Speaker #0Je m'appelle Ibrahim, j'ai 35 ans et je suis atteint de la maladie de Crohn. Mes premiers symptômes, je les remarque lorsque je suis en bivouac, car je décide aux alentours de 2008 de rentrer et d'incorporer la défense. Et je me rends compte lors des entraînements que j'ai une gêne et une boule au niveau des muscles fessiers. Et ce que je ressens, c'est une sensation un peu bizarre, une boule qui se déplace au fur et à mesure des semaines. Ma première réaction est de banaliser cette boule, de me dire que c'est peut-être juste un bouton. Mais ce qui me semble assez bizarre, c'est que cette boule se déplace de haut en bas et elle se déplace surtout de sorte à ne pas. plus me déranger lorsque je dois faire des marches ou courir. À ce moment-là, je ne me pose pas trop de questions et c'est vrai que je laisse cette petite boule de côté. Pour moi, la priorité, c'est mon incorporation, marcher jusqu'à 40 km par jour, courir et surtout évoluer dans un milieu très compétitif. Et puis, pour être tout à fait honnête, pour le jeune homme que je suis d'une vingtaine d'années, il est un peu délicat de parler de cette boule qui se trouve au niveau des muscles fessiers. Les mois passent. Et tout se passe très bien au niveau de mon travail. Mais c'est vrai que cette boule ne disparaît pas. Assez gêné, je préfère en parler à ma mère, qui m'invite au plus vite à consulter un médecin pour en parler. Vient donc le moment où j'arrive en consultation pour la première fois. J'explique au médecin les différents problèmes que j'ai. Je montre cette boule, ça n'a pas l'air vraiment de l'interpeller. Mais ce médecin me dit que j'aurais peut-être des hémorroïdes. Et donc c'est vrai que pour moi c'est un peu gênant. Je trouve même assez bizarre que cette boule qui est périanale soit reliée à cette pathologie d'hémorroïdes. Et donc j'exécute les conseils du médecin, c'est-à-dire utiliser une crème qui ferait se résorber cet hémorroïde. Et c'est vrai qu'après application de cette crème, les mois passent, je sens toujours cette douleur qui n'est plus une gêne. mais qui devient une douleur assez intense, surtout lorsque je vais à sel, et cette boule ne bouge toujours pas de mon muscle fessier. Et c'est pour cette raison également que je décide d'en parler à mon médecin généraliste, qui lui décide de m'envoyer chez l'un de ses confrères, aller voir un spécialiste, et donc je me rends chez ce proctologue. Je me retrouve donc chez ce proctologue pour lui parler de mes problèmes, de mes douleurs, et surtout de cette boule, et c'est vrai que ça a été... Une expérience assez spéciale pour moi parce que l'examen se fait de manière assez brusque. Le médecin me laisse entendre qu'il est possible de vivre avec cette boule et avec cette douleur ou nous pourrions penser à prévoir une opération, ce que je refuse catégoriquement. C'est vrai que pour moi c'est impensable d'aller faire quoi que ce soit comme geste chirurgical dans cette zone. Je m'arroussine à vivre avec tout simplement. Ces deux épisodes avec le médecin me rassurent un peu et je décide donc de continuer ma carrière professionnelle. Je termine mes formations et je me retrouve à naviguer les océans et les mers du monde jusqu'à 8 mois par an. Et c'est vrai que je suis très porté par cette activité professionnelle et je laisse tout à fait de côté ces douleurs et cette boule. Tout se passe assez bien jusqu'à ce que je commence à développer non plus des boules mais des abcès. Et c'est vrai qu'à ce moment-là, je ne suis plus capable de le cacher parce que je suis incapable de m'asseoir. Je suis obligé de m'asseoir sur une bouée pour éviter de raviver les douleurs. D'un point de vue psychologique, c'est vrai que c'est plus dur à gérer parce que la première chose, c'est que je ne m'y attends pas et que c'est aussi extrêmement bizarre d'avoir cet abcès à cette Ausha. C'est une période d'autant plus compliquée pour moi parce que je suis également confronté à des problèmes de santé exigeant que je me fasse opérer de la hanche. Et donc c'est