Speaker #1Alors c'est une photo qui m'a plu assez vite parce que c'était pas du tout ce que je pensais faire. Comme souvent quand on fait des photos d'animaux, tu attends qu'il se passe quelque chose et il se passe à peu près jamais ce que tu espères. Là en fait je suis dans une cachette depuis pas mal de jours, dans une falaise. C'est plus facile de décrire l'endroit où j'étais que la photo parce qu'elle n'apporte pas vraiment de réponse. La photo justement, on ne sait pas trop ce qui se passe. Donc je suis sur une falaise, sur un espèce de... petit promontoire dans la neige entre la France et la Suisse dans le massif du Jura. Et je suis sous une bâche, il a beaucoup neigé, c'est à la fin de l'hiver, c'est même carrément le printemps, c'est au début du mois d'avril. Je suis là depuis pas mal de temps à essayer de voir un lynx, un lynx boréal qui est un peu un animal qui me fascine et que je suis depuis pas mal de temps, sans trop avoir réussi à le photographier sinon jamais du tout. Et là, il y a un lynx qui crie depuis plusieurs jours, un mâle. qui cherche une femelle et qui marque son territoire sur la falaise. Et tout autour de moi, il y a des moments où il est à 50 mètres de moi et je pourrais le photographier si je sortais de ma cachette et que j'allais le voir. Parce que les lingues ne sont pas trop peurs. Et puis moi, il m'a senti depuis des jours et il sait que je suis là. Mais moi, j'espère qu'il va aller dans la pente enneigée qui est en face, qui est toute blanche, parce que je cherche à faire des photos toutes blanches depuis longtemps. Et je trouve que c'est... Je ne sais pas, je trouve que c'est magnifique d'avoir un animal dans la neige. Il y a quelque chose de... très pur et qui m'émeut depuis que je suis tout petit. Mais le lynx, il attaque les chamois en se cachant dans les arbres et en sautant derrière un rocher. Donc, il ne va jamais aller à découvert au milieu de la pente enneigée. Les chamois le savent mieux que moi. Donc, il y a plein de chamois qui se réunissent du coup au milieu de la pente et qui regardent tout autour d'eux où est-ce qu'est le lynx qui pourrait leur sauter dessus. Et ça fait cette photo où en fait, il y a plusieurs chamois qui regardent un peu tout autour d'eux et on ne sait pas trop s'ils sont en lévitation ou dans la neige. Et il y a ce truc un peu fou que je cherche dans mes photos, c'est des journées où il y a des nuages et de la neige fraîche, du coup il n'y a plus d'ombre, il n'y a plus aucune marque, la lumière rebondit en permanence entre le ciel et la terre et ça fait comme un studio. Et donc on ne voit pas leurs empreintes sauf sous leurs pattes. Et donc il faut imaginer, il y a une espèce de page toute blanche avec des chamois en forme de cercle, un peu comme les chiffres de l'heure sur une horloge. Et moi ça me fait un peu penser aussi à ce que font les dessinateurs ou les peintres, ce qu'on appelle des études, où ils dessinent une personne ou un animal à plein d'angles différents pour s'entraîner à bien faire des chamois pour le coup ici. C'est curieux parce qu'ils bougent pas du tout et j'ai fait une photo après où ils courent tous en voyant l'inx. Et en fait c'est cette photo là je trouve qu'il y a le plus de mouvement. Alors qu'ils sont immobiles. Voilà, j'en ai dit beaucoup pour juste des chamois dans la neige, mais je crois que c'est une photo qui parle bien de cette espèce de mirage, de voir des animaux tout le temps, et une des façons que j'ai trouvées de le retranscrire en utilisant la neige. Je m'appelle Jérémy Villette, oui ça se prononce Villette, beaucoup de gens, au fur et à mesure qu'on a un petit peu parlé de moi dans des podcasts notamment, où les gens ont dit Villet ou Villet, mais ça se prononce Villette. Il était