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Parlons plus bas

#9 Anne Lorient : Au chevet des femmes de la rue

#9 Anne Lorient : Au chevet des femmes de la rue

36min |09/12/2024
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36min |09/12/2024
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Description

[#9 Anne Lorient : Au chevet des femmes de la rue] Dans ce neuvième épisode, Anthony Chenu rencontre Anne Lorient.


Ancienne SDF, Anne Lorient est aujourd'hui à la tête d'une association qui vient en aide aux femmes sans domicile fixe et aux familles précaires à Paris. Elle raconte comment son destin a basculé le jour de ses 18 ans lorsqu'elle a décidé de fuir le domicile familial. Après 17 années passées à la rue, Anne Lorient est parvenue à s'en sortir.


Elle a fait de cette douloureuse expérience un livre : Mes années barbares en collaboration avec la journaliste Minou Azoulai (2018). Le retentissement de son témoignage lui a permis de trouver la force de créer l'association qui porte son nom et qui lui permet d'organiser des collectes et de sensibiliser le grand public à la conditions des femmes dans la rue.


Anthony Chenu retrouve Anne Lorient dans une brasserie du 18e arrondissement de Paris.


Attention, cet épisode relate des faits de violences sexuelles qui pourraient de ne pas convenir aux auditeurs et auditrices sensibles à ces sujets.


Parlons plus bas est un podcast d'Anthony Chenu à retrouver sur toutes les plateformes et sur les comptes Instagram et Facebook de l'émission.

Voix off : Justine Leroux

Décembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est idiot, mais personne ne parle au SDF. On a peur, il y a le côté miroir, on a peur d'être un jour SDF, on a peur de la personne. Pour vous dire, les femmes SDF ne sont pas du tout agressives, au contraire, elles ont très très peur. Parlons plus bas. Podcast réalisé et présenté par Anthony Chenu.

  • Speaker #1

    Pour ce neuvième épisode, je voulais vous faire entendre la voix d'Anne Laurian, à la tête d'une association qui porte son nom. Elle vient en aide aux femmes SDF et aux familles précaires à Paris. Dans cet entretien, elle revient pour nous sur les raisons qui l'ont conduite elle-même à vivre 17 ans de sa vie à la rue avant de pouvoir s'en sortir. Cet épisode ne comporte exceptionnellement pas de reportage. J'ai tenu à la fois à donner toute sa place au récit de mon invitée et nous avons convenu ensemble de ne pas la suivre dans ses missions par dignité pour les personnes auxquelles elle vient en aide. Attention, cet épisode relate des faits de violences sexuelles qui pourraient ne pas convenir aux auditeurs et auditrices sensibles à ces sujets. Je retrouve Anne Laurian dans un café du 18e arrondissement de Paris. Il est 17h.

  • Speaker #0

    On se trouve dans un café, dans le 18e arrondissement. C'est un quartier animé, comme vous disiez, Tala. Et c'est un quartier où il se passe beaucoup de choses. C'est entre les bobos du 17e et les craqueurs du 18e. Donc il se passe énormément de choses. C'est très varié. Donc moi, j'aime bien. On est en face de la mairie où il y a tout le temps des mariages et tout. Donc moi, j'aime bien cet endroit-là. C'est un endroit qui me reflète bien.

  • Speaker #1

    Je commence toujours les épisodes en demandant aux invités de nous parler de leur enfance, de nous raconter un peu d'où ils viennent, leurs origines. Est-ce que vous accepteriez, vous, de nous raconter un peu votre enfance ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je viens du nord de la France. J'ai des origines normande et bretonne, parce qu'on en parlait tout à l'heure. Mais j'ai habité très très longtemps à Arras, donc ma petite enfance, jusqu'à mes 18 ans où je me suis sauvée en fait. J'ai subi l'inceste de mon frère dans ma famille. Et après je suis, au jour de mes 18 ans, libération quoi. J'ai pris le premier train, je suis venue à Paris. Et depuis je suis restée à Paris. Moi je rêvais de la Tour Eiffel. Je rêvais de Paris, de la liberté qu'il y avait à Paris. Je voulais surtout fuir la famille. Le jour de mes 18 ans, j'avais préparé ma valise depuis très longtemps. Et à 8h du matin, j'étais déjà partie. Je suis arrivée à la gare du Nord, direct. Et puis, j'avais de la famille à la Défense, en 1992. Ils m'avaient dit, si tu as un problème, tu pourras venir nous voir. Et donc, la première chose que j'ai fait, c'est d'aller là-bas. Quand ils m'ont vu arriver, j'étais en panique, en fait. par rapport à ma famille. Et du coup, ils m'ont refusé. Du coup, je me suis retrouvée à la rue ce premier soir. Le premier soir à la rue, c'était quand je suis arrivée à Paris.

  • Speaker #1

    Ça, c'est important de le dire. C'est-à-dire que les gens comprennent que basculer dans la rue, ça peut se passer...

  • Speaker #0

    En 30 secondes. Ça peut arriver à tout le monde. Déjà, c'est ça qu'il faut dire. Ça peut arriver à tout le monde, qu'on ait une éducation ou pas, qu'on ait de l'argent ou pas, parce que l'argent, ça n'empêche pas la rue. Et puis, ça peut arriver très, très vite. Le problème, c'est que le premier soir, j'ai été violée. Le premier soir, j'ai été violée par trois hommes. Du coup, après, suite à ce viol, j'ai perdu la faculté de parler. Je suis devenue muette. Donc, je suis restée muette pendant trois ans. Et donc, pour demander de l'aide, je ne pouvais pas. Donc, c'était compliqué. Donc là, moi, je me suis cachée à la Défense, dans les sous-sols de la Défense. J'étais au moins 8, comme on dit. Il y a moins 12 étages sous la Défense. Moi, j'étais au moins 8. Et j'allais manger dans les poubelles du centre commercial. Il y avait plein de restaurants. Plein de poubelles, il y avait aussi plein d'SDF, donc il fallait se battre pour manger. Et c'est comme ça que j'arrivais à survivre en fait. Mais je ne pouvais pas demander de l'aide. Moi j'étais très seule, honnêtement, j'étais très seule en tant que SDF, en tant que femme SDF. Il fallait être seule pour être protégée, pour me protéger. J'allais vers d'autres SDF en cas d'urgence seulement. Mais j'avais compris qu'être en groupe c'est dangereux. Ça c'est toujours actuel, une personne SDF qui est partie d'un groupe. se fait attaquer par d'autres groupes, donc on ne peut pas s'en sortir. Alors qu'une personne seule, bon, peut quand même jongler. Par exemple, je n'avais pas de chien, je n'avais pas tout ce qui pouvait encombrer un SDF, je n'avais pas de... Je comprends que les gens, les SDF, ils ont besoin d'animaux pour l'affection et tout ça. Mais c'est un peu handicapant quand tu veux te sauver ou un truc comme ça. Donc moi, j'étais très seule. Après, j'ai commencé vraiment plus tard, 5 ans, 6 ans plus tard, à connaître d'autres SDF, à commencer à parler. J'ai récupéré ma parole au bout de 3 ans.

  • Speaker #1

    Comment ? Est-ce que c'est revenu comme ça un matin ?

  • Speaker #0

    Comme ça, direct. On s'est vu un matin et hop, je parlais. J'avais beaucoup de choses à dire. Du coup, j'ai été demander de l'aide et tout ça. Et là, j'ai pu communiquer avec les autres SDF. Parce que là-bas, c'est les bouches à oreilles après. Donc, il n'y a pas de livret d'adresse pour SDF. C'est des bouches à oreilles. Donc, j'avais besoin de tel problème, de tel machin. Donc, je partais à droite, à gauche grâce au conseil d'autres SDF. Donc, bon. Puis après, du coup, je me suis fait des copains, des copines. Voilà, ça commençait comme ça.

  • Speaker #1

    Il y a eu des rencontres qui vous ont marqué ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Chez mon ex-mari qui était avec moi dehors. On s'est mariés quand même. Et puis après, j'ai eu des amis, des amis femmes. Après, c'est toujours un peu compliqué la vie dehors. Il y a des jalousies. C'est les feux de l'amour version SDF. Comme dans la vie. En fait, la vie d'SDF, c'est une vie normale, entre guillemets, avec tous les problèmes qu'il peut y avoir de la vie normale. C'est juste le décor qui change, mais le reste, ça ne change pas.

  • Speaker #1

    Vous l'avez dit, on parle de faits qui ont plus de 20 ans. À l'époque, il y avait déjà des centres d'hébergement d'urgence. Est-ce que c'était une solution ?

  • Speaker #0

    Alors, il y avait déjà, mais par contre, il n'y avait pas le 115. Donc, le 115, actuellement, c'est vraiment l'association qui centralise tout, mais du coup, qui bloque tout aussi. Parce que quand il n'y a pas de place au 115, ça ne se passe plus pas. Il n'y a pas de centre d'hébergement où on peut débarquer comme ça et avoir une chance. Il faut passer par le 115, avoir un numéro d'enregistrement, nanani, nanana. Et là, ça devient compliqué, vraiment. Même nous, actuellement, avec mon association, on a du mal à aider les personnes SDAF parce que si elles ne sont pas enregistrées au 115, on ne peut rien faire. Et se faire enregistrer au 115, ça prend du temps. Alors que moi, il y a 20 ans, je pouvais venir dans n'importe quel foyer, je toquais à la porte et ils disaient Est-ce que vous avez une place ?

  • Speaker #1

    Et ça, vous avez pu trouver de l'aide aussi auprès ?

  • Speaker #0

    J'ai eu 3-4 foyers comme ça. Après, moi, comme j'étais blanche, française, de Russie, une chrétienne, j'allais plutôt dans les foyers religieux. qui m'ont quand même pas mal aidée. Après, c'est pareil, c'est comme partout, il y a des gens bien et des gens pas bien. Mais en tout cas, j'ai rencontré des gens bien. Donc, ça m'a donné l'occasion de me poser, de réfléchir, etc. De ce que je voulais faire après, etc. Mais surtout de récupérer aussi, de manger, de me laver. Et c'est petit à petit, j'ai commencé à reprendre figure humaine. Par contre, j'étais toujours violée tout le temps. Et j'ai eu deux enfants de viol dans la rue. Donc ça, c'est important aussi de le dire. Maintenant, ils ont 23 ans et 20 ans, ils vont très bien. Mais ils vivent avec moi, etc. Et ils connaissent leur histoire. Il n'y a pas de tabou, il n'y a rien.

  • Speaker #1

    Votre histoire, elle révèle toute la particularité et la violence que c'est d'être une femme et une femme seule dans la rue.

  • Speaker #0

    C'est beaucoup la violence sexuelle. Après, il y a le problème des règles aussi. Le problème d'avoir les règles dans la rue qui sont un peu compliquées. Actuellement, il y a plein d'associations qui gèrent ça, mais moi, il y a 20 ans, il n'y avait rien. Et du coup, on prenait des t-shirts, des trucs comme ça qu'on trouvait dans les poubelles pour faire des serviettes hygiéniques. Mais du coup, ce n'était pas du tout hygiénique et je m'attrapais toutes les infections du monde. Donc ça, c'était un vrai problème. Les règles dans la rue, c'est un vrai problème.

  • Speaker #1

    Vous l'avez dit, donc vous allez donner naissance à votre premier enfant dans la rue. Est-ce que ça a été une rencontre immédiate ? Comment vous avez géré cette situation inattendue ?

  • Speaker #0

    Alors, c'était vraiment inattendu. Je ne m'y attendais pas du tout. Je ne savais même pas que j'étais enceinte. J'ai fait la dernière grossesse. J'ai accouché dans la rue et les pompiers sont arrivés. Et la seule chose que moi j'ai vue, c'était le regard de mon fils. On a croisé le regard. Ça m'a fait un truc super, incroyable. Et les pompiers tout de suite m'ont dit, oui, on va vous prendre votre enfant. Parce que vous êtes SDF et tout. Et là, je me suis sauvée avec mon gamin. Parce qu'il n'était pas question que je laisse mon gamin, je ne sais pas où. Donc là, je l'ai... Je les gardais avec moi et c'est très bien. Mais il avait que deux ans et demi dehors avec moi. Donc là, c'était vraiment compliqué. J'ai réussi à l'allaiter, donc ça, c'était bien. Mais comme je ne mangeais pas, je ne mangeais pas équilibré, loin de là, du coup, je n'avais pas beaucoup de lait. On n'avait pas de couches. Alors, à l'époque, il y a 20 ans, il n'y avait que les églises qui donnaient des couches. Donc, j'allais dans les églises et je demandais des couches. Et j'allais dans les vestiaires des églises, demander des vêtements pour les bébés et tout ça. Ça, c'était super, par contre, parce que... rencontrer plein de petites grand-mères bénévoles qui étaient trop mignonnes. Ça, c'est bien. Ça, ça fait un... Moi, mon fils qui a 23 ans maintenant, il s'en souvient encore. Pour lui, c'est un pilier, quoi. Ces petites vieilles dames qui sont sûrement mortes maintenant.

  • Speaker #1

    Il y a des choses, des choses toutes simples, comme apprendre à marcher à son enfant quand on est à la rue. Ça se passe dans l'espace public. Et une chose aussi banale n'est plus aussi banale que ça, finalement.

  • Speaker #0

    En fait, comme je voulais pas qu'il... Quand on le repère, on peut trouver un porte-bébé. Et avec le porte-bébé, je le tenais contre moi. Mais beaucoup plus tard que normalement. Normalement, au bout de 7-6 mois, on le laisse gambader. Moi, jusqu'à ses 2 ans, il était en porte-bébé. Quand justement, j'étais enceinte de mon deuxième enfant, quand j'étais encore à la rue, j'ai rencontré une femme qui était médecin. Elle, elle nous a vraiment suivi. Elle a suivi toute ma grossesse, même quand j'étais dans la rue. Et après, avec une association, elle a réussi à me sortir de la rue, à me trouver un appartement où je suis assise avec mes enfants. Et elle nous a suivis tout le temps jusqu'à sa retraite. Donc ça a duré quand même au moins 5-6 ans. C'était un repère en fait.

  • Speaker #1

    J'ai entendu dire que vous étiez une grande lectrice, ou que vous l'aviez été en tout cas. Est-ce que pendant ces années difficiles, la lecture était encore présente ou pas du tout ?

  • Speaker #0

    C'était plus l'écriture. Je suis plus une grande écrivaine. Non, j'exagère de dire ça, ça fait un peu... En fait, mes parents étaient libraires. Donc la lecture pour moi, c'est déjà automatique, on va dire. J'ai une culture littéraire, mine de rien, malgré une enfance compliquée. Je passais beaucoup de temps à lire dans la librairie de mes parents. Donc j'ai quand même une culture littéraire. Après, j'aimais bien écrire et j'avais trouvé le système d'écrire pour pouvoir dégager mes émotions, etc. Du coup, j'écrivais partout. par terre, j'avais pas de cahier, j'avais rien, mais j'écrivais partout sur les trottoirs et tout ça. Donc j'écrivais, j'écrivais, j'écrivais, ça c'était clair. Et après j'écris mon livre et voilà, et même encore maintenant je suis en train d'écrire le deuxième. Donc je suis quelqu'un qui a besoin de s'exprimer par l'écriture.

  • Speaker #1

    Et ça vous a aidé dans une certaine mesure à aussi évacuer, à aussi faire ce travail ?

  • Speaker #0

    Ah oui complètement, c'est hyper thérapeutique, vraiment. Alors c'est dur de sortir parce qu'il faut tout revivre quand tu écris. Mais une fois que c'est sorti, c'est sorti. Et ça permet d'avoir... Bon, c'est fait. On peut passer à autre chose, on tourne la page. On ne peut pas tourner la page, mais on avance, on va dire, petit à petit. On met des mots sur des mots, M-A-U-X. Ça, c'est connu comme expression, mais je pense que c'est vraiment très important. Et très vite d'ailleurs, dès qu'il y a eu les réseaux sociaux, je me suis ouvert une page où je pouvais écrire des choses. A l'époque, c'était Facebook. Maintenant, c'est plus Instagram. Mais au départ, j'avais vraiment un Facebook où j'écrivais beaucoup de choses et les gens me suivaient. Parce que maintenant, les gens font des blogs et tout ça. Mais à l'époque, c'était vraiment le début. Et en plus, j'aime bien l'informatique. Donc, régulièrement, je faisais des appels pour récupérer des vieux ordinateurs. Je reformatais les trucs. Je me faisais des ordinateurs moi-même. C'était... C'était...

  • Speaker #1

    On va évoquer maintenant l'après. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous en êtes sorti ? À quel moment vous êtes revenue vers une vie plus conventionnelle ?

  • Speaker #0

    Quand j'étais dehors, j'étais enceinte de 8 mois, je crois, de mon deuxième enfant et j'avais déjà mon premier enfant. Je faisais la manche et il y a un médecin qui est venu et on a discuté tout ça. Moi, j'étais un peu sauvage. Je n'avais pas trop envie de faire connaissance avec les gens. Tous les justes qui me donnent un front, à l'époque, c'était quelques centimes d'euros. Mais je n'avais pas trop envie de raconter ma life. Et en fait, elle a commencé vraiment à travailler au corps pour que j'arrive à lui faire confiance. Et elle, de son côté, elle a commencé à regarder un peu les associations qu'il y avait autour et tout ça. Et donc, elle a trouvé une association au métro Victor Hugo, dans le 16e, qui avait une assistance sociale. et donc qui a accepté de nous recevoir elle et moi et mes enfants. Là on a monté un dossier et on a pu avoir très rapidement, une semaine je crois, un appartement HLM ici dans le

  • Speaker #1

    18ème. Est-ce que ça a été facile pour vous de vous réinstaller dans une…

  • Speaker #0

    Non c'était compliqué mais je le faisais au nom de mes enfants. Je voulais surtout que mon aîné, qui avait deux ans et quelques, un petit peu plus de deux ans, je voulais qu'il rentre à l'école. Je ne voulais pas qu'il soit un enfant SDF. Pour moi, c'était évident qu'il fallait sortir. C'était le moment. Et c'est ce qu'on a fait tout de suite. Et on a été inscrits à l'école. Or, ça a été une catastrophe, parce qu'il ne connaissait pas les autres enfants. Il s'est battu avec tous les enfants. Il a cassé la gueule à toute la classe le premier jour. Mais bon... Mais bon, voilà. J'ai eu de la chance de tomber sur une bonne école avec d'autres parents, des choses... Moi, j'ai dû apprendre aussi. Puis après, j'avais le problème de l'enfermement. Autant j'étais avec mes enfants, il n'y avait pas de souci. Et moi, me faire enfermer dans un appartement, ça a été très compliqué. Même encore maintenant, ça fait 20 ans. J'ai du mal à rester enfermée dans une pièce. N'importe où où j'aille, il faut que je sois près d'une fenêtre, il faut que je sois avec une fenêtre ouverte, je ne peux pas dormir fermée. Il y a encore plein de traumatismes de tout ça. Mais au nom des enfants, je faisais l'effort. Mais par contre, dès qu'ils se dormaient le soir, je suis allée faire un tour. J'avais besoin de prendre l'air. Pour moi, c'est important. Mais vraiment, c'est ce qui nous a sauvés, c'est cet appartement. Et puis du coup, avec la médecin, on a fait toutes les démarches pour la CAF, avoir les allocations pour les enfants et la prise en charge du loyer. Moi, je ne connaissais pas tout ça. Donc, si elle n'avait pas été là, ça aurait été la cata. Le suivi administratif des SDF, c'est vraiment hyper important parce que souvent, ils sont déconnectés de la vie et ils ne connaissent pas tout ça. Et en plus, ça change tout le temps. Même là, la CAF a encore changé des lois. Ça change tout le temps. Donc, il faut avoir des gens. compétents qui connaissent. Et ça, c'est important. Moi, dans mon association, on a des bénévoles administratifs, j'appelle ça. Ils font que ça.

  • Speaker #1

    Vous allez tout de suite ressentir le besoin d'aller aider des femmes, d'aller aider des familles aussi qui se trouvent dans la rue. Vous pouvez nous raconter comment tout ça est venu ?

  • Speaker #0

    En fait, c'était progressif. Là, je me suis retrouvée en Cité HLM et je me suis aperçue qu'il y avait beaucoup de femmes en Cité HLM qui étaient des anciens SDF et donc beaucoup avaient des enfants, mais n'avaient pas de quoi manger, n'avaient pas de quoi les habiller. Donc la première chose qu'on a fait, c'est qu'on a fait une association entre femmes voisines, mais d'anciennes SDF. C'est un truc important, donc souvent aussi femmes violées, touchées par les enfants, etc. Ça, c'était notre première association. Et à partir de là, on a commencé à construire cette aide aux femmes SDF et aux familles, qu'elles soient dans la rue ou à peine installées. Parce qu'en fait, on revient toujours à la même histoire de l'installation, c'est compliqué. Et ça, ça dure depuis 20 ans. Mon association s'occupe vraiment des deux personnes. Des femmes SDF d'un côté, des familles SDF d'un côté, mais aussi des femmes précaires qui ont été SDF et des familles précaires qui ont été SDF. C'est vraiment deux cibles différentes.

  • Speaker #1

    Et donc aujourd'hui, toute femme qui serait en situation de besoin, comment elle vous contacte ? Comment elle vous sollicite ?

