- Salomé
Hello à tous, ici Salomé, j'ai 26 ans, je suis ingénieure en bâtiment et je suis surtout ravie de vous accueillir sur Officieux, le podcast qui vous livre les confidences de ceux qui font l'immobilier d'entreprise. Je vous propose de changer votre regard sur cet univers en vous emmenant avec moi pour en découvrir les coulisses. Tous les 15 jours, je vais à la rencontre d'archis, de constructeurs, d'investisseurs pour leur poser toutes mes questions et discuter ensemble des tendances qui font bouger le marché. Bienvenue dans les vacances d'Officieux ! Pour cet été, je vous propose une série d'épisodes un peu différents de ceux que je vous partage habituellement, puisqu'il s'agit d'une série d'interviews en duos, et pas n'importe quels duos. Le podcast est un formidable outil de transmission, et quoi de plus symbolique que de le mettre au service d'une autre forme de transmission, celle qui circule entre les générations, entre un parent et son enfant. Pour cet été, je vous propose donc de plonger dans des échanges à la fois personnels et professionnels, qui racontent une histoire commune, un regard croisé sur un même secteur, un même métier, et parfois deux visions qui se confrontent ou se complètent. Pour le dernier épisode de cette série, mon invité est très spécial pour moi, puisqu'il s'agit de mon Papa. Étant moi-même arrivée dans la construction grâce à lui, c'est tout naturellement que j'ai eu l'idée de cette série estivale. Si je l'avais bien sûr toujours entendu parler de son travail à la maison, et que je l'ai accompagnée de nombreuses fois sur les chantiers quand j'étais petite, c'est la première fois que j'évoquais sa carrière avec lui. Cette interview a été mon interview la plus difficile. La préparer a été difficile, j'ai peiné à choisir les sujets sur lesquels l'interroger. La transmission, ses valeurs, son parcours, la façon dont il a vécu le fait que je choisisse la construction et que j'entre chez Bouygues. Sur ce dernier sujet, ni lui ni moi n'étions à l'aise. Je ne savais pas comment l'interroger dessus et il ne savait pas quoi me répondre. J'étais très frustrée car l'ambition de cette série, c'est bien de découvrir des métiers et des parcours certes, mais c'est aussi de transmettre de l'émotion. Et finalement, je n'ai pas été déçue. Vous l'entendrez, sa voix est un peu éraillée, je peine à poser certaines de mes questions, et je pense que c'est ça qui témoigne le mieux de ce qui est intangible entre nous. Je suis émue, ravie et très fière de vous présenter mon Papa. Bonjour Papa.
- Christophe
Bonjour Salomé.
- Salomé
Papa, je suis trop contente de te recevoir sur le podcast. Un peu intimidée aussi, c'est pas... c'est plus difficile que d'habitude. Pour moi, c'est un peu intimidant de te recevoir, de recevoir son Papa sur le podcast comme ça. Je vais quand même commencer par ma première question, qui est ma question rituelle, que je pose toujours. C'est est-ce que tu peux te présenter, s'il te plaît, et me parler de ton parcours ?
- Christophe
Alors Salomé, je ne vais rien t'apprendre. Je m'appelle Christophe Couvras, je suis directeur travaux, directeur de grands projets chez Bouygues Construction. Et j'ai passé de longues années à manager des projets de bâtiments au sein de Bouygues Bâtiments Île-de-France, plutôt des grands et même des très grands projets. Et je suis aujourd'hui chez Bouygues Travaux Publics. J'ai donc 39 ans d'ancienneté dans le groupe et j'ai travaillé que chez Bouygues, comme tu sais, dans toute ma carrière. Sur le plan personnel, je suis marié avec ta maman et j'ai trois grandes filles, effectivement. Sinon, mon parcours, j'ai eu un parcours classique avec des études scientifiques, le bac, les classes prépa, maths sup, maths spé, puis j'ai intégré l'ESTP, naturellement.
- Salomé
Pourquoi naturellement ?
- Christophe
Oui, parce que le BTP, c'était clairement le domaine dans lequel je souhaitais me diriger depuis toujours. J'étais issu d'une famille d'entrepreneurs du bâtiment, donc c'était pour moi une évidence.
- Salomé
Et il y a un truc que je ne savais pas. En fait, on n'avait jamais parlé de ta carrière avant de faire la préparation à l'enregistrement. Il y a un truc que je ne savais pas, c'est que chez Bouygues, tu n'as pas commencé par les travaux. Moi, je pensais naturellement que tu avais commencé par... Un stage aux travaux et puis enchaîné direct dessus.
- Christophe
Oui, c'est vrai que ça peut paraître un peu atypique en regard avec ce que j'ai fait par la suite. Mais pendant mes études, j'étais intéressé par le calcul des structures, contrairement à beaucoup de mes camarades. J'aimais bien les maths à l'époque et je disais qu'il fallait commencer par là pour démarrer ma carrière professionnelle. J'avais envie de mieux connaître effectivement comment fonctionne la structure d'un bâtiment. et je voulais mieux maîtriser les aspects techniques. Alors en effet, j'avais choisi l'option structure en dernière année de l'ESTP, et donc j'ai réalisé mon stage de fin d'études au bureau d'études Habitat, ce qui fait partie aujourd'hui de Bouygues-Bâtiment-Ile-de-France. C'était au siège de Clamart à l'époque. Challenger était encore en construction, et la ville de Saint-Quentin-en-Yvelines était un vaste chantier de ville nouvelle avec des grues Bouygues partout. C'est aussi là que j'ai choisi délibérément de démarrer ma carrière professionnelle dans l'entreprise Bouygues.
- Salomé
Et là on est en quelle année ?
- Christophe
En
- Salomé
1986. Et Challenger, petite parenthèse, c'est le siège de Bouygues construction.
- Christophe
Et oui, donc j'ai trouvé des gens passionnés, d'une immense expertise en arrivant chez Bouygues. Puis les chantiers étaient tout aussi impressionnants aussi, puisque effectivement le nouveau siège de Challenger était encore en construction à l'époque. Et il y avait aussi tout ce qu'on appelle le quartier-gare de Saint-Quentin-en-Yvelines, c'est-à-dire le centre-ville de Montigny-le-Bretonneux, le centre commercial et tous les logements autour. C'était un immense chantier Bouygues.
