Speaker #0Je suis Janine Thomas-Verrières, la sœur du capitaine Jackie Thomas. J'ai 71 ans, je suis retraitée. Quand j'étais dans la vie active, avec un doctorat d'ingénieur, j'ai travaillé chez Dupont de Nemours dans les matières plastiques techniques. J'avais le métier de mes rêves. Et puis tout s'est arrêté brutalement, avec la mort brutale de mon frère dans l'attentat du Drakkar. En octobre 1983, mes grands-parents paternels étaient agriculteurs. Ils étaient trois dans la famille et mon papa était le seul gendarme. Et dans l'environnement proche, il n'y avait pas d'autres militaires. Mon papa, en fait, est venu à... à la gendarmerie de Sarzeau, sa première affectation. Et c'est là qu'il a rencontré ma maman, qui avait 19 ans. Et très vite, ils se sont mariés et il l'a emmenée en Afrique. Donc, ça a été un choc pour elle. Donc, elle ne voulait pas accoucher quand elle a attendu mon frère. Elle ne voulait pas accoucher là-bas. Donc, elle est rentrée et mon frère est né à Vannes. Mon cher frère avait 18 mois de plus que moi. Ensemble, nous avons suivi notre papa, gendarme, outre-mer. Je suis personnellement née à l'île de la Réunion. Nous avons passé notre enfance et notre adolescence entre la Réunion et Madagascar. On a vécu une enfance un peu particulière, puisque mon papa était affecté souvent en pleine brousse à Madagascar. Ça ne pouvait pas durer éternellement, donc mon papa a décidé de prendre sa retraite. prématurément pour nous permettre d'avoir une certaine stabilité scolaire. Mon frère, je l'ai toujours senti attiré par la carrière militaire, sans doute parce que mon papa était gendarme et aimait ce qu'il faisait. Donc après le lycée à Pleuarmel, il a été à la Flèche, au prétanier militaire de la Flèche, préparer son entrée. à l'ESM, l'école spéciale militaire de Coquedan. Il est sorti brillamment de Saint-Cyr. Il était tellement fier d'être Saint-Cyrien, et puis nous aussi, parce que dans la famille, il n'y en avait pas. Il aimait ce qu'il faisait, il avait trouvé sa voie. Tout le monde me le dit, parce qu'en fait, il est parti ensuite de la région du Morbihan. Donc il a ensuite été à Montpellier, puis il a commencé dans des missions extérieures au Liban en 82, puis en 83. Il a fait l'école d'infanterie à Montpellier. Il avait ce rêve d'être parachutiste depuis le départ. Donc il a en fait tout fait. À la sortie de Coéquidon, il était dans les premiers. Donc il a choisi l'infanterie. Et il savait qu'il devait être dans les premiers pour choisir les paras. Et en sortant de Montpellier, il a pu choisir les paras. Donc il a d'abord été affecté au 9e RCP à Toulouse. Puis au premier, pour lui c'était le top. Et ensuite, mon frère a été instructeur commando au camp de Margival. Et d'ailleurs, il a laissé une trace, je dirais indélébile, l'espace, donc l'ancien camp d'Hitler, qui a été désaffecté par l'armée à un moment, quand il était question d'une armée de métiers, était désaffecté par l'armée et dernièrement repris par une association. qui le réhabilite. En 2019, j'ai été contactée par l'association qui décidait d'honorer mon frère en lui dédiant un espace dans le musée qui était créé et de baptiser une esplanade sur le devant de l'espace à son nom. Donc imaginez ma surprise. Et depuis, nous sommes très proches de cette association et j'ai donné beaucoup d'affaires personnelles de mon frère à cette association. Et il commémore tous les ans, depuis 2019, depuis cette inauguration, le souvenir de ceux du Drakkar. J'habite Béric depuis un moment. Je vais faire mes courses à Suniac, à côté, à 3 km, dans un supermarché. et à l'entrée, quelqu'un qui faisait la quête pour le souvenir français. Comme le souvenir français du Morbihan a toujours fait, depuis la mort de mon frère, des réunions régulières, plutôt à Sarzeau d'ailleurs, où il est enterré. Donc, spontanément, j'ai mis une pièce dans la tirelire du souvenir français. Et là, et en disant, je donne toujours au souvenir