  • Speaker #0

    Déjà, il y a les réseaux sociaux. En plus, moi, je suis... Je suis quelqu'un qui fait beaucoup de sensibilisation dans les médias. Souvent, quand je ne suis pas d'accord, je vais gueuler dans les médias. Donc, en fait, on m'entend. On me voit et on m'entend. Mais aussi, après, c'est entre SDF, c'est le bouche à oreille. Et puis après, là, je travaille justement à la mairie. Je travaille avec les maires d'arrondissement du 17e et du 18e, parce que c'est les plus près. Et eux travaillent quand il y a des signalements, par exemple, qui sont faits par la police ou les pompiers de femmes SDF. Ça revient à la mairie. aux maires et les maires me contactent moi. Et donc moi, en général, je repasse par la police ou les pompiers, ceux qui ont fait le signalement, et je vais rencontrer la personne SDF, mais accompagnée par la police et les pompiers. En fait, c'est tout un circuit qui me permet d'intervenir dans des situations des fois compliquées, où la police fait très peur au SDF. Et donc quelqu'un de neutre comme moi peut intervenir, et du coup ça se passe beaucoup mieux.

  • Speaker #1

    Vous faites un peu de médiation aussi ou de conciliation ?

  • Speaker #0

    Voilà, c'est une sorte de médiation, exactement.

  • Speaker #1

    Et donc votre association dont on en a parlé plusieurs fois jusqu'ici, comment elle est née et quelles sont ses missions aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Alors elle est née suite à la parution de mon livre en 2016, ça fait 8 ans. Mes années barbares, c'est mon livre que j'ai sorti avec Minou Azoulay qui est une journaliste. C'est elle qui m'a fait la proposition, moi je n'avais même pas imaginé raconter ma vie. Et donc, Minou et une autre femme sont venues me voir pour me proposer de faire ce livre. Au début, je les ai regardées et je me suis dit Oh là ! Et puis en fait, ça s'est fait naturellement et très bien. Ça s'est très bien passé. Donc ça, c'était il y a huit ans. Et du coup, j'ai dû aussi trouver le nom de Anne-Norient. Ce n'est pas mon vrai nom. J'avais trouvé un pseudo d'auteur. Donc, il a fallu travailler avec la maison d'édition pour trouver mon nom d'auteur. Je voulais absolument que ce soit un nom breton. Du coup, on a fait Anne Brest, Anne Guilvinec, Anne Saint-Malo. On a fait toutes les villes jusqu'à Anne-Lorient. Et Anne-Lorient, ça me plaisait bien. C'était tout doux et ça m'allait. Et du coup, on est resté sur Anne-Lorient. Du coup, on a sorti ce livre il y a huit ans. Ça a fait un gros buzz partout dans les médias. Après, la maison d'édition, ils ont mis le paquet aussi. Et depuis, on aide les femmes. On n'a pas d'aide, on n'a pas de subvention publique. C'est un choix de notre part. parce qu'en fait on ne veut pas être bloqué par la mairie de Paris. Mais par contre, on a des cagnottes et l'OSO sur Internet où les particuliers nous font des dons. Et quelquefois, des entreprises peuvent nous faire des dons, mais là plus directement, on donne le rive de l'assaut. Et alors selon les aides qu'on reçoit, on peut aider ou on ne peut pas aider. Ça va dépendre si on a de l'argent ou pas. C'est le nerf de la guerre.

  • Speaker #1

    Et donc, votre association, elle permet d'acheter notamment des protections hygiéniques pour les femmes, d'acheter aussi des vêtements ?

  • Speaker #0

    Voilà, exactement. En fait, d'un côté, on fait des collectes de produits hygiéniques, de nourriture, de vêtements, etc. Quand il y a des besoins spécifiques, par exemple, on vient d'acheter une armoire pour une famille, on vient d'acheter des lits. Là, il commence à arriver l'hiver, donc on commence à acheter des duvets. Là, on sort d'une période où on a acheté plein de soutiens-gorge et plein de culottes pour les femmes, parce que ça, c'est un vrai problème aussi, les sous-vêtements dans la rue. Donc, les femmes ne récupèrent que des vêtements qui sont abîmés ou pleins de sang ou déchirés. Donc, nous, on a voulu faire le geste d'acheter du neuf et de distribuer du neuf. Après, on a aussi... On a aussi, par exemple, sur Instagram, une dame qui a une maison de lingerie et qui a fait de la pub pour nous et nous a envoyé trois cartons de soutien-gorge. Donc, c'était super. Et ça, c'est une partie de notre assaut. L'autre partie, c'est la sensibilisation. Donc là, moi, je vous disais tout à l'heure, je travaille beaucoup avec les étudiants. Donc, j'ai des étudiants qui se posent beaucoup de questions sur les SDM, sur les femmes SDF. Par exemple, il y a 300 000 SDF en France. Il y a 40 de femmes et on ne les voit pas. Donc pourquoi on ne les voit pas, etc. Donc les gamins, ils ont des exposés à faire, des choses comme ça. Donc là, je prends vraiment le temps de me poser avec eux, de faire des choses avec eux. Donc ça, c'est important. Et puis après, il y a les médias, les réseaux sociaux. J'essaie de poster une fois par jour quelque chose. Plus ou moins intéressant, je pense, parce que je ne maîtrise pas tout. Par contre, j'ai des bénévoles digitaux. Donc on fait souvent des appels aux bénévoles sur Instagram. mais selon des compétences bien précises. On ne prend pas des bénévoles juste pour prendre des bénévoles. Par exemple, quand on a besoin d'un juriste, on a besoin, dans quel cas, pour faire le site Internet. Par exemple, on l'a fait faire par des bénévoles. Les suivis administratifs, donc on revient à ça. On a des suivis scolaires aussi, des choses comme ça. Et puis des gens, justement, qui veulent nous aider à faire des collectes dans les supermarchés. Parce que moi, en plus, je ne sais pas tout faire. Enfin, tout ça, je ne sais pas faire quoi. Ce qui est intéressant aussi, c'est de... prendre des bénévoles qui peuvent m'apprendre des choses. Ça, ça m'intéresse aussi.

  • Speaker #1

    On l'a dit, le récit de votre vie a été assez médiatisé, et continue de l'être encore aujourd'hui, et on le fait aussi à notre manière ici. Est-ce que vous vous sentez investie aussi de la mission d'interpeller les politiques, d'interpeller les pouvoirs publics aussi ?

  • Speaker #0

    Alors, j'y ai cru. Honnêtement, j'y ai cru. J'ai essayé. Rien du tout. On me reçoit, ça, il n'y a rien à dire. J'étais au Sénat, j'étais à la mairie de Paris, j'étais à l'Assemblée nationale. Par contre, ce qui est intéressant, c'est qu'on me reçoit aussi pour faire des rapports. ou des enquêtes. Par contre, ça, ça marche. Là, il y a une enquête qui vient de sortir au Sénat, où j'ai donné mon avis, etc. Après, ça ne change pas grand-chose au niveau du terrain. C'est-à-dire que ce n'est pas parce que je suis là qu'ils vont ouvrir un centre d'hébergement. Je ne vais pas rêver. Je suis un peu mitigée. En plus, ça change tout le temps, donc il faut gérer. Il faut suivre entre tous les ministres qui changent et tout, et qu'il faut tout refaire là. à chaque fois se représenter, qui on est, pourquoi on est là, nanani nanana. Et puis, ce qui est intéressant, c'est qu'on a été auditionnés au CESE. Donc ça, c'était important. C'était aussi une enquête. Ils ont auditionné toutes les associations d'aide aux personnes, démunies ou pas d'ailleurs. Et donc ça, c'était intéressant. Et il y a beaucoup d'associations qui aident des fermes SDF, il n'y a pas que moi. On a réussi à installer depuis l'année dernière. Une possibilité de faire un hébergement temporaire dans les salles d'attente des hôpitaux. Donc c'est une loi qui est passée. Les hôpitaux ne peuvent plus refuser une femme SDF, même un SDF homme d'ailleurs, les F en général, et encore plus avec les enfants. Ils ne peuvent pas refuser l'hébergement, même s'il n'y a pas de soins, même s'il n'y a pas besoin de rencontrer un médecin, au moins les mettre au chaud. Et ça, c'est nouveau. Et dans les maternités, les femmes et les enfants qui ont eu des bébés, la loi qu'on a mise en place doit dire que les hôpitaux doivent les garder 30 jours. Donc ça, c'était vraiment un truc qui existait déjà, en fait. Mais ça, c'est un peu selon l'hôpital et selon le directeur de l'hôpital, s'il est sympa ou pas. Mais avec la loi, en fait, on les force un petit peu à être sympas et à faire 30 jours. Et après, au bout des 30 jours, en fait, l'hôpital et les assistants sociaux des hôpitaux appellent le 115. Donc déjà, ils ont un numéro prioritaire. Alors que si c'est la femme qui appelle, elle peut attendre longtemps. Mais là, le fait que ce soit un hôpital qui appelle, c'est quand même prioritaire. Et là, donc, ils demandent un hébergement. Évidemment, il n'y en a pas, parce que tout est plein. Et du coup, là, ils remettent les femmes SDF dehors, mais c'est seulement au bout de 30 jours. Donc c'est là que nous, les hôpitaux nous appellent en nous disant on a Madame Intel qui a eu un bébé, on la met dehors, mais est-ce que vous pouvez la prendre en charge pendant une nuit ou deux, surtout si elle a besoin de soins. Et nous, on fait des mises à l'abri et c'est là qu'on a besoin d'argent pour faire des mises à l'abri d'une nuit ou deux nuits parce qu'on ne peut pas faire plus, on n'a pas les moyens parce que c'est le coût de l'hôtel, le coût de la nourriture, le coût des produits d'hygiène, etc. Donc en fait, on a quand même réussi à faire bouger les choses. Par exemple, à l'hôpital Necker, aux hôpitaux Trousseau, qui sont des hôpitaux pour les enfants, ils ont carrément libéré des immeubles dans l'hôpital, où là, ils font des mises à l'abri, et des gens qui n'ont pas besoin de soins médicaux, mais qui ont besoin d'être au chaud. Donc ça, c'est important aussi, parce que nous, on dit qu'il reste trois places à l'hôpital, il nous reste 19 places, ça m'est arrivé déjà une fois. 19 places dans cet hôpital. Donc ça nous permet, nous, de pouvoir orienter. Et puis si les femmes SDF sentent qu'elles ne sont pas bien accueillies, elles nous appellent et nous, on rappelle la loi aux infirmiers, aux urgentistes qui sont là et souvent qui ne sont pas au courant. Ils disent mais nous, on ne savait pas. Donc nous, on dit en tant qu'association, on vous rappelle la loi. Et donc ça, c'est énorme. Les bains-douches ont été beaucoup fermés pendant le confinement. Qu'est-ce que c'est un bain-douche ? C'est un endroit où on peut prendre une douche et souvent... Laver ses vêtements, il y a souvent en même temps des machines à laver. Les produits d'hygiène sont fournis, ça c'est bien aussi. Et quelques fois, il y a aussi des vêtements neufs ou au moins en bon état qui sont proposés au SDF. Le problème c'est que presque tous sont fermés maintenant. Il y en a quelques-uns qu'on vient de rouvrir là pour l'hiver, mais c'est compliqué. Une femme SDF, dans la nuit, elle ne dort pas. La nuit, elle est une pro-sexuelle et du coup, elle ne s'autorise pas à dormir de peur de se faire attaquer. Mais par contre, du coup, on est tous des êtres humains, on a besoin de dormir. Du coup, le matin, souvent, tu peux rencontrer, même dans la rue, des gens qui dorment dans des abribus. Moi, je dormais dans des abribus. Je suis quelqu'un qui peut dormir assise, tellement je suis habituée à dormir dans un abribus. Vous rencontrez des femmes et des SDF qui dorment comme ça, de manière ponctuelle. Et puis après, il y a toutes les démarches administratives qui se font la journée, parce que ce sont des centres d'accueil. Là, du coup, d'accueil de jour, on appelle ça. pour les SDF, mais bon, il y a tellement de monde, il y a tellement de queues, etc., que souvent, on n'y va pour rien. Dès qu'on arrive le matin à 9h, on repart à 18h, on n'est toujours pas passé, en vrai. Et puis, donc, les bains-douches. Donc ça, la journée, c'est dodo, faire les papiers, donc les RSA, les machins, ça, parce que c'est très compliqué. Et puis, se laver. Et ça, se laver, c'est toujours compliqué. Moi, je vois beaucoup, par exemple, sur les réseaux sociaux, il y a beaucoup de groupes pour aider les SDF, et je mets toujours en garde les jeunes femmes qui veulent aider les SDF et qui les prennent chez elles pour prendre une douche. Donc attention, un SDF ça peut être quelqu'un de très bien, mais c'est aussi un prédateur. Donc soyez prudent. Quand vous voulez aider un SDF, vous l'aidez dans un lieu public. Vous lui donnez un café dans un café, vous lui donnez... Moi je suis contre de donner de l'argent. Par exemple, vous allez devant un supermarché, vous voyez quelqu'un qui fait la manche, vous allez lui demander. Moi je fais mes courses aujourd'hui, est-ce que vous avez besoin d'un shampoing, est-ce que vous avez besoin d'un morceau de pain ? Et là, la personne va vous dire, bah oui, j'ai besoin d'une mousse à raser, j'ai besoin d'un truc comme ça. Mais ne donnez pas d'argent, allez acheter en même temps que vos courses et à la sortie, vous lui donnez. Par exemple, moi, il y a deux jours, j'ai offert un flan à une femme SDF qui n'avait plus de dents et qui se marrait parce qu'elle me dit, je ne vais pas manger de pain. Et du coup, on a trouvé la solution d'acheter un flan. Il ne faut jamais donner d'argent directement à un SDF, pas parce qu'il peut être drogué ou alcoolique. Après, je veux dire, quand vous donnez de l'argent et qu'il achète une bière, c'est sa responsabilité à lui, ce n'est pas la vôtre. Vous ne pouvez pas lui reprocher d'acheter une bière avec votre argent, ça c'est clair. Mais par contre, vous pouvez lui acheter autre chose, une bouteille d'eau, etc. C'est important d'avoir une... et puis surtout sourire à un SDF. Sourire, lui parler, lui demander comment ça va. C'est idiot, mais personne ne parle au SDF. Ou alors c'est vraiment des gens pour venir les aider, la Croix-Rouge, tout ça. Mais comme ça, on passe des SDF, on a... peur, il y a le côté miroir, on a peur d'être un jour SDF, du coup on a peur de la personne. Et puis on a peur des fois de l'agressivité de l'SDF. Les femmes SDF, elles ne sont pas du tout agressives, au contraire, elles ont très très peur de la personne en face, donc il faut plutôt les apprivoiser. Et ça, ça peut se faire avec un croissant, là il va faire froid avec un truc chaud, chocolat chaud, c'est bon pour tout le monde. Je ne sais pas, je m'éparpille un petit peu, mais... Mais c'est des petits conseils que je peux donner. Le quotidien de la femme SDF, c'est ça. Et puis après, s'il y a des enfants, c'est encore une autre histoire. Et puis après, trouver un endroit pour dormir à l'abri. Mais quand on est à Paris, parce qu'on n'est pas tous à Paris, mais quand on est à Paris, il y a quand même beaucoup d'endroits cachés. On peut trouver des petits endroits. Nous, notre association, nous arrivons d'avoir des immeubles qu'on peut squatter. en accord avec la mairie. Je ne fais pas n'importe quoi non plus, mais on peut, par exemple, si une entreprise fait faillite, elle peut nous contacter pour dire, le temps que je me remette en route pendant six mois, je vous confie mes locaux. Ça, ça m'arrive. Du coup, on a quand même, on a des locaux de bureau, mais souvent, il y a de l'eau quand même. Il y a des toilettes, on peut donner une douche, même à un enfant avec un gant de toilette. Il y a toujours des solutions un peu intermédiaires, comme ça. Mais il faut avoir de l'imagination et puis il faut avoir de la confiance avec les gens aussi.

  • Speaker #1

    Et donc, vous disiez, vous écrivez votre deuxième livre en ce moment.

  • Speaker #0

    Alors, j'écris la suite de mon livre. Le premier livre, c'est ma vie. Compliqué, mais c'est ma vie. Et là, maintenant, j'écris sur la résilience. Comment aller mieux après, en fait. Et ça, ça peut parler à tout le monde, en fait. Et on est en train aussi de faire un département résilience dans mon association, qui ne sera pas que pour les SDF, mais pour tous les gens qui ont eu des... des problèmes dans leur vie, que ce soit un burn-out, une dépression, un machin, et comment rebondir. Et je pense que ça va aussi me donner la base de mon prochain livre. En fait, ça va nourrir. Je pense que je vais faire des nouvelles rencontres. On va faire des coachings, des séminaires. On change un peu de public, mais on n'oublie pas. On garde quand même notre action sur les SDF, etc. Mais on va essayer de faire évoluer un peu les choses. Parce que justement... À part les aider psychologiquement, les SDF, nous on n'a pas d'argent pour les aider concrètement. À part faire des collectes, mais ça va pas loin. Mais nous on a besoin d'argent, on a besoin des entreprises qui se bougent pour nous aider, qui fassent des dons, on a l'habilitation de faire des réductions d'impôts, donc on a agréé, il n'y a aucun problème. Le problème c'est de se faire connaître en fait. Le problème des associations c'est qu'il y en a 15 000, 15 millions même en France. Et du coup, pour s'y reconnaître, c'est dur. Nous, on est une petite asso. On veut rester petit. On nous a proposé d'ailleurs de nous racheter. Mais c'est niette, c'est non. Nous, on a le côté humain qui est plus important que tout, en fait. Il n'est pas question qu'on rentre dans les gros trucs. On a un bureau de trois personnes, donc minimum. Et puis après, on est une trentaine de bénévoles. On est tous bénévoles. Il n'y a aucun salarié. On est tous bénévoles. On a tous notre travail à côté aussi. On est tous... Donc, des fois, on est disponible, des fois, on l'est moins. Il faut aussi respecter ça. Mais en tout cas, on fait tout notre maximum.

  • Speaker #1

    J'ai vu aussi, de manière complètement décorrélée, que vous peignez aussi. On parle de l'écriture, on parle de la lecture, on parle de tout ça. Est-ce que les arts plastiques, c'est aussi une forme d'expression pour vous aussi ?

  • Speaker #0

    Oui, peindre, c'est... Alors, je peins, c'est un grand mot, mais je n'ai jamais exposé non plus. Mais en tout cas, c'est thérapeutique. C'est thérapeutique, c'est sûr. En tout cas, c'est comme l'écriture, ça permet de sortir des choses. Le peint, alors après, c'est une question de moyens aussi. Il y a des moments où je ne peins pas parce que je n'ai pas l'argent. Il faut acheter les toiles, la peinture, ça coûte cher. Mais quand je peux, quand j'ai l'argent, là, je me fais plaisir. Alors, je peins beaucoup de l'abstrait, des choses comme ça. Donc, les gens se noient dedans pour trouver des différentes... Comment dire ? Ils essaient de comprendre ce que je fais, ce qui n'est pas toujours évident. Mais ce qui est intéressant, c'est que... À un moment, les gens les voient différemment. Mais c'est vrai que ça me permet de me poser aussi, de se dire que pendant deux heures, je vais peindre, je vais arrêter de penser à tout. Parce que moi, je suis quelqu'un de HPI, donc ça veut dire que je réfléchis tout le temps. Donc, peindre, ça me permet de me poser. Mais oui, la peinture fait partie de ma vie. C'est important.

  • Speaker #1

    Avoir traversé tout ce que vous venez de raconter ici, laisse, j'imagine, encore des séquelles aujourd'hui. Est-ce que vous arrivez aujourd'hui encore à faire confiance, par exemple, à l'autre ? Est-ce que vous arrivez à... Comment vous gérez ces séquelles ?

  • Speaker #0

    Déjà, pour gérer ma vie actuelle avec tous les traumatismes, j'ai rencontré beaucoup de traumatologues, dont Muriel Salmona, qui est la plus grande traumatologue de Paris, qui, elle, m'a fait un suivi personnalisé au départ, parce que vraiment, je suis bien abîmée. Grâce à elle, maintenant, je suis un peu plus équilibrée, on va dire. Mais j'ai encore des suivis psy, etc., pour m'aider. Et puis... Ouais, après, j'essaie d'avoir une vie normale avec un travail, des enfants, un loyer à payer. Je suis devenue une femme normale. Si la normalité existe, on peut être normale aussi dans la rue. Mais en tout cas, j'essaie de gérer au mieux. C'est pas facile.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous diriez de vous que vous êtes une femme engagée ? Ah bah oui.

  • Speaker #0

    Ah bah là, je peux pas faire mieux. Comme femme engagée, en tant que présidente d'une association d'aide aux femmes SDF. Oui, oui, je suis engagée. Je suis engagée par rapport à la vie sociale et je suis engagée par rapport à la vie politique et j'y tiens. Je pense que chacun doit faire sa part. Après, chacun, il fait ce qu'on peut. On fait ce qu'on peut. Mais je pense que si personne ne fait rien, il ne se passera rien. Oui, il faut s'engager. Je pense, en tout cas.

  • Speaker #1

    Et la dernière question de chaque épisode, ce n'est pas une question, c'est le mot de la fin. C'est des minutes que vous pouvez utiliser, vous, pour parler directement aux auditeurs.

  • Speaker #0

    Pour finir, la seule chose que j'aimerais dire, c'est que rien n'est acquis ou rien n'est définitif. Je crois que c'est important, ça. On peut être SDF et devenir une femme engagée. Et on peut être une femme engagée et devenir SDF. Ça, c'est mon mot de la fin. C'est-à-dire qu'il ne faut pas laisser s'installer des situations. Mais par contre, on peut toujours s'en sortir. Moi, j'y crois, vraiment. Par contre, il faut se battre. Tous les jours, il faut se battre. Il faut se battre tous les jours. Et puis, il faut y croire. Et moi, j'y crois. Je crois en un avenir. Je ne me suis pas battue jusqu'à maintenant pour lâcher maintenant. Donc, je continue à croire. Vous venez d'écouter un épisode du podcast Parlons Plus Bas. Cette émission est disponible sur toutes les plateformes d'écoute. Réalisation Anthony Chenu, voix off Justine Leroux. Pour échanger avec nous, rendez-vous sur le compte Instagram de l'émission.

