- Speaker #0
Pour moi, dessiner, c'est comme respirer. Si je ne dessine pas, j'ai l'impression que je perds mon temps. Ça me fait vivre. Il y a des auteurs qui font des livres, moi, c'est mes dessins.
- Speaker #1
Parlons plus bas. Podcast réalisé et présenté par Anthony Chenu
- Speaker #2
Dans ce cinquième épisode, je vous propose d'entendre Christelle Théa. Elle est artiste-dessinatrice indépendante et je la retrouve dans son atelier situé dans le 9e arrondissement de Paris.
- Speaker #0
On dirait une petite cabine de bateau, mais c'est un lieu où je ne travaille pas du tout.
- Speaker #2
Est-ce que tu peux nous raconter un peu le milieu dans lequel tu as grandi, dont tu es issue ?
- Speaker #0
Alors, moi j'ai grandi en banlieue parisienne à Potocombo, dans le 77. Et en fait, le milieu c'était vraiment Potocombo et Paris. Parce que mes parents, ils avaient un restaurant à Paris dans le 15ème. Et du coup, tous les jours après l'école, j'allais au restaurant de mes parents. C'était la semaine et le week-end avec ma petite sœur Jessica. Je suis... D'origine chinoise, je suis née en France, du coup je me sens française, mais en même temps j'ai une double culture, parce que je suis chinoise, on mange asiatique, on respecte les traditions chinoises, on va prier pour les ancêtres.
- Speaker #2
Tes parents tenaient un restaurant qui s'appelait Au Bonheur, c'est ça, dans le 15e arrondissement ?
- Speaker #0
Oui, c'était dans le 15e arrondissement au Bonheur. Et avant, c'était le restaurant de ma grand-mère qui s'appelle le New Haukan. Et ensuite, ils ont cédé. Elle l'a vendu à mes parents et du coup, ils l'ont repris. Et j'ai passé toute mon enfance dans ce restaurant-là. Ma soeur et moi, on a très très bien mangé. On mangeait tout ce qu'on voulait. Du coup, on pouvait commander tout ce qu'on voulait. On mangeait les glaces, les desserts et les boissons. On voit pas mal de monde, des personnes de l'UNESCO qui viennent manger, des hommes habillés en costume, des gens du quartier. C'est des habitués, des touristes, des japonais, des chinois, un peu de tout et c'est de la vie. J'entends encore les bruits de verre, les plats fumants qui passent, la cuisine, on entend des bruits de la... Par exemple, du wok, le feu et les bonnes odeurs.
- Speaker #2
Est-ce que c'est dès cette période-là que tu t'es intéressée au dessin ? Est-ce que tu peux nous raconter un peu comment cette passion pour le dessin est arrivée ?
- Speaker #0
Tous les soirs après l'école, comme on allait au restaurant, on faisait nos devoirs. Et ensuite, ça pouvait être un peu long. Et du coup, moi et ma soeur, on ne savait pas quoi faire un soir. Et on a demandé à notre mère, mais maman, on s'ennuie, qu'est-ce qu'on fait ? Et du coup, elle nous a passé son carnet de blocs ou sinon sur la nappe en papier. Et on a commencé à dessiner. Et on lui dit... Maman, mais qu'est-ce qu'on dessine ? Et du coup, elle m'a montré cette belle théière chinoise avec les petits grains de riz. Et elle m'a montré, voilà, le dessin. Et on était tellement émerveillés qu'on a commencé à dessiner.
- Speaker #2
Il y a des héros de bande dessinée jeunesse qui sont très connus, qui ont grandi dans un restaurant eux aussi. Et je le dis parce que ton dessin peut parfois rappeler celui de la dessinatrice Bernadette Després. Et je pense à Tom Tom et Nana. Est-ce que toi, tu les lisais, enfant ?
- Speaker #0
Ah ouais, j'adorais ça. Quand j'étais petite, on allait à la bibliothèque. Après on en a acheté et du coup moi je lisais que Tom Tom et Nana parce que je trouvais ça drôle, c'était un frère et une soeur, ils ont aussi leur grande soeur Marie-Lou et ça se passe dans les restaurants et je m'identifie un petit peu, bon ma soeur et moi on faisait pas autant de bêtises mais ouais je crois que j'ai lu tout Tom Tom et Nana.
- Speaker #2
Et au-delà du dessin, j'ai lu que tu étais très tôt passionnée pour l'art lyrique aussi.