temps en fait que j'ai le courage de rétablir la vérité quant à mon nom, mais on s'en fiche. Je suis photographe animalier, alors c'est un métier que j'ai toujours fait. J'ai grandi dans une ferme. pas très loin de Paris, mais complètement au milieu des champs. Le plus proche voisin est à plus de 3 km. Il y a la forêt de Rambouillet après. Et il n'y a pas de clôture, il n'y a pas de barrière, il y a juste un jardin et les champs, puis la forêt. Quand j'étais petit, j'allais avec mes parents me balader ou même les animaux se baladaient dans le jardin. Donc très vite, avec mes frères et sœurs, on a passé notre temps juste à observer des animaux. depuis la fenêtre, puis dans le jardin, puis en allant camper dans les bois au bout du champ. C'est un peu un truc dans lequel je suis tombé, par mes parents et l'endroit où je suis né. Et après, il y a eu l'école, et à l'école, quand je racontais aux amis que j'avais vu des cerfs, eux n'en avaient pas vu, et très vite, j'ai eu envie de le partager, donc de faire des photos, et puis de montrer une photo d'un cerf dans les fougères, avec mon frère m'emmener, mon grand frère m'emmener voir les cerfs, on dormait. À 12 ans, on dormait dans les bois et t'espères voir un cerf. Au début, tu vois juste des fougères et puis d'un coup, il y a deux énormes lances comme des épées qui sortent des fougères et qui viennent vers toi, qui se mettent à crier très fort. En gros, quand tu es enfant, c'est fascinant. Les images que j'ai gardées de mon enfance, c'est des rencontres avec des animaux et surtout des cerfs. Après, à l'école, j'ai voulu montrer ça. J'ai montré une photo de cerf pas très nette à mes amis au collège. Et puis après, j'ai voulu leur dire, mais regarde comment les bois, ils sont beaux. Et après, je me suis rendu compte qu'on pouvait même faire des photos qui disaient ça. Regarde comment les bois sont beaux. Très vite, j'ai essayé de faire des photos où on voit que les bois du cerf. Parce que quand je ferme les yeux le soir, c'est cette image qui apparaît. Et après, j'ai utilisé la neige pour ça. C'est vraiment le plus facile. Je me souviens, ma maman faisait des aquarelles. Et mon frère dessinait, mon grand frère. Il y a vraiment un truc avec le dessin où on peut choisir. une émotion qu'on a eue. En photo, quand on va dehors, on ressent, surtout en allant dehors, voir d'autres êtres vivants dans la forêt ou dans la montagne, on ressent des choses avec nos cinq sens comme on ne les utilisait jamais dans nos vies normalement. Ça crée une émotion hyper forte et hyper pure. Le froid sur les joues, la lumière qui change très vite, un cri la nuit, juste une odeur après la pluie. Et en fait, ça, en photo, il n'y a rien dans la photo. et donc c'est une sensation pure que j'arrive pas à retranscrire sauf dans la neige, je trouve que dans la neige c'est un peu le seul moment où j'arrive à faire une photo et c'est une facilité aussi ou une aide pour faire une photo presque aussi pure que la sensation qu'on a tous quand on va dehors et puis après j'ai échangé avec des photographes quand j'étais petit, je me souviens c'était le début de la photo animalière en tant que photo plus créative ou du moins qui transmet une émotion, alors en France c'est passé par Vincent Munier qui est vraiment le photographe qui a révolutionné Je dirais même mondialement le rapport à la photo animalière. Il y avait une époque où on faisait des photos à la diapo argentique, où il y avait très peu de sensibilité ISO. Souvent c'était des portraits d'animaux, téléobjectifs, depuis en safari. Il fallait bien qu'on voit l'animal quand même, qu'il soit assez proche, pour que ce soit assez net, pour faire une couverture de magazine, vendre à une agence. Et ça, ça faisait que c'était pas