ThierryCes Américains qui sont venus mourir pour nous, en France, étaient émus par le même sentiment qui a pu animer des Français, tels Lafayette, qui étaient volontaires, qui ont payé de leur personne pour combattre pour les États-Unis. Bienvenue dans Passard Histoire, le podcast de la mémoire. S'engager par Thierry, le bénévolat à l'étranger. Mon nom est Thierry Chaunu, je suis né à Paris en 1956, donc j'ai 68 ans. Je suis français, mais également américain, car j'ai émigré aux États-Unis en 1980, à Miami, après avoir fait mes études à Paris, Sciences Po et Langso en chinois. Mais au lieu de faire les affaires étrangères, je me suis dit à moi l'Amérique Je suis venu avec ma valise et je me suis établi à Miami en 1980. Je me suis lancé dans les affaires, c'est le rêve américain, et j'ai commencé dans un métier qui n'était pas du tout celui auquel je m'étais destiné. Un diplôme de Sciences Po en Floride ne veut pas dire grand-chose, surtout à cette époque. J'ai commencé à travailler pour une entreprise française dans les accessoires de mode. Toute ma carrière a été faite dans le luxe, chez Cartier où j'ai été chef de produit, vice-président du marketing de la filiale américaine. puis président de la société Christophe, puis président de Chopard, et président d'une société diamantaire qui s'appelle Levive. En 2010, j'ai monté mes propres structures de consulting, de conseil, de distribution de produits de luxe, et également de relations publiques. Donc c'est très éloigné, a priori, du souvenir français, mais quelque part, ça participe un peu au rayonnement de la France. J'ai toujours souhaité avoir un lien très fort avec la France. Je pense que c'est le cas de tous les immigrants qui vont aux États-Unis. Ils sont à la fois originaires de leur pays et en même temps, ils deviennent américains. J'ai un lien filial assez fort en ce qui concerne le combat pour la liberté, le combat pour la démocratie, car mon père était résistant, maquisard. J'ai grandi avec cette fibre patriotique, mais également le souvenir... Mon père était le dernier survivant d'un maquis dans le Gers, qui s'appelle le maquis de Méian, et il y avait 76 maquisards qui ont été massacrés par les Allemands. après le débarquement de Normandie, lorsque les colonnes allemandes ont commis des exactions. Et ce maquis-là est un lieu, pour moi, un lieu sacré. D'abord, mon père y repose par une décision préfectorale assez spéciale. Ses cendres sont dispersées auprès de ses 76 camarades. Donc c'est un cimetière militaire. Le maquis de Méian est un maquis important d'Angers. Et chaque année, le 6 juillet, vous avez tous les habitants de la région qui viennent. se recueillir, les enfants qui viennent avec un cierge le soir à la veillée. C'est très, très émouvant. J'étais baigné dans mon enfance par toutes ces histoires de maquis. Donc j'ai ça dans le sang, quelque part. Et je me dis souvent que si mon père, comme ses camarades, n'avait pas survécu à ce combat, je ne serais pas là, ni mes frères. Donc je ressens dans ma chair, quelque part, Le fait que se battre pour son pays, pour des idéaux de liberté, de démocratie, pour moi c'est très important. J'ai toujours eu une activité associative et dès mon arrivée à Miami, j'ai eu la chance. de rencontrer quelques Français expatriés qui m'ont demandé d'être le président de l'Alliance française. L'Alliance française à Miami était une alliance très dynamique, du fait de l'arrivée de Latino-Américains qui adorent la France, et qui sont déjà habitués dans leur pays d'origine à avoir une alliance française. Donc ça m'a passionné, parce que là encore ça participe du rayonnement de la France, et nous avions monté une alliance française avec plus d'un millier d'étudiants, ce qui en faisait la deuxième alliance sur la côte Est. Donc cette vie associative, c'est... pour moi une respiration dans ma vie professionnelle. Et puis à New York, j'étais président des anciens Sciences Po pendant plusieurs années et d'autres associations et les conseillers du commerce extérieur, etc. Et je pensais avoir fait à peu près le tour de ces associations. Il y avait