- Speaker #0
Cette force qui se déploie. Cette force qui se déploie.
- Speaker #1
Cette force qui se déploie. Je m'appelle Camille Geoffroy et j'avais envie de partager avec toi la parole libre et spontanée de personnes qui m'inspirent. Je vais te présenter Marie-Christine, ses amies l'appellent Kinou, moi aussi d'ailleurs. Marie-Christine a près de 80 ans, elle est d'une vivacité impressionnante et elle a une forme de lucidité ou de clairvoyance sur la vie dont je me régale chaque fois que je la vois. J'aime bien lui demander des conseils d'ailleurs. Elle a toujours le mot juste et la clarté nécessaire. Elle a eu 4 enfants en 5 ans, elle a passé son bac après avoir eu ses enfants, puis son CAPES. Elle est devenue professeure d'art plastique, mais aussi céramiste. Elle nous explique magnifiquement comment elle a fait le culbuto entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Je pense qu'elle a beaucoup de choses à transmettre et à nous apprendre.
- Speaker #0
Je m'appelle Marie-Christine et j'ai été élevée dans un milieu anticlérical. Donc ça a toujours été une question pour moi, ce prénom. Bon, je n'ai pas trouvé la réponse. Mais bon, je le porte. Je suis quand même une vieille dame, reconnaissons-le. Et je suis beaucoup de choses. Ou je ne suis pas, enfin je ne suis pas beaucoup de choses en fait. Je joue avec beaucoup de choses. Je ne suis rien du tout. Je joue avec tout ce que la vie m'offre.
- Speaker #1
Qu'est-ce qu'elle t'a offert cette vie ?
- Speaker #0
La vie m'a offert d'aimer, d'avoir des enfants, d'être surprise par mes désirs. En fait, jeune, j'avais deux désirs. Le premier désir, c'était d'être professeur de dessin, mais pas comme mon prof. Et le deuxième, c'était d'avoir une grande famille. Et puis après, tu es culbuto, parce que tu es en famille, mais l'art, ça t'échappe un peu. Tu es en train de faire de l'art, mais la famille t'échappe un peu. L'équilibre, c'est comme les orientaux le disent, c'est une tortue, une tortue d'eau. Donc il y a toujours des vagues. L'eau, ce n'est pas toi qui la crée, c'est l'eau, c'est le chemin de la vie, c'est tout ce que tu veux. Il y a des symboliques quand même très fortes. Donc tu es une tortue. Tu n'es même pas la tortue. Tu es assis sur la tortue et tu es un serpent qui rééquilibre constamment sa colonne vertébrale pour tenir debout. Donc c'est au jour le jour.
- Speaker #1
Au jour le jour, l'équilibre au jour le jour.
- Speaker #0
Et si vraiment ce n'est pas possible d'être équilibré, moi j'ai quand même été influencée par la culture. occidentale aussi. C'est-à-dire que si vraiment ce n'est pas possible, je prends la fuite. J'ai toujours confronté les deux cultures. La culture occidentale que je me suis quand même coltinée parce que quand j'ai fait tout ce travail sur l'Orient, etc., on te dit quand même l'équilibre c'est ici et maintenant. Et je me suis dit ici et maintenant, je suis en Europe, je vais être professeure d'art plastique, j'arrête d'étudier les textes des orientaux. et je me mets à étudier les textes des Occidentaux. Et je me suis plongée dans, tu commences par la Grèce antique, etc. Voilà. J'ai eu quatre enfants en cinq ans. La réalité, c'est quand même qu'il faut être là et tu n'as pas le temps de... Enfin, il faut être là, quoi. Mais quand je dis qu'il n'y a pas le temps, si. J'ai toujours pris le temps. Toujours pris le temps. de travailler une demi-journée pour gagner de l'argent, pour me libérer une deuxième journée, pour aller prendre des cours de peinture, pour aller prendre un pot et pouvoir aller voir des expositions. Et il y a toujours eu un aller-retour entre l'art et la vie, la vie et l'art, l'art et la vie. Et si je n'avais pas eu ça, je pense que je serais morte. Alors l'art m'a libérée de... C'est des artistes. C'est Georges Fillioud et Joseph Beuys qui disent que ce n'est pas la formation à l'art, mais c'est la formation par l'art. Et ils étaient aussi influencés par la culture orientale. Et comme moi j'étais en plein dedans, etc., j'ai commencé à... à modifier mon approche de l'art, si tu veux, non pas pour être une grande artiste ou je ne sais pas quoi, et faire des cinquantaines d'expositions et courir comme un bœuf sur les châssis, mais pour justement essayer d'avoir un regard. Voilà, un regard.
- Speaker #1
Un regard sur la vie ?