du tout... Les photos étaient plutôt des images d'animaux. Et d'ailleurs, le mot photo-animalaire, on l'entend comme ça, juste faire une photo d'un animal et bien voir l'animal. Mais là, des gens comme Vincent Munier, moi j'avais un autre photographe aussi que j'aimais beaucoup, qui s'appelait Christophe Sidamon-Peusson, qui ont vraiment commencé à faire des photos pour retranscrire l'émotion qu'ils avaient d'être dehors. Par exemple, photographier un animal dans une tempête de neige ou sous la pluie en forêt. c'est aussi montrer ce que nous on vit à ce moment-là en l'attendant et on vit aussi ça, ce truc d'avoir froid ou d'être trempé, de ressentir la brume autour de soi et tout, ça Munier arrive à le mettre dans ses photos, dans toute situation. Ça, ça a vraiment été une bascule et moi je fais plutôt partie de la génération qui arrive après et qui essaye de faire ça et le numérique l'a aidé, comment faire pour faire des photos où on ressente la force d'être dehors et en même temps la fragilité, la beauté. C'est dur à raconter mais en gros c'est une photo où il y a une espèce d'ambiance. Ça passe pas forcément par un cadrage, quand on regarde les photos de Munier justement, elles sont cadrées un peu dans tous les sens. Il y a quelque chose de très brut qui est dur à retranscrire parce que la photo en soi c'est très culturel et la sensation d'être dehors n'est pas du tout. Alors au lycée, je suis allé en pension. J'ai demandé à mes parents d'aller en pension, ce qui les a un peu vexés. Ils ont cru que je voulais m'en aller, mais au contraire, c'était... Parce que quand je rentrais chez moi, le soir, je prenais une barre de céral et j'allais voir des renardeaux pas loin de chez moi et je ne travaillais pas. Donc j'ai demandé à aller en pension. Alors il se trouve qu'à côté de la pension, il y avait une carrière de sable avec plein d'animaux dedans qui étaient un peu abandonnés. Je sautais la haie du fond de la pension pour aller voir les renardeaux aussi là-bas. Au mois de mai, ils sortent dans le sable de la carrière. Donc il y avait ce truc quand même où même en pension, je passais mon temps à vouloir être dehors. Mais j'ai fait des études après de lettres pour pouvoir être journaliste. En gros, on m'avait dit que c'était dur de vivre de la photo animalière et c'est vrai. Surtout maintenant, on vend plus ses photos à des agences qui les vendent pour des magazines. L'économie est vraiment bouleversée pour ça. Donc je me suis dit que je voulais que je trouve un métier qui soit lié à la photo et à la nature, mais où je puisse avoir un salaire. Donc le métier qui est sorti, c'était journaliste dans la presse spécialisée. Je me suis dit que j'allais faire ça et j'ai commencé à faire des études de lettres. Ça ne m'a pas appris à écrire, on va dire au moins à lire. Après, je faisais des photos du matin au soir, je photographiais plein de trucs. Je faisais aussi de la photo pour ce que c'est, juste de la photo. J'ai photographié plein de mariages pour pouvoir m'acheter mes téléobjectifs, puis pour pouvoir passer du temps à voyager, j'ai acheté une petite fourgonnette. Tous les ans, je partais en Norvège jusqu'au Cap Nord, ça faisait 40 heures de route. En fait, j'ai eu une photo qui a été primée au Wildlife Photographer of the Year. Puis une autre année, donc c'était en 2013. Et là, j'ai commencé à essayer d'en vivre pendant un an de la photo. Puis ensuite, à gagner de l'argent en faisant des photos plus alimentaires, comme des mariages. Mais ça a été la meilleure école de photos. C'est la première fois que je travaillais pour des gens. Je n'avais jamais travaillé de cours, je n'ai jamais fait de stage. Et quand je rate une photo d'un animal, personne ne m'en veut normalement, personne ne le sait