- Speaker #0
En fait, très tôt, ma mère m'a mis à l'éveil musical. Du coup, j'ai fait du piano. Et le piano, au départ, je n'aimais pas du tout. C'était un peu forcé. Parce qu'en fait, c'était le rêve de ma mère de faire qu'on fasse du piano. Parce que quand elle était au Cambodge, elle est née au Cambodge à cause de la guerre d'Ekmerouge, quand elle est venue en France. Son père lui avait promis que quand il viendra en France, il lui achètera un piano et elle pourra continuer ses cours de piano. Et finalement, ça n'a pas été fait. Et du coup, son rêve, c'est quand... Elle nous a eu, tout de suite elle nous a mis à l'éveil musical, pour qu'on fasse du piano. Et moi le piano j'aimais pas trop ça. C'est au moment où j'ai commencé à jouer du bague, bah là j'ai adoré le piano. Mais quand j'ai découvert le chant, c'était une révélation. Quand j'étais au collège, on avait des cours le midi à la pause-déj, une association, pour faire du gospel. Et un jour on m'a dit, ah bah toi tu vas être solo. Bah j'ai commencé à chanter et un jour je lui ai dit à ma mère, mais j'aimerais bien faire des cours de chant au conservatoire. J'ai un professeur qui s'appelait Daniel Bonardo et qui m'a... qui était prof de musique de variété, mais aussi d'opéra. Et pour moi, c'était Waouh ! Comment ils font ces gens de chanter avec des grosses voix ? Il y a de la puissance vocale. Et c'est comme ça que j'ai commencé à l'âge de 16 ans à faire des arts d'opéra, genre à apprendre. Et ensuite, après, j'ai fait des études d'art à l'UV de Serres. et après au Beaux-Arts, et je me suis dit, je vais tenter à passer des auditions de chant pour entrer dans un des conservatoires municipaux de Paris. J'ai été prise dans le 16e arrondissement, dans la classe de chant lyrique d'Alexandra Papajiakou.
- Speaker #2
Et c'est resté tout au long de ton parcours, l'opéra aujourd'hui encore, c'est quelque chose qui t'inspire ?
- Speaker #0
Oui, j'adore surtout la musique quand elle est belle. Je continue encore à faire du chant lyrique, mais pour mon jardin secret. Après le bac S... Je voulais teinter une école d'art Olivier de Serres parce que c'était dans le 15ème, dans le même arrondissement de mes parents et l'ambiance avait l'air super sympa. Et du coup, après le bac, en fait, je l'ai eu tout de suite le concours. Donc, j'ai fait art appliqué, mise à niveau parce que, comme je viens d'un bac scientifique, il fallait un an de rattrapage de trois ans de gens qui font le bac art appliqué. Et ensuite, j'ai tenté graphisme pubédition parce qu'en fait, les élèves, ils étaient tous bons en dessin. Et je pensais que peut-être directeur artistique ou graphiste. Et au bout de deux ans... Je me suis rendu compte que c'était pas mon truc. Je me voyais pas DA dans la pub ou dans une maison d'édition. Et du coup, je voulais continuer les études d'art parce que je trouvais ça tellement passionnant. Et je voulais tenter les arts décoratifs. Mais un de mes profs d'expression plastique m'a dit Mais toi, ton profil, je te verrais bien Beaux-Arts de Paris. Et du coup, je l'ai tenté, les Beaux-Arts de Paris. J'ai quand même tenté les arts décoratifs de Paris et en fait, j'étais prise aux deux. Et en fait, c'est en mettant les pieds aux Beaux-Arts de Paris, je découvrais le quartier du 6e. Et du coup, je me suis dit Waouh, cette école est super belle ! L'Italie, je suis allée vers Beaux-Arts de Paris.
- Speaker #2
Est-ce que tu te souviens de projets que tu as menés au Beaux-Arts de Paris, des projets qui t'ont marqué ?
- Speaker #0
Par exemple, pour la dernière année, j'ai fait des portraits dessinés. Et ça, j'avais jamais fait ça de ma vie. Et en me disant, peut-être parce qu'il y avait un concours de portraits dessinés par l'association des Amis des Beaux-Arts, et je me suis dit, peut-être j'aurai un jour ce concours. Comme le portrait, c'est un exercice assez difficile, parce qu'il faut que ça ressemble à la personne qui est devant vous. Et du coup, je dessinais les portraits dans leur environnement.
