EricJe suis Eric Denesle, j'ai 62 ans, j'habite Lepereux-sur-Marne, dans le Val-de-Marne. Je suis président d'un comité du Souvenir français, le comité des Bords de Marne, qui regroupe Brie, Nogent et Lepereux depuis 2018. Je suis un ancien officier, c'est-à-dire que j'ai préparé Saint-Cyr en 1980, j'y suis rentré en 1983. J'ai choisi l'artillerie, j'ai servi pendant dix ans dans les troupes de montagne, avant ensuite de rejoindre des unités plus spécifiques, et ce jusqu'en 2013, date à laquelle, à 50 ans, j'ai décidé de faire autre chose. Pratiquement dans la foulée, je suis rentré au sein du groupe Électricité de France, à la direction de la sécurité, où je suis en charge de la protection des relations d'affaires du groupe EDF, tant en France qu'à l'étranger. J'avais envie, je dirais, après ces 30 années de militaire, de garder un lien avec la mémoire combattante. Je n'ai personne dans ma famille qui est militaire, de ma famille directe. Mais effectivement, j'avais un parrain qui était légionnaire, qui m'avait raconté ses histoires. J'avais effectivement, mon père m'avait beaucoup parlé de son père qui avait fait 14-18, qui avait été blessé gravement, que je n'avais pas connu. façon assez naturelle, j'en suis arrivé à être militaire. Alors pourquoi Saint-Cyr ? Parce que quitte à rentrer à l'armée, autant être officier. Donc j'ai passé le concours, j'ai réussi. Et puis voilà, c'est parti. Il y a forcément un engagement personnel, il y a forcément du patriotisme, voilà, un amour de la France, il y a forcément un truc, une fibre, mais qui n'est pas une fibre, je dirais, on n'est pas militaire ni officier de père en fils. été sollicité au niveau du comité exécutif d'EDF pour développer ou continuer les actions mémorielles du groupe EDF, actions mémorielles qui étaient menées depuis plusieurs dizaines d'années par Jean Villeray, qui était un ancien résistant et déporté, qui nous a quittés l'année dernière. L'engagement associatif, il va de plusieurs ordres. Pour celui de... La gestion administrative d'un comité, qui n'est pas forcément la partie la plus agréable, mais il faut assurer les réunions de bureaux, les réunions de comités, prendre sa comptabilité, faire un certain nombre d'actions. Alors les actions, c'est ce qu'il y a de plus intéressant, c'est ce qu'il y a de plus, entre guillemets, gratifiant à titre personnel et collectif. Donc ça demande effectivement un peu d'organisation. pour mener à bien à la fois une vie professionnelle bien remplie, une vie familiale et puis une vie associative. Il y a différents types d'actions. Il y a des actions, je dirais, de fond et des actions ponctuelles. Ce que j'appelle les actions de fond sont par exemple ce qui a été effectué, ce que j'essayais d'effectuer d'emblée dès que j'ai pris le comité des Bordemarnes et en m'appuyant sur ce qui avait déjà été fait par d'autres associations, c'est un recensement exhaustif des sépultures. particulières et des sépultures existant dans les carrés militaires des morts pour la France. C'est un travail qu'on a mené avec un certain nombre d'adhérents et d'autres associations depuis 2018. Il nous a permis d'avoir un recensement quasiment exhaustif des cimetières du Péreux et de Brissure-Marne. Et en termes d'actions concrètes, tous les ans, au moment de la Toussaint, entre la Toussaint et le 11 novembre, Ça nous permet, avec des jeunes et les anciens combattants des villes concernées, dans une relation très intergénérationnelle, de fleurir l'intégralité des tombes des morts pour la France et d'y installer des drapeaux, ce qui permet pour quelqu'un qui ne le connaît pas, de visualiser les sépultures des morts pour la France. Ce qui est extrêmement aussi intéressant quand on fait ce travail, c'est un peu de rentrer dans la petite histoire. On travaille avec l'état civil, donc on va lire les actes de décès, on voit un petit peu où la personne est décédée. On rentre dans la vie de gens qu'on ne connaissait pas, on remonte l'histoire et c'est assez intéressant, c'est assez génial. Je dirais que c'est un travail de fond. Après, il y a des actions qui vont être plus ponctuelles. J'ai organisé, à l'époque où ils étaient vivants, ce que j'appelais les mercredis de l'histoire, et où le mercredi après-midi, on invitait les jeunes de nos gens, Brie, Lepereux, notamment ceux des conseils municipaux des jeunes, mais aussi d'autres jeunes des écoles, à assister à des rencontres, soit avec Jean Villeray, dont j'ai parlé tout à