même. Alors que là, un mariage, tu ne peux pas trop rater le truc. Et puis, la photo, en fait, on apprend en en faisant, plus que dans une école de photo. J'imagine que dans une école, on apprend plein de choses. Mais en tout cas, un bon moyen d'apprendre, c'est d'être passionné, de vouloir faire une photo et de la rater techniquement et de revenir et de se dire, mais mince, là, j'ai réussi à avoir un cerf à 10 mètres et j'ai mal fait la mise au point. Je peux te dire que deux jours après, quand tu y retournes, tu es prêt pour faire une bonne mise au point. J'ai appris la photo en en faisant, en en ratant plein. Et puis après, en faisant des mariages, puis des reportages. Mais ça, c'était juste pour me nourrir et aller dehors. Et puis après, pendant cinq ans, j'ai passé des hivers entiers à faire des photos d'animaux avec l'argent que j'avais accumulé, mais je n'ai pas besoin de trop d'argent. J'ai juste besoin d'acheter de la nourriture et de ne pas culpabiliser de passer six mois dehors sans gagner d'argent. C'était un peu un truc compliqué. C'est compliqué de faire un métier passion. Parce qu'au début, tu penses à tes copains qui font des trucs qu'ils n'aiment pas. qui travaillent du matin au soir sans gagner grand chose, qui savent que toi, t'es à faire ton rêve dans la neige et tout. Au début, il y a ce truc de se lancer dans la photo où tu pourrais te dire, mais c'est juste un truc, un caprice de gosse de continuer cette vie. Et quand t'es une grande personne, tu dois avoir un vrai boulot. Mais en fait, autour de moi, j'ai eu des proches et tout qui m'ont encouragé à le faire. Donc ça, j'ai eu vraiment du bol pour ça. Alors il y a un truc assez fou dans la photo animalière, c'est que vraiment la première inspiration, c'est la réalité qu'on photographie qui est dehors. Donc il y a vraiment quelque chose à cultiver qui est son rapport personnel au monde, mais surtout aux autres êtres vivants. Donc la plus grosse étape en photo animalière, c'est de passer du temps dehors. Et l'inspiration vient vraiment de ce qu'on arrive à voir et qu'on n'aurait pas du tout imaginé. Et juste de... se cacher dans la nature et de voir des animaux, c'est tous les jours voir des images dix fois plus belles que ses propres photos. Donc c'est une inspiration permanente et qui m'anime complètement parce qu'espérer voir un animal, c'est mettre tous les moyens en œuvre pour ne pas le déranger, pour être sur ton territoire, puis voir les autres animaux qui vivent là, les plantes. Donc il y a vraiment un truc qui tout de suite t'englobe et te remplit de joie, parfois de frustration, de doute. C'est une inspiration vraiment permanente et je crois qu'on pourrait faire des photos de nature, en tout cas du monde extérieur, pendant mille vies et ne jamais être satisfait ou du moins toujours vouloir découvrir des nouvelles choses. Il suffit de se mettre au même endroit tous les jours et c'est hyper différent. Parce qu'il y a des saisons, parce qu'il y a plein d'animaux différents, parce qu'il y a plein de végétaux qui vivent tous en lien et qu'il se passe mille choses. Et puis après, il y a aussi un truc que j'ai cultivé par mes rêves en étant... Justement, pendant mes études, il y a des livres qui m'ont touché. Alors souvent, des livres qui parlent de notre rapport aux choses et aux rêves, notamment un livre qui s'appelle Citadelle de Saint-Exupéry, qui est un livre qui a été publié un peu après, qui a des carnets qui ont été retrouvés. C'est d'ailleurs retranscrit de manière complexe, on ne sait pas trop ce qu'il a écrit à certains moments. Mais c'est un peu l'histoire d'un royaume imaginé où il y a un... le fils d'un peu de l'empereur du royaume qui regarde le monde dans lequel il est, dont il va avoir la