français parce qu'il n'oublie pas mon frère. qui a été tué dans un attentat. La personne qui faisait la quête m'interpelle et me dit Mais votre frère, c'est qui ? Et je lui dis Le capitaine Thomas Et là, il me dit Mais j'ai été son chef à Margival C'est comme ça que j'ai retrouvé son chef qui m'a parlé de mon frère et qui m'aide beaucoup. Pour vous expliquer le contexte, en 1978, c'est le début de la guerre civile libanaise, donc l'ONU prend les résolutions 425 et 426 qui mettent en place la force intérimaire des Nations Unies au Liban, la FINUL, afin de répondre à la flambée de violence le long de la frontière israélo-libanaise. En parallèle, en septembre 1982, Sur demande du Liban, l'ONU crée la force multinationale de sécurité à Beyrouth, la FMSB, rassemblant des unités des USA, du Royaume-Uni, de l'Italie et de la France pour aider le gouvernement libanais à restaurer son autorité autour de la capitale. En 1982, il est désigné pour servir au sein de la FINUL. Là, ça se passe bien, il a été décoré à la suite de cette première mission. Donc il faut savoir que 2000 soldats français sont déployés à ce moment-là, ainsi que 1500 soldats américains. En 1983, sa compagnie est à nouveau désignée pour une mission au Liban. Ce que je sais, c'est qu'en fait, ils sont arrivés au Liban Et mon frère a compris tout de suite la dangerosité des lieux. Il avait juste eu le temps de prévenir mes parents qu'il leur réécrirait plus tard, qu'il fallait qu'il protège ses hommes. Donc il s'est employé à protéger cet immeuble qu'il trouvait dangereux. Et voilà, jusqu'au matin du 23 octobre 1983. Moi, à l'époque, je travaillais sur Paris, mais j'habitais Montargis. La veille, j'étais chez une amie qui organisait une petite réunion sympathique. Et donc, je suis rentrée chez moi. Le matin, je n'ai pas allumé la radio de bonne heure. Donc, mon amie m'appelle. Elle me dit, est-ce que tu as écouté la radio ? Je dis non, pourquoi ? J'arrive, elle me dit. Donc, elle arrive. Et elle me dit, il s'est passé quelque chose de grave au Liban. Et là, elle m'a dit, il y a eu un attentat. Donc, j'ai essayé d'appeler mes parents. J'ai eu du mal à les avoir, ils m'ont confirmé qu'ils attendaient les nouvelles de mon frère après avoir contacté le régiment. Et dans la journée, j'ai su que c'était vraiment mon frère et toute sa compagnie qui étaient ensevelies. Je suis rentrée donc chez mes parents. On a attendu des nouvelles, donc pendant huit jours. Pourquoi huit jours ? Parce qu'ils trouvaient pas... Ils ont trouvé de nombreux corps, évidemment, tout de suite, mais ils ne trouvaient pas de... les deux capitaines, mon frère avait un capitaine à joint, Guy au hospital. Et donc, on était accrochés à cet espoir que les deux capitaines n'étaient pas trouvées. Peut-être qu'ils se manifesteraient les jours suivants. Donc, on était accrochés, en fait, aux nouvelles de la télé. essentiellement, de la radio. Parce que le camp, il s'était débordé par les appels. Et on savait que on espérait qu'ils nous donneraient des nouvelles dès qu'ils en sauraient plus sur mon frère et son capitaine d'adjoint. Je suis arrivée, moi, le lundi à Sarzeau, chez mes parents. Mercredi, des militaires de Vannes viennent à la maison. Ils nous disent, voilà, le corps de votre fils a été, ils s'adressent à mes parents, le corps de votre fils a été retrouvé. Notre espoir est anéanti. Et non, le soir, nouvel appel de Vannes, on nous dit, il y a eu une erreur, c'est pas votre fils qui a été trouvé. Donc on cherche toujours votre fils, vous imaginez. Donc l'espoir renaît. On nous a dit, on suppose qu'il a été... qu'il a été ramassé, on ne sait pas. On ne sait pas. En fait, on le cherche toujours. Et donc, on espère, on attend des nouvelles. Et puis on entendait que les fouilles étaient tellement compliquées et avec tellement peu d'espoir qu'il n'y avait plus lieu de continuer les recherches. Mais on cherchait toujours les deux capitaines. Et ce n'est que le