carole Laure, Lewis Furet, Jean-Roger Cossimon, l'Art Ensemble of Chicago ou David McNeill. à aller rendre visite au PDG Bohème, dans son antre parisien, à deux pas du Panthéon, au milieu d'un jardinet couvert de bambous et d'un amas de bouquins, disques, vidéos et instruments de musique. Chabadabada, ou plutôt dabadabada dans la version originale, autant commencer l'entretien par la formule qui fit son succès. Un homme, une femme et une chanson. Si avec Lelouch on a pu aller au bout de cette liberté-là, parce que je n'ai pas vu le film depuis 40 ans, mais l'aspect historique qui me paraît intéressant dans ce film, c'est que je pense que c'est la première fois dans l'histoire du cinéma qu'on utilisait la chanson comme ça. Avant, il y avait des communis musicals, ou des gens qui se chantaient en situation. Fréhel dans Pépé le Moko, Jean Gabin dans La Belle Équipe, jamais ces deux modes d'expression populaire s'étaient tressés comme ça, sans qu'aucun des deux perde son identité. Ce n'était pas les parapluies de Cherbourg qui étaient comme une opérette, c'était autre chose. Donc personne ne voulait y croire, et c'est comme ça qu'est Nessarava, peut-être on aura l'occasion d'y revenir. Et ce qui me fascine, c'est qu'on a pu aller au bout de cette liberté-là parce qu'on n'avait pas d'argent pour faire le film. Et ça c'est intéressant, c'est la magie des paradoxes. J'avais présenté Francis Lé à Lelouch, qui à l'époque n'avait jamais imaginé mettre une chanson dans un film. Et Francis était mon pote, c'est toujours mon pote, mais c'est vrai qu'un petit accordéoniste niçois et une chanson brésilienne, personne n'a voulu éditer ça. Et moi je voulais l'éditer parce que comme on avait arrêté le film pour faute de moyens, je me suis dit Moi à l'époque j'avais fait mes premiers disques et ça marchait bien chez AZ et tout ça, donc j'ai trouvé les éditeurs et puis bon, tout le monde m'a recusé pour ces raisons objectives, je comprends. Francis Lay, c'est mignon parce que c'est l'époque où j'étais à la traîne avant de faire mes premiers disques et un jour j'avais été à l'Alhambra et il jouait dans l'orchestre de Michel Magne. Puis comme j'avais déjà des potes un peu et tout ça, j'étais passé en coulisses et j'ai trouvé ça un petit mec hyper timide. Et il y a une de mes chansons... qui lui était parvenue, qui est une chanson qui devient un peu mythique, qui s'appelle « Les filles du dimanche » , je ne sais pas si vous connaissez. Et il était tellement timide, Francis, il m'a parlé comme ça, il m'a pris par la manche, il m'a dit « ah voilà » et tout ça. Et puis on est devenus potes, on ne s'est pas quittés pendant On faisait des chansons, mais vraiment en artisan, on restait des mois sur une chanson. C'est à l'époque où je traînais toutes les nuits, enfin J'étais toujours en train de voyage, mais le rituel quand j'étais à Paris, c'est que je traînais toute la nuit rue Saint-Benoît, il y avait le jazz, et je rejoignais Francis vers minuit, une heure du matin, place du Tertre.

  • Speaker #1

    Le succès du film, et donc de la chanson, co-interprétée par Pierre Barou et Nicole Croisy, sur une mélodie de Francis Laird aux allures de samba, propulsa son auteur sous les feux des médias, mais aussi grâce ou à cause d'un malentendu. On fit de Pierre Barou une sorte de chantre français de la musique brésilienne, impression encore renforcée par une autre chanson incluse dans le film, adaptée d'un titre de Baden Powell et baptisée Samba Sarava. Mais si Barou fut bien amoureux des rythmes brésiliens, de la bossa nova et de ses grands interprètes, il s'est toujours défendu de n'en être qu'un adaptateur professionnel.

  • Speaker #0

    Il y a plusieurs malentendus concernant la musique brésilienne, la chanson brésilienne. Mais celui qui me concerne déjà, c'est que, si vous voulez, moi j'ai commencé à écrire, j'avais 14-15 ans, et je sais de qui je me suis nourri. C'est de Jean Renoir, de Jean Vigo, de... C'était dingue pour moi, parce que je vous dis, j'ai passé... Vous êtes au courant, les années de la guerre dans le bocage vendéen, je suis revenu, je ne parlais pas à toi, j'étais vraiment le cancre. Et ça, ça a tout fait basculer, et c'est là. Donc, je sais de qui je me suis nourri, et je sais de qui sont mes racines. Où sont mes racines ? Je vous dis, c'est Macorlan, c'est Prévert, c'est Renoir, tout ça. Mais je suis un promeneur et j'aime bien témoigner de mes promenades. Et comme il n'y a jamais de succès sans malentendu, la Samba Sarava, de la Nomme et une Femme, ce n'était pas prévu. Donc, succès, malentendu, on fait passer pour l'apôtre de la bossa nova en contradiction totale avec ce que je dis dans la chanson. D'ailleurs, le deuxième couplet où je dis j'en connais que la chanson incommode, d'autres pour qui ce n'est rien qu'une mode, d'autres qui en profitent sans l'aimer, moi je l'aime et j'ai parcouru le monde en cherchant ses racines vagabondes, et je rends un hommage. Ce qui veut dire, retrouvons nos racines là où on est. Je ne me suis pas contenté de le dire, j'ai joué ma vie là-dessus, en ouvrant la porte à Jean-Roger Cossimon, à David McNeill, à Higelin, Fontaine et tout ça. Et c'est le malentendu. On m'a offert, je vous assure, derrière le film, plein de fric pour adapter en français toutes les chansons brésiliennes, ce que je me suis refusé pour ne pas me rendre complice de ce malentendu. J'en ai fait que cinq ou six, les seules que j'étais sûr de ne pas trahir. Vraiment, des adaptations, j'en ai fait très peu. L'autre malentendu concernant la chanson brésilienne, et qui ne s'est pas dissipée, C'est qu'elle reste victime encore aujourd'hui de la beauté des mélodies et des harmonies. On n'a pas réussi à faire découvrir qu'elle est portée par des poètes populaires immenses. Caetano Veloso, Gilberto Gil, Chic, surtout Chico Buarque de Landa. Juste pour aller vite, il y a 40 ans, c'était la dictature au Brésil. Ceux qui ont été le plus réprimés, enfermés, exilés, plus que les intellectuels, les cinéastes et les écrivains, c'est les auteurs de chansons. Parce qu'on n'arrête pas une chanson. Donc ils se sont retrouvés, Chico Buarque en Italie, Caetano et tout ça dans les îles britanniques. Quand la dictature s'est raffermie, ils ont laissé rentrer. Mais quand ils faisaient un disque, ça passait par un réseau de censure. Trois colonels, deux généraux, je ne sais pas quoi. Et un jour, Chico Buarque a chanté une chanson qu'il n'a pu chanter qu'une fois avant qu'elle soit censurée. Quelques mois plus tard, il était devant 3000 personnes. Comme il ne pouvait pas chanter les paroles, il a chanté « la la la » , c'est les 3000 personnes en face qui ont chanté « la la la » . Et ça, on n'a pas réussi encore aujourd'hui à faire des... Le malentendu est total, encore aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Né Elie Barou, en 1934, d'une famille juive originaire de Turquie, à Levallois-Perret, Le futur Pierre doit suivre ses parents dans le bocage vendéen pour fuir l'occupation nazie. Plus tard, après la guerre, il découvre en autodidacte le cinéma de Renoir ou de Carnet, la poésie de Prévert et les chansons de Brassens, et se fait une curieuse promesse, être un promeneur jusqu'à l'âge de 30 ans. Une promesse qu'il a tenue, voyageant à travers le monde, en quête de rencontres et de musique. tout en n'oubliant pas ses racines familiales.

  • Speaker #0

    Ça c'est vrai, mais c'est venu du fait que... Des monts et merveilles, hein ? C'est là où tout a basculé. Et comme les années que j'ai passées dans le bocage, bon, je passais plus de temps à poser des pièges à perdus et des collègues, qu'aller à l'école, je suis revenu, je ne parlais pas de toi quand je suis revenu dans le bocage. Donc j'étais vraiment le cancre parfait, est dans un état d'incompatibilité réelle avec toute forme d'éducation dirigée. Et ça, ça fait basculer tout, c'est-à-dire que je suis complètement autodidacte. J'ai une culture complètement mitée, mais je me suis nourri. C'est là où j'ai commencé à écrire tout de suite, à lire. Je ne sais pas, Mac Orlan, Brévert, Brassens, C'est Très Né. Et j'ai pris cette décision dont je ne saurais jamais la source. J'allais me promener jusqu'à 30 ans, mais sans humilité. Je me disais à 30 ans, je m'arrête, ça marche. Donc j'élargissais le sernier de promenade et puis ça développait mes facultés de rencontre. C'est pour ça que quand je revenais à Paris, je me suis retrouvé journaliste sportif, assistant de metteur en scène avec Georges Lautner, qui m'a écrit un rôle tout de suite. Mes parents, c'est bête à dire parce qu'on n'en fait pas le choix, mais c'était vraiment des gens, c'était un milieu modeste, mais mon père, ils étaient quatre frères, ils faisaient les marchés tous les quatre. Mais ce qui m'a toujours, sans l'exprimer jamais, mais mon père m'a toujours imprégné de l'idée que la chose importante, c'est le regard de la personne qu'on a en face de soi, avant tout. Et comme au-delà de ça, je suis d'Altonien, donc les couleurs... Oui, il y a une chanson que j'ai enregistrée qui s'appelle « D'Altonien » . Il y avait cette ouverture, donc j'étais conscient des racines et tout ça. Il y avait la Pâque, les prières, je vive, les choses, mais c'était ouvert complètement. Quand j'essaye de penser à Dieu, je n'y arrive pas, même par jeu de l'esprit. Je crois en dix mille choses, si j'arrivais à en faire un tout, peut-être que ça ferait Dieu. Et puis au-delà de ça, je suis tellement persuadé que c'est au nom d'Aimez-vous les uns les autres qu'on s'est tués le plus depuis que le monde existe. Donc je crois en des choses, mais je n'arrive pas Donc j'ai

  • Speaker #1

    Si l'on pouvait défiler Pierre Barou en un mot, ce serait celui de rencontre. Rencontre au pluriel. Que ce fût avec ses idoles de la musique brésilienne ou les artistes de toute nationalité et de tout style, qu'il prit sous son aile. Lui-même l'a écrit et chanté, la vie, c'est l'art des rencontres. Oui, mais cette phrase, elle n'est pas de moi. Elle vient justement, c'était dans la Samba Sarava, la version originelle. C'est une phrase de Vinicius de Moraes, « Abida et arted in contre » . Et ça, j'en suis bien imprégné. J'ai réalisé à quel point ma fascination des rivières Merci. Je suis fasciné par les rivières. Il y avait eu une incidence énorme sur mon parcours, sans que je l'analyse. Parce que vous prenez une rivière, son scénario est implacable, de sa source à son échéance, que ce soit un fleuve ou un océan, mais elle rencontre un rocher, elle revient sur ses pas, elle serpente, elle se précipite. Et dans ces années de promenade, je vous assure que c'est vrai, il m'est arrivé des fois de faire du stop alternativement d'un côté et de l'autre de la route. vraiment, en disant le premier qui s'arrête m'amène vers le nord ou vers le sud. Et pour moi, la fascination, c'était de débarquer dans une ville étrangère dont je ne parlais pas la langue, où je ne connaissais personne, avec une seule certitude, c'est qu'on ne peut pas mourir de ça. Mais tant que je n'avais pas trouvé, dans un quartier populaire, le petit bistrot où je savais que tout allait se passer, le voyage ne commençait pas. C'est-à-dire, comment dire, de... de recréer, dans le cadre d'une errance totale, un univers sédentaire. Et ça, j'y peux rien, c'est peut-être parce que ces années, justement, dans le terroir vendéen, où on était au bord d'une rivière, je ne sais pas. Cette passion des rencontres, Pierre Barou la concrétisa dans le label et la maison d'édition qu'il fonda au milieu des années 60, Sarava. Une sorte de vivier de talents hétéroclites. Un laboratoire musical expérimental créé dans l'esprit de mai 68, situé rue des Abesses au pied de la butte Montmartre, et qui accueillit les premiers ébats d'artistes comme Jacques Higelin, Arisky et Fontaine, David Macneil, mais aussi le percussionniste brésilien Nana Vasconcelos ou le chanteur gabonais Pierre Akendengue. L'invention de la world music avant l'heure.

  • Speaker #0

    mais c'était vraiment ça. Toute la géographie était éloquente, parce que nos bureaux, c'était une boutique sur la rue, déjà, entre un tripier et un boulanger. Il y avait le studio dans la cour, qui donnait sur la rue aussi, enfin sur la cour, et il y avait le Saint-Jean, le bistrot en face, qui était vraiment la succursale. Mais je crois que, si vous voulez, à la réécoute, ce qui est devenu flagrant quand même, parce que... Bon, aujourd'hui, on parle de world music, par exemple. Le mot n'existait pas à l'époque. Mais là, tout ce qui s'est passé, déjà, un poète contemporain, Brigitte Fontaine, avec un groupe de free jazz à la pointe de la musique progressiste, Aken Nengé, c'est incroyable. On a du mal aujourd'hui à réaliser, vu tout ce qui s'est passé depuis, concernant l'Afrique, qu'à l'époque, les Noirs, on disait qu'ils tapent sur leur tam-tam et qu'ils les laissent tranquilles. Non, non, mais c'est vrai. Et non seulement ça, avoir provoqué la rencontre avec Nana Vasconcelos, le premier lien Afrique-Brésil, tout ça, si vous voulez, et non seulement le mot world music n'existe pas, mais le mot rap non plus, Alfred Panou, c'est incroyable, si vous voulez, il y avait tout ce brassage, bon mais l'esprit il est toujours là, je veux dire, il ne faut pas non plus... J'aime bien la nostalgie tant qu'elle n'est pas teintée de passéisme. Et là, on continue aujourd'hui à faire des choses.

  • Speaker #1

    Sarava, le label anticonformiste, outre son catalogue pour le moins éclectique, s'était aussi doté d'un slogan plutôt inhabituel pour une entreprise en pleine activité. « Il y a des années où l'on a envie de ne rien faire » . Éloge de la paresse ou manifeste du plaisir ?

  • Speaker #0

    Je cherchais, moi, à souligner le côté ludique de l'aventure. Et j'ai hésité entre deux phrases à l'époque, celle-là qui n'est pas de moi, c'est un bouquin que j'aimerais vraiment retrouver, c'était « La vie secrète de Salvador Dali » par lui-même, c'est un bouquin irrésistible que j'ai lu adolescent, où il commençait par ses mémoires intra-utérines et tout ça. Et à un moment, il citait un homme de Cadaquès, un pêcheur, qui au lieu d'être sur son bateau, était toujours à la terrasse, en train de boire des coups. Quand on lui demandait « mais qu'est-ce que tu fous ? » , il répondait « il y a des années, on a envie de ne rien faire » . Alors il y avait ça, puis une autre phrase, j'hésitais, de George Orwell qui dit « tous les hommes sont égaux, mais certains hommes sont plus égaux que d'autres » . Et j'ai choisi celle-là parce que pour moi, j'étais adolescent quand j'ai lu ça, et je suis tombé en arrêt comme un chien devant la charge subversive au sens noble. Et ce qui est intéressant avec le filtre du temps, justement, Pour moi, ce n'est pas une phrase à la gloire de la paresse. C'est une réflexion sur les inhibitions dans une société qui est faite par l'homme, mais pas pour l'homme. Et si vous voulez, ça rejoint un truc qui est vraiment inscrit dans la philosophie, je pense, de Sarrava. C'est que je me suis toujours nourri et que j'ai toujours cherché à imprégner les gens qui m'entourent du fait que la priorité des priorités, c'est le plaisir qu'on prend à faire les choses. Parce que c'est ce que personne ne nous dérobe jamais. Moi je vais faire une pièce de théâtre, un film, une chanson, il y a des gens qui vont me dire c'est génial, d'autres c'est de la merde, c'est une autre histoire. Mais le plaisir que j'aurais pris à le faire... personne ne va me le dérober. Donc c'est ça que ça veut dire pour moi. C'est-à-dire qu'il y a 6 milliards d'individus sur Terre, je pense que chacun porte un noyau de passion, et que le jeu de miroir des médias et la spirale de la consommation transforment en béléité. Alors que vous, Philippe, vous avez envie de dessiner sur des foulards ou je ne sais pas quoi, qu'est-ce qui va vous priver du plaisir que vous prendrez à le faire ? Et c'est ça pour moi. Et puis pour les 30 ans, j'ai rajouté « Les rois du slow-biz » . Et c'est pareil dans la double lecture, ça fait marrer, je suis content, mais dans la double lecture, il y a une autre histoire. Et c'est vraiment, je pense, c'est vraiment qu'il y a eu une cohérence entre ce que représente pour moi cette pensée-là et l'action qu'on a eue. Parce que c'est un peu bête, ça peut vous paraître puéril, mais moi je n'ai jamais pris un franc de la société. Je n'ai pas cessé d'investir, d'une part parce que, si vous voulez, techniquement, on a toujours, je dis bien ponctuellement, produit à perte, je dis bien ponctuellement, parce qu'aujourd'hui l'éco-simon et tout ça, Higelin-Fontaine, ils sont amortis. Mais c'est Saraba Edition qui a toujours alimenté Saraba Discs. Et Saraba Edition, ça reste encore aujourd'hui pour la moitié les droits de mes chansons qui alimentent le truc. Donc, je n'ai aucun scrupule à dire qu'il y a vraiment une éthique dans cette histoire.

  • Speaker #1

    Curieusement, mais sans doute à cause de son côté atypique, un bras anarchiste, se riant des conventions du show business classique, l'entreprise Sarava ne remporte pas un grand intérêt de la part des médias. Et puis, qui est donc cet olibrius qui, au lieu de faire lui-même carrière, se mêle de tenter de faire connaître le talent des autres ? Un élément dangereusement subversif ?

  • Speaker #0

    Imaginez, on sort d'un truc comme un homme et une femme, alors que moi déjà mes premiers dix ça marchait bien à Azel et tout ça, j'avais trois heures d'émission dimanche sur Europe et tout ça, mais on sort d'un truc comme ça, on peut être partie d'une famille, on est invité dans les cocktails, dans les premières, les trucs comme ça, et moi qu'est-ce que je fais ? J'ouvre la porte à des gens qui symbolisaient la subversion totale. Si vous voulez, il n'y a pas d'intention. Ce qui est curieux, c'est... Entendons-nous bien, je ne fais pas de paranoïa, il n'y a pas d'intention malveillante vis-à-vis de moi, mais ça a tellement déstabilisé les gens des médias que tout d'un coup, dans leur esprit, c'était un maudit qui tournait le dos au succès. Alors que, je veux dire, entre les interprétations qu'on peut faire et la démarche, il y a un abîme. Pour moi, ce n'est pas simple, c'est simpliste. Si vous voulez... Je sais à quel point ça peut être atypique pour un créateur que je suis et demeure, mais depuis mon adolescence, j'ai toujours été disponible à la reconnaissance du talent des autres. J'y peux rien, c'est dans ma nature. Donc ça se prolonge par un prosélytisme qui est très chiant pour tous ceux qui m'entourent, que j'aime un pote, un pigeon, n'importe quoi, j'emmerde tout le monde. Et si vous voulez, quand je dis que c'est simpliste, c'est qu'il y a des choses qui m'émeuvent et j'ai envie de les partager avec d'autres. C'est aussi simple que ça. Et quand, juste à la sortie d'Un homme et une femme, je retrouvais Ygelin, que j'avais contenu à la traîne à 14 ans, et avec Brigitte et Rufus, ils faisaient un truc qui était au-delà de l'Underground, à la vieillerie, là à côté, une pièce qu'ils avaient écrite ensemble, qui s'appelait Maman j'ai peur, où il y avait une chanson d'anthologie, qui est cet enfant que je t'avais fait. Donc moi j'ai craqué là-dessus, et comme ils étaient plus ou moins tricarges, moi j'irritais, l'on a dit ok. Ça ne devait pas aller plus loin, en fait. Mais j'ai mis le pied sur un fil, je suis devenu funambule, et ça fait finalement 40 ans que je n'ai pas pu en redescendre. Ça illustre ce que je dis quand je dis que je me noue autant de mes colères que de mes enthousiasmes, parce que quand ces premiers 10 sont arrivés, moi j'étais content. Et puis à l'époque, je vous dis, on me déroulait un peu le tapis rouge et tout ça. Donc tous les gens, les programmateurs de radio, toute cette fausse aristocratie là qui font écran entre le commentaire. Donc c'est des gens qui me parlaient, qui me tapaient sur l'épaule. Moi j'étais naïvement complètement fier, j'ai amené ça. Et si vous voulez, la réaction, ça a été, ah oui c'est bien, mais c'est trop bien pour eux. Et eux, c'est vous, c'est moi. Et là je me suis dit, mais merde, c'est quoi ces gens-là qui écoutent chez eux des trucs qui ne passent pas à l'antenne ? et qui passent à l'antenne ce qu'ils n'écoutent pas chez eux. Donc moi, dans un réflexe complètement espiègle, j'ai envoyé une lettre à ces gens-là, en leur disant « Ok, moi j'ai fait ça, ça me ferait plaisir que ça passe, mais je vous en distribue plus 300 à l'œil pour que ça termine chez les soldeurs au plus en fin de mois, donc je vous les vends, je vous fais le prix de gros. » Mais c'était de l'espièglerie pure, parce que je me disais « Bon, je ne peux pas laisser passer ça. » Et puis, c'est comme au poker, on perd, on paye. Et puis, si j'ai raison, le temps est un filtre parfait. Et alors là, ça a été le fou rire. Mais finalement, ça ne change rien puisqu'il ne le passait pas. Et si vous voulez, je me suis nourri à la fois de l'enthousiasme provoqué par les rencontres et de ses colères. Et c'est comme ça que ça fait 40 ans que ça dure. Pour moi, depuis toujours, la vraie subversion, ne peut s'épanouir que dans le positif. Donc dénoncer ne m'a jamais intéressé. Si on a quelque chose à dénoncer, c'est qu'on a quelque chose à proposer. Et le côté, le point en l'air et tout ça, pour moi c'est gratuit, puis il y a un tel exhibitionnisme là-dedans, et puis en même temps c'est très médiatique et tout ça. Et pour moi la vraie subversion est là. C'est pas de... Bon, le côté Renault et tout ça, vous voyez, c'est... C'est trop facile, les ingrédients je les connais, je peux les foutre dans le shaker quand je veux. Un jour, c'était à l'époque du Saravadé Zabès, j'avais été invité au Palais des Congrès, une nana m'appelle, elle me dit « oui on fait un grand truc pour Allende et tout ça, est-ce que tu peux venir chanter à l'œil ? » Je dis « pas de problème » . Et elle me dit « est-ce que tu pourras chanter une chanson de circonstance ? » Et là vraiment ça m'a foutu en roi, parce que je viens de chanter une chanson sur les rues. de Paris ou je ne sais pas quoi. Alors je me suis enfermé dans un bistrot et j'ai écrit en deux minutes un texte bien dégueulasse, bien démago où c'était, je m'en souviens encore, c'était Frère Chilien, Frère Chilien, je n'aurais pas chanté pour rien si demain les armes à la main vous reprenaient votre chemin. Et je voulais m'arrêter là et dire aux gens, voilà, j'ai triché. J'ai triché. Bon, je n'ai pas pu le faire, parce que c'est un jour où le PC, la ligue et tout ça, ils se partageaient tous la dépouille d'aliénés, personne n'a pu chanter. Mais enfin bon, et c'est tout ça, c'est des pièges dans lesquels je ne veux pas.