responsabilité un peu, et qui imagine ce qui se passe dans chaque maison, dans cet espèce d'endroit. Et il y a un rapport en fait aux choses qui est assez proche de celui du photographe, je trouve, de juste prendre le temps d'être extérieur à quelque chose, d'avoir la responsabilité de devoir en faire quelque chose soi-même, juste le fait d'en parler ou de le montrer dans une photo. Et du coup, c'est très beau. Je trouve qu'il y a un recul dans la photographie qui est hyper sain et qui marche bien avec la nature. C'est de vouloir être présent à quelque chose sans interagir dessus. Et en acceptant pour une fois de devoir se faire tout petit pour mieux révéler la chose. Je crois que dans une pratique humaine, c'est hyper enthousiasmant et assez émouvant de faire ça. Et ce livre m'avait pas mal touché pour ça. Ce truc aussi de... quand on vit quelque chose après on ça nous habite et les descriptions aussi du monde par saint-exupéry c'est très beau pas que dans le petit prince mais aussi dans terre des hommes dans d'autres livres ce truc de regarder le monde comme avec un regard juste extérieur comme ce pilote qu'il était qui regarde un village clignoter dans la nuit et se demander qu'est ce qui se passe dans cette maison et je trouve ça très beau ce truc de photographes de de rêver de quelque chose qu'on ne voit pas vraiment et d'essayer de le retranscrire avec la réalité qu'on voit. Si je dois retranscrire ce qui se passe dans un affût, la plupart des fois je fais des photos dans un affût, alors justement l'affût on en a entendu parler avec La Panthère des Neiges, le film et le livre de Tesson et Munier. En gros il y a ce truc de se cacher quelque part sous un arbre, comme pour faire cette photo de Chamois. et d'essayer de disparaître au monde pour mieux le voir et qu'il y ait un écureuil qui descende sur le tronc, une petite souris qui passe sous les ronces une buse qui passe tout près un rapace dont on entend juste le bruit des ailes alors que On n'imaginerait jamais qu'un rapace puisse passer à 5 mètres de nous sans nous voir. C'est un truc très agréable pour un humain, de pour une fois être comme dans un jeu vidéo du monde réel et de le regarder avec une cape d'invisibilité. Et du coup, de prendre le temps pour une fois de regarder les choses pour ce qu'elles sont, sans créer un rapport avec elles. Parce que quand on est un humain, souvent dehors, la plupart des fois on crée un rapport avec les autres animaux ou les plantes. On a un pouvoir trop fort. Soit on les effraie, soit on les écrase. Et ça, ça me fait penser un peu à... à ce qu'on appelle l'effet de surplomb, quand par exemple un astronaute part dans l'espace et qu'il se retourne un peu vers la Terre, qu'il voit de loin comme une planète toute bleue et qui paraît pleine de vie par rapport aux autres, mais qui paraît toute petite, et se dire mais mince, en fait, il y a vraiment ce truc de changement d'échelle Et souvent ça donne très vite une sensation qui va vers l'écologie, de vouloir la protéger ou ne pas l'abîmer. Je crois qu'on doit souvent passer par ce truc-là, de sortir de quelque chose pour vraiment se rendre compte de ça. Et la photo fait ça, et la vue aussi. Une photo ça fait ça, et je crois que par exemple quand on photographie une réalité, et qu'on la regarde après, ou juste avec le viseur, ou même postériori sur un bout de papier, on se dit mais mince c'est beau, ou mince ça existe vraiment. Mais zut alors, ce truc-là, il ne faudrait pas que ça disparaisse et c'est pour ça qu'on veut le photographier. Il y a un truc dans la photo, et particulièrement dans la photo animalière, ou en tout cas notamment dans la photo animalière, où regarder les choses un peu de l'intérieur mais en étant invisibles, c'est extrêmement émouvant. Et