Speaker #0Je m'appelle Aurélie, j'ai 47 ans, je suis indépendante, j'ai deux enfants et je souffre de migraines depuis 25 ans. J'ai des antécédents familiaux avec la migraine. Mon père ayant été migraineux aussi loin que je m'en souvienne, j'ai été très vite sensibilisée au fait de voir mon père rester quelques jours dans le noir. On savait que quand il prenait des bains, c'était qu'il était en phase de crise et qu'il ne fallait pas faire de bruit. Donc très vite, j'ai compris ce que ça englobait, les douleurs, les difficultés à s'exprimer, etc. Et le fait que ça pouvait durer plusieurs jours. J'ai reconnu mes symptômes grâce à mon père, effectivement. À l'époque, mon père n'a jamais vu de neurologue, ou en tout cas très très tard. Et donc on m'a adressé à un médecin généraliste en premier recours. Au début, le traitement qu'on me donne, ce sont des antalgiques. Et par la suite, on va me donner un traitement injectable. Aucun de ces traitements, malheureusement, n'a fonctionné. Surtout le deuxième, qu'on m'avait proposé en me disant que ça allait calmer mes migraines. Malheureusement, ça avait à l'époque beaucoup d'effets secondaires. Et j'ai développé à peu près tous les effets et ça ne diminuait pas mes migraines. La consommation d'anthalgiques m'a beaucoup aidée jusqu'au moment où ça ne m'a plus du tout aidée et où effectivement j'ai fini accro aux anthalgiques. Je ne pensais pas que ce soit possible étant donné que c'est un médicament qui est en vente libre et auquel on ne fait pas suffisamment attention encore aujourd'hui. Quand j'ai commencé à prendre trop d'anthalgiques, je suis passée d'une dose standard, c'est-à-dire 4 par jour, à 6, voire 8, voire 10 grammes. Ce qui a fait que mon organisme est clairement devenu accro à ces anthalgiques. Et ce qu'on m'expliquera, c'est que mon cerveau induisait la migraine pour pouvoir avoir sa dose. J'ai fait la rencontre d'un neurologue qui m'a été recommandé par mon médecin généraliste, étant donné que lui se sentait un petit peu arrivé au bout de ses limites dans ce qu'il pouvait me proposer. Il m'a envoyé chez ce premier neurologue qui m'a expliqué que clairement j'étais addict aux antalgiques, que pour pouvoir prendre quelque chose d'autre, en tout cas me donner une autre molécule, il fallait d'abord me sevrer des antalgiques. Et donc ce sevrage a mis deux mois à être acté, on va dire, et pendant deux mois, j'ai eu des migraines jour et nuit. Donc on passe des migraines, si je peux utiliser ce terme-là, simples, c'est-à-dire où vous êtes alité pendant quelques heures, et puis après vous arrivez à fonctionner jusqu'au vomissement, jusqu'à l'évanouissement. Et ça c'est assez compliqué parce qu'on doit continuer à fonctionner et à vivre, donc ça peut vous arriver n'importe où. Alors après mon sevrage, j'ai dû me résigner à explorer d'autres traitements, ce qui a marqué le début de... 15 années d'errance thérapeutique qui ont été assez éprouvantes physiquement et moralement, parce que ça a été une succession de rendez-vous médicaux incessants, de traitements inefficaces. Et j'ai vu mes migraines impacter chaque aspect de ma vie, aussi bien personnel que professionnel, en plus d'avoir impacté la vie de mes proches, ça reste quelque chose d'assez douloureux pour moi. On m'a demandé de faire attention à mon régime alimentaire quand j'ai été voir un second neurologue. J'en ai fait quelques-uns depuis toutes ces années. Et une des choses sur lesquelles ils ont appuyé parmi de nombreux autres que j'ai entendus, c'est que j'étais beaucoup trop sucrée, qu'il fallait que je fasse attention à ne pas manger trop épicé, à ne pas manger d'ail. Les tomates s'étaient exclues, tout ce qui est acide de manière générale. J'adore le chocolat par exemple, on m'a dit que le chocolat était complètement proscrit, mais pas pour une période à vie. Donc c'est très culpabilisant et aussi socialement parlant. On est obligé de demander, tiens, est-ce qu'il y a de l'ail dans ceci ? Est-ce qu'il y a des oignons ? Est-ce que c'est épicé ? Ah non, désolé, je ne peux pas en manger. Donc c'est très contraignant au quotidien. Malheureusement, malgré tous ces changements alimentaires, ça n'a rien changé pour moi. Donc après 18 ans de visite chez, je pense, à peu près tous les neurologues réputés et connus en Belgique, j'ai rencontré un neurologue qui a pris le temps de m'écouter, d'écouter mon parcours, mon historique, et qui m'a immédiatement proposé de faire partie d'une étude clinique d'un anticorps monoclonal. Ça a mis plus ou moins trois mois avant que j'en sente les réels bénéfices, mais clairement, ça a changé ma vie parce qu'à cette époque-là, j'étais vraiment dans une phase où j'envisageais l'euthanasie. Alors c'est un mot qui est lourd de sens, mais qui est une réalité. Et pourtant, j'ai deux enfants, j'ai un conjoint, j'ai un travail