  • Speaker #1

    On l'a dit, Pierre Barou, le poète promeneur, a toujours eu la passion des voyages. Une passion qui l'a mené jusqu'au... qu'au Japon, où il découvrit avec surprise que son œuvre et son label étaient non seulement connus là-bas, mais appréciés. Un pays qu'il adopta à son tour jusqu'à y prendre femme et y élire domicile. Et même à l'invitation de producteurs locaux à y enregistrer des disques, et pas avec n'importe qui. En 82, il y a un Japonais qui s'est pointé à Paris, M. Naoki Tachikawa. pour me proposer ce qu'ils avaient jamais proposé en français, c'est d'aller faire un disque au Japon avec des musiciens japonais. Alors justement, j'allais y venir, moi j'étais vraiment surpris parce que bon, vous connaissez un peu ma démarche, moi j'ai pas de présence médiatique et tout ça, je vends très peu d'albums quand on peut les trouver déjà, et puis je comprenais pas, je dis vous allez dépenser plein de fric, et justement pourquoi moi ? Et donc comme j'adore me rendre disponible, ça c'est un truc obsessionnel, j'ai dit ok. Et je suis parti avec des clichés en tête, on a beau faire tous les efforts du monde pour avier vierge sur une rencontre individuelle, et je me dis qu'est-ce qui m'attend là-bas, des mecs au garde-à-vous derrière des pupilles, une partie de son écrite. En plus, il m'avait cité les musiciens avec dans la voix un tel respect que j'imaginais que c'était des gens importants, mais à l'époque je n'en avais jamais entendu parler. Luigi Sacamoto, ils sont devenus des stars mondiales et tout ça, mais en 82 je ne savais pas. Et donc j'arrive, je dis avec des clichés, en me disant, bon, j'arrive, je suis accueilli par ces gens-là, et je réalise très très vite qu'eux vendaient des millions d'albums, et moi j'étais totalement haine par rapport à eux, je dis, mais enfin, qu'est-ce que vous faites là ? Et eux, en 82, me disent, mais ça fait 15 ans qu'on se nourrit de ton travail. Le premier album de Sakamoto, je crois qu'il avait appelé ça Rava pour me rendre hommage, et j'en savais rien. Et alors que moi j'attendais l'ordre, eux attendaient de moi le désordre qu'ils avaient senti dans ma démarche. Et ça a été une parenthèse de rêve. Parce que moi si vous voulez, en 82, de 65 à 82, je n'avais fait que deux albums. Que j'avais fait honteusement comme ça, quand j'avais un tromplin de chansons. Parce que j'étais tellement éperdu d'admiration pour les gens à qui j'ouvrais la porte. des trucs que j'avais fait en 3-4 jours. Et là, ils m'offrent le plus beau studio que j'avais jamais eu, un mois de studio, et puis tout dans l'impro. Je vous dis, ils attendaient deux mois ce désordre. Et tout a démarré comme ça, et depuis, je vis là-bas des aventures de création d'un romantisme que je n'ai pas le talent de l'écrire. Et au-delà de ça, c'est vrai que Saraba a survécu en grande partie par le Japon. C'est-à-dire qu'on vend dix fois plus de disques là-bas qu'en France. Chanteur, producteur, acteur, Pierre Barou fut aussi réalisateur. A son actif plusieurs longs métrages dont « Ça va, ça vient » en 1972 ou « Le divorcement » en 79 avec Michel Piccoli, mais aussi plusieurs documentaires dont l'un réalisé au Chili avec son ami Oscar Castro. Toujours dans le même esprit, artisanale et rebelle aux contraintes, qu'elle soit artistique ou administrative et surtout française.

  • Speaker #0

    Bon, j'ai fait quelques longs métrages, et puis il y a 20 ans, j'ai vu arriver la vidéo avec amusement et circonspection. Au départ, je ne prenais pas ça au sérieux, j'en ai une pour les chiens, pour les gosses, mais ok. Et puis il y a eu un événement qui a été très révélateur pour moi, c'est que... Vous savez, j'ai vécu une aventure d'un romantisme fou avec des pochiliens, le cabaret de la dernière chance, tout ça. Et j'avais fait le vœu d'amitié d'aller au Chili avec mon pote Oscar Castro dès qu'il aurait le droit parce que lui, sa mère a été assassinée par Pinochet et tout ça. Je ne sais pas si vous avez la souvenance de ça, en 88, Pinochet a fait un référendum où il souhaitait apparaître comme un président libéral. Il se devait d'accomplir des gestes conformes et d'amnistier les derniers tricards. Quand j'ai appris ça à la radio, on a décidé de partir en 3-4 jours, le temps de faire les visas. Au dernier moment, j'ai dit « mais c'est trop con de ne pas ramener un document, il va retrouver son père, ses potes et tout ça » . Je sais si j'ai le goût de l'utopie, mais c'est surtout pas à vous que je veux le dire qu'on vaincre une chaîne en trois jours pour un Chilien. Mais j'ai appelé à l'époque Louis Berlioz, vous le connaissez, qui était le big boss d'Antenne 2, parce qu'il était venu via mes potes du rugby voir le cabaret de la dernière chance, il était venu deux fois. Je ne pensais pas qu'il me donnerait de l'antenne, mais je cherchais à accumuler des gestes qui pouvaient sécuriser Oscar, qui paniquait à l'idée de repartir là-bas après 15 ans d'absence. Bon, Louis m'a répondu tout de suite, ce qui est exceptionnel en France. Il m'a reçu dans l'heure, il m'a donné tout résistance. Et je suis parti à l'époque avec une V200. Le DV n'existait pas, le Hi-8 non plus. Et j'ai ramené un 52 minutes qui a bouleversé tous les gens qui l'ont vu et que je n'aurais jamais pu tourner autrement parce que débarquer au Chili en plein climat des meutes avec une Beta, une 16, une équipe, je ne passais pas la douane. Et c'est là où ça a démarré. Puis là-dessus, à Tokyo, à Tsuko, ma femme a... a montré un jour à un ami japonais mon premier long métrage. Il a craqué complètement et lui avait un truc sur une chaîne câblée, un programme. Et puis il m'a provoqué, j'ai fait neuf films qui ont été diffusés là-bas et c'est là où je me suis passionné pour le montage. Et ce qui me fascine c'est que ça illustre un des innombrables... On n'y compte plus les paradoxes contemporains, mais le fait que dans certains domaines, en l'occurrence là, l'avancée technologique me ramène vers un nouvel artisanat, parce que c'est de l'artisanat total ce que je fais là, je suis tout seul, je n'ai pas d'ingénieur du son, rien, et là maintenant j'ai des trucs qui circulent un peu partout, grâce aux japonais toujours, parce que c'est eux qui... Si vous voulez, moi tout ce que j'ai fait dans ma vie, que ce soit un film, une chanson, une pièce de théâtre, je ne sais pas quoi, Au départ, c'est pour montrer à trois potes, sincèrement. Après, c'est diffusé, c'est du bonus. Mais je n'ai pas envie de dépenser la moindre énergie négative. Vous voyez ce que je veux dire ? En fait, je m'amuse trop si j'ai trop de choses... Non, mais c'est vrai. J'adore ce pays, c'est un pays d'abord magnifique, c'est vrai d'une richesse naturelle, je crois que les Français ont tendance à oublier ça. Pour moi, un des éléments séduction de la France aussi, c'est que c'est un pays où on vit des amitiés qui s'étalent sur une vie, et ça c'est important. Mais une des grandes séductions pour moi, et ça c'est depuis que je suis adolescent, C'est que je me suis toujours autant nourri de mes enthousiasmes que de mes colères, si vous voulez, j'ai besoin des deux. Alors enthousiasme, j'ai pris ma pâture par les rencontres qu'on peut faire, et colère dans ce pays où la tricherie est institutionnalisée, et où dans la perspective, je dis bien d'une certaine réussite, il vaut mieux avoir la panoplie que le talent. Toujours avec son ami chilien Oscar Castro, Pierre Barou, écrivain et mis en scène en 1986, une comédie musicale intitulée « Au cabaret de la dernière chance » et qui fait aussi l'objet d'un disque. Parmi les 21 chansons qui illustraient le spectacle, l'une en particulier vint aux oreilles d'un comédien et interprète prestigieux, Yves Montand. Et ça encore une fois, c'est l'histoire de chansons la plus bouleversante qui me soit arrivée. C'est que quand le film est passé, le document en question, Il y avait à la fin la chanson Cabaret de la dernière chance, qui est vraiment magique. Francis Roux, le patron de la Colombe d'Or à Saint-Paul-de-Vence, le pote à Yves Montand, voit le document, écoute la chanson, en parle à Montand, qui m'appelle. Je lui envoie une cassette. Il devient fou de la chanson. Et il préparait Bercy, Montand, qui allait être son chant du cygne. Il y a 500 000 personnes qui allaient venir. Le temps passe, il appelait tous les jours... Moi, avec mon temps, je le connaissais depuis 30 ans, mais j'avais des rapports courtois, sympas, mais je ne faisais pas partie du clan. Mais là, il m'est arrivé d'appeler à Tokyo, de tomber sur ma femme, de lui chanter le cabaret au téléphone. Et le temps passe, et en novembre 1991, j'étais ici. Et je bossais sur une chanson, parce que je rame pour écrire, des fois je reste deux, trois mois, sur une chanson qui s'inscrivait dans la dernière des pièces qu'on a écrites ensemble. Message sur mon répondeur, c'est mon temps qui me dit, Pierre, je termine mon film avec Bennex, je te donne rendez-vous chez moi, place Dauphine, le mercredi 13 novembre, 11h du matin. J'ai aucune mémoire des dates, mais là, on travaille, j'ai libéré la journée, tout ça. Je note, je replonge dans ma chanson. et une nuit à 4h du matin, ici, je la termine. Et je pense à mon temps avec une émotion particulière par cette chanson, vous la découvrirez, ce n'est pas une chanson triste, mais c'est une sorte de testament animiste. Et c'est une chanson, ça s'inscrivait dans notre fiction théâtrale, qui est faite pour être offerte à tous ces gens qui ont été coquifiés par l'histoire. Tous les gens qui ont cru en ce fois l'espoir du Front Populaire et tout ça. Et comme je voyais mon temps quelques jours plus tard, Je voulais l'offrir à travers lui à son père, qui, chassé par le fascisme, a traversé les Alpes à pied et tout ça. C'est la nuit où Yves Montand est mort que j'ai terminé ce testament. Le lendemain, j'allais chez ma maman à Bougival, j'écoute la radio, il était enterré le mercredi 13 novembre 11h du matin. Je vous jure que c'est vrai. Je me dis, merde, je ne voulais pas lui poser un lapin, mais je ne voulais pas aller au père Lachaise, Jacques Lang, l'Athénée, les Badauds. Donc j'ai été à Place Dauphine, où j'avais rendez-vous. Je suis installé à Blistrois, à côté de chez lui. J'avais acheté une petite rose. J'ai manuscrit ce testament qu'il n'écoutera jamais et que je voulais offrir à travers lui à son père. Je vous dis, qu'il la chante ou pas, le propos n'était pas là. Et j'ai laissé au bon soin de Bob Castella. Trois ans plus tard, j'ai appris que mon temps avait eu le temps d'enregistrer le caparais de la dernière chance. C'est la seule chanson qu'il a enregistrée depuis 15 ans, ou 20 ans. C'était une histoire folle, vraiment. mercredi 13 novembre 11h du matin je ne suis pas prêt d'oublier. Auteur d'une centaine de chansons, parmi les plus célèbres on a déjà cité « À bicyclette » et « Les ronds dans l'eau » , le talent de Pierre Barou n'a pourtant été que peu reconnu, pas uniquement commercialement, mais surtout dans l'esprit collectif. Pourtant, comme il l'explique dans ce qui suit, il apportait un soin méticuleux à l'écriture, remettant sans cesse l'ouvrage sur le métier dans une quête absolue d'élégance. En souffrait-il ? Lui, qu'on a à tort considéré comme une sorte de marginal un peu fantaisiste, Pierre Barou s'est éteint le 28 décembre 2016. Il laisse derrière lui une œuvre aussi généreuse qu'originale. Au fait, en hébreu, Barou, ça veut dire béni. Il y a un truc que j'ai découvert dès que j'ai commencé à écrire, et là Brassens a joué un rôle d'ailleurs, c'est que... Bon, j'ai découvert après qu'il y avait Loulipo qui s'était très éloquent. Non, c'est que la contrainte sollicite l'imagination, si vous voulez. Moi, je sais que mon imagination naturelle est très pauvre comparée au terrain imaginatif sur lequel m'entraînent les contraintes que je m'impose pour écrire. Et donc, je rame. Mais ce qui m'intéresse, c'est que plus je passe de temps sur une chanson, plus à la sortie, les gens ont l'impression que je l'ai écrite en trois minutes. Et pour moi, la vraie élégance... Elle est là, c'est qu'on ne sente pas l'effort. C'est vrai dans tous les domaines. Vous avez un goal de football qui va faire des plongeons très spectaculaires, qui va prendre trois buts par match, et qui va être remarqué avant celui qui est toujours dans la trajectoire de la balle. Parce qu'on fait de temps en temps venir pour des ateliers d'écriture, et il y a un exemple que je cite toujours concernant Brassens, c'est qu'il a presque tout écrit en octosyllabes. Et il y a certaines chansons où ce fou malade obsessionnel fait arriver la rime et des rimes très riches au bout du quatrième pied. Mais c'est fait avec une telle élégance que tout est au service du portrait qu'il trace et de la fraise qu'il dessine. Vous prenez le vieux Léon. J'ai des amis qui connaissent parfaitement Brassens, ils n'ont jamais remarqué. C'est incroyable. Il y a tout à l'heure, quinze ans malheur, mon vieux Léon, que tu es parti au paradis de l'accordéon. « Parti bon train, voir si le basse-train, Guéla Java, avait gardé droit de cité chez Jéhovah. » Il va jusqu'au bout. C'est insensé. Il a dû rester six mois, un an sur cette chanson. Mais la vraie élégance, elle est là. C'est qu'on ne sent pas l'effort. Mais en ce qui me concerne, ce qui se passe, alors sur mon cas personnel, c'est que, sous l'éparpillement, la perplexité qu'a pu provoquer toute cette attitude, C'est qu'on a ratifié les succès, à moi en tant qu'auteur, mais mon statut d'auteur n'a jamais été reconnu. Jamais, jamais. Et là, ça peut vous paraître vaniteux, je sais ce que j'ai écrit. On dit oui, des ronds dans l'eau, la bicyclette, un homme et une femme, je ne sais pas quoi. Non, c'est bien, j'en suis ravi, mais je sais ce que j'ai écrit. Moi, j'ai au moins 50 chansons, si elles avaient été chantées par mon temps. Et si vous voulez, ça reste... et puis qu'on reste occulté complètement des médias encore aujourd'hui. Et si vous voulez, en ce moment, moi je reste spectateur de tout ça, puis en plus c'est un peu indécent le privilège qui est le mien de pouvoir dire que j'ai vécu que de mes passions toute une vie, c'est un privilège exceptionnel. Mais si vous voulez, je reste spectateur, et alors en ce moment, c'est en train de glisser, je suis en train de glisser de ce ghetto de l'utopie. Je ne veux pas dire marginalité parce que ça me perturbe. Pour moi, les marginaux sont inventés par les grands médias. On a ces marginaux comme on a son bon arabe ou son bon juif, et qui cessent de l'être dès que ça marche. Donc, je n'y crois pas, la marginalité. Très souvent, je peux être au bistrot, je vais tomber sur les mecs qui viennent me voir en me disant « Tu sais, moi aussi, je suis un marginal. » Non. Si vous voulez, moi, tous les gens à qui j'ouvre la porte, tout ce que je fais, je souhaite que ça parvienne au plus grand nombre. Que je n'ai pas envie de me compromettre pour ça, c'est une autre histoire. Donc je ne crois pas en la marginalité, et Utopie joue bien. Donc en ce moment, ça fait plusieurs années là, je suis en train de glisser, pour tout dire, ça prend un parfum un peu nécrologique, je suis en train de glisser de ce ghetto-là au mythe. Il y a plein de gens qui commencent à mythifier moi et mon parcours. alors que je continue à aller faire mon flipper le matin au bistrot, où j'ai mes potes et tout ça. Donc, si vous voulez, là en ce moment, sincèrement, une fois par semaine, ou par mois, ou tous les 15 jours, il y a des gens qui m'appellent pour faire des films sur ma vie, des bouquins sur ma vie, et il y a un vrai décalage. Mais si vous voulez, les conclusions les plus positives que je puisse tirer de tout ce parcours qui peut apparaître chaotique, C'est que je sais aujourd'hui que je suis vraiment impermable à toute forme d'amertume. Sinon, je ne pourrais pas continuer à écrire ce que j'écris et à vivre ce que je vis au quotidien. Donc ça, c'est... Mais je laisse venir. Mais je vous dis, je reste spectateur et c'est curieux mon rapport à la France.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté ce podcast consacré à Pierre Barraud. Au revoir et à la prochaine fois.

Chapters

  • Introduction à l'entretien avec Pierre Barouh

    00:00

  • L'impact de "Un homme et une femme" sur la musique de film

    01:49

  • Les débuts de Pierre Barouh et ses influences

    04:56

  • Le parcours de Pierre Barouh et ses racines

    11:34

  • La passion des rencontres et l'esprit de Sarava

    16:14

  • L'éthique et la philosophie de la maison Sarava

    22:38

  • Pierre Barou, réalisateur et son approche artisanale

    31:50

  • Réflexions sur la reconnaissance et l'élégance dans l'écriture

    35:46

Description

Chabadabada, chabadabada... Qui se cache derrière cette formule, quasi magique, qui accompagne Un homme et une femme ? Pierre Barouh, bien sûr ! 

Personnage atypique et multiple, on lui doit des classiques de la chanson, comme À bicyclette ou Des ronds dans l'eau. Nous sommes en 2006. 

Sa maison d'édition, Saravah, qui accueillit aussi bien Jacques Higelin et Brigitte Fontaine que l'Art ensemble of Chicago, Carole Laure ou David McNeill, fête alors ses 40 ans. 

