- Perle Bouge
Pour moi, le Para aviron, c'est un sport de glisse déjà. C'est génial de jouer avec son bateau et d'être en pleine nature, de voir les quatre saisons. C'est laisser le fauteuil sur le ponton et naviguer comme n'importe quel individu sur une embarcation. Un des rares sports paralympiques où on pratique en mixité. C'est un sport aussi technique, physique, où il faut savoir jouer avec des conditions météo. C'est tout ça le Para aviron en fait.
- Ludivine Munos
Elle n'a pas donné son dernier coup de rame. Sa voix ? ne transpire d'aucune hésitation. À 46 ans, Perle Bouge est une athlète de haut niveau depuis plus de 20 ans, vice-championne paralympique en 2012 et encore record woman du monde indoor sur 2000 mètres dans sa catégorie en février. La renaise ne s'arrêtera pas tant qu'elle n'aura pas arraché le métal le plus précieux aux Jeux paralympiques, tant qu'elle n'aura pas assouvi cette habilité de médaille. Son histoire, c'est celle d'une opiniâtre, d'une intrépide, dans un sport qui mène souvent à l'extinction de souffle. Je m'appelle Ludivine Munos, nageuse. J'ai remporté 12 médailles aux Jeux paralympiques. Aujourd'hui, avec Roland Richard, mon acolyte journaliste, on vous raconte donc le para-aviron à travers l'histoire de Perlebrouche. Impossible de séparer l'aviron de la Grande-Bretagne, Ludivine. C'est au Worcester College for the Blind, l'université de Worcester pour les non-voyants, que tout commence. On est en 1927 et on encourage les étudiants à se mesurer à leurs camarades sans handicap lors de régates. Avec un barreur voyant, les jeunes non-voyants peuvent naviguer en toute sécurité. Après la Deuxième Guerre mondiale, c'est au tour des vétérans américains de s'exercer lors de la Navidad Regata à Philadelphie. Les années 70 permettent le développement de la pratique. Et la première Coupe du monde d'aviron adaptée a lieu en 1991 aux Pays-Bas. En 2001, la Fédération Internationale crée une commission pour élaborer un système de classification et postuler aux Jeux Paralympiques. Ce sera le cas en 2008 à Pékin. C'est peu après que Perle Bouge découvre l'aviron. Elle a déjà 32 ans et la rame, ce n'est pas son premier amour.
- Roland Richard
L'aviron, c'est mon deuxième sport paralympique. En effet, j'ai commencé par le basket fauteuil et je l'ai découvert en 2010. Dans le cadre du travail, c'est un club, l'Aviron Bayonnec, qui est venu me chercher et qui voulait développer la pratique pour tous les types de publics, dont les personnes en situation de handicap. Et du coup, j'ai découvert cette discipline. J'ai trouvé que c'était très sympa et très complémentaire au départ de mon activité du basket, parce que sport d'endurance. Et puis, je me suis prise au jeu et j'ai décidé de me lancer.
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De discipline complémentaire, l'Aviron devient vie de discipline principale. Une reconversion pour l'athlète. pourtant internationale de basket-fauteuil. Le basket, c'était donc la première passion de Perle Bouge. C'est grâce à lui qu'elle avait relevé la tête après un accident de moto en 1997. La jeune femme allait au cinéma. Un automobiliste ne respecte pas la priorité. L'accident est grave. Contrainte au fauteuil roulant, elle découvre la balle orange en centre de rééducation en 2001. La bretonne retrouve le sport, le plaisir. Son niveau est tel qu'elle intègre l'équipe de France. Les joueuses tricolores n'ont alors connu qu'un seul frisson paralympique en 1992 à Barcelone. L'objectif, c'est d'y regoutter.
- Roland Richard
J'ai eu la chance de faire différentes compétitions avec l'équipe de France féminine. Et en fait, on a eu un échec en 2008 où on n'a pas qualifié l'équipe pour les Jeux de Pékin. Donc une grosse remise en question. 2008-2009, j'ai continué, mais c'est vrai que j'avais eu l'impression d'avoir fait un petit peu le tour, d'avoir donné le maximum de ce que je pouvais faire. Le fait de découvrir l'aviron, je me suis dit nouvelle discipline, complémentaire, nouveaux défis, nouveaux challenges, nouveaux objectifs.
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L'équipe de France de basket-foteuil retrouvera les Jeux sans perles en 2012. Mais la Bretonne, désormais basque d'adoption, est elle aussi de la partie à Londres. Avec son binôme Stéphane Tardieu, elle monte même sur le podium paralympique. L'argent en deux de couple. Une entrée fracassante dans le paraviron international.
- Speaker #3
représentant la France, Stéphane Tardieu et Perle Pouge.
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Mais avant de plonger dans le palmarès de Perlebouche, Ludivine, prenons le temps d'expliquer ce qu'est le bar-avion. Quand la Française fait ses débuts au jeu en 2012, la distance est encore de 1000 mètres. Idem en 2016 à Rio. La bascule vers 2000 mètres survient après. Plus que sportif, l'enjeu semble surtout pratique, puisque les épreuves olympiques se déroulent elles aussi sur 2 km, quelques semaines plus tôt.