Description

[#9 Anne Lorient : Au chevet des femmes de la rue] Dans ce neuvième épisode, Anthony Chenu rencontre Anne Lorient.


Ancienne SDF, Anne Lorient est aujourd'hui à la tête d'une association qui vient en aide aux femmes sans domicile fixe et aux familles précaires à Paris. Elle raconte comment son destin a basculé le jour de ses 18 ans lorsqu'elle a décidé de fuir le domicile familial. Après 17 années passées à la rue, Anne Lorient est parvenue à s'en sortir.


Elle a fait de cette douloureuse expérience un livre : Mes années barbares en collaboration avec la journaliste Minou Azoulai (2018). Le retentissement de son témoignage lui a permis de trouver la force de créer l'association qui porte son nom et qui lui permet d'organiser des collectes et de sensibiliser le grand public à la conditions des femmes dans la rue.


Anthony Chenu retrouve Anne Lorient dans une brasserie du 18e arrondissement de Paris.


Attention, cet épisode relate des faits de violences sexuelles qui pourraient de ne pas convenir aux auditeurs et auditrices sensibles à ces sujets.


Parlons plus bas est un podcast d'Anthony Chenu à retrouver sur toutes les plateformes et sur les comptes Instagram et Facebook de l'émission.

Voix off : Justine Leroux

Décembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est idiot, mais personne ne parle au SDF. On a peur, il y a le côté miroir, on a peur d'être un jour SDF, on a peur de la personne. Pour vous dire, les femmes SDF ne sont pas du tout agressives, au contraire, elles ont très très peur. Parlons plus bas. Podcast réalisé et présenté par Anthony Chenu.

  • Speaker #1

    Pour ce neuvième épisode, je voulais vous faire entendre la voix d'Anne Laurian, à la tête d'une association qui porte son nom. Elle vient en aide aux femmes SDF et aux familles précaires à Paris. Dans cet entretien, elle revient pour nous sur les raisons qui l'ont conduite elle-même à vivre 17 ans de sa vie à la rue avant de pouvoir s'en sortir. Cet épisode ne comporte exceptionnellement pas de reportage. J'ai tenu à la fois à donner toute sa place au récit de mon invitée et nous avons convenu ensemble de ne pas la suivre dans ses missions par dignité pour les personnes auxquelles elle vient en aide. Attention, cet épisode relate des faits de violences sexuelles qui pourraient ne pas convenir aux auditeurs et auditrices sensibles à ces sujets. Je retrouve Anne Laurian dans un café du 18e arrondissement de Paris. Il est 17h.

  • Speaker #0

    On se trouve dans un café, dans le 18e arrondissement. C'est un quartier animé, comme vous disiez, Tala. Et c'est un quartier où il se passe beaucoup de choses. C'est entre les bobos du 17e et les craqueurs du 18e. Donc il se passe énormément de choses. C'est très varié. Donc moi, j'aime bien. On est en face de la mairie où il y a tout le temps des mariages et tout. Donc moi, j'aime bien cet endroit-là. C'est un endroit qui me reflète bien.

  • Speaker #1

    Je commence toujours les épisodes en demandant aux invités de nous parler de leur enfance, de nous raconter un peu d'où ils viennent, leurs origines. Est-ce que vous accepteriez, vous, de nous raconter un peu votre enfance ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je viens du nord de la France. J'ai des origines normande et bretonne, parce qu'on en parlait tout à l'heure. Mais j'ai habité très très longtemps à Arras, donc ma petite enfance, jusqu'à mes 18 ans où je me suis sauvée en fait. J'ai subi l'inceste de mon frère dans ma famille. Et après je suis, au jour de mes 18 ans, libération quoi. J'ai pris le premier train, je suis venue à Paris. Et depuis je suis restée à Paris. Moi je rêvais de la Tour Eiffel. Je rêvais de Paris, de la liberté qu'il y avait à Paris. Je voulais surtout fuir la famille. Le jour de mes 18 ans, j'avais préparé ma valise depuis très longtemps. Et à 8h du matin, j'étais déjà partie. Je suis arrivée à la gare du Nord, direct. Et puis, j'avais de la famille à la Défense, en 1992. Ils m'avaient dit, si tu as un problème, tu pourras venir nous voir. Et donc, la première chose que j'ai fait, c'est d'aller là-bas. Quand ils m'ont vu arriver, j'étais en panique, en fait. par rapport à ma famille. Et du coup, ils m'ont refusé. Du coup, je me suis retrouvée à la rue ce premier soir. Le premier soir à la rue, c'était quand je suis arrivée à Paris.

  • Speaker #1

    Ça, c'est important de le dire. C'est-à-dire que les gens comprennent que basculer dans la rue, ça peut se passer...

  • Speaker #0

    En 30 secondes. Ça peut arriver à tout le monde. Déjà, c'est ça qu'il faut dire. Ça peut arriver à tout le monde, qu'on ait une éducation ou pas, qu'on ait de l'argent ou pas, parce que l'argent, ça n'empêche pas la rue. Et puis, ça peut arriver très, très vite. Le problème, c'est que le premier soir, j'ai été violée. Le premier soir, j'ai été violée par trois hommes. Du coup, après, suite à ce viol, j'ai perdu la faculté de parler. Je suis devenue muette. Donc, je suis restée muette pendant trois ans. Et donc, pour demander de l'aide, je ne pouvais pas. Donc, c'était compliqué. Donc là, moi, je me suis cachée à la Défense, dans les sous-sols de la Défense. J'étais au moins 8, comme on dit. Il y a moins 12 étages sous la Défense. Moi, j'étais au moins 8. Et j'allais manger dans les poubelles du centre commercial. Il y avait plein de restaurants. Plein de poubelles, il y avait aussi plein d'SDF, donc il fallait se battre pour manger. Et c'est comme ça que j'arrivais à survivre en fait. Mais je ne pouvais pas demander de l'aide. Moi j'étais très seule, honnêtement, j'étais très seule en tant que SDF, en tant que femme SDF. Il fallait être seule pour être protégée, pour me protéger. J'allais vers d'autres SDF en cas d'urgence seulement. Mais j'avais compris qu'être en groupe c'est dangereux. Ça c'est toujours actuel, une personne SDF qui est partie d'un groupe. se fait attaquer par d'autres groupes, donc on ne peut pas s'en sortir. Alors qu'une personne seule, bon, peut quand même jongler. Par exemple, je n'avais pas de chien, je n'avais pas tout ce qui pouvait encombrer un SDF, je n'avais pas de... Je comprends que les gens, les SDF, ils ont besoin d'animaux pour l'affection et tout ça. Mais c'est un peu handicapant quand tu veux te sauver ou un truc comme ça. Donc moi, j'étais très seule. Après, j'ai commencé vraiment plus tard, 5 ans, 6 ans plus tard, à connaître d'autres SDF, à commencer à parler. J'ai récupéré ma parole au bout de 3 ans.

  • Speaker #1

    Comment ? Est-ce que c'est revenu comme ça un matin ?

  • Speaker #0

    Comme ça, direct. On s'est vu un matin et hop, je parlais. J'avais beaucoup de choses à dire. Du coup, j'ai été demander de l'aide et tout ça. Et là, j'ai pu communiquer avec les autres SDF. Parce que là-bas, c'est les bouches à oreilles après. Donc, il n'y a pas de livret d'adresse pour SDF. C'est des bouches à oreilles. Donc, j'avais besoin de tel problème, de tel machin. Donc, je partais à droite, à gauche grâce au conseil d'autres SDF. Donc, bon. Puis après, du coup, je me suis fait des copains, des copines. Voilà, ça commençait comme ça.

  • Speaker #1

    Il y a eu des rencontres qui vous ont marqué ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Chez mon ex-mari qui était avec moi dehors. On s'est mariés quand même. Et puis après, j'ai eu des amis, des amis femmes. Après, c'est toujours un peu compliqué la vie dehors. Il y a des jalousies. C'est les feux de l'amour version SDF. Comme dans la vie. En fait, la vie d'SDF, c'est une vie normale, entre guillemets, avec tous les problèmes qu'il peut y avoir de la vie normale. C'est juste le décor qui change, mais le reste, ça ne change pas.

  • Speaker #1

    Vous l'avez dit, on parle de faits qui ont plus de 20 ans. À l'époque, il y avait déjà des centres d'hébergement d'urgence. Est-ce que c'était une solution ?

  • Speaker #0

    Alors, il y avait déjà, mais par contre, il n'y avait pas le 115. Donc, le 115, actuellement, c'est vraiment l'association qui centralise tout, mais du coup, qui bloque tout aussi. Parce que quand il n'y a pas de place au 115, ça ne se passe plus pas. Il n'y a pas de centre d'hébergement où on peut débarquer comme ça et avoir une chance. Il faut passer par le 115, avoir un numéro d'enregistrement, nanani, nanana. Et là, ça devient compliqué, vraiment. Même nous, actuellement, avec mon association, on a du mal à aider les personnes SDAF parce que si elles ne sont pas enregistrées au 115, on ne peut rien faire. Et se faire enregistrer au 115, ça prend du temps. Alors que moi, il y a 20 ans, je pouvais venir dans n'importe quel foyer, je toquais à la porte et ils disaient Est-ce que vous avez une place ?

  • Speaker #1

    Et ça, vous avez pu trouver de l'aide aussi auprès ?

  • Speaker #0

    J'ai eu 3-4 foyers comme ça. Après, moi, comme j'étais blanche, française, de Russie, une chrétienne, j'allais plutôt dans les foyers religieux. qui m'ont quand même pas mal aidée. Après, c'est pareil, c'est comme partout, il y a des gens bien et des gens pas bien. Mais en tout cas, j'ai rencontré des gens bien. Donc, ça m'a donné l'occasion de me poser, de réfléchir, etc. De ce que je voulais faire après, etc. Mais surtout de récupérer aussi, de manger, de me laver. Et c'est petit à petit, j'ai commencé à reprendre figure humaine. Par contre, j'étais toujours violée tout le temps. Et j'ai eu deux enfants de viol dans la rue. Donc ça, c'est important aussi de le dire. Maintenant, ils ont 23 ans et 20 ans, ils vont très bien. Mais ils vivent avec moi, etc. Et ils connaissent leur histoire. Il n'y a pas de tabou, il n'y a rien.

  • Speaker #1

    Votre histoire, elle révèle toute la particularité et la violence que c'est d'être une femme et une femme seule dans la rue.

  • Speaker #0

    C'est beaucoup la violence sexuelle. Après, il y a le problème des règles aussi. Le problème d'avoir les règles dans la rue qui sont un peu compliquées. Actuellement, il y a plein d'associations qui gèrent ça, mais moi, il y a 20 ans, il n'y avait rien. Et du coup, on prenait des t-shirts, des trucs comme ça qu'on trouvait dans les poubelles pour faire des serviettes hygiéniques. Mais du coup, ce n'était pas du tout hygiénique et je m'attrapais toutes les infections du monde. Donc ça, c'était un vrai problème. Les règles dans la rue, c'est un vrai problème.

  • Speaker #1

    Vous l'avez dit, donc vous allez donner naissance à votre premier enfant dans la rue. Est-ce que ça a été une rencontre immédiate ? Comment vous avez géré cette situation inattendue ?

  • Speaker #0

    Alors, c'était vraiment inattendu. Je ne m'y attendais pas du tout. Je ne savais même pas que j'étais enceinte. J'ai fait la dernière grossesse. J'ai accouché dans la rue et les pompiers sont arrivés. Et la seule chose que moi j'ai vue, c'était le regard de mon fils. On a croisé le regard. Ça m'a fait un truc super, incroyable. Et les pompiers tout de suite m'ont dit, oui, on va vous prendre votre enfant. Parce que vous êtes SDF et tout. Et là, je me suis sauvée avec mon gamin. Parce qu'il n'était pas question que je laisse mon gamin, je ne sais pas où. Donc là, je l'ai... Je les gardais avec moi et c'est très bien. Mais il avait que deux ans et demi dehors avec moi. Donc là, c'était vraiment compliqué. J'ai réussi à l'allaiter, donc ça, c'était bien. Mais comme je ne mangeais pas, je ne mangeais pas équilibré, loin de là, du coup, je n'avais pas beaucoup de lait. On n'avait pas de couches. Alors, à l'époque, il y a 20 ans, il n'y avait que les églises qui donnaient des couches. Donc, j'allais dans les églises et je demandais des couches. Et j'allais dans les vestiaires des églises, demander des vêtements pour les bébés et tout ça. Ça, c'était super, par contre, parce que... rencontrer plein de petites grand-mères bénévoles qui étaient trop mignonnes. Ça, c'est bien. Ça, ça fait un... Moi, mon fils qui a 23 ans maintenant, il s'en souvient encore. Pour lui, c'est un pilier, quoi. Ces petites vieilles dames qui sont sûrement mortes maintenant.

  • Speaker #1

    Il y a des choses, des choses toutes simples, comme apprendre à marcher à son enfant quand on est à la rue. Ça se passe dans l'espace public. Et une chose aussi banale n'est plus aussi banale que ça, finalement.

  • Speaker #0

    En fait, comme je voulais pas qu'il... Quand on le repère, on peut trouver un porte-bébé. Et avec le porte-bébé, je le tenais contre moi. Mais beaucoup plus tard que normalement. Normalement, au bout de 7-6 mois, on le laisse gambader. Moi, jusqu'à ses 2 ans, il était en porte-bébé. Quand justement, j'étais enceinte de mon deuxième enfant, quand j'étais encore à la rue, j'ai rencontré une femme qui était médecin. Elle, elle nous a vraiment suivi. Elle a suivi toute ma grossesse, même quand j'étais dans la rue. Et après, avec une association, elle a réussi à me sortir de la rue, à me trouver un appartement où je suis assise avec mes enfants. Et elle nous a suivis tout le temps jusqu'à sa retraite. Donc ça a duré quand même au moins 5-6 ans. C'était un repère en fait.

  • Speaker #1

    J'ai entendu dire que vous étiez une grande lectrice, ou que vous l'aviez été en tout cas. Est-ce que pendant ces années difficiles, la lecture était encore présente ou pas du tout ?

  • Speaker #0

    C'était plus l'écriture. Je suis plus une grande écrivaine. Non, j'exagère de dire ça, ça fait un peu... En fait, mes parents étaient libraires. Donc la lecture pour moi, c'est déjà automatique, on va dire. J'ai une culture littéraire, mine de rien, malgré une enfance compliquée. Je passais beaucoup de temps à lire dans la librairie de mes parents. Donc j'ai quand même une culture littéraire. Après, j'aimais bien écrire et j'avais trouvé le système d'écrire pour pouvoir dégager mes émotions, etc. Du coup, j'écrivais partout. par terre, j'avais pas de cahier, j'avais rien, mais j'écrivais partout sur les trottoirs et tout ça. Donc j'écrivais, j'écrivais, j'écrivais, ça c'était clair. Et après j'écris mon livre et voilà, et même encore maintenant je suis en train d'écrire le deuxième. Donc je suis quelqu'un qui a besoin de s'exprimer par l'écriture.

  • Speaker #1

    Et ça vous a aidé dans une certaine mesure à aussi évacuer, à aussi faire ce travail ?

  • Speaker #0

    Ah oui complètement, c'est hyper thérapeutique, vraiment. Alors c'est dur de sortir parce qu'il faut tout revivre quand tu écris. Mais une fois que c'est sorti, c'est sorti. Et ça permet d'avoir... Bon, c'est fait. On peut passer à autre chose, on tourne la page. On ne peut pas tourner la page, mais on avance, on va dire, petit à petit. On met des mots sur des mots, M-A-U-X. Ça, c'est connu comme expression, mais je pense que c'est vraiment très important. Et très vite d'ailleurs, dès qu'il y a eu les réseaux sociaux, je me suis ouvert une page où je pouvais écrire des choses. A l'époque, c'était Facebook. Maintenant, c'est plus Instagram. Mais au départ, j'avais vraiment un Facebook où j'écrivais beaucoup de choses et les gens me suivaient. Parce que maintenant, les gens font des blogs et tout ça. Mais à l'époque, c'était vraiment le début. Et en plus, j'aime bien l'informatique. Donc, régulièrement, je faisais des appels pour récupérer des vieux ordinateurs. Je reformatais les trucs. Je me faisais des ordinateurs moi-même. C'était... C'était...

  • Speaker #1

    On va évoquer maintenant l'après. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous en êtes sorti ? À quel moment vous êtes revenue vers une vie plus conventionnelle ?

  • Speaker #0

    Quand j'étais dehors, j'étais enceinte de 8 mois, je crois, de mon deuxième enfant et j'avais déjà mon premier enfant. Je faisais la manche et il y a un médecin qui est venu et on a discuté tout ça. Moi, j'étais un peu sauvage. Je n'avais pas trop envie de faire connaissance avec les gens. Tous les justes qui me donnent un front, à l'époque, c'était quelques centimes d'euros. Mais je n'avais pas trop envie de raconter ma life. Et en fait, elle a commencé vraiment à travailler au corps pour que j'arrive à lui faire confiance. Et elle, de son côté, elle a commencé à regarder un peu les associations qu'il y avait autour et tout ça. Et donc, elle a trouvé une association au métro Victor Hugo, dans le 16e, qui avait une assistance sociale. et donc qui a accepté de nous recevoir elle et moi et mes enfants. Là on a monté un dossier et on a pu avoir très rapidement, une semaine je crois, un appartement HLM ici dans le

  • Speaker #1

    18ème. Est-ce que ça a été facile pour vous de vous réinstaller dans une…

  • Speaker #0

    Non c'était compliqué mais je le faisais au nom de mes enfants. Je voulais surtout que mon aîné, qui avait deux ans et quelques, un petit peu plus de deux ans, je voulais qu'il rentre à l'école. Je ne voulais pas qu'il soit un enfant SDF. Pour moi, c'était évident qu'il fallait sortir. C'était le moment. Et c'est ce qu'on a fait tout de suite. Et on a été inscrits à l'école. Or, ça a été une catastrophe, parce qu'il ne connaissait pas les autres enfants. Il s'est battu avec tous les enfants. Il a cassé la gueule à toute la classe le premier jour. Mais bon... Mais bon, voilà. J'ai eu de la chance de tomber sur une bonne école avec d'autres parents, des choses... Moi, j'ai dû apprendre aussi. Puis après, j'avais le problème de l'enfermement. Autant j'étais avec mes enfants, il n'y avait pas de souci. Et moi, me faire enfermer dans un appartement, ça a été très compliqué. Même encore maintenant, ça fait 20 ans. J'ai du mal à rester enfermée dans une pièce. N'importe où où j'aille, il faut que je sois près d'une fenêtre, il faut que je sois avec une fenêtre ouverte, je ne peux pas dormir fermée. Il y a encore plein de traumatismes de tout ça. Mais au nom des enfants, je faisais l'effort. Mais par contre, dès qu'ils se dormaient le soir, je suis allée faire un tour. J'avais besoin de prendre l'air. Pour moi, c'est important. Mais vraiment, c'est ce qui nous a sauvés, c'est cet appartement. Et puis du coup, avec la médecin, on a fait toutes les démarches pour la CAF, avoir les allocations pour les enfants et la prise en charge du loyer. Moi, je ne connaissais pas tout ça. Donc, si elle n'avait pas été là, ça aurait été la cata. Le suivi administratif des SDF, c'est vraiment hyper important parce que souvent, ils sont déconnectés de la vie et ils ne connaissent pas tout ça. Et en plus, ça change tout le temps. Même là, la CAF a encore changé des lois. Ça change tout le temps. Donc, il faut avoir des gens. compétents qui connaissent. Et ça, c'est important. Moi, dans mon association, on a des bénévoles administratifs, j'appelle ça. Ils font que ça.

  • Speaker #1

    Vous allez tout de suite ressentir le besoin d'aller aider des femmes, d'aller aider des familles aussi qui se trouvent dans la rue. Vous pouvez nous raconter comment tout ça est venu ?

  • Speaker #0

    En fait, c'était progressif. Là, je me suis retrouvée en Cité HLM et je me suis aperçue qu'il y avait beaucoup de femmes en Cité HLM qui étaient des anciens SDF et donc beaucoup avaient des enfants, mais n'avaient pas de quoi manger, n'avaient pas de quoi les habiller. Donc la première chose qu'on a fait, c'est qu'on a fait une association entre femmes voisines, mais d'anciennes SDF. C'est un truc important, donc souvent aussi femmes violées, touchées par les enfants, etc. Ça, c'était notre première association. Et à partir de là, on a commencé à construire cette aide aux femmes SDF et aux familles, qu'elles soient dans la rue ou à peine installées. Parce qu'en fait, on revient toujours à la même histoire de l'installation, c'est compliqué. Et ça, ça dure depuis 20 ans. Mon association s'occupe vraiment des deux personnes. Des femmes SDF d'un côté, des familles SDF d'un côté, mais aussi des femmes précaires qui ont été SDF et des familles précaires qui ont été SDF. C'est vraiment deux cibles différentes.

  • Speaker #1

    Et donc aujourd'hui, toute femme qui serait en situation de besoin, comment elle vous contacte ? Comment elle vous sollicite ?