À deux pas du Panthéon, Philippe Barbot se rend dans l'antre du Pdg bohème, qui fit découvrir à la France la bossa nova.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les grands entretiens du musée de la Sacem avec Philippe Barbeau. Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des grands entretiens. Chabadabada, cette formule magique, onomatopée célèbre, quelque part entre abracadabra et bibapelula, bande-son du film de Claude Lelouch Un homme et une femme, palme d'or du festival de Cannes la même année, cette formule donc est due, sur une mélodie de Francis Lay, à la plume d'un auteur pas comme les autres. Pierre Barou, promeneur insatiable et baroudeur utopique, daltonien et visionnaire, roi du barouf et empereur du slow-biz. Mais aussi comédien, chanteur, producteur, auteur dramatique, cinéaste, journaliste sportif, rugbyman, sans oublier, on le sait finalement peu, qu'il fut l'auteur de chansons depuis longtemps considérées comme des classiques, comme « À bicyclette » ou « Des ronds dans l'eau » . En 2006, Pierre Barouf fêtait les 40 ans de sa maison de disques, pas comme les autres non plus, « Sarava » , une sorte d'auberge espagnole qui accueillit des artistes aussi éclectiques que Jacques Higelin, Brigitte Fontaine, Carole Laure, Lewis Furet, Jean-Roger Cossimon, l'Art Ensemble of Chicago ou David McNeill. à aller rendre visite au PDG Bohème, dans son antre parisien, à deux pas du Panthéon, au milieu d'un jardinet couvert de bambous et d'un amas de bouquins, disques, vidéos et instruments de musique. Chabadabada, ou plutôt dabadabada dans la version originale, autant commencer l'entretien par la formule qui fit son succès. Un homme, une femme et une chanson. Si avec Lelouch on a pu aller au bout de cette liberté-là, parce que je n'ai pas vu le film depuis 40 ans, mais l'aspect historique qui me paraît intéressant dans ce film, c'est que je pense que c'est la première fois dans l'histoire du cinéma qu'on utilisait la chanson comme ça. Avant, il y avait des communis musicals, ou des gens qui se chantaient en situation. Fréhel dans Pépé le Moko, Jean Gabin dans La Belle Équipe, jamais ces deux modes d'expression populaire s'étaient tressés comme ça, sans qu'aucun des deux perde son identité. Ce n'était pas les parapluies de Cherbourg qui étaient comme une opérette, c'était autre chose. Donc personne ne voulait y croire, et c'est comme ça qu'est Nessarava, peut-être on aura l'occasion d'y revenir. Et ce qui me fascine, c'est qu'on a pu aller au bout de cette liberté-là parce qu'on n'avait pas d'argent pour faire le film. Et ça c'est intéressant, c'est la magie des paradoxes. J'avais présenté Francis Lé à Lelouch, qui à l'époque n'avait jamais imaginé mettre une chanson dans un film. Et Francis était mon pote, c'est toujours mon pote, mais c'est vrai qu'un petit accordéoniste niçois et une chanson brésilienne, personne n'a voulu éditer ça. Et moi je voulais l'éditer parce que comme on avait arrêté le film pour faute de moyens, je me suis dit Moi à l'époque j'avais fait mes premiers disques et ça marchait bien chez AZ et tout ça, donc j'ai trouvé les éditeurs et puis bon, tout le monde m'a recusé pour ces raisons objectives, je comprends. Francis Lay, c'est mignon parce que c'est l'époque où j'étais à la traîne avant de faire mes premiers disques et un jour j'avais été à l'Alhambra et il jouait dans l'orchestre de Michel Magne. Puis comme j'avais déjà des potes un peu et tout ça, j'étais passé en coulisses et j'ai trouvé ça un petit mec hyper timide. Et il y a une de mes chansons... qui lui était parvenue, qui est une chanson qui devient un peu mythique, qui s'appelle « Les filles du dimanche » , je ne sais pas si vous connaissez. Et il était tellement timide, Francis, il m'a parlé comme ça, il m'a pris par la manche, il m'a dit « ah voilà » et tout ça. Et puis on est devenus potes, on ne s'est pas quittés pendant On faisait des chansons, mais vraiment en artisan, on restait des mois sur une chanson. C'est à l'époque où je traînais toutes les nuits, enfin J'étais toujours en train de voyage, mais le rituel quand j'étais à Paris, c'est que je traînais toute la nuit rue Saint-Benoît, il y avait le jazz, et je rejoignais Francis vers minuit, une heure du matin, place du Tertre.

  • Speaker #1

    Le succès du film, et donc de la chanson, co-interprétée par Pierre Barou et Nicole Croisy, sur une mélodie de Francis Laird aux allures de samba, propulsa son auteur sous les feux des médias, mais aussi grâce ou à cause d'un malentendu. On fit de Pierre Barou une sorte de chantre français de la musique brésilienne, impression encore renforcée par une autre chanson incluse dans le film, adaptée d'un titre de Baden Powell et baptisée Samba Sarava. Mais si Barou fut bien amoureux des rythmes brésiliens, de la bossa nova et de ses grands interprètes, il s'est toujours défendu de n'en être qu'un adaptateur professionnel.

  • Speaker #0

    Il y a plusieurs malentendus concernant la musique brésilienne, la chanson brésilienne. Mais celui qui me concerne déjà, c'est que, si vous voulez, moi j'ai commencé à écrire, j'avais 14-15 ans, et je sais de qui je me suis nourri. C'est de Jean Renoir, de Jean Vigo, de... C'était dingue pour moi, parce que je vous dis, j'ai passé... Vous êtes au courant, les années de la guerre dans le bocage vendéen, je suis revenu, je ne parlais pas à toi, j'étais vraiment le cancre. Et ça, ça a tout fait basculer, et c'est là. Donc, je sais de qui je me suis nourri, et je sais de qui sont mes racines. Où sont mes racines ? Je vous dis, c'est Macorlan, c'est Prévert, c'est Renoir, tout ça. Mais je suis un promeneur et j'aime bien témoigner de mes promenades. Et comme il n'y a jamais de succès sans malentendu, la Samba Sarava, de la Nomme et une Femme, ce n'était pas prévu. Donc, succès, malentendu, on fait passer pour l'apôtre de la bossa nova en contradiction totale avec ce que je dis dans la chanson. D'ailleurs, le deuxième couplet où je dis j'en connais que la chanson incommode, d'autres pour qui ce n'est rien qu'une mode, d'autres qui en profitent sans l'aimer, moi je l'aime et j'ai parcouru le monde en cherchant ses racines vagabondes, et je rends un hommage. Ce qui veut dire, retrouvons nos racines là où on est. Je ne me suis pas contenté de le dire, j'ai joué ma vie là-dessus, en ouvrant la porte à Jean-Roger Cossimon, à David McNeill, à Higelin, Fontaine et tout ça. Et c'est le malentendu. On m'a offert, je vous assure, derrière le film, plein de fric pour adapter en français toutes les chansons brésiliennes, ce que je me suis refusé pour ne pas me rendre complice de ce malentendu. J'en ai fait que cinq ou six, les seules que j'étais sûr de ne pas trahir. Vraiment, des adaptations, j'en ai fait très peu. L'autre malentendu concernant la chanson brésilienne, et qui ne s'est pas dissipée, C'est qu'elle reste victime encore aujourd'hui de la beauté des mélodies et des harmonies. On n'a pas réussi à faire découvrir qu'elle est portée par des poètes populaires immenses. Caetano Veloso, Gilberto Gil, Chic, surtout Chico Buarque de Landa. Juste pour aller vite, il y a 40 ans, c'était la dictature au Brésil. Ceux qui ont été le plus réprimés, enfermés, exilés, plus que les intellectuels, les cinéastes et les écrivains, c'est les auteurs de chansons. Parce qu'on n'arrête pas une chanson. Donc ils se sont retrouvés, Chico Buarque en Italie, Caetano et tout ça dans les îles britanniques. Quand la dictature s'est raffermie, ils ont laissé rentrer. Mais quand ils faisaient un disque, ça passait par un réseau de censure. Trois colonels, deux généraux, je ne sais pas quoi. Et un jour, Chico Buarque a chanté une chanson qu'il n'a pu chanter qu'une fois avant qu'elle soit censurée. Quelques mois plus tard, il était devant 3000 personnes. Comme il ne pouvait pas chanter les paroles, il a chanté « la la la » , c'est les 3000 personnes en face qui ont chanté « la la la » . Et ça, on n'a pas réussi encore aujourd'hui à faire des... Le malentendu est total, encore aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Né Elie Barou, en 1934, d'une famille juive originaire de Turquie, à Levallois-Perret, Le futur Pierre doit suivre ses parents dans le bocage vendéen pour fuir l'occupation nazie. Plus tard, après la guerre, il découvre en autodidacte le cinéma de Renoir ou de Carnet, la poésie de Prévert et les chansons de Brassens, et se fait une curieuse promesse, être un promeneur jusqu'à l'âge de 30 ans. Une promesse qu'il a tenue, voyageant à travers le monde, en quête de rencontres et de musique. tout en n'oubliant pas ses racines familiales.

  • Speaker #0

    Ça c'est vrai, mais c'est venu du fait que... Des monts et merveilles, hein ? C'est là où tout a basculé. Et comme les années que j'ai passées dans le bocage, bon, je passais plus de temps à poser des pièges à perdus et des collègues, qu'aller à l'école, je suis revenu, je ne parlais pas de toi quand je suis revenu dans le bocage. Donc j'étais vraiment le cancre parfait, est dans un état d'incompatibilité réelle avec toute forme d'éducation dirigée. Et ça, ça fait basculer tout, c'est-à-dire que je suis complètement autodidacte. J'ai une culture complètement mitée, mais je me suis nourri. C'est là où j'ai commencé à écrire tout de suite, à lire. Je ne sais pas, Mac Orlan, Brévert, Brassens, C'est Très Né. Et j'ai pris cette décision dont je ne saurais jamais la source. J'allais me promener jusqu'à 30 ans, mais sans humilité. Je me disais à 30 ans, je m'arrête, ça marche. Donc j'élargissais le sernier de promenade et puis ça développait mes facultés de rencontre. C'est pour ça que quand je revenais à Paris, je me suis retrouvé journaliste sportif, assistant de metteur en scène avec Georges Lautner, qui m'a écrit un rôle tout de suite. Mes parents, c'est bête à dire parce qu'on n'en fait pas le choix, mais c'était vraiment des gens, c'était un milieu modeste, mais mon père, ils étaient quatre frères, ils faisaient les marchés tous les quatre. Mais ce qui m'a toujours, sans l'exprimer jamais, mais mon père m'a toujours imprégné de l'idée que la chose importante, c'est le regard de la personne qu'on a en face de soi, avant tout. Et comme au-delà de ça, je suis d'Altonien, donc les couleurs... Oui, il y a une chanson que j'ai enregistrée qui s'appelle « D'Altonien » . Il y avait cette ouverture, donc j'étais conscient des racines et tout ça. Il y avait la Pâque, les prières, je vive, les choses, mais c'était ouvert complètement. Quand j'essaye de penser à Dieu, je n'y arrive pas, même par jeu de l'esprit. Je crois en dix mille choses, si j'arrivais à en faire un tout, peut-être que ça ferait Dieu. Et puis au-delà de ça, je suis tellement persuadé que c'est au nom d'Aimez-vous les uns les autres qu'on s'est tués le plus depuis que le monde existe. Donc je crois en des choses, mais je n'arrive pas Donc j'ai

  • Speaker #1

    Si l'on pouvait défiler Pierre Barou en un mot, ce serait celui de rencontre. Rencontre au pluriel. Que ce fût avec ses idoles de la musique brésilienne ou les artistes de toute nationalité et de tout style, qu'il prit sous son aile. Lui-même l'a écrit et chanté, la vie, c'est l'art des rencontres. Oui, mais cette phrase, elle n'est pas de moi. Elle vient justement, c'était dans la Samba Sarava, la version originelle. C'est une phrase de Vinicius de Moraes, « Abida et arted in contre » . Et ça, j'en suis bien imprégné. J'ai réalisé à quel point ma fascination des rivières Merci. Je suis fasciné par les rivières. Il y avait eu une incidence énorme sur mon parcours, sans que je l'analyse. Parce que vous prenez une rivière, son scénario est implacable, de sa source à son échéance, que ce soit un fleuve ou un océan, mais elle rencontre un rocher, elle revient sur ses pas, elle serpente, elle se précipite. Et dans ces années de promenade, je vous assure que c'est vrai, il m'est arrivé des fois de faire du stop alternativement d'un côté et de l'autre de la route. vraiment, en disant le premier qui s'arrête m'amène vers le nord ou vers le sud. Et pour moi, la fascination, c'était de débarquer dans une ville étrangère dont je ne parlais pas la langue, où je ne connaissais personne, avec une seule certitude, c'est qu'on ne peut pas mourir de ça. Mais tant que je n'avais pas trouvé, dans un quartier populaire, le petit bistrot où je savais que tout allait se passer, le voyage ne commençait pas. C'est-à-dire, comment dire, de... de recréer, dans le cadre d'une errance totale, un univers sédentaire. Et ça, j'y peux rien, c'est peut-être parce que ces années, justement, dans le terroir vendéen, où on était au bord d'une rivière, je ne sais pas. Cette passion des rencontres, Pierre Barou la concrétisa dans le label et la maison d'édition qu'il fonda au milieu des années 60, Sarava. Une sorte de vivier de talents hétéroclites. Un laboratoire musical expérimental créé dans l'esprit de mai 68, situé rue des Abesses au pied de la butte Montmartre, et qui accueillit les premiers ébats d'artistes comme Jacques Higelin, Arisky et Fontaine, David Macneil, mais aussi le percussionniste brésilien Nana Vasconcelos ou le chanteur gabonais Pierre Akendengue. L'invention de la world music avant l'heure.

  • Speaker #0

    mais c'était vraiment ça. Toute la géographie était éloquente, parce que nos bureaux, c'était une boutique sur la rue, déjà, entre un tripier et un boulanger. Il y avait le studio dans la cour, qui donnait sur la rue aussi, enfin sur la cour, et il y avait le Saint-Jean, le bistrot en face, qui était vraiment la succursale. Mais je crois que, si vous voulez, à la réécoute, ce qui est devenu flagrant quand même, parce que... Bon, aujourd'hui, on parle de world music, par exemple. Le mot n'existait pas à l'époque. Mais là, tout ce qui s'est passé, déjà, un poète contemporain, Brigitte Fontaine, avec un groupe de free jazz à la pointe de la musique progressiste, Aken Nengé, c'est incroyable. On a du mal aujourd'hui à réaliser, vu tout ce qui s'est passé depuis, concernant l'Afrique, qu'à l'époque, les Noirs, on disait qu'ils tapent sur leur tam-tam et qu'ils les laissent tranquilles. Non, non, mais c'est vrai. Et non seulement ça, avoir provoqué la rencontre avec Nana Vasconcelos, le premier lien Afrique-Brésil, tout ça, si vous voulez, et non seulement le mot world music n'existe pas, mais le mot rap non plus, Alfred Panou, c'est incroyable, si vous voulez, il y avait tout ce brassage, bon mais l'esprit il est toujours là, je veux dire, il ne faut pas non plus... J'aime bien la nostalgie tant qu'elle n'est pas teintée de passéisme. Et là, on continue aujourd'hui à faire des choses.

  • Speaker #1

    Sarava, le label anticonformiste, outre son catalogue pour le moins éclectique, s'était aussi doté d'un slogan plutôt inhabituel pour une entreprise en pleine activité. « Il y a des années où l'on a envie de ne rien faire » . Éloge de la paresse ou manifeste du plaisir ?

  • Speaker #0

    Je cherchais, moi, à souligner le côté ludique de l'aventure. Et j'ai hésité entre deux phrases à l'époque, celle-là qui n'est pas de moi, c'est un bouquin que j'aimerais vraiment retrouver, c'était « La vie secrète de Salvador Dali » par lui-même, c'est un bouquin irrésistible que j'ai lu adolescent, où il commençait par ses mémoires intra-utérines et tout ça. Et à un moment, il citait un homme de Cadaquès, un pêcheur, qui au lieu d'être sur son bateau, était toujours à la terrasse, en train de boire des coups. Quand on lui demandait « mais qu'est-ce que tu fous ? » , il répondait « il y a des années, on a envie de ne rien faire » . Alors il y avait ça, puis une autre phrase, j'hésitais, de George Orwell qui dit « tous les hommes sont égaux, mais certains hommes sont plus égaux que d'autres » . Et j'ai choisi celle-là parce que pour moi, j'étais adolescent quand j'ai lu ça, et je suis tombé en arrêt comme un chien devant la charge subversive au sens noble. Et ce qui est intéressant avec le filtre du temps, justement, Pour moi, ce n'est pas une phrase à la gloire de la paresse. C'est une réflexion sur les inhibitions dans une société qui est faite par l'homme, mais pas pour l'homme. Et si vous voulez, ça rejoint un truc qui est vraiment inscrit dans la philosophie, je pense, de Sarrava. C'est que je me suis toujours nourri et que j'ai toujours cherché à imprégner les gens qui m'entourent du fait que la priorité des priorités, c'est le plaisir qu'on prend à faire les choses. Parce que c'est ce que personne ne nous dérobe jamais. Moi je vais faire une pièce de théâtre, un film, une chanson, il y a des gens qui vont me dire c'est génial, d'autres c'est de la merde, c'est une autre histoire. Mais le plaisir que j'aurais pris à le faire... personne ne va me le dérober. Donc c'est ça que ça veut dire pour moi. C'est-à-dire qu'il y a 6 milliards d'individus sur Terre, je pense que chacun porte un noyau de passion, et que le jeu de miroir des médias et la spirale de la consommation transforment en béléité. Alors que vous, Philippe, vous avez envie de dessiner sur des foulards ou je ne sais pas quoi, qu'est-ce qui va vous priver du plaisir que vous prendrez à le faire ? Et c'est ça pour moi. Et puis pour les 30 ans, j'ai rajouté « Les rois du slow-biz » . Et c'est pareil dans la double lecture, ça fait marrer, je suis content, mais dans la double lecture, il y a une autre histoire. Et c'est vraiment, je pense, c'est vraiment qu'il y a eu une cohérence entre ce que représente pour moi cette pensée-là et l'action qu'on a eue. Parce que c'est un peu bête, ça peut vous paraître puéril, mais moi je n'ai jamais pris un franc de la société. Je n'ai pas cessé d'investir, d'une part parce que, si vous voulez, techniquement, on a toujours, je dis bien ponctuellement, produit à perte, je dis bien ponctuellement, parce qu'aujourd'hui l'éco-simon et tout ça, Higelin-Fontaine, ils sont amortis. Mais c'est Saraba Edition qui a toujours alimenté Saraba Discs. Et Saraba Edition, ça reste encore aujourd'hui pour la moitié les droits de mes chansons qui alimentent le truc. Donc, je n'ai aucun scrupule à dire qu'il y a vraiment une éthique dans cette histoire.

  • Speaker #1

    Curieusement, mais sans doute à cause de son côté atypique, un bras anarchiste, se riant des conventions du show business classique, l'entreprise Sarava ne remporte pas un grand intérêt de la part des médias. Et puis, qui est donc cet olibrius qui, au lieu de faire lui-même carrière, se mêle de tenter de faire connaître le talent des autres ? Un élément dangereusement subversif ?