l'heure. soit avec Simon Mercier qui était sur le PERE, le dernier résistant pour la libération du PERE, et qui ensuite s'était engagé au sein de la première armée de Delattre. Je pense qu'on peut leur rendre hommage parce que c'est eux qui ont tenu les dernières décennies en termes de passeurs de mémoire. C'est eux qui font le lien entre nos anciens qui avaient fait la première guerre mondiale, la deuxième guerre mondiale et les générations actuelles. C'est eux qui ont continué à faire vivre les cérémonies patriotiques telles qu'elles le sont maintenant. Et donc je les ai fait passer plusieurs fois devant les jeunes. C'est assez intéressant de vivre ces rencontres entre des personnes qui ont entre 90 et 100 ans, et puis des jeunes collégiens où tout à coup tout... Je dirais, tout s'arrête, il n'y a plus un bruit. Les jeunes sont totalement à l'écoute de leurs anciens. Et où, étonnamment, au bout d'une heure, les questions viennent tout de suite et on n'arrive plus à les arrêter. Et ça, c'est un grand moment. Et donc, c'est leurs témoignages qui ont permis qu'on en soit là. Aujourd'hui, c'est plus compliqué. On n'a quasiment plus aucun témoin de la Deuxième Guerre mondiale. Idem pour la guerre d'Indochine. sur lesquels les combattants sont restés très discrets, et sur lesquels on a très très peu témoigné. On a commémoré cette année les 70 ans de la bataille de Dien Bien Phu, et on découvre effectivement, au travers de Dien Bien Phu, le conflit indo-chinois, l'histoire de France en Extrême-Orient. Il y a encore quelques témoins, mais ils sont de plus en plus rares. Le témoignage, c'est ce qu'il y a de plus important. Pour qu'il y ait témoignage, il faut qu'il reste des témoins, il y en a de moins en moins, et il faut qu'ils aient envie de témoigner. Quand j'étais jeune, je ne me souviens pas, enfin moi je n'ai pas connu mes grands-parents, enfin mes grands-pères, mais j'avais un oncle qui avait fait 14-18, il n'en parlait pas. Ce n'était pas dans la culture. Ceux qui ont fait la guerre d'Indochine, quand on les rencontre et qu'on leur demande d'en parler, ils n'ont pas envie d'en parler. Sauf qu'effectivement, demain, il n'y aura plus de témoins. Donc qu'est-ce qui reste ? C'est les témoignages audios, ce sont des témoignages visuels, et puis c'est... C'est au travers de nos actions. J'ai emmené des jeunes sur les sites de la bataille de Champigny, sur les ossuaires, sur des sépultures. Finalement, c'est assez simple de parler à des jeunes d'un conflit qu'ils ne connaissent pas, qui est la matrice des deux autres conflits mondiaux. Il faut un petit peu de passion, d'intérêt pour l'histoire. Ça va faire de l'histoire quelque chose de plus ludique, de plus proche de soi. Je pense que l'intérêt du témoignage, l'intérêt de l'action qui peut être menée par une association comme le Souvenir français, c'est le récit, c'est le côté humain, c'est de ramener à l'humain, c'est de ramener à la proximité. Qu'est-ce qui s'est passé à côté de chez moi ? Et puis finalement de raconter la petite histoire dans la grande. Au travers justement ces conventions qu'on peut monter avec des... des écoles, des collèges, avec le dépôt de drapeaux d'associations qui sont dissoutes, etc. C'est une façon de faire perdurer la mémoire, de faire toucher du doigt à nos jeunes leur histoire, en tout cas de l'aborder différemment qu'au travers d'un cours d'histoire. L'histoire va être abordée, je dirais, au travers du professeur, au travers du livre, de façon très pédagogique. Il n'y a pas forcément le vécu. Le vécu... Ou le témoignage par l'intermédiaire de la personne qui l'a vécu, ou de la personne qui en a entendu parler ou à qui on l'a raconté. Et qui va être la petite histoire dans la grande histoire. Pourquoi il y a ce nom de rue ? Qu'est-ce qu'a fait cette personne ? C'est de ramener l'histoire à l'environnement, à quelque chose de plus facile à appréhender pour un jeune. Sur le cimetière de Brissure-Marne, nous sommes tombés sur la tombe d'une résistante déportée dans le camp de concentration de Bergen-Belsen, qui n'en est pas revenue. En fait, elle n'est pas là, mais sa famille honore sa présence. La tombe était vraiment en très mauvais état. Et bien avec quelques anciens et quelques jeunes, en trois heures et avec très peu de moyens, on lui a redonné un aspect tout à fait convenable, et c'est rendre honneur à sa mémoire, et puis surtout en le faisant avec des jeunes, aller sensibiliser à l'engagement dans cette