que j'aime, mais la douleur était devenue telle que je ne pouvais plus la tolérer, ni non plus accepter que ma famille me voit dans cet état-là en permanence. J'en discute avec mon conjoint en lui disant que moi je ne peux plus vivre comme ça et que si ça ne s'améliore pas, je ferai la demande. À ce moment-là, je suis tout à fait prête à passer par là. Je ne pouvais plus imposer ça à mes enfants, clairement. Moi, mes enfants m'ont connue, depuis qu'ils sont nés, avec la migraine. J'ai toujours réussi à fonctionner grâce à l'adrénaline jusqu'à un certain point. Et ce certain point, il arrivait, en tout cas le point de rupture, il arrivait quand je rentrais à la maison. Et donc, il fallait que je m'occupe de mes enfants. Et c'est arrivé à plusieurs reprises que mon fils, surtout qui est le plus âgé des deux, me trouve évanouie dans la salle de bain où doivent m'apporter mes antalgiques. Dès qu'il sentait de l'amande poivrée, par exemple, qui est quelque chose que j'utilise pour calmer la douleur, donc dès qu'il sentait ça, il savait d'office que maman n'était pas bien. Et donc si maman n'est pas bien, on ne fait pas de bruit, on est plus calme et on doit faire attention. Si j'en suis venue à considérer l'euthanasie comme une option, c'est parce que j'ai vraiment eu des années d'errance médicale. J'ai vu pléthore de neurologues qui m'ont tous culpabilisé d'une manière ou d'une autre. Ça passait du vous devez moins travailler, vous devriez arrêter de travailler pendant six mois à vos enfants sont petits, il faut prendre une nounou pour s'en occuper vous devez peut-être éventuellement changer de conjoint, parce que peut-être que vos rapports avec votre conjoint ne sont pas ceux qui sont Peut-être que vous devriez réévaluer. Pour pouvoir réévaluer, il faut prendre six mois off. On vous trouve tout un tas de champs pour justifier le fait que vous avez des migraines. Moi, on m'a dit que j'avais dû vivre très certainement des expériences traumatiques dans la petite enfance, voire l'adolescence. Donc, soit je n'étais plus consciente, soit je ne voulais pas parler. Et que c'était ça qui induisait les migraines. Et j'en suis même arrivée à sortir des frontières pour aller chercher des traitements. Jusqu'à ce que je rencontre le neurologue qui me suit encore aujourd'hui et qui m'a apporté une solution qui est beaucoup plus pérenne. Au bout de trois mois, je commence à voir la différence. C'est-à-dire que je passe d'épisodes qui sont toutes les semaines et qui durent de trois à cinq jours, diminués. J'en ai de moins en moins, ou en tous les cas, ils sont moins intenses. Et en une heure maximum, je vois la migraine vraiment s'effacer ou en tout cas diminuer d'une manière que j'ai... rarement connue. La chronologie d'une crise chez moi, ce qu'on appelle la phase d'aura, sont tous les signes annonciateurs, donc vous avez des troubles de l'élocution. Vous avez des pertes de mémoire. En général, j'ai d'abord des raideurs dans la nuque. J'ai une sensibilité à la lumière, une sensibilité aux odeurs qui s'installe. J'ai une très forte envie de sucre, beaucoup plus que d'habitude. Je suis quelqu'un de sucré à la base, mais là, c'est exagéré. Et je commence à ressentir une assez grosse fatigue. Donc, tout me dérange, concrètement. Ensuite, quand la migraine se déclenche... Chez moi, ça varie. Soit ça me prend à l'arrière de la nuque et ça remonte en casque, soit ce sont des migraines ophtalmiques. Chez moi, c'est plutôt du côté droit. Et là, vous avez l'impression qu'on est clairement en train de vous arracher l'œil. C'est une douleur que je sais difficilement décrire parce que c'est vraiment... Vous avez l'impression d'être aveugle d'un œil. Et la douleur est vraiment épouvantable. Quand c'est en casque, bon ben là, vous avez un étau autour de la tête. C'est vraiment extrêmement douloureux. C'est comme si on serrait, serrait, serrait ou qu'on vous tapait dessus. À la limite, vous vous taperiez la tête contre une porte. Je pense que ça ferait beaucoup moins mal. La migraine, c'est vraiment une maladie à plein temps, parce que, de ce que mon neurologue m'a expliqué, quand on a une migraine, il faut plus ou moins trois semaines pour que le cerveau se remette, d'où les problèmes d'élocution, les troubles de la mémoire, la fatigue extrême. Vous avez toujours ce sentiment d'être, en tout cas moi j'ai toujours ce sentiment d'être au bout du rouleau. Je me lève fatiguée, je me couche fatiguée, je suis tout le temps fatiguée, parce que mon corps, pendant trop longtemps, pendant des années, n'a pas... pas eu ce laps de temps suffisant que pour pouvoir se remettre des migraines. Et donc, dans la vie au quotidien, c'est vraiment extrêmement difficile. Moi, en l'occurrence, je suis indépendante. Donc, il est très difficile de pouvoir s'arrêter de travailler et rester à la maison, couchée