  • Speaker #0

    Imaginez, on sort d'un truc comme un homme et une femme, alors que moi déjà mes premiers dix ça marchait bien à Azel et tout ça, j'avais trois heures d'émission dimanche sur Europe et tout ça, mais on sort d'un truc comme ça, on peut être partie d'une famille, on est invité dans les cocktails, dans les premières, les trucs comme ça, et moi qu'est-ce que je fais ? J'ouvre la porte à des gens qui symbolisaient la subversion totale. Si vous voulez, il n'y a pas d'intention. Ce qui est curieux, c'est... Entendons-nous bien, je ne fais pas de paranoïa, il n'y a pas d'intention malveillante vis-à-vis de moi, mais ça a tellement déstabilisé les gens des médias que tout d'un coup, dans leur esprit, c'était un maudit qui tournait le dos au succès. Alors que, je veux dire, entre les interprétations qu'on peut faire et la démarche, il y a un abîme. Pour moi, ce n'est pas simple, c'est simpliste. Si vous voulez... Je sais à quel point ça peut être atypique pour un créateur que je suis et demeure, mais depuis mon adolescence, j'ai toujours été disponible à la reconnaissance du talent des autres. J'y peux rien, c'est dans ma nature. Donc ça se prolonge par un prosélytisme qui est très chiant pour tous ceux qui m'entourent, que j'aime un pote, un pigeon, n'importe quoi, j'emmerde tout le monde. Et si vous voulez, quand je dis que c'est simpliste, c'est qu'il y a des choses qui m'émeuvent et j'ai envie de les partager avec d'autres. C'est aussi simple que ça. Et quand, juste à la sortie d'Un homme et une femme, je retrouvais Ygelin, que j'avais contenu à la traîne à 14 ans, et avec Brigitte et Rufus, ils faisaient un truc qui était au-delà de l'Underground, à la vieillerie, là à côté, une pièce qu'ils avaient écrite ensemble, qui s'appelait Maman j'ai peur, où il y avait une chanson d'anthologie, qui est cet enfant que je t'avais fait. Donc moi j'ai craqué là-dessus, et comme ils étaient plus ou moins tricarges, moi j'irritais, l'on a dit ok. Ça ne devait pas aller plus loin, en fait. Mais j'ai mis le pied sur un fil, je suis devenu funambule, et ça fait finalement 40 ans que je n'ai pas pu en redescendre. Ça illustre ce que je dis quand je dis que je me noue autant de mes colères que de mes enthousiasmes, parce que quand ces premiers 10 sont arrivés, moi j'étais content. Et puis à l'époque, je vous dis, on me déroulait un peu le tapis rouge et tout ça. Donc tous les gens, les programmateurs de radio, toute cette fausse aristocratie là qui font écran entre le commentaire. Donc c'est des gens qui me parlaient, qui me tapaient sur l'épaule. Moi j'étais naïvement complètement fier, j'ai amené ça. Et si vous voulez, la réaction, ça a été, ah oui c'est bien, mais c'est trop bien pour eux. Et eux, c'est vous, c'est moi. Et là je me suis dit, mais merde, c'est quoi ces gens-là qui écoutent chez eux des trucs qui ne passent pas à l'antenne ? et qui passent à l'antenne ce qu'ils n'écoutent pas chez eux. Donc moi, dans un réflexe complètement espiègle, j'ai envoyé une lettre à ces gens-là, en leur disant « Ok, moi j'ai fait ça, ça me ferait plaisir que ça passe, mais je vous en distribue plus 300 à l'œil pour que ça termine chez les soldeurs au plus en fin de mois, donc je vous les vends, je vous fais le prix de gros. » Mais c'était de l'espièglerie pure, parce que je me disais « Bon, je ne peux pas laisser passer ça. » Et puis, c'est comme au poker, on perd, on paye. Et puis, si j'ai raison, le temps est un filtre parfait. Et alors là, ça a été le fou rire. Mais finalement, ça ne change rien puisqu'il ne le passait pas. Et si vous voulez, je me suis nourri à la fois de l'enthousiasme provoqué par les rencontres et de ses colères. Et c'est comme ça que ça fait 40 ans que ça dure. Pour moi, depuis toujours, la vraie subversion, ne peut s'épanouir que dans le positif. Donc dénoncer ne m'a jamais intéressé. Si on a quelque chose à dénoncer, c'est qu'on a quelque chose à proposer. Et le côté, le point en l'air et tout ça, pour moi c'est gratuit, puis il y a un tel exhibitionnisme là-dedans, et puis en même temps c'est très médiatique et tout ça. Et pour moi la vraie subversion est là. C'est pas de... Bon, le côté Renault et tout ça, vous voyez, c'est... C'est trop facile, les ingrédients je les connais, je peux les foutre dans le shaker quand je veux. Un jour, c'était à l'époque du Saravadé Zabès, j'avais été invité au Palais des Congrès, une nana m'appelle, elle me dit « oui on fait un grand truc pour Allende et tout ça, est-ce que tu peux venir chanter à l'œil ? » Je dis « pas de problème » . Et elle me dit « est-ce que tu pourras chanter une chanson de circonstance ? » Et là vraiment ça m'a foutu en roi, parce que je viens de chanter une chanson sur les rues. de Paris ou je ne sais pas quoi. Alors je me suis enfermé dans un bistrot et j'ai écrit en deux minutes un texte bien dégueulasse, bien démago où c'était, je m'en souviens encore, c'était Frère Chilien, Frère Chilien, je n'aurais pas chanté pour rien si demain les armes à la main vous reprenaient votre chemin. Et je voulais m'arrêter là et dire aux gens, voilà, j'ai triché. J'ai triché. Bon, je n'ai pas pu le faire, parce que c'est un jour où le PC, la ligue et tout ça, ils se partageaient tous la dépouille d'aliénés, personne n'a pu chanter. Mais enfin bon, et c'est tout ça, c'est des pièges dans lesquels je ne veux pas.

  • Speaker #1

    On l'a dit, Pierre Barou, le poète promeneur, a toujours eu la passion des voyages. Une passion qui l'a mené jusqu'au... qu'au Japon, où il découvrit avec surprise que son œuvre et son label étaient non seulement connus là-bas, mais appréciés. Un pays qu'il adopta à son tour jusqu'à y prendre femme et y élire domicile. Et même à l'invitation de producteurs locaux à y enregistrer des disques, et pas avec n'importe qui. En 82, il y a un Japonais qui s'est pointé à Paris, M. Naoki Tachikawa. pour me proposer ce qu'ils avaient jamais proposé en français, c'est d'aller faire un disque au Japon avec des musiciens japonais. Alors justement, j'allais y venir, moi j'étais vraiment surpris parce que bon, vous connaissez un peu ma démarche, moi j'ai pas de présence médiatique et tout ça, je vends très peu d'albums quand on peut les trouver déjà, et puis je comprenais pas, je dis vous allez dépenser plein de fric, et justement pourquoi moi ? Et donc comme j'adore me rendre disponible, ça c'est un truc obsessionnel, j'ai dit ok. Et je suis parti avec des clichés en tête, on a beau faire tous les efforts du monde pour avier vierge sur une rencontre individuelle, et je me dis qu'est-ce qui m'attend là-bas, des mecs au garde-à-vous derrière des pupilles, une partie de son écrite. En plus, il m'avait cité les musiciens avec dans la voix un tel respect que j'imaginais que c'était des gens importants, mais à l'époque je n'en avais jamais entendu parler. Luigi Sacamoto, ils sont devenus des stars mondiales et tout ça, mais en 82 je ne savais pas. Et donc j'arrive, je dis avec des clichés, en me disant, bon, j'arrive, je suis accueilli par ces gens-là, et je réalise très très vite qu'eux vendaient des millions d'albums, et moi j'étais totalement haine par rapport à eux, je dis, mais enfin, qu'est-ce que vous faites là ? Et eux, en 82, me disent, mais ça fait 15 ans qu'on se nourrit de ton travail. Le premier album de Sakamoto, je crois qu'il avait appelé ça Rava pour me rendre hommage, et j'en savais rien. Et alors que moi j'attendais l'ordre, eux attendaient de moi le désordre qu'ils avaient senti dans ma démarche. Et ça a été une parenthèse de rêve. Parce que moi si vous voulez, en 82, de 65 à 82, je n'avais fait que deux albums. Que j'avais fait honteusement comme ça, quand j'avais un tromplin de chansons. Parce que j'étais tellement éperdu d'admiration pour les gens à qui j'ouvrais la porte. des trucs que j'avais fait en 3-4 jours. Et là, ils m'offrent le plus beau studio que j'avais jamais eu, un mois de studio, et puis tout dans l'impro. Je vous dis, ils attendaient deux mois ce désordre. Et tout a démarré comme ça, et depuis, je vis là-bas des aventures de création d'un romantisme que je n'ai pas le talent de l'écrire. Et au-delà de ça, c'est vrai que Saraba a survécu en grande partie par le Japon. C'est-à-dire qu'on vend dix fois plus de disques là-bas qu'en France. Chanteur, producteur, acteur, Pierre Barou fut aussi réalisateur. A son actif plusieurs longs métrages dont « Ça va, ça vient » en 1972 ou « Le divorcement » en 79 avec Michel Piccoli, mais aussi plusieurs documentaires dont l'un réalisé au Chili avec son ami Oscar Castro. Toujours dans le même esprit, artisanale et rebelle aux contraintes, qu'elle soit artistique ou administrative et surtout française.

  • Speaker #0

    Bon, j'ai fait quelques longs métrages, et puis il y a 20 ans, j'ai vu arriver la vidéo avec amusement et circonspection. Au départ, je ne prenais pas ça au sérieux, j'en ai une pour les chiens, pour les gosses, mais ok. Et puis il y a eu un événement qui a été très révélateur pour moi, c'est que... Vous savez, j'ai vécu une aventure d'un romantisme fou avec des pochiliens, le cabaret de la dernière chance, tout ça. Et j'avais fait le vœu d'amitié d'aller au Chili avec mon pote Oscar Castro dès qu'il aurait le droit parce que lui, sa mère a été assassinée par Pinochet et tout ça. Je ne sais pas si vous avez la souvenance de ça, en 88, Pinochet a fait un référendum où il souhaitait apparaître comme un président libéral. Il se devait d'accomplir des gestes conformes et d'amnistier les derniers tricards. Quand j'ai appris ça à la radio, on a décidé de partir en 3-4 jours, le temps de faire les visas. Au dernier moment, j'ai dit « mais c'est trop con de ne pas ramener un document, il va retrouver son père, ses potes et tout ça » . Je sais si j'ai le goût de l'utopie, mais c'est surtout pas à vous que je veux le dire qu'on vaincre une chaîne en trois jours pour un Chilien. Mais j'ai appelé à l'époque Louis Berlioz, vous le connaissez, qui était le big boss d'Antenne 2, parce qu'il était venu via mes potes du rugby voir le cabaret de la dernière chance, il était venu deux fois. Je ne pensais pas qu'il me donnerait de l'antenne, mais je cherchais à accumuler des gestes qui pouvaient sécuriser Oscar, qui paniquait à l'idée de repartir là-bas après 15 ans d'absence. Bon, Louis m'a répondu tout de suite, ce qui est exceptionnel en France. Il m'a reçu dans l'heure, il m'a donné tout résistance. Et je suis parti à l'époque avec une V200. Le DV n'existait pas, le Hi-8 non plus. Et j'ai ramené un 52 minutes qui a bouleversé tous les gens qui l'ont vu et que je n'aurais jamais pu tourner autrement parce que débarquer au Chili en plein climat des meutes avec une Beta, une 16, une équipe, je ne passais pas la douane. Et c'est là où ça a démarré. Puis là-dessus, à Tokyo, à Tsuko, ma femme a... a montré un jour à un ami japonais mon premier long métrage. Il a craqué complètement et lui avait un truc sur une chaîne câblée, un programme. Et puis il m'a provoqué, j'ai fait neuf films qui ont été diffusés là-bas et c'est là où je me suis passionné pour le montage. Et ce qui me fascine c'est que ça illustre un des innombrables... On n'y compte plus les paradoxes contemporains, mais le fait que dans certains domaines, en l'occurrence là, l'avancée technologique me ramène vers un nouvel artisanat, parce que c'est de l'artisanat total ce que je fais là, je suis tout seul, je n'ai pas d'ingénieur du son, rien, et là maintenant j'ai des trucs qui circulent un peu partout, grâce aux japonais toujours, parce que c'est eux qui... Si vous voulez, moi tout ce que j'ai fait dans ma vie, que ce soit un film, une chanson, une pièce de théâtre, je ne sais pas quoi, Au départ, c'est pour montrer à trois potes, sincèrement. Après, c'est diffusé, c'est du bonus. Mais je n'ai pas envie de dépenser la moindre énergie négative. Vous voyez ce que je veux dire ? En fait, je m'amuse trop si j'ai trop de choses... Non, mais c'est vrai. J'adore ce pays, c'est un pays d'abord magnifique, c'est vrai d'une richesse naturelle, je crois que les Français ont tendance à oublier ça. Pour moi, un des éléments séduction de la France aussi, c'est que c'est un pays où on vit des amitiés qui s'étalent sur une vie, et ça c'est important. Mais une des grandes séductions pour moi, et ça c'est depuis que je suis adolescent, C'est que je me suis toujours autant nourri de mes enthousiasmes que de mes colères, si vous voulez, j'ai besoin des deux. Alors enthousiasme, j'ai pris ma pâture par les rencontres qu'on peut faire, et colère dans ce pays où la tricherie est institutionnalisée, et où dans la perspective, je dis bien d'une certaine réussite, il vaut mieux avoir la panoplie que le talent. Toujours avec son ami chilien Oscar Castro, Pierre Barou, écrivain et mis en scène en 1986, une comédie musicale intitulée « Au cabaret de la dernière chance » et qui fait aussi l'objet d'un disque. Parmi les 21 chansons qui illustraient le spectacle, l'une en particulier vint aux oreilles d'un comédien et interprète prestigieux, Yves Montand. Et ça encore une fois, c'est l'histoire de chansons la plus bouleversante qui me soit arrivée. C'est que quand le film est passé, le document en question, Il y avait à la fin la chanson Cabaret de la dernière chance, qui est vraiment magique. Francis Roux, le patron de la Colombe d'Or à Saint-Paul-de-Vence, le pote à Yves Montand, voit le document, écoute la chanson, en parle à Montand, qui m'appelle. Je lui envoie une cassette. Il devient fou de la chanson. Et il préparait Bercy, Montand, qui allait être son chant du cygne. Il y a 500 000 personnes qui allaient venir. Le temps passe, il appelait tous les jours... Moi, avec mon temps, je le connaissais depuis 30 ans, mais j'avais des rapports courtois, sympas, mais je ne faisais pas partie du clan. Mais là, il m'est arrivé d'appeler à Tokyo, de tomber sur ma femme, de lui chanter le cabaret au téléphone. Et le temps passe, et en novembre 1991, j'étais ici. Et je bossais sur une chanson, parce que je rame pour écrire, des fois je reste deux, trois mois, sur une chanson qui s'inscrivait dans la dernière des pièces qu'on a écrites ensemble. Message sur mon répondeur, c'est mon temps qui me dit, Pierre, je termine mon film avec Bennex, je te donne rendez-vous chez moi, place Dauphine, le mercredi 13 novembre, 11h du matin. J'ai aucune mémoire des dates, mais là, on travaille, j'ai libéré la journée, tout ça. Je note, je replonge dans ma chanson. et une nuit à 4h du matin, ici, je la termine. Et je pense à mon temps avec une émotion particulière par cette chanson, vous la découvrirez, ce n'est pas une chanson triste, mais c'est une sorte de testament animiste. Et c'est une chanson, ça s'inscrivait dans notre fiction théâtrale, qui est faite pour être offerte à tous ces gens qui ont été coquifiés par l'histoire. Tous les gens qui ont cru en ce fois l'espoir du Front Populaire et tout ça. Et comme je voyais mon temps quelques jours plus tard, Je voulais l'offrir à travers lui à son père, qui, chassé par le fascisme, a traversé les Alpes à pied et tout ça. C'est la nuit où Yves Montand est mort que j'ai terminé ce testament. Le lendemain, j'allais chez ma maman à Bougival, j'écoute la radio, il était enterré le mercredi 13 novembre 11h du matin. Je vous jure que c'est vrai. Je me dis, merde, je ne voulais pas lui poser un lapin, mais je ne voulais pas aller au père Lachaise, Jacques Lang, l'Athénée, les Badauds. Donc j'ai été à Place Dauphine, où j'avais rendez-vous. Je suis installé à Blistrois, à côté de chez lui. J'avais acheté une petite rose. J'ai manuscrit ce testament qu'il n'écoutera jamais et que je voulais offrir à travers lui à son père. Je vous dis, qu'il la chante ou pas, le propos n'était pas là. Et j'ai laissé au bon soin de Bob Castella. Trois ans plus tard, j'ai appris que mon temps avait eu le temps d'enregistrer le caparais de la dernière chance. C'est la seule chanson qu'il a enregistrée depuis 15 ans, ou 20 ans. C'était une histoire folle, vraiment. mercredi 13 novembre 11h du matin je ne suis pas prêt d'oublier. Auteur d'une centaine de chansons, parmi les plus célèbres on a déjà cité « À bicyclette » et « Les ronds dans l'eau » , le talent de Pierre Barou n'a pourtant été que peu reconnu, pas uniquement commercialement, mais surtout dans l'esprit collectif. Pourtant, comme il l'explique dans ce qui suit, il apportait un soin méticuleux à l'écriture, remettant sans cesse l'ouvrage sur le métier dans une quête absolue d'élégance. En souffrait-il ? Lui, qu'on a à tort considéré comme une sorte de marginal un peu fantaisiste, Pierre Barou s'est éteint le 28 décembre 2016. Il laisse derrière lui une œuvre aussi généreuse qu'originale. Au fait, en hébreu, Barou, ça veut dire béni. Il y a un truc que j'ai découvert dès que j'ai commencé à écrire, et là Brassens a joué un rôle d'ailleurs, c'est que... Bon, j'ai découvert après qu'il y avait Loulipo qui s'était très éloquent. Non, c'est que la contrainte sollicite l'imagination, si vous voulez. Moi, je sais que mon imagination naturelle est très pauvre comparée au terrain imaginatif sur lequel m'entraînent les contraintes que je m'impose pour écrire. Et donc, je rame. Mais ce qui m'intéresse, c'est que plus je passe de temps sur une chanson, plus à la sortie, les gens ont l'impression que je l'ai écrite en trois minutes. Et pour moi, la vraie élégance... Elle est là, c'est qu'on ne sente pas l'effort. C'est vrai dans tous les domaines. Vous avez un goal de football qui va faire des plongeons très spectaculaires, qui va prendre trois buts par match, et qui va être remarqué avant celui qui est toujours dans la trajectoire de la balle. Parce qu'on fait de temps en temps venir pour des ateliers d'écriture, et il y a un exemple que je cite toujours concernant Brassens, c'est qu'il a presque tout écrit en octosyllabes. Et il y a certaines chansons où ce fou malade obsessionnel fait arriver la rime et des rimes très riches au bout du quatrième pied. Mais c'est fait avec une telle élégance que tout est au service du portrait qu'il trace et de la fraise qu'il dessine. Vous prenez le vieux Léon. J'ai des amis qui connaissent parfaitement Brassens, ils n'ont jamais remarqué. C'est incroyable. Il y a tout à l'heure, quinze ans malheur, mon vieux Léon, que tu es parti au paradis de l'accordéon. « Parti bon train, voir si le basse-train, Guéla Java, avait gardé droit de cité chez Jéhovah. » Il va jusqu'au bout. C'est insensé. Il a dû rester six mois, un an sur cette chanson. Mais la vraie élégance, elle est là. C'est qu'on ne sent pas l'effort. Mais en ce qui me concerne, ce qui se passe, alors sur mon cas personnel, c'est que, sous l'éparpillement, la perplexité qu'a pu provoquer toute cette attitude, C'est qu'on a ratifié les succès, à moi en tant qu'auteur, mais mon statut d'auteur n'a jamais été reconnu. Jamais, jamais. Et là, ça peut vous paraître vaniteux, je sais ce que j'ai écrit. On dit oui, des ronds dans l'eau, la bicyclette, un homme et une femme, je ne sais pas quoi. Non, c'est bien, j'en suis ravi, mais je sais ce que j'ai écrit. Moi, j'ai au moins 50 chansons, si elles avaient été chantées par mon temps. Et si vous voulez, ça reste... et puis qu'on reste occulté complètement des médias encore aujourd'hui. Et si vous voulez, en ce moment, moi je reste spectateur de tout ça, puis en plus c'est un peu indécent le privilège qui est le mien de pouvoir dire que j'ai vécu que de mes passions toute une vie, c'est un privilège exceptionnel. Mais si vous voulez, je reste spectateur, et alors en ce moment, c'est en train de glisser, je suis en train de glisser de ce ghetto de l'utopie. Je ne veux pas dire marginalité parce que ça me perturbe. Pour moi, les marginaux sont inventés par les grands médias. On a ces marginaux comme on a son bon arabe ou son bon juif, et qui cessent de l'être dès que ça marche. Donc, je n'y crois pas, la marginalité. Très souvent, je peux être au bistrot, je vais tomber sur les mecs qui viennent me voir en me disant « Tu sais, moi aussi, je suis un marginal. » Non. Si vous voulez, moi, tous les gens à qui j'ouvre la porte, tout ce que je fais, je souhaite que ça parvienne au plus grand nombre. Que je n'ai pas envie de me compromettre pour ça, c'est une autre histoire. Donc je ne crois pas en la marginalité, et Utopie joue bien. Donc en ce moment, ça fait plusieurs années là, je suis en train de glisser, pour tout dire, ça prend un parfum un peu nécrologique, je suis en train de glisser de ce ghetto-là au mythe. Il y a plein de gens qui commencent à mythifier moi et mon parcours. alors que je continue à aller faire mon flipper le matin au bistrot, où j'ai mes potes et tout ça. Donc, si vous voulez, là en ce moment, sincèrement, une fois par semaine, ou par mois, ou tous les 15 jours, il y a des gens qui m'appellent pour faire des films sur ma vie, des bouquins sur ma vie, et il y a un vrai décalage. Mais si vous voulez, les conclusions les plus positives que je puisse tirer de tout ce parcours qui peut apparaître chaotique, C'est que je sais aujourd'hui que je suis vraiment impermable à toute forme d'amertume. Sinon, je ne pourrais pas continuer à écrire ce que j'écris et à vivre ce que je vis au quotidien. Donc ça, c'est... Mais je laisse venir. Mais je vous dis, je reste spectateur et c'est curieux mon rapport à la France.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté ce podcast consacré à Pierre Barraud. Au revoir et à la prochaine fois.

Chapters

  • Introduction à l'entretien avec Pierre Barouh

    00:00

  • L'impact de "Un homme et une femme" sur la musique de film

    01:49

  • Les débuts de Pierre Barouh et ses influences

    04:56

  • Le parcours de Pierre Barouh et ses racines

    11:34

  • La passion des rencontres et l'esprit de Sarava

    16:14

  • L'éthique et la philosophie de la maison Sarava

    22:38

  • Pierre Barou, réalisateur et son approche artisanale

    31:50

  • Réflexions sur la reconnaissance et l'élégance dans l'écriture

    35:46

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Description

Chabadabada, chabadabada... Qui se cache derrière cette formule, quasi magique, qui accompagne Un homme et une femme ? Pierre Barouh, bien sûr ! 

Personnage atypique et multiple, on lui doit des classiques de la chanson, comme À bicyclette ou Des ronds dans l'eau. Nous sommes en 2006. 

Sa maison d'édition, Saravah, qui accueillit aussi bien Jacques Higelin et Brigitte Fontaine que l'Art ensemble of Chicago, Carole Laure ou David McNeill, fête alors ses 40 ans. 