- Speaker #2
Et tu vas aussi réaliser une série de dessins de chanteurs et d'instrumentistes de l'Orchestre National de l'Opéra de Paris.
- Speaker #0
Alors ça c'était en 2012-2013 et en fait on est allé voir une répétition en opéra et je me suis dit ah moi j'aimerais bien faire comme de gars, pouvoir demander à dessiner les orchestres. Alors j'ai demandé à une des personnes qui s'occupait de l'opéra, qui nous avait accueillis pour une répétition, elle m'a dit non et je lui ai demandé mais si je fais une demande officielle. Elle m'a répondu non. J'étais tellement déçue à la sortie qu'à un moment, en sortant en côté de l'opéra, je voyais des instrumentistes de l'opéra qui sortaient. Et je leur ai demandé, oui au fait, est-ce qu'on peut venir dessiner votre orchestre ? Elle m'a dit, je suis un peu pressée, demandez au groupe qui est là-bas. Alors je suis allée voir ce groupe et je leur ai demandé, ouais je suis étudiante au Beaux-Arts, j'aimerais bien dessiner votre orchestre. Et eux ils m'ont dit Ouais ouais y'a pas de problème Ils m'ont dit Mais venez à telle heure Mais je dis Mais bon bah on se retrouve Vous m'oubliez pas Et le jour d'après Bon ils vont à la répétition Alors je passe Et en fait Je suis passée comme ça avec eux Et en fait J'ai assisté à toutes leurs répétitions Et en fait Je m'étais pas rendu compte C'était pas l'orchestre De l'Opéra de Paris C'était l'orchestre Du Filat De Radio France Et du coup Je les ai suivis Pendant les répétitions A l'Opéra Comique A la salle Playel Ils étaient super sympas Et un jour Ils m'ont dit Il y a un concert à l'Opéra Comique. Il y a un des musiciens qui est contrebassiste et qui me dit je peux vous photographier votre dessin et je pourrais la mettre dans la revue de contrebasse Et il me donne sa carte. J'ai vu sa carte, il est professeur de CNSM, il s'appelle Thierry Barbé et aussi il est à l'orchestre de l'Opéra de Paris. Et un jour je lui demande est-ce que je pourrais dessiner l'orchestre ? Il m'a dit oui et lui il m'a fait entrer.
- Speaker #2
Et en 2014, tu vas passer quelques temps aussi au Beaux-Arts de Pékin ? Oui.
- Speaker #0
C'est un échange universitaire. Donc en troisième année, on a le droit de faire soit un échange ou soit un stage. Et du coup, il y a encore un concours au sein de l'école. J'ai pu obtenir une bourse pour partir à Pékin, à la CAFA. C'était génial parce qu'en fait, je voulais retrouver mes racines. Et j'étais allée en cours de gravure sur bois. Donc c'était un petit groupe d'élèves qui venaient un peu partout de la Chine. Je ne parlais qu'en chinois. Bon, il y a quelques élèves qui parlent anglais. Et franchement, j'ai... C'était merveilleux. Je faisais beaucoup de dessins, mais mon atelier c'était de la photographie. Parce qu'à l'époque au Beaux-Arts, il n'y avait pas encore Johan Sva, il y avait des cours de dessin, mais les ateliers c'était soit des photographes, des peindres, des sculpteurs. Et moi j'étais dans l'atelier de Patrick Tosani, photographe.
- Speaker #2
Comme beaucoup de personnes, moi je t'ai découverte en train de dessiner dans l'espace public. Tu avais simplement un tabouret, comme à chaque fois, un tabouret, un grand carton à dessin, et tu étais tournée vers le monument que tu représentais. Est-ce que tu peux expliquer comment tu en es arrivée à sortir de l'atelier et à travailler pratiquement exclusivement en dehors de l'atelier, dans l'espace public, au milieu du passage des gens ?
- Speaker #0
J'adore dessiner ce que je vois. Je dessine in situ, je dessine directement sur le vif. Il n'y a pas de crayonné, c'est directement à l'encre. Et en fait, je trouve... Vraiment le monde qui m'entoure, c'est ça qui m'attire et surtout les détails. Parce que travailler dans un atelier, je trouve ça pas très drôle, mais travailler dehors, c'est super. Si c'est un lieu un peu vide, en fait non. Ça va plus vite, mais ça m'inspire pas. Il faut vraiment beaucoup de foisonnement de détails, que ça soit baroque ou que ça soit le désordre.