personne qui avait 23, 24 ans, pendant la Deuxième Guerre mondiale, et qui n'est pas rentrée des camps lors des cérémonies patriotiques, les cérémonies mémorielles. On s'aperçoit dans certaines villes qu'il y a de moins en moins de porte-drapeaux, faites de leur âge. Ça, c'est aussi un de mes beaux souvenirs. Avec le Covid, on avait interdit à nos anciens de participer aux cérémonies. Et eux-mêmes étaient très réticents à confier le drapeau. Une espèce d'incarnation entre le porte-drapeau et le drapeau qui est assez particulière. Et du fait du Covid, certains ont accepté, je dirais, de lâcher le drapeau et de le passer à des jeunes. On avait déjà identifié, notamment au sein des conseils municipaux des jeunes, et ça nous a permis de continuer à être présents sur les cérémonies patriotiques. Et après la période Covid, finalement, cette habitude est restée. J'ai plus de la moitié des porte-drapeaux qui sont des collégiens ou des lycéens. Soit ils portent seuls le drapeau, soit l'ancien est à côté d'eux, mais il y a cette transmission qui s'est faite totalement naturellement. On a des volontaires pour porter les drapeaux, pour lire les discours. pour déposer les gerbes avec les élus, pour participer à des formations, puisque c'est aussi gratifiant en termes d'engagement associatif pour les jeunes. Le Souvenir français, la façon dont je le présente au niveau de mon comité, c'est une association qui n'est pas liée à un conflit, qui est au-dessus des conflits, qui est mémoriel. Ce que j'aime à proposer, c'est de regrouper nos actions. et que le Souvenir français soit un peu le leader, le coordonnateur de toutes les associations en local pour qu'on soit unis autour de ces actions. J'ai la chance d'avoir un professeur d'histoire très investi qui appartient au comité. Donc, j'ai pu présenter le comité des Bordemarnes au sein du collège. J'y ai fait le dépôt d'un drapeau qui était le drapeau de Simon Mercier qui était le dernier président de l'association locale de Rhin et Danube. Quelques mois avant son décès, on a pu faire un témoignage et un dépôt du drapeau associatif au sein du collège. Et le collège, dans le cadre de la convention qu'on a signée, s'engage à ce que le drapeau soit porté tous les 8 mai et les 11 novembre à minimum. Je suis rentré il y a dix ans chez Electricité de France. J'ai fait la connaissance de Jean Villeray. Et pourtant, j'ai fait un certain nombre de cérémonies par ma carrière militaire. Très marqué par la façon dont il organisait les cérémonies au siège du groupe EDF. le 8 mai et le 11 novembre, dans sa tenue de déporté, où il captait l'attention des gens, où il commentait l'actualité. Cet engagement qu'avait Jean Villeray dans sa façon de parler, de raconter son histoire, qui est assez impressionnante, assez merveilleuse. On a lié connaissances. Il est venu témoigner dans les collèges et lycées des villes sur lesquelles je suis. Avec le Covid... Tout s'est arrêté. Il avait presque 100 ans à l'époque. Il m'a dit « moi je suis fatigué, j'aimerais bien passer la main » , ce qui était légitime. On a imaginé pouvoir monter quelque chose avec le souvenir français. Parallèlement, un certain nombre de membres du comité exécutif d'EDF sont très attachés à la mémoire combattante du groupe et à faire perdurer le travail de passeur de mémoire effectué par Jean Villeray. C'est arrivé vers moi puisque... Nombreuses personnes étaient au courant que j'étais bénévole au sein du Souvenir Français et on a décidé effectivement de monter un partenariat avec le Souvenir Français. On continue l'action menée par Jean Villeray, c'est-à-dire de célébrer au sein du siège d'EDF, également au sein du siège d'Enedis, le 8 mai et le 11 novembre. Et parallèlement, dans le cadre de ce partenariat, un partenariat fort avec le pôle patrimoine, identifier des sites autour d'implantation du groupe qui nécessiteraient une rénovation, une restauration. On a identifié un cimetière, le cimetière de Goldville-sur-Sierre, près de Dieppe. On a la centrale de Panly. Il y avait huit tombes de morts pour la France de 14-18 dans un état de déshérence avancé. On est arrivé effectivement à ce qu'au mois de mars ou avril de cette année, on arrive à avoir un carré militaire totalement rénové, avec une adhésion totale de la population, de la mairie et une très très belle cérémonie. avec toutes les écoles de la ville, quelque chose de très marquant. Donc ça c'est un premier exemple d'activité. On va reproduire l'année