  • Speaker #0

    Déjà, il y a les réseaux sociaux. En plus, moi, je suis... Je suis quelqu'un qui fait beaucoup de sensibilisation dans les médias. Souvent, quand je ne suis pas d'accord, je vais gueuler dans les médias. Donc, en fait, on m'entend. On me voit et on m'entend. Mais aussi, après, c'est entre SDF, c'est le bouche à oreille. Et puis après, là, je travaille justement à la mairie. Je travaille avec les maires d'arrondissement du 17e et du 18e, parce que c'est les plus près. Et eux travaillent quand il y a des signalements, par exemple, qui sont faits par la police ou les pompiers de femmes SDF. Ça revient à la mairie. aux maires et les maires me contactent moi. Et donc moi, en général, je repasse par la police ou les pompiers, ceux qui ont fait le signalement, et je vais rencontrer la personne SDF, mais accompagnée par la police et les pompiers. En fait, c'est tout un circuit qui me permet d'intervenir dans des situations des fois compliquées, où la police fait très peur au SDF. Et donc quelqu'un de neutre comme moi peut intervenir, et du coup ça se passe beaucoup mieux.

  • Speaker #1

    Vous faites un peu de médiation aussi ou de conciliation ?

  • Speaker #0

    Voilà, c'est une sorte de médiation, exactement.

  • Speaker #1

    Et donc votre association dont on en a parlé plusieurs fois jusqu'ici, comment elle est née et quelles sont ses missions aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Alors elle est née suite à la parution de mon livre en 2016, ça fait 8 ans. Mes années barbares, c'est mon livre que j'ai sorti avec Minou Azoulay qui est une journaliste. C'est elle qui m'a fait la proposition, moi je n'avais même pas imaginé raconter ma vie. Et donc, Minou et une autre femme sont venues me voir pour me proposer de faire ce livre. Au début, je les ai regardées et je me suis dit Oh là ! Et puis en fait, ça s'est fait naturellement et très bien. Ça s'est très bien passé. Donc ça, c'était il y a huit ans. Et du coup, j'ai dû aussi trouver le nom de Anne-Norient. Ce n'est pas mon vrai nom. J'avais trouvé un pseudo d'auteur. Donc, il a fallu travailler avec la maison d'édition pour trouver mon nom d'auteur. Je voulais absolument que ce soit un nom breton. Du coup, on a fait Anne Brest, Anne Guilvinec, Anne Saint-Malo. On a fait toutes les villes jusqu'à Anne-Lorient. Et Anne-Lorient, ça me plaisait bien. C'était tout doux et ça m'allait. Et du coup, on est resté sur Anne-Lorient. Du coup, on a sorti ce livre il y a huit ans. Ça a fait un gros buzz partout dans les médias. Après, la maison d'édition, ils ont mis le paquet aussi. Et depuis, on aide les femmes. On n'a pas d'aide, on n'a pas de subvention publique. C'est un choix de notre part. parce qu'en fait on ne veut pas être bloqué par la mairie de Paris. Mais par contre, on a des cagnottes et l'OSO sur Internet où les particuliers nous font des dons. Et quelquefois, des entreprises peuvent nous faire des dons, mais là plus directement, on donne le rive de l'assaut. Et alors selon les aides qu'on reçoit, on peut aider ou on ne peut pas aider. Ça va dépendre si on a de l'argent ou pas. C'est le nerf de la guerre.

  • Speaker #1

    Et donc, votre association, elle permet d'acheter notamment des protections hygiéniques pour les femmes, d'acheter aussi des vêtements ?

  • Speaker #0

    Voilà, exactement. En fait, d'un côté, on fait des collectes de produits hygiéniques, de nourriture, de vêtements, etc. Quand il y a des besoins spécifiques, par exemple, on vient d'acheter une armoire pour une famille, on vient d'acheter des lits. Là, il commence à arriver l'hiver, donc on commence à acheter des duvets. Là, on sort d'une période où on a acheté plein de soutiens-gorge et plein de culottes pour les femmes, parce que ça, c'est un vrai problème aussi, les sous-vêtements dans la rue. Donc, les femmes ne récupèrent que des vêtements qui sont abîmés ou pleins de sang ou déchirés. Donc, nous, on a voulu faire le geste d'acheter du neuf et de distribuer du neuf. Après, on a aussi... On a aussi, par exemple, sur Instagram, une dame qui a une maison de lingerie et qui a fait de la pub pour nous et nous a envoyé trois cartons de soutien-gorge. Donc, c'était super. Et ça, c'est une partie de notre assaut. L'autre partie, c'est la sensibilisation. Donc là, moi, je vous disais tout à l'heure, je travaille beaucoup avec les étudiants. Donc, j'ai des étudiants qui se posent beaucoup de questions sur les SDM, sur les femmes SDF. Par exemple, il y a 300 000 SDF en France. Il y a 40 de femmes et on ne les voit pas. Donc pourquoi on ne les voit pas, etc. Donc les gamins, ils ont des exposés à faire, des choses comme ça. Donc là, je prends vraiment le temps de me poser avec eux, de faire des choses avec eux. Donc ça, c'est important. Et puis après, il y a les médias, les réseaux sociaux. J'essaie de poster une fois par jour quelque chose. Plus ou moins intéressant, je pense, parce que je ne maîtrise pas tout. Par contre, j'ai des bénévoles digitaux. Donc on fait souvent des appels aux bénévoles sur Instagram. mais selon des compétences bien précises. On ne prend pas des bénévoles juste pour prendre des bénévoles. Par exemple, quand on a besoin d'un juriste, on a besoin, dans quel cas, pour faire le site Internet. Par exemple, on l'a fait faire par des bénévoles. Les suivis administratifs, donc on revient à ça. On a des suivis scolaires aussi, des choses comme ça. Et puis des gens, justement, qui veulent nous aider à faire des collectes dans les supermarchés. Parce que moi, en plus, je ne sais pas tout faire. Enfin, tout ça, je ne sais pas faire quoi. Ce qui est intéressant aussi, c'est de... prendre des bénévoles qui peuvent m'apprendre des choses. Ça, ça m'intéresse aussi.

  • Speaker #1

    On l'a dit, le récit de votre vie a été assez médiatisé, et continue de l'être encore aujourd'hui, et on le fait aussi à notre manière ici. Est-ce que vous vous sentez investie aussi de la mission d'interpeller les politiques, d'interpeller les pouvoirs publics aussi ?

  • Speaker #0

    Alors, j'y ai cru. Honnêtement, j'y ai cru. J'ai essayé. Rien du tout. On me reçoit, ça, il n'y a rien à dire. J'étais au Sénat, j'étais à la mairie de Paris, j'étais à l'Assemblée nationale. Par contre, ce qui est intéressant, c'est qu'on me reçoit aussi pour faire des rapports. ou des enquêtes. Par contre, ça, ça marche. Là, il y a une enquête qui vient de sortir au Sénat, où j'ai donné mon avis, etc. Après, ça ne change pas grand-chose au niveau du terrain. C'est-à-dire que ce n'est pas parce que je suis là qu'ils vont ouvrir un centre d'hébergement. Je ne vais pas rêver. Je suis un peu mitigée. En plus, ça change tout le temps, donc il faut gérer. Il faut suivre entre tous les ministres qui changent et tout, et qu'il faut tout refaire là. à chaque fois se représenter, qui on est, pourquoi on est là, nanani nanana. Et puis, ce qui est intéressant, c'est qu'on a été auditionnés au CESE. Donc ça, c'était important. C'était aussi une enquête. Ils ont auditionné toutes les associations d'aide aux personnes, démunies ou pas d'ailleurs. Et donc ça, c'était intéressant. Et il y a beaucoup d'associations qui aident des fermes SDF, il n'y a pas que moi. On a réussi à installer depuis l'année dernière. Une possibilité de faire un hébergement temporaire dans les salles d'attente des hôpitaux. Donc c'est une loi qui est passée. Les hôpitaux ne peuvent plus refuser une femme SDF, même un SDF homme d'ailleurs, les F en général, et encore plus avec les enfants. Ils ne peuvent pas refuser l'hébergement, même s'il n'y a pas de soins, même s'il n'y a pas besoin de rencontrer un médecin, au moins les mettre au chaud. Et ça, c'est nouveau. Et dans les maternités, les femmes et les enfants qui ont eu des bébés, la loi qu'on a mise en place doit dire que les hôpitaux doivent les garder 30 jours. Donc ça, c'était vraiment un truc qui existait déjà, en fait. Mais ça, c'est un peu selon l'hôpital et selon le directeur de l'hôpital, s'il est sympa ou pas. Mais avec la loi, en fait, on les force un petit peu à être sympas et à faire 30 jours. Et après, au bout des 30 jours, en fait, l'hôpital et les assistants sociaux des hôpitaux appellent le 115. Donc déjà, ils ont un numéro prioritaire. Alors que si c'est la femme qui appelle, elle peut attendre longtemps. Mais là, le fait que ce soit un hôpital qui appelle, c'est quand même prioritaire. Et là, donc, ils demandent un hébergement. Évidemment, il n'y en a pas, parce que tout est plein. Et du coup, là, ils remettent les femmes SDF dehors, mais c'est seulement au bout de 30 jours. Donc c'est là que nous, les hôpitaux nous appellent en nous disant on a Madame Intel qui a eu un bébé, on la met dehors, mais est-ce que vous pouvez la prendre en charge pendant une nuit ou deux, surtout si elle a besoin de soins. Et nous, on fait des mises à l'abri et c'est là qu'on a besoin d'argent pour faire des mises à l'abri d'une nuit ou deux nuits parce qu'on ne peut pas faire plus, on n'a pas les moyens parce que c'est le coût de l'hôtel, le coût de la nourriture, le coût des produits d'hygiène, etc. Donc en fait, on a quand même réussi à faire bouger les choses. Par exemple, à l'hôpital Necker, aux hôpitaux Trousseau, qui sont des hôpitaux pour les enfants, ils ont carrément libéré des immeubles dans l'hôpital, où là, ils font des mises à l'abri, et des gens qui n'ont pas besoin de soins médicaux, mais qui ont besoin d'être au chaud. Donc ça, c'est important aussi, parce que nous, on dit qu'il reste trois places à l'hôpital, il nous reste 19 places, ça m'est arrivé déjà une fois. 19 places dans cet hôpital. Donc ça nous permet, nous, de pouvoir orienter. Et puis si les femmes SDF sentent qu'elles ne sont pas bien accueillies, elles nous appellent et nous, on rappelle la loi aux infirmiers, aux urgentistes qui sont là et souvent qui ne sont pas au courant. Ils disent mais nous, on ne savait pas. Donc nous, on dit en tant qu'association, on vous rappelle la loi. Et donc ça, c'est énorme. Les bains-douches ont été beaucoup fermés pendant le confinement. Qu'est-ce que c'est un bain-douche ? C'est un endroit où on peut prendre une douche et souvent... Laver ses vêtements, il y a souvent en même temps des machines à laver. Les produits d'hygiène sont fournis, ça c'est bien aussi. Et quelques fois, il y a aussi des vêtements neufs ou au moins en bon état qui sont proposés au SDF. Le problème c'est que presque tous sont fermés maintenant. Il y en a quelques-uns qu'on vient de rouvrir là pour l'hiver, mais c'est compliqué. Une femme SDF, dans la nuit, elle ne dort pas. La nuit, elle est une pro-sexuelle et du coup, elle ne s'autorise pas à dormir de peur de se faire attaquer. Mais par contre, du coup, on est tous des êtres humains, on a besoin de dormir. Du coup, le matin, souvent, tu peux rencontrer, même dans la rue, des gens qui dorment dans des abribus. Moi, je dormais dans des abribus. Je suis quelqu'un qui peut dormir assise, tellement je suis habituée à dormir dans un abribus. Vous rencontrez des femmes et des SDF qui dorment comme ça, de manière ponctuelle. Et puis après, il y a toutes les démarches administratives qui se font la journée, parce que ce sont des centres d'accueil. Là, du coup, d'accueil de jour, on appelle ça. pour les SDF, mais bon, il y a tellement de monde, il y a tellement de queues, etc., que souvent, on n'y va pour rien. Dès qu'on arrive le matin à 9h, on repart à 18h, on n'est toujours pas passé, en vrai. Et puis, donc, les bains-douches. Donc ça, la journée, c'est dodo, faire les papiers, donc les RSA, les machins, ça, parce que c'est très compliqué. Et puis, se laver. Et ça, se laver, c'est toujours compliqué. Moi, je vois beaucoup, par exemple, sur les réseaux sociaux, il y a beaucoup de groupes pour aider les SDF, et je mets toujours en garde les jeunes femmes qui veulent aider les SDF et qui les prennent chez elles pour prendre une douche. Donc attention, un SDF ça peut être quelqu'un de très bien, mais c'est aussi un prédateur. Donc soyez prudent. Quand vous voulez aider un SDF, vous l'aidez dans un lieu public. Vous lui donnez un café dans un café, vous lui donnez... Moi je suis contre de donner de l'argent. Par exemple, vous allez devant un supermarché, vous voyez quelqu'un qui fait la manche, vous allez lui demander. Moi je fais mes courses aujourd'hui, est-ce que vous avez besoin d'un shampoing, est-ce que vous avez besoin d'un morceau de pain ? Et là, la personne va vous dire, bah oui, j'ai besoin d'une mousse à raser, j'ai besoin d'un truc comme ça. Mais ne donnez pas d'argent, allez acheter en même temps que vos courses et à la sortie, vous lui donnez. Par exemple, moi, il y a deux jours, j'ai offert un flan à une femme SDF qui n'avait plus de dents et qui se marrait parce qu'elle me dit, je ne vais pas manger de pain. Et du coup, on a trouvé la solution d'acheter un flan. Il ne faut jamais donner d'argent directement à un SDF, pas parce qu'il peut être drogué ou alcoolique. Après, je veux dire, quand vous donnez de l'argent et qu'il achète une bière, c'est sa responsabilité à lui, ce n'est pas la vôtre. Vous ne pouvez pas lui reprocher d'acheter une bière avec votre argent, ça c'est clair. Mais par contre, vous pouvez lui acheter autre chose, une bouteille d'eau, etc. C'est important d'avoir une... et puis surtout sourire à un SDF. Sourire, lui parler, lui demander comment ça va. C'est idiot, mais personne ne parle au SDF. Ou alors c'est vraiment des gens pour venir les aider, la Croix-Rouge, tout ça. Mais comme ça, on passe des SDF, on a... peur, il y a le côté miroir, on a peur d'être un jour SDF, du coup on a peur de la personne. Et puis on a peur des fois de l'agressivité de l'SDF. Les femmes SDF, elles ne sont pas du tout agressives, au contraire, elles ont très très peur de la personne en face, donc il faut plutôt les apprivoiser. Et ça, ça peut se faire avec un croissant, là il va faire froid avec un truc chaud, chocolat chaud, c'est bon pour tout le monde. Je ne sais pas, je m'éparpille un petit peu, mais... Mais c'est des petits conseils que je peux donner. Le quotidien de la femme SDF, c'est ça. Et puis après, s'il y a des enfants, c'est encore une autre histoire. Et puis après, trouver un endroit pour dormir à l'abri. Mais quand on est à Paris, parce qu'on n'est pas tous à Paris, mais quand on est à Paris, il y a quand même beaucoup d'endroits cachés. On peut trouver des petits endroits. Nous, notre association, nous arrivons d'avoir des immeubles qu'on peut squatter. en accord avec la mairie. Je ne fais pas n'importe quoi non plus, mais on peut, par exemple, si une entreprise fait faillite, elle peut nous contacter pour dire, le temps que je me remette en route pendant six mois, je vous confie mes locaux. Ça, ça m'arrive. Du coup, on a quand même, on a des locaux de bureau, mais souvent, il y a de l'eau quand même. Il y a des toilettes, on peut donner une douche, même à un enfant avec un gant de toilette. Il y a toujours des solutions un peu intermédiaires, comme ça. Mais il faut avoir de l'imagination et puis il faut avoir de la confiance avec les gens aussi.

  • Speaker #1

    Et donc, vous disiez, vous écrivez votre deuxième livre en ce moment.

  • Speaker #0

    Alors, j'écris la suite de mon livre. Le premier livre, c'est ma vie. Compliqué, mais c'est ma vie. Et là, maintenant, j'écris sur la résilience. Comment aller mieux après, en fait. Et ça, ça peut parler à tout le monde, en fait. Et on est en train aussi de faire un département résilience dans mon association, qui ne sera pas que pour les SDF, mais pour tous les gens qui ont eu des... des problèmes dans leur vie, que ce soit un burn-out, une dépression, un machin, et comment rebondir. Et je pense que ça va aussi me donner la base de mon prochain livre. En fait, ça va nourrir. Je pense que je vais faire des nouvelles rencontres. On va faire des coachings, des séminaires. On change un peu de public, mais on n'oublie pas. On garde quand même notre action sur les SDF, etc. Mais on va essayer de faire évoluer un peu les choses. Parce que justement... À part les aider psychologiquement, les SDF, nous on n'a pas d'argent pour les aider concrètement. À part faire des collectes, mais ça va pas loin. Mais nous on a besoin d'argent, on a besoin des entreprises qui se bougent pour nous aider, qui fassent des dons, on a l'habilitation de faire des réductions d'impôts, donc on a agréé, il n'y a aucun problème. Le problème c'est de se faire connaître en fait. Le problème des associations c'est qu'il y en a 15 000, 15 millions même en France. Et du coup, pour s'y reconnaître, c'est dur. Nous, on est une petite asso. On veut rester petit. On nous a proposé d'ailleurs de nous racheter. Mais c'est niette, c'est non. Nous, on a le côté humain qui est plus important que tout, en fait. Il n'est pas question qu'on rentre dans les gros trucs. On a un bureau de trois personnes, donc minimum. Et puis après, on est une trentaine de bénévoles. On est tous bénévoles. Il n'y a aucun salarié. On est tous bénévoles. On a tous notre travail à côté aussi. On est tous... Donc, des fois, on est disponible, des fois, on l'est moins. Il faut aussi respecter ça. Mais en tout cas, on fait tout notre maximum.

  • Speaker #1

    J'ai vu aussi, de manière complètement décorrélée, que vous peignez aussi. On parle de l'écriture, on parle de la lecture, on parle de tout ça. Est-ce que les arts plastiques, c'est aussi une forme d'expression pour vous aussi ?

  • Speaker #0

    Oui, peindre, c'est... Alors, je peins, c'est un grand mot, mais je n'ai jamais exposé non plus. Mais en tout cas, c'est thérapeutique. C'est thérapeutique, c'est sûr. En tout cas, c'est comme l'écriture, ça permet de sortir des choses. Le peint, alors après, c'est une question de moyens aussi. Il y a des moments où je ne peins pas parce que je n'ai pas l'argent. Il faut acheter les toiles, la peinture, ça coûte cher. Mais quand je peux, quand j'ai l'argent, là, je me fais plaisir. Alors, je peins beaucoup de l'abstrait, des choses comme ça. Donc, les gens se noient dedans pour trouver des différentes... Comment dire ? Ils essaient de comprendre ce que je fais, ce qui n'est pas toujours évident. Mais ce qui est intéressant, c'est que... À un moment, les gens les voient différemment. Mais c'est vrai que ça me permet de me poser aussi, de se dire que pendant deux heures, je vais peindre, je vais arrêter de penser à tout. Parce que moi, je suis quelqu'un de HPI, donc ça veut dire que je réfléchis tout le temps. Donc, peindre, ça me permet de me poser. Mais oui, la peinture fait partie de ma vie. C'est important.

  • Speaker #1

    Avoir traversé tout ce que vous venez de raconter ici, laisse, j'imagine, encore des séquelles aujourd'hui. Est-ce que vous arrivez aujourd'hui encore à faire confiance, par exemple, à l'autre ? Est-ce que vous arrivez à... Comment vous gérez ces séquelles ?

  • Speaker #0

    Déjà, pour gérer ma vie actuelle avec tous les traumatismes, j'ai rencontré beaucoup de traumatologues, dont Muriel Salmona, qui est la plus grande traumatologue de Paris, qui, elle, m'a fait un suivi personnalisé au départ, parce que vraiment, je suis bien abîmée. Grâce à elle, maintenant, je suis un peu plus équilibrée, on va dire. Mais j'ai encore des suivis psy, etc., pour m'aider. Et puis... Ouais, après, j'essaie d'avoir une vie normale avec un travail, des enfants, un loyer à payer. Je suis devenue une femme normale. Si la normalité existe, on peut être normale aussi dans la rue. Mais en tout cas, j'essaie de gérer au mieux. C'est pas facile.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous diriez de vous que vous êtes une femme engagée ? Ah bah oui.

  • Speaker #0

    Ah bah là, je peux pas faire mieux. Comme femme engagée, en tant que présidente d'une association d'aide aux femmes SDF. Oui, oui, je suis engagée. Je suis engagée par rapport à la vie sociale et je suis engagée par rapport à la vie politique et j'y tiens. Je pense que chacun doit faire sa part. Après, chacun, il fait ce qu'on peut. On fait ce qu'on peut. Mais je pense que si personne ne fait rien, il ne se passera rien. Oui, il faut s'engager. Je pense, en tout cas.

  • Speaker #1

    Et la dernière question de chaque épisode, ce n'est pas une question, c'est le mot de la fin. C'est des minutes que vous pouvez utiliser, vous, pour parler directement aux auditeurs.

  • Speaker #0

    Pour finir, la seule chose que j'aimerais dire, c'est que rien n'est acquis ou rien n'est définitif. Je crois que c'est important, ça. On peut être SDF et devenir une femme engagée. Et on peut être une femme engagée et devenir SDF. Ça, c'est mon mot de la fin. C'est-à-dire qu'il ne faut pas laisser s'installer des situations. Mais par contre, on peut toujours s'en sortir. Moi, j'y crois, vraiment. Par contre, il faut se battre. Tous les jours, il faut se battre. Il faut se battre tous les jours. Et puis, il faut y croire. Et moi, j'y crois. Je crois en un avenir. Je ne me suis pas battue jusqu'à maintenant pour lâcher maintenant. Donc, je continue à croire. Vous venez d'écouter un épisode du podcast Parlons Plus Bas. Cette émission est disponible sur toutes les plateformes d'écoute. Réalisation Anthony Chenu, voix off Justine Leroux. Pour échanger avec nous, rendez-vous sur le compte Instagram de l'émission.