- Speaker #2
Est-ce que tu as des lieux qui t'ont particulièrement marqué dans les premières années de pratique ?
- Speaker #0
Oui, il y a l'opéra Le Palais Garnier, ça m'inspire beaucoup. Je trouve qu'il est tellement beau. En fait, c'est un des plus beaux opéras du monde que j'ai visité. J'aime beaucoup la gare Saint-Lazare avec les grillages, les trains. Ça nous fait rêver. On a envie de prendre le premier train et partir. En ce moment, il y a l'Aquarium de Paris. C'est un lieu qui m'inspire beaucoup avec l'artifice de couleurs. Et là, cette fois-ci, c'est à l'Aquarelle. Je prépare une prochaine exposition pour le 14 novembre.
- Speaker #2
Assez vite, tu vas quitter la France, quitter Paris pour aller réaliser des œuvres et exposer dans des pays notamment européens, mais aussi aux États-Unis, d'où tu reviens tout juste. Je pense aussi au Japon. Est-ce que tu peux nous raconter comment tous ces projets sont venus à toi progressivement ?
- Speaker #0
Après avoir été diplômée, j'ai fait une première résidence d'artiste au Musée national Jean-Jacques Henner. Ensuite, après, j'ai, avec une exposition et un catalogue, 300 affiches dans le métro. Ensuite, pour que ce soit plus européen, j'étais... Prise sur concours pour Budapest, c'était un partenariat avec la mairie de Paris. l'Institut français de Budapest et la Budapest Galleria. Et du coup, j'ai passé deux mois à Budapest. Et j'ai proposé le thème sur les bains de Budapest, comme c'est un peu comme les cafés parisiens. Et comme c'était l'hiver, il fallait que je trouve un lieu à l'intérieur. Et tout ce qui était musée des beaux-arts s'était fermé, musée des arts décoratifs s'était fermé, l'opéra s'était fermé. Et les bains, c'est vraiment un lieu où les gens dialoguent, se rencontrent, les amoureux, le business. En fait, j'étais plutôt attirée par l'eau, parce qu'en fait, j'ai... J'ai pratiquement jamais fait de série sur l'eau. Et là, je me dis, l'eau, l'aquarelle, ça peut être joli. Et comme, en fait, dans les bains, il y a des personnes, du coup, j'ai dessiné aussi les Hongrois, les Hongroises qui sont... qui ont des belles... comment dire... des belles formes. Je suis fascinée par New York. Quand j'étais petite, je regardais pas mal de films, de séries américaines. Pour moi, c'était American Dream. Et du coup, un jour, je me suis dit, de toute façon, je ne suis pas sûre qu'un jour, j'aurai une résidence d'artiste à New York. Donc autant la provoquer soi-même. J'ai pris des billets, un billet aller-retour pour New York et l'hôtel. Je me suis dit, je ferai une série sur New York. Ouais, c'est un rêve d'enfant. Et du coup, je dessine dans la rue, quand il ne fait pas trop froid, s'il ne pleut pas. Et sinon, dans les musées, à l'intérieur. Et j'essaie de demander des autorisations quand j'arrive à les obtenir. Ouais, ces architectures, la rue, ces échafaudages, ces fire escapes, staircases. En fait, la vie là-bas, ça m'anime. Et les Américains, c'est vrai, ils sont très spontanés. Du coup, par rapport en France, bon... En France, quand je dessine à l'extérieur, il y a tout le temps quelqu'un qui vient me parler. Mais aux Etats-Unis, ils viennent juste pour vous dire Oh, c'est merveilleux ! etc. En fait, ils viennent quand même vous parler. Ils prennent des photos, ils mettent sur Instagram, pas mal d'Instagrammeurs. Et ils demandent tout de suite C'est quoi votre Instagram ? Ils sont hyper enthousiastes.
- Speaker #2
Il y a un autre projet que j'ai découvert de toi qui est plus surprenant. Tu as franchi les portes d'un bloc opératoire. Est-ce que tu peux nous raconter cette expérience qui a dû être assez particulière pour toi ?
