- Speaker #0
Le Musée Sacem présente Ma Première Fois, un podcast animé par Stéphane Lerouge. Dans Ma Première Fois, un compositeur connu et reconnu nous raconte sa première expérience de musique à l'image, avec son lot de réussites, de déceptions, d'aléatoires, de doutes et d'enthousiasme. Pour ce quatrième épisode, nous accueillons un monstre sacré, une légende vivante de la musique, peut-être le compositeur français le plus célèbre à l'échelle planétaire. C'est un pulvérisateur de frontières, trois fois oscarisé, auteur d'une œuvre foisonnante en équilibre entre jazz, variété, comédie musicale, musique de film, de concert, de scène, de ballet. C'est un parcours unique où Agnès Varda tend la main à Steve McQueen, Joseph Lozay à Xavier Beauvois. Ses partitions emblématiques s'intitulent Merci. Cléo de 5 à 7, Les parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort, La Piscine, L'affaire Thomas Crown, Le Messager, Peau d'Anne, Les mariés de l'an 2, Un été 42, Les uns et les autres, Yentl, Jamais plus jamais, La bûche et, en 2018, le film testament d'Orson Welles, The Other Side of the Wind. Bonjour Michel Legrand. Bonjour Stéphane. Alors en 1954, vous avez 22 ans et vous commencez à écrire pour le cinéma, notamment pour Les Amants du Tage d'Henri Verneuil, Raphle sur la ville. Oui, Les Amants du Tage, c'était la première fois que j'ai travaillé au cinéma. Et alors, je me prenais un peu les pieds dans Les Minutages, c'est-à-dire que je ne comprenais pas très bien pourquoi, etc. J'avais changé le titre du film, je l'avais appelé Les Amants du Minutage. De Verneuil. Il y a Raph sur la ville qui est l'un des films de chevet de Bertrand Tavernier. Il y a Le Triporteur, un film que vous devez à la miette d'haricots. Et pourtant, malgré toutes ces expériences, vous considérez que votre premier grand film, votre premier vrai départ au cinéma, c'est le documentaire de Reichenbach. L'Amérique insolite. Pourquoi vous considérez ce film comme votre premier film ? Parce qu'après quelques exemples, où j'ai probablement braillé, c'est très brillant, j'imagine. J'étais plus âble, j'étais plus prêt. J'avais compris un peu ce que c'était que la musique au cinéma. Et suffisamment pour garder ma simplicité et surtout mes envies, mes désirs, ce que je voulais apporter au cinéma, c'était quelque chose de nouveau, d'original. Traiter chaque histoire de choses différentes, des choses originales, des idées qui correspondent bien au film, naturellement. Mais qui n'était pas ce qu'on l'attendait. Alors quand François Rimet donne son film, et puis je vais le voir, je dis il n'y a pas de montage, c'est pas monté. Il me dit non, j'arrive pas à le monter. Alors il le donne à plein de monteurs, des gens de grande qualité, tout ça. Et c'était lamentable.
- Speaker #1
Et c'est-à-dire qu'en fait, il faut rappeler aux auditeurs que Reichenbach avait passé plusieurs mois aux Etats-Unis. Oui, très longtemps. Il avait regardé les Etats-Unis comme si Presque une planète étrangère. Tout à fait. C'était Mars ou Saturne, en chopant des États-Unis les choses les plus étranges, les plus insolites, justement.
- Speaker #0
C'est ça. Et après, il fallait inventer un fil pour tenir tout ça. Il a essayé plusieurs monteurs, dont j'ai vu les montages, qui ont été désastreux. Et rossifs, colpés. Oui, bien sûr, et tout ça. Et un jour, il demande à un homme que je connaissais, qui était vraiment...