- Salomé
Et ce qui est quand même trop marrant pour l'anecdote, c'est que moi je viens de répondre à ma première offre chez Bouygues et que c'est une offre qui répond à un bâtiment qui est dans le centre-ville de Saint-Quentin-en-Yvelines à Montigny-le-Bretonneux.
- Christophe
Voilà. Voilà, donc intégrer l'entreprise Bouygues, à l'époque, c'était une évidence pour moi.
- Salomé
Donc, tu as commencé effectivement par le BE Habitat et ensuite les chantiers. Quand est-ce que c'est arrivé ?
- Christophe
À la suite de mon stage de fin d'études, j'ai fait mon service militaire en tant que scientifique de contingent.
- Salomé
C'était combien de temps ?
- Christophe
C'était à Versailles, c'était 12 mois à l'époque. Mais je suis resté en contact tout le temps avec les directions des ressources humaines de Bouygues que j'avais côtoyées pendant mon stage. En réalité, je n'avais pas... Pas vraiment l'intention d'intégrer un bureau d'études, ce n'était pas effectivement ce que je prévoyais pour la suite de ma carrière. Et mon binôme de l'ESTP, avec qui j'avais effectué mon stage, s'était fait embaucher tout de suite au bureau d'études. Pour ma part, je cherchais plutôt un poste d'ingénieur travaux. J'avais envie de construire, de piloter des chantiers, de conduire les travaux, être dans le concret. Alors, je n'ai pas trouvé de poste à l'habitat, mais j'ai intégré une petite branche de Bouygues Bâtiments Île-de-France, qui s'appelait à l'époque Direction Construction Industrielle. Donc elle réalisait des ouvrages industriels, des usines, des plateformes logistiques, des centres commerciaux. À l'époque, ils étaient en train de terminer le chantier de la deuxième phase du centre commercial de Parly 2, au Chesnay, à côté de Versailles. Et là, c'était une branche qui était organisée presque comme une PME, une petite équipe dirigeante, des chantiers assez techniques et des conducteurs de travaux qui étaient très très autonomes. Et je n'ai pas été déçu de ne pas intégrer les équipes d'habitat, en fait. Et d'ailleurs mon premier chantier c'était la construction d'un entrepôt logistique avec des bureaux pour General Electric à Roissy. J'ai été lancé tout seul comme responsable de chantier. C'était assez incroyable, on ne ferait pas ça du tout aujourd'hui.
- Salomé
Parce que là tu avais quel âge ? 22, 23 ?
- Christophe
J'avais 23 ans oui. Aujourd'hui, on ne prendrait absolument pas ce genre de risque de mettre un jeune embauché qui sort de l'école complètement lâché comme responsable d'un chantier, avec tout ce que ça comporte comme risques.
- Salomé
Même toi, tu ne le referais pas aujourd'hui alors que tu l'as fait ?
- Christophe
Disons qu'aujourd'hui, effectivement, depuis déjà un certain temps, je suis dans un univers de plus grands chantiers. Donc le sujet, ne se pose pas, mais même dans, effectivement, dans des structures plus petites, avec des chantiers plus petits, même ça, je crois qu'aujourd'hui, on le ferait plus. D'accord. Mais néanmoins, ça s'est bien passé, et j'ai appris beaucoup, sur le tas, comme on pourrait dire. J'avais seulement un chef d'équipe avec moi, et je voyais mon N+1, un chef de groupe, quasiment deux heures par semaine, en moyenne.
- Salomé
Un chef de groupe, c'est quelqu'un qui a à peu près une dizaine d'années d'expérience.
- Christophe
Oui, c'est ça. Lui, il avait, je pense, plus d'expérience que ça, mais il était encore chef de groupe. Moi, il avait effectivement une expérience et puis une responsabilité assez large. Il avait plusieurs chantiers en responsabilité, ce qui fait qu'il avait finalement assez peu de temps pour moi. Et donc là, il fallait tout faire. Et là, on apprend vite. Tout de suite, j'ai pris le goût de prendre la responsabilité globale d'un chantier. Tout gérer de A à Z, le client, les achats, le suivi du bureau d'études, les travaux sur place avec la maîtrise, les compagnons, les sous-traitants, le planning et surtout la gestion. Parce que la gestion, c'est ce qu'on apprenait vraiment en premier, en priorité, en arrivant chez Bouygues, avec la procédure de ce qu'on appelle toujours le transfert objectif. Après ça, j'ai fait un court passage sur le chantier d'un petit hôtel au bord du périphérique à Paris, comme conducteur de travaux, gros-œuvre. Donc j'ai pu toucher très vite au cœur du métier, c'est-à-dire la conduite de travaux en gros-œuvre. Après ça, j'ai été confronté à un nouveau challenge. Donc, 90-92, la construction du parc Euro Disneyland à Marne-la-Vallée. Donc, la première partie. On avait traité la construction des bâtiments logistiques du parc, que l'on appelait les support buildings. C'était deux grands bâtiments industriels de 300 mètres linéaires de longueur, chacun qui était à abriter le stock de tout ce qui se vend sur le parc et aussi les ateliers de maintenance de tous les manèges du parc. Et là, j'étais responsable des corps d'état techniques et architecturaux. Encore une fois, une expérience absolument formatrice au plus haut point. D'abord parce que c'était comme si nous faisions un chantier international en plein cœur de la Seine-et-Marne, en Ile-de-France. Nos interlocuteurs, les clients, les ingénieurs de la maîtrise d'oeuvre, ils étaient tous américains et ne parlaient pas un mot de français. Toutes les spécifications étaient rédigées en anglais et sur la base de normes de construction américaines. Le contrôle qualité opéré par le client était absolument drastique. Il fallait faire contrôler tous les ouvrages, tous les coffrages, les armatures, avant de couler le moins un gramme de béton. Et la première expérience a été de, effectivement, à un moment donné, les chefs de chantier, ils ont un peu passé outre, puis ils ont coulé une fondation avant d'appeler le contrôleur. Et effectivement, derrière, il a fallu casser la fondation parce qu'ils n'avaient pas pu contrôler, effectivement, la... la pose des armatures dans le coffrage. Il y avait des dizaines d'entreprises qui travaillaient sur le site et qui construisaient des bâtiments en même temps, puisqu'il fallait que le parc ouvre en 1992. Et ces autres entreprises n'avaient pas forcément mis en place à rigueur ce qu'il fallait dans leur process, voire même ils essayaient de temps en temps de résister à la pression du client. Et je dirais qu'on a même vu des choses assez incroyables arriver le lundi matin. Et le bâtiment d'à côté, qui était réalisé par une petite entreprise, une PME, c'était le bâtiment accueil. Le plancher de la toiture, il était cassé. C'était un petit tas de béton au pied. Parce que le client leur avait demandé de casser le plancher parce qu'encore une fois, ils n'avaient pas pu contrôler les armatures. L'entreprise avait résisté pendant quelques semaines et au bout d'un moment, pendant un week-end, le client a demandé à une autre entreprise de venir casser le plancher. C'était comme ça.