- Speaker #0
Un regard sur l'instant présent, qui est ou connecté ou déconnecté. Et toi,
- Speaker #1
est-ce qu'il y a une croyance, ce qu'on appelle un mantra, une petite phrase qui t'aide à mieux vivre les événements ? Quand tu te sens un peu secouée, est-ce qu'il y a quelque chose auquel tu te raccroches, mais quelque chose qui te nourrit pour t'aider à prendre du recul, à mieux vivre l'événement ?
- Speaker #0
Oui, c'est l'instant présent avec les odeurs, avec le soleil, avec la vie, avec cet univers qui est quand même... Sachant qu'on a un passage limité et que j'ai 78 ans, j'ai quand même intérêt à bien profiter de tout ça. Parce que, oui, il y a eu l'autre jour quand j'étais furieuse, etc. Et finalement, on est parti. Où est-ce qu'on était ? On est allé à la plage. Et puis, ça m'a calmée. De voir la mer, oui c'est ça. De voir la mer, de sentir le soleil me chauffer la peau, des choses toutes simples.
- Speaker #1
Tu vois, moi c'est ça qui me... qui me fascine aussi, c'est que je trouve qu'il y a un côté vraiment où tu t'embrasses tes désirs, tu as envie de refaire de la céramique, tu refais de la céramique, tu vas dans ton four à 60 km, tu vas au bout de tes projets, tu vas voir des expos à Paris. Tu fais plein de choses qui te nourrissent personnellement. Et parallèlement à ça, les petits-enfants sont là, tu leur fais des gaufres tous les matins. Il y a quelque chose qui est à la fois, je trouve, qui est très respectueux de toi-même.
- Speaker #0
Mais je les ai voulus mes enfants, mes petits-enfants.
- Speaker #1
Et en même temps, il y a quelque chose qui est très tourné vers l'autre aussi, qui est très généreux vis-à-vis de l'autre.
- Speaker #0
Alors ça, ça vient de loin. Ça, ça vient de loin parce que ma mère a été une mère moyenne. Parce qu'on est tous, quand on est jeune, avec plein de choses à faire. Et quand on est jeune, finalement, moi, j'ai beaucoup... Je n'ai pas été une mère idéale. J'ai fait ce que j'ai pu. À l'école, on apprend à tout, sauf être parent. Tu apprends sur le tas, le tas étant les enfants. Avec toutes les bêtises que ça peut supposer, etc. On les aime, on les aime, on les aime, mais on fait beaucoup de bêtises. Il y avait deux choses. Il y avait d'abord, j'étais dans une famille où mon père était épouvantable. Il y avait quelque chose à réparer. Ma mère a été une victime, alors je ne sais pas si c'est une victime consentante ou je ne sais quoi, c'est sa vie, ce n'est pas la mienne. Déjà, je refuse d'être une victime. Ça c'est une chose déjà qui est claire et nette. J'étais tournée vers l'art depuis, je ne sais pas, 10-12 ans. Mon père m'a dit, ah non, l'art ça ne sert à rien. L'art ne sert à rien. Alors, tu as voulu dire, justement, c'est ça qui est intéressant, tu vois. Oui. Ça ne sert à rien, mais chouette enfin un truc gratuit, tu vois. Et puis,
- Speaker #1
ce que tu dis aujourd'hui, c'est qu'en fait, l'art, c'est le contraire. Toi, ça t'a aidé.
- Speaker #0
Ça sert à tout, sauf ce qui se dit. Et à l'époque... pour faire un métier artistique. J'étais en région parisienne, en banlieue parisienne. Et il fallait, un, aller à Paris, et que ce soit en troisième, en fin de troisième. Et bien sûr, je me suis retrouvée avec un père qui m'a dit « Tu passes ton bac, tu seras institutrice, et c'est comme ça. Et estime-toi heureuse parce que j'aurais pu te faire travailler depuis que tu as ton certificat d'études à 14 ans. Je te garde à la maison et tu passes ton bac. » Donc j'étais à l'hôtel. Chez mes parents, j'étais à l'hôtel. Et j'ai toujours été libre. Parce que quand tu as 14 ans, avec des parents, et ma mère ne réagissait pas. Elle n'a pas compris. Ma mère n'a pas compris. Donc, je me suis toujours débrouillée. Je faisais toujours ce que je voulais. Et je me disais, je vais voir une copine à Saint-Denis, dans le quartier, etc. Je savais que quand je rentrerais, je prendrais une trempe. J'évaluais le positif et le négatif et je disais bon, même pas mal et puis c'est bon quoi, j'ai fait ce que je veux. Donc, j'ai toujours fait ce que j'ai voulu. Alors, je voulais plein d'enfants. Alors, pourquoi je voulais plein d'enfants ? Tu sais, je ne suis pas posé de question. Bon, j'ai connu Patrice. On s'aimait, on s'aimait, on s'aimait. C'était la passion, tu vois. Bon, je pense que si ce serait maintenant, tu vois, avec la pilule et tout ça, j'aurais peut-être pas fait des enfants tout de suite, tu vois. Mais je pense qu'il y avait une urgence quand même d'avoir de l'amour autour de moi et d'en donner, quoi. Ben, je veux me dire que j'ai pas perdu mon temps, quoi. Mon temps. Parce qu'il y a le temps et il y a mon temps. Ce que disent les Chinois, c'est que le temps n'existe pas, ce qui existe c'est l'emploi du temps. C'est merveilleux. Alors, l'emploi du temps, ben voilà. Finalement,
- Speaker #1
c'est de se déployer dans le temps qui est le nôtre. Qu'est-ce que je peux faire de ce temps qui est le mien ?
