Speaker #0Marie-Josée Ausha, dans une première vie j'ai été infirmière et je suis ensuite devenue ce que j'appelle historienne autodidacte, ayant toujours été passionnée par l'histoire. Je me suis spécialisée dans la biographie de femmes, avec notamment une trilogie de maréchales, Madame Pétain, Madame Davout et Madame Mlioté. C'est ce qui va nous amener à parler de Mme Lyoté. Je l'ai découverte dans un article d'un magazine professionnel infirmier où je trouve un article intitulé Inésioté Infirmière et maréchale, Inès, elle est née Inès de Bourgouin, le 5 janvier 1862 à Paris et elle est décédée le 9 février 1953 à Casablanca, au Maroc, à l'âge de 91 ans. J'ai été énormément surprise parce qu'ayant passé mon enfance au Maroc, je connaissais parfaitement le maréchal Lyoté, je n'avais... jamais entendu parler de son épouse. J'ai essayé de trouver une biographie, je me suis aperçue que ça n'existait pas. Pour écrire ma biographie, j'avais quand même pu contacter son arrière-petit-neveu, le comte Pierre de Bourgoin, qui m'avait reçu très chaleureusement, qui m'avait ouvert les albums de famille, où j'ai pu publier tout un tas de photos complètement inédites. Et j'ai fait des recherches aux archives nationales, j'ai fait tous les cartons luiotés, il y en avait beaucoup, la bibliothèque nationale. J'ai commencé à faire mes recherches en 2005, ça fait presque 20 ans. Depuis j'ai écrit d'autres biographies, mais je n'ai jamais été aussi passionnée que par cette femme, quelque chose d'extrêmement brillante. Elle a eu plusieurs vies finalement, Inès. Elle est donc née Inès de Bourgoin, sous le Second Empire, et dans une famille aristocratique. Son père, le baron Philippe de Bourgoin, était un écuyer de l'empereur Napoléon III. En montant dans la hiérarchie, il est devenu premier écuyer et il a terminé sa carrière comme directeur des rats nationaux. Sa mère, Anna Dolphus, était issue d'une grande famille d'industriels du textile à Mulhouse. tradition martiale très très ancienne. Son arrière-grand-père avait été capitaine d'état-major de Louis XVI. Son frère aîné avait eu l'honneur d'avoir pour parrain et marraine l'empereur et l'impératrice en personne, ce qui n'est quand même pas rien. Ce qui montre à quel point la famille de Bourgoin était très très proche du pouvoir, enfin de l'empereur. Elle a eu une enfance extrêmement... protégée, choyée dans ce milieu aristocratique. Une scolarité primaire à domicile avec des précédeurs. Et ensuite, elle a fait des études secondaires dans un institut catholique. Études très brillantes, où on a commencé déjà à déceler son caractère affirmé. J'ai retrouvé aux archives nationales un cahier où on peut remarquer son écriture très vive, très énergique. penchait vers la droite et avec des annotations du professeur en disant Calmez-vous ! Et donc on commençait déjà à sentir quelle femme elle allait être. Elle a étudié les langues, l'allemand, l'anglais, qu'elle finira par parler couramment. Et également, il y avait des cours de couture et de broderie, ça ne l'intéressait pas. En revanche, elle a pris des cours de piano qu'elle aimait beaucoup et elle est devenue une brillante virtuose et ma foi, elle jouera du piano toute sa vie. Néanmoins, dans sa première vie, elle va se couler dans le moule traditionnel. C'est-à-dire se marier à 18 ans avec un capitaine d'artillerie, le capitaine Joseph Fortoul, qui était d'ailleurs le fils d'un ancien ministre de Napoléon III. Ils auront trois enfants. Puis son mari, qui était revenu d'une mission en Indochine avec une maladie cardiaque, ne pouvait plus monter dans la hiérarchie. Il développe une grave dépression. ce qui à l'époque n'était absolument pas diagnostiqué. Et il se suicide le 1er décembre 1900. Là, Inès, qui n'était pas du tout du genre à rester chez elle tranquillement, elle aurait pu parfaitement