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Description

[#9 Anne Lorient : Au chevet des femmes de la rue] Dans ce neuvième épisode, Anthony Chenu rencontre Anne Lorient.


Ancienne SDF, Anne Lorient est aujourd'hui à la tête d'une association qui vient en aide aux femmes sans domicile fixe et aux familles précaires à Paris. Elle raconte comment son destin a basculé le jour de ses 18 ans lorsqu'elle a décidé de fuir le domicile familial. Après 17 années passées à la rue, Anne Lorient est parvenue à s'en sortir.


Elle a fait de cette douloureuse expérience un livre : Mes années barbares en collaboration avec la journaliste Minou Azoulai (2018). Le retentissement de son témoignage lui a permis de trouver la force de créer l'association qui porte son nom et qui lui permet d'organiser des collectes et de sensibiliser le grand public à la conditions des femmes dans la rue.


Anthony Chenu retrouve Anne Lorient dans une brasserie du 18e arrondissement de Paris.


Attention, cet épisode relate des faits de violences sexuelles qui pourraient de ne pas convenir aux auditeurs et auditrices sensibles à ces sujets.


Parlons plus bas est un podcast d'Anthony Chenu à retrouver sur toutes les plateformes et sur les comptes Instagram et Facebook de l'émission.

Voix off : Justine Leroux

Décembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est idiot, mais personne ne parle au SDF. On a peur, il y a le côté miroir, on a peur d'être un jour SDF, on a peur de la personne. Pour vous dire, les femmes SDF ne sont pas du tout agressives, au contraire, elles ont très très peur. Parlons plus bas. Podcast réalisé et présenté par Anthony Chenu.

  • Speaker #1

    Pour ce neuvième épisode, je voulais vous faire entendre la voix d'Anne Laurian, à la tête d'une association qui porte son nom. Elle vient en aide aux femmes SDF et aux familles précaires à Paris. Dans cet entretien, elle revient pour nous sur les raisons qui l'ont conduite elle-même à vivre 17 ans de sa vie à la rue avant de pouvoir s'en sortir. Cet épisode ne comporte exceptionnellement pas de reportage. J'ai tenu à la fois à donner toute sa place au récit de mon invitée et nous avons convenu ensemble de ne pas la suivre dans ses missions par dignité pour les personnes auxquelles elle vient en aide. Attention, cet épisode relate des faits de violences sexuelles qui pourraient ne pas convenir aux auditeurs et auditrices sensibles à ces sujets. Je retrouve Anne Laurian dans un café du 18e arrondissement de Paris. Il est 17h.

  • Speaker #0

    On se trouve dans un café, dans le 18e arrondissement. C'est un quartier animé, comme vous disiez, Tala. Et c'est un quartier où il se passe beaucoup de choses. C'est entre les bobos du 17e et les craqueurs du 18e. Donc il se passe énormément de choses. C'est très varié. Donc moi, j'aime bien. On est en face de la mairie où il y a tout le temps des mariages et tout. Donc moi, j'aime bien cet endroit-là. C'est un endroit qui me reflète bien.

  • Speaker #1

    Je commence toujours les épisodes en demandant aux invités de nous parler de leur enfance, de nous raconter un peu d'où ils viennent, leurs origines. Est-ce que vous accepteriez, vous, de nous raconter un peu votre enfance ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je viens du nord de la France. J'ai des origines normande et bretonne, parce qu'on en parlait tout à l'heure. Mais j'ai habité très très longtemps à Arras, donc ma petite enfance, jusqu'à mes 18 ans où je me suis sauvée en fait. J'ai subi l'inceste de mon frère dans ma famille. Et après je suis, au jour de mes 18 ans, libération quoi. J'ai pris le premier train, je suis venue à Paris. Et depuis je suis restée à Paris. Moi je rêvais de la Tour Eiffel. Je rêvais de Paris, de la liberté qu'il y avait à Paris. Je voulais surtout fuir la famille. Le jour de mes 18 ans, j'avais préparé ma valise depuis très longtemps. Et à 8h du matin, j'étais déjà partie. Je suis arrivée à la gare du Nord, direct. Et puis, j'avais de la famille à la Défense, en 1992. Ils m'avaient dit, si tu as un problème, tu pourras venir nous voir. Et donc, la première chose que j'ai fait, c'est d'aller là-bas. Quand ils m'ont vu arriver, j'étais en panique, en fait. par rapport à ma famille. Et du coup, ils m'ont refusé. Du coup, je me suis retrouvée à la rue ce premier soir. Le premier soir à la rue, c'était quand je suis arrivée à Paris.

  • Speaker #1

    Ça, c'est important de le dire. C'est-à-dire que les gens comprennent que basculer dans la rue, ça peut se passer...

  • Speaker #0

    En 30 secondes. Ça peut arriver à tout le monde. Déjà, c'est ça qu'il faut dire. Ça peut arriver à tout le monde, qu'on ait une éducation ou pas, qu'on ait de l'argent ou pas, parce que l'argent, ça n'empêche pas la rue. Et puis, ça peut arriver très, très vite. Le problème, c'est que le premier soir, j'ai été violée. Le premier soir, j'ai été violée par trois hommes. Du coup, après, suite à ce viol, j'ai perdu la faculté de parler. Je suis devenue muette. Donc, je suis restée muette pendant trois ans. Et donc, pour demander de l'aide, je ne pouvais pas. Donc, c'était compliqué. Donc là, moi, je me suis cachée à la Défense, dans les sous-sols de la Défense. J'étais au moins 8, comme on dit. Il y a moins 12 étages sous la Défense. Moi, j'étais au moins 8. Et j'allais manger dans les poubelles du centre commercial. Il y avait plein de restaurants. Plein de poubelles, il y avait aussi plein d'SDF, donc il fallait se battre pour manger. Et c'est comme ça que j'arrivais à survivre en fait. Mais je ne pouvais pas demander de l'aide. Moi j'étais très seule, honnêtement, j'étais très seule en tant que SDF, en tant que femme SDF. Il fallait être seule pour être protégée, pour me protéger. J'allais vers d'autres SDF en cas d'urgence seulement. Mais j'avais compris qu'être en groupe c'est dangereux. Ça c'est toujours actuel, une personne SDF qui est partie d'un groupe. se fait attaquer par d'autres groupes, donc on ne peut pas s'en sortir. Alors qu'une personne seule, bon, peut quand même jongler. Par exemple, je n'avais pas de chien, je n'avais pas tout ce qui pouvait encombrer un SDF, je n'avais pas de... Je comprends que les gens, les SDF, ils ont besoin d'animaux pour l'affection et tout ça. Mais c'est un peu handicapant quand tu veux te sauver ou un truc comme ça. Donc moi, j'étais très seule. Après, j'ai commencé vraiment plus tard, 5 ans, 6 ans plus tard, à connaître d'autres SDF, à commencer à parler. J'ai récupéré ma parole au bout de 3 ans.

  • Speaker #1

    Comment ? Est-ce que c'est revenu comme ça un matin ?

  • Speaker #0

    Comme ça, direct. On s'est vu un matin et hop, je parlais. J'avais beaucoup de choses à dire. Du coup, j'ai été demander de l'aide et tout ça. Et là, j'ai pu communiquer avec les autres SDF. Parce que là-bas, c'est les bouches à oreilles après. Donc, il n'y a pas de livret d'adresse pour SDF. C'est des bouches à oreilles. Donc, j'avais besoin de tel problème, de tel machin. Donc, je partais à droite, à gauche grâce au conseil d'autres SDF. Donc, bon. Puis après, du coup, je me suis fait des copains, des copines. Voilà, ça commençait comme ça.

  • Speaker #1

    Il y a eu des rencontres qui vous ont marqué ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Chez mon ex-mari qui était avec moi dehors. On s'est mariés quand même. Et puis après, j'ai eu des amis, des amis femmes. Après, c'est toujours un peu compliqué la vie dehors. Il y a des jalousies. C'est les feux de l'amour version SDF. Comme dans la vie. En fait, la vie d'SDF, c'est une vie normale, entre guillemets, avec tous les problèmes qu'il peut y avoir de la vie normale. C'est juste le décor qui change, mais le reste, ça ne change pas.

  • Speaker #1

    Vous l'avez dit, on parle de faits qui ont plus de 20 ans. À l'époque, il y avait déjà des centres d'hébergement d'urgence. Est-ce que c'était une solution ?

  • Speaker #0

    Alors, il y avait déjà, mais par contre, il n'y avait pas le 115. Donc, le 115, actuellement, c'est vraiment l'association qui centralise tout, mais du coup, qui bloque tout aussi. Parce que quand il n'y a pas de place au 115, ça ne se passe plus pas. Il n'y a pas de centre d'hébergement où on peut débarquer comme ça et avoir une chance. Il faut passer par le 115, avoir un numéro d'enregistrement, nanani, nanana. Et là, ça devient compliqué, vraiment. Même nous, actuellement, avec mon association, on a du mal à aider les personnes SDAF parce que si elles ne sont pas enregistrées au 115, on ne peut rien faire. Et se faire enregistrer au 115, ça prend du temps. Alors que moi, il y a 20 ans, je pouvais venir dans n'importe quel foyer, je toquais à la porte et ils disaient Est-ce que vous avez une place ?

  • Speaker #1

    Et ça, vous avez pu trouver de l'aide aussi auprès ?

  • Speaker #0

    J'ai eu 3-4 foyers comme ça. Après, moi, comme j'étais blanche, française, de Russie, une chrétienne, j'allais plutôt dans les foyers religieux. qui m'ont quand même pas mal aidée. Après, c'est pareil, c'est comme partout, il y a des gens bien et des gens pas bien. Mais en tout cas, j'ai rencontré des gens bien. Donc, ça m'a donné l'occasion de me poser, de réfléchir, etc. De ce que je voulais faire après, etc. Mais surtout de récupérer aussi, de manger, de me laver. Et c'est petit à petit, j'ai commencé à reprendre figure humaine. Par contre, j'étais toujours violée tout le temps. Et j'ai eu deux enfants de viol dans la rue. Donc ça, c'est important aussi de le dire. Maintenant, ils ont 23 ans et 20 ans, ils vont très bien. Mais ils vivent avec moi, etc. Et ils connaissent leur histoire. Il n'y a pas de tabou, il n'y a rien.

  • Speaker #1

    Votre histoire, elle révèle toute la particularité et la violence que c'est d'être une femme et une femme seule dans la rue.

  • Speaker #0

    C'est beaucoup la violence sexuelle. Après, il y a le problème des règles aussi. Le problème d'avoir les règles dans la rue qui sont un peu compliquées. Actuellement, il y a plein d'associations qui gèrent ça, mais moi, il y a 20 ans, il n'y avait rien. Et du coup, on prenait des t-shirts, des trucs comme ça qu'on trouvait dans les poubelles pour faire des serviettes hygiéniques. Mais du coup, ce n'était pas du tout hygiénique et je m'attrapais toutes les infections du monde. Donc ça, c'était un vrai problème. Les règles dans la rue, c'est un vrai problème.

  • Speaker #1

    Vous l'avez dit, donc vous allez donner naissance à votre premier enfant dans la rue. Est-ce que ça a été une rencontre immédiate ? Comment vous avez géré cette situation inattendue ?

  • Speaker #0

    Alors, c'était vraiment inattendu. Je ne m'y attendais pas du tout. Je ne savais même pas que j'étais enceinte. J'ai fait la dernière grossesse. J'ai accouché dans la rue et les pompiers sont arrivés. Et la seule chose que moi j'ai vue, c'était le regard de mon fils. On a croisé le regard. Ça m'a fait un truc super, incroyable. Et les pompiers tout de suite m'ont dit, oui, on va vous prendre votre enfant. Parce que vous êtes SDF et tout. Et là, je me suis sauvée avec mon gamin. Parce qu'il n'était pas question que je laisse mon gamin, je ne sais pas où. Donc là, je l'ai... Je les gardais avec moi et c'est très bien. Mais il avait que deux ans et demi dehors avec moi. Donc là, c'était vraiment compliqué. J'ai réussi à l'allaiter, donc ça, c'était bien. Mais comme je ne mangeais pas, je ne mangeais pas équilibré, loin de là, du coup, je n'avais pas beaucoup de lait. On n'avait pas de couches. Alors, à l'époque, il y a 20 ans, il n'y avait que les églises qui donnaient des couches. Donc, j'allais dans les églises et je demandais des couches. Et j'allais dans les vestiaires des églises, demander des vêtements pour les bébés et tout ça. Ça, c'était super, par contre, parce que... rencontrer plein de petites grand-mères bénévoles qui étaient trop mignonnes. Ça, c'est bien. Ça, ça fait un... Moi, mon fils qui a 23 ans maintenant, il s'en souvient encore. Pour lui, c'est un pilier, quoi. Ces petites vieilles dames qui sont sûrement mortes maintenant.

  • Speaker #1

    Il y a des choses, des choses toutes simples, comme apprendre à marcher à son enfant quand on est à la rue. Ça se passe dans l'espace public. Et une chose aussi banale n'est plus aussi banale que ça, finalement.

  • Speaker #0

    En fait, comme je voulais pas qu'il... Quand on le repère, on peut trouver un porte-bébé. Et avec le porte-bébé, je le tenais contre moi. Mais beaucoup plus tard que normalement. Normalement, au bout de 7-6 mois, on le laisse gambader. Moi, jusqu'à ses 2 ans, il était en porte-bébé. Quand justement, j'étais enceinte de mon deuxième enfant, quand j'étais encore à la rue, j'ai rencontré une femme qui était médecin. Elle, elle nous a vraiment suivi. Elle a suivi toute ma grossesse, même quand j'étais dans la rue. Et après, avec une association, elle a réussi à me sortir de la rue, à me trouver un appartement où je suis assise avec mes enfants. Et elle nous a suivis tout le temps jusqu'à sa retraite. Donc ça a duré quand même au moins 5-6 ans. C'était un repère en fait.

  • Speaker #1

    J'ai entendu dire que vous étiez une grande lectrice, ou que vous l'aviez été en tout cas. Est-ce que pendant ces années difficiles, la lecture était encore présente ou pas du tout ?

  • Speaker #0

    C'était plus l'écriture. Je suis plus une grande écrivaine. Non, j'exagère de dire ça, ça fait un peu... En fait, mes parents étaient libraires. Donc la lecture pour moi, c'est déjà automatique, on va dire. J'ai une culture littéraire, mine de rien, malgré une enfance compliquée. Je passais beaucoup de temps à lire dans la librairie de mes parents. Donc j'ai quand même une culture littéraire. Après, j'aimais bien écrire et j'avais trouvé le système d'écrire pour pouvoir dégager mes émotions, etc. Du coup, j'écrivais partout. par terre, j'avais pas de cahier, j'avais rien, mais j'écrivais partout sur les trottoirs et tout ça. Donc j'écrivais, j'écrivais, j'écrivais, ça c'était clair. Et après j'écris mon livre et voilà, et même encore maintenant je suis en train d'écrire le deuxième. Donc je suis quelqu'un qui a besoin de s'exprimer par l'écriture.

  • Speaker #1

    Et ça vous a aidé dans une certaine mesure à aussi évacuer, à aussi faire ce travail ?

  • Speaker #0

    Ah oui complètement, c'est hyper thérapeutique, vraiment. Alors c'est dur de sortir parce qu'il faut tout revivre quand tu écris. Mais une fois que c'est sorti, c'est sorti. Et ça permet d'avoir... Bon, c'est fait. On peut passer à autre chose, on tourne la page. On ne peut pas tourner la page, mais on avance, on va dire, petit à petit. On met des mots sur des mots, M-A-U-X. Ça, c'est connu comme expression, mais je pense que c'est vraiment très important. Et très vite d'ailleurs, dès qu'il y a eu les réseaux sociaux, je me suis ouvert une page où je pouvais écrire des choses. A l'époque, c'était Facebook. Maintenant, c'est plus Instagram. Mais au départ, j'avais vraiment un Facebook où j'écrivais beaucoup de choses et les gens me suivaient. Parce que maintenant, les gens font des blogs et tout ça. Mais à l'époque, c'était vraiment le début. Et en plus, j'aime bien l'informatique. Donc, régulièrement, je faisais des appels pour récupérer des vieux ordinateurs. Je reformatais les trucs. Je me faisais des ordinateurs moi-même. C'était... C'était...

  • Speaker #1

    On va évoquer maintenant l'après. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous en êtes sorti ? À quel moment vous êtes revenue vers une vie plus conventionnelle ?

  • Speaker #0

    Quand j'étais dehors, j'étais enceinte de 8 mois, je crois, de mon deuxième enfant et j'avais déjà mon premier enfant. Je faisais la manche et il y a un médecin qui est venu et on a discuté tout ça. Moi, j'étais un peu sauvage. Je n'avais pas trop envie de faire connaissance avec les gens. Tous les justes qui me donnent un front, à l'époque, c'était quelques centimes d'euros. Mais je n'avais pas trop envie de raconter ma life. Et en fait, elle a commencé vraiment à travailler au corps pour que j'arrive à lui faire confiance. Et elle, de son côté, elle a commencé à regarder un peu les associations qu'il y avait autour et tout ça. Et donc, elle a trouvé une association au métro Victor Hugo, dans le 16e, qui avait une assistance sociale. et donc qui a accepté de nous recevoir elle et moi et mes enfants. Là on a monté un dossier et on a pu avoir très rapidement, une semaine je crois, un appartement HLM ici dans le

  • Speaker #1

    18ème. Est-ce que ça a été facile pour vous de vous réinstaller dans une…

  • Speaker #0

    Non c'était compliqué mais je le faisais au nom de mes enfants. Je voulais surtout que mon aîné, qui avait deux ans et quelques, un petit peu plus de deux ans, je voulais qu'il rentre à l'école. Je ne voulais pas qu'il soit un enfant SDF. Pour moi, c'était évident qu'il fallait sortir. C'était le moment. Et c'est ce qu'on a fait tout de suite. Et on a été inscrits à l'école. Or, ça a été une catastrophe, parce qu'il ne connaissait pas les autres enfants. Il s'est battu avec tous les enfants. Il a cassé la gueule à toute la classe le premier jour. Mais bon... Mais bon, voilà. J'ai eu de la chance de tomber sur une bonne école avec d'autres parents, des choses... Moi, j'ai dû apprendre aussi. Puis après, j'avais le problème de l'enfermement. Autant j'étais avec mes enfants, il n'y avait pas de souci. Et moi, me faire enfermer dans un appartement, ça a été très compliqué. Même encore maintenant, ça fait 20 ans. J'ai du mal à rester enfermée dans une pièce. N'importe où où j'aille, il faut que je sois près d'une fenêtre, il faut que je sois avec une fenêtre ouverte, je ne peux pas dormir fermée. Il y a encore plein de traumatismes de tout ça. Mais au nom des enfants, je faisais l'effort. Mais par contre, dès qu'ils se dormaient le soir, je suis allée faire un tour. J'avais besoin de prendre l'air. Pour moi, c'est important. Mais vraiment, c'est ce qui nous a sauvés, c'est cet appartement. Et puis du coup, avec la médecin, on a fait toutes les démarches pour la CAF, avoir les allocations pour les enfants et la prise en charge du loyer. Moi, je ne connaissais pas tout ça. Donc, si elle n'avait pas été là, ça aurait été la cata. Le suivi administratif des SDF, c'est vraiment hyper important parce que souvent, ils sont déconnectés de la vie et ils ne connaissent pas tout ça. Et en plus, ça change tout le temps. Même là, la CAF a encore changé des lois. Ça change tout le temps. Donc, il faut avoir des gens. compétents qui connaissent. Et ça, c'est important. Moi, dans mon association, on a des bénévoles administratifs, j'appelle ça. Ils font que ça.

  • Speaker #1

    Vous allez tout de suite ressentir le besoin d'aller aider des femmes, d'aller aider des familles aussi qui se trouvent dans la rue. Vous pouvez nous raconter comment tout ça est venu ?

  • Speaker #0

    En fait, c'était progressif. Là, je me suis retrouvée en Cité HLM et je me suis aperçue qu'il y avait beaucoup de femmes en Cité HLM qui étaient des anciens SDF et donc beaucoup avaient des enfants, mais n'avaient pas de quoi manger, n'avaient pas de quoi les habiller. Donc la première chose qu'on a fait, c'est qu'on a fait une association entre femmes voisines, mais d'anciennes SDF. C'est un truc important, donc souvent aussi femmes violées, touchées par les enfants, etc. Ça, c'était notre première association. Et à partir de là, on a commencé à construire cette aide aux femmes SDF et aux familles, qu'elles soient dans la rue ou à peine installées. Parce qu'en fait, on revient toujours à la même histoire de l'installation, c'est compliqué. Et ça, ça dure depuis 20 ans. Mon association s'occupe vraiment des deux personnes. Des femmes SDF d'un côté, des familles SDF d'un côté, mais aussi des femmes précaires qui ont été SDF et des familles précaires qui ont été SDF. C'est vraiment deux cibles différentes.

  • Speaker #1

    Et donc aujourd'hui, toute femme qui serait en situation de besoin, comment elle vous contacte ? Comment elle vous sollicite ?

  • Speaker #0

    Déjà, il y a les réseaux sociaux. En plus, moi, je suis... Je suis quelqu'un qui fait beaucoup de sensibilisation dans les médias. Souvent, quand je ne suis pas d'accord, je vais gueuler dans les médias. Donc, en fait, on m'entend. On me voit et on m'entend. Mais aussi, après, c'est entre SDF, c'est le bouche à oreille. Et puis après, là, je travaille justement à la mairie. Je travaille avec les maires d'arrondissement du 17e et du 18e, parce que c'est les plus près. Et eux travaillent quand il y a des signalements, par exemple, qui sont faits par la police ou les pompiers de femmes SDF. Ça revient à la mairie. aux maires et les maires me contactent moi. Et donc moi, en général, je repasse par la police ou les pompiers, ceux qui ont fait le signalement, et je vais rencontrer la personne SDF, mais accompagnée par la police et les pompiers. En fait, c'est tout un circuit qui me permet d'intervenir dans des situations des fois compliquées, où la police fait très peur au SDF. Et donc quelqu'un de neutre comme moi peut intervenir, et du coup ça se passe beaucoup mieux.