À deux pas du Panthéon, Philippe Barbot se rend dans l'antre du Pdg bohème, qui fit découvrir à la France la bossa nova.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les grands entretiens du musée de la Sacem avec Philippe Barbeau. Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des grands entretiens. Chabadabada, cette formule magique, onomatopée célèbre, quelque part entre abracadabra et bibapelula, bande-son du film de Claude Lelouch Un homme et une femme, palme d'or du festival de Cannes la même année, cette formule donc est due, sur une mélodie de Francis Lay, à la plume d'un auteur pas comme les autres. Pierre Barou, promeneur insatiable et baroudeur utopique, daltonien et visionnaire, roi du barouf et empereur du slow-biz. Mais aussi comédien, chanteur, producteur, auteur dramatique, cinéaste, journaliste sportif, rugbyman, sans oublier, on le sait finalement peu, qu'il fut l'auteur de chansons depuis longtemps considérées comme des classiques, comme « À bicyclette » ou « Des ronds dans l'eau » . En 2006, Pierre Barouf fêtait les 40 ans de sa maison de disques, pas comme les autres non plus, « Sarava » , une sorte d'auberge espagnole qui accueillit des artistes aussi éclectiques que Jacques Higelin, Brigitte Fontaine, Carole Laure, Lewis Furet, Jean-Roger Cossimon, l'Art Ensemble of Chicago ou David McNeill. à aller rendre visite au PDG Bohème, dans son antre parisien, à deux pas du Panthéon, au milieu d'un jardinet couvert de bambous et d'un amas de bouquins, disques, vidéos et instruments de musique. Chabadabada, ou plutôt dabadabada dans la version originale, autant commencer l'entretien par la formule qui fit son succès. Un homme, une femme et une chanson. Si avec Lelouch on a pu aller au bout de cette liberté-là, parce que je n'ai pas vu le film depuis 40 ans, mais l'aspect historique qui me paraît intéressant dans ce film, c'est que je pense que c'est la première fois dans l'histoire du cinéma qu'on utilisait la chanson comme ça. Avant, il y avait des communis musicals, ou des gens qui se chantaient en situation. Fréhel dans Pépé le Moko, Jean Gabin dans La Belle Équipe, jamais ces deux modes d'expression populaire s'étaient tressés comme ça, sans qu'aucun des deux perde son identité. Ce n'était pas les parapluies de Cherbourg qui étaient comme une opérette, c'était autre chose. Donc personne ne voulait y croire, et c'est comme ça qu'est Nessarava, peut-être on aura l'occasion d'y revenir. Et ce qui me fascine, c'est qu'on a pu aller au bout de cette liberté-là parce qu'on n'avait pas d'argent pour faire le film. Et ça c'est intéressant, c'est la magie des paradoxes. J'avais présenté Francis Lé à Lelouch, qui à l'époque n'avait jamais imaginé mettre une chanson dans un film. Et Francis était mon pote, c'est toujours mon pote, mais c'est vrai qu'un petit accordéoniste niçois et une chanson brésilienne, personne n'a voulu éditer ça. Et moi je voulais l'éditer parce que comme on avait arrêté le film pour faute de moyens, je me suis dit Moi à l'époque j'avais fait mes premiers disques et ça marchait bien chez AZ et tout ça, donc j'ai trouvé les éditeurs et puis bon, tout le monde m'a recusé pour ces raisons objectives, je comprends. Francis Lay, c'est mignon parce que c'est l'époque où j'étais à la traîne avant de faire mes premiers disques et un jour j'avais été à l'Alhambra et il jouait dans l'orchestre de Michel Magne. Puis comme j'avais déjà des potes un peu et tout ça, j'étais passé en coulisses et j'ai trouvé ça un petit mec hyper timide. Et il y a une de mes chansons... qui lui était parvenue, qui est une chanson qui devient un peu mythique, qui s'appelle « Les filles du dimanche » , je ne sais pas si vous connaissez. Et il était tellement timide, Francis, il m'a parlé comme ça, il m'a pris par la manche, il m'a dit « ah voilà » et tout ça. Et puis on est devenus potes, on ne s'est pas quittés pendant On faisait des chansons, mais vraiment en artisan, on restait des mois sur une chanson. C'est à l'époque où je traînais toutes les nuits, enfin J'étais toujours en train de voyage, mais le rituel quand j'étais à Paris, c'est que je traînais toute la nuit rue Saint-Benoît, il y avait le jazz, et je rejoignais Francis vers minuit, une heure du matin, place du Tertre.

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    Le succès du film, et donc de la chanson, co-interprétée par Pierre Barou et Nicole Croisy, sur une mélodie de Francis Laird aux allures de samba, propulsa son auteur sous les feux des médias, mais aussi grâce ou à cause d'un malentendu. On fit de Pierre Barou une sorte de chantre français de la musique brésilienne, impression encore renforcée par une autre chanson incluse dans le film, adaptée d'un titre de Baden Powell et baptisée Samba Sarava. Mais si Barou fut bien amoureux des rythmes brésiliens, de la bossa nova et de ses grands interprètes, il s'est toujours défendu de n'en être qu'un adaptateur professionnel.

  • Speaker #0

    Il y a plusieurs malentendus concernant la musique brésilienne, la chanson brésilienne. Mais celui qui me concerne déjà, c'est que, si vous voulez, moi j'ai commencé à écrire, j'avais 14-15 ans, et je sais de qui je me suis nourri. C'est de Jean Renoir, de Jean Vigo, de... C'était dingue pour moi, parce que je vous dis, j'ai passé... Vous êtes au courant, les années de la guerre dans le bocage vendéen, je suis revenu, je ne parlais pas à toi, j'étais vraiment le cancre. Et ça, ça a tout fait basculer, et c'est là. Donc, je sais de qui je me suis nourri, et je sais de qui sont mes racines. Où sont mes racines ? Je vous dis, c'est Macorlan, c'est Prévert, c'est Renoir, tout ça. Mais je suis un promeneur et j'aime bien témoigner de mes promenades. Et comme il n'y a jamais de succès sans malentendu, la Samba Sarava, de la Nomme et une Femme, ce n'était pas prévu. Donc, succès, malentendu, on fait passer pour l'apôtre de la bossa nova en contradiction totale avec ce que je dis dans la chanson. D'ailleurs, le deuxième couplet où je dis j'en connais que la chanson incommode, d'autres pour qui ce n'est rien qu'une mode, d'autres qui en profitent sans l'aimer, moi je l'aime et j'ai parcouru le monde en cherchant ses racines vagabondes, et je rends un hommage. Ce qui veut dire, retrouvons nos racines là où on est. Je ne me suis pas contenté de le dire, j'ai joué ma vie là-dessus, en ouvrant la porte à Jean-Roger Cossimon, à David McNeill, à Higelin, Fontaine et tout ça. Et c'est le malentendu. On m'a offert, je vous assure, derrière le film, plein de fric pour adapter en français toutes les chansons brésiliennes, ce que je me suis refusé pour ne pas me rendre complice de ce malentendu. J'en ai fait que cinq ou six, les seules que j'étais sûr de ne pas trahir. Vraiment, des adaptations, j'en ai fait très peu. L'autre malentendu concernant la chanson brésilienne, et qui ne s'est pas dissipée, C'est qu'elle reste victime encore aujourd'hui de la beauté des mélodies et des harmonies. On n'a pas réussi à faire découvrir qu'elle est portée par des poètes populaires immenses. Caetano Veloso, Gilberto Gil, Chic, surtout Chico Buarque de Landa. Juste pour aller vite, il y a 40 ans, c'était la dictature au Brésil. Ceux qui ont été le plus réprimés, enfermés, exilés, plus que les intellectuels, les cinéastes et les écrivains, c'est les auteurs de chansons. Parce qu'on n'arrête pas une chanson. Donc ils se sont retrouvés, Chico Buarque en Italie, Caetano et tout ça dans les îles britanniques. Quand la dictature s'est raffermie, ils ont laissé rentrer. Mais quand ils faisaient un disque, ça passait par un réseau de censure. Trois colonels, deux généraux, je ne sais pas quoi. Et un jour, Chico Buarque a chanté une chanson qu'il n'a pu chanter qu'une fois avant qu'elle soit censurée. Quelques mois plus tard, il était devant 3000 personnes. Comme il ne pouvait pas chanter les paroles, il a chanté « la la la » , c'est les 3000 personnes en face qui ont chanté « la la la » . Et ça, on n'a pas réussi encore aujourd'hui à faire des... Le malentendu est total, encore aujourd'hui.

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    Né Elie Barou, en 1934, d'une famille juive originaire de Turquie, à Levallois-Perret, Le futur Pierre doit suivre ses parents dans le bocage vendéen pour fuir l'occupation nazie. Plus tard, après la guerre, il découvre en autodidacte le cinéma de Renoir ou de Carnet, la poésie de Prévert et les chansons de Brassens, et se fait une curieuse promesse, être un promeneur jusqu'à l'âge de 30 ans. Une promesse qu'il a tenue, voyageant à travers le monde, en quête de rencontres et de musique. tout en n'oubliant pas ses racines familiales.

  • Speaker #0

    Ça c'est vrai, mais c'est venu du fait que... Des monts et merveilles, hein ? C'est là où tout a basculé. Et comme les années que j'ai passées dans le bocage, bon, je passais plus de temps à poser des pièges à perdus et des collègues, qu'aller à l'école, je suis revenu, je ne parlais pas de toi quand je suis revenu dans le bocage. Donc j'étais vraiment le cancre parfait, est dans un état d'incompatibilité réelle avec toute forme d'éducation dirigée. Et ça, ça fait basculer tout, c'est-à-dire que je suis complètement autodidacte. J'ai une culture complètement mitée, mais je me suis nourri. C'est là où j'ai commencé à écrire tout de suite, à lire. Je ne sais pas, Mac Orlan, Brévert, Brassens, C'est Très Né. Et j'ai pris cette décision dont je ne saurais jamais la source. J'allais me promener jusqu'à 30 ans, mais sans humilité. Je me disais à 30 ans, je m'arrête, ça marche. Donc j'élargissais le sernier de promenade et puis ça développait mes facultés de rencontre. C'est pour ça que quand je revenais à Paris, je me suis retrouvé journaliste sportif, assistant de metteur en scène avec Georges Lautner, qui m'a écrit un rôle tout de suite. Mes parents, c'est bête à dire parce qu'on n'en fait pas le choix, mais c'était vraiment des gens, c'était un milieu modeste, mais mon père, ils étaient quatre frères, ils faisaient les marchés tous les quatre. Mais ce qui m'a toujours, sans l'exprimer jamais, mais mon père m'a toujours imprégné de l'idée que la chose importante, c'est le regard de la personne qu'on a en face de soi, avant tout. Et comme au-delà de ça, je suis d'Altonien, donc les couleurs... Oui, il y a une chanson que j'ai enregistrée qui s'appelle « D'Altonien » . Il y avait cette ouverture, donc j'étais conscient des racines et tout ça. Il y avait la Pâque, les prières, je vive, les choses, mais c'était ouvert complètement. Quand j'essaye de penser à Dieu, je n'y arrive pas, même par jeu de l'esprit. Je crois en dix mille choses, si j'arrivais à en faire un tout, peut-être que ça ferait Dieu. Et puis au-delà de ça, je suis tellement persuadé que c'est au nom d'Aimez-vous les uns les autres qu'on s'est tués le plus depuis que le monde existe. Donc je crois en des choses, mais je n'arrive pas Donc j'ai

  • Speaker #1

    Si l'on pouvait défiler Pierre Barou en un mot, ce serait celui de rencontre. Rencontre au pluriel. Que ce fût avec ses idoles de la musique brésilienne ou les artistes de toute nationalité et de tout style, qu'il prit sous son aile. Lui-même l'a écrit et chanté, la vie, c'est l'art des rencontres. Oui, mais cette phrase, elle n'est pas de moi. Elle vient justement, c'était dans la Samba Sarava, la version originelle. C'est une phrase de Vinicius de Moraes, « Abida et arted in contre » . Et ça, j'en suis bien imprégné. J'ai réalisé à quel point ma fascination des rivières Merci. Je suis fasciné par les rivières. Il y avait eu une incidence énorme sur mon parcours, sans que je l'analyse. Parce que vous prenez une rivière, son scénario est implacable, de sa source à son échéance, que ce soit un fleuve ou un océan, mais elle rencontre un rocher, elle revient sur ses pas, elle serpente, elle se précipite. Et dans ces années de promenade, je vous assure que c'est vrai, il m'est arrivé des fois de faire du stop alternativement d'un côté et de l'autre de la route. vraiment, en disant le premier qui s'arrête m'amène vers le nord ou vers le sud. Et pour moi, la fascination, c'était de débarquer dans une ville étrangère dont je ne parlais pas la langue, où je ne connaissais personne, avec une seule certitude, c'est qu'on ne peut pas mourir de ça. Mais tant que je n'avais pas trouvé, dans un quartier populaire, le petit bistrot où je savais que tout allait se passer, le voyage ne commençait pas. C'est-à-dire, comment dire, de... de recréer, dans le cadre d'une errance totale, un univers sédentaire. Et ça, j'y peux rien, c'est peut-être parce que ces années, justement, dans le terroir vendéen, où on était au bord d'une rivière, je ne sais pas. Cette passion des rencontres, Pierre Barou la concrétisa dans le label et la maison d'édition qu'il fonda au milieu des années 60, Sarava. Une sorte de vivier de talents hétéroclites. Un laboratoire musical expérimental créé dans l'esprit de mai 68, situé rue des Abesses au pied de la butte Montmartre, et qui accueillit les premiers ébats d'artistes comme Jacques Higelin, Arisky et Fontaine, David Macneil, mais aussi le percussionniste brésilien Nana Vasconcelos ou le chanteur gabonais Pierre Akendengue. L'invention de la world music avant l'heure.

  • Speaker #0

    mais c'était vraiment ça. Toute la géographie était éloquente, parce que nos bureaux, c'était une boutique sur la rue, déjà, entre un tripier et un boulanger. Il y avait le studio dans la cour, qui donnait sur la rue aussi, enfin sur la cour, et il y avait le Saint-Jean, le bistrot en face, qui était vraiment la succursale. Mais je crois que, si vous voulez, à la réécoute, ce qui est devenu flagrant quand même, parce que... Bon, aujourd'hui, on parle de world music, par exemple. Le mot n'existait pas à l'époque. Mais là, tout ce qui s'est passé, déjà, un poète contemporain, Brigitte Fontaine, avec un groupe de free jazz à la pointe de la musique progressiste, Aken Nengé, c'est incroyable. On a du mal aujourd'hui à réaliser, vu tout ce qui s'est passé depuis, concernant l'Afrique, qu'à l'époque, les Noirs, on disait qu'ils tapent sur leur tam-tam et qu'ils les laissent tranquilles. Non, non, mais c'est vrai. Et non seulement ça, avoir provoqué la rencontre avec Nana Vasconcelos, le premier lien Afrique-Brésil, tout ça, si vous voulez, et non seulement le mot world music n'existe pas, mais le mot rap non plus, Alfred Panou, c'est incroyable, si vous voulez, il y avait tout ce brassage, bon mais l'esprit il est toujours là, je veux dire, il ne faut pas non plus... J'aime bien la nostalgie tant qu'elle n'est pas teintée de passéisme. Et là, on continue aujourd'hui à faire des choses.

  • Speaker #1

    Sarava, le label anticonformiste, outre son catalogue pour le moins éclectique, s'était aussi doté d'un slogan plutôt inhabituel pour une entreprise en pleine activité. « Il y a des années où l'on a envie de ne rien faire » . Éloge de la paresse ou manifeste du plaisir ?

  • Speaker #0

    Je cherchais, moi, à souligner le côté ludique de l'aventure. Et j'ai hésité entre deux phrases à l'époque, celle-là qui n'est pas de moi, c'est un bouquin que j'aimerais vraiment retrouver, c'était « La vie secrète de Salvador Dali » par lui-même, c'est un bouquin irrésistible que j'ai lu adolescent, où il commençait par ses mémoires intra-utérines et tout ça. Et à un moment, il citait un homme de Cadaquès, un pêcheur, qui au lieu d'être sur son bateau, était toujours à la terrasse, en train de boire des coups. Quand on lui demandait « mais qu'est-ce que tu fous ? » , il répondait « il y a des années, on a envie de ne rien faire » . Alors il y avait ça, puis une autre phrase, j'hésitais, de George Orwell qui dit « tous les hommes sont égaux, mais certains hommes sont plus égaux que d'autres » . Et j'ai choisi celle-là parce que pour moi, j'étais adolescent quand j'ai lu ça, et je suis tombé en arrêt comme un chien devant la charge subversive au sens noble. Et ce qui est intéressant avec le filtre du temps, justement, Pour moi, ce n'est pas une phrase à la gloire de la paresse. C'est une réflexion sur les inhibitions dans une société qui est faite par l'homme, mais pas pour l'homme. Et si vous voulez, ça rejoint un truc qui est vraiment inscrit dans la philosophie, je pense, de Sarrava. C'est que je me suis toujours nourri et que j'ai toujours cherché à imprégner les gens qui m'entourent du fait que la priorité des priorités, c'est le plaisir qu'on prend à faire les choses. Parce que c'est ce que personne ne nous dérobe jamais. Moi je vais faire une pièce de théâtre, un film, une chanson, il y a des gens qui vont me dire c'est génial, d'autres c'est de la merde, c'est une autre histoire. Mais le plaisir que j'aurais pris à le faire... personne ne va me le dérober. Donc c'est ça que ça veut dire pour moi. C'est-à-dire qu'il y a 6 milliards d'individus sur Terre, je pense que chacun porte un noyau de passion, et que le jeu de miroir des médias et la spirale de la consommation transforment en béléité. Alors que vous, Philippe, vous avez envie de dessiner sur des foulards ou je ne sais pas quoi, qu'est-ce qui va vous priver du plaisir que vous prendrez à le faire ? Et c'est ça pour moi. Et puis pour les 30 ans, j'ai rajouté « Les rois du slow-biz » . Et c'est pareil dans la double lecture, ça fait marrer, je suis content, mais dans la double lecture, il y a une autre histoire. Et c'est vraiment, je pense, c'est vraiment qu'il y a eu une cohérence entre ce que représente pour moi cette pensée-là et l'action qu'on a eue. Parce que c'est un peu bête, ça peut vous paraître puéril, mais moi je n'ai jamais pris un franc de la société. Je n'ai pas cessé d'investir, d'une part parce que, si vous voulez, techniquement, on a toujours, je dis bien ponctuellement, produit à perte, je dis bien ponctuellement, parce qu'aujourd'hui l'éco-simon et tout ça, Higelin-Fontaine, ils sont amortis. Mais c'est Saraba Edition qui a toujours alimenté Saraba Discs. Et Saraba Edition, ça reste encore aujourd'hui pour la moitié les droits de mes chansons qui alimentent le truc. Donc, je n'ai aucun scrupule à dire qu'il y a vraiment une éthique dans cette histoire.

  • Speaker #1

    Curieusement, mais sans doute à cause de son côté atypique, un bras anarchiste, se riant des conventions du show business classique, l'entreprise Sarava ne remporte pas un grand intérêt de la part des médias. Et puis, qui est donc cet olibrius qui, au lieu de faire lui-même carrière, se mêle de tenter de faire connaître le talent des autres ? Un élément dangereusement subversif ?