- Salomé
C'est incroyable quand même.
- Christophe
Voilà, donc nous étions en 1992 à l'époque, et puis après j'ai enchaîné une multitude de chantiers en tant que responsable de projet. Un hôtel industriel à Montreuil. Le siège social de Fenwick à Elancourt, près d'ici. Et puis, c'était vraiment un bâtiment très spécial en termes d'architecture. Bâtiment dont les façades restent en béton brut, sans aucun revêtement. Avec une qualité de parement à obtenir irréprochable, puisque c'était à la manière de Le Corbusier, ou du célèbre architecte japonais Tadao Hondo. C'était déjà un chantier en béton bas carbone, sans le savoir, en 1993, puisque nous utilisions le béton avec du ciment CHF pour son rendu de couleur, en couleur claire, presque blond. C'était le choix de l'architecte. Et en fait, c'est le ciment qui est fait à base de laitiers de hauts fourneaux qu'on utilise aujourd'hui pour le béton bas carbone.
- Salomé
D'accord.
- Christophe
Ouais, mais alors il y a une particularité de faire sa prise très lentement et donc l'architecte qui était à l'affût de chaque matin de la moindre épaufrure nous demandait de casser le voile ou la poutre à la moindre blessure du béton et de la refaire. Le chef de chantier et les compagnons on était absolument malades. Enfin, déjà, une grande opération complexe dont j'ai pris la responsabilité, qui était le centre commercial Carré-Sénard en Seine-et-Marne en 2000-2002. Ça a été une période qui a correspondu avec le regroupement des unités opérationnelles de Bouygues-Bâtiments-Ile-de-France à l'époque par métier. Et donc, je suis devenu directeur de travaux génie civil de Brézillon, dans laquelle toutes les activités de construction industrielle avaient été regroupées, ça jusqu'en 2007. Et dans cette période, j'ai eu également en charge, par exemple, l'opération de rénovation d'aérogare 1 de Roissy. Donc on a fait effectivement cette rénovation dans les années 2006-2007. Encore une fois, vraiment une école de la rigueur et du process avec un client, l'aéroport de Paris est vraiment extrêmement exigeant et qui se rapproche énormément de l'exigence en closaxone que j'ai connue au moment d'Euro Disneyland. Voilà, donc les travaux, moi je peux dire que c'est un sport complet. Il faut tout gérer en simultané. On a la chance de côtoyer tout l'éventail de l'écosystème de la construction. Depuis le client, le décideur, celui qui a l'argent, l'architecte qui conçoit, et jusqu'au moindre compagnon qui coule le béton et qui ferme les banches tous les jours. C'est vraiment... Une grande école de la vie et d'humilité, je pourrais dire. Et je trouve que c'est important, ce côté-là, dans notre métier. Chaque individu, chaque poste, chaque métier a son importance dans l'acte de construire. Et tous ont vraiment une grande valeur pour faire naître l'ouvrage que l'on construit.
- Salomé
Et tu dirais que c'est cette dimension-là que tu as détectée très vite et qui t'a donné envie de passer un cap et de passer aux grands projets ou c'est un chantier, notamment Carré-Sénard, dont on a parlé avant, qui t'a donné envie de... Ou c'est l'entreprise qui t'a poussé et tu t'as pas...
- Christophe
J'avais toujours dans l'esprit effectivement de progresser tout le temps. Mon idée, c'était de progresser et puis de manager des opérations toujours de plus en plus grandes. Et c'est ça qui me passionnait. Avec les opérations de Legrand, puis de Carré-Sénard, j'avais déjà eu un avant-goût quand même des grands projets. C'était vraiment ce qui me passionnait. C'est-à-dire manager, piloter, diriger un projet de A à Z, dans toutes ses composantes. À l'inverse de manager un ensemble de plusieurs petits chantiers avec des responsables sur chaque site, ce qu'on appelle du multi-site, où on est un directeur d'exploitation et on ne gère pas vraiment les projets au quotidien. On fait plutôt du staffing, du management d'équipe, mais c'est tout. Moi, personnellement, je trouvais ça un peu réducteur. Et ce n'est pas ce que j'avais envie de faire. Donc voilà, j'en ai quand même fait pendant plusieurs années, après Carré-Sénard, dans la filiale Brézillon, où finalement je ne me sentais plus en accord avec mes envies, parce qu'effectivement, il n'y avait pas vraiment de grands projets. D'ailleurs, à l'époque, le directeur général ne voulait plus traiter des très grandes opérations. Donc j'avais l'impression de passer mon temps un peu à signer des parapheurs de factures, des contrats de sous-traitance à la main à l'époque, il n'y avait pas de signature électronique. Mais pendant cette période, j'ai aussi eu la chance de participer à la première session d'un programme de formation interne de Bouygues Construction qui s'appelait Pericles et qui s'appelle toujours comme ça et qui est destiné aux responsables de grands projets de bâtiments et de travaux publics. C'était une formation de trois fois une semaine réparties sur une année environ et qui était clairement destinée à mettre en avant et de promouvoir le métier de directeur de grands projets et de montrer aux jeunes générations dans l'entreprise qu'il y a une vie et qu'il y a des carrières tout aussi enrichissantes à côté de la perspective de beaucoup de managers, peut-être trop, d'accéder à un poste de directeur général.
- Salomé
Toi, tu dirais qu'il y a eu un avant et un après Périclès sur ta vision de ton métier ou tes ambitions ?
- Christophe
Je peux dire ça. D'abord, j'ai rencontré des collègues qui sont devenus des proches par la suite, certains d'entre eux. Un en particulier, je pense à Eric Cheype qui est directeur de travaux chez Bouygues Travaux Publics aujourd'hui, qui est un de mes collègues, qui m'a rejoint par la suite sur des projets et qui, mais d'autres, ont effectivement développé formidablement leur carrière. C'est une formation très riche et extrêmement pointue qui m'a ouvert les yeux sur des problématiques auxquelles j'avais déjà été confronté par le passé, c'est pour ça que ça m'a beaucoup parlé. Notamment l'anticipation dans la préparation en amont d'un chantier, mais aussi l'expérience client, comment aborder effectivement la relation client, la proximité client je pourrais même dire. Et puis surtout, un élément extrêmement important, c'est la formation à la maîtrise des risques et des opportunités.