samedi suivant, le commandant du premier RCPA de l'époque, le général cardinal, a appelé mes parents en leur disant je suis au centre d'identification des blessés américains En Allemagne, j'ai retrouvé, je suis formelle, j'ai retrouvé le corps, j'ai identifié le corps de votre fils et celui de son adjoint. On nous a expliqué après qu'en fait, ce qui a dû se passer, c'est que quand l'attentat qui a eu lieu quelques minutes avant celui de Drakkar a anéanti les endroits où étaient stationnés les Américains, Mon frère et son adjoint ont dû immédiatement sortir sur le balcon et voir ce qui se passe. Comme il était au premier étage, il a été projeté. Et comme les civils faisaient comme ils pouvaient, ils ramassaient les corps américains, les corps des français, il y en avait partout à ramasser. On suppose que les corps des deux capitaines ont été projetés très loin et mélangés avec les corps américains. et emmenés au centre d'identification en Allemagne. Et c'est là qu'ils ont été reconnus par le commandant du 1er CP. Formellement, il nous a promis. On n'a pas vu le corps de mon frère. Il nous a été ramené en cercueil, évidemment. Le 2 novembre qui a suivi, tous les cercueils ont été alignés dans la cour des Invalides pour un hommage national. Quand ce drame est arrivé, en 1983, mes parents avaient à cœur de connaître les familles des soldats qui étaient morts avec mon frère. Donc avec leur petite voiture, ils ont fait le tour de la France pour connaître les familles. Et certaines sont... J'ai toujours le contact avec certaines d'entre elles. Et je suis très touchée des termes élogieux. qu'ils ont à propos de mes parents. Mes parents étaient des gens très humains, très simples. très proches des gens qui ont connu le même drame. Donc ils ont eu à cœur de les connaître pour leur montrer qu'ils partageaient et qu'on était tous dans une grande famille en fait. Et donc mon papa a tenu à organiser... Comme il a pu, en contactant les mairies des communes où étaient enterrés des paras du Dracar, pour organiser chaque année une cérémonie commémorative, mais très simple. Hélas, mon papa est emporté très vite d'une maladie et il est décédé en 1997. Mais jusqu'au bout, il a organisé, il a tenu à organiser ces cérémonies. Et la dernière, c'était dans le Cantal, chez les Meillères. Et mon papa, il l'a organisée, mais n'a pas pu aller. Ensuite, le père du lieutenant de la bâtie a essayé de reprendre la main derrière mes parents. En 2010, pour ne pas les oublier, deux des rescapés du bâtiment Dracar le maire Marie-Madeleine qui était le plus gradé de l'époque et Robert Guillemette ont décidé de créer une association pour regrouper les soldats, les rescapés je veux dire, et puis pour réunir aussi les familles. de tous les morts du Dracar. Ils ont souhaité ça afin qu'on ne les oublie pas et puis afin de se réunir chaque année dans un endroit différent où est enterré un para du Dracar. Ils ont fait un certain nombre de commémorations pendant cinq ans. Ils ont souhaité laisser la main, proposer à quelqu'un de reprendre. En fait, les deux rescapés qui avaient été à l'origine de l'association m'ont appelé. surtout, le premier, c'était Homer-Marie-Madeleine, il appréciait beaucoup mon frère. C'était l'adjudant de mon frère. Il m'a dit, Jeannine, t'es la seule à pouvoir reprendre l'association. C'est dommage de la laisser tomber. Les 40 ans du Dracar approchent, il faut qu'on s'en occupe. T'es la seule légitime, m'a-t-il dit. Je reprends ces termes. Parce que t'es la soeur du capitaine. Et toi, tu peux rassembler. Ça m'a touchée. Il y a une assemblée générale extraordinaire qui a été organisée. J'ai été élue en décembre 2021. Donc à peine j'avais été élue, à ce moment-là ils ont rencontré mon mari. Ils ont senti que mon mari était aussi quelqu'un de très bien. Donc ils m'ont dit, Jeannine, est-ce que ton mari pourrait être trésorier ? Il a accepté. Et ça c'est un gros cadeau qu'il m'a fait. Je voulais faire