à New York un monsieur remarquable qui s'appelait le colonel Sestak qui avait fait l'Indochine, l'Algérie et c'est lui qui a monté la structure du Souvenir français en 1994. Donc je le connaissais. Il se trouve qu'en 2020, il m'a demandé si j'étais intéressé. J'ai dit Ok, on va le faire. Et un peu comme un chef d'entreprise, quand vous prenez vos fonctions, vous voulez faire le tour du propriétaire, un état des lieux plus exactement. Et donc je me suis dit Voyons voir de quoi nous parlons. On parle de tombes, d'entretien des tombes. On parle d'honorer la mémoire de ces soldats. Alors bien évidemment, j'étais au courant de tout ce que l'armée française avait fait avec Rochambeau, Washington, Lafayette, etc. Mais j'ai découvert très vite que c'était une histoire excessivement riche. C'est-à-dire que vous avez des états officiels, 2112 soldats marins qui sont enterrés aux Etats-Unis. où sont-ils enterrés, à quelle époque, dans quelles circonstances. Alors vous avez des historiens au fil des ans qui ont dressé des listes, sauf que si on gratte un petit peu plus, on découvre qu'il y a davantage de soldats français qui sont enterrés aux États-Unis. D'abord, la présence de la France n'a pas commencé avec l'indépendance américaine en 1760. Il y avait la Nouvelle France. Il y avait le Canada français et tous les Français qui ont exploré les États-Unis, la région des Grands Lacs, le Mississippi, la Nouvelle-Orléans, deux siècles auparavant. Donc imaginez le nombre de soldats et marins qui sont enterrés quelque part aux États-Unis. Un des souvenirs qui m'a le plus marqué s'est passé il y a trois ans, lors d'un voyage, un déplacement professionnel, j'étais au Texas, à Austin. Et j'aime bien, évidemment, essayer de, si je peux libérer une heure ou deux, d'aller voir un musée. Et en l'occurrence, c'était le Bullocks Museum à Austin, au Texas, où vous avez tout une aile flambant neuve. Et à l'intérieur, vous avez une barcasse, j'imagine à peu près d'une trentaine de mètres de long, qui a été repêchée de la vase et donc qui a traversé les siècles, qui est un navire de Robert Cavalier de La Salle. Cet explorateur français, ce navire s'appelait La Belle. Et il y a eu une convention entre la France et les Etats-Unis, car c'était un bâtiment militaire qui appartient à la France et qui est donc exposé au Musée national de Texas. Non seulement la carcasse en bois qui est restée pratiquement intacte du fait de ces longues années passées dans la vase, et à l'intérieur de ce navire, le musée a pu retrouver et exposer des galeries extraordinaires et plus d'un million d'objets. Alors il faut savoir que ce navire était chargé du matériel pour fonder une colonie. Dans les vitrines, vous avez vraiment tous les ventailles de ce qu'un navire de l'époque pouvait emporter pour fonder une colonie. Cette expédition s'est très mal passée vu que la salle malheureusement est morte. Ils ont retrouvé un squelette qui tenait dans sa main une écuelle en étain avec des initiales. Et ce squelette-là, c'est donc un marin de Louis XIV. Et en sortant du musée, je me suis précipité au cimetière national du Texas. Et par un hasard extraordinaire, je tombe sur le directeur du cimetière. Je lui explique, j'aimerais quand même voir où est enterré ce pauvre marin. Alors il m'emmène et c'est une magnifique stèle. Et il avait un petit peu d'humour, il me dit c'est mon... plus ancien locataire. Mais c'est un soldat de Louis XIV enterré au Texas. Et j'ai trouvé ça très émouvant de voir encore une fois que la France avait laissé des traces tangibles avec ce navire et que l'un d'entre eux du moins repose dans un cimetière et non pas au fond de l'océan. Cette mémoire, ce travail de mémoire qui est beaucoup plus récent, ce respect qui est dû aux morts, La finalité, c'est vraiment de montrer qu'un pays a pu agir et laisser des traces tangibles dans un autre pays, en l'occurrence les États-Unis. Et puis il y a une histoire plus récente. On sait par exemple qu'il y a 25 marins de 14-18 qui sont morts de la grippe espagnole à New York en 1918, qui sont enterrés dans un cimetière de New York. Il