- Speaker #1
Un grand, grand cinéaste, un grand homme, c'était Chris Parker. Et Chris Parker a fait un montage tellement sublime que j'ai travaillé avec Chris sur la musique. C'était un documentaire, tant qu'il n'y a pratique pour pas de dialogue, tant qu'il y a de la musique d'un bout à l'autre, avec des scènes différentes. Je me suis tellement amusé à faire ça que j'ai considéré que c'était mon premier film. Est-ce que vous pensez vraiment que c'est avec et sur ce film que vous avez compris que le montage et la musique et le mixage étaient une forme complète de réécriture ou d'écriture du film ? Vous avez raison. C'est une entité, c'est une... Moi je pense même que c'est un second dialogue. La musique ? Oui. Moi, j'écris une musique qui parle beaucoup. C'est vrai, ma musique, elle raconte des choses. Il y a des musiciens qui écrivent des musiques plus neutres, plus calmes, plus cool, plus Moi, pas. Quelles étaient les difficultés précises en termes d'écriture sur l'Amérique insolite, par exemple ? Qu'est-ce qui a, chez vous, déclenché l'idée que sur les rassemblements de jumeaux... de jumeaux humains et de jumeaux chiens, vous ayez l'idée, par exemple, d'un tango ?
- Speaker #0
Parce que c'est venu comme ça. Et ça ne pourrait pas être autrement. Car toute cette scène des jumeaux, jumelles, c'est un tango. C'était tourné comme un tango. Et à première visite, quand j'ai vu cette scène, c'était évident qu'on ne pouvait rien faire d'autre qu'un tango.
- Speaker #1
Vous vous souvenez du début de ce thème ? Oui. Vous pouvez nous le jouer ? Oui, oui. Un jour, Michel, vous m'avez dit que sur l'Amérique insolite, notamment, vous avez compris quelque chose dont vous avez fait quasiment un crédo, presque. Pour vous, au cinéma, c'était que la meilleure façon de respecter un metteur en scène, c'était de le trahir. C'est-à-dire de suivre d'abord son instinct, ses intuitions, quand on est seul face à ses portées blanches.
- Speaker #0
Oui, parce que vous savez, la merveille la plus précise dans la création, Il faut bien se le dire une fois pour toutes, c'est quand on ne sait pas très bien ce qu'on fait, c'est là où c'est le plus beau. Quand on sait trop ce qu'on fait, c'est pas bien.
- Speaker #1
Est-ce que sur ce film, L'Amérique Insolite, moi ce qui me frappe quand on écoute aujourd'hui cette partition, c'est une partition qui esthétiquement est très éclatée. C'est-à-dire, il y a du jazz, bebop. Il y a de la musique moderne, il y a un peu de néo-baroque, il y a une grande pièce pour chœur. On a presque l'impression que vous vous dites qu'à travers le cinéma, vous allez pouvoir faire la synthèse de toutes vos cultures. C'est seulement le film qui réclame ça. Mais je ne me réjouissais pas. Moi, je suivais le film, c'est tout. Je ne cherchais pas à me rendre compte comment j'allais juger ce que j'ai fait. Je ne juge jamais ce que je fais. Parce que quand je fais des choses, je les fais avec une adréaline spéciale. C'est-à-dire que je m'intègre tellement au cinéma, qu'à tous les films dont je fais de la musique et que je les prends chez moi, je les regarde des fois cinq fois, six fois, je vise avec, je dors avec, et je me dis à chaque fois, cette fois je ne vais pas trouver. Et il se trouve que je trouve. Il y a deux races de gens, les gens qui cherchent et des gens qui trouvent. Ce qui me rassure beaucoup, c'est que je fais partie de la deuxième catégorie. Alors c'est bien. Mais au générique de fin, je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais il y a une longue chaîne, un long maillage qui réunit tous les thèmes du film, soudés les uns aux autres par votre technique de contrepoint. Non, c'est bien, oui. C'est comme quand on fait au revoir en levant la main droite et en agissant un petit peu Et Reichenbach, lui, disait, parce que ce film a été vraiment un film emblématique, un film emblème de Reichenbach, et Reichenbach disait que c'était grâce à l'apport de deux personnes, c'est-à-dire celui de Chris Marker en montage et le vôtre sur la musique, il dit, ces deux apports-là ont permis au film de trouver sa forme. et on a presque l'impression qu'il y a dans l'Amérique insolite, dans ce que vous avez apporté, quelque chose qui préfigure la méthode avec J. Wesson sur l'affaire Thomas Crown. et avec Xavier Beauvois, plus récemment, sur La Ransomnage. Oui, je