- Salomé
Et justement, ces deux leviers clés, peut-être on peut dire la gestion des risques et la relation client, toi tu dirais que c'est des dimensions qui sont devenues centrales pour toi aujourd'hui ou c'est plutôt vraiment le fait de faire des travaux de façon pure et dure ?
- Christophe
Oui, alors effectivement, c'est vraiment deux notions qui sont absolument importantes, indispensables et importantes, je dirais, qui sont même stratégiques, effectivement, au niveau du pilotage d'un grand projet. Déjà, effectivement, la relation client, on a, je dirais, tous un peu l'habitude de dire qu'on n'a pas deux fois l'occasion de faire une bonne première impression.
- Salomé
Ca c'est quelque chose que j'ai beaucoup entendu pendant toute mon enfance, même maman le disait beaucoup.
- Christophe
C'est vrai. Effectivement, c'est super important dans la relation et je dirais au début de la relation avec un client parce qu'effectivement, dans notre rouage, c'est le passage de l'équipe commerciale à l'équipe qui va réaliser. Et pour le client, c'est toujours un moment un petit peu difficile. Et donc, faire une bonne première impression, il faut l'avoir en tête et c'est stratégique. La deuxième chose, effectivement, la maîtrise des risques. C'est se préparer aux éventualités, aux événements inattendus, qu'ils soient techniques, organisationnels, contractuels, réglementaires, managériaux, humains. C'est déjà imaginer à l'avance tout ce qui pourrait se passer et qui ferait que les rouages d'un chantier se grippent. Donc en fait, les opportunités en corollaire, c'est détecter les signaux, s'ils sont bien gérés, si on sait les provoquer, les actionner, qui feront que la situation puisse s'améliorer de manière sensible, sur le plan du planning ou sur le plan financier notamment. C'est cette réflexion sur ces deux axes, risques d'un côté, opportunités de l'autre, que le directeur de projet doit toujours garder en tête tout au long d'une opération. C'est l'élément stratégique du métier de directeur de grand projet.
- Salomé
Je voudrais qu'on parle un petit peu de tes chantiers emblématiques. Alors moi, je ne me souviens pas de tous, parce qu'effectivement, tu en as cité beaucoup. Je dirais qu'avant 2010, moi, je ne m'en souviens pas. Est-ce que tu peux dresser un petit panorama ou parler de deux ou trois projets qui t'ont particulièrement marqué ?
- Christophe
Alors évidemment, j'ai cité au début le Parc EuroDisneyland. C'était déjà impressionnant, un très grand chantier en Ile-de-France. Il y a aussi... J'ai eu le centre logistique de Legrand, le centre commercial Carré-Sénard. Quelques années plus tard, j'ai réalisé le centre commercial du millénaire à Aubervilliers. C'était pour l'entreprise une grande réussite sur tous les plans, y compris financier. Il y a eu après le siège social de Sanofi à Gentilly pour Bouygues Immobilier, un siège de 50 000 m², à peu près la même taille que Challenger en surface, très resserré dans un milieu urbain. Enfin, plus récemment, une très très belle opération multiproduits, bureaux, logements, commerces, d'un quartier complet de centre-ville, à Issy-les-Moulineaux, qui s'appelle Issy-Cœur-de-Ville, pour le promoteur Altarea Cogedim. Et c'était une formidable expérience de réussite collective, pour le client, pour l'entreprise, les collaborateurs, et même les parties prenantes, la ville et ses habitants. Et vraiment, j'ai eu... Beaucoup de plaisir à guider les équipes d'une opération aussi de rénovation, de restructuration multiproduits également, qui s'appelle Morland. Une ancienne tour de bureaux à Paris, restructurée en hôtel de prestige, logements, auberge de jeunesse, restaurant, bureaux. Mais clairement, l'opération qui aura marqué définitivement ma carrière professionnelle, c'est le tribunal de Paris.
- Salomé
Pour l'anecdote, moi, le premier dont je me souviens, je pense, c'est effectivement le Millénaire. Et je pense que c'est celui-là qui m'a donné envie de faire des travaux ou en tout cas de faire de la construction après, puisque ça correspondait à un accident que j'ai eu quand j'étais petite. Et quand tu m'emmenais chez le dentiste, tu m'emmenais sur le chantier et je pense que c'est ça qui a fait que moi, après, j'ai fait des travaux.
- Christophe
Super.
- Salomé
Pourquoi tu dis que le TGI, c'est le chantier de ta vie ?
- Christophe
Déjà, le TGI ou le tribunal de Paris, je crois d'abord qu'il faut expliquer ce que c'est, ce qu'est le projet. Même si tout le monde a déjà vu cet immeuble, ne serait-ce même qu'à la télévision. Oui, au 20h. Au 20h, presque tous les jours. C'est vraiment un immeuble hors normes sur tous les plans. Par sa taille d'abord, 100 000 m² de plancher, 39 étages, 160 m de haut, 92 salles d'audience et plus de 200 cellules pénitentiaires. Mais aussi par sa qualité architecturale ensuite, avec un architecte de renommée mondiale, Renzo Piano. D es façades miroirs, une décoration des espaces publics et des salles d'audience qui est faite de boiseries calpinées au millimètre, des terrasses arborées aussi les plus hautes de Paris, à plus de 120 mètres de haut, et une technicité poussée à l'extrême avec des redondances quasi totales de tous les systèmes électriques, des systèmes de sûreté très élaborés, contrôle d'accès sur presque toutes les portes, plus de 1500 caméras de surveillance. Tous les systèmes multimédia, audio, vidéo dans les salles d'audience. Et enfin, des systèmes de sécurité incendie absolument hors normes qui combinaient trois réglementations différentes et souvent contradictoires, c'est-à-dire ERP, établissement recevant de public, IGH, immeuble de grande hauteur, et pénitentiaire. En plus, l'infrastructure du bâtiment renferme plus de 180 locaux techniques. C'est absolument hors normes. Donc un projet avec des enjeux majeurs pour le groupe. Un contrat de PPP, partenariat public-privé, c'est-à-dire avec un financement 100% privé, et vraiment avec deux enjeux majeurs, c'était la conformité au programme et le délai de réalisation extrêmement court pour ce type d'ouvrage. Alors oui, c'est vrai, ce projet a été vraiment fort pour moi, très fort pour moi. Il y a tellement d'histoires et d'anecdotes à raconter que, effectivement, je nourris l'envie d'écrire un livre sur sa construction, je n'ai pas encore eu le temps de m'y mettre vraiment.