vivre de sa fortune, mais ça ne lui convenait pas. Elle a donc cherché à se rendre utile, à faire quelque chose, à s'occuper. Mais il faut savoir que le travail des femmes à l'époque n'était pas très bien perçu, surtout dans son milieu. Elle s'est tournée vers la Croix-Rouge, qui avait une société, la SSBM, Société de Secours aux Blessés Militaires. Et ça, ça lui contenait bien, ça lui parlait. Elle avait besoin de se dévouer pour les autres. Ça venait de son éducation catholique très prégnante. avec des actions caritatives, pour s'occuper des pauvres. Et il ne faut pas oublier non plus son passé martial. Or, Société de secours aux blessés militaires, on retrouve le mot militaire Tout ça, ça lui parlait et ça correspondait à son ADN. J'ai retrouvé des lettres où elle parlait à mots couverts d'une sorte de désaccord de sa famille, mais elle est passée outre. À l'époque, la formation SSBM était d'une année. Comme d'habitude, toujours en tête de classe, elle a fini major de sa promotion. Elle est donc devenue infirmière Croix-Rouge. Elle a travaillé à Beaujon, elle a travaillé à l'hôpital de Melun. Elle a créé la première infirmerie de gare à Juvisy. En 1907, éclate au Maroc un conflit nationaliste. où des ouvriers marocains se sont rebellés contre les Européens. Et on envoie la troupe pour mater cette rébellion avec des médecins. Rapidement, les médecins sont débordés par l'afflux de blessés. Ils ont l'idée de faire appel à la Croix-Rouge pour envoyer des infirmières. C'était donc sa première action d'infirmière humanitaire. Elle est nommée directrice d'un pool d'une douzaine d'infirmières. Et la voilà partie pour Casablanca. Elle avait toujours rêvé de voyager, mais elle n'avait jamais pu. Son père lui avait notamment raconté un... Un voyage au Moyen-Orient où l'empereur l'avait envoyé acheter des chevaux arabes, et ça, ça la faisait rêver. Donc elle arrive à Casablanca en octobre 1907. Elle va mener son travail d'infirmière et on lui demande de faire un convoyage de blessés par la mer entre Casablanca et Alger. L'Algérie ayant été colonisée en 1830. était parfaitement pourvu en structure médicale, médecin, etc. Alors qu'au Maroc, à l'époque, il n'y avait rien du tout. Alors elle fait ce convoyage. Il y a une escale au rang pour que le général Lyoté, qui à l'époque était en mission en Algérie, puisse venir saluer la dépouille de trois officiers qui avaient été tués au combat. Et c'est à cette occasion qu'elle va le rencontrer pour la première fois. Il est général et il est en mission en Algérie, commandant de la subdivision d'Aïn Seyfra en Algérie. Il va se produire ce que j'appellerais un... Un coup de foudre amical, si on veut. Ils ont beaucoup, beaucoup de points communs. L'amour du Maghreb. Et puis, une infirmière qui plaît bien à Léauté, parce qu'en fait, il a eu des problèmes de santé toute sa vie. Et il a beaucoup d'admiration pour le corps médical. Il va lui donner rendez-vous le lendemain soir dans un restaurant d'un hôtel. À la suite de ça, elle doit rentrer en France puisque sa mission au Maroc est terminée. Elle est donc très très malheureuse de quitter le Maroc et de quitter son nouvel ami. Elle lui demande la permission de lui écrire et va s'échanger une correspondance qui va durer plusieurs années. Elle suivait très attentivement les actions de Lyoté en Algérie. Donc ça, elle lui en parlait beaucoup. On sentait qu'il y avait quelque chose entre eux, mais ça n'allait pas plus loin. Et puis finalement, il finit par demander quand même un mariage. Ils vont se marier en 1909 à Paris. Tout de suite après le mariage, retourner en Algérie, où le Lyoté était toujours en mission. À ce moment-là, elle est plutôt aux côtés de son mari. Elle reprend son rôle d'épouse de général. Elle en est très heureuse, d'ailleurs, et lui aussi. En 1912, il va y avoir une révolte