ne sais pas. Quand j'ai vu le film de Joe Eason, La Fête à Mascarande, le premier montage qu'il avait fait durait cinq heures. Et j'ai vu une seule fois le film, comme ça, sans musique, à bout à bout, à terminable de cinq heures. Et Joe Eason, et Hal Ashby, qui était son premier monteur, qui est devenu un grand metteur en scène après, m'ont dit, on ne sait pas comment. monter le film. On ne sait pas par quelle boule prendre. Alors je dis, écoutez, si vous ne savez pas, moi je sais. Je vais vous dire ce que je pense. Partir en vacances six semaines, j'écris la musique du film sans le revoir, sans minutage. Je vais écrire 1h30 de musique. Vous revenez dans six semaines, on enregistre. Et si vous voulez bien, on fait le montage ensemble après, tous les trois. Et c'est ce qu'on a faisant accepter. Et ça a été une aventure formidable. Formidable. Like a plop whose hands are sweeping past the minutes of its face. And the world is like an apple whirling silently in space. Like the circles that you find in the windmills of your mind. Like a tunnel that you follow to a tunnel of its own. Down a hollow to a cavern where the sun has never shone. Like a door that keeps revolving down as a forgotten dream. Or the ripples from a pebble someone tosses in a stream. Like a plop. Et rebelote avec Xavier Beauvois sur la rançon de la gloire. Ici, on a travaillé un peu dans le même genre. C'est marrant parce qu'un metteur en scène qui fait le montage de son film, son musique, dès l'instant qu'il ne parle plus, il coupe. Parce qu'il a peur que les gens se demandent pourquoi ils vont s'ennuyer. Or c'est faux. Car le rôle de la musique, c'est précisément d'être là quand il n'y a plus de dialogue. De raconter ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu, ce qu'il imagine et tout ça. Et ça, c'est le travail du musicien. Et moi, souvent, dans les films dits normaux comme ça Quand on fait la musique après le montage, je demande des plans en plus. Moi, je me rappelle très bien, par exemple, j'ai fait un film avec Richard Brooks. Il avait fait le montage sans musique et à chaque fois que le dialogue s'arrêtait, il coupait. Et je dis à Richard, non, moi je veux de la musique. Je veux que ça continue. Il me dit, pendant combien de temps tu veux ? Je dis, une minute trente. Il me dit, c'est énorme. Je dis, oui, mais il y aura de la musique. Moi, j'arrive un jour, je voudrais écrire une partition d'une heure et demie. comme ça. Simplement une histoire que j'inventerai, que j'enregistre, sur laquelle un metteur en scène inventerait un film des images. Là, je sais que la forme serait une réussite. La forme du film naîtrait de la forme de la musique. Bien sûr. Je pense aussi à d'autres exemples. Je pense à ce très beau film de Jean-Pierre Blanc. qui s'appelle La vieille fille. Oui, c'est un très joli film. Où on a deux personnages seuls, Philippe Noiret et Annie Girardet, sur une petite plage à Cassis. Ils se rencontrent, ils se frôlent, et à un moment donné, ils vont rentrer de la plage à leur pension de famille ensemble. Et c'est la première fois qu'ils vont vraiment dialoguer. Et donc on attend enfin le résultat de cette rencontre, de leurs échanges. Et là, à ce moment-là, il y a le thème du film, le jouet à l'harmonica, qui vient masquer leur dialogue. Un jour, j'ai demandé à la monteuse du film, Hélène Plimianikoff, je lui ai dit, mais est-ce que vous vous souvenez, qu'est-ce qui a fait qu'enfin, quand ce moment va arriver où ces deux personnages, on va voir les germes de leur future union qui apparaît, qu'est-ce qui fait qu'on n'entend plus ce qu'ils disent ? Elle m'a dit, au mixage, Jean-Pierre Blanc a pensé que c'était, finalement, son dialogue était en dessous de ce que racontait la musique de Michel Lebrun. Et que la musique permettait, à la limite, aux spectateurs d'imaginer quelque chose, plutôt que d'avoir simplement des mots. Très bien, on peut le dire comme ça. Est-ce que vous vous souvenez de l'impression que vous avez faite à la Cinémathèque française il y a quatre ans ? Serge Toubiana avait organisé un grand hommage à Reschenbach. Il avait ouvert cet hommage par l'Amérique insolite. Et vous avez invité à présenter le film. Est-ce que vous vous souvenez, avec le recul de 55 ans, presque 60, quel effet vous avez fait l'Amérique insolite, ce premier vrai long-notage ?
