Speaker #1Professionnellement, je suis à la retraite. Il a fallu passer ce cap de la retraite et j'ai cumulé retraite et maladie. Cela a été un changement de cap violent. Et je me suis reconstruit doucement, petit à petit. Je me suis étonné parce que j'étais un agité du bocal et j'ai dû passer par une phase de retour au calme et de reconstruction. Vaille que vaille, j'ai plutôt bien vécu ça. Je suis toujours en situation d'apprentissage. J'apprends. C'est tout mon parcours qui est ça. J'ai progressé par l'échec, c'est-à-dire je suis un cancre à l'origine, donc je suis en situation de difficulté. Je vais rebondir, je vais devenir bon élève et puis je vais passer des concours. Ça ne va pas trop marcher, donc je vais en passer beaucoup. Je pense que je suis la personne qui a passé le plus de concours à l'éducation nationale. Et ça devenait, c'était presque maladif. J'étais le petit dernier chez moi, couvé par ma maman, un cancre donc, je reviens là-dessus. Et puis d'un seul coup, on est parti à l'étranger, on part en Algérie, en 73, j'ai 15 ans. Et moi je ne sais pas ce que c'est que l'Algérie, je ne sais pas tout ça. Et je me retrouve dans ce nouvel univers, et je me retrouve comme ça, avec des étrangers, et dans un internat, une bande, un internat. Coupé de maman, mes parents habitaient loin. Et ça c'est une des premières expériences, alors que ça devait être la punition ultime, ça a été le bonheur parce que voilà, la bande c'est le partage, c'est si j'avais été bon en foot, j'ai essayé, mais j'étais vraiment trop mauvais, sinon... et avec le collectif je vais apprendre aussi, alors c'est tout ce que j'ai fait aujourd'hui. Il y a un prof de maths qui débarque, un excentrique qui débarque des États-Unis, qui dit, moi je veux faire faire du théâtre. Moi je dis, le théâtre, j'exagère à peine, c'est bon pour les filles. Et puis mes copains, mes meilleurs amis, ils vont, je suis à l'internat, donc je m'ennuie. Et donc j'y vais, je finis par y aller. Alors après, je ne sais pas ce qu'il y a de souvenir, ce que j'arrange comme souvenir, mais... Euh... C'était des bâtisseurs d'empires où le schmürz de Boris Vian, il ne reste qu'un rôle, c'est le voisin. On me fait monter sur le plateau et apparemment, il n'y a pas grand-chose à dire, mais je n'y arrive pas, je ne dis pas. Et alors dans cette pièce, il y a d'extraordinaires, ça s'appelle « Bâtisseurs d'empires où le schmürz » parce qu'il y a le schmürz. Le schmürz, c'est un personnage métaphorique, allégorique qui est sur le plateau sans arrêt. C'est une famille qui tombe, qui se dégrade progressivement. Et le schmürz, il est la symbolisation de ça, avec des bandelettes et... Il perd les morceaux comme ça, au fur et à mesure, et donc on me met là-dedans des bandelettes, et je me dégrade sur le bateau, et je dis rien, et je me dégrade. Et alors là, j'ai jamais réussi à savoir si c'était... C'est qu'on a fait des petites tournées dans les centres culturels, des choses comme ça, et tous les gens me disaient, waouh. Moi qui avais eu peu de... je ne dramatise pas, mais j'avais peu de valorisation de ce côté-là, tout le monde me dit, waouh, super, vraiment super. Et moi je crois, je ne sais pas s'ils se foutaient de ma gueule un peu ou si c'était vraiment sincère, mais ça marche. Et ça j'apprends, le théâtre. Le cinéma, pareil, j'ai un CPE en Algérie qui... propose aux internes un ciné-club, c'est le bruit de la bobine, et je me souviens d'un film, Le Mandat, doucement de Saint-Béné. On voit le même film, je vois le film avec mes pères, les autres élèves, et à la fin du film, là, ce n'est pas le prof qui parle, c'est les autres autour de moi. On a vu le même film, et moi, je n'ai rien vu de l'analyse. C'est un film sur le... post-colonialisme, moi j'ai rien vu, tous les trucs qui disent, j'ai vu le même film mais j'ai rien vu, ça je déclenche, je déclenchais le groupe voilà, un des éléments qui fait que je vais devenir, entre guillemets un bon élève, c'est le rapport avec les