Transcription

• Speaker #0

  Percher.

• Speaker #1

  Premier jour de l'expérience.

• Speaker #0

  7 jours et 7 nuits à 25 mètres de haut.

• Speaker #1

  Je souhaite comprendre ce qu'est la condition végétale, m'extraire du monde des humains, vivre avec ce chêne.

• Speaker #0

  Renaud Moinet mène une expérience dans un chêne centenaire pour comprendre le monde des plantes.

• Speaker #1

  Mais qu'est-ce que je...

• Speaker #0

  Percher, épisode 5, perspectivisme végétal.

• Speaker #1

  Je me réveille avec le cri des oiseaux. Et avec du soleil qui chauffe mon hamac, j'ai plutôt bien dormi. Je me rends compte que je n'ai pas décrit l'endroit où je dors. C'est pourtant là où je passe la moitié de mon temps. Alors, sur la fameuse grande branche artentière où est tendu mon hamac, chaque jour je ne fais pas mon lit, mais je rérègle mon hamac. C'est un peu la même chose. Autour de ce hamac est tendue une toile de couleur kaki. J'ai également un sac qui est accroché, dans lequel je mets les choses dont je n'ai pas besoin pour la nuit. cet enregistreur, ce carnet de bord, mes produits de beauté, à savoir un dentifrice et du PQ. A l'extrémité où se trouvent mes pieds, on aperçoit du lichen, de l'écorce, des feuilles de chêne, des feuilles de lierre. Et tout ça dès mon réveil. Quand à l'extrémité où se trouve ma tête, si je regarde derrière, il y a un tout petit trou. Et c'est là que vient s'accrocher ma corde principale, celle avec laquelle je me déplace dans l'arbre. Le matin, quand je sors de ce petit trou, j'ai l'impression de sortir de l'arbre. Un peu comme tous ces oiseaux que j'observe au cours de la journée. C'est parti. Samedi 23 avril, jour 5, soleil timide. Depuis quelques heures, je me tiens immobile, assis dans la chaise à mac et mes jambes posées sur le vide. Mes mouvements se réduisent à leur strict minimum. Une main, agitée de soubresauts, qui parcourt mon carnet de bord de Ausha droite, et mon corps flottant. Je lévite dans une bulle formée par les branches de ce vieux chêne. Et même si j'ai le sentiment un peu déconcertant de ne plus être tout à fait moi, un peu perché, j'ai l'intuition qu'il me faut persévérer dans cette posture d'écriture, que c'est de cette manière que je pourrais accéder à la condition végétale. Description de l'arbre avec lequel je partage cette aventure. Un chêne, bicentenaire, avec des feuilles de couleur vert foncé. Les feuilles sont toutes déploy��es, printemps est déjà bien avancé. Le monde est vert. Restez immobile. Acceptez que rien ne se passe et surtout suspendre mon juge. Il me faut tout abandonner, mes sens, mon langage, mes intentions, mes perceptions animales. Et cela durant de longues heures. Le végétal ne fait pas irruption, comme les animaux. Bien au contraire, il s'insinue sur la longueur, il flotte. Toujours immobile, dans la chaise à mac. Plus j'examine cet arbre et plus je réalise que l'air qui l'environne le caractérise tout autant que ses propres organes. J'apprends à l'observer différemment, à ne pas me focaliser sur ses branches primaires, sur ses ramifications, mais au contraire sur tous les espaces vides qui l'entourent. Je l'observe en négatif. De cette manière, il semble agripper l'espace. C'est comme si toutes ses branches employaient fermement l'atmosphère, les nervures de ses feuilles devenant des racines aériennes. L'arbre, sans racines dans l'air, processus interne de conscientisation de l'espace. Ça fait des heures que je ne bouge pas. Je n'ai plus envie de bouger. J'attends. Après-midi, chez Zamak. Toujours. Je suis contraint par mon squelette. même si je laisse celui-ci se mouvoir librement dans l'espace. Mon dos se voûte, enveloppé dans la chaise à mac. Je joue physiquement avec l'atmosphère qui m'entoure, via les muscles de mon cou. Je ne suis plus maître des expressions qui se figent sur mon visage, comme s'il devait en sortir quelque chose. Mutation. Je ne sais plus vraiment si je suis animal, si je deviens cet arbre. Si je suis une de ces masses d'air qui gravitent tout autour, je suis tenté d'aller me blottir entre ces branches. Il suffirait de détacher ma corde, mon baudrier, et de me laisser glisser du hamac. Petit à petit, je deviens une branche parmi les branches, je deviens profond. Il ne me manque que le lichen sur la peau, les chenilles qui s'enroulent dans mes cheveux et les oiseaux pour venir me picorer. Mon visage s'allonge. Je danse à longueur, mais selon l'axe qui unit mes deux oreilles. Les autres mains, mains droites, deviennent des ramifications, et mes coudes se soulèvent. Mon épaule droite se rapproche de mon cou, cherchant stabilité, son os vient se caler sur ma joue. Maintenant c'est mon visage qui se fige, asymétrique Oeil soulevé qui se creuse Et voilà mes doigts qui se séparent, s'élancent vers le sol et s'allongent Mes jambes, immobiles, sont fermement ancrées sur les branches qui me servent d'appui Mon bras gauche est posé sur ma jambe droite ... Voilà la manière dont je réagis à l'idée de devenir une branche.

• Speaker #0

  Produite par Bruit Vert. S'il vous a plu, n'hésitez pas à partager ce podcast. Et rendez-vous pour l'épisode 6, Sous l'orage.