faut les honorer, évidemment. Et puis il y a même des aviateurs, des aviateurs de la Seconde Guerre mondiale qui... ont été envoyés à l'entraînement en 43-44, qui lors de l'entraînement... se sont crachés avec leur avion et sont donc enterrés ou en Alabama ou dans le Michigan. Donc, si vous voulez, vous avez une palette assez large sur le plan historique et de toutes les armes et de toutes les époques de soldats qui ne sont pas, à l'époque, on ne disait pas morts pour la France à l'époque de Louis XV ou Louis XVI, mais ils ont combattu pour la France. Et pour moi, ils méritent autant que ceux de 14-18 ou de 39-45. à être honorés. Donc c'est toute cette multitude qui est difficile à chiffrer. Et même pour la période de l'indépendance, on estime en gros qu'il y a 3000 marins qui ne sont pas enterrés aux États-Unis, mais qui reposent le long des côtes américaines. Car la pratique à l'époque était de les jeter par-dessus bord. Donc moi j'ai une vision globale, ils méritent que nous honorions leur mémoire, mais pas seulement en déposant une gerbe. Il faut raconter leur histoire. Et ça, c'est la deuxième partie de cet état des lieux qui m'a tout de suite séduit. Alors, une présence française, il faut que ça soit matérialisé. Et donc, j'ai recensé partout aux États-Unis où il y a une statue, une plaque, un mémorial, mais qui est matérialisé par une plaque en bronze, une inscription sur un piédestal avec un texte. Ce faisant, si on gratte un petit peu... Au départ, je me suis dit qu'il devait y avoir 500 sites fin 2024. Il y en a plus de 2300 qui ont été recensés dans tous les États, y compris Hawaï. Et ce sont des plaques qui parlent d'un Français ou d'une Française qui ont fait quelque chose, qui ont accompli quelque chose, qui ont laissé une trace. Cette compilation consiste à géolocaliser cet endroit avec l'adresse postale, le GPS. Une photo, la photo de l'endroit, de la plaque, la transcription exacte du texte. Donc, nous n'inventons rien. Nous ne faisons que transcrire ce qui est écrit, ou dans le marbre, ou dans le bronze, avec un petit texte, un paragraphe explicatif, pour remettre ça dans le texte. Et là, on s'aperçoit que la France a véritablement contribué, non seulement à la naissance des États-Unis, mais à bâtir ce pays, le nombre de villes américaines qui y sont. porte des noms français est extraordinaire. Le souvenir français, la mission principale, c'est d'honorer la mémoire des soldats qui sont enterrés, d'entretenir leur tombe. Mais en l'occurrence, aux États-Unis, c'est très bien entretenu par les Américains. Je pense que cette tâche mémorielle doit s'accompagner d'une explication aux jeunes générations. Non seulement les Américains parfois ignorent leur propre histoire, tout comme les Français ignorent leur propre histoire, mais c'est important de rappeler et de leur dire ce qui s'est passé. C'est un pays où l'histoire est facilement effacée. Donc il y a ce travail d'explication, de mémoire, au sens où nous devons transmettre ce flambeau de la mémoire aux jeunes générations. Car si nous ne le faisons pas, on peut supposer que dans 20 ans, 30 ans, 40 ans, plus personne ne se souviendra de ce qui s'est passé à cet endroit précis. Donc cette trame, cet état des lieux permet de fixer les points. sensible. Mon combat, c'est un peu de dire, il faut absolument dire que la France était là et a fait des choses concrètes. Il n'y a pas beaucoup d'exemples de deux démocraties qui ont fait le chemin à travers les décennies, côte à côte, qui ont combattu côte à côte. Les soldats français qui sont morts aux Etats-Unis ne sont jamais battus contre ce pays. Dans plusieurs autres pays dans lesquels le souvenir français opère, c'est plus conflictuel. Là, les Américains entretiennent parfaitement les tombes. Sur les fosses communes, c'est une très belle histoire parce qu'il faut savoir qu'à l'époque, lorsqu'un soldat mourait, il était enterré là où il mourait, sur le champ de bataille. S'il mourait à l'hôpital, c'était dans la fosse commune. Sauf que nous savons, par les registres des régiments, que tel soldat de tel régiment est mort tel