- Speaker #0
Oui, mais tu ne peux pas. Si tu dis, voilà, à long terme, je me projette là-bas et je fais ça. Tu passes à côté du reste. Donc, il y a aussi une disponibilité. Ça, c'est ce qu'on appelle le lâcher prise. Et puis, l'absence de jugement. Ce n'est pas grave de faire des tomates. Ce n'est pas grave de faire des... déplucher les carottes. Bon, du moment que tu ne fais pas que ça, quoi. l'abandon du fruit des actes. On est dans une société en Occident où il faut toujours avoir une plus-value. Alors que non, il y a des moments où tu perds et il y a des moments où tu gagnes. Si tu es dans l'abandon du fruit des actes, je crois que c'est pour ça que je n'ai pas fait beaucoup d'images ou beaucoup de poteries. Parce que là, j'ai fait ça et je me suis dit que je ne vais pas en faire 300. J'en ai fait une vingtaine, une trentaine. Maintenant, je peux peut-être avoir un atelier où ils vont les faire. Il faut passer. J'en suis là en ce moment. Je fais des mélanges de terre. Là, j'ai peint. Et là, je mélange, je colore directement la terre. Donc, il n'y aura plus de peinture. La peinture, elle est dans la masse. Du coup, il faut que je change de technique parce que ça ne va pas avec le tour. Ça va avec le travail de plaque. Et là, j'ai découvert quelque chose qui était quand même incroyable. Il se passe quelque chose avec la terre qui était incroyable. Là, tu joues avec tous les éléments. Tu joues avec la terre, l'eau, la chimie, le feu. Parce que là, tu as des pièces qui sont cuites en feu et four électrique. J'ai fait des fours à gaz, j'ai fait des fours à bois, j'ai fait de la chimie, j'ai fait mes émeaux, je faisais mes terres. Et là, il y avait une espèce de magie, j'étais Dieu, je pouvais fabriquer, je refaisais le monde, quelque part. Il y avait ça, et il y avait une autre chose, par rapport à ce que je t'ai dit, par rapport à mon père, machin, etc. Et là, j'ai découvert qu'il y avait une mémoire, une mémoire qui était non pas une mémoire filiale, mais une mémoire universelle. Il y a une mémoire. Et là, tu lis Ferenczi dans Thalassa et tu t'aperçois qu'on est des êtres humains. Quand on regarde tout ce qui se passe, on recherche actuellement sur les planètes et tout ça, où est-ce qu'il y a de l'eau, où est-ce qu'il y a de la matière, du carbone, etc. Et tu t'aperçois que la vie humaine, elle vient de la cellule, de l'eau, etc. Et là, je me suis débarrassée de tous les problèmes psy, machin, etc. Et la Terre m'a libérée par rapport à ça. Parce que je me dis que tous ces problèmes que les gens ont dans la tête, c'est quelque chose qui les empêche de voir au-delà.
- Speaker #1
Qu'est-ce que tu as envie de nous transmettre ? Qu'est-ce que tu aurais envie de me dire à moi, peut-être comme un conseil ou une philosophie ?
- Speaker #0
Alors, je n'ai pas de conseil à donner, franchement. Parce que c'est surtout, surtout, surtout partir de là où tu es et déployer ce que tu es dans tes deux pieds, dans ton cœur, dans ta tête. et faire fonctionner cela sans avoir ou de complexe ou de désir de ressembler à machin, à truc, etc. C'est vraiment être à l'écoute de... à l'écoute de ce que tu aimes, de ce qui te... de ton cœur.
- Speaker #1
Merci d'avoir écouté ce podcast. Ces entretiens font partie d'un projet global qui s'appelle « Cette force qui se déploie », exposition sonore dont vous pourrez trouver plus d'informations sur notre site www.lavieestailleurs.com