- Speaker #0
Alors c'est Roman Hansen-Kanzari, qui est chirurgien en maxillofaciel à l'hôpital Nicaire, qui un jour avait aperçu mon travail par Andanesh et Alexandre Kazirouni, et du coup il m'avait proposé de faire une... en fait de me commander des dessins de l'hôpital Necker, enfant malade en maxillofaciale. Donc au départ il m'a commandé des dessins, à l'époque je faisais pas mal de bulles, en fait des dessins en cent années. J'assistais à des réunions et en fait je dessinais ce que j'entendais, ce que je voyais, en une heure et demie. Et du coup j'ai commencé à faire ça, et un jour il m'a dit Ouais je veux te montrer les blocs opératoires Et on est allé dans les blocs, et j'ai trouvé ça tellement fascinant, je connaissais pas ce milieu-là, que j'ai demandé Oh j'aimerais bien faire une série rien que pour moi, même sans commande Et c'est comme ça qu'on a démarré. Et c'est vrai que les blocs opératoires, il fait froid parce que Quand on ouvre un corps, il faut baisser la température. Et surtout, mon carton à dessin n'était pas stérilisé. Du coup, il ne faut pas être trop proche de la table d'opération. Il faut mettre des masques, il faut être en vêtements stériles. Et là, on ne voit que des enfants qui sont opérés. C'est assez impressionnant. Du nourrisson à l'enfant de 13 ans, c'est souvent des malformations à la naissance, des accidents. Et ouais, il y a un côté assez humain parce que les chirurgiens anesthésistes qui sont là, ils essayent de tout faire pour que ça réussisse. Par exemple, pour le cas des Siamois, ça avait un cas des Siamois qui venaient d'Algérie et là, ça a duré de 8h30 jusqu'à minuit.
- Speaker #2
Quand on parle de ta pratique, il y a une expression qui revient souvent qui est dessiner sans ébauche ni repentir Est-ce que tu peux nous parler de cette méthode et des outils que tu utilises pour pratiquer sans ébauche ni repentir ? Oui, je
- Speaker #0
J'utilise un rapidographe de la marque Stadler. C'est comme un rotring, mais c'est une marque allemande. Et c'est rechargé à l'encre de Chine, 0,4 mm. Et du coup, je dessine directement. C'est-à-dire, il n'y a pas de crayonnée. Et sans repentir, je ne peux pas effacer. Parce que l'encre, ça ne s'efface pas.
- Speaker #2
Combien de temps tu mets en moyenne pour faire un dessin ?
- Speaker #0
Alors pour réaliser un format raisin, c'est 50 x 65 cm, c'est à peu près 8 à 10 heures de travail.
- Speaker #2
In situ ? In situ. Tu recherches également, tu dis rechercher également plutôt la ressemblance plus que le réalisme ?
- Speaker #0
Ressemblance de ce que je perçois, ouais plus que le réalisme parce que sinon on peut prendre une photo, ça va plus vite. En même en dessinant quelque chose que j'ai déjà vu, en fait j'aperçois d'autres détails, d'autres choses qu'on ne voit pas parce que des fois on passe très très vite, on ne fait pas attention mais si on reste 1h, 2h, 3h, il n'y a pas... Plein de choses qu'on découvre. C'est comme quelqu'un, quand il va dans un musée, il va regarder un tableau, peut-être un tableau qui soit bien détaillé, parce que si c'est abstrait, on verra plus vite. Mais du coup, on peut voir chaque détail, on aperçoit qu'il a mis un poil par-ci, un poil par-là, il a caché tel objet. C'est comme l'exemple pour l'aquarium de Paris. Le même bassin, je passe devant ou j'essigne le même bassin plusieurs fois, et à chaque fois, je vois des choses différentes.
- Speaker #2
Est-ce qu'en dessin tu as des artistes qui t'inspirent même au-delà du dessin ? On a parlé de l'opéra tout à l'heure, mais est-ce que tu as d'autres disciplines, d'autres artistes qui t'inspirent encore aujourd'hui ?
- Speaker #0
Alors il y a des artistes qui m'inspirent bien, c'est Dürer, Albrecht Dürer, je trouve ça magnifique le trait. Il y a Sam Safran, malheureusement qui est décédé, tous ses détails, ses plantes. David Dauknecht. Dans sa période un peu plus ancienne, c'est un super dessinateur.
- Speaker #2
Est-ce que tu as des collaborations qui t'ont marqué ? On parlait tout à l'heure des établissements publics ou privés. Est-ce qu'il y a des collaborations avec des artistes qui t'ont marqué ?