vrai que toutes ces douleurs de ma zone périanale sont mises de côté pendant plusieurs mois. En 2012, je dois suivre une formation intensive à l'armée. Et la veille de cette formation, je me sens malade. Je commence à sentir cette boule qui gonfle. C'est douloureux, je ressens vraiment une forte inflammation. J'ai beaucoup de température. Je décide de prendre un médicament et j'espère que ça ira mieux le lendemain. Le souci c'est que le lendemain je suis incapable de bouger. Et je vais très gêné voir mon responsable pour lui dire que je dois aller d'urgence voir un médecin ou à l'hôpital. Et c'est vrai qu'il ne comprend pas parce que ça ne se voit juste pas sur moi. Et je suis trop gêné pour lui dire ce qui se passe. Donc je me rends en urgence, et en fait c'est en me rendant en urgence et en ayant cette douleur et ce gonflement continu que dans la voiture même cet abcès explose. La douleur s'atténue énormément et en fait l'abcès a explosé avant même que j'arrive aux urgences. À ce moment-là je me dis que j'ai vraiment pas de chance parce qu'on parle de poils incarnés, de furoncles, et d'après la médecin ça pourrait également être une fistule. C'est assez difficile à accepter et à comprendre quand on est un jeune garçon de 23 ans qui est physiquement et sportivement actif, de juste devoir accepter ces différents signaux que le corps nous envoie. En ce qui concerne ces abcès, le spécialiste aux urgences me conseille de me faire opérer et c'est vrai que pour moi c'est impensable parce que je dois partir en mission deux semaines plus tard pour quatre mois. Donc on se met d'accord pour plutôt drainer ces abcès et on me donne rendez-vous à mon retour de mission. On me propose donc de soigner mes abcès moi-même, mais c'est vrai qu'il est assez compliqué de le faire sur le bateau sur lequel je vis pendant plusieurs mois, parce que je dois faire attention de bien désinfecter les toilettes, faire en sorte d'avoir toujours de l'eau claire à portée de main, avoir du désinfectant, des compresses. Et donc c'est de plus en plus compliqué pour moi de le cacher au travail. et mes collègues sont de moins en moins compréhensifs vu mes allées et venues aux toilettes qui durent assez longtemps. Après cette première mission, je me fais donc opérer une première fois, puis une deuxième fois, une troisième fois, et pour finir, je dois subir quatre opérations pour des abcès à chaque fois différents, et je me sens un peu démuni parce que je me demande comment se fait-il que j'ai autant de malchance. Comment se fait-il que j'ai autant de poils incarnés, autant de furons ? Comment ça se fait que j'ai autant d'abcès qui se déclarent ? Et j'ai vraiment l'impression qu'on ne traite pas les causes, mais plutôt les conséquences. C'est-à-dire qu'en dehors des opérations, je n'ai pas l'impression d'avoir un vrai suivi et que le chirurgien s'attarde beaucoup sur ses conséquences, mais que personne ne cherche la cause de mes problèmes. Ce qui est aussi difficile, c'est que je me fais suivre dans cet hôpital universitaire et que malgré tous les avantages que cela apporte, je dois régulièrement me retrouver face à des stagiaires, des assistants ou des médecins pour réexpliquer mon dossier médical. Il faut également accepter qu'après opération, une dizaine de personnes viennent observer vos plaies et c'est vrai que c'est gênant pour ce jeune homme de la vingtaine que je suis. Après ma période de convalescence, je repars donc en mission avec l'accord de mes médecins qui considèrent que je n'ai... que quelques abcès et je fais la découverte d'un médecin qui va bouleverser ma vie. On se retrouve dans l'océan Indien au bout d'un mois de mission et ce médecin s'intéresse un peu à mon dossier médical et se demande comment cela se fait que j'ai autant d'abcès. Il me parle donc de la maladie de Verneuil ou de la maladie de Crohn et me demande si les médecins ont écarté ces différentes maladies. C'est vrai que je suis un peu perdu parce que je n'en ai aucune idée. Je lui promets d'en parler à mon