prochaine, on est en train d'identifier un nouveau site. On part d'une idée et derrière il y a beaucoup de monde qui suit, on a un engagement et on fait passer un message aux jeunes et je pense que c'est le plus important aujourd'hui. Notre travail de bénévole c'est un travail de passeur de mémoire, c'est de transmettre une histoire qu'on n'a pas connue. mais dont on est la courroie de transmission. Jean-François Decrène qui écrit des livres sur les lieux matérialisés et non matérialisés de la guerre de 70 et on a la chance à Brissure-Marne aura été le point de départ de la bataille. de Champigny, le 2 décembre 1870. Il a découvert la sépulture du commandant Clay. Je pensais connaître un peu le cimetière de Brie pour l'avoir parcouru dans le cadre du recensement des morts pour la France. J'étais passé devant cette sépulture, mais je ne la connaissais pas parce que les inscriptions étaient illisibles. Donc il a découvert le commandant Clay, qui bien sûr avait participé à la bataille de 70, qui était d'origine italienne et qui... pour des raisons qu'on ignore encore. Il s'est engagé dans l'armée napoléonienne en 1815, c'est au siège de Soissons. Il a participé, après 1815, à un certain nombre de batailles de Napoléon Ier. Ensuite, il disparaît totalement, il fait sa vie d'homme. Et on le retrouve en 1870. Alors, il dirait ses activités professionnelles, mais parallèlement, on retrouve dans les archives de Brie qu'il a été dans la garde nationale. C'était un peu un réserviste de l'époque. Il progresse dans les grades, il devient commandant de la garde nationale, d'une unité de la garde nationale. Et il se retrouve à se battre, il a 71 ans, il se bat contre les Prussiens, contre les Allemands à Montretout. Il est blessé, c'est un beau fait d'arme, en tout cas il se bat. Et puis il est notable, il finit sa vie à Brie, etc. Et c'est pour ça qu'il est enterré à Brie. Jean-François Decrène est très sensibilisé à cette sépulture qui est vraiment en très mauvais état. Donc on décide de participer au financement de sa restauration. Lors de la rénovation et du nettoyage de la dalle, on voit que dans la sépulture, effectivement, il y a le commandant Clay. Mais il y a aussi son fils qui était artilleur. et qui est mort au siège de Sébastopol en 1854, et qui est enterré là. Et c'est quelque chose d'assez émouvant. Et donc là, on est en train d'essayer de travailler avec certains bénévoles pour essayer de retrouver l'histoire du commandant Clay, comment il est arrivé à Brie, qu'est-ce qu'il y a fait, essayer de retrouver l'histoire de son fils, qui est mort très jeune à Sébastopol. Cette découverte faite par Jean-François de Crêne de la sépulture, de ce combattant. C'est quelque chose aussi pour moi, en tant que bénévole et président, d'assez marquant. Pour moi, c'est un peu dans la continuité de mon histoire personnelle en tant qu'ancien militaire. C'est dans la continuité de ma vie familiale, puisque comme tout Français, on a des parents, des grands-parents qui ont été engagés ou en tout cas impliqués, impactés par la Première Guerre, la Deuxième Guerre mondiale ou la Guerre d'Indochine, la Guerre d'Algérie. Donc aujourd'hui... Finalement, tout va très vite, ou l'histoire s'entrechoque un petit peu. C'est important de revenir sur des racines, de faire comprendre ce que c'était. La guerre de 70, c'est une guerre qui a complètement été oubliée. Moi, dans mes cours d'histoire, je n'ai pas de souvenir qu'on m'en ait parlé. Dans mes cours d'histoire militaire à Saint-Cyr, je n'ai pas de souvenir qu'on ait beaucoup étudié de bataille de la guerre de 70. Et pourtant, il y en a, et d'importantes. Le fait, effectivement... d'habiter sur un site qui a été l'objet d'une bataille qui a fait 8000 morts de part et d'autre à peu près, et autant de blessés. C'est quelque chose qui porte, qu'on a envie de faire connaître. Et puis, de fil en aiguille, finalement, on a envie de transmettre ce patrimoine qu'on a autour de soi, qui a été oublié, et qui finalement, avec un peu de bonne volonté, pas énormément de moyens, peut retrouver vie. L'engagement associatif, c'est de pouvoir juste faire profiter de son expérience, de son goût pour l'histoire, de cette envie de témoigner, de passer aux autres histoires. L'engagement c'est aussi de se dire aujourd'hui ils sont partis, il faut qu'on parle d'eux, ils font partie de notre histoire, il ne faut pas qu'on les oublie. Et je pense que c'est ça l'engagement, c'est de ne pas les oublier.