ça amène après à vouloir faire plein de choses, à vouloir le montrer à tout le monde, ou même à le regarder pour ce que c'est. Et autant la photo c'est un biais parfois parce que ça nous fait regarder les choses que pour ce qu'elles peuvent être esthétiquement en vue de l'extérieur. Mais dans le fait de passer du temps dehors, on voit tellement de choses autour de nous qu'on embrasse très vite une réalité pour ce qu'elle est vraiment, parce qu'on doit y vivre, parce qu'on doit se mettre à l'abri du vent et de la pluie, parce qu'on subit la réalité comme les êtres vivants qui y vivent. Donc il y a ce double truc en photo animalière, on voit un peu la terre vue du ciel, parce qu'on est caché et tout, et puis en même temps on vit... complètement comme notre sujet qu'on photographie. Et c'est ça qui fait qu'à la fin, dans une photo, on veut montrer ça, on veut montrer cette espèce de recul sur le monde et aussi la réalité qui s'y passe. Mais bon, dans un instant et sur un bout de papier ou sur un écran, c'est impossible à faire, mais en tout cas, on essaye. S'il y avait un moment précis où je ressens ce truc d'être dans un monde sans homme, dans lequel j'ai l'impression que je n'ai pas d'impact fort et que je vois comme si ça pouvait être à n'importe quelle époque, ça dans la neige c'est tout le temps ça. En gros, quand tu vas dans des paysages enneigés, il n'y a plus de marqueur de temps et il y a des animaux qui vivent. dans ces paysages depuis 20 000 ans à peu près. En gros, la neige, elle efface un peu beaucoup de marqueurs de temps urbains, mais aussi les paysages enneigés, c'est des paysages dans lesquels se sont réfugiés des animaux qui vivaient à l'ère glaciaire. Et là, il m'est arrivé plusieurs fois de me dire mais en fait, là, je pourrais très bien être un homme préhistorique avec une saguée et une peau de bête, et de voir l'impression aussi de ne pas appartenir à ce monde. Il y a carrément ce truc d'avoir très froid depuis l'ère glaciaire. On a tellement combattu le fait de vivre dehors. On a créé ce confort qui est génial, qui nous permet de ne pas mourir en bas âge ou de ne pas se faire dévorer par un tigre. Mais en fait, à la fin, ça nous permet de prendre le temps de vivre ensemble, de nous aimer. Mais il y a ce truc qu'on a perdu qui est de savoir vivre entièrement par soi-même dehors et en utilisant tout son corps, en utilisant son imaginaire. en prenant des risques juste pour vivre. Et ça, c'est très agréable de le ressentir dans les paysages enneigés. Par exemple, partir pendant trois semaines, suivre des rennes sauvages dans la toundra. Ce ne sont même pas les rennes qui appartiennent à des éleveurs samis, ce sont vraiment des rennes qui ont toujours été là depuis 20 000 ans, qui sont beaucoup plus gros et qui font 30 km par jour dans la neige et qui avancent face au vent pour échapper aux loups. Et moi, je suis là avec mes skis et j'essaie de les suivre. Là, il y a vraiment ce truc d'être dans un autre monde, d'être dans une autre époque. Il n'y a rien, en fait, qui me relie au temps. D'ailleurs, il y a très peu d'heures de jour. Il n'y a que 4-5 heures de jour. Je dors pendant 15 heures, mais ça me va. Je me réveille et je continue à suivre les traces avec mes skis. Ça, c'est un truc où pendant... Et je n'ai plus de téléphone et tout. Il y a vraiment ce truc dans la pratique de la photo animalière où tu pourrais être à n'importe quelle époque. Et t'es dans un espèce de truc fantasmé qu'est la nature, mais qui est vraiment réel et qui existe partout. Mais ce truc-là, je l'ai aussi en fait en voyant des cerfs dans la forêt derrière chez moi. C'est juste qu'il y a un avion qui passe et il y a des promeneurs au loin. Mais j'ai autant d'émotions de voir un cerf. En