gastro-entérologue une fois que je rentre de mission. A mon retour de mission, je vais donc voir mon gastro-entérologue et le chirurgien qui sont assez choqués de l'état de mes abcès. Et je leur parle de cet épisode de maladie de Verneuil, maladie de Crohn, et le médecin me dit mais on l'a quand même déjà fait, et pour être honnête, j'en ai aucune idée Après vérification dans mon dossier, on se rend compte qu'après deux années de traitement et d'actes chirurgicaux dans ma zone péri-anale, aucun test n'avait été fait pour récarter la maladie de Crohn. À ce moment-là, le médecin me reproche de trop travailler, et il me reproche également de ne pas être assez disponible. Je pense tout simplement et honnêtement que ce n'était pas normal de m'opérer pendant deux ans sans aller chercher cette fameuse cause. Et on décide donc de planifier une batterie d'examen. Je rentre donc à l'hôpital pour une anesthésie générale et à mon réveil, je vois le visage des infirmiers et des médecins autour de moi et je comprends que quelque chose de grave se passe. C'est le ciel qui tombe sur ma tête, j'ai l'impression d'avoir raté quelque chose. À ce moment-là, j'ai beaucoup d'incompréhension et beaucoup de colère envers mon médecin parce que je continue toujours à me poser cette question, comment ce médecin militaire, anesthésiste de formation, a pu en... quelques heures ou quelques jours, me proposer ce diagnostic qu'un hôpital universitaire n'a pas pu me proposer en deux ans. Le médecin rejette la faute à 100% sur moi. Il me dit que si j'avais été suffisamment présent et que je ne travaillais pas, j'aurais pu mieux être encadré et suivi. Et ce qu'il me demande, c'est d'être à l'arrêt pendant plus d'un an et demi pour traiter mes différents abscès. À ce moment-là, il y a une cassure et je n'ai plus confiance en ce médecin. Et je décide donc de changer d'hôpital. Je me retrouve dans un autre hôpital universitaire. Et c'est vrai que l'accueil est totalement différent. Donc je rencontre ce médecin, je lui explique ce qu'il se passe, je lui explique les différentes opérations. Et lui-même est assez étonné qu'on ait pu mettre un diagnostic aussi tard, après autant d'actes chirurgicaux. Et l'ambiance est totalement différente parce que je lui explique que j'ai encore 25 ans. que j'ai envie de travailler, que j'ai envie de partir en mission, que pour moi mon travail c'est tout et que je ne me vois pas être à l'arrêt pendant un an et demi. J'ai déjà été à l'arrêt plusieurs mois à cause de ma hanche. Et ce médecin me dit que sa priorité à lui, c'est de s'adapter à mon agenda et non l'inverse. Le traitement commence, j'ai un point de contact, j'ai une coordinatrice qui me facilite beaucoup la vie, qu'on peut contacter à tout moment et qui fait le lien entre le patient et le docteur. J'ai également beaucoup de facilité parce que je peux prendre avec moi des injections pour 3 ou 4 mois et partir en mission serein. Et c'est vrai que tout se passe bien pendant plusieurs mois. En plus de ce nouveau traitement, je décide de m'informer et c'est vrai qu'on ne trouve pas beaucoup d'informations ni de littérature sur les causes de cette maladie. Je décide donc d'appliquer quelques conseils par-ci par-là concernant l'alimentation, la reprise du sport, l'hygiène de vie. Et c'est vrai que le fait... De faire attention à ce que je mange, d'éviter les fast-foods, d'éviter les aliments transformés, manger plus bio et de saison m'aide et réduit ces crises. Pendant plusieurs mois, le traitement fonctionne relativement bien, mais le souci c'est la fatigue, non pas seulement la fatigue due au traitement, mais également la fatigue due à la charge de travail que j'ai sur le navire, le manque de sommeil. Et au bout d'une ou deux années, mes premières crises apparaissent sur le navire. Donc je commence à avoir des crampes au niveau de l'estomac, des crampes intestinales, qui m'empêchent certains jours même de respirer. Après ces différentes crises, et puis surtout lorsque j'ai fait l'une de ces crises au milieu de