  • Speaker #1

    Vous faites un peu de médiation aussi ou de conciliation ?

  • Speaker #0

    Voilà, c'est une sorte de médiation, exactement.

  • Speaker #1

    Et donc votre association dont on en a parlé plusieurs fois jusqu'ici, comment elle est née et quelles sont ses missions aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Alors elle est née suite à la parution de mon livre en 2016, ça fait 8 ans. Mes années barbares, c'est mon livre que j'ai sorti avec Minou Azoulay qui est une journaliste. C'est elle qui m'a fait la proposition, moi je n'avais même pas imaginé raconter ma vie. Et donc, Minou et une autre femme sont venues me voir pour me proposer de faire ce livre. Au début, je les ai regardées et je me suis dit Oh là ! Et puis en fait, ça s'est fait naturellement et très bien. Ça s'est très bien passé. Donc ça, c'était il y a huit ans. Et du coup, j'ai dû aussi trouver le nom de Anne-Norient. Ce n'est pas mon vrai nom. J'avais trouvé un pseudo d'auteur. Donc, il a fallu travailler avec la maison d'édition pour trouver mon nom d'auteur. Je voulais absolument que ce soit un nom breton. Du coup, on a fait Anne Brest, Anne Guilvinec, Anne Saint-Malo. On a fait toutes les villes jusqu'à Anne-Lorient. Et Anne-Lorient, ça me plaisait bien. C'était tout doux et ça m'allait. Et du coup, on est resté sur Anne-Lorient. Du coup, on a sorti ce livre il y a huit ans. Ça a fait un gros buzz partout dans les médias. Après, la maison d'édition, ils ont mis le paquet aussi. Et depuis, on aide les femmes. On n'a pas d'aide, on n'a pas de subvention publique. C'est un choix de notre part. parce qu'en fait on ne veut pas être bloqué par la mairie de Paris. Mais par contre, on a des cagnottes et l'OSO sur Internet où les particuliers nous font des dons. Et quelquefois, des entreprises peuvent nous faire des dons, mais là plus directement, on donne le rive de l'assaut. Et alors selon les aides qu'on reçoit, on peut aider ou on ne peut pas aider. Ça va dépendre si on a de l'argent ou pas. C'est le nerf de la guerre.

  • Speaker #1

    Et donc, votre association, elle permet d'acheter notamment des protections hygiéniques pour les femmes, d'acheter aussi des vêtements ?

  • Speaker #0

    Voilà, exactement. En fait, d'un côté, on fait des collectes de produits hygiéniques, de nourriture, de vêtements, etc. Quand il y a des besoins spécifiques, par exemple, on vient d'acheter une armoire pour une famille, on vient d'acheter des lits. Là, il commence à arriver l'hiver, donc on commence à acheter des duvets. Là, on sort d'une période où on a acheté plein de soutiens-gorge et plein de culottes pour les femmes, parce que ça, c'est un vrai problème aussi, les sous-vêtements dans la rue. Donc, les femmes ne récupèrent que des vêtements qui sont abîmés ou pleins de sang ou déchirés. Donc, nous, on a voulu faire le geste d'acheter du neuf et de distribuer du neuf. Après, on a aussi... On a aussi, par exemple, sur Instagram, une dame qui a une maison de lingerie et qui a fait de la pub pour nous et nous a envoyé trois cartons de soutien-gorge. Donc, c'était super. Et ça, c'est une partie de notre assaut. L'autre partie, c'est la sensibilisation. Donc là, moi, je vous disais tout à l'heure, je travaille beaucoup avec les étudiants. Donc, j'ai des étudiants qui se posent beaucoup de questions sur les SDM, sur les femmes SDF. Par exemple, il y a 300 000 SDF en France. Il y a 40 de femmes et on ne les voit pas. Donc pourquoi on ne les voit pas, etc. Donc les gamins, ils ont des exposés à faire, des choses comme ça. Donc là, je prends vraiment le temps de me poser avec eux, de faire des choses avec eux. Donc ça, c'est important. Et puis après, il y a les médias, les réseaux sociaux. J'essaie de poster une fois par jour quelque chose. Plus ou moins intéressant, je pense, parce que je ne maîtrise pas tout. Par contre, j'ai des bénévoles digitaux. Donc on fait souvent des appels aux bénévoles sur Instagram. mais selon des compétences bien précises. On ne prend pas des bénévoles juste pour prendre des bénévoles. Par exemple, quand on a besoin d'un juriste, on a besoin, dans quel cas, pour faire le site Internet. Par exemple, on l'a fait faire par des bénévoles. Les suivis administratifs, donc on revient à ça. On a des suivis scolaires aussi, des choses comme ça. Et puis des gens, justement, qui veulent nous aider à faire des collectes dans les supermarchés. Parce que moi, en plus, je ne sais pas tout faire. Enfin, tout ça, je ne sais pas faire quoi. Ce qui est intéressant aussi, c'est de... prendre des bénévoles qui peuvent m'apprendre des choses. Ça, ça m'intéresse aussi.

  • Speaker #1

    On l'a dit, le récit de votre vie a été assez médiatisé, et continue de l'être encore aujourd'hui, et on le fait aussi à notre manière ici. Est-ce que vous vous sentez investie aussi de la mission d'interpeller les politiques, d'interpeller les pouvoirs publics aussi ?

  • Speaker #0

    Alors, j'y ai cru. Honnêtement, j'y ai cru. J'ai essayé. Rien du tout. On me reçoit, ça, il n'y a rien à dire. J'étais au Sénat, j'étais à la mairie de Paris, j'étais à l'Assemblée nationale. Par contre, ce qui est intéressant, c'est qu'on me reçoit aussi pour faire des rapports. ou des enquêtes. Par contre, ça, ça marche. Là, il y a une enquête qui vient de sortir au Sénat, où j'ai donné mon avis, etc. Après, ça ne change pas grand-chose au niveau du terrain. C'est-à-dire que ce n'est pas parce que je suis là qu'ils vont ouvrir un centre d'hébergement. Je ne vais pas rêver. Je suis un peu mitigée. En plus, ça change tout le temps, donc il faut gérer. Il faut suivre entre tous les ministres qui changent et tout, et qu'il faut tout refaire là. à chaque fois se représenter, qui on est, pourquoi on est là, nanani nanana. Et puis, ce qui est intéressant, c'est qu'on a été auditionnés au CESE. Donc ça, c'était important. C'était aussi une enquête. Ils ont auditionné toutes les associations d'aide aux personnes, démunies ou pas d'ailleurs. Et donc ça, c'était intéressant. Et il y a beaucoup d'associations qui aident des fermes SDF, il n'y a pas que moi. On a réussi à installer depuis l'année dernière. Une possibilité de faire un hébergement temporaire dans les salles d'attente des hôpitaux. Donc c'est une loi qui est passée. Les hôpitaux ne peuvent plus refuser une femme SDF, même un SDF homme d'ailleurs, les F en général, et encore plus avec les enfants. Ils ne peuvent pas refuser l'hébergement, même s'il n'y a pas de soins, même s'il n'y a pas besoin de rencontrer un médecin, au moins les mettre au chaud. Et ça, c'est nouveau. Et dans les maternités, les femmes et les enfants qui ont eu des bébés, la loi qu'on a mise en place doit dire que les hôpitaux doivent les garder 30 jours. Donc ça, c'était vraiment un truc qui existait déjà, en fait. Mais ça, c'est un peu selon l'hôpital et selon le directeur de l'hôpital, s'il est sympa ou pas. Mais avec la loi, en fait, on les force un petit peu à être sympas et à faire 30 jours. Et après, au bout des 30 jours, en fait, l'hôpital et les assistants sociaux des hôpitaux appellent le 115. Donc déjà, ils ont un numéro prioritaire. Alors que si c'est la femme qui appelle, elle peut attendre longtemps. Mais là, le fait que ce soit un hôpital qui appelle, c'est quand même prioritaire. Et là, donc, ils demandent un hébergement. Évidemment, il n'y en a pas, parce que tout est plein. Et du coup, là, ils remettent les femmes SDF dehors, mais c'est seulement au bout de 30 jours. Donc c'est là que nous, les hôpitaux nous appellent en nous disant on a Madame Intel qui a eu un bébé, on la met dehors, mais est-ce que vous pouvez la prendre en charge pendant une nuit ou deux, surtout si elle a besoin de soins. Et nous, on fait des mises à l'abri et c'est là qu'on a besoin d'argent pour faire des mises à l'abri d'une nuit ou deux nuits parce qu'on ne peut pas faire plus, on n'a pas les moyens parce que c'est le coût de l'hôtel, le coût de la nourriture, le coût des produits d'hygiène, etc. Donc en fait, on a quand même réussi à faire bouger les choses. Par exemple, à l'hôpital Necker, aux hôpitaux Trousseau, qui sont des hôpitaux pour les enfants, ils ont carrément libéré des immeubles dans l'hôpital, où là, ils font des mises à l'abri, et des gens qui n'ont pas besoin de soins médicaux, mais qui ont besoin d'être au chaud. Donc ça, c'est important aussi, parce que nous, on dit qu'il reste trois places à l'hôpital, il nous reste 19 places, ça m'est arrivé déjà une fois. 19 places dans cet hôpital. Donc ça nous permet, nous, de pouvoir orienter. Et puis si les femmes SDF sentent qu'elles ne sont pas bien accueillies, elles nous appellent et nous, on rappelle la loi aux infirmiers, aux urgentistes qui sont là et souvent qui ne sont pas au courant. Ils disent mais nous, on ne savait pas. Donc nous, on dit en tant qu'association, on vous rappelle la loi. Et donc ça, c'est énorme. Les bains-douches ont été beaucoup fermés pendant le confinement. Qu'est-ce que c'est un bain-douche ? C'est un endroit où on peut prendre une douche et souvent... Laver ses vêtements, il y a souvent en même temps des machines à laver. Les produits d'hygiène sont fournis, ça c'est bien aussi. Et quelques fois, il y a aussi des vêtements neufs ou au moins en bon état qui sont proposés au SDF. Le problème c'est que presque tous sont fermés maintenant. Il y en a quelques-uns qu'on vient de rouvrir là pour l'hiver, mais c'est compliqué. Une femme SDF, dans la nuit, elle ne dort pas. La nuit, elle est une pro-sexuelle et du coup, elle ne s'autorise pas à dormir de peur de se faire attaquer. Mais par contre, du coup, on est tous des êtres humains, on a besoin de dormir. Du coup, le matin, souvent, tu peux rencontrer, même dans la rue, des gens qui dorment dans des abribus. Moi, je dormais dans des abribus. Je suis quelqu'un qui peut dormir assise, tellement je suis habituée à dormir dans un abribus. Vous rencontrez des femmes et des SDF qui dorment comme ça, de manière ponctuelle. Et puis après, il y a toutes les démarches administratives qui se font la journée, parce que ce sont des centres d'accueil. Là, du coup, d'accueil de jour, on appelle ça. pour les SDF, mais bon, il y a tellement de monde, il y a tellement de queues, etc., que souvent, on n'y va pour rien. Dès qu'on arrive le matin à 9h, on repart à 18h, on n'est toujours pas passé, en vrai. Et puis, donc, les bains-douches. Donc ça, la journée, c'est dodo, faire les papiers, donc les RSA, les machins, ça, parce que c'est très compliqué. Et puis, se laver. Et ça, se laver, c'est toujours compliqué. Moi, je vois beaucoup, par exemple, sur les réseaux sociaux, il y a beaucoup de groupes pour aider les SDF, et je mets toujours en garde les jeunes femmes qui veulent aider les SDF et qui les prennent chez elles pour prendre une douche. Donc attention, un SDF ça peut être quelqu'un de très bien, mais c'est aussi un prédateur. Donc soyez prudent. Quand vous voulez aider un SDF, vous l'aidez dans un lieu public. Vous lui donnez un café dans un café, vous lui donnez... Moi je suis contre de donner de l'argent. Par exemple, vous allez devant un supermarché, vous voyez quelqu'un qui fait la manche, vous allez lui demander. Moi je fais mes courses aujourd'hui, est-ce que vous avez besoin d'un shampoing, est-ce que vous avez besoin d'un morceau de pain ? Et là, la personne va vous dire, bah oui, j'ai besoin d'une mousse à raser, j'ai besoin d'un truc comme ça. Mais ne donnez pas d'argent, allez acheter en même temps que vos courses et à la sortie, vous lui donnez. Par exemple, moi, il y a deux jours, j'ai offert un flan à une femme SDF qui n'avait plus de dents et qui se marrait parce qu'elle me dit, je ne vais pas manger de pain. Et du coup, on a trouvé la solution d'acheter un flan. Il ne faut jamais donner d'argent directement à un SDF, pas parce qu'il peut être drogué ou alcoolique. Après, je veux dire, quand vous donnez de l'argent et qu'il achète une bière, c'est sa responsabilité à lui, ce n'est pas la vôtre. Vous ne pouvez pas lui reprocher d'acheter une bière avec votre argent, ça c'est clair. Mais par contre, vous pouvez lui acheter autre chose, une bouteille d'eau, etc. C'est important d'avoir une... et puis surtout sourire à un SDF. Sourire, lui parler, lui demander comment ça va. C'est idiot, mais personne ne parle au SDF. Ou alors c'est vraiment des gens pour venir les aider, la Croix-Rouge, tout ça. Mais comme ça, on passe des SDF, on a... peur, il y a le côté miroir, on a peur d'être un jour SDF, du coup on a peur de la personne. Et puis on a peur des fois de l'agressivité de l'SDF. Les femmes SDF, elles ne sont pas du tout agressives, au contraire, elles ont très très peur de la personne en face, donc il faut plutôt les apprivoiser. Et ça, ça peut se faire avec un croissant, là il va faire froid avec un truc chaud, chocolat chaud, c'est bon pour tout le monde. Je ne sais pas, je m'éparpille un petit peu, mais... Mais c'est des petits conseils que je peux donner. Le quotidien de la femme SDF, c'est ça. Et puis après, s'il y a des enfants, c'est encore une autre histoire. Et puis après, trouver un endroit pour dormir à l'abri. Mais quand on est à Paris, parce qu'on n'est pas tous à Paris, mais quand on est à Paris, il y a quand même beaucoup d'endroits cachés. On peut trouver des petits endroits. Nous, notre association, nous arrivons d'avoir des immeubles qu'on peut squatter. en accord avec la mairie. Je ne fais pas n'importe quoi non plus, mais on peut, par exemple, si une entreprise fait faillite, elle peut nous contacter pour dire, le temps que je me remette en route pendant six mois, je vous confie mes locaux. Ça, ça m'arrive. Du coup, on a quand même, on a des locaux de bureau, mais souvent, il y a de l'eau quand même. Il y a des toilettes, on peut donner une douche, même à un enfant avec un gant de toilette. Il y a toujours des solutions un peu intermédiaires, comme ça. Mais il faut avoir de l'imagination et puis il faut avoir de la confiance avec les gens aussi.

  • Speaker #1

    Et donc, vous disiez, vous écrivez votre deuxième livre en ce moment.

  • Speaker #0

    Alors, j'écris la suite de mon livre. Le premier livre, c'est ma vie. Compliqué, mais c'est ma vie. Et là, maintenant, j'écris sur la résilience. Comment aller mieux après, en fait. Et ça, ça peut parler à tout le monde, en fait. Et on est en train aussi de faire un département résilience dans mon association, qui ne sera pas que pour les SDF, mais pour tous les gens qui ont eu des... des problèmes dans leur vie, que ce soit un burn-out, une dépression, un machin, et comment rebondir. Et je pense que ça va aussi me donner la base de mon prochain livre. En fait, ça va nourrir. Je pense que je vais faire des nouvelles rencontres. On va faire des coachings, des séminaires. On change un peu de public, mais on n'oublie pas. On garde quand même notre action sur les SDF, etc. Mais on va essayer de faire évoluer un peu les choses. Parce que justement... À part les aider psychologiquement, les SDF, nous on n'a pas d'argent pour les aider concrètement. À part faire des collectes, mais ça va pas loin. Mais nous on a besoin d'argent, on a besoin des entreprises qui se bougent pour nous aider, qui fassent des dons, on a l'habilitation de faire des réductions d'impôts, donc on a agréé, il n'y a aucun problème. Le problème c'est de se faire connaître en fait. Le problème des associations c'est qu'il y en a 15 000, 15 millions même en France. Et du coup, pour s'y reconnaître, c'est dur. Nous, on est une petite asso. On veut rester petit. On nous a proposé d'ailleurs de nous racheter. Mais c'est niette, c'est non. Nous, on a le côté humain qui est plus important que tout, en fait. Il n'est pas question qu'on rentre dans les gros trucs. On a un bureau de trois personnes, donc minimum. Et puis après, on est une trentaine de bénévoles. On est tous bénévoles. Il n'y a aucun salarié. On est tous bénévoles. On a tous notre travail à côté aussi. On est tous... Donc, des fois, on est disponible, des fois, on l'est moins. Il faut aussi respecter ça. Mais en tout cas, on fait tout notre maximum.

  • Speaker #1

    J'ai vu aussi, de manière complètement décorrélée, que vous peignez aussi. On parle de l'écriture, on parle de la lecture, on parle de tout ça. Est-ce que les arts plastiques, c'est aussi une forme d'expression pour vous aussi ?

  • Speaker #0

    Oui, peindre, c'est... Alors, je peins, c'est un grand mot, mais je n'ai jamais exposé non plus. Mais en tout cas, c'est thérapeutique. C'est thérapeutique, c'est sûr. En tout cas, c'est comme l'écriture, ça permet de sortir des choses. Le peint, alors après, c'est une question de moyens aussi. Il y a des moments où je ne peins pas parce que je n'ai pas l'argent. Il faut acheter les toiles, la peinture, ça coûte cher. Mais quand je peux, quand j'ai l'argent, là, je me fais plaisir. Alors, je peins beaucoup de l'abstrait, des choses comme ça. Donc, les gens se noient dedans pour trouver des différentes... Comment dire ? Ils essaient de comprendre ce que je fais, ce qui n'est pas toujours évident. Mais ce qui est intéressant, c'est que... À un moment, les gens les voient différemment. Mais c'est vrai que ça me permet de me poser aussi, de se dire que pendant deux heures, je vais peindre, je vais arrêter de penser à tout. Parce que moi, je suis quelqu'un de HPI, donc ça veut dire que je réfléchis tout le temps. Donc, peindre, ça me permet de me poser. Mais oui, la peinture fait partie de ma vie. C'est important.

  • Speaker #1

    Avoir traversé tout ce que vous venez de raconter ici, laisse, j'imagine, encore des séquelles aujourd'hui. Est-ce que vous arrivez aujourd'hui encore à faire confiance, par exemple, à l'autre ? Est-ce que vous arrivez à... Comment vous gérez ces séquelles ?

  • Speaker #0

    Déjà, pour gérer ma vie actuelle avec tous les traumatismes, j'ai rencontré beaucoup de traumatologues, dont Muriel Salmona, qui est la plus grande traumatologue de Paris, qui, elle, m'a fait un suivi personnalisé au départ, parce que vraiment, je suis bien abîmée. Grâce à elle, maintenant, je suis un peu plus équilibrée, on va dire. Mais j'ai encore des suivis psy, etc., pour m'aider. Et puis... Ouais, après, j'essaie d'avoir une vie normale avec un travail, des enfants, un loyer à payer. Je suis devenue une femme normale. Si la normalité existe, on peut être normale aussi dans la rue. Mais en tout cas, j'essaie de gérer au mieux. C'est pas facile.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous diriez de vous que vous êtes une femme engagée ? Ah bah oui.

  • Speaker #0

    Ah bah là, je peux pas faire mieux. Comme femme engagée, en tant que présidente d'une association d'aide aux femmes SDF. Oui, oui, je suis engagée. Je suis engagée par rapport à la vie sociale et je suis engagée par rapport à la vie politique et j'y tiens. Je pense que chacun doit faire sa part. Après, chacun, il fait ce qu'on peut. On fait ce qu'on peut. Mais je pense que si personne ne fait rien, il ne se passera rien. Oui, il faut s'engager. Je pense, en tout cas.

  • Speaker #1

    Et la dernière question de chaque épisode, ce n'est pas une question, c'est le mot de la fin. C'est des minutes que vous pouvez utiliser, vous, pour parler directement aux auditeurs.

  • Speaker #0

    Pour finir, la seule chose que j'aimerais dire, c'est que rien n'est acquis ou rien n'est définitif. Je crois que c'est important, ça. On peut être SDF et devenir une femme engagée. Et on peut être une femme engagée et devenir SDF. Ça, c'est mon mot de la fin. C'est-à-dire qu'il ne faut pas laisser s'installer des situations. Mais par contre, on peut toujours s'en sortir. Moi, j'y crois, vraiment. Par contre, il faut se battre. Tous les jours, il faut se battre. Il faut se battre tous les jours. Et puis, il faut y croire. Et moi, j'y crois. Je crois en un avenir. Je ne me suis pas battue jusqu'à maintenant pour lâcher maintenant. Donc, je continue à croire. Vous venez d'écouter un épisode du podcast Parlons Plus Bas. Cette émission est disponible sur toutes les plateformes d'écoute. Réalisation Anthony Chenu, voix off Justine Leroux. Pour échanger avec nous, rendez-vous sur le compte Instagram de l'émission.