nationaliste au Maroc très, très grave, où des soldats marocains dans l'armée française se sont rebellés contre leurs officiers et les ont massacrés. Paris décide d'instaurer le... protectorat marocain. On choisit Lyoté comme résident général, résident général, sorte de gouverneur, si on veut. Et c'est là, en 1912, qu'ils vont donc s'installer à Rabat. Vous allez être très heureuse de retourner au Maroc parce que finalement, en Algérie, ça n'était que Mme Lyoté. Et au Maroc, elle sent qu'elle va pouvoir travailler avec la Croix-Rouge. Il n'y avait absolument aucune structure. médico-sociale. Et là, elle se rend compte qu'elle va pouvoir faire quelque chose. Elle va s'y employer avec beaucoup d'énergie, beaucoup de courage, beaucoup de volonté. Alors évidemment, avec l'aide de son mari et de la Croix-Rouge. Elle va sillonner le Maroc en long et en large pour répertorier les besoins. Elle va créer... beaucoup de structures avec des consultations de médecins gratuites, distribution de gratuites de nourriture aux nourrissons et aux enfants. Elle crée des maternités, des crèches, des garderies, trois colonies de vacances. Elle crée des sanatoriums, des dispensaires antituberculeux, des maisons de santé, des écoles d'infirmières. Donc une œuvre absolument gigantesque. Bien entendu avec la Croix-Rouge, mais pour ce, elle va se démener pour trouver de l'argent, trouver des dons. Alors elle met en place des activités caritatives pour récolter toujours de l'argent, des spectacles, des loteries, les ventes de thèmes de la Croix-Rouge. Donc elle n'arrête pas, elle travaille avec beaucoup d'énergie, beaucoup de courage, jusqu'à pouvoir mettre en place toutes ces structures qui lui paraissent très importantes, et ça l'est effectivement. Elle était très aimée des Marocains. Pendant la Grande Guerre, elle va instituer des aides aux troupes indigènes et françaises. Des allocations aux réformés, aux familles de mobilisés, des foyers du soldat, des maisons de convalescence, un centre de rééducation, deux orphelinats dont les enfants les plus âgés sont placés dans des écoles professionnelles et en France, une assistance aux soldats marocains. En 1925, nouveau soulèvement nationaliste mené par Abdelkader et qu'on va appeler la guerre du RIF. Lyoté, toujours en grand stratège, mène ses actions de main de maître pour essayer de contenir cette rébellion sans trop de répression. Lyoté n'aimait pas la répression. À Paris, les politiques ne l'entendent pas de cette oreille. Ils entendent mener une répression assez féroce pour éradiquer Abdelkader. Et ils ont l'idée lumineuse d'envoyer au Maroc Pétain. Pétain qui, à l'époque, était une grande gloire nationale, qu'on avait appelé le sauveur de Verdun. L'O.T. va en être terriblement humilié. Il donne sa démission. avec beaucoup de souffrance, et c'est donc le retour en France à la fin de l'année 1925. C'était une grande souffrance pour Inès, vraiment. C'était son pays, le Maroc. Elle s'y plaisait beaucoup, elle travaillait beaucoup. Elle avait encore beaucoup de projets d'ouverture d'autres écoles d'infirmières, où elle dit malheureusement, je ne pourrai pas le faire puisque je dois partir Elle reprend tout de suite son travail. Elle ne veut pas se laisser aller malgré la souffrance d'avoir quitté le Maroc. Elle continue son travail alors qu'elle a déjà plus de 60 ans. En 1931, Lyoté va être nommée commissaire de l'exposition coloniale. Elle va encore s'activer en créant le pavillon de la Croix-Rouge au sein de cette exposition coloniale. Peu de temps après, Lyoté va décéder en juillet 1934. En 1938, la guerre commence déjà à s'annoncer. Et elle va préparer les abris souterrains, elle va préparer les postes de secours des gares. En 1940, elle a 78 ans. La Croix-Rouge lui demande de devenir directrice générale et elle va le rester pendant tout le temps