autres parce que mes copains dans ce temps-là, en seconde c'est des gens qui prennent plaisir à apprendre. Il faut un moment quand même, ça ne vient pas tout seul, parce que je viens de loin. Moi, l'école, c'était vraiment le lieu, et encore, ce n'est pas romantique, c'est juste comme ça. C'est vraiment le lieu où, peut-être qu'après, ça me permet de mieux comprendre les élèves. C'est vraiment le lieu où je bouche les oreilles, je n'écoute pas, c'est le lieu où il ne faut pas se faire choper. Il ne faut pas se faire choper par le maître, il faut essayer d'éviter absolument. D'un seul coup tu te dis waouh des gars comme moi mes copains ça les intéresse et voilà et après un jour il y a une prof qui dit une prof de français un peu baroque comme ça je me souviens j'ai peu de souvenirs dans le temps mais c'est des trucs qui me reviennent on rend les copies dans le sens inverse c'est à dire de la plus mauvaise à la meilleure et pour une fois je suis tout à la fin enfin j'ai la meilleure note et elle dit dans son truc un peu baroque elle dit... Ah mais monsieur Bel, s'il continue comme ça, on ne le donnera pas aux cochons. Et bien, tu vois, ça fait rigoler, mais moi, ça me valorise. Encore une fois, ça donne du sens. Donc, j'arrive prof par hasard. j'ai pas de vocation particulière, je suis étudiant et je cherche, voilà, je passe sur les détails, je deviens surveillant. Mais vraiment, loin de moi l'idée d'être prof, moi je voulais être un aventurier un peu, prof, c'était vraiment l'idée, non, c'est pas fait pour moi. Et la première fois que je fais l'étude, que je suis surveillant, il y a une espèce de petite estrade, et donc je passe le pas, tu vois, c'est vraiment le pas. Et de suite, je me sens chez moi. Voilà. Et je me suis toujours senti chez moi. Parce que je n'ai jamais été dans des situations... Même si je vais à Dreux enseigner en lycée professionnel, je ne vais pas avoir d'opposition violente. À Dreux, on disait Dreux. Dreux, 85, c'était des années violentes. Mais je suis dans le lycée professionnel et ça se passe bien. Et puis, je passe le CAPES. Et puis, je deviens formateur. Et puis, je suis agrégé. Et puis, je fais du théâtre. Parce que le théâtre, par exemple, là aussi, j'ai toujours fait du théâtre, depuis le lycée, depuis le prof de maths, j'ai toujours fait du théâtre. Mais à l'université, par exemple, ce n'était pas du tout ma matière. Moi, j'étais plutôt du côté de la poésie, des problèmes impossibles sur le rythme en prose ou des choses comme ça, avec Meschonnic et des gens comme ça. Mais le théâtre, ça, c'est 80... Enfin, j'ai fait déjà du théâtre en lycée professionnel avec les élèves ou avec des élèves de collège aussi. J'en ai toujours fait, mais quand je viens prof de théâtre au lycée, par exemple, c'est un peu un petit saut dans le vide, puisque je n'ai pas de culture. J'apprends en même temps que les élèves. J'ai très peu d'avance sur les élèves, sur bien des points. Quand je me suis retrouvé en lycée professionnel, prof d'histoire, j'apprenais la veille pour... ça me donnait une pêche. J'ai reçu et j'ai donné. J'ai beaucoup donné après. Et j'essaie de multiplier les situations qui font que ceux avec qui je vis, les élèves, vont aller vers ce qu'on appelle le plaisir d'apprendre. Et donc ça, c'est un véritable partage. Et puis parce que moi, je suis quelqu'un du collectif, du groupe. C'est ce que j'ai été chercher aussi en théâtre. Et c'est ce que j'ai trouvé dans la classe. La classe est vraiment le lieu de l'ensemble, de la bande. Moi j'ai peu de certitude, mais j'ai quelques convictions. C'est qu'il faut arriver à essayer de faire passer à l'autre, aux élèves, le plaisir du comprendre. Que ce que tu fais ça t'aide à comprendre le monde. Et comprendre le monde,