Description

[#9 Anne Lorient : Au chevet des femmes de la rue] Dans ce neuvième épisode, Anthony Chenu rencontre Anne Lorient.


Ancienne SDF, Anne Lorient est aujourd'hui à la tête d'une association qui vient en aide aux femmes sans domicile fixe et aux familles précaires à Paris. Elle raconte comment son destin a basculé le jour de ses 18 ans lorsqu'elle a décidé de fuir le domicile familial. Après 17 années passées à la rue, Anne Lorient est parvenue à s'en sortir.


Elle a fait de cette douloureuse expérience un livre : Mes années barbares en collaboration avec la journaliste Minou Azoulai (2018). Le retentissement de son témoignage lui a permis de trouver la force de créer l'association qui porte son nom et qui lui permet d'organiser des collectes et de sensibiliser le grand public à la conditions des femmes dans la rue.


Anthony Chenu retrouve Anne Lorient dans une brasserie du 18e arrondissement de Paris.


Attention, cet épisode relate des faits de violences sexuelles qui pourraient de ne pas convenir aux auditeurs et auditrices sensibles à ces sujets.


Parlons plus bas est un podcast d'Anthony Chenu à retrouver sur toutes les plateformes et sur les comptes Instagram et Facebook de l'émission.

Voix off : Justine Leroux

Décembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est idiot, mais personne ne parle au SDF. On a peur, il y a le côté miroir, on a peur d'être un jour SDF, on a peur de la personne. Pour vous dire, les femmes SDF ne sont pas du tout agressives, au contraire, elles ont très très peur. Parlons plus bas. Podcast réalisé et présenté par Anthony Chenu.

  • Speaker #1

    Pour ce neuvième épisode, je voulais vous faire entendre la voix d'Anne Laurian, à la tête d'une association qui porte son nom. Elle vient en aide aux femmes SDF et aux familles précaires à Paris. Dans cet entretien, elle revient pour nous sur les raisons qui l'ont conduite elle-même à vivre 17 ans de sa vie à la rue avant de pouvoir s'en sortir. Cet épisode ne comporte exceptionnellement pas de reportage. J'ai tenu à la fois à donner toute sa place au récit de mon invitée et nous avons convenu ensemble de ne pas la suivre dans ses missions par dignité pour les personnes auxquelles elle vient en aide. Attention, cet épisode relate des faits de violences sexuelles qui pourraient ne pas convenir aux auditeurs et auditrices sensibles à ces sujets. Je retrouve Anne Laurian dans un café du 18e arrondissement de Paris. Il est 17h.

  • Speaker #0

    On se trouve dans un café, dans le 18e arrondissement. C'est un quartier animé, comme vous disiez, Tala. Et c'est un quartier où il se passe beaucoup de choses. C'est entre les bobos du 17e et les craqueurs du 18e. Donc il se passe énormément de choses. C'est très varié. Donc moi, j'aime bien. On est en face de la mairie où il y a tout le temps des mariages et tout. Donc moi, j'aime bien cet endroit-là. C'est un endroit qui me reflète bien.

  • Speaker #1

    Je commence toujours les épisodes en demandant aux invités de nous parler de leur enfance, de nous raconter un peu d'où ils viennent, leurs origines. Est-ce que vous accepteriez, vous, de nous raconter un peu votre enfance ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je viens du nord de la France. J'ai des origines normande et bretonne, parce qu'on en parlait tout à l'heure. Mais j'ai habité très très longtemps à Arras, donc ma petite enfance, jusqu'à mes 18 ans où je me suis sauvée en fait. J'ai subi l'inceste de mon frère dans ma famille. Et après je suis, au jour de mes 18 ans, libération quoi. J'ai pris le premier train, je suis venue à Paris. Et depuis je suis restée à Paris. Moi je rêvais de la Tour Eiffel. Je rêvais de Paris, de la liberté qu'il y avait à Paris. Je voulais surtout fuir la famille. Le jour de mes 18 ans, j'avais préparé ma valise depuis très longtemps. Et à 8h du matin, j'étais déjà partie. Je suis arrivée à la gare du Nord, direct. Et puis, j'avais de la famille à la Défense, en 1992. Ils m'avaient dit, si tu as un problème, tu pourras venir nous voir. Et donc, la première chose que j'ai fait, c'est d'aller là-bas. Quand ils m'ont vu arriver, j'étais en panique, en fait. par rapport à ma famille. Et du coup, ils m'ont refusé. Du coup, je me suis retrouvée à la rue ce premier soir. Le premier soir à la rue, c'était quand je suis arrivée à Paris.

  • Speaker #1

    Ça, c'est important de le dire. C'est-à-dire que les gens comprennent que basculer dans la rue, ça peut se passer...

  • Speaker #0

    En 30 secondes. Ça peut arriver à tout le monde. Déjà, c'est ça qu'il faut dire. Ça peut arriver à tout le monde, qu'on ait une éducation ou pas, qu'on ait de l'argent ou pas, parce que l'argent, ça n'empêche pas la rue. Et puis, ça peut arriver très, très vite. Le problème, c'est que le premier soir, j'ai été violée. Le premier soir, j'ai été violée par trois hommes. Du coup, après, suite à ce viol, j'ai perdu la faculté de parler. Je suis devenue muette. Donc, je suis restée muette pendant trois ans. Et donc, pour demander de l'aide, je ne pouvais pas. Donc, c'était compliqué. Donc là, moi, je me suis cachée à la Défense, dans les sous-sols de la Défense. J'étais au moins 8, comme on dit. Il y a moins 12 étages sous la Défense. Moi, j'étais au moins 8. Et j'allais manger dans les poubelles du centre commercial. Il y avait plein de restaurants. Plein de poubelles, il y avait aussi plein d'SDF, donc il fallait se battre pour manger. Et c'est comme ça que j'arrivais à survivre en fait. Mais je ne pouvais pas demander de l'aide. Moi j'étais très seule, honnêtement, j'étais très seule en tant que SDF, en tant que femme SDF. Il fallait être seule pour être protégée, pour me protéger. J'allais vers d'autres SDF en cas d'urgence seulement. Mais j'avais compris qu'être en groupe c'est dangereux. Ça c'est toujours actuel, une personne SDF qui est partie d'un groupe. se fait attaquer par d'autres groupes, donc on ne peut pas s'en sortir. Alors qu'une personne seule, bon, peut quand même jongler. Par exemple, je n'avais pas de chien, je n'avais pas tout ce qui pouvait encombrer un SDF, je n'avais pas de... Je comprends que les gens, les SDF, ils ont besoin d'animaux pour l'affection et tout ça. Mais c'est un peu handicapant quand tu veux te sauver ou un truc comme ça. Donc moi, j'étais très seule. Après, j'ai commencé vraiment plus tard, 5 ans, 6 ans plus tard, à connaître d'autres SDF, à commencer à parler. J'ai récupéré ma parole au bout de 3 ans.

  • Speaker #1

    Comment ? Est-ce que c'est revenu comme ça un matin ?

  • Speaker #0

    Comme ça, direct. On s'est vu un matin et hop, je parlais. J'avais beaucoup de choses à dire. Du coup, j'ai été demander de l'aide et tout ça. Et là, j'ai pu communiquer avec les autres SDF. Parce que là-bas, c'est les bouches à oreilles après. Donc, il n'y a pas de livret d'adresse pour SDF. C'est des bouches à oreilles. Donc, j'avais besoin de tel problème, de tel machin. Donc, je partais à droite, à gauche grâce au conseil d'autres SDF. Donc, bon. Puis après, du coup, je me suis fait des copains, des copines. Voilà, ça commençait comme ça.

  • Speaker #1

    Il y a eu des rencontres qui vous ont marqué ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. Chez mon ex-mari qui était avec moi dehors. On s'est mariés quand même. Et puis après, j'ai eu des amis, des amis femmes. Après, c'est toujours un peu compliqué la vie dehors. Il y a des jalousies. C'est les feux de l'amour version SDF. Comme dans la vie. En fait, la vie d'SDF, c'est une vie normale, entre guillemets, avec tous les problèmes qu'il peut y avoir de la vie normale. C'est juste le décor qui change, mais le reste, ça ne change pas.

  • Speaker #1

    Vous l'avez dit, on parle de faits qui ont plus de 20 ans. À l'époque, il y avait déjà des centres d'hébergement d'urgence. Est-ce que c'était une solution ?

  • Speaker #0

    Alors, il y avait déjà, mais par contre, il n'y avait pas le 115. Donc, le 115, actuellement, c'est vraiment l'association qui centralise tout, mais du coup, qui bloque tout aussi. Parce que quand il n'y a pas de place au 115, ça ne se passe plus pas. Il n'y a pas de centre d'hébergement où on peut débarquer comme ça et avoir une chance. Il faut passer par le 115, avoir un numéro d'enregistrement, nanani, nanana. Et là, ça devient compliqué, vraiment. Même nous, actuellement, avec mon association, on a du mal à aider les personnes SDAF parce que si elles ne sont pas enregistrées au 115, on ne peut rien faire. Et se faire enregistrer au 115, ça prend du temps. Alors que moi, il y a 20 ans, je pouvais venir dans n'importe quel foyer, je toquais à la porte et ils disaient Est-ce que vous avez une place ?

  • Speaker #1

    Et ça, vous avez pu trouver de l'aide aussi auprès ?

  • Speaker #0

    J'ai eu 3-4 foyers comme ça. Après, moi, comme j'étais blanche, française, de Russie, une chrétienne, j'allais plutôt dans les foyers religieux. qui m'ont quand même pas mal aidée. Après, c'est pareil, c'est comme partout, il y a des gens bien et des gens pas bien. Mais en tout cas, j'ai rencontré des gens bien. Donc, ça m'a donné l'occasion de me poser, de réfléchir, etc. De ce que je voulais faire après, etc. Mais surtout de récupérer aussi, de manger, de me laver. Et c'est petit à petit, j'ai commencé à reprendre figure humaine. Par contre, j'étais toujours violée tout le temps. Et j'ai eu deux enfants de viol dans la rue. Donc ça, c'est important aussi de le dire. Maintenant, ils ont 23 ans et 20 ans, ils vont très bien. Mais ils vivent avec moi, etc. Et ils connaissent leur histoire. Il n'y a pas de tabou, il n'y a rien.

  • Speaker #1

    Votre histoire, elle révèle toute la particularité et la violence que c'est d'être une femme et une femme seule dans la rue.

  • Speaker #0

    C'est beaucoup la violence sexuelle. Après, il y a le problème des règles aussi. Le problème d'avoir les règles dans la rue qui sont un peu compliquées. Actuellement, il y a plein d'associations qui gèrent ça, mais moi, il y a 20 ans, il n'y avait rien. Et du coup, on prenait des t-shirts, des trucs comme ça qu'on trouvait dans les poubelles pour faire des serviettes hygiéniques. Mais du coup, ce n'était pas du tout hygiénique et je m'attrapais toutes les infections du monde. Donc ça, c'était un vrai problème. Les règles dans la rue, c'est un vrai problème.

  • Speaker #1

    Vous l'avez dit, donc vous allez donner naissance à votre premier enfant dans la rue. Est-ce que ça a été une rencontre immédiate ? Comment vous avez géré cette situation inattendue ?

  • Speaker #0

    Alors, c'était vraiment inattendu. Je ne m'y attendais pas du tout. Je ne savais même pas que j'étais enceinte. J'ai fait la dernière grossesse. J'ai accouché dans la rue et les pompiers sont arrivés. Et la seule chose que moi j'ai vue, c'était le regard de mon fils. On a croisé le regard. Ça m'a fait un truc super, incroyable. Et les pompiers tout de suite m'ont dit, oui, on va vous prendre votre enfant. Parce que vous êtes SDF et tout. Et là, je me suis sauvée avec mon gamin. Parce qu'il n'était pas question que je laisse mon gamin, je ne sais pas où. Donc là, je l'ai... Je les gardais avec moi et c'est très bien. Mais il avait que deux ans et demi dehors avec moi. Donc là, c'était vraiment compliqué. J'ai réussi à l'allaiter, donc ça, c'était bien. Mais comme je ne mangeais pas, je ne mangeais pas équilibré, loin de là, du coup, je n'avais pas beaucoup de lait. On n'avait pas de couches. Alors, à l'époque, il y a 20 ans, il n'y avait que les églises qui donnaient des couches. Donc, j'allais dans les églises et je demandais des couches. Et j'allais dans les vestiaires des églises, demander des vêtements pour les bébés et tout ça. Ça, c'était super, par contre, parce que... rencontrer plein de petites grand-mères bénévoles qui étaient trop mignonnes. Ça, c'est bien. Ça, ça fait un... Moi, mon fils qui a 23 ans maintenant, il s'en souvient encore. Pour lui, c'est un pilier, quoi. Ces petites vieilles dames qui sont sûrement mortes maintenant.

  • Speaker #1

    Il y a des choses, des choses toutes simples, comme apprendre à marcher à son enfant quand on est à la rue. Ça se passe dans l'espace public. Et une chose aussi banale n'est plus aussi banale que ça, finalement.

  • Speaker #0

    En fait, comme je voulais pas qu'il... Quand on le repère, on peut trouver un porte-bébé. Et avec le porte-bébé, je le tenais contre moi. Mais beaucoup plus tard que normalement. Normalement, au bout de 7-6 mois, on le laisse gambader. Moi, jusqu'à ses 2 ans, il était en porte-bébé. Quand justement, j'étais enceinte de mon deuxième enfant, quand j'étais encore à la rue, j'ai rencontré une femme qui était médecin. Elle, elle nous a vraiment suivi. Elle a suivi toute ma grossesse, même quand j'étais dans la rue. Et après, avec une association, elle a réussi à me sortir de la rue, à me trouver un appartement où je suis assise avec mes enfants. Et elle nous a suivis tout le temps jusqu'à sa retraite. Donc ça a duré quand même au moins 5-6 ans. C'était un repère en fait.

  • Speaker #1

    J'ai entendu dire que vous étiez une grande lectrice, ou que vous l'aviez été en tout cas. Est-ce que pendant ces années difficiles, la lecture était encore présente ou pas du tout ?

  • Speaker #0

    C'était plus l'écriture. Je suis plus une grande écrivaine. Non, j'exagère de dire ça, ça fait un peu... En fait, mes parents étaient libraires. Donc la lecture pour moi, c'est déjà automatique, on va dire. J'ai une culture littéraire, mine de rien, malgré une enfance compliquée. Je passais beaucoup de temps à lire dans la librairie de mes parents. Donc j'ai quand même une culture littéraire. Après, j'aimais bien écrire et j'avais trouvé le système d'écrire pour pouvoir dégager mes émotions, etc. Du coup, j'écrivais partout. par terre, j'avais pas de cahier, j'avais rien, mais j'écrivais partout sur les trottoirs et tout ça. Donc j'écrivais, j'écrivais, j'écrivais, ça c'était clair. Et après j'écris mon livre et voilà, et même encore maintenant je suis en train d'écrire le deuxième. Donc je suis quelqu'un qui a besoin de s'exprimer par l'écriture.

  • Speaker #1

    Et ça vous a aidé dans une certaine mesure à aussi évacuer, à aussi faire ce travail ?

  • Speaker #0

    Ah oui complètement, c'est hyper thérapeutique, vraiment. Alors c'est dur de sortir parce qu'il faut tout revivre quand tu écris. Mais une fois que c'est sorti, c'est sorti. Et ça permet d'avoir... Bon, c'est fait. On peut passer à autre chose, on tourne la page. On ne peut pas tourner la page, mais on avance, on va dire, petit à petit. On met des mots sur des mots, M-A-U-X. Ça, c'est connu comme expression, mais je pense que c'est vraiment très important. Et très vite d'ailleurs, dès qu'il y a eu les réseaux sociaux, je me suis ouvert une page où je pouvais écrire des choses. A l'époque, c'était Facebook. Maintenant, c'est plus Instagram. Mais au départ, j'avais vraiment un Facebook où j'écrivais beaucoup de choses et les gens me suivaient. Parce que maintenant, les gens font des blogs et tout ça. Mais à l'époque, c'était vraiment le début. Et en plus, j'aime bien l'informatique. Donc, régulièrement, je faisais des appels pour récupérer des vieux ordinateurs. Je reformatais les trucs. Je me faisais des ordinateurs moi-même. C'était... C'était...

  • Speaker #1

    On va évoquer maintenant l'après. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous en êtes sorti ? À quel moment vous êtes revenue vers une vie plus conventionnelle ?

  • Speaker #0

    Quand j'étais dehors, j'étais enceinte de 8 mois, je crois, de mon deuxième enfant et j'avais déjà mon premier enfant. Je faisais la manche et il y a un médecin qui est venu et on a discuté tout ça. Moi, j'étais un peu sauvage. Je n'avais pas trop envie de faire connaissance avec les gens. Tous les justes qui me donnent un front, à l'époque, c'était quelques centimes d'euros. Mais je n'avais pas trop envie de raconter ma life. Et en fait, elle a commencé vraiment à travailler au corps pour que j'arrive à lui faire confiance. Et elle, de son côté, elle a commencé à regarder un peu les associations qu'il y avait autour et tout ça. Et donc, elle a trouvé une association au métro Victor Hugo, dans le 16e, qui avait une assistance sociale. et donc qui a accepté de nous recevoir elle et moi et mes enfants. Là on a monté un dossier et on a pu avoir très rapidement, une semaine je crois, un appartement HLM ici dans le

  • Speaker #1

    18ème. Est-ce que ça a été facile pour vous de vous réinstaller dans une…

  • Speaker #0

    Non c'était compliqué mais je le faisais au nom de mes enfants. Je voulais surtout que mon aîné, qui avait deux ans et quelques, un petit peu plus de deux ans, je voulais qu'il rentre à l'école. Je ne voulais pas qu'il soit un enfant SDF. Pour moi, c'était évident qu'il fallait sortir. C'était le moment. Et c'est ce qu'on a fait tout de suite. Et on a été inscrits à l'école. Or, ça a été une catastrophe, parce qu'il ne connaissait pas les autres enfants. Il s'est battu avec tous les enfants. Il a cassé la gueule à toute la classe le premier jour. Mais bon... Mais bon, voilà. J'ai eu de la chance de tomber sur une bonne école avec d'autres parents, des choses... Moi, j'ai dû apprendre aussi. Puis après, j'avais le problème de l'enfermement. Autant j'étais avec mes enfants, il n'y avait pas de souci. Et moi, me faire enfermer dans un appartement, ça a été très compliqué. Même encore maintenant, ça fait 20 ans. J'ai du mal à rester enfermée dans une pièce. N'importe où où j'aille, il faut que je sois près d'une fenêtre, il faut que je sois avec une fenêtre ouverte, je ne peux pas dormir fermée. Il y a encore plein de traumatismes de tout ça. Mais au nom des enfants, je faisais l'effort. Mais par contre, dès qu'ils se dormaient le soir, je suis allée faire un tour. J'avais besoin de prendre l'air. Pour moi, c'est important. Mais vraiment, c'est ce qui nous a sauvés, c'est cet appartement. Et puis du coup, avec la médecin, on a fait toutes les démarches pour la CAF, avoir les allocations pour les enfants et la prise en charge du loyer. Moi, je ne connaissais pas tout ça. Donc, si elle n'avait pas été là, ça aurait été la cata. Le suivi administratif des SDF, c'est vraiment hyper important parce que souvent, ils sont déconnectés de la vie et ils ne connaissent pas tout ça. Et en plus, ça change tout le temps. Même là, la CAF a encore changé des lois. Ça change tout le temps. Donc, il faut avoir des gens. compétents qui connaissent. Et ça, c'est important. Moi, dans mon association, on a des bénévoles administratifs, j'appelle ça. Ils font que ça.

  • Speaker #1

    Vous allez tout de suite ressentir le besoin d'aller aider des femmes, d'aller aider des familles aussi qui se trouvent dans la rue. Vous pouvez nous raconter comment tout ça est venu ?

  • Speaker #0

    En fait, c'était progressif. Là, je me suis retrouvée en Cité HLM et je me suis aperçue qu'il y avait beaucoup de femmes en Cité HLM qui étaient des anciens SDF et donc beaucoup avaient des enfants, mais n'avaient pas de quoi manger, n'avaient pas de quoi les habiller. Donc la première chose qu'on a fait, c'est qu'on a fait une association entre femmes voisines, mais d'anciennes SDF. C'est un truc important, donc souvent aussi femmes violées, touchées par les enfants, etc. Ça, c'était notre première association. Et à partir de là, on a commencé à construire cette aide aux femmes SDF et aux familles, qu'elles soient dans la rue ou à peine installées. Parce qu'en fait, on revient toujours à la même histoire de l'installation, c'est compliqué. Et ça, ça dure depuis 20 ans. Mon association s'occupe vraiment des deux personnes. Des femmes SDF d'un côté, des familles SDF d'un côté, mais aussi des femmes précaires qui ont été SDF et des familles précaires qui ont été SDF. C'est vraiment deux cibles différentes.

  • Speaker #1

    Et donc aujourd'hui, toute femme qui serait en situation de besoin, comment elle vous contacte ? Comment elle vous sollicite ?

  • Speaker #0

    Déjà, il y a les réseaux sociaux. En plus, moi, je suis... Je suis quelqu'un qui fait beaucoup de sensibilisation dans les médias. Souvent, quand je ne suis pas d'accord, je vais gueuler dans les médias. Donc, en fait, on m'entend. On me voit et on m'entend. Mais aussi, après, c'est entre SDF, c'est le bouche à oreille. Et puis après, là, je travaille justement à la mairie. Je travaille avec les maires d'arrondissement du 17e et du 18e, parce que c'est les plus près. Et eux travaillent quand il y a des signalements, par exemple, qui sont faits par la police ou les pompiers de femmes SDF. Ça revient à la mairie. aux maires et les maires me contactent moi. Et donc moi, en général, je repasse par la police ou les pompiers, ceux qui ont fait le signalement, et je vais rencontrer la personne SDF, mais accompagnée par la police et les pompiers. En fait, c'est tout un circuit qui me permet d'intervenir dans des situations des fois compliquées, où la police fait très peur au SDF. Et donc quelqu'un de neutre comme moi peut intervenir, et du coup ça se passe beaucoup mieux.