fait, autour de nous, on a des animaux. Alors le cerf, c'est un bon exemple, c'est l'équivalent des reines sauvages. En gros, un cerf, ça... Ça perd ses bois chaque année, donc ces espèces d'énormes arbres qui poussent sur leur tête, qui doivent repousser en trois mois. Ça vit sur un territoire immense, ça perd ses bois à un endroit, ça va se reproduire à un autre, et ça se cache. dans la forêt pendant des mois, on n'arrive pas à les voir, ils passent entre deux arbres qui sont collés de 5 cm, 20 cm, alors juste leur tête, alors qu'ils ont un corps immense et une ramure immense, alors que moi, quand je vais dans la forêt, je fais un bruit d'enfer. Donc il y a quand même ce truc, c'est que derrière chez nous, à 5 minutes de n'importe quelle ville, il se passe ça, il se passe ce truc fantasque en l'état de nature et tout. Donc ça, on peut le voir partout, et d'ailleurs, la nature, en gros... Ce qu'après les philosophes ont dit, c'est que la nature ça n'existe pas. C'est nous qui avons inventé un endroit qu'on n'a pas encore abîmé, qu'on appellerait la nature. Mais la nature, on en fait juste partie, et même notre culture en fait partie. Il y a des cultures chez tous les animaux, sauf que nous on a développé une intelligence particulière. Et là, en gros, c'est pour ça que c'est dur, je suis obligé de dire nature, mais il ne faudrait pas que je le dise même. Ça ne retranscrit pas du tout ça, le fait que j'ai juste l'impression en étant dehors qu'on est un... un animal parmi les autres. Et ça, j'ai eu la chance, justement, parce qu'il n'y avait pas de barrière autour du jardin chez moi, d'avoir toujours grandi dans cette idée-là. Et mon travail ou mon envie, c'est de partager cette espèce de pont sur lequel je suis né. J'ai eu la chance, en fait, même là, on est à Paris, je vais aller à la ferme de mes parents ce soir. C'est la nature. En gros, ça fait maintenant 10 ans que je fais des photos d'animaux dans la neige. D'ailleurs, quand on me demande ce que je fais, je dis ça, que je fais des photos d'animaux dans la neige. À chaque fois, les gens croient que c'est une blague, mais ça fait un peu dîner de con, on dit comme ça. En gros, pendant 10 ans, je n'ai fait que des photos toutes blanches. Alors plus ou moins blanches, parce qu'en réalité, ça n'existe pas vraiment, le blanc. Il y a toujours une couleur qui domine, même si on ne la voit pas trop. Mais il n'y a rien sur la photo, il n'y a pas d'arbre, il n'y a pas de cailloux, il n'y a que des animaux et de la neige. Et c'est toujours au format carré depuis 10 ans. Très vite, j'ai trouvé ce moyen de faire des photos que je trouvais presque aussi bien que ce que je vivais. Et puis aussi, je ne sais pas, il y a un truc de vouloir tout le temps être dans la neige. Il y a vraiment un truc que j'ai gardé de l'enfance où ça me rend extrêmement heureux. Il y a ce truc où tu te réveilles le matin, tu ouvres les rideaux et en fait, le jardin est tout blanc. Ça, c'est incroyablement émouvant. et enthousiasmant tu cours en souriant dans la neige et ça, j'ai fait un premier livre en 2019 après plus de 5 hivers à faire des photos mais je ne fais pas beaucoup de bonnes photos parce que je ne les retouche pas, je ne supprime rien je ne rajoute rien j'essaye juste de trouver un cadre carré où j'isole un animal dans la neige il faut soit un fond de neige, soit un fond de nuage il y a un premier plan avec de la neige où... Je suis des animaux dans une zone et puis parmi cette zone, en espérant qu'il y ait la neige qui va tomber ou si elle est déjà, j'essaie de trouver un endroit où potentiellement ils peuvent venir et où je choisis un cadre blanc. Donc il faut imaginer, je vise entre deux arbres, je mets ma petite tente et je m'assois et je suis sûr que ma photo