- Roland Richard
Je pense que l'objectif c'était surtout de simplifier l'organisation, il fallait bouger les pontons. Alors maintenant, est-ce que c'est une bonne ou mauvaise chose ? Nous, en tant qu'athlète, on s'est habitués. Il a fallu un petit temps d'adaptation parce qu'on ne s'entraîne pas forcément pareil sur 1000 ou 2000 mètres. Mais c'est surtout que pour moi, ça a créé de plus grands écarts. Et c'est peut-être un petit peu moins spectaculaire que ça ne pouvait l'être sur 1000 mètres où les courses étaient un petit peu plus serrées. Pour le téléspectateur ou le spectateur, c'est aussi long de regarder une course qui peut durer entre 8 et 12 minutes. Alors qu'auparavant, on était plus autour de 4, 5, 6 minutes.
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On remet de l'exigence, on surveille ce GPS.
- Roland Richard
C'est là que nous on travaille. C'est le deuxième 500,
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deuxième, troisième 500. Toutes les épreuves se courent sur la même distance et sont liées aux classifications de handicap. Pour les para-rower 1, les athlètes PR1, il y a deux épreuves. Une pour les dames, une pour les messieurs. Chacun est seul dans son bateau. C'est ici qu'on retrouve les handicaps avec l'impact le plus important sur la performance, comme les paraplégies. Les athlètes ne peuvent utiliser ni leurs jambes ni leurs troncs. Dans la catégorie PR2, il n'y a qu'une seule épreuve. Le 2 de couple mixte, ramé en couple, signifie manier deux rames chacun. C'est là qu'on retrouve Perlebauche. Les athlètes sont ici entravés quant au mouvement de leurs jambes. A noter Roland que pour les PR1 comme pour les PR2, les sièges sont fixes. Dans la catégorie PR3, cette fois les sièges sont glissants et permettent de donner... plus de force au mouvement grâce à l'utilisation des jambes et donc d'aller plus vite. En PR3, il y a deux épreuves. La petite nouvelle par rapport à Tokyo, c'est le 2 de couple mixte, PR3 donc. Dans cette classification, on retrouve une multitude de handicaps physiques, mais pour résumer, les athlètes peuvent utiliser leurs bras, leurs troncs et leurs jambes. Les personnes non-voyantes et malvoyantes sont également associées à cette catégorie, Ludivine. Vous l'aurez compris, la particularité de l'aviron, c'est que les athlètes ne sont pas séparés par type de handicap, mais par type de limitation motrice.
- Roland Richard
Je prends la catégorie PR1. Ça peut être des gens paraplégiques, ça peut être des maladies comme la sclérose en plaques, ça peut être un double amputé, donc avec des capacités totalement différentes. Une multitude de handicaps qui composent ces bateaux. Et donc du coup, l'objectif quand même des sélectionneurs, c'est d'avoir les handicaps minimums dans chaque catégorie pour être performant du coup.
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C'est tout particulièrement vrai pour la cinquième et dernière épreuve de PR1. paraviron. C'est, attention, le 4 de pointe barré mixte, PR3. 4 parce que 4 athlètes, 2 hommes, 2 femmes avec des handicaps différents. 2 pointes parce qu'ils n'ont chacun qu'une seule rame. Barré parce qu'il y a un barreur, comprendre quelqu'un qui veille à la bonne direction du bateau, cette personne n'a pas forcément de handicap. PR3 parce qu'il n'est ouvert qu'aux athlètes PR3, mais attention ! On ne peut pas avoir plus de deux athlètes malvoyants dans le quatuor. Reste à tenir le choc de ces 2000 mètres. Ce serait l'équivalent du demi-fond en athlétisme. Les meilleurs rameurs finissent leurs épreuves en 8 minutes environ, à peu près le même temps que les meilleurs demi-fondeurs du 3000 mètre stipple. Une discipline violente pour l'organisme et qui vous laisse souvent exténué. Alors il faut s'entraîner, et ça tombe bien, Perle Bouge, elle adore ça.
- Roland Richard
Oui parce que le sport pour moi fait partie de ma vie, ça a fait aussi partie de ma reconstruction après mon accident. J'aime m'entraîner, j'aime le dépassement de soi, j'aime la progression, j'aime me fixer les objectifs. Et donc voilà, j'aime aller chercher, peaufiner, lever un petit peu plus de poids à la muscu, grappiller des secondes ou des centièmes, travailler ma technique, enfin voilà, je considère qu'on a toujours des choses à apprendre. Go ! Mieux parallélisme, mieux !