  • Speaker #1

    Vous faites un peu de médiation aussi ou de conciliation ?

  • Speaker #0

    Voilà, c'est une sorte de médiation, exactement.

  • Speaker #1

    Et donc votre association dont on en a parlé plusieurs fois jusqu'ici, comment elle est née et quelles sont ses missions aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Alors elle est née suite à la parution de mon livre en 2016, ça fait 8 ans. Mes années barbares, c'est mon livre que j'ai sorti avec Minou Azoulay qui est une journaliste. C'est elle qui m'a fait la proposition, moi je n'avais même pas imaginé raconter ma vie. Et donc, Minou et une autre femme sont venues me voir pour me proposer de faire ce livre. Au début, je les ai regardées et je me suis dit Oh là ! Et puis en fait, ça s'est fait naturellement et très bien. Ça s'est très bien passé. Donc ça, c'était il y a huit ans. Et du coup, j'ai dû aussi trouver le nom de Anne-Norient. Ce n'est pas mon vrai nom. J'avais trouvé un pseudo d'auteur. Donc, il a fallu travailler avec la maison d'édition pour trouver mon nom d'auteur. Je voulais absolument que ce soit un nom breton. Du coup, on a fait Anne Brest, Anne Guilvinec, Anne Saint-Malo. On a fait toutes les villes jusqu'à Anne-Lorient. Et Anne-Lorient, ça me plaisait bien. C'était tout doux et ça m'allait. Et du coup, on est resté sur Anne-Lorient. Du coup, on a sorti ce livre il y a huit ans. Ça a fait un gros buzz partout dans les médias. Après, la maison d'édition, ils ont mis le paquet aussi. Et depuis, on aide les femmes. On n'a pas d'aide, on n'a pas de subvention publique. C'est un choix de notre part. parce qu'en fait on ne veut pas être bloqué par la mairie de Paris. Mais par contre, on a des cagnottes et l'OSO sur Internet où les particuliers nous font des dons. Et quelquefois, des entreprises peuvent nous faire des dons, mais là plus directement, on donne le rive de l'assaut. Et alors selon les aides qu'on reçoit, on peut aider ou on ne peut pas aider. Ça va dépendre si on a de l'argent ou pas. C'est le nerf de la guerre.

  • Speaker #1

    Et donc, votre association, elle permet d'acheter notamment des protections hygiéniques pour les femmes, d'acheter aussi des vêtements ?

  • Speaker #0

    Voilà, exactement. En fait, d'un côté, on fait des collectes de produits hygiéniques, de nourriture, de vêtements, etc. Quand il y a des besoins spécifiques, par exemple, on vient d'acheter une armoire pour une famille, on vient d'acheter des lits. Là, il commence à arriver l'hiver, donc on commence à acheter des duvets. Là, on sort d'une période où on a acheté plein de soutiens-gorge et plein de culottes pour les femmes, parce que ça, c'est un vrai problème aussi, les sous-vêtements dans la rue. Donc, les femmes ne récupèrent que des vêtements qui sont abîmés ou pleins de sang ou déchirés. Donc, nous, on a voulu faire le geste d'acheter du neuf et de distribuer du neuf. Après, on a aussi... On a aussi, par exemple, sur Instagram, une dame qui a une maison de lingerie et qui a fait de la pub pour nous et nous a envoyé trois cartons de soutien-gorge. Donc, c'était super. Et ça, c'est une partie de notre assaut. L'autre partie, c'est la sensibilisation. Donc là, moi, je vous disais tout à l'heure, je travaille beaucoup avec les étudiants. Donc, j'ai des étudiants qui se posent beaucoup de questions sur les SDM, sur les femmes SDF. Par exemple, il y a 300 000 SDF en France. Il y a 40 de femmes et on ne les voit pas. Donc pourquoi on ne les voit pas, etc. Donc les gamins, ils ont des exposés à faire, des choses comme ça. Donc là, je prends vraiment le temps de me poser avec eux, de faire des choses avec eux. Donc ça, c'est important. Et puis après, il y a les médias, les réseaux sociaux. J'essaie de poster une fois par jour quelque chose. Plus ou moins intéressant, je pense, parce que je ne maîtrise pas tout. Par contre, j'ai des bénévoles digitaux. Donc on fait souvent des appels aux bénévoles sur Instagram. mais selon des compétences bien précises. On ne prend pas des bénévoles juste pour prendre des bénévoles. Par exemple, quand on a besoin d'un juriste, on a besoin, dans quel cas, pour faire le site Internet. Par exemple, on l'a fait faire par des bénévoles. Les suivis administratifs, donc on revient à ça. On a des suivis scolaires aussi, des choses comme ça. Et puis des gens, justement, qui veulent nous aider à faire des collectes dans les supermarchés. Parce que moi, en plus, je ne sais pas tout faire. Enfin, tout ça, je ne sais pas faire quoi. Ce qui est intéressant aussi, c'est de... prendre des bénévoles qui peuvent m'apprendre des choses. Ça, ça m'intéresse aussi.

  • Speaker #1

    On l'a dit, le récit de votre vie a été assez médiatisé, et continue de l'être encore aujourd'hui, et on le fait aussi à notre manière ici. Est-ce que vous vous sentez investie aussi de la mission d'interpeller les politiques, d'interpeller les pouvoirs publics aussi ?

  • Speaker #0

    Alors, j'y ai cru. Honnêtement, j'y ai cru. J'ai essayé. Rien du tout. On me reçoit, ça, il n'y a rien à dire. J'étais au Sénat, j'étais à la mairie de Paris, j'étais à l'Assemblée nationale. Par contre, ce qui est intéressant, c'est qu'on me reçoit aussi pour faire des rapports. ou des enquêtes. Par contre, ça, ça marche. Là, il y a une enquête qui vient de sortir au Sénat, où j'ai donné mon avis, etc. Après, ça ne change pas grand-chose au niveau du terrain. C'est-à-dire que ce n'est pas parce que je suis là qu'ils vont ouvrir un centre d'hébergement. Je ne vais pas rêver. Je suis un peu mitigée. En plus, ça change tout le temps, donc il faut gérer. Il faut suivre entre tous les ministres qui changent et tout, et qu'il faut tout refaire là. à chaque fois se représenter, qui on est, pourquoi on est là, nanani nanana. Et puis, ce qui est intéressant, c'est qu'on a été auditionnés au CESE. Donc ça, c'était important. C'était aussi une enquête. Ils ont auditionné toutes les associations d'aide aux personnes, démunies ou pas d'ailleurs. Et donc ça, c'était intéressant. Et il y a beaucoup d'associations qui aident des fermes SDF, il n'y a pas que moi. On a réussi à installer depuis l'année dernière. Une possibilité de faire un hébergement temporaire dans les salles d'attente des hôpitaux. Donc c'est une loi qui est passée. Les hôpitaux ne peuvent plus refuser une femme SDF, même un SDF homme d'ailleurs, les F en général, et encore plus avec les enfants. Ils ne peuvent pas refuser l'hébergement, même s'il n'y a pas de soins, même s'il n'y a pas besoin de rencontrer un médecin, au moins les mettre au chaud. Et ça, c'est nouveau. Et dans les maternités, les femmes et les enfants qui ont eu des bébés, la loi qu'on a mise en place doit dire que les hôpitaux doivent les garder 30 jours. Donc ça, c'était vraiment un truc qui existait déjà, en fait. Mais ça, c'est un peu selon l'hôpital et selon le directeur de l'hôpital, s'il est sympa ou pas. Mais avec la loi, en fait, on les force un petit peu à être sympas et à faire 30 jours. Et après, au bout des 30 jours, en fait, l'hôpital et les assistants sociaux des hôpitaux appellent le 115. Donc déjà, ils ont un numéro prioritaire. Alors que si c'est la femme qui appelle, elle peut attendre longtemps. Mais là, le fait que ce soit un hôpital qui appelle, c'est quand même prioritaire. Et là, donc, ils demandent un hébergement. Évidemment, il n'y en a pas, parce que tout est plein. Et du coup, là, ils remettent les femmes SDF dehors, mais c'est seulement au bout de 30 jours. Donc c'est là que nous, les hôpitaux nous appellent en nous disant on a Madame Intel qui a eu un bébé, on la met dehors, mais est-ce que vous pouvez la prendre en charge pendant une nuit ou deux, surtout si elle a besoin de soins. Et nous, on fait des mises à l'abri et c'est là qu'on a besoin d'argent pour faire des mises à l'abri d'une nuit ou deux nuits parce qu'on ne peut pas faire plus, on n'a pas les moyens parce que c'est le coût de l'hôtel, le coût de la nourriture, le coût des produits d'hygiène, etc. Donc en fait, on a quand même réussi à faire bouger les choses. Par exemple, à l'hôpital Necker, aux hôpitaux Trousseau, qui sont des hôpitaux pour les enfants, ils ont carrément libéré des immeubles dans l'hôpital, où là, ils font des mises à l'abri, et des gens qui n'ont pas besoin de soins médicaux, mais qui ont besoin d'être au chaud. Donc ça, c'est important aussi, parce que nous, on dit qu'il reste trois places à l'hôpital, il nous reste 19 places, ça m'est arrivé déjà une fois. 19 places dans cet hôpital. Donc ça nous permet, nous, de pouvoir orienter. Et puis si les femmes SDF sentent qu'elles ne sont pas bien accueillies, elles nous appellent et nous, on rappelle la loi aux infirmiers, aux urgentistes qui sont là et souvent qui ne sont pas au courant. Ils disent mais nous, on ne savait pas. Donc nous, on dit en tant qu'association, on vous rappelle la loi. Et donc ça, c'est énorme. Les bains-douches ont été beaucoup fermés pendant le confinement. Qu'est-ce que c'est un bain-douche ? C'est un endroit où on peut prendre une douche et souvent... Laver ses vêtements, il y a souvent en même temps des machines à laver. Les produits d'hygiène sont fournis, ça c'est bien aussi. Et quelques fois, il y a aussi des vêtements neufs ou au moins en bon état qui sont proposés au SDF. Le problème c'est que presque tous sont fermés maintenant. Il y en a quelques-uns qu'on vient de rouvrir là pour l'hiver, mais c'est compliqué. Une femme SDF, dans la nuit, elle ne dort pas. La nuit, elle est une pro-sexuelle et du coup, elle ne s'autorise pas à dormir de peur de se faire attaquer. Mais par contre, du coup, on est tous des êtres humains, on a besoin de dormir. Du coup, le matin, souvent, tu peux rencontrer, même dans la rue, des gens qui dorment dans des abribus. Moi, je dormais dans des abribus. Je suis quelqu'un qui peut dormir assise, tellement je suis habituée à dormir dans un abribus. Vous rencontrez des femmes et des SDF qui dorment comme ça, de manière ponctuelle. Et puis après, il y a toutes les démarches administratives qui se font la journée, parce que ce sont des centres d'accueil. Là, du coup, d'accueil de jour, on appelle ça. pour les SDF, mais bon, il y a tellement de monde, il y a tellement de queues, etc., que souvent, on n'y va pour rien. Dès qu'on arrive le matin à 9h, on repart à 18h, on n'est toujours pas passé, en vrai. Et puis, donc, les bains-douches. Donc ça, la journée, c'est dodo, faire les papiers, donc les RSA, les machins, ça, parce que c'est très compliqué. Et puis, se laver. Et ça, se laver, c'est toujours compliqué. Moi, je vois beaucoup, par exemple, sur les réseaux sociaux, il y a beaucoup de groupes pour aider les SDF, et je mets toujours en garde les jeunes femmes qui veulent aider les SDF et qui les prennent chez elles pour prendre une douche. Donc attention, un SDF ça peut être quelqu'un de très bien, mais c'est aussi un prédateur. Donc soyez prudent. Quand vous voulez aider un SDF, vous l'aidez dans un lieu public. Vous lui donnez un café dans un café, vous lui donnez... Moi je suis contre de donner de l'argent. Par exemple, vous allez devant un supermarché, vous voyez quelqu'un qui fait la manche, vous allez lui demander. Moi je fais mes courses aujourd'hui, est-ce que vous avez besoin d'un shampoing, est-ce que vous avez besoin d'un morceau de pain ? Et là, la personne va vous dire, bah oui, j'ai besoin d'une mousse à raser, j'ai besoin d'un truc comme ça. Mais ne donnez pas d'argent, allez acheter en même temps que vos courses et à la sortie, vous lui donnez. Par exemple, moi, il y a deux jours, j'ai offert un flan à une femme SDF qui n'avait plus de dents et qui se marrait parce qu'elle me dit, je ne vais pas manger de pain. Et du coup, on a trouvé la solution d'acheter un flan. Il ne faut jamais donner d'argent directement à un SDF, pas parce qu'il peut être drogué ou alcoolique. Après, je veux dire, quand vous donnez de l'argent et qu'il achète une bière, c'est sa responsabilité à lui, ce n'est pas la vôtre. Vous ne pouvez pas lui reprocher d'acheter une bière avec votre argent, ça c'est clair. Mais par contre, vous pouvez lui acheter autre chose, une bouteille d'eau, etc. C'est important d'avoir une... et puis surtout sourire à un SDF. Sourire, lui parler, lui demander comment ça va. C'est idiot, mais personne ne parle au SDF. Ou alors c'est vraiment des gens pour venir les aider, la Croix-Rouge, tout ça. Mais comme ça, on passe des SDF, on a... peur, il y a le côté miroir, on a peur d'être un jour SDF, du coup on a peur de la personne. Et puis on a peur des fois de l'agressivité de l'SDF. Les femmes SDF, elles ne sont pas du tout agressives, au contraire, elles ont très très peur de la personne en face, donc il faut plutôt les apprivoiser. Et ça, ça peut se faire avec un croissant, là il va faire froid avec un truc chaud, chocolat chaud, c'est bon pour tout le monde. Je ne sais pas, je m'éparpille un petit peu, mais... Mais c'est des petits conseils que je peux donner. Le quotidien de la femme SDF, c'est ça. Et puis après, s'il y a des enfants, c'est encore une autre histoire. Et puis après, trouver un endroit pour dormir à l'abri. Mais quand on est à Paris, parce qu'on n'est pas tous à Paris, mais quand on est à Paris, il y a quand même beaucoup d'endroits cachés. On peut trouver des petits endroits. Nous, notre association, nous arrivons d'avoir des immeubles qu'on peut squatter. en accord avec la mairie. Je ne fais pas n'importe quoi non plus, mais on peut, par exemple, si une entreprise fait faillite, elle peut nous contacter pour dire, le temps que je me remette en route pendant six mois, je vous confie mes locaux. Ça, ça m'arrive. Du coup, on a quand même, on a des locaux de bureau, mais souvent, il y a de l'eau quand même. Il y a des toilettes, on peut donner une douche, même à un enfant avec un gant de toilette. Il y a toujours des solutions un peu intermédiaires, comme ça. Mais il faut avoir de l'imagination et puis il faut avoir de la confiance avec les gens aussi.

  • Speaker #1

    Et donc, vous disiez, vous écrivez votre deuxième livre en ce moment.

  • Speaker #0

    Alors, j'écris la suite de mon livre. Le premier livre, c'est ma vie. Compliqué, mais c'est ma vie. Et là, maintenant, j'écris sur la résilience. Comment aller mieux après, en fait. Et ça, ça peut parler à tout le monde, en fait. Et on est en train aussi de faire un département résilience dans mon association, qui ne sera pas que pour les SDF, mais pour tous les gens qui ont eu des... des problèmes dans leur vie, que ce soit un burn-out, une dépression, un machin, et comment rebondir. Et je pense que ça va aussi me donner la base de mon prochain livre. En fait, ça va nourrir. Je pense que je vais faire des nouvelles rencontres. On va faire des coachings, des séminaires. On change un peu de public, mais on n'oublie pas. On garde quand même notre action sur les SDF, etc. Mais on va essayer de faire évoluer un peu les choses. Parce que justement... À part les aider psychologiquement, les SDF, nous on n'a pas d'argent pour les aider concrètement. À part faire des collectes, mais ça va pas loin. Mais nous on a besoin d'argent, on a besoin des entreprises qui se bougent pour nous aider, qui fassent des dons, on a l'habilitation de faire des réductions d'impôts, donc on a agréé, il n'y a aucun problème. Le problème c'est de se faire connaître en fait. Le problème des associations c'est qu'il y en a 15 000, 15 millions même en France. Et du coup, pour s'y reconnaître, c'est dur. Nous, on est une petite asso. On veut rester petit. On nous a proposé d'ailleurs de nous racheter. Mais c'est niette, c'est non. Nous, on a le côté humain qui est plus important que tout, en fait. Il n'est pas question qu'on rentre dans les gros trucs. On a un bureau de trois personnes, donc minimum. Et puis après, on est une trentaine de bénévoles. On est tous bénévoles. Il n'y a aucun salarié. On est tous bénévoles. On a tous notre travail à côté aussi. On est tous... Donc, des fois, on est disponible, des fois, on l'est moins. Il faut aussi respecter ça. Mais en tout cas, on fait tout notre maximum.

  • Speaker #1

    J'ai vu aussi, de manière complètement décorrélée, que vous peignez aussi. On parle de l'écriture, on parle de la lecture, on parle de tout ça. Est-ce que les arts plastiques, c'est aussi une forme d'expression pour vous aussi ?

  • Speaker #0

    Oui, peindre, c'est... Alors, je peins, c'est un grand mot, mais je n'ai jamais exposé non plus. Mais en tout cas, c'est thérapeutique. C'est thérapeutique, c'est sûr. En tout cas, c'est comme l'écriture, ça permet de sortir des choses. Le peint, alors après, c'est une question de moyens aussi. Il y a des moments où je ne peins pas parce que je n'ai pas l'argent. Il faut acheter les toiles, la peinture, ça coûte cher. Mais quand je peux, quand j'ai l'argent, là, je me fais plaisir. Alors, je peins beaucoup de l'abstrait, des choses comme ça. Donc, les gens se noient dedans pour trouver des différentes... Comment dire ? Ils essaient de comprendre ce que je fais, ce qui n'est pas toujours évident. Mais ce qui est intéressant, c'est que... À un moment, les gens les voient différemment. Mais c'est vrai que ça me permet de me poser aussi, de se dire que pendant deux heures, je vais peindre, je vais arrêter de penser à tout. Parce que moi, je suis quelqu'un de HPI, donc ça veut dire que je réfléchis tout le temps. Donc, peindre, ça me permet de me poser. Mais oui, la peinture fait partie de ma vie. C'est important.

  • Speaker #1

    Avoir traversé tout ce que vous venez de raconter ici, laisse, j'imagine, encore des séquelles aujourd'hui. Est-ce que vous arrivez aujourd'hui encore à faire confiance, par exemple, à l'autre ? Est-ce que vous arrivez à... Comment vous gérez ces séquelles ?

  • Speaker #0

    Déjà, pour gérer ma vie actuelle avec tous les traumatismes, j'ai rencontré beaucoup de traumatologues, dont Muriel Salmona, qui est la plus grande traumatologue de Paris, qui, elle, m'a fait un suivi personnalisé au départ, parce que vraiment, je suis bien abîmée. Grâce à elle, maintenant, je suis un peu plus équilibrée, on va dire. Mais j'ai encore des suivis psy, etc., pour m'aider. Et puis... Ouais, après, j'essaie d'avoir une vie normale avec un travail, des enfants, un loyer à payer. Je suis devenue une femme normale. Si la normalité existe, on peut être normale aussi dans la rue. Mais en tout cas, j'essaie de gérer au mieux. C'est pas facile.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous diriez de vous que vous êtes une femme engagée ? Ah bah oui.

  • Speaker #0

    Ah bah là, je peux pas faire mieux. Comme femme engagée, en tant que présidente d'une association d'aide aux femmes SDF. Oui, oui, je suis engagée. Je suis engagée par rapport à la vie sociale et je suis engagée par rapport à la vie politique et j'y tiens. Je pense que chacun doit faire sa part. Après, chacun, il fait ce qu'on peut. On fait ce qu'on peut. Mais je pense que si personne ne fait rien, il ne se passera rien. Oui, il faut s'engager. Je pense, en tout cas.

  • Speaker #1

    Et la dernière question de chaque épisode, ce n'est pas une question, c'est le mot de la fin. C'est des minutes que vous pouvez utiliser, vous, pour parler directement aux auditeurs.

  • Speaker #0

    Pour finir, la seule chose que j'aimerais dire, c'est que rien n'est acquis ou rien n'est définitif. Je crois que c'est important, ça. On peut être SDF et devenir une femme engagée. Et on peut être une femme engagée et devenir SDF. Ça, c'est mon mot de la fin. C'est-à-dire qu'il ne faut pas laisser s'installer des situations. Mais par contre, on peut toujours s'en sortir. Moi, j'y crois, vraiment. Par contre, il faut se battre. Tous les jours, il faut se battre. Il faut se battre tous les jours. Et puis, il faut y croire. Et moi, j'y crois. Je crois en un avenir. Je ne me suis pas battue jusqu'à maintenant pour lâcher maintenant. Donc, je continue à croire. Vous venez d'écouter un épisode du podcast Parlons Plus Bas. Cette émission est disponible sur toutes les plateformes d'écoute. Réalisation Anthony Chenu, voix off Justine Leroux. Pour échanger avec nous, rendez-vous sur le compte Instagram de l'émission.

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