  • Speaker #0

    Imaginez, on sort d'un truc comme un homme et une femme, alors que moi déjà mes premiers dix ça marchait bien à Azel et tout ça, j'avais trois heures d'émission dimanche sur Europe et tout ça, mais on sort d'un truc comme ça, on peut être partie d'une famille, on est invité dans les cocktails, dans les premières, les trucs comme ça, et moi qu'est-ce que je fais ? J'ouvre la porte à des gens qui symbolisaient la subversion totale. Si vous voulez, il n'y a pas d'intention. Ce qui est curieux, c'est... Entendons-nous bien, je ne fais pas de paranoïa, il n'y a pas d'intention malveillante vis-à-vis de moi, mais ça a tellement déstabilisé les gens des médias que tout d'un coup, dans leur esprit, c'était un maudit qui tournait le dos au succès. Alors que, je veux dire, entre les interprétations qu'on peut faire et la démarche, il y a un abîme. Pour moi, ce n'est pas simple, c'est simpliste. Si vous voulez... Je sais à quel point ça peut être atypique pour un créateur que je suis et demeure, mais depuis mon adolescence, j'ai toujours été disponible à la reconnaissance du talent des autres. J'y peux rien, c'est dans ma nature. Donc ça se prolonge par un prosélytisme qui est très chiant pour tous ceux qui m'entourent, que j'aime un pote, un pigeon, n'importe quoi, j'emmerde tout le monde. Et si vous voulez, quand je dis que c'est simpliste, c'est qu'il y a des choses qui m'émeuvent et j'ai envie de les partager avec d'autres. C'est aussi simple que ça. Et quand, juste à la sortie d'Un homme et une femme, je retrouvais Ygelin, que j'avais contenu à la traîne à 14 ans, et avec Brigitte et Rufus, ils faisaient un truc qui était au-delà de l'Underground, à la vieillerie, là à côté, une pièce qu'ils avaient écrite ensemble, qui s'appelait Maman j'ai peur, où il y avait une chanson d'anthologie, qui est cet enfant que je t'avais fait. Donc moi j'ai craqué là-dessus, et comme ils étaient plus ou moins tricarges, moi j'irritais, l'on a dit ok. Ça ne devait pas aller plus loin, en fait. Mais j'ai mis le pied sur un fil, je suis devenu funambule, et ça fait finalement 40 ans que je n'ai pas pu en redescendre. Ça illustre ce que je dis quand je dis que je me noue autant de mes colères que de mes enthousiasmes, parce que quand ces premiers 10 sont arrivés, moi j'étais content. Et puis à l'époque, je vous dis, on me déroulait un peu le tapis rouge et tout ça. Donc tous les gens, les programmateurs de radio, toute cette fausse aristocratie là qui font écran entre le commentaire. Donc c'est des gens qui me parlaient, qui me tapaient sur l'épaule. Moi j'étais naïvement complètement fier, j'ai amené ça. Et si vous voulez, la réaction, ça a été, ah oui c'est bien, mais c'est trop bien pour eux. Et eux, c'est vous, c'est moi. Et là je me suis dit, mais merde, c'est quoi ces gens-là qui écoutent chez eux des trucs qui ne passent pas à l'antenne ? et qui passent à l'antenne ce qu'ils n'écoutent pas chez eux. Donc moi, dans un réflexe complètement espiègle, j'ai envoyé une lettre à ces gens-là, en leur disant « Ok, moi j'ai fait ça, ça me ferait plaisir que ça passe, mais je vous en distribue plus 300 à l'œil pour que ça termine chez les soldeurs au plus en fin de mois, donc je vous les vends, je vous fais le prix de gros. » Mais c'était de l'espièglerie pure, parce que je me disais « Bon, je ne peux pas laisser passer ça. » Et puis, c'est comme au poker, on perd, on paye. Et puis, si j'ai raison, le temps est un filtre parfait. Et alors là, ça a été le fou rire. Mais finalement, ça ne change rien puisqu'il ne le passait pas. Et si vous voulez, je me suis nourri à la fois de l'enthousiasme provoqué par les rencontres et de ses colères. Et c'est comme ça que ça fait 40 ans que ça dure. Pour moi, depuis toujours, la vraie subversion, ne peut s'épanouir que dans le positif. Donc dénoncer ne m'a jamais intéressé. Si on a quelque chose à dénoncer, c'est qu'on a quelque chose à proposer. Et le côté, le point en l'air et tout ça, pour moi c'est gratuit, puis il y a un tel exhibitionnisme là-dedans, et puis en même temps c'est très médiatique et tout ça. Et pour moi la vraie subversion est là. C'est pas de... Bon, le côté Renault et tout ça, vous voyez, c'est... C'est trop facile, les ingrédients je les connais, je peux les foutre dans le shaker quand je veux. Un jour, c'était à l'époque du Saravadé Zabès, j'avais été invité au Palais des Congrès, une nana m'appelle, elle me dit « oui on fait un grand truc pour Allende et tout ça, est-ce que tu peux venir chanter à l'œil ? » Je dis « pas de problème » . Et elle me dit « est-ce que tu pourras chanter une chanson de circonstance ? » Et là vraiment ça m'a foutu en roi, parce que je viens de chanter une chanson sur les rues. de Paris ou je ne sais pas quoi. Alors je me suis enfermé dans un bistrot et j'ai écrit en deux minutes un texte bien dégueulasse, bien démago où c'était, je m'en souviens encore, c'était Frère Chilien, Frère Chilien, je n'aurais pas chanté pour rien si demain les armes à la main vous reprenaient votre chemin. Et je voulais m'arrêter là et dire aux gens, voilà, j'ai triché. J'ai triché. Bon, je n'ai pas pu le faire, parce que c'est un jour où le PC, la ligue et tout ça, ils se partageaient tous la dépouille d'aliénés, personne n'a pu chanter. Mais enfin bon, et c'est tout ça, c'est des pièges dans lesquels je ne veux pas.

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    On l'a dit, Pierre Barou, le poète promeneur, a toujours eu la passion des voyages. Une passion qui l'a mené jusqu'au... qu'au Japon, où il découvrit avec surprise que son œuvre et son label étaient non seulement connus là-bas, mais appréciés. Un pays qu'il adopta à son tour jusqu'à y prendre femme et y élire domicile. Et même à l'invitation de producteurs locaux à y enregistrer des disques, et pas avec n'importe qui. En 82, il y a un Japonais qui s'est pointé à Paris, M. Naoki Tachikawa. pour me proposer ce qu'ils avaient jamais proposé en français, c'est d'aller faire un disque au Japon avec des musiciens japonais. Alors justement, j'allais y venir, moi j'étais vraiment surpris parce que bon, vous connaissez un peu ma démarche, moi j'ai pas de présence médiatique et tout ça, je vends très peu d'albums quand on peut les trouver déjà, et puis je comprenais pas, je dis vous allez dépenser plein de fric, et justement pourquoi moi ? Et donc comme j'adore me rendre disponible, ça c'est un truc obsessionnel, j'ai dit ok. Et je suis parti avec des clichés en tête, on a beau faire tous les efforts du monde pour avier vierge sur une rencontre individuelle, et je me dis qu'est-ce qui m'attend là-bas, des mecs au garde-à-vous derrière des pupilles, une partie de son écrite. En plus, il m'avait cité les musiciens avec dans la voix un tel respect que j'imaginais que c'était des gens importants, mais à l'époque je n'en avais jamais entendu parler. Luigi Sacamoto, ils sont devenus des stars mondiales et tout ça, mais en 82 je ne savais pas. Et donc j'arrive, je dis avec des clichés, en me disant, bon, j'arrive, je suis accueilli par ces gens-là, et je réalise très très vite qu'eux vendaient des millions d'albums, et moi j'étais totalement haine par rapport à eux, je dis, mais enfin, qu'est-ce que vous faites là ? Et eux, en 82, me disent, mais ça fait 15 ans qu'on se nourrit de ton travail. Le premier album de Sakamoto, je crois qu'il avait appelé ça Rava pour me rendre hommage, et j'en savais rien. Et alors que moi j'attendais l'ordre, eux attendaient de moi le désordre qu'ils avaient senti dans ma démarche. Et ça a été une parenthèse de rêve. Parce que moi si vous voulez, en 82, de 65 à 82, je n'avais fait que deux albums. Que j'avais fait honteusement comme ça, quand j'avais un tromplin de chansons. Parce que j'étais tellement éperdu d'admiration pour les gens à qui j'ouvrais la porte. des trucs que j'avais fait en 3-4 jours. Et là, ils m'offrent le plus beau studio que j'avais jamais eu, un mois de studio, et puis tout dans l'impro. Je vous dis, ils attendaient deux mois ce désordre. Et tout a démarré comme ça, et depuis, je vis là-bas des aventures de création d'un romantisme que je n'ai pas le talent de l'écrire. Et au-delà de ça, c'est vrai que Saraba a survécu en grande partie par le Japon. C'est-à-dire qu'on vend dix fois plus de disques là-bas qu'en France. Chanteur, producteur, acteur, Pierre Barou fut aussi réalisateur. A son actif plusieurs longs métrages dont « Ça va, ça vient » en 1972 ou « Le divorcement » en 79 avec Michel Piccoli, mais aussi plusieurs documentaires dont l'un réalisé au Chili avec son ami Oscar Castro. Toujours dans le même esprit, artisanale et rebelle aux contraintes, qu'elle soit artistique ou administrative et surtout française.

  • Speaker #0

    Bon, j'ai fait quelques longs métrages, et puis il y a 20 ans, j'ai vu arriver la vidéo avec amusement et circonspection. Au départ, je ne prenais pas ça au sérieux, j'en ai une pour les chiens, pour les gosses, mais ok. Et puis il y a eu un événement qui a été très révélateur pour moi, c'est que... Vous savez, j'ai vécu une aventure d'un romantisme fou avec des pochiliens, le cabaret de la dernière chance, tout ça. Et j'avais fait le vœu d'amitié d'aller au Chili avec mon pote Oscar Castro dès qu'il aurait le droit parce que lui, sa mère a été assassinée par Pinochet et tout ça. Je ne sais pas si vous avez la souvenance de ça, en 88, Pinochet a fait un référendum où il souhaitait apparaître comme un président libéral. Il se devait d'accomplir des gestes conformes et d'amnistier les derniers tricards. Quand j'ai appris ça à la radio, on a décidé de partir en 3-4 jours, le temps de faire les visas. Au dernier moment, j'ai dit « mais c'est trop con de ne pas ramener un document, il va retrouver son père, ses potes et tout ça » . Je sais si j'ai le goût de l'utopie, mais c'est surtout pas à vous que je veux le dire qu'on vaincre une chaîne en trois jours pour un Chilien. Mais j'ai appelé à l'époque Louis Berlioz, vous le connaissez, qui était le big boss d'Antenne 2, parce qu'il était venu via mes potes du rugby voir le cabaret de la dernière chance, il était venu deux fois. Je ne pensais pas qu'il me donnerait de l'antenne, mais je cherchais à accumuler des gestes qui pouvaient sécuriser Oscar, qui paniquait à l'idée de repartir là-bas après 15 ans d'absence. Bon, Louis m'a répondu tout de suite, ce qui est exceptionnel en France. Il m'a reçu dans l'heure, il m'a donné tout résistance. Et je suis parti à l'époque avec une V200. Le DV n'existait pas, le Hi-8 non plus. Et j'ai ramené un 52 minutes qui a bouleversé tous les gens qui l'ont vu et que je n'aurais jamais pu tourner autrement parce que débarquer au Chili en plein climat des meutes avec une Beta, une 16, une équipe, je ne passais pas la douane. Et c'est là où ça a démarré. Puis là-dessus, à Tokyo, à Tsuko, ma femme a... a montré un jour à un ami japonais mon premier long métrage. Il a craqué complètement et lui avait un truc sur une chaîne câblée, un programme. Et puis il m'a provoqué, j'ai fait neuf films qui ont été diffusés là-bas et c'est là où je me suis passionné pour le montage. Et ce qui me fascine c'est que ça illustre un des innombrables... On n'y compte plus les paradoxes contemporains, mais le fait que dans certains domaines, en l'occurrence là, l'avancée technologique me ramène vers un nouvel artisanat, parce que c'est de l'artisanat total ce que je fais là, je suis tout seul, je n'ai pas d'ingénieur du son, rien, et là maintenant j'ai des trucs qui circulent un peu partout, grâce aux japonais toujours, parce que c'est eux qui... Si vous voulez, moi tout ce que j'ai fait dans ma vie, que ce soit un film, une chanson, une pièce de théâtre, je ne sais pas quoi, Au départ, c'est pour montrer à trois potes, sincèrement. Après, c'est diffusé, c'est du bonus. Mais je n'ai pas envie de dépenser la moindre énergie négative. Vous voyez ce que je veux dire ? En fait, je m'amuse trop si j'ai trop de choses... Non, mais c'est vrai. J'adore ce pays, c'est un pays d'abord magnifique, c'est vrai d'une richesse naturelle, je crois que les Français ont tendance à oublier ça. Pour moi, un des éléments séduction de la France aussi, c'est que c'est un pays où on vit des amitiés qui s'étalent sur une vie, et ça c'est important. Mais une des grandes séductions pour moi, et ça c'est depuis que je suis adolescent, C'est que je me suis toujours autant nourri de mes enthousiasmes que de mes colères, si vous voulez, j'ai besoin des deux. Alors enthousiasme, j'ai pris ma pâture par les rencontres qu'on peut faire, et colère dans ce pays où la tricherie est institutionnalisée, et où dans la perspective, je dis bien d'une certaine réussite, il vaut mieux avoir la panoplie que le talent. Toujours avec son ami chilien Oscar Castro, Pierre Barou, écrivain et mis en scène en 1986, une comédie musicale intitulée « Au cabaret de la dernière chance » et qui fait aussi l'objet d'un disque. Parmi les 21 chansons qui illustraient le spectacle, l'une en particulier vint aux oreilles d'un comédien et interprète prestigieux, Yves Montand. Et ça encore une fois, c'est l'histoire de chansons la plus bouleversante qui me soit arrivée. C'est que quand le film est passé, le document en question, Il y avait à la fin la chanson Cabaret de la dernière chance, qui est vraiment magique. Francis Roux, le patron de la Colombe d'Or à Saint-Paul-de-Vence, le pote à Yves Montand, voit le document, écoute la chanson, en parle à Montand, qui m'appelle. Je lui envoie une cassette. Il devient fou de la chanson. Et il préparait Bercy, Montand, qui allait être son chant du cygne. Il y a 500 000 personnes qui allaient venir. Le temps passe, il appelait tous les jours... Moi, avec mon temps, je le connaissais depuis 30 ans, mais j'avais des rapports courtois, sympas, mais je ne faisais pas partie du clan. Mais là, il m'est arrivé d'appeler à Tokyo, de tomber sur ma femme, de lui chanter le cabaret au téléphone. Et le temps passe, et en novembre 1991, j'étais ici. Et je bossais sur une chanson, parce que je rame pour écrire, des fois je reste deux, trois mois, sur une chanson qui s'inscrivait dans la dernière des pièces qu'on a écrites ensemble. Message sur mon répondeur, c'est mon temps qui me dit, Pierre, je termine mon film avec Bennex, je te donne rendez-vous chez moi, place Dauphine, le mercredi 13 novembre, 11h du matin. J'ai aucune mémoire des dates, mais là, on travaille, j'ai libéré la journée, tout ça. Je note, je replonge dans ma chanson. et une nuit à 4h du matin, ici, je la termine. Et je pense à mon temps avec une émotion particulière par cette chanson, vous la découvrirez, ce n'est pas une chanson triste, mais c'est une sorte de testament animiste. Et c'est une chanson, ça s'inscrivait dans notre fiction théâtrale, qui est faite pour être offerte à tous ces gens qui ont été coquifiés par l'histoire. Tous les gens qui ont cru en ce fois l'espoir du Front Populaire et tout ça. Et comme je voyais mon temps quelques jours plus tard, Je voulais l'offrir à travers lui à son père, qui, chassé par le fascisme, a traversé les Alpes à pied et tout ça. C'est la nuit où Yves Montand est mort que j'ai terminé ce testament. Le lendemain, j'allais chez ma maman à Bougival, j'écoute la radio, il était enterré le mercredi 13 novembre 11h du matin. Je vous jure que c'est vrai. Je me dis, merde, je ne voulais pas lui poser un lapin, mais je ne voulais pas aller au père Lachaise, Jacques Lang, l'Athénée, les Badauds. Donc j'ai été à Place Dauphine, où j'avais rendez-vous. Je suis installé à Blistrois, à côté de chez lui. J'avais acheté une petite rose. J'ai manuscrit ce testament qu'il n'écoutera jamais et que je voulais offrir à travers lui à son père. Je vous dis, qu'il la chante ou pas, le propos n'était pas là. Et j'ai laissé au bon soin de Bob Castella. Trois ans plus tard, j'ai appris que mon temps avait eu le temps d'enregistrer le caparais de la dernière chance. C'est la seule chanson qu'il a enregistrée depuis 15 ans, ou 20 ans. C'était une histoire folle, vraiment. mercredi 13 novembre 11h du matin je ne suis pas prêt d'oublier. Auteur d'une centaine de chansons, parmi les plus célèbres on a déjà cité « À bicyclette » et « Les ronds dans l'eau » , le talent de Pierre Barou n'a pourtant été que peu reconnu, pas uniquement commercialement, mais surtout dans l'esprit collectif. Pourtant, comme il l'explique dans ce qui suit, il apportait un soin méticuleux à l'écriture, remettant sans cesse l'ouvrage sur le métier dans une quête absolue d'élégance. En souffrait-il ? Lui, qu'on a à tort considéré comme une sorte de marginal un peu fantaisiste, Pierre Barou s'est éteint le 28 décembre 2016. Il laisse derrière lui une œuvre aussi généreuse qu'originale. Au fait, en hébreu, Barou, ça veut dire béni. Il y a un truc que j'ai découvert dès que j'ai commencé à écrire, et là Brassens a joué un rôle d'ailleurs, c'est que... Bon, j'ai découvert après qu'il y avait Loulipo qui s'était très éloquent. Non, c'est que la contrainte sollicite l'imagination, si vous voulez. Moi, je sais que mon imagination naturelle est très pauvre comparée au terrain imaginatif sur lequel m'entraînent les contraintes que je m'impose pour écrire. Et donc, je rame. Mais ce qui m'intéresse, c'est que plus je passe de temps sur une chanson, plus à la sortie, les gens ont l'impression que je l'ai écrite en trois minutes. Et pour moi, la vraie élégance... Elle est là, c'est qu'on ne sente pas l'effort. C'est vrai dans tous les domaines. Vous avez un goal de football qui va faire des plongeons très spectaculaires, qui va prendre trois buts par match, et qui va être remarqué avant celui qui est toujours dans la trajectoire de la balle. Parce qu'on fait de temps en temps venir pour des ateliers d'écriture, et il y a un exemple que je cite toujours concernant Brassens, c'est qu'il a presque tout écrit en octosyllabes. Et il y a certaines chansons où ce fou malade obsessionnel fait arriver la rime et des rimes très riches au bout du quatrième pied. Mais c'est fait avec une telle élégance que tout est au service du portrait qu'il trace et de la fraise qu'il dessine. Vous prenez le vieux Léon. J'ai des amis qui connaissent parfaitement Brassens, ils n'ont jamais remarqué. C'est incroyable. Il y a tout à l'heure, quinze ans malheur, mon vieux Léon, que tu es parti au paradis de l'accordéon. « Parti bon train, voir si le basse-train, Guéla Java, avait gardé droit de cité chez Jéhovah. » Il va jusqu'au bout. C'est insensé. Il a dû rester six mois, un an sur cette chanson. Mais la vraie élégance, elle est là. C'est qu'on ne sent pas l'effort. Mais en ce qui me concerne, ce qui se passe, alors sur mon cas personnel, c'est que, sous l'éparpillement, la perplexité qu'a pu provoquer toute cette attitude, C'est qu'on a ratifié les succès, à moi en tant qu'auteur, mais mon statut d'auteur n'a jamais été reconnu. Jamais, jamais. Et là, ça peut vous paraître vaniteux, je sais ce que j'ai écrit. On dit oui, des ronds dans l'eau, la bicyclette, un homme et une femme, je ne sais pas quoi. Non, c'est bien, j'en suis ravi, mais je sais ce que j'ai écrit. Moi, j'ai au moins 50 chansons, si elles avaient été chantées par mon temps. Et si vous voulez, ça reste... et puis qu'on reste occulté complètement des médias encore aujourd'hui. Et si vous voulez, en ce moment, moi je reste spectateur de tout ça, puis en plus c'est un peu indécent le privilège qui est le mien de pouvoir dire que j'ai vécu que de mes passions toute une vie, c'est un privilège exceptionnel. Mais si vous voulez, je reste spectateur, et alors en ce moment, c'est en train de glisser, je suis en train de glisser de ce ghetto de l'utopie. Je ne veux pas dire marginalité parce que ça me perturbe. Pour moi, les marginaux sont inventés par les grands médias. On a ces marginaux comme on a son bon arabe ou son bon juif, et qui cessent de l'être dès que ça marche. Donc, je n'y crois pas, la marginalité. Très souvent, je peux être au bistrot, je vais tomber sur les mecs qui viennent me voir en me disant « Tu sais, moi aussi, je suis un marginal. » Non. Si vous voulez, moi, tous les gens à qui j'ouvre la porte, tout ce que je fais, je souhaite que ça parvienne au plus grand nombre. Que je n'ai pas envie de me compromettre pour ça, c'est une autre histoire. Donc je ne crois pas en la marginalité, et Utopie joue bien. Donc en ce moment, ça fait plusieurs années là, je suis en train de glisser, pour tout dire, ça prend un parfum un peu nécrologique, je suis en train de glisser de ce ghetto-là au mythe. Il y a plein de gens qui commencent à mythifier moi et mon parcours. alors que je continue à aller faire mon flipper le matin au bistrot, où j'ai mes potes et tout ça. Donc, si vous voulez, là en ce moment, sincèrement, une fois par semaine, ou par mois, ou tous les 15 jours, il y a des gens qui m'appellent pour faire des films sur ma vie, des bouquins sur ma vie, et il y a un vrai décalage. Mais si vous voulez, les conclusions les plus positives que je puisse tirer de tout ce parcours qui peut apparaître chaotique, C'est que je sais aujourd'hui que je suis vraiment impermable à toute forme d'amertume. Sinon, je ne pourrais pas continuer à écrire ce que j'écris et à vivre ce que je vis au quotidien. Donc ça, c'est... Mais je laisse venir. Mais je vous dis, je reste spectateur et c'est curieux mon rapport à la France.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté ce podcast consacré à Pierre Barraud. Au revoir et à la prochaine fois.

Chapters

  • Introduction à l'entretien avec Pierre Barouh

    00:00

  • L'impact de "Un homme et une femme" sur la musique de film

    01:49

  • Les débuts de Pierre Barouh et ses influences

    04:56

  • Le parcours de Pierre Barouh et ses racines

    11:34

  • La passion des rencontres et l'esprit de Sarava

    16:14

  • L'éthique et la philosophie de la maison Sarava

    22:38

  • Pierre Barou, réalisateur et son approche artisanale

    31:50

  • Réflexions sur la reconnaissance et l'élégance dans l'écriture

    35:46

Description

Chabadabada, chabadabada... Qui se cache derrière cette formule, quasi magique, qui accompagne Un homme et une femme ? Pierre Barouh, bien sûr ! 

Personnage atypique et multiple, on lui doit des classiques de la chanson, comme À bicyclette ou Des ronds dans l'eau. Nous sommes en 2006. 

Sa maison d'édition, Saravah, qui accueillit aussi bien Jacques Higelin et Brigitte Fontaine que l'Art ensemble of Chicago, Carole Laure ou David McNeill, fête alors ses 40 ans. 

