Speaker #0Maryse et sa mère ont passé l'après-midi ensemble. Elles sont allées faire les magasins. On peut dire que la journée s'est bien passée, enfin surtout pour sa mère. Parce que Maryse, elle, elle a de plus en plus de mal à supporter sa mère. Pas vraiment parce qu'elle ne l'aime pas, mais parce que cette relation qu'elle a avec sa mère lui pèse beaucoup. Elle l'use et surtout, elle ne ressemble pas du tout à ce qu'elle aimerait vivre avec elle. Il faut dire que sa mère a pas mal de sujets de préoccupation, des choses récentes comme des soucis relationnels avec ses collègues ou des... préoccupations au sujet de la santé d'une amie, ce genre de choses, mais aussi des problèmes plus anciens, des choses non résolues de son enfance qui ont toujours influencé sa vie d'adulte, des non-dits avec son mari par exemple. Bref, un cocktail d'anges de mal-être, d'insatisfaction, que sa mère déverse régulièrement et même quasi exclusivement sur sa fille. Depuis des années, Maryse est l'unique réceptacle ... de ce trop-plein émotionnel. Elle ne se souvient même pas d'un temps où leur relation aurait été différente. Elle a toujours endossé ce rôle de soutien, de soignante, de confidente, voire de psychologue improvisé. À croire que sa mère ne la voit plus comme sa fille, mais comme un substitut thérapeutique, quelqu'un à qui tout dire, tout confier, sans filtre et sans mesure. Et Maryse n'en peut plus. Elle est... épuisée. Elle ne veut plus de cette relation à sens unique où elle est sans cesse sollicitée, non pas pour ce qu'elle est, mais pour le soulagement qu'elle peut offrir à l'autre. Alors ce jour-là, en fin d'après-midi, au terme d'une énième salve de confidence et de plainte, Maryse a craqué. Et à bout de nerfs, vraiment, elle n'en peut plus, elle a lancé à sa mère, « Oui, bon, écoute maman, va voir un psy, là ! » Nouveaux chemins, le podcast qui vous révèle les ressorts psychologiques d'une vie épanouie par Laurence Simond, saison 3, épisode 31. Vous pensez peut-être que c'est un bon conseil, et moi aussi, je pense que c'est un bon conseil. Beaucoup de gens penseraient, et à juste titre, que consulter un professionnel pourrait être bénéfique pour cette femme en souffrance. Mais voilà ! Ce n'est pas la première fois que Maryse prononce cette phrase et force est de constater que, malgré ses recommandations répétées, rien ne change. Le problème reste entier. La mère de Maryse continue à se confier et Maryse continue à encaisser. Alors où est le problème ? Eh bien, le problème c'est que Maryse est en colère contre sa mère parce que celle-ci continue de lui raconter ses problèmes alors que Maryse ne veut plus en entendre parler. Parce que sa mère continue à se plaindre malgré ses appels à distance. Et surtout, Maryse est en colère parce qu'elle ne comprend pas pourquoi sa mère ne comprend pas ce qu'elle veut lui dire. Donc, je lui ai demandé, mais qu'est-ce que vous dites exactement à votre mère ? Et là, Maryse me répond, je lui dis d'arrêter de me parler de ses problèmes. Je ne suis pas là pour ça, elle a qu'à aller voir un psy. Donc, Marie se sert d'un conseil comme d'un outil pour se débarrasser d'une situation dont elle ne veut plus. Hélas, c'est comme d'utiliser un fil à couper le beurre pour trancher un steak. Ça ne marche pas. Le geste semble adéquat, bien adapté, mais l'outil n'est pas le bon. Et surtout, il y a une confusion sur ce qu'est un vrai conseil. Un conseil, c'est une interaction entre deux personnes, celle qui donne le conseil et celle qui le reçoit. Et ces deux personnes ont des attentes, des intentions, des besoins qui diffèrent. C'est ce qui fait que parfois la personne ne suit pas le conseil qu'on lui donne, ou bien qu'on rechigne à conseiller quelqu'un qui nous le demande. Quand un conseil est bien donné et bien reçu, c'est que les intentions et les attentes des deux personnes sont alignées ou au moins compatibles. Un conseil utile est généralement celui qui répond à une demande, explicite ou implicite. Il suppose une écoute préalable, une intention bienveillante et une connexion sincère aux besoins de l'autre. Alors, que cherche vraiment Maryse lorsqu'elle dit à sa mère d'aller voir un psy ? Première possibilité, c'est juste un conseil bienveillant. Maryse veut sincèrement aider sa maman. Elle voit sa mère souffrir, elle pense qu'une thérapie pourrait l'apaiser et elle espère que ce conseil pourra l'encourager à aller mieux. Deuxième possibilité, Ce conseil est un paravent, un déguisement