- Speaker #0
C'est drôle parce que... Dans mon fort intérieur, le temps n'existe pas. Je vais, j'essaye de dire par là, que quand on fait une musique et qu'on veut imiter ce qui se passait dans les années 50 ou 60, je crois que c'est une grossière erreur. Moi, je cherche dans toutes les musiques que j'ai écrites et enregistrées, ce sont des partitions sans temps. Qui échappent au temps. Qui échappent au temps. Par exemple, vous regardez aujourd'hui les parapluies de Cherbourg, ou même l'Amérique insolite, vous n'aurez pas l'impression de quelle époque ça s'est passé. Je veux dire par là, mon rêve c'est que les thèmes deviennent de Dieu, et que les gens soient touchés par des émotions, par des peurs, par des rires, ou même par des larmes. Quand on écrivait les parpilles de Cherbourg avec Jacques Demy, j'avais mis le nombre de mouchoirs sur la partition, et je ne m'étais pas trompé de beaucoup.
- Speaker #1
Les mouchoirs tombaient métriquement.
- Speaker #0
Tout à fait. Or, je dis ça parce qu'il m'est arrivé d'écrire les partitions les plus joyeuses dans les moments les plus tristes et les plus désespérés de ma vie. Et réciproquement, j'ai écrit les choses d'une tristesse si profonde. Au moment où je m'amusais tellement bien.
- Speaker #1
Un jour, vous aviez rencontré ce compositeur que vous admiriez, qui s'appelait René Chloé Rek, qui était le compositeur notamment des films de Claude Autorlara, et qui était un compositeur de deux, trois générations d'avant vous. Et vous lui aviez dit, vous savez, je pense à une chose, je crois à une chose, c'est que quand la musique d'un film est réussie, quand on voit le film, on ne peut pas imaginer une autre musique. Non, c'est vrai. C'est-à-dire que la voix choisie, la voix, V-O-I-E, V-O-I-X, choisie par le compositeur, devient la seule et unique solution possible. Chloé Héréc a été un musicien formidable. J'ai vu pas tous, mais beaucoup de ses films, et j'ai admiré ses partitions. C'était un vrai, un profond, un authentique, un sincère compositeur. Et devant les films d'Otton Lara, on ne peut pas imaginer notre musique. Et quand on voit Podan, on ne peut pas imaginer le film de Demi. Non, c'est trop tard, on ne peut plus. En plus, on a pu changer. C'est trop tard. Oui. Vous voyez ça ? Oui. C'est l'outil. plus utile pour composer. Beaucoup, beaucoup de gomme. Toujours autant. Quel conseil vous donneriez à un compositeur de 26 ans, l'âge que vous aviez à l'époque de l'Amérique insolite, un compositeur qui voudrait écrire pour le cinéma ? La seule chose, qu'on peut exiger de soi, c'est qu'on a fait quelque chose d'important. C'est-à-dire original, beau, drôle s'il le faut. Car quand on écrit de la musique symphonique, un concerto, une sonate, là ça va tout seul parce qu'on se laisse aller comme ça. Au cinéma, c'est plus difficile parce qu'il faut qu'on soit soit avec, soit contre, mais en tout cas par rapport. au sujet par rapport au film et par rapport aux tronches des acteurs et par rapport à ce qu'ils disent. Et on est un peu leurs sentiments, on va creuser un peu dans leur cœur et on va jouer des choses qu'ils portent en eux. Et en écrivant quelque chose qui va apporter ce que vous dites, cet état supplémentaire, et qui en même temps est une valeur musicale intrinsèque. Donc vos musiques de film, vous êtes en concert à la Philharmonie bientôt, mais vous jouez des musiques qui ont un sens dans le film, mais qui existent par elles-mêmes sur scène, en concert.
- Speaker #0
Oui, vous savez, il est très important que la musique, on puisse la jouer toute seule. Parce que quelquefois, avec des metteurs en scène moyens, Même s'il y a des images, la musique se sent toute seule. Mais ce qu'il faut, c'est du courage. Du courage à l'obstination. Et puis surtout, n'écoutez aucun conseil. Jamais.