- Salomé
C'est une question que je n'osais pas poser. Je ne savais pas si on pouvait en parler.
- Christophe
Mais j'y pense beaucoup, c'est vrai.
- Salomé
Parmi ces anecdotes, qu'est-ce que tu pourrais dire ?
- Christophe
Il y a une histoire légère, assez joyeuse, que je citerais, parce qu'il y en a aussi des plus sombres. C'est la rencontre un jour sur le trottoir, devant la palissade de chantier, d'un artiste, un artiste peintre, qui peignait des toiles du bâtiment, le bâtiment en construction avec les grues, les coffrages, les compagnons au travail. Et j'ai trouvé son travail tellement intéressant, émouvant, touchant, qui mettait si bien en valeur notre métier de la construction. Puis j'ai trouvé ça atypique parce que vraiment, on ne voit pas souvent des artistes peintres dans la rue comme ça, en train de peindre un chantier. J'ai tout de suite proposé d'exercer et de peindre depuis l'intérieur du chantier. Il était vraiment absolument ravi. Je pense que jamais personne ne lui ait fait une telle proposition.
- Salomé
Est-ce que c'est quelqu'un qui était passionné par la construction ?
- Christophe
Je pense qu'il a trouvé un domaine un peu atypique et qui lui permettait sans doute de se démarquer. Donc, équipé de tous les EPI, on l'a formé à la sécurité, comme il se doit. Guillaume, qui est son nom d'artiste, a peint des centaines de toiles absolument incroyables de sensibilité. Un regard vraiment nouveau sur notre métier. Et à la fin, on lui a acheté ses toiles. Alors pas toutes, mais on en a acheté un certain nombre. Et puis on lui a financé un livre d'illustration à partir de ses dessins. C'est vraiment un beau souvenir que chacun qui a participé au projet garde dans sa bibliothèque aujourd'hui.
- Salomé
Mais ça c'est fou parce que je l'ai appris pareil encore très tardivement, cette histoire. Et puis complètement par hasard. Parce qu'on partage les livres. La lecture à la maison, c'est quelque chose. C'est vrai. Qu'on partage tous les cinq aussi, beaucoup avec maman. Et en fait, moi, je l'ai su quand j'ai lu la critique du livre que tu as publié sur une plateforme. Je ne le savais pas et c'est comme ça que je l'ai appris. C'est vraiment par hasard et c'est même maman qui m'a expliqué l'histoire après. On n'en a pas parlé tous les deux. Tu es arrivé au début du chantier, pas en phase de préparation. Ce qui est compliqué puisqu'on sait qu'un chantier se réussit aussi dans sa préparation. Pour toi, c'était quoi les grands défis techniques et humains justement sur cette opération ?
- Christophe
Alors, il faut rappeler, je dirais, le contexte. Nous étions en 2015 à l'époque, il y avait trois projets majeurs de PPP en cours. Le ministère de la Défense, que l'on appelait Ballard, la scène musicale sur l'île Seguin à Boulogne et le TGI. Tous les trois étaient réalisés par une seule unité opérationnelle de Bouygues-Bâtiment-Ile-de-France et les trois, je dirais, étaient des opérations difficiles. D'ailleurs, une situation qui a provoqué quand même un changement de gouvernance, comme souvent quand ça ne va pas très bien. Et donc, je suis arrivé là, je venais tout juste de livrer le siège de Sanofi en mars 2015. Et le nouveau patron m'a demandé de reprendre le management du chantier qui était démarré depuis un an. Quand je suis arrivé, seule l'infrastructure était réalisée. Les parois moulées, les fondations et le radier au troisième sous-sol. C'est un immense trou avec les grues qui commençaient à être montées les unes après les autres. Les équipes étaient en train d'assembler les outils de coffrage glissants au fond pour démarrer les noyaux de la tour. Et je me souviens même, on a organisé à l'époque la cérémonie de la première pierre. À ce moment, il y avait Anne Hidalgo et Christiane Taubira, qui étaient alors ministre de la Justice.
- Salomé
C'est un chantier hautement politique en plus.
- Christophe
Hautement important pour effectivement, je dirais, pour la France, quelque part. Cette opération, cette mission, était en fait en réalité faite que de défis. La tâche était vraiment immense. J'ai trouvé en arrivant des équipes un peu dans le désengagement, des collaborateurs persuadés que la tâche était quasi impossible. Il fallait reconstruire l'équipe, la renforcer, ramener du sang neuf et laisser partir aussi, vers d'autres horizons, les collaborateurs qui n'y croyaient plus. Il y en avait quelques-uns. Faire en sorte que des collaborateurs qui venaient de structures différentes puissent former une équipe soudée, motivée et tournée vers un seul objectif, c'est-à-dire la réussite des enjeux, la réussite du projet. La conformité au programme, c'est s'assurer que toutes les fonctionnalités imposées au contrat avaient bien été intégrées dans la conception. Pour ça, nous avons injecté plus de 500 modifications de projet tout au long du projet. Ensuite, le délai. En mars 2015, quand je suis arrivé, il restait à peine deux ans, 24 mois pour construire le bâtiment et le livrer au client.
- Salomé
Et là, vous étiez donc encore aux fondations.
- Christophe
Les fondations étaient faites. Il y avait juste effectivement le radier qui était coulé au fond.
- Salomé
Donc, 24 mois pour 38 étages.