- Speaker #0
Des collaborations peut-être... Je pense à la tapisserie Broderie avec Codimat Collection qui vend des moquettes et des tapis, des tapisseries, rue du Cherchemidi et qui m'ont proposé, on a fait trois collaborations, d'après un dessin existant, ils ont fait des énormes tapisseries. Sous-titrage Société Radio-Canada
- Speaker #2
Donc là, on est dans ton atelier qui est dans une arrière-cour d'immeuble et on voit sur le mur en rentrant une série d'autoportraits.
- Speaker #0
Oui, du coup, c'est une série d'autoportraits au Bibi. D'ailleurs, j'avais fait une exposition au musée Cognac G avec tous mes autoportraits et collections de chapeaux. Et aussi, j'avais fait un livre qui s'appelait Bibi parce que Bibi, ça veut dire petit chapeau. Mais aussi, quand on dit c'est Bibi, c'est-à-dire c'est moi en largo. Ils ne sont pas tous là, mais il y avait une quarantaine d'autoportraits.
- Speaker #2
Et sur les murs, donc, d'autres de tes dessins, des plus grands formats, on voit des toits de Paris, des fenêtres et une vue de la Tour Eiffel.
- Speaker #0
Oui, et du coup, c'est une exposition que j'avais faite récemment à la mairie du 9e sur les toits de Paris avec Corinne Lepêtre. Et là, par exemple, là, c'est le tribunal de greffe du tribunal de commerce. Du coup, j'avais eu l'autorisation pour dessiner. Et là, on voit le théâtre du Châtelet, juste ici. L'autre côté, on peut voir, d'après la Tour Eiffel... À travers les grillages, on voit Montmartre, l'Opéra de Paris, mais aussi, en notre point de vue, Montparnasse.
- Speaker #2
Et on voit Notre-Dame en travaux.
- Speaker #0
Ah oui, Notre-Dame en travaux, parce qu'en fait, j'ai des amis qui font un superbe point de vue. Je dessinais au départ, une fois par mois, l'avancement des travaux. Et du coup, j'ai réalisé quelques dessins des travaux de Notre-Dame de Paris. Moi, je dessine vraiment ce que je vois. Et dans l'atelier, en fait, je vois, comme il n'y a rien... Du coup c'est plus un endroit de stockage ou pour recevoir, mais je dessine vraiment le monde qui m'entoure.
- Speaker #2
Et tu entreposes combien de dessins ici à peu près ?
- Speaker #0
Pas beaucoup, peut-être, là il y en a peut-être une soixantaine.
- Speaker #2
Et là donc je vois aussi un dessin en couleurs, c'est pas toujours le cas, mais c'est des aquarelles c'est ça ?
- Speaker #0
Ouais, là c'est une aquarelle en fait qui date de ma série de Budapest, et là c'est dans les bains, c'est le kirali. Parce qu'en fait à Budapest, ils ont plein de sources d'eau chaude. Et là c'est côté du vieux château, là où il y a toutes les institutions de bain. Et ça c'est à l'époque à Kiraly avant les travaux. Du coup avec... Le sèche-cheveux qui marche très très lentement et doucement. Mais c'est vrai, c'est encore au vieux jus. C'est un peu vintage.
- Speaker #2
Et un peu plus loin, là ici, on voit des plats en fait. Des aliments, c'est ça ?
- Speaker #0
Oui, il y a des plats. C'était pour le livre Au Bonheur, des recettes de ma maman. Et là, c'est le dessert de bien-être. Donc avec que des ingrédients qui sont bons pour la santé. Et à côté, il y a le sac de course. Un des sacs de course, c'est qu'en fait pour la cuisine asiatique, des fois il faut pas mal d'ingrédients. Donc là c'est un des sacs de course, avec du chrysanthème, une sorte de gingembre séché, des racines. Alors celui-ci c'est la salle labrouste, mais celle de la bibliothèque Sainte-Jeanne-Vievre. Ce que j'avais fait il y a quelques années, il y a un an ou deux ans, je ne sais plus, maintenant les années passent, mais j'avais fait une exposition à la bibliothèque Sainte-Jeanne-Vievre. Je vais continuer à dessiner comme je dessine aujourd'hui, peut-être dans différents lieux, différents endroits. Je sais que par exemple en septembre, je vais faire une grande fresque. Cette fois-ci ce sera à la peinture et là ce sera une commande pour l'aquarium de Paris. Du coup ça va changer un peu d'échelle. Mais sinon je vais continuer à dessiner à l'encre et parfois à l'aquarelle. En ce moment je fais une série pour mon prochain agenda sur les instruments de musique. Donc là, je commence à peine. Et du coup, ce serait sur les instruments. J'ai une autorisation pour le Philharmonie de Paris, pour le Musée de la Musique. Et sinon, je vais faire un livre aussi sur les pâtisseries. Du coup, je dessine plein de gâteaux différents.