Speaker #1C'est penser. Le plaisir, le plaisir de la pensée. Ça c'est la chose. L'élève, la seule chose que tu ne peux pas lui demander, c'est de... Ce que tu ne peux pas faire à sa place, c'est se mettre au travail. Il m'a fallu du temps pour comprendre ça, mais tu ne peux pas... La décision, quand même, elle lui revient. Après toi, tu es là pour mettre en place jusqu'à la fin, jusqu'au bout, jusqu'au dernier jour. Tu es là pour mettre en place, enfin tu es là. L'idéal, c'est de mettre en place un maximum de situations originales qui font qu'il va s'impliquer, il va faire le pas. Ça paraît un peu lyrique ce que je dis, mais parce que c'est un sacré challenge quand même. Parce que c'est jusqu'au bout, il faut que tu sois toi-même dans cette situation d'apprentissage. De curiosité. Que tu montres ton plaisir d'apprendre pour que l'autre puisse se déployer. Je suis avec les élèves, je suis avec, pas en face, mais je suis avec les élèves parce que j'apprends avec eux et quand même je sais, je me souviens de ce que j'ai été, je me souviens de mon rapport à l'école et donc je les aide si on veut aller par là. J'essaie de les aider à se déployer, eux, il faut que ce soit une aventure. Je travaille beaucoup en amont, mais après je trouve, il y a beaucoup de choses que je trouve qui n'étaient pas prévues, enfin, tu vois, que je trouve, qu'on trouve, que nous avons ensemble. On va voir un spectacle avec des élèves, en théâtre, et quand je les écoute, assez souvent, ils ont vu des choses que moi je n'ai pas vues, parce qu'ils ont un autre regard sur les choses. Je n'ai pas beaucoup de mémoire, je n'ai jamais eu une très grosse mémoire. C'est un peu paradoxal peut-être pour des gens qui font du théâtre, mais j'ai jamais eu beaucoup de mémoire et ça, ça m'a obligé. C'était un peu sous la contrainte, mais je pense que c'est une qualité aussi, à avoir beaucoup d'humilité. Aller vers les autres, ce matin par exemple, j'étais en cours de yoga, et à la fin j'ai parlé, au centre social d'à côté, et j'ai parlé avec la dame qui fait ça, et je lui ai dit, moi je suis toujours en recherche, donc s'il y a une possibilité de ciné-club, je suis partant, si vous avez le matériel, parce que je ne sais pas s'ils avaient. Et elle m'a dit, justement c'est moi qui m'en occupe. Et donc on va discuter pour savoir si ça va démarrer. C'était dire oui. Dire oui à ce qui se présente. Et donc j'ai dit oui. Jusqu'à il n'y a pas très longtemps après, j'ai appris un peu, sur le tard j'ai un peu appris à dire non, mais sinon je disais allons-y, ça m'intéresse, je dis oui. J'essaye, je vois et je découvre. Et c'est comme ça que moi-même j'avance toujours encore, je continue. La crainte du temps qui passe, ça c'est sûr. Même si on sait bien que le temps ne passe pas, c'est nous qui passons. Et ça s'est un peu calmé. Je me suis rendu compte que la course, l'agité du vocal que j'étais, la course, elle est un peu vaine, elle est un peu vaine quand même. C'est-à-dire, pendant longtemps, ça a été quand même une course contre le temps. C'est-à-dire que j'avais l'impression que le temps passant, il fallait un peu se donner des repères, se donner des assurances, et donc faire plein de choses pour pouvoir dire, waouh, la vie, elle est passée, la vie, elle passe, mais j'ai ça qui est... et je n'ai pas peur de ça. Si je repars de la maladie, par exemple, une des choses qui m'a réassuré, c'est que j'ai eu l'impression, j'ai l'impression, je ne suis pas orgueilleux ni prétentieux, mais j'ai l'impression que j'ai fait quelque chose de ma vie. Fondamentalement, même si je suis un bout en train, j'ai, comme beaucoup de personnes, un versant que j'aime bien, un versant mélancolique, plus que nostalgique, il y a une petite mélancolie. Et j'ai appris à vivre avec ça, j'ai appris à vivre avec elle, à m'agiter contre elle aussi. Moi, ce que j'ai découvert en moi, je pense que ma première... Si j'ai une qualité ou si j'ai une force, c'est une force de vie. J'ai ce truc-là, c'est une chance. J'ai toujours été en avant, porté. Je n'ai pas eu besoin de me bouger les fesses. J'ai toujours eu le goût d'y aller. Là, je suis ralenti, et c'est bien que je sois ralenti. Mais s'il y a un truc qui passe, hop !