- Christophe
39 étages, oui. Et puis, il fallait qu'au bout de 24 mois, le bâtiment soit complètement fonctionnel. Donc, un peu plus d'un an plus tard, en juillet 2016, nous fêtions le drapeau du chantier avec tous les compagnons, c'est-à-dire la fin du gros œuvre, le dernier plancher coulé au R+39. Et encore un an plus tard, en juillet 2017, nous avons livré l'immeuble entièrement terminé au client avec toutes ses fonctionnalités, la déco des espaces publics, des salles d'audience, les systèmes techniques en ordre de marche, la sûreté, le contrôle d'accès, la sécurité, tout. Et le moment le plus difficile, ça a été un peu la fébrilité dans les derniers mois, les dernières semaines, les enjeux des commissions de sécurité à la fin, puisque un bâtiment recevant du public, un IGH, tous les essais sans lesquels le bâtiment n'était pas apte à fonctionner et sans lesquels la réception ne pouvait pas être prononcée. Donc au plus fort de l'activité, l'équipe d'encadrement comptait jusqu'à 180 collaborateurs. Ils ont piloté plus de 350 entreprises sous-traitantes et l'effectif de pointe a atteint plus de 2200 compagnons. C'était vraiment une ruche, une aventure humaine absolument incroyable. Je pourrais en parler pendant des heures de tout ce qui s'est passé sur cette opération.
- Salomé
Justement, c'est parce que tu es capable d'en parler pendant des heures, c'est quand je t'ai entendu en parler à Claire, qui était mon ancienne chef, mais qui est aussi ma partenaire sur le podcast, que ça m'a donné l'idée de te faire parler de ça, effectivement, sur le podcast. Qu'est-ce que tu as ressenti à la fin de l'opération ? J'étais déjà entendue en parler, effectivement, plusieurs fois. Qu'est-ce que tu as appris de la fin de cette opération ?
- Christophe
Alors, ce qu'il faut dire, c'est que j'ai l'habitude de dire, effectivement, que j'ai vraiment été littéralement porté pendant toute la durée du projet. Par l'enjeu hors normes, la puissance du projet, le défi extraordinaire et la force du groupe et de l'entreprise derrière moi, la cohésion de l'équipe que nous fournions. Je pense effectivement qu'après ça, il fallait la puissance du groupe pour réaliser un tel défi, une telle expérience. Et je peux dire que chacun dans l'équipe de management du chantier, autour de moi, a été au-delà de ses limites, par l'engagement que chacun a donné. Et c'est ce qui, avant tout, a provoqué la réussite et le respect de tous ces enjeux stratégiques. Et pendant ces deux ans, on peut dire que ça a été comme un kiff d'adrénaline. Pendant tout ce temps, je ne pensais qu'à ça. Le jour, la nuit, toute la journée sur le pont avec les équipes. Et puis le soir à la maison, je reprendais mon PC sur les genoux jusqu'à minuit pour checker mes mails, préparer les journées suivantes, les prochaines réunions, rédiger le reporting. J'avais une énergie absolument incroyable et je pense qu'effectivement c'est ce projet qui m'a apporté cette énergie. À la fin, quand nous avons livré, j'ai d'abord ressenti un énorme soulagement. Moi et toutes les équipes, une grande fierté d'abord. Je ne peux pas compter les visites que j'ai pu organiser. Mais après un moment, j'ai ressenti aussi une dépossession de quelque chose. Comme un proche que l'on perd quelque part. C'est une sensation que je n'avais jamais ressentie avant à ce point. Et voilà, c'est certainement comme une descente, un sentiment de manque. Donc, ça a duré six mois. Je me suis reconstruit quand même après le début, avec le démarrage de l'opération suivante. Je peux dire que pour certains de mes proches collaborateurs, c'est un projet aussi qui a changé leur vie. Certains se sont tournés vers un autre métier et il y en a pour qui ça a vraiment été dur. Ce que j'ai appris de cette expérience, c'est qu'en toutes circonstances, il ne faut rien lâcher. Je sais, c'est plus difficile à dire qu'à faire, mais si on est soutenu dans l'entreprise d'une part, mais aussi par l'environnement familial d'autre part, et je suis bien conscient que les miens, vous, ma famille proche, ta maman, pour commencer, ont aussi donné énormément pour ce projet indirectement. Elle et toi et tes sœurs aussi, par le soutien que vous m'avez apporté. Et puis aussi, effectivement, avec l'équipe que j'avais autour de moi, une équipe soudée, si on arrive à faire corps avec l'équipe, bien sûr aussi, il faut de la fermeté dans les objectifs, mais aussi surtout beaucoup d'empathie. On peut faire de très grandes choses et aller très loin. C'est l'enseignement que je tire vraiment de tout ça.
- Salomé
Pour l'avoir vécu côté famille, justement, c'est vrai que nous, on a... Maman, elle s'est beaucoup inquiétée de te voir effectivement beaucoup comme ça et c'est vrai que maman, elle a géré effectivement beaucoup de choses à ce moment-là. Nous, on te voyait même parfois un peu dissocié. Je me souviens, c'était l'année où je passais mon bac. Tu m'as emmené passer les épreuves. Tu me regardais en me disant : "Mais c'est quelle épreuve que tu passes aujourd'hui ?" Je te répondais : "Non, papa, c'est un concours. Pour une école parcours sup'" ou alors un jour où je te dis "Oh là là, trop hâte des vacances vendredi !" et où tu te tournes vers moi dans la voiture et tu me dis "Quoi, les vacances vendredi ?" On partait en Italie, t'avais oublié.
- Christophe
Oui, effectivement, ça a pu m'arriver, mais j'étais faux. Encore une fois, j'étais focus.
- Salomé
Oui, bien sûr.
- Christophe
Sur le projet, sur les enjeux, sur le planning, sur tout ce que je devais gérer, et les choses auxquelles je devais penser. Et je suis sûr qu'effectivement, j'ai pu sans doute négliger aussi des choses, je dirais, dans la sphère familiale et privée. Mais voilà, c'est un peu comme ça. Mais encore une fois, j'avais une énergie incroyable qui m'apportait pendant tout le projet.
- Salomé
Non, et puis je ne veux pas parler à la place de maman et des filles, mais je pense que ça nous a rendus toutes les quatre super fières de toi. Et donc aujourd'hui, contre toute attente, tu as quitté le bâtiment pour rejoindre les travaux publics, donc apprendre un tout nouvel environnement après ça, après Issy Cœur de Ville. Pourquoi ?
- Christophe
Pour deux raisons principales. D'abord parce que j'ai quand même fait un peu le tour des projets de bâtiment, des grands projets en Ile-de-France. J'y ai pris énormément de plaisir à travailler, à guider des équipes variées, issues d'unités opérationnelles différentes dans l'entreprise, mais aussi parce que les grands projets d'immobilier OF, ouvrages fonctionnels en France, sont arrivés au bout d'un cycle. Et j'y retrouvais pas tout à fait ma place et j'avais envie de voir autre chose. Donc j'ai décidé de rejoindre une entité de Bouygues dans laquelle le pilotage des grands projets est véritablement l'ADN. C'est une formidable entreprise, des collaborateurs en expertise, vraiment exceptionnels, des projets incroyables. Partout dans le monde.