poli d'une envie plus brute, celle d'avoir enfin la paix. Au fond, ce qu'elle aimerait dire, c'est « Arrête, je ne veux plus entendre ça » . Mais au lieu d'exprimer cette vérité inconfortable, surtout pour Maryse d'ailleurs, on le verra tout à l'heure, elle la remplace par une suggestion qui a l'air constructive, mais qui en réalité est un moyen d'évitement. Et que comprend la mère de Maryse dans tout ça ? Elle, manifestement, elle est en détresse. Elle cherche l'écoute, une oreille aimante, un espace où déposer ses douleurs. Quand Maryse lui parle, même pour lui dire d'aller voir un psy, sa maman, elle entend surtout « Ma fille est là pour moi, elle m'écoute, je peux lui parler » . Elle ne perçoit pas du tout le rejet ni la colère, juste une preuve d'attention maladroite peut-être, mais réelle. Du coup, elle ne suit pas le conseil, bien sûr, puisqu'elle ne cherche pas de conseil. Elle cherche du lien, une oreille attentive. Et comme elle le trouve, du moins à ses yeux, elle continue de parler encore et encore. Et Maryse, elle, continue à s'enliser. Parce que dans les faits, elle dit quelque chose, mais elle ne dit pas vraiment ce qu'elle pense. C'est un non-dit qui se transforme en une sorte de quiproquo, ce qui entretient la situation, et rien ne change et rien ne pourra changer. À ce stade de sa vie, Marie se trouve face à un choix qui n'est pas simplement une question de mots. C'est un choix identitaire, presque existentiel. Ce qu'elle décidera d'assumer ou de taire va profondément influencer la manière dont elle se positionnera dans la vie, dans ses relations et surtout envers elle-même. Jusqu'à maintenant, Maryse n'a jamais osé dire franchement à sa mère qu'elle ne veut plus entendre parler de ses problèmes, qu'elle ne veut plus endosser le rôle que sa famille a choisi pour elle. Pourquoi ? Principalement par peur. Peur à la fois de ne rien changer, d'assumer et de supporter une situation qui ne lui convient plus mais qu'elle connaît, et peur aussi du changement, de devoir affronter, gérer une situation nouvelle qu'elle ne connaît pas. et dont elle ne peut qu'envisager les contours, mais sans certitude. Parce qu'en fait, il n'y a que deux voies possibles. Et c'est ce que nous appelons en systémie l'alternative stratégique. Soit elle ne dit rien, soit elle s'exprime. Alors vous allez me dire qu'il y a une troisième voie. Vous avez raison, c'est la voie du milieu. C'est dire tout en ne disant pas et ne pas dire tout en disant. C'est précisément ce que fait Maryse. Elle donne à sa mère ce qui semble être un conseil, mais avec l'intention de rejeter. On l'a vu, le message est brouillé, il ne passe pas, et la situation de Maryse empire. C'est précisément pour cela qu'elle vient me voir. Donc la voie du milieu n'est pas une option si on veut réellement affronter le problème et le régler. Il n'y a que deux alternatives. Soit elle ne dit rien, soit elle s'exprime. C'est très important de bien réfléchir à ce que chacune de ces deux alternatives offre. Il y a des peurs et des risques des deux côtés. Mais c'est uniquement en les ayant bien évaluées que l'on peut prendre une décision éclairée. L'alternative de ne rien dire a du bon, surtout parce qu'elle est déjà connue. C'est choisir de préserver une forme de paix apparente. Cela évite le conflit, ça préserve une forme de proximité, peut-être même une forme d'amour, même si c'est bancal. Après tout, je sais ce que j'aime et je ne sais pas ce que je gagne, comme dit le proverbe. Et puis, ne rien dire, ça évite le rejet. On continue de ressembler à ce que les autres attendent de nous, on répond à leurs attentes et donc on fait partie du groupe, de la famille. On ne prend pas le risque de décevoir. Je vous l'ai dit, il y a un certain confort à ne rien changer. Et ce n'est pas de la faiblesse ou ce n'est pas manquer de courage. Parce que par ailleurs, il faut du courage pour renoncer à soi. Mais... Ne rien dire, c'est aussi prendre un certain nombre de risques. Ce choix devient en effet une forme de renoncement. Maryse renonce à ses propres besoins, à sa légitimité d'exister en dehors du cadre imposé. À force de ne pas poser de limites, elle se perd un peu plus chaque jour, elle sent son estime d'elle-même s'effriter, comme si elle trahissait une part essentielle d'elle-même en se conformant aux attentes de l'autre. Et puis, il y a les émotions que tout cela engendre. C'est la peur qui retient Maryse, mais c'est la colère qui la fait souffrir et qui plane comme