l'océan, les médecins décident de ne plus m'autoriser à naviguer. Je le vis très mal parce que... Pour moi, c'est presque dix ans de travail, dix ans de formation, je ne me vois pas faire autre chose. Et donc, je consulte ce médecin qui m'interdit de partir en mer, et il me fait bien comprendre qu'on n'a qu'une seule santé et que je dois vraiment prendre le temps de penser à moi avant de penser à ma carrière. À ce moment-là, on me propose une réorientation professionnelle et je pense que changer de rythme de vie, avoir une meilleure hygiène de vie et surtout avoir un travail adapté. Quelque chose d'assez important, je pense que l'employeur a également sa part de responsabilité dans la gestion et dans l'acceptation de cette maladie. Et c'est vrai que dans mon cas, j'ai énormément de chance parce que je travaille avec des personnes qui sont issues du corps médical et qui comprennent et acceptent tout à fait ma maladie. Les années passent, la maladie est de mieux en mieux contrôlée avec mon traitement, avec mon nouveau mode de vie, mon alimentation. Je décide également de me concentrer un peu plus sur le sport et mon bien-être. Et c'est vrai qu'il m'arrive de délaisser de manière régulière une ou deux injections. Jusqu'au jour où je me retrouve en vacances et que je n'ai plus du tout d'injection avec moi et que je décide d'arrêter le traitement parce que j'ai l'impression de connaître totalement ma maladie, de contrôler ma maladie et de contrôler mon corps. Pendant un an, je n'ai eu aucune conséquence et après cette année, j'ai eu un déferlement de crise, un déferlement d'abcès. Je décide donc de retourner voir mon médecin après la période de pandémie. et à lui avouer que j'ai arrêté le traitement il y a plusieurs mois. Il n'est pas très content, mais il comprend. Il m'explique que ce n'est pas la première fois qu'un patient sous traitement qui se sent beaucoup mieux décide d'arrêter du jour au lendemain. Cette période-là de ma vie est un peu compliquée parce que je perds mon père, nous perdons également un enfant avec mon épouse, et je me retrouve à moins de trois semaines d'intervalle de nouveau à l'hôpital pour des abcès et des opérations en urgence. J'ai énormément de température, je transpire, je ne me sens pas bien, je commence même à trembler énormément. Et après analyse, on me diagnostique une septicémie. Et pour cette septicémie, je suis hospitalisé presque deux semaines sous antibiotiques. Avec le recul, je pense que mon état de santé mentale et le stress ont un grand impact sur ma maladie. Et c'est ce que mon gastroenterologue me fait remarquer lors de cette septicémie. J'ai 42 fièvres, je suis hospitalisé depuis quelques jours et il vient me voir à mon chevet et me demande comment je vais. Tout sourire, avec 42 fièvres, je lui réponds que tout va bien, selon moi. Je lis dans son regard que tout ne va pas bien et il me dit que non, tout ne va pas bien, que j'étais à deux doigts d'y rester, que cette septicémie n'est pas une petite maladie et que je ne suis pas hospitalisé pour une petite chose. Et il me demande surtout de me remettre en question et d'accepter cette maladie. J'ai décidé de me recentrer sur moi-même, faire encore plus attention à mon alimentation, reprendre le sport de manière active. Et je l'encourage vraiment de faire du sport, non pas pour faire du sport, mais pour prendre du temps pour soi. Ce qui est important aussi, c'est que malgré mon errance thérapeutique et les quelques déboires que j'ai pu vivre avec certains médecins, je remercie du fond du cœur le corps médical, les médecins et les infirmiers en général, parce que c'est vrai que c'est important de se sentir écouté, c'est important d'avoir un dialogue. Aujourd'hui je vais bien, je me sens vraiment bien, j'ai décidé de prendre plus de temps pour moi. Je n'ai pas l'impression d'être aussi malade que ça. J'ai commencé mon nouveau traitement et je continue ma vie, mon travail, continue à m'occuper de mes deux jeunes enfants et aller au sport. Je suis assez confiant pour l'avenir.