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Et le rythme est impressionnant. Du lundi matin au mercredi matin, 5 séances en 2 jours et demi. Puis une demi-journée de repos, le mercredi après-midi. Puis de nouveau 5 séances, avec un peu de répit, le samedi après-midi. De l'aviron, de l'ergomètre, comprendre du rameur comme dans votre salle de sport, de la musculation, de l'aérobie, c'est-à-dire des séances à basse intensité comme du vélo. Bref, un planning préparé avec minutie et un côté... carrés qui émanent aussi de chaque phrase chez Perlebouche. Les résultats sont au rendez-vous, Roland. Des victoires en Coupe du Monde et pas moins de 11 médailles en grande compétition internationale. La médaille d'argent paralympique à Londres, la médaille de bronze à Rio en 2016, toujours en deux-deux-couples avec Stéphane Tardieu, puis un titre de championne du monde en individuel en
- Roland Richard
2018. Et elle est la championne du monde. Elle a trop pensé à son tête dans ses mains.
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L'effort est... Avant deux ans aux côtés de Christophe Lavigne, où le bilan est moins lumineux, conclu par une neuvième place au Jeu de Tokyo. Pour Paris, l'ambition de Perlebouge est de retour. Avec un nouveau partenaire, Benjamin Davier, l'objectif, c'est même la plus belle des médailles.
- Roland Richard
C'est l'objectif, c'est ce qui motive d'aller chercher la médaille d'or. Il faut croire en ses rêves. Si la première fois, je n'avais pas cru dans mon bateau à Londres, on arrivait, on n'était pas attendu. Et puis, on a été chercher une belle médaille d'argent. Donc oui, forcément, je pense que pour tous les athlètes, on vise cette médaille. Alors, on est conscient de la concurrence, on est conscient de nos atouts, de nos faiblesses. Voilà, il faut que tout soit aligné le jour J. Donc oui, forcément, c'est la médaille qui manque à mon palmarès et c'est la médaille que j'aimerais avoir.
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Mais la montagne n'a jamais paru aussi grande. Parce que le nom de Benjamin Davier vous est peut-être familier. Il compte 10 médailles. paralympiques, dont 5 en or, mais en biathlon. Il a certes essayé la vie ronde dès le milieu des années 2010, mais il ne rame pas régulièrement depuis des années.
- Roland Richard
Alors, il rame déjà un petit peu quand même en club, c'est pas sa première saison. Gérer la concurrence internationale en biathlon, il sait le faire. C'est un sportif de haut niveau, donc là, il n'y a pas de soucis. C'est surtout être capable de gérer le bord à bord. Il y a 6 bateaux qui sont alignés. Et du coup, quand le départ est lancé, les bateaux sont à peu près ensemble. Et là, il faut être capable de ne pas s'emballer, de ne pas partir trop fort, trop vite et de griller ses cartouches. C'est vraiment une gestion de l'effort. Il faut être à fond du début à la fin, en fait. Mais je pense qu'il ne va pas trop se poser de questions, qu'on ne va pas trop s'en poser.
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Ça n'a pas été simple malgré tout, comme le rappelle Perlebouge elle-même. Les sports collectifs requièrent une pratique commune pour acquérir des automatismes. Spécialement dans un sport quasi-clinique. chorégraphiques comme l'Aviron, il faut développer une gestuelle technique ensemble. Fin mai, des doutes entourent le duo avant la régate qualificative de Lucerne en Suisse. Mais finalement,
- Speaker #3
la paire bouge. Davier impressionne. qui qualifient pour les Paralympiques de Paris ce septembre.
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Une victoire et une qualification célébrées dans un anglais aussi incertain que charmant.
- Roland Richard
Vous êtes très heureux. Vous allez aux Paralympiques de Paris en septembre. Vous êtes un nouveau bateau.
- Speaker #4
Et...
- Roland Richard
Ce lac est formidable, c'est beau. Le soleil n'est pas là, mais nous gagnons, nous sommes heureux.
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Désormais, cap vers Paris 2024. Des Jeux chargés de mille manières pour l'Arenèse.
- Roland Richard
C'est les Jeux à la maison, c'est génial, c'est avoir la famille. C'est quatrième Jeux aussi, donc dans une carrière sportive, c'est chouette de vivre quatre Jeux. C'est aussi me dire que ces Jeux, j'espère qu'ils vont changer le regard sur le handicap. amener plus d'accessibilité, mettre plus de sport dans la vie des Français, plus de sport chez les jeunes, mobiliser la France et donner un peu de sourire. On a la chance de mettre un peu de soleil sur une période qui ne l'est pas forcément tout le temps. Donc j'espère qu'on va réussir ces Jeux, moi j'y crois.
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C'est donc l'histoire d'une quadragénaire qui a bâti sa vie d'après sur le sport, qui s'est construite dans le basket puis l'aviron, qui s'est affirmée dans la compétition et qui s'apprête sinon à tourner la page d'une carrière immense. Du moins à vivre le plus grand moment de celle-ci. Mais pour ça, il faudra briller, à Vers-sur-Marne, le lieu de compétition du Para-Aviron du 30 août au 1er septembre. Depuis 2012, Ludivine, la France a toujours ramené au moins une médaille dans la discipline. Il y a trois ans, Nathalie Benoît avait ramené le bronze en PR1 et le quatuor boulet Gézel-Tarento-Sauceau, le bronze également en 4-2-pointe Paris-Mix-PR3. Impossible de ne pas retenir le nom de leur épreuve désormais. Mais aucun athlète tricolore n'a arraché l'or en paravion. On est prêt pour l'histoire.
- Speaker #4
Merci.