Transcription

• Speaker #0

  Percher.

• Speaker #1

  Premier jour de l'expérience.

• Speaker #0

  7 jours et 7 nuits à 25 mètres de haut.

• Speaker #1

  Je souhaite comprendre ce qu'est la condition végétale, m'extraire du monde des humains, vivre avec ce chêne.

• Speaker #0

  Ronan Moinet mène une expérience dans un chêne centenaire pour comprendre le monde des plantes.

• Speaker #1

  Mais qu'est-ce que je...

• Speaker #0

  Percher, épisode 7, les suspendus.

• Speaker #1

  Hé, je suis encore là. Réveil fatigué, le lundi 25 avril, jour numéro 7. La nuit est passée et il n'a pas replu, heureusement. J'ai plutôt mal dormi avec ma toile de tente qui s'était détendue tout autour de moi, crampée. J'ai l'impression d'être un clou au beau milieu d'une charpente. Ici tout est humide, mais ça va. Par contre j'ai fait des cauchemars pendant toute la nuit. J'avais mal dans la cage thoracique. J'ai eu peur. J'ai hésité entre poursuivre l'aventure et l'interrompre avant la fin. J'ai choisi la première solution. Prendre des décisions en affrontant ce qui la devient. Voici l'essence du monde animal. L'élément majeur qui nous désocie de l'arbre est notre capacité de mouvement. Elle est porteuse de tout un tas de sentiments, comme la peur. Et si nous vivions immobiles, la peur serait totalement inutile, et même carrément une torture. L'humidité est très désagréable. J'aimerais qu'un rayon de soleil perce les nuages et vienne sécher tout ça. Mais malheureusement, ça a l'air très, très nuageux. Oh, putain, c'est dur. Allez, descendons vers le petit déjeuner. Lundi 25 avril, dernier jour pour le projet perché. Je crois que l'orage s'est imprégné dans ma chair. Il est arrivé hier et il s'y est installé pour de bon. Dès que des sons graves résonnent, je suis sur le qui-vive. Mon regard file vers le ciel. Mais bon, les difficultés sont passées, je crois. L'orage et la pluie se sont arrêtés, et autour de moi, l'arbre se réveille doucement. Il secoue ses branches et il s'étire vers le soleil. C'est à peu de choses près la même sensation que pour nous, humains, lorsque l'on se désaltère. On s'arrête pour boire, on déglutit. On respire, et on repart. Je ressens ça ici. Depuis hier, la végétation a métabolisé les amados provenant du ciel, et ce matin, elle prend le temps de déglutir. Je suis sur le trampoline depuis maintenant une grosse heure, je pense. J'ai pris le temps d'éponger la nuit qui vient de passer. L'humidité n'a pas trop fait de ravages, comparé à hier. J'ai pris le temps de prendre mon petit déjeuner avec de l'eau chaude dans une tisane. Après ces six jours, je me demande bien la gueule que j'ai. Je m'aperçois à peine dans le fond de ma tasse. Portrait façon Francis Bacon. Hier soir, je me faisais la réflexion que devant un tel orage, tout élément rassurant était bon à prendre. C'est tombé sur mon sexe, et l'odeur qu'il dégage après six jours ici. Voilà le soleil. C'est à mon tour de me déployer. C'est comme si mon corps était resté recroquevillé depuis le début de cet orage. Y'a... Je redécouvre l'envergure de mes bras Le plaisir de saisir l'espace Et d'habiter toutes ces masses d'air qui m'entourent Maintenant je suis allongé sur le trampoline, moitié à poil, avec le soleil qui revient pour de bon. J'ai mis tous mes vêtements à sécher, j'ai tendu une corde entre celles qui soutiennent le trampoline, de cabestan, de part et d'autre, et le tout est joué. C'est en train de sécher. Je me suis même payé le luxe de changer de caleçon. Tout va mieux. Auteur de canopée. La journée d'hier me semble irréelle. L'arbre est resté impassible, comme toujours. Mais à voir ses feuilles prendre la brise, j'ai comme le goût de la faim. Une nostalgie trop vite venue. Pour mon dernier soir, me voici en haut de la canopée, assis sur une branche, la branche des ancêtres avec le lichen. Le soleil est en train de se coucher. Il y a des dégradés sur toutes les feuilles du côté ouest. Je suis monté jusque là en m'efforçant de faire le moins de bruit possible, en plaçant mes mains, mes pieds, aux endroits les plus opportuns. J'ai l'impression de faire pleinement partie de cette nature, de ne faire qu'un avec mon environnement. et d'avoir été accepté par cet arbre. La branche sur laquelle je suis assis se divise en deux et juste devant moi, elle part un peu plus haut. Je suis dans un équilibre instable, à regarder le soleil à travers le feuillage. Tout est très calme. Pour une dernière fin de journée, je crois que je ne pouvais pas rêver mieux. Écoute vieux Chen, je suis très honoré d'avoir partagé ces 7 jours avec toi. J'espère que je n'ai pas été trop pesant. Ta manière d'attendre et de contempler le monde m'auront beaucoup marqué, je crois. Je vais garder ça avec moi dans ma vie de tous les jours et j'espère que tu seras là encore longtemps, à cette place, debout et bien vivant. A suivre.

• Speaker #0

  « Percher » , une création de Ronan Moinet, produite par Bruit Vert. Direction, dramaturgie et habillage sonore, Ronan Moinet. Composition musicale, Thomas Cocchini. Voix additionnelle, Laurence Giuliani. Mixage et mastering, Léonard Lelievre. Bruit Vert tient à remercier chaleureusement Nature et Jardin, la Ville de Nantes, le Ministère de la Culture, le Département de Loire-Atlantique, l'association Escapades Branchées et particulièrement Fleurs Le Sourd. Et surtout, n'oubliez pas, restez perchés !