de l'occupation. Elle est même en même temps directrice d'un hôpital à Nancy et elle va mener... des missions d'inspection dans toute la France pendant toute l'occupation. Été comme hiver, lorsqu'elle passe les checkpoints, elle présente son laissé-passer. Et alors, comme elle a toujours son petit caractère, si ça ne va pas assez vite, elle invective les soldats allemands. Elle parle couramment allemand, en lui disant Dépêchez-vous, je n'ai pas que ça à faire. Je suis la directrice générale de la Croix-Rouge. Et la guerre se partage entre la France et le Maroc en réalité. C'est toute sa vie et elle a été toujours extrêmement soucieuse du bien-être des Marocains, que ce soit les civils ou les militaires. Elle s'engageait toujours, toujours plus, toujours plus. Elle avait beaucoup d'humilité. Pour elle, c'était tout à fait normal. La direction de la Croix-Rouge, où elle commençait à être un peu âgée, elle a commencé à un petit peu noter sa fatigue dans ses lettres. Et elle s'en voulait d'être fatiguée. Je ne sais même pas si c'était un devoir. C'était tellement naturel. Puis elle a quand même eu des récompenses. En 1921, en même temps que... L'IOT était faite maréchale. Elle a reçu la médaille de chevalier de la Légion d'honneur. En 1951, elle a reçu la médaille d'or du service de santé des armées. Elle a reçu la plaque de grand officier de la Légion d'honneur et elle a été la première femme française à recevoir cette distinction qui est la plus haute dans l'ordre. de la Légion d'honneur. Le jour même... Un délégué du sultan est venu lui remettre la plaque de grand officier du Ouissa malawite, qui est exactement la correspondance de la plaque de la Légion d'honneur, qui montre à quel point elle était aimée au Maroc. Je rappelle qu'elle est décédée en 1953. Il existe l'association nationale maréchal Lyoté, dont le président est Claude Jamati. qui s'occupe du château en Lorraine, le château de Torré, qui est devenu un musée. Alors là, Claude Jamati mène quand même des actions importantes, et également, non seulement pour le maréchal Lyoté, mais également pour Inès. La tombe d'Inès se trouve à Torré, à côté du château, où elle a été inhumée trois jours après le retour des cendres de Lyoté aux Avalides. Et les deux époux qui avaient au départ choisi d'être inhumés à Rabat dans un mausolée qui avait été voulu par Lyoté, ont été séparés dans la mort, ce qui est un petit peu triste, puisque Lyoté est aux Invalides et Inès dans le petit cimetière de Toray. Lorsque j'avais visité la tombe, sa tombe en 2005, elle était très dégradée, très sale, c'était un vrai problème. Et quand Claude Jammati est arrivé à la présidence de l'association Lyoté, il a fait refaire la tombe avec le souvenir français. Il a engagé ses travaux très importants. Et grâce au souvenir français, on a pu avoir une tombe complètement rénovée, dont nous avons fait l'inauguration l'année dernière. Je suis très admirative de son parcours parce qu'elle n'était absolument pas obligée de s'engager comme elle l'a fait. Elle a laissé une partie de sa fortune personnelle dans son travail. Quand elle ne pouvait pas récolter assez de dons, elle les puisait dans sa fortune. J'ai moi-même été infirmière. un modèle, vraiment un modèle pour toutes les infirmières, pour exercer ce métier qui est tellement difficile, et on le sait maintenant d'autant plus, que je la remercie pour tout ce qu'elle a fait et qu'elle est inspirante pour toutes les infirmières, pour toutes les causes humanitaires et qu'elle nous manque. Voilà, j'aurais aimé qu'elle soit toujours là. L'engagement, c'est une décision, une volonté d'orienter ses actions en appliquant des valeurs de solidarité, d'altruisme et avec une idée d'utilité sociale, toujours. Mais, et c'est aussi important, c'est un épanouissement personnel qui finalement donne un sens à la vie.