connaître l'association parce que j'avais un objectif, obtenir un bel hommage pour les 40 ans. Donc j'en ai parlé énormément autour de moi. J'ai réussi à mobiliser énormément de monde. Nous étions, début d'année, plus de 200, début 2023, plus de 200 adhérents. Si je veux être entendue, il faut que je montre que je ne suis pas seule, qu'on me connaît, qu'on respecte ma démarche, qu'on la partage, et c'est comme ça que j'y arriverai. Donc j'ai eu beaucoup, beaucoup de soutien, et celui de mon mari en particulier. Et quand j'ai su, en janvier 2023, que le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, allait dans l'heure à une cérémonie de l'Aunebourg, et j'ai dit à mon mari, je dis, je sens, je pense que j'ai des signes de mon frère, Je sens qu'on doit aller rencontrer le ministre. Je me disais, mais comment je vais faire pour l'approcher, parce qu'il est très encadré. Donc la cérémonie se termine. Donc j'ai couru après le ministre. Je lui dis, monsieur le ministre, monsieur le ministre. Il s'est retourné. Madame le maire qui était à côté de lui l'a rassuré, que je n'avais pas dû faire de mal. Je lui dis, je voudrais vous parler du dracar. Et donc très gentiment, il m'a dit, il fait très froid, venez à la mairie avec moi. Suivez-nous, on va à la mairie. Et là tout de suite, il m'a écoutée. Donc je lui ai dit en quelques mots qui j'étais, la sœur du capitaine Jackie Thomas, présidente de l'association qui regroupait les rescapés et les familles, et que je lui demandais un bel hommage. pour les 40 ans du Drakkar, afin qu'on ne les oublie pas. Il m'a répondu, vous l'aurez votre hommage. J'avais les larmes aux yeux, vous imaginez. Et donc il a appelé tout de suite son aide de camp, dès le soir même, on a échangé nos coordonnées, et pas à pas, nous sommes arrivés, le 23 octobre, pour cet hommage dans la cour des Invalides, que je souhaitais pour toutes les familles, pour tous les rescapés. On l'a eu. Grâce au ministre, M. Sébastien Lecornu, que je remercie vivement, vivement, et que je n'oublierai jamais. Après avoir rencontré le ministre des Armées et donc son conseiller mémoire, avec lequel j'ai beaucoup de l'échange, je lui ai dit surtout, en préparation des cérémonies des Invalides, ne parlez pas de camions piégés contre le draguin. On sait que ce n'est pas vrai. Moi, je voudrais la vérité pour les familles et les rescapés. On sait que ce n'est pas un camion piégé, puisqu'aucune trace n'a été trouvée. Et ça a été respecté. L'engagement, ce n'est pas facile. définir en quelques mots. Pour un soldat, c'est servir la France et vivre au quotidien les valeurs de fraternité, d'exigence, de débassement de soi, de mérite et d'équité. Il y croyait à sa mission de paix. Il avait une foi aussi, je dois dire, importante. D'ailleurs, il signait depuis un certain temps ses petites cartes, ses petits mots, Foi et courage Mon frère était un meneur d'hommes exceptionnel. Il savait s'y prendre avec ses hommes. Il était droit. Parfois, il était plein d'humour. Il a amélioré le confort de ses hommes là-bas. Il ne regardait pas la dépense qu'il a mise en place. énormément de choses pour apprendre aux soldats qui passaient dans le camp comment ils devaient opérer. Mon frère documentait beaucoup, il les a beaucoup, il avait une bibliothèque impressionnante. Il avait un engagement vis-à-vis de la France. Quand il a accepté cette mission, c'était... Certes pour la paix au Liban, mais parce qu'il était engagé auprès de la France. Il aimait la France, il aimait représenter la France, aider la France. Il avait un courage, une force de caractère qui suscite l'admiration. Ses hommes l'aimaient, j'en ai des témoignages. Il voulait transmettre ses valeurs à ses hommes. Et il y parvenait, parce qu'il était écouté. Et il avait écrit que le Liban lui manquait, quand il était revenu de sa mission en 82. Donc il est parti confiant, sûr de pouvoir aider la France, aider le Liban. Et il est mort pour la paix. Là-bas.