- Speaker #2
Et ça, c'est en collaboration avec un cuisinier, un pâtissier, non ? C'est simplement pour toi ?
- Speaker #0
C'est vraiment pour moi. Du coup, ce serait plus un livre d'art. Mais sinon, j'ai fait d'autres collaborations avec Pierre Gagnère. Et là, c'est pour sa carte de vœux de cette année 2024. J'avais fait aussi celui de l'année dernière. Mon dernier livre, c'est celui de la Fondation Custodia. C'est le gros, gros livre. C'est le plus grand livre que j'ai jamais eu. Et du coup, qui est vendu par la Fondation Custodia, qu'on peut retrouver dans les librairies. Et du coup, j'ai réalisé une quarantaine de dessins. Et c'était en fait à l'initiative de Rare Luton, l'ancien directeur, qui est malheureusement décédé avant l'apparition du livre. Et du coup, on montre les coulisses de la Fondation Custodia qui est rue de Lille. Ils font des superbes expositions et une belle collection de dessins anciens, de peintures. Moi, avant, je n'avais jamais été en Hollande. Maintenant, depuis, oui. Mais on a l'impression de voyager à l'intérieur des bureaux. On est... On est en Hollande avec le vieux mobilier en bois, les marbres. Et l'équipe est super gentille.
- Speaker #2
Et combien tu as publié de livres au total ?
- Speaker #0
Je pense peut-être une dizaine, je ne sais pas si je dis ça comme ça, mais moi maintenant ça fait pas mal de bouquins. Quand c'est avec les musées, en fait c'est les musées qui les publient, comme le musée Cognac-Gest et Paris Musée. Là la Fondation Custodia, c'est la Fondation Custodia avec Les Belles Lettres. J'ai collaboré avec Gallimard pour les livres... en faisant des couvertures et coffrets pour Proust. Et sinon, il y a aussi... Ah, quand j'expose à la librairie Métamorphose, pour l'exposition, c'est eux qui font les livres, comme l'esprit d'escalier, les bibliothèques. Mais sinon, il y a aussi des livres personnels. Ça dépend. Et là, au bonheur, c'est avec Premier Parallèle. Du coup, ça change à chaque fois.
- Speaker #2
On a commencé à en parler tout à l'heure, donc en 2023 tu as publié un livre avec ta maman qui s'appelle Liliane, qui cuisine elle à partir de ses souvenirs du Cambodge, dont tu parlais aussi tout à l'heure. Le livre s'intitule Au bonheur, recette d'une enfance au Cambodge. Comment est née cette idée ?
- Speaker #0
Alors cette idée elle est née il y a quelques années par mon mari Nicolas, qui se dit mais tes parents cuisinent bien, ce serait bien que tu fasses... parce que ma mère en fait... Elle adore cuisiner et du coup elle teste toutes ses recettes, elle les note, elle a des classeurs de recettes. Et du coup mon mari m'a dit pourquoi pas faire un objet, un livre quoi. Ça permettra de transmettre aux générations suivantes et ça fera plaisir à ma maman. Et du coup on a travaillé pendant trois ans ce projet. On a commencé avant le confinement. Le confinement il a un peu stoppé parce que je ne pouvais pas aller à Potocombo à Paris. Après on a encore continué à travailler. On n'a pas eu... Encore de maison d'édition. Et un jour, j'ai rencontré bien un ami... La dramaturge David Valle, en fait son éditrice Amélie Petit de Premier Parallèle, qui me demande mais quels sont mes projets éditoriaux. Je lui dis que j'ai un projet sur le livre de cuisine de ma mère, mais on n'a pas d'éditeur. Et juste en parlant comme ça, elle me dit oh moi je suis intéressée. Alors oh, non mais c'est rare, juste à une soirée comme ça. Et du coup, elle a pris le projet en main, on a travaillé avec elle, elle est venue jusqu'à Potocombo pour voir comment ma mère cuisine, les recettes, retravailler le texte, faire la mise en page. Tout un travail, et en même temps tester les recettes pour voir si elles sont bonnes ou pas. Et du coup, on a fait ce livre qui est apparu cette année.