- Salomé
J'aimerais qu'on parle de la dimension leadership et management de ton métier. Est-ce que toi, tu as toujours su, tu dis que le BTP c'est une évidence, mais est-ce que tu as toujours su que tu voulais mener des équipes ? Et qu'est-ce que ça représente pour toi aujourd'hui ce rôle de leader sur le chantier ?
- Christophe
Effectivement, je pense que cette envie, ça vient sans doute de très loin, de mon enfance certainement. J'avais un grand-père qui avait créé son entreprise et qui avait une très forte personnalité. J'ai vécu tout petit dans cet environnement-là, de chef d'entreprise, de toute petite PME, mais quand même avec cette dimension-là, et je pense que ça a forgé quelque chose en moi tout petit. Et puis par la suite, ce que j'avais envie de faire, c'était de mener des opérations, et le sentiment d'avoir la vision pour mener à bien un projet, pour le réussir. Et c'est toujours ça qui m'a fait avancer.
- Salomé
Maman, elle dit souvent qu'il y a des trucs qui se recoupent et je n'en avais pas percuté jusque-là. Mais en fait, c'est trop marrant quand tu parles de l'entrepreneuriat qui, quand même, toi, es en train de le vivre et l'a vécu toute ta carrière chez Bouygues parce que finalement, être sur un chantier, c'est diriger une entreprise dans l'entreprise. Cassandre, donc ma petite sœur, on est trois, moi je suis l'aînée. Cassandre, l'entrepreneuriat, ça fait partie de son métier à part entière puisqu'elle est joaillère. Et le chantier de ta vie, c'est un tribunal et Garance, la plus petite de la fratrie, fait aujourd'hui du droit. Il y a quand même des choses qui se recoupent d'une façon assez drôle. Justement, sur les conseils que tu peux donner comme directeur de travaux, tu as dirigé des équipes qui sont issues de différentes entités. Comment est-ce qu'on fédère ? Des équipes qui ont, parce que même si ça reste Bouygues-Bâtiment-Île-de-France, ça reste des équipes qui ont des méthodes de travail assez différentes, des cultures différentes même en fonction du produit, des habitudes différentes. Aujourd'hui, tu arrives dans des équipes travaux publics avec qui tu n'as jamais travaillé. Comment est-ce qu'on fédère des si grandes équipes tout court ?
- Christophe
Ça se fait, je dirais, un peu progressivement, naturellement. Il faut écouter les collaborateurs, il faut les connaître. Il faut... Il faut faire preuve d'empathie, je dirais même d'humilité, même si ce n'est pas forcément intuitif pour un patron, pour un directeur de projet, pour quelqu'un qui va diriger. Mais je crois que c'est la clé. Il faut se mettre au niveau de chacun, leur montrer qu'ils comptent énormément dans le dispositif et que chacun d'entre eux est important. Il faut savoir aussi, surtout, féliciter, manifester de la satisfaction quand ça va bien, plus souvent que quand ça va moins bien. Il faut envoyer des ondes positives et c'est ça qui crée un peu une dynamique, fédérer autour de l'enjeu à relever, convaincre, faire adhérer, que chacun participe à montrer que chacun apporte sa pierre à quelque chose de grand. C'est vraiment ce en quoi je crois.
- Salomé
Et tu cherches à avoir des équipes soudées, fédérées et pourtant... Je t'ai toujours entendu dire que tu encourageais les collaborateurs à aller voir autre chose.
- Christophe
Oui, c'est vrai. Je dirais que s'il y a bien quelque chose à retenir, c'est que dans une carrière professionnelle, c'est indispensable quand même de bouger, de découvrir de nouvelles choses et de ne pas s'enfermer dans une forme de routine. C'est se confronter à toujours plus difficile, plus challengeant. En tout cas, c'est toujours ce qui m'a animé. J'ai toujours aimé les défis, c'est encore le cas aujourd'hui. D'aucuns me disent encore aujourd'hui : "Mais comment tu fais pour changer et aller faire quelque chose de très différent et redémarrer dans une nouvelle entité ?" Ça étonne les gens et pour moi, c'est complètement naturel de me confronter à autre chose et de faire quelque chose de... Pas forcément plus difficile, mais différent avec des nouvelles personnes. Et franchement, ce n'est pas forcément un problème pour moi, mais j'ai envie de voir du nouveau quelque part. Et j'invite vraiment les autres, les jeunes managers que je croise aussi à aller de l'avant et à faire ça. Pas se contenter de ce qu'ils savent faire, mais s'ouvrir à de nouvelles choses. J'en connais quand même plus d'un qui ont suivi ce conseil et qui ont très bien réussi et j'en suis très satisfait.
- Salomé
Ce podcast, c'est un podcast surtout cet été sur la transmission. Quelle place elle occupe la transmission aujourd'hui dans ton métier ?
- Christophe
Alors là, on ne parle qu'effectivement de transmission parce que la transmission est toujours là. Elle revêt vraiment de différentes formes. Au quotidien, c'est avec les collaborateurs de l'équipe qui m'entourent. C'est aussi avec les gens que je croise, quand je fais une visite de chantier avec mes collaborateurs, aussi les plus jeunes dans leur quotidien, en racontant, je dirais effectivement, comme je le fais aujourd'hui, des anecdotes et puis tout ce que j'ai pu vivre au cours de ma carrière, que ce soit sur le plateau à Challenger, au coin café ou même à la cantine. C'est effectivement raconter toutes les expériences que j'ai vécues pour certains sont peut-être encore plus riches, mais effectivement il y a... Il y a plein de choses et c'est un peu ça la transmission. Mais je participe aussi à l'enseignement, à l'ESTP, au Master de Management de Projet, où là je passe trois demi-journées avec les étudiants chaque année, où je décris ce que c'est que le métier d'un directeur de projet. Je participe aussi activement au sein de l'entreprise, au sein de Bouygues Construction, au programme Pericles. Pour donner envie aux jeunes managers de devenir les directeurs de grands projets de demain. Je disais tout à l'heure qu'il y a une vie aussi à côté de, pour des managers, à côté de devenir directeur général. C'est aussi, c'est devenir directeur de grands projets chez Bouygues. Et Pericles aujourd'hui c'est un club, c'est le club des directeurs de grands projets de Bouygues construction, de Bouygues Travaux Publics, de Bouygues bâtiment international. et de Bouygues Bâtiment France. Au global, on est un peu moins d'une centaine dans ce club et nous échangeons en permanence. On se réunit périodiquement, on organise des visites croisées, de projets, des témoignages d'expérience. On échange sur notre métier, sur nos pratiques et nous sommes en quelque sorte, les chevaliers de l'entreprise. C'est à nous tous, on porte une part très importante de l'activité de Bouygues Construction. Et c'est quelque chose effectivement qui est reconnu et je pense que c'est vraiment une très bonne chose. Et bien sûr, on participe aussi activement aux formations des plus jeunes pour faire émerger les responsables de grands projets de demain.