une menace. Ok, du coup, jusqu'où cela peut-il aller ? Si elle continue à se taire, à faire semblant d'écouter sa mère, elle devra encore supporter ce qui, au fond, ne lui appartient pas. À force de se nier, elle risque de voir son estime d'elle-même diminuer, rongée par le sentiment d'injustice et d'impuissance. La colère et la frustration qu'elle garde en elle depuis si longtemps pourraient finir par déborder. Elle pourrait réagir de façon brusque, disproportionnée, voire violente, et bien sûr au moment le moins opportun. Ses proches ne comprendraient pas forcément ses réactions, qu'ils percevraient certainement comme injustifiées ou déplacées. Donc, si elle ne dit rien, elle va devoir composer avec la colère. Or, la colère est une émotion avec laquelle il est très difficile de composer sur le long terme. C'est ce que j'ai expliqué d'ailleurs dans l'épisode 3, qui s'appelle « Ce que la colère a à nous dire » . La colère trop longtemps contenue mise sous un couvercle, finit toujours par exploser. Et si la colère de Maryse explose, et c'est sûr que ça va arriver, non seulement ça va se produire quand et où il ne faut pas, mais aussi de la manière la plus inappropriée qui soit, et possiblement avec la mauvaise personne. Et il arrivera ce que Maryse a essayé d'éviter, ce qu'elle redoutait le plus, mais en pire. L'autre alternative, c'est de dire les choses clairement, d'oser poser des mots, de fixer des limites. Dans cette option aussi, bien sûr, il y a des avantages et des risques. Qu'est-ce que Maryse va perdre si elle pose ses limites ? Elle va perdre... tout ce dont on a parlé, tout ce pour quoi elle ne parle pas, le rôle qu'elle joue dans sa famille, sa place au sein de sa famille. Elle va perdre cette paix apparente, même inconfortable, mais qu'elle connaît bien. Si elle parle, elle va entrer dans l'inconnu. Elle va être pleinement confrontée à elle-même. Parfois, vivre une situation difficile évite de se confronter à ce dont on est capable. Certaines personnes disent « je n'ai pas fait ceci ou cela dans ma vie, c'est parce que je m'occupais des autres, de ma mère, de mon père, etc. » Il y a parfois, comme je vous le disais, un certain confort à ne pas faire face à soi-même, à se réfugier derrière les autres. On n'est ainsi pas obligé de se poser la question « Qui suis-je ? De quoi suis-je capable ? » Et aussi, et surtout même, on ne s'expose pas à un échec, on ne s'expose pas à des regrets. Genre « J'ai essayé, mais je n'ai pas réussi. » Quand je pense que j'ai tout lâché, que je me suis fâchée avec ma famille, et puis qu'en fait je ne suis toujours pas heureuse. Maryse voudrait prendre de la distance pour se recentrer sur elle-même, pour commencer à vivre une vie pour elle, mais c'est risqué. Bien sûr, ce risque peut aussi être l'occasion d'une libération. Mais comment en être sûre ? En ne disant rien, elle a une excuse pour ne pas être libre. Mais si elle n'est pas libre, alors qu'elle a parlé, elle sera seule responsable. Donc Maryse sait ce qu'elle a à perdre si elle parle clairement à sa mère. Mais qu'a-t-elle donc Parler, ce serait un acte de rupture avec un schéma ancien, mais aussi un acte de fidélité envers elle-même. Pour Maryse, le véritable enjeu n'est pas de gagner ou de perdre une relation, c'est de choisir de ne plus se trahir, choisir d'être responsable de sa propre vie émotionnelle sans continuer à porter celle de sa mère, d'être enfin fidèle à elle-même. C'est un acte de différenciation. Oser exister séparément, avec ses propres besoins, ses propres désirs, sa propre vérité. En affirmant sa position, Maryse pourrait pour la première fois se retrouver pleinement elle-même. Et si ce choix crée une rupture, il faudra la traverser. Mais il n'est pas certain que tout lien soit rompu avec sa mère ou sa famille. Cela pourrait aussi ouvrir vers une relation mère-fille plus équilibrée et plus harmonieuse. En somme, le choix de Maryse pourrait se résumer ainsi. Choisir la paix extérieure, avec et pour les autres, ou choisir la paix intérieure, pour elle-même avant tout, mais aussi pour ceux et pour celles qu'elle aura choisi librement. Nouveaux chemins est un podcast conçu, écrit et réalisé par Laurence Simond, psychopraticienne en thérapie systémique de l'école de Palo Alto. Vous pouvez l'écouter sur votre application favorite. Et pour le soutenir, n'hésitez pas à laisser des commentaires, des étoiles, à le partager et à vous abonner. Rendez-vous dans trois semaines pour le prochain épisode.