en attendant bien gentiment que ça passe. J'ai toujours dû continuer à fonctionner. Très récemment, ça m'est arrivé. J'ai fait une présentation, c'était à Anvers. Et quand je suis sortie de la présentation, j'étais dans un... tel état que j'ai trouvé le premier parking public qui était à ma portée. Je me suis mis au moins deux et je suis restée six heures dans le sous-sol le temps que ma migraine passe et que je sois à même de conduire. La migraine est handicapante sur le point de vue professionnel parce que vous n'êtes jamais à 100%. Le neurologue vous explique que ce qui fait que vous tenez, en tout cas pendant la période où vous travaillez, c'est grâce à l'adrénaline. On est toujours à la limite. On fait ce qu'on peut, on doit donner le change, on ne peut pas montrer qu'on n'est pas bien. J'avoue qu'en étant une femme, c'est encore plus compliqué, parce que quoi qu'on en dise, on attend toujours plus d'une femme, et en tout cas certainement pas qu'elle commence à expliquer qu'elle a la migraine, ou mal à la tête, ou ce genre de choses, donc on ne peut pas exprimer ce genre de choses. On doit continuer, et comme tout indépendant, chaque client est important, chaque client est unique. Et surtout quand on est une femme et qu'on gère une société, on ne peut pas se permettre de montrer ses faiblesses et il faut, quoi qu'il arrive, continuer et montrer deux fois plus. La culpabilité sociale, elle est extrêmement lourde à porter aussi, parce que vous vous rendez compte au fur et à mesure du temps que vos amis ne comprennent pas ce que vous ressentez, ce que vous vivez. pourquoi vous êtes obligée d'à chaque fois justifier que peut-être que vous allez devoir annuler le jour même, que peut-être que non, vous ne pouvez pas prévoir un mois, deux mois, trois mois à l'avance, quelque chose parce que ce jour-là vous aurez peut-être une migraine et vous ne serez pas bien, vous ne pourrez pas vous permettre d'être présent. Et au début, les gens sont "Oui, mais ne t'inquiète pas, pas de problème, si tu ne peux pas venir Aurélie, on remet ça une autre fois, il n'y a pas de souci". Et puis d'un... Au fur et à mesure du temps, vous vous rendez compte que vous n'êtes plus invité, qu'on ne vous donne plus de nouvelles, qu'on commence à vous trouver chiante. En plus de ça, il faut savoir que la migraine, elle vous met dans un état dépressif. Je ne suis pas dépressive, je n'ai pas ce genre de problème, mais par contre, comme n'importe qui en fait, je pense que si on est dans la douleur tout le temps, on n'est pas la personne la plus joyeuse du monde, on n'est pas en forme, on n'est pas rigolote. souriante, prête à tout faire. On ne peut pas boire non plus. Ça, c'est aussi un autre aspect social qui peut être un problème parce que quand on est avec des amis, on aime bien boire un verre, on aime bien passer une agréable soirée. Et tout ça est très stigmatisant au final. Donc, on ne se sent jamais vraiment à l'aise. On essaye toujours de faire fi, de ne pas parler de ces migraines. Mais il y a toujours un moment ou un autre où le sujet va arriver parce que vous allez devoir dire non à quelque chose. Et ça, c'est... extrêmement douloureux à vivre aussi. Les gens qui font partie de l'entourage de migraineux, j'aurais juste envie de dire qu'il faut vraiment faire preuve de bienveillance et d'empathie envers les migraineux parce qu'ils ne souffrent pas que de la douleur, ils souffrent de tout ce qu'ils sont obligés de mettre en place. pour faire semblant que ça va, pour ne pas embêter leur famille, leurs employeurs, peu importe qui fait partie de leur entourage, et que c'est douloureux aussi. Donc vraiment faire preuve de bienveillance, de patience et d'empathie à l'égard de celui qui souffre. Aux personnes qui, comme moi, souffrent de migraines, je dirais qu'il ne faut pas perdre espoir, vraiment. Il y a des traitements aujourd'hui, je pense que la médecine a enfin compris qu'il fallait prendre ça à bras le corps, et qu'il y a des traitements qui existent maintenant de plus en plus et qui sont efficaces. Donc il faut y croire, et au-delà de ça, j'aurais envie de leur dire d'arrêter de penser pour ceux qui le pensent, qui sont faibles. Parce qu'arriver à passer au travers de ça, continuer à avoir une vie, continuer à avancer... C'est vraiment pas une chose facile avec ce type de douleur. Et donc, je sais qu'il y a beaucoup de gens qui ont tendance à dire que les gens qui ont des migraines sont des gens faibles, mais c'est pas du tout le cas. Après 25 ans de migraine, je pensais pas du tout que ça puisse s'améliorer. Et aujourd'hui, je revis. Je peux de nouveau avoir une vie sociale. Je peux de nouveau boire un verre de temps en temps. Je peux prévoir des activités. Je peux prévoir des choses. C'est ça, en fait. Je peux prévoir des choses. Et ça, c'est... Ça vaut tout, en fait.