- Salomé
C'est ça qui donne du sens à ton métier ?
- Christophe
Alors oui, le sens du métier, c'est un sentiment évident, le sentiment de faire, de construire du concret et aussi de laisser une empreinte quelque part. Un bâtiment, un projet de construction, c'est durable, ça reste. Aujourd'hui, repasser devant un projet que j'ai réalisé, que j'ai mené, ça me fait quelque chose. Passer sur le périphérique, porte de Clichy, et voir le TGI, voir la majesté de ce bâtiment, ça me donne encore des frissons, et ça me remémore des souvenirs qui sont complètement indélébiles. Oui, clairement, je pense que c'est vraiment pour ça que je fais ce métier.
- Salomé
On va passer aux questions signatures du podcast. Pour cet été, j'en ai ajouté une par rapport à celles que je pose d'habitude. Si tu devais me transmettre une seule chose, une seule leçon de ton métier, ce serait quoi ?
- Christophe
C'est de prendre du plaisir dans ce qu'on fait. On ne peut pas mener effectivement une carrière et piloter des opérations sans y prendre du plaisir, dans notre métier, qui est quand même un métier extrêmement fort, où il y a beaucoup de choses, je crois que le plus important, c'est d'y prendre du plaisir, même si parfois c'est compliqué, mais même quand c'est compliqué, on arrive à trouver du plaisir. Si on n'en trouve pas, il ne faut pas faire ça. Et puis, c'est, comme je le répète, c'est ne pas s'enfermer dans une routine. Voilà, c'est vraiment les deux choses qu'il faut... pour moi, qu'il faut retenir.
- Salomé
A Cassandre et Garance, tu leur dirais pareil ?
- Christophe
Complètement.
- Salomé
Y a-t-il une maxime, un mantra, une phrase qui t'accompagne au quotidien ou qui t'inspire ?
- Christophe
Alors, il y a une citation qui, effectivement, m'inspire beaucoup, et c'est, je dirais, ça me parle énormément. C'est une citation qui est attribuée à Léonard de Vinci, sans vraiment garantie, mais cette phrase, c'est « Ne pas prévoir, c'est déjà gémir » . Et je crois que ça illustre complètement la notion de maîtrise des risques. On ne peut bien réagir à une situation inattendue que lorsqu'on s'y est préparé. Et le management d'un gros projet, par bien des aspects, c'est savoir réagir, prendre la bonne décision en pareil cas.
- Salomé
Et alors, même si je m'en doute un petit peu, quel a été, et que à mon avis nos auditeurs maintenant s'en doutent un petit peu aussi, Quelle a été la chose la plus inattendue que tu aies faite dans ta carrière, un moment décisif ou un moment fort ?
- Christophe
Oui, clairement, effectivement, ça a été d'avoir la chance, l'honneur, je dirais même, de diriger le projet de construction du tribunal de Paris. Même si j'y pensais à l'époque et que même certains me disaient que c'était un projet pour moi, je ne m'attendais pas à ce qu'on me le propose. Au final... C'est au devenir le manager à qui on confie les plus grands projets, les plus complexes projets de bâtiments en France. Oui, ça a été finalement la chose la plus inattendue. J'aurais pas pensé arriver là quand je suis sorti de l'ESTP.
- Salomé
Qui est-ce que tu aimerais entendre sur le podcast ?
- Christophe
Je pense à un grand directeur de projet qui a dirigé les plus grandes opérations de Bouygues dans les années 80-90, un monsieur qui s'appelle Henri Rochefort. Il a dirigé la Grande Arche de la Défense, la Bibliothèque de France, Coeur Défense. Aujourd'hui, je peux dire qu'en fait, de quelque sorte, je suis un peu son héritier, même si je n'ai jamais eu l'occasion de travailler à ses côtés, d'ailleurs. Mais je pense souvent à lui et j'ai aussi repris la succession de son cours au master de l'ESTP, c'est un Monsieur pour lequel j'ai un profond respect.
- Salomé
Et enfin, où est-ce qu'on peut te suivre ou te retrouver ?
- Christophe
D'abord sur les chantiers Bouygues et aussi un peu au siège de Bouygues Construction à Challenger. Sinon, sur LinkedIn, mais je publie quand même très peu, que lorsque j'ai quelque chose à communiquer, à dire, à partager. Pour moi, je préfère que la parole soit rare, mais qu'elle compte.
- Salomé
Maman validera tout à fait. Elle sera là pour en témoigner que ta parole est rare.
- Christophe
Merci, Salomé.
- Salomé
Merci beaucoup, papa. Allez, c'est la fin de cet épisode. Merci encore une fois, papa, d'avoir accepté de répondre à toutes mes questions, alors que ceux qui te connaissent me rejoindront. Tu n'es pas d'un naturel très bavard. Merci pour ce que tu m'as transmis et ton soutien au quotidien. Tu es le meilleur des papas. Je vous remercie mille fois. de nous avoir écoutés jusqu'au bout. Si vous voulez me poser des questions, me faire vos retours ou me proposer de nouveaux invités, je vous attends sur LinkedIn. Enfin, je remercie chaleureusement Bouygues Construction qui soutient le podcast et sans qui il n'existerait pas. J'espère que cet épisode vous a plu. N'hésitez pas à me laisser des étoiles et des commentaires sur Spotify et Apple Podcasts, ça m'aide beaucoup. On se retrouve dans 15 jours pour un nouvel épisode d'Officieux, le podcast qui vous livre les confidences de ceux qui font l'immobilier d'entreprise.