- Speaker #2
Est-ce que ce travail d'association du dessin et de la cuisine, ça a été aussi pour vous un moyen de vous réapproprier votre histoire familiale ?
- Speaker #0
À travers certains plats, c'est des souvenirs pour elle. Par exemple, le goût, ça lui a rappelé son enfance dans le marché, ou des plats que faisait sa grand-mère, sa tante. Du coup, à travers la cuisine, ça nous mène... à l'histoire, en fait comme un sorte d'héritage.
- Speaker #2
Il y a aussi une chose que l'on retient quand on te voit travailler, c'est ta silhouette qui est très reconnaissable, avec presque toujours ce petit chapeau, ce bibi dont tu parlais. Est-ce que je peux me permettre de te demander comment tu as imaginé ce style vestimentaire qui fait ta personnalité aujourd'hui ?
- Speaker #0
Alors comment c'est venu le chapeau, le bibi ? En fait c'est arrivé, bibi qui veut dire petit chapeau. Comme j'ai une petite tête. En fait, c'est venu parce que quand j'ai commencé à avoir mes premières expositions vernissage, j'ai commencé à mettre des bibis pour être habillée. Et du coup, je me suis rendu compte que les gens me reconnaissaient par le bibi. Et à un moment, je me suis dit, en fait, moi, je ne porte pas de bijoux à part les boucles d'oreilles parce que moi, les bracelets, ça me gêne pour travailler et les bagues aussi. Et du coup, je me suis dit, je vais porter tous les jours un bibi. Et en fait, quand je me lève, je choisis le bibi, la couleur. Et ensuite, la tenue. Ben ça, ça suit. Et j'essaie de faire unicolore, un peu comme les princesses.
- Speaker #2
La prochaine question est une question que je pose à tous mes invités. Est-ce que tu dirais que dans ton travail, dans ta démarche, il y a une forme d'engagement ?
- Speaker #0
D'engagement par rapport à moi-même, oui. En fait, pour moi, dessiner, c'est comme respirer. Si je ne dessine pas, j'ai l'impression que je perds mon temps. Oui, c'est comme une... ça me fait vivre. Du coup, ça me permet de m'exprimer. Quand j'étais petite, j'avais du mal avec la langue française. Et du coup, le dessiner, c'est m'exprimer. Oui, c'est se clamer, quoi. Et du coup, le dessin... Quand je dessine, c'est un peu comme un tampon que je mets sur le monde. J'ai l'impression que chaque jour, ce n'est pas comme un souvenir, mais c'est comme une trace. Il y a des auteurs qui font des livres, moi c'est mes dessins.
- Speaker #2
Et pour terminer, c'est le mot de la fin. Dans les prochaines secondes, les prochaines minutes, tu peux dire ce que tu souhaites aux auditeurs du podcast.
- Speaker #0
Cher auditeur, merci de nous avoir écoutés. Prochaine exposition, ce sera l'Aquarium de Paris, qui est un magnifique aquarium situé dans le 16e arrondissement. Vous pourriez découvrir une soixantaine de dessins à partir du 14 novembre. Je pense que ça durera pendant un mois. Et là, ce seraient des dessins à l'aquarelle avec des poissons, des méduses, des bassins. J'ai pris beaucoup de plaisir à le faire parce que j'ai l'impression d'être un enfant à chaque fois que je vais dans un aquarium. Et après, en décembre, je vais partir sur le Ponant avec Guy Boyer, qui est rédacteur en chef de connaissances des arts. Et là, on va partir vers Doha. Ensuite, je réalise ma série de New York. Bon, peut-être un jour, il y aura une exposition soit à New York ou à Paris. Je vous tiendrai au courant. Sur ma page Instagram, atcrystaltea, ou sur mon site internet.
- Speaker #1
Vous venez d'écouter un épisode du podcast Parlons Plus Bas. Cette émission est disponible sur toutes les plateformes d'écoute. Réalisation Anthony Chenu Voix off Justine Leroux Pour échanger avec nous, rendez-vous sur le compte Instagram de l'émission.