À deux pas du Panthéon, Philippe Barbot se rend dans l'antre du Pdg bohème, qui fit découvrir à la France la bossa nova.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les grands entretiens du musée de la Sacem avec Philippe Barbeau. Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des grands entretiens. Chabadabada, cette formule magique, onomatopée célèbre, quelque part entre abracadabra et bibapelula, bande-son du film de Claude Lelouch Un homme et une femme, palme d'or du festival de Cannes la même année, cette formule donc est due, sur une mélodie de Francis Lay, à la plume d'un auteur pas comme les autres. Pierre Barou, promeneur insatiable et baroudeur utopique, daltonien et visionnaire, roi du barouf et empereur du slow-biz. Mais aussi comédien, chanteur, producteur, auteur dramatique, cinéaste, journaliste sportif, rugbyman, sans oublier, on le sait finalement peu, qu'il fut l'auteur de chansons depuis longtemps considérées comme des classiques, comme « À bicyclette » ou « Des ronds dans l'eau » . En 2006, Pierre Barouf fêtait les 40 ans de sa maison de disques, pas comme les autres non plus, « Sarava » , une sorte d'auberge espagnole qui accueillit des artistes aussi éclectiques que Jacques Higelin, Brigitte Fontaine, Carole Laure, Lewis Furet, Jean-Roger Cossimon, l'Art Ensemble of Chicago ou David McNeill. à aller rendre visite au PDG Bohème, dans son antre parisien, à deux pas du Panthéon, au milieu d'un jardinet couvert de bambous et d'un amas de bouquins, disques, vidéos et instruments de musique. Chabadabada, ou plutôt dabadabada dans la version originale, autant commencer l'entretien par la formule qui fit son succès. Un homme, une femme et une chanson. Si avec Lelouch on a pu aller au bout de cette liberté-là, parce que je n'ai pas vu le film depuis 40 ans, mais l'aspect historique qui me paraît intéressant dans ce film, c'est que je pense que c'est la première fois dans l'histoire du cinéma qu'on utilisait la chanson comme ça. Avant, il y avait des communis musicals, ou des gens qui se chantaient en situation. Fréhel dans Pépé le Moko, Jean Gabin dans La Belle Équipe, jamais ces deux modes d'expression populaire s'étaient tressés comme ça, sans qu'aucun des deux perde son identité. Ce n'était pas les parapluies de Cherbourg qui étaient comme une opérette, c'était autre chose. Donc personne ne voulait y croire, et c'est comme ça qu'est Nessarava, peut-être on aura l'occasion d'y revenir. Et ce qui me fascine, c'est qu'on a pu aller au bout de cette liberté-là parce qu'on n'avait pas d'argent pour faire le film. Et ça c'est intéressant, c'est la magie des paradoxes. J'avais présenté Francis Lé à Lelouch, qui à l'époque n'avait jamais imaginé mettre une chanson dans un film. Et Francis était mon pote, c'est toujours mon pote, mais c'est vrai qu'un petit accordéoniste niçois et une chanson brésilienne, personne n'a voulu éditer ça. Et moi je voulais l'éditer parce que comme on avait arrêté le film pour faute de moyens, je me suis dit Moi à l'époque j'avais fait mes premiers disques et ça marchait bien chez AZ et tout ça, donc j'ai trouvé les éditeurs et puis bon, tout le monde m'a recusé pour ces raisons objectives, je comprends. Francis Lay, c'est mignon parce que c'est l'époque où j'étais à la traîne avant de faire mes premiers disques et un jour j'avais été à l'Alhambra et il jouait dans l'orchestre de Michel Magne. Puis comme j'avais déjà des potes un peu et tout ça, j'étais passé en coulisses et j'ai trouvé ça un petit mec hyper timide. Et il y a une de mes chansons... qui lui était parvenue, qui est une chanson qui devient un peu mythique, qui s'appelle « Les filles du dimanche » , je ne sais pas si vous connaissez. Et il était tellement timide, Francis, il m'a parlé comme ça, il m'a pris par la manche, il m'a dit « ah voilà » et tout ça. Et puis on est devenus potes, on ne s'est pas quittés pendant On faisait des chansons, mais vraiment en artisan, on restait des mois sur une chanson. C'est à l'époque où je traînais toutes les nuits, enfin J'étais toujours en train de voyage, mais le rituel quand j'étais à Paris, c'est que je traînais toute la nuit rue Saint-Benoît, il y avait le jazz, et je rejoignais Francis vers minuit, une heure du matin, place du Tertre.

  • Speaker #1

    Le succès du film, et donc de la chanson, co-interprétée par Pierre Barou et Nicole Croisy, sur une mélodie de Francis Laird aux allures de samba, propulsa son auteur sous les feux des médias, mais aussi grâce ou à cause d'un malentendu. On fit de Pierre Barou une sorte de chantre français de la musique brésilienne, impression encore renforcée par une autre chanson incluse dans le film, adaptée d'un titre de Baden Powell et baptisée Samba Sarava. Mais si Barou fut bien amoureux des rythmes brésiliens, de la bossa nova et de ses grands interprètes, il s'est toujours défendu de n'en être qu'un adaptateur professionnel.

  • Speaker #0

    Il y a plusieurs malentendus concernant la musique brésilienne, la chanson brésilienne. Mais celui qui me concerne déjà, c'est que, si vous voulez, moi j'ai commencé à écrire, j'avais 14-15 ans, et je sais de qui je me suis nourri. C'est de Jean Renoir, de Jean Vigo, de... C'était dingue pour moi, parce que je vous dis, j'ai passé... Vous êtes au courant, les années de la guerre dans le bocage vendéen, je suis revenu, je ne parlais pas à toi, j'étais vraiment le cancre. Et ça, ça a tout fait basculer, et c'est là. Donc, je sais de qui je me suis nourri, et je sais de qui sont mes racines. Où sont mes racines ? Je vous dis, c'est Macorlan, c'est Prévert, c'est Renoir, tout ça. Mais je suis un promeneur et j'aime bien témoigner de mes promenades. Et comme il n'y a jamais de succès sans malentendu, la Samba Sarava, de la Nomme et une Femme, ce n'était pas prévu. Donc, succès, malentendu, on fait passer pour l'apôtre de la bossa nova en contradiction totale avec ce que je dis dans la chanson. D'ailleurs, le deuxième couplet où je dis j'en connais que la chanson incommode, d'autres pour qui ce n'est rien qu'une mode, d'autres qui en profitent sans l'aimer, moi je l'aime et j'ai parcouru le monde en cherchant ses racines vagabondes, et je rends un hommage. Ce qui veut dire, retrouvons nos racines là où on est. Je ne me suis pas contenté de le dire, j'ai joué ma vie là-dessus, en ouvrant la porte à Jean-Roger Cossimon, à David McNeill, à Higelin, Fontaine et tout ça. Et c'est le malentendu. On m'a offert, je vous assure, derrière le film, plein de fric pour adapter en français toutes les chansons brésiliennes, ce que je me suis refusé pour ne pas me rendre complice de ce malentendu. J'en ai fait que cinq ou six, les seules que j'étais sûr de ne pas trahir. Vraiment, des adaptations, j'en ai fait très peu. L'autre malentendu concernant la chanson brésilienne, et qui ne s'est pas dissipée, C'est qu'elle reste victime encore aujourd'hui de la beauté des mélodies et des harmonies. On n'a pas réussi à faire découvrir qu'elle est portée par des poètes populaires immenses. Caetano Veloso, Gilberto Gil, Chic, surtout Chico Buarque de Landa. Juste pour aller vite, il y a 40 ans, c'était la dictature au Brésil. Ceux qui ont été le plus réprimés, enfermés, exilés, plus que les intellectuels, les cinéastes et les écrivains, c'est les auteurs de chansons. Parce qu'on n'arrête pas une chanson. Donc ils se sont retrouvés, Chico Buarque en Italie, Caetano et tout ça dans les îles britanniques. Quand la dictature s'est raffermie, ils ont laissé rentrer. Mais quand ils faisaient un disque, ça passait par un réseau de censure. Trois colonels, deux généraux, je ne sais pas quoi. Et un jour, Chico Buarque a chanté une chanson qu'il n'a pu chanter qu'une fois avant qu'elle soit censurée. Quelques mois plus tard, il était devant 3000 personnes. Comme il ne pouvait pas chanter les paroles, il a chanté « la la la » , c'est les 3000 personnes en face qui ont chanté « la la la » . Et ça, on n'a pas réussi encore aujourd'hui à faire des... Le malentendu est total, encore aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Né Elie Barou, en 1934, d'une famille juive originaire de Turquie, à Levallois-Perret, Le futur Pierre doit suivre ses parents dans le bocage vendéen pour fuir l'occupation nazie. Plus tard, après la guerre, il découvre en autodidacte le cinéma de Renoir ou de Carnet, la poésie de Prévert et les chansons de Brassens, et se fait une curieuse promesse, être un promeneur jusqu'à l'âge de 30 ans. Une promesse qu'il a tenue, voyageant à travers le monde, en quête de rencontres et de musique. tout en n'oubliant pas ses racines familiales.

  • Speaker #0

    Ça c'est vrai, mais c'est venu du fait que... Des monts et merveilles, hein ? C'est là où tout a basculé. Et comme les années que j'ai passées dans le bocage, bon, je passais plus de temps à poser des pièges à perdus et des collègues, qu'aller à l'école, je suis revenu, je ne parlais pas de toi quand je suis revenu dans le bocage. Donc j'étais vraiment le cancre parfait, est dans un état d'incompatibilité réelle avec toute forme d'éducation dirigée. Et ça, ça fait basculer tout, c'est-à-dire que je suis complètement autodidacte. J'ai une culture complètement mitée, mais je me suis nourri. C'est là où j'ai commencé à écrire tout de suite, à lire. Je ne sais pas, Mac Orlan, Brévert, Brassens, C'est Très Né. Et j'ai pris cette décision dont je ne saurais jamais la source. J'allais me promener jusqu'à 30 ans, mais sans humilité. Je me disais à 30 ans, je m'arrête, ça marche. Donc j'élargissais le sernier de promenade et puis ça développait mes facultés de rencontre. C'est pour ça que quand je revenais à Paris, je me suis retrouvé journaliste sportif, assistant de metteur en scène avec Georges Lautner, qui m'a écrit un rôle tout de suite. Mes parents, c'est bête à dire parce qu'on n'en fait pas le choix, mais c'était vraiment des gens, c'était un milieu modeste, mais mon père, ils étaient quatre frères, ils faisaient les marchés tous les quatre. Mais ce qui m'a toujours, sans l'exprimer jamais, mais mon père m'a toujours imprégné de l'idée que la chose importante, c'est le regard de la personne qu'on a en face de soi, avant tout. Et comme au-delà de ça, je suis d'Altonien, donc les couleurs... Oui, il y a une chanson que j'ai enregistrée qui s'appelle « D'Altonien » . Il y avait cette ouverture, donc j'étais conscient des racines et tout ça. Il y avait la Pâque, les prières, je vive, les choses, mais c'était ouvert complètement. Quand j'essaye de penser à Dieu, je n'y arrive pas, même par jeu de l'esprit. Je crois en dix mille choses, si j'arrivais à en faire un tout, peut-être que ça ferait Dieu. Et puis au-delà de ça, je suis tellement persuadé que c'est au nom d'Aimez-vous les uns les autres qu'on s'est tués le plus depuis que le monde existe. Donc je crois en des choses, mais je n'arrive pas Donc j'ai

  • Speaker #1

    Si l'on pouvait défiler Pierre Barou en un mot, ce serait celui de rencontre. Rencontre au pluriel. Que ce fût avec ses idoles de la musique brésilienne ou les artistes de toute nationalité et de tout style, qu'il prit sous son aile. Lui-même l'a écrit et chanté, la vie, c'est l'art des rencontres. Oui, mais cette phrase, elle n'est pas de moi. Elle vient justement, c'était dans la Samba Sarava, la version originelle. C'est une phrase de Vinicius de Moraes, « Abida et arted in contre » . Et ça, j'en suis bien imprégné. J'ai réalisé à quel point ma fascination des rivières Merci. Je suis fasciné par les rivières. Il y avait eu une incidence énorme sur mon parcours, sans que je l'analyse. Parce que vous prenez une rivière, son scénario est implacable, de sa source à son échéance, que ce soit un fleuve ou un océan, mais elle rencontre un rocher, elle revient sur ses pas, elle serpente, elle se précipite. Et dans ces années de promenade, je vous assure que c'est vrai, il m'est arrivé des fois de faire du stop alternativement d'un côté et de l'autre de la route. vraiment, en disant le premier qui s'arrête m'amène vers le nord ou vers le sud. Et pour moi, la fascination, c'était de débarquer dans une ville étrangère dont je ne parlais pas la langue, où je ne connaissais personne, avec une seule certitude, c'est qu'on ne peut pas mourir de ça. Mais tant que je n'avais pas trouvé, dans un quartier populaire, le petit bistrot où je savais que tout allait se passer, le voyage ne commençait pas. C'est-à-dire, comment dire, de... de recréer, dans le cadre d'une errance totale, un univers sédentaire. Et ça, j'y peux rien, c'est peut-être parce que ces années, justement, dans le terroir vendéen, où on était au bord d'une rivière, je ne sais pas. Cette passion des rencontres, Pierre Barou la concrétisa dans le label et la maison d'édition qu'il fonda au milieu des années 60, Sarava. Une sorte de vivier de talents hétéroclites. Un laboratoire musical expérimental créé dans l'esprit de mai 68, situé rue des Abesses au pied de la butte Montmartre, et qui accueillit les premiers ébats d'artistes comme Jacques Higelin, Arisky et Fontaine, David Macneil, mais aussi le percussionniste brésilien Nana Vasconcelos ou le chanteur gabonais Pierre Akendengue. L'invention de la world music avant l'heure.

  • Speaker #0

    mais c'était vraiment ça. Toute la géographie était éloquente, parce que nos bureaux, c'était une boutique sur la rue, déjà, entre un tripier et un boulanger. Il y avait le studio dans la cour, qui donnait sur la rue aussi, enfin sur la cour, et il y avait le Saint-Jean, le bistrot en face, qui était vraiment la succursale. Mais je crois que, si vous voulez, à la réécoute, ce qui est devenu flagrant quand même, parce que... Bon, aujourd'hui, on parle de world music, par exemple. Le mot n'existait pas à l'époque. Mais là, tout ce qui s'est passé, déjà, un poète contemporain, Brigitte Fontaine, avec un groupe de free jazz à la pointe de la musique progressiste, Aken Nengé, c'est incroyable. On a du mal aujourd'hui à réaliser, vu tout ce qui s'est passé depuis, concernant l'Afrique, qu'à l'époque, les Noirs, on disait qu'ils tapent sur leur tam-tam et qu'ils les laissent tranquilles. Non, non, mais c'est vrai. Et non seulement ça, avoir provoqué la rencontre avec Nana Vasconcelos, le premier lien Afrique-Brésil, tout ça, si vous voulez, et non seulement le mot world music n'existe pas, mais le mot rap non plus, Alfred Panou, c'est incroyable, si vous voulez, il y avait tout ce brassage, bon mais l'esprit il est toujours là, je veux dire, il ne faut pas non plus... J'aime bien la nostalgie tant qu'elle n'est pas teintée de passéisme. Et là, on continue aujourd'hui à faire des choses.

  • Speaker #1

    Sarava, le label anticonformiste, outre son catalogue pour le moins éclectique, s'était aussi doté d'un slogan plutôt inhabituel pour une entreprise en pleine activité. « Il y a des années où l'on a envie de ne rien faire » . Éloge de la paresse ou manifeste du plaisir ?

  • Speaker #0

    Je cherchais, moi, à souligner le côté ludique de l'aventure. Et j'ai hésité entre deux phrases à l'époque, celle-là qui n'est pas de moi, c'est un bouquin que j'aimerais vraiment retrouver, c'était « La vie secrète de Salvador Dali » par lui-même, c'est un bouquin irrésistible que j'ai lu adolescent, où il commençait par ses mémoires intra-utérines et tout ça. Et à un moment, il citait un homme de Cadaquès, un pêcheur, qui au lieu d'être sur son bateau, était toujours à la terrasse, en train de boire des coups. Quand on lui demandait « mais qu'est-ce que tu fous ? » , il répondait « il y a des années, on a envie de ne rien faire » . Alors il y avait ça, puis une autre phrase, j'hésitais, de George Orwell qui dit « tous les hommes sont égaux, mais certains hommes sont plus égaux que d'autres » . Et j'ai choisi celle-là parce que pour moi, j'étais adolescent quand j'ai lu ça, et je suis tombé en arrêt comme un chien devant la charge subversive au sens noble. Et ce qui est intéressant avec le filtre du temps, justement, Pour moi, ce n'est pas une phrase à la gloire de la paresse. C'est une réflexion sur les inhibitions dans une société qui est faite par l'homme, mais pas pour l'homme. Et si vous voulez, ça rejoint un truc qui est vraiment inscrit dans la philosophie, je pense, de Sarrava. C'est que je me suis toujours nourri et que j'ai toujours cherché à imprégner les gens qui m'entourent du fait que la priorité des priorités, c'est le plaisir qu'on prend à faire les choses. Parce que c'est ce que personne ne nous dérobe jamais. Moi je vais faire une pièce de théâtre, un film, une chanson, il y a des gens qui vont me dire c'est génial, d'autres c'est de la merde, c'est une autre histoire. Mais le plaisir que j'aurais pris à le faire... personne ne va me le dérober. Donc c'est ça que ça veut dire pour moi. C'est-à-dire qu'il y a 6 milliards d'individus sur Terre, je pense que chacun porte un noyau de passion, et que le jeu de miroir des médias et la spirale de la consommation transforment en béléité. Alors que vous, Philippe, vous avez envie de dessiner sur des foulards ou je ne sais pas quoi, qu'est-ce qui va vous priver du plaisir que vous prendrez à le faire ? Et c'est ça pour moi. Et puis pour les 30 ans, j'ai rajouté « Les rois du slow-biz » . Et c'est pareil dans la double lecture, ça fait marrer, je suis content, mais dans la double lecture, il y a une autre histoire. Et c'est vraiment, je pense, c'est vraiment qu'il y a eu une cohérence entre ce que représente pour moi cette pensée-là et l'action qu'on a eue. Parce que c'est un peu bête, ça peut vous paraître puéril, mais moi je n'ai jamais pris un franc de la société. Je n'ai pas cessé d'investir, d'une part parce que, si vous voulez, techniquement, on a toujours, je dis bien ponctuellement, produit à perte, je dis bien ponctuellement, parce qu'aujourd'hui l'éco-simon et tout ça, Higelin-Fontaine, ils sont amortis. Mais c'est Saraba Edition qui a toujours alimenté Saraba Discs. Et Saraba Edition, ça reste encore aujourd'hui pour la moitié les droits de mes chansons qui alimentent le truc. Donc, je n'ai aucun scrupule à dire qu'il y a vraiment une éthique dans cette histoire.

  • Speaker #1

    Curieusement, mais sans doute à cause de son côté atypique, un bras anarchiste, se riant des conventions du show business classique, l'entreprise Sarava ne remporte pas un grand intérêt de la part des médias. Et puis, qui est donc cet olibrius qui, au lieu de faire lui-même carrière, se mêle de tenter de faire connaître le talent des autres ? Un élément dangereusement subversif ?