jour. Je donne un exemple à l'hôpital de Newport, dans le Rhode Island. Il y en a quand même 127. Donc, il existe quelque part à Newport, une fosse commune où vous avez 127 soldats français qui sont enterrés. Quelque chose qui me fait très plaisir, c'est que nous avons noué des liens avec des organisations mémorielles américaines, civiques, patriotiques et militaires, et notamment ces fameux Tomb Guards qui montent la garde 24 heures sur 24, 365 jours par an, devant le soldat inconnu américain. Ces soldats ont cet attachement à la France particulière parce que le soldat américain inconnu de la Première Guerre mondiale vient de France. Et c'est celui-là. qui a été transporté de Reims au Havre. Ces Américains qui montent la garde dans le cimetière national d'Arlington gardent en mémoire l'accueil qui a été fait par la population française, le recueillement qui a été fait par la population française lors du transfert des cendres. Dans leur caserne qui est souterraine, il y a une photo magnifique où vous voyez André Maginot remettre la Légion d'honneur sur le catafalque du soldat inconnu sur le quai du Havre. juste avant que ce cercueil soit hissé à bord du croiseur pour aller aux États-Unis. Nous avons des photographies noir et blanc, des poilus et des soldats américains qui ont escorté dans le plus grand recueillement cérémonial ce soldat inconnu américain de Reims au Havre. Et à partir de ces photos, un artiste américain en a fait des tableaux noir et blanc sur gouache. Et avec ces associations américaines, nous avons... pu monter une exposition et grâce au Souvenir français, le siège à Paris, nous avons pu faire cette exposition itinérante l'année dernière, à Châlons-en-Champagne, au Mémorial de Verdun, Ausha de Castry, qui est un château dans le sud de la France. Cette exposition itinérante a été bien reçue par le public avec des films d'époque. On a tous les documents d'époque en noir et blanc, en film meuble. C'est très émouvant pour les Américains de voir ce film-là. Ces soldats américains qui montent la garde vouent à la France et à André Maginot une affection toute particulière. Et quand ils ont appris que à Yorktown, vous avez une fosse commune avec à peu près 50 soldats marins qui sont dans un petit cimetière, dans une clairière, sur le champ de bataille de Yorktown, ils ont décidé de remettre une gerbe tous les ans pour rendre hommage. à ces soldats qui ont permis l'indépendance américaine. Pour moi c'est très profond et ça s'inscrit dans la durée. Et l'idée c'est de faire la même chose dans d'autres endroits importants où des Français sont enterrés. On est vraiment au cœur de ce pays. C'est l'acte fondateur des États-Unis et la France était le pays qui a permis cette naissance. Nous avons rendu hommage le 11 novembre aux 28 volontaires américains de l'American Field Service. C'était des volontaires ambulanciers qui risquaient leur vie pour sauver la vie de poilus français, qui sont morts pour la France, officiellement. Beaucoup d'entre eux ont eu la médaille militaire, croix de guerre, légion d'honneur. Et c'était des volontaires. Ils n'étaient pas du tout obligés de se battre avant même que les États-Unis entrent en guerre. De leur rendre hommage, pour nous, c'est un devoir de mémoire. Mais vis-à-vis des Américains, c'est également important de leur rappeler, et nous le savons par les lettres qu'ils écrivaient à leur famille, leur amour pour la France. C'est incroyable ce qu'ils pouvaient écrire à leurs parents, pourquoi ils se sont engagés. C'est très, très intéressant d'extraire, si vous voulez, de ces périodes-là, ces témoignages de fraternité d'armes qui ont toujours existé entre la France et les États-Unis. C'est tout simplement la vérité. C'est que ces Américains qui sont venus mourir pour nous, en France, étaient émus par le même sentiment qui a pu animer des Français, tels Lafayette, qui étaient volontaires, qui ont payé de leur personne, de leur argent, pour combattre pour les États-Unis. Et ça, ça marche dans les deux sens. Donc ce sont des histoires extraordinaires, parce que rien ne les obligeait à le faire.