  • Speaker #0

    Imaginez, on sort d'un truc comme un homme et une femme, alors que moi déjà mes premiers dix ça marchait bien à Azel et tout ça, j'avais trois heures d'émission dimanche sur Europe et tout ça, mais on sort d'un truc comme ça, on peut être partie d'une famille, on est invité dans les cocktails, dans les premières, les trucs comme ça, et moi qu'est-ce que je fais ? J'ouvre la porte à des gens qui symbolisaient la subversion totale. Si vous voulez, il n'y a pas d'intention. Ce qui est curieux, c'est... Entendons-nous bien, je ne fais pas de paranoïa, il n'y a pas d'intention malveillante vis-à-vis de moi, mais ça a tellement déstabilisé les gens des médias que tout d'un coup, dans leur esprit, c'était un maudit qui tournait le dos au succès. Alors que, je veux dire, entre les interprétations qu'on peut faire et la démarche, il y a un abîme. Pour moi, ce n'est pas simple, c'est simpliste. Si vous voulez... Je sais à quel point ça peut être atypique pour un créateur que je suis et demeure, mais depuis mon adolescence, j'ai toujours été disponible à la reconnaissance du talent des autres. J'y peux rien, c'est dans ma nature. Donc ça se prolonge par un prosélytisme qui est très chiant pour tous ceux qui m'entourent, que j'aime un pote, un pigeon, n'importe quoi, j'emmerde tout le monde. Et si vous voulez, quand je dis que c'est simpliste, c'est qu'il y a des choses qui m'émeuvent et j'ai envie de les partager avec d'autres. C'est aussi simple que ça. Et quand, juste à la sortie d'Un homme et une femme, je retrouvais Ygelin, que j'avais contenu à la traîne à 14 ans, et avec Brigitte et Rufus, ils faisaient un truc qui était au-delà de l'Underground, à la vieillerie, là à côté, une pièce qu'ils avaient écrite ensemble, qui s'appelait Maman j'ai peur, où il y avait une chanson d'anthologie, qui est cet enfant que je t'avais fait. Donc moi j'ai craqué là-dessus, et comme ils étaient plus ou moins tricarges, moi j'irritais, l'on a dit ok. Ça ne devait pas aller plus loin, en fait. Mais j'ai mis le pied sur un fil, je suis devenu funambule, et ça fait finalement 40 ans que je n'ai pas pu en redescendre. Ça illustre ce que je dis quand je dis que je me noue autant de mes colères que de mes enthousiasmes, parce que quand ces premiers 10 sont arrivés, moi j'étais content. Et puis à l'époque, je vous dis, on me déroulait un peu le tapis rouge et tout ça. Donc tous les gens, les programmateurs de radio, toute cette fausse aristocratie là qui font écran entre le commentaire. Donc c'est des gens qui me parlaient, qui me tapaient sur l'épaule. Moi j'étais naïvement complètement fier, j'ai amené ça. Et si vous voulez, la réaction, ça a été, ah oui c'est bien, mais c'est trop bien pour eux. Et eux, c'est vous, c'est moi. Et là je me suis dit, mais merde, c'est quoi ces gens-là qui écoutent chez eux des trucs qui ne passent pas à l'antenne ? et qui passent à l'antenne ce qu'ils n'écoutent pas chez eux. Donc moi, dans un réflexe complètement espiègle, j'ai envoyé une lettre à ces gens-là, en leur disant « Ok, moi j'ai fait ça, ça me ferait plaisir que ça passe, mais je vous en distribue plus 300 à l'œil pour que ça termine chez les soldeurs au plus en fin de mois, donc je vous les vends, je vous fais le prix de gros. » Mais c'était de l'espièglerie pure, parce que je me disais « Bon, je ne peux pas laisser passer ça. » Et puis, c'est comme au poker, on perd, on paye. Et puis, si j'ai raison, le temps est un filtre parfait. Et alors là, ça a été le fou rire. Mais finalement, ça ne change rien puisqu'il ne le passait pas. Et si vous voulez, je me suis nourri à la fois de l'enthousiasme provoqué par les rencontres et de ses colères. Et c'est comme ça que ça fait 40 ans que ça dure. Pour moi, depuis toujours, la vraie subversion, ne peut s'épanouir que dans le positif. Donc dénoncer ne m'a jamais intéressé. Si on a quelque chose à dénoncer, c'est qu'on a quelque chose à proposer. Et le côté, le point en l'air et tout ça, pour moi c'est gratuit, puis il y a un tel exhibitionnisme là-dedans, et puis en même temps c'est très médiatique et tout ça. Et pour moi la vraie subversion est là. C'est pas de... Bon, le côté Renault et tout ça, vous voyez, c'est... C'est trop facile, les ingrédients je les connais, je peux les foutre dans le shaker quand je veux. Un jour, c'était à l'époque du Saravadé Zabès, j'avais été invité au Palais des Congrès, une nana m'appelle, elle me dit « oui on fait un grand truc pour Allende et tout ça, est-ce que tu peux venir chanter à l'œil ? » Je dis « pas de problème » . Et elle me dit « est-ce que tu pourras chanter une chanson de circonstance ? » Et là vraiment ça m'a foutu en roi, parce que je viens de chanter une chanson sur les rues. de Paris ou je ne sais pas quoi. Alors je me suis enfermé dans un bistrot et j'ai écrit en deux minutes un texte bien dégueulasse, bien démago où c'était, je m'en souviens encore, c'était Frère Chilien, Frère Chilien, je n'aurais pas chanté pour rien si demain les armes à la main vous reprenaient votre chemin. Et je voulais m'arrêter là et dire aux gens, voilà, j'ai triché. J'ai triché. Bon, je n'ai pas pu le faire, parce que c'est un jour où le PC, la ligue et tout ça, ils se partageaient tous la dépouille d'aliénés, personne n'a pu chanter. Mais enfin bon, et c'est tout ça, c'est des pièges dans lesquels je ne veux pas.

  • Speaker #1

    On l'a dit, Pierre Barou, le poète promeneur, a toujours eu la passion des voyages. Une passion qui l'a mené jusqu'au... qu'au Japon, où il découvrit avec surprise que son œuvre et son label étaient non seulement connus là-bas, mais appréciés. Un pays qu'il adopta à son tour jusqu'à y prendre femme et y élire domicile. Et même à l'invitation de producteurs locaux à y enregistrer des disques, et pas avec n'importe qui. En 82, il y a un Japonais qui s'est pointé à Paris, M. Naoki Tachikawa. pour me proposer ce qu'ils avaient jamais proposé en français, c'est d'aller faire un disque au Japon avec des musiciens japonais. Alors justement, j'allais y venir, moi j'étais vraiment surpris parce que bon, vous connaissez un peu ma démarche, moi j'ai pas de présence médiatique et tout ça, je vends très peu d'albums quand on peut les trouver déjà, et puis je comprenais pas, je dis vous allez dépenser plein de fric, et justement pourquoi moi ? Et donc comme j'adore me rendre disponible, ça c'est un truc obsessionnel, j'ai dit ok. Et je suis parti avec des clichés en tête, on a beau faire tous les efforts du monde pour avier vierge sur une rencontre individuelle, et je me dis qu'est-ce qui m'attend là-bas, des mecs au garde-à-vous derrière des pupilles, une partie de son écrite. En plus, il m'avait cité les musiciens avec dans la voix un tel respect que j'imaginais que c'était des gens importants, mais à l'époque je n'en avais jamais entendu parler. Luigi Sacamoto, ils sont devenus des stars mondiales et tout ça, mais en 82 je ne savais pas. Et donc j'arrive, je dis avec des clichés, en me disant, bon, j'arrive, je suis accueilli par ces gens-là, et je réalise très très vite qu'eux vendaient des millions d'albums, et moi j'étais totalement haine par rapport à eux, je dis, mais enfin, qu'est-ce que vous faites là ? Et eux, en 82, me disent, mais ça fait 15 ans qu'on se nourrit de ton travail. Le premier album de Sakamoto, je crois qu'il avait appelé ça Rava pour me rendre hommage, et j'en savais rien. Et alors que moi j'attendais l'ordre, eux attendaient de moi le désordre qu'ils avaient senti dans ma démarche. Et ça a été une parenthèse de rêve. Parce que moi si vous voulez, en 82, de 65 à 82, je n'avais fait que deux albums. Que j'avais fait honteusement comme ça, quand j'avais un tromplin de chansons. Parce que j'étais tellement éperdu d'admiration pour les gens à qui j'ouvrais la porte. des trucs que j'avais fait en 3-4 jours. Et là, ils m'offrent le plus beau studio que j'avais jamais eu, un mois de studio, et puis tout dans l'impro. Je vous dis, ils attendaient deux mois ce désordre. Et tout a démarré comme ça, et depuis, je vis là-bas des aventures de création d'un romantisme que je n'ai pas le talent de l'écrire. Et au-delà de ça, c'est vrai que Saraba a survécu en grande partie par le Japon. C'est-à-dire qu'on vend dix fois plus de disques là-bas qu'en France. Chanteur, producteur, acteur, Pierre Barou fut aussi réalisateur. A son actif plusieurs longs métrages dont « Ça va, ça vient » en 1972 ou « Le divorcement » en 79 avec Michel Piccoli, mais aussi plusieurs documentaires dont l'un réalisé au Chili avec son ami Oscar Castro. Toujours dans le même esprit, artisanale et rebelle aux contraintes, qu'elle soit artistique ou administrative et surtout française.

  • Speaker #0

    Bon, j'ai fait quelques longs métrages, et puis il y a 20 ans, j'ai vu arriver la vidéo avec amusement et circonspection. Au départ, je ne prenais pas ça au sérieux, j'en ai une pour les chiens, pour les gosses, mais ok. Et puis il y a eu un événement qui a été très révélateur pour moi, c'est que... Vous savez, j'ai vécu une aventure d'un romantisme fou avec des pochiliens, le cabaret de la dernière chance, tout ça. Et j'avais fait le vœu d'amitié d'aller au Chili avec mon pote Oscar Castro dès qu'il aurait le droit parce que lui, sa mère a été assassinée par Pinochet et tout ça. Je ne sais pas si vous avez la souvenance de ça, en 88, Pinochet a fait un référendum où il souhaitait apparaître comme un président libéral. Il se devait d'accomplir des gestes conformes et d'amnistier les derniers tricards. Quand j'ai appris ça à la radio, on a décidé de partir en 3-4 jours, le temps de faire les visas. Au dernier moment, j'ai dit « mais c'est trop con de ne pas ramener un document, il va retrouver son père, ses potes et tout ça » . Je sais si j'ai le goût de l'utopie, mais c'est surtout pas à vous que je veux le dire qu'on vaincre une chaîne en trois jours pour un Chilien. Mais j'ai appelé à l'époque Louis Berlioz, vous le connaissez, qui était le big boss d'Antenne 2, parce qu'il était venu via mes potes du rugby voir le cabaret de la dernière chance, il était venu deux fois. Je ne pensais pas qu'il me donnerait de l'antenne, mais je cherchais à accumuler des gestes qui pouvaient sécuriser Oscar, qui paniquait à l'idée de repartir là-bas après 15 ans d'absence. Bon, Louis m'a répondu tout de suite, ce qui est exceptionnel en France. Il m'a reçu dans l'heure, il m'a donné tout résistance. Et je suis parti à l'époque avec une V200. Le DV n'existait pas, le Hi-8 non plus. Et j'ai ramené un 52 minutes qui a bouleversé tous les gens qui l'ont vu et que je n'aurais jamais pu tourner autrement parce que débarquer au Chili en plein climat des meutes avec une Beta, une 16, une équipe, je ne passais pas la douane. Et c'est là où ça a démarré. Puis là-dessus, à Tokyo, à Tsuko, ma femme a... a montré un jour à un ami japonais mon premier long métrage. Il a craqué complètement et lui avait un truc sur une chaîne câblée, un programme. Et puis il m'a provoqué, j'ai fait neuf films qui ont été diffusés là-bas et c'est là où je me suis passionné pour le montage. Et ce qui me fascine c'est que ça illustre un des innombrables... On n'y compte plus les paradoxes contemporains, mais le fait que dans certains domaines, en l'occurrence là, l'avancée technologique me ramène vers un nouvel artisanat, parce que c'est de l'artisanat total ce que je fais là, je suis tout seul, je n'ai pas d'ingénieur du son, rien, et là maintenant j'ai des trucs qui circulent un peu partout, grâce aux japonais toujours, parce que c'est eux qui... Si vous voulez, moi tout ce que j'ai fait dans ma vie, que ce soit un film, une chanson, une pièce de théâtre, je ne sais pas quoi, Au départ, c'est pour montrer à trois potes, sincèrement. Après, c'est diffusé, c'est du bonus. Mais je n'ai pas envie de dépenser la moindre énergie négative. Vous voyez ce que je veux dire ? En fait, je m'amuse trop si j'ai trop de choses... Non, mais c'est vrai. J'adore ce pays, c'est un pays d'abord magnifique, c'est vrai d'une richesse naturelle, je crois que les Français ont tendance à oublier ça. Pour moi, un des éléments séduction de la France aussi, c'est que c'est un pays où on vit des amitiés qui s'étalent sur une vie, et ça c'est important. Mais une des grandes séductions pour moi, et ça c'est depuis que je suis adolescent, C'est que je me suis toujours autant nourri de mes enthousiasmes que de mes colères, si vous voulez, j'ai besoin des deux. Alors enthousiasme, j'ai pris ma pâture par les rencontres qu'on peut faire, et colère dans ce pays où la tricherie est institutionnalisée, et où dans la perspective, je dis bien d'une certaine réussite, il vaut mieux avoir la panoplie que le talent. Toujours avec son ami chilien Oscar Castro, Pierre Barou, écrivain et mis en scène en 1986, une comédie musicale intitulée « Au cabaret de la dernière chance » et qui fait aussi l'objet d'un disque. Parmi les 21 chansons qui illustraient le spectacle, l'une en particulier vint aux oreilles d'un comédien et interprète prestigieux, Yves Montand. Et ça encore une fois, c'est l'histoire de chansons la plus bouleversante qui me soit arrivée. C'est que quand le film est passé, le document en question, Il y avait à la fin la chanson Cabaret de la dernière chance, qui est vraiment magique. Francis Roux, le patron de la Colombe d'Or à Saint-Paul-de-Vence, le pote à Yves Montand, voit le document, écoute la chanson, en parle à Montand, qui m'appelle. Je lui envoie une cassette. Il devient fou de la chanson. Et il préparait Bercy, Montand, qui allait être son chant du cygne. Il y a 500 000 personnes qui allaient venir. Le temps passe, il appelait tous les jours... Moi, avec mon temps, je le connaissais depuis 30 ans, mais j'avais des rapports courtois, sympas, mais je ne faisais pas partie du clan. Mais là, il m'est arrivé d'appeler à Tokyo, de tomber sur ma femme, de lui chanter le cabaret au téléphone. Et le temps passe, et en novembre 1991, j'étais ici. Et je bossais sur une chanson, parce que je rame pour écrire, des fois je reste deux, trois mois, sur une chanson qui s'inscrivait dans la dernière des pièces qu'on a écrites ensemble. Message sur mon répondeur, c'est mon temps qui me dit, Pierre, je termine mon film avec Bennex, je te donne rendez-vous chez moi, place Dauphine, le mercredi 13 novembre, 11h du matin. J'ai aucune mémoire des dates, mais là, on travaille, j'ai libéré la journée, tout ça. Je note, je replonge dans ma chanson. et une nuit à 4h du matin, ici, je la termine. Et je pense à mon temps avec une émotion particulière par cette chanson, vous la découvrirez, ce n'est pas une chanson triste, mais c'est une sorte de testament animiste. Et c'est une chanson, ça s'inscrivait dans notre fiction théâtrale, qui est faite pour être offerte à tous ces gens qui ont été coquifiés par l'histoire. Tous les gens qui ont cru en ce fois l'espoir du Front Populaire et tout ça. Et comme je voyais mon temps quelques jours plus tard, Je voulais l'offrir à travers lui à son père, qui, chassé par le fascisme, a traversé les Alpes à pied et tout ça. C'est la nuit où Yves Montand est mort que j'ai terminé ce testament. Le lendemain, j'allais chez ma maman à Bougival, j'écoute la radio, il était enterré le mercredi 13 novembre 11h du matin. Je vous jure que c'est vrai. Je me dis, merde, je ne voulais pas lui poser un lapin, mais je ne voulais pas aller au père Lachaise, Jacques Lang, l'Athénée, les Badauds. Donc j'ai été à Place Dauphine, où j'avais rendez-vous. Je suis installé à Blistrois, à côté de chez lui. J'avais acheté une petite rose. J'ai manuscrit ce testament qu'il n'écoutera jamais et que je voulais offrir à travers lui à son père. Je vous dis, qu'il la chante ou pas, le propos n'était pas là. Et j'ai laissé au bon soin de Bob Castella. Trois ans plus tard, j'ai appris que mon temps avait eu le temps d'enregistrer le caparais de la dernière chance. C'est la seule chanson qu'il a enregistrée depuis 15 ans, ou 20 ans. C'était une histoire folle, vraiment. mercredi 13 novembre 11h du matin je ne suis pas prêt d'oublier. Auteur d'une centaine de chansons, parmi les plus célèbres on a déjà cité « À bicyclette » et « Les ronds dans l'eau » , le talent de Pierre Barou n'a pourtant été que peu reconnu, pas uniquement commercialement, mais surtout dans l'esprit collectif. Pourtant, comme il l'explique dans ce qui suit, il apportait un soin méticuleux à l'écriture, remettant sans cesse l'ouvrage sur le métier dans une quête absolue d'élégance. En souffrait-il ? Lui, qu'on a à tort considéré comme une sorte de marginal un peu fantaisiste, Pierre Barou s'est éteint le 28 décembre 2016. Il laisse derrière lui une œuvre aussi généreuse qu'originale. Au fait, en hébreu, Barou, ça veut dire béni. Il y a un truc que j'ai découvert dès que j'ai commencé à écrire, et là Brassens a joué un rôle d'ailleurs, c'est que... Bon, j'ai découvert après qu'il y avait Loulipo qui s'était très éloquent. Non, c'est que la contrainte sollicite l'imagination, si vous voulez. Moi, je sais que mon imagination naturelle est très pauvre comparée au terrain imaginatif sur lequel m'entraînent les contraintes que je m'impose pour écrire. Et donc, je rame. Mais ce qui m'intéresse, c'est que plus je passe de temps sur une chanson, plus à la sortie, les gens ont l'impression que je l'ai écrite en trois minutes. Et pour moi, la vraie élégance... Elle est là, c'est qu'on ne sente pas l'effort. C'est vrai dans tous les domaines. Vous avez un goal de football qui va faire des plongeons très spectaculaires, qui va prendre trois buts par match, et qui va être remarqué avant celui qui est toujours dans la trajectoire de la balle. Parce qu'on fait de temps en temps venir pour des ateliers d'écriture, et il y a un exemple que je cite toujours concernant Brassens, c'est qu'il a presque tout écrit en octosyllabes. Et il y a certaines chansons où ce fou malade obsessionnel fait arriver la rime et des rimes très riches au bout du quatrième pied. Mais c'est fait avec une telle élégance que tout est au service du portrait qu'il trace et de la fraise qu'il dessine. Vous prenez le vieux Léon. J'ai des amis qui connaissent parfaitement Brassens, ils n'ont jamais remarqué. C'est incroyable. Il y a tout à l'heure, quinze ans malheur, mon vieux Léon, que tu es parti au paradis de l'accordéon. « Parti bon train, voir si le basse-train, Guéla Java, avait gardé droit de cité chez Jéhovah. » Il va jusqu'au bout. C'est insensé. Il a dû rester six mois, un an sur cette chanson. Mais la vraie élégance, elle est là. C'est qu'on ne sent pas l'effort. Mais en ce qui me concerne, ce qui se passe, alors sur mon cas personnel, c'est que, sous l'éparpillement, la perplexité qu'a pu provoquer toute cette attitude, C'est qu'on a ratifié les succès, à moi en tant qu'auteur, mais mon statut d'auteur n'a jamais été reconnu. Jamais, jamais. Et là, ça peut vous paraître vaniteux, je sais ce que j'ai écrit. On dit oui, des ronds dans l'eau, la bicyclette, un homme et une femme, je ne sais pas quoi. Non, c'est bien, j'en suis ravi, mais je sais ce que j'ai écrit. Moi, j'ai au moins 50 chansons, si elles avaient été chantées par mon temps. Et si vous voulez, ça reste... et puis qu'on reste occulté complètement des médias encore aujourd'hui. Et si vous voulez, en ce moment, moi je reste spectateur de tout ça, puis en plus c'est un peu indécent le privilège qui est le mien de pouvoir dire que j'ai vécu que de mes passions toute une vie, c'est un privilège exceptionnel. Mais si vous voulez, je reste spectateur, et alors en ce moment, c'est en train de glisser, je suis en train de glisser de ce ghetto de l'utopie. Je ne veux pas dire marginalité parce que ça me perturbe. Pour moi, les marginaux sont inventés par les grands médias. On a ces marginaux comme on a son bon arabe ou son bon juif, et qui cessent de l'être dès que ça marche. Donc, je n'y crois pas, la marginalité. Très souvent, je peux être au bistrot, je vais tomber sur les mecs qui viennent me voir en me disant « Tu sais, moi aussi, je suis un marginal. » Non. Si vous voulez, moi, tous les gens à qui j'ouvre la porte, tout ce que je fais, je souhaite que ça parvienne au plus grand nombre. Que je n'ai pas envie de me compromettre pour ça, c'est une autre histoire. Donc je ne crois pas en la marginalité, et Utopie joue bien. Donc en ce moment, ça fait plusieurs années là, je suis en train de glisser, pour tout dire, ça prend un parfum un peu nécrologique, je suis en train de glisser de ce ghetto-là au mythe. Il y a plein de gens qui commencent à mythifier moi et mon parcours. alors que je continue à aller faire mon flipper le matin au bistrot, où j'ai mes potes et tout ça. Donc, si vous voulez, là en ce moment, sincèrement, une fois par semaine, ou par mois, ou tous les 15 jours, il y a des gens qui m'appellent pour faire des films sur ma vie, des bouquins sur ma vie, et il y a un vrai décalage. Mais si vous voulez, les conclusions les plus positives que je puisse tirer de tout ce parcours qui peut apparaître chaotique, C'est que je sais aujourd'hui que je suis vraiment impermable à toute forme d'amertume. Sinon, je ne pourrais pas continuer à écrire ce que j'écris et à vivre ce que je vis au quotidien. Donc ça, c'est... Mais je laisse venir. Mais je vous dis, je reste spectateur et c'est curieux mon rapport à la France.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté ce podcast consacré à Pierre Barraud. Au revoir et à la prochaine fois.

Chapters

  • Introduction à l'entretien avec Pierre Barouh

    00:00

  • L'impact de "Un homme et une femme" sur la musique de film

    01:49

  • Les débuts de Pierre Barouh et ses influences

    04:56

  • Le parcours de Pierre Barouh et ses racines

    11:34

  • La passion des rencontres et l'esprit de Sarava

    16:14

  • L'éthique et la philosophie de la maison Sarava

    22:38

  • Pierre Barou, réalisateur et son approche artisanale

    31:50

  • Réflexions sur la reconnaissance et l'élégance dans l'écriture

    35:46

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