va être blanche. Je ne peux plus bouger, je ne peux pas changer mon cadrage. Comme quand tu commences un croquis pour faire une peinture, après tu dois suivre ce que tu as commencé à dessiner. Genre un arbre à gauche, un arbre à droite. Donc je suis pris là-dedans, dans mon affût et... C'est la contrainte de la créativité. Comme quand j'ai voulu faire la photo des chamois, il y avait ce linge qui était une photo trop belle. Mais mon idée, c'est toujours de faire des photos blanches parce que c'est là que j'arrive le mieux à aller jusqu'au bout de mon émotion. Et là, j'attends, oui. Genre, j'attends qu'il se passe un truc. Alors, il se passe toujours mille choses, mais il faut juste avoir ce truc de ne pas avoir froid. Donc, il y a tout un truc. technique de s'isoler du sol, avoir un duvet étanche, comme si ton sac de couchage commence à prendre l'eau, tu vas rentrer. Et puis en fait, il y a un process aussi avec toi-même où tu te dis je ne vais rien voir, vas-y on rentre. En fait, quand on dit ça, souvent c'est plutôt j'ai froid, j'ai envie de rentrer ou j'ai envie d'aller à la maison manger un gros goûter, tu vois, ou boire une bière avec des copains. Et du coup, ce que je fais, c'est que je me dis, est-ce que là, tu veux rentrer ? Parce qu'il n'y a aucun lien entre le fait que tu ne vas rien voir et toi, tu ne sais pas ce qui va se passer. Donc, c'est juste que tu as froid ou que tu as faim. Donc, le but, c'est de... C'est pour ça que parfois, quand on va dehors, on dit, ouais, j'ai appris à me connaître. En fait, on ne sait pas comment l'expliquer, mais oui, on apprend que même à soi-même, on pourrait se mentir ou essayer de décomposer ses envies et sa pensée. Ça, dehors, il y a ça. En fait, il n'y a aucun lien entre le fait que je ne vais rien voir et le fait que j'ai froid. Donc, plutôt, je vais essayer de rester encore plus longtemps, de m'isoler bien du froid, me faire une petite soupe de nouilles chinoises. Et donc, pendant deux semaines, parfois, je reste assis sous le même arbre.
Speaker #0Je me suis pas mal abîmé le corps dans le froid, tellement ça me passionne d'être dehors. Et les premières photos que j'ai faites, j'ai fait une photo de mouflons qui avait été primée, où il y a deux mouflons qui se serrent dans la tempête de neige, des grands mouflons blancs au Yukon, au nord-ouest du Canada. Et là, j'étais allongé sur une grête qui séparait leurs deux territoires de deux gros mâles, qui faisaient un peu les chiadors, et qui se battaient qu'eux à cette frontière-là. Et là, ils arrivent sur cette frontière pour se battre, mais il fait moins 40 degrés, il y a une tempête de blizzard. Du coup, ils se retrouvent complètement... bousculé par le vent et la neige qui vole. Il termine par faire presque un câlin alors qu'il devait se taper sur la figure. C'est une photo qui retranscrit bien ce qu'on a dehors, cette espèce d'énergie incroyable hostile, qui est le froid et la tempête, la neige et tout, même le monde dehors. Et en même temps, ce truc hyper réconfortant et cette sensation aussi de chaleur relative de la beauté de la lumière de la neige ou même du réchauffement de la lumière. qui nous arrivent dessus en hiver. Il y a ce truc dans la neige de douceur et de froideur qui est inexplicable et que les animaux arrivent à retranscrire un peu dans mes photos, eux-mêmes plus que ma photo. Alors du coup, pour cette photo, moi je me suis carrément brûlé les pieds. Là, au moment où je te parle, j'ai un pied qui appuie sur l'autre parce que je n'ai plus de circulation dans les deux pieds. En rentrant, pendant tous les soirs, je mettais mes pieds dans l'eau froide, mais ça n'a rien fait. En gros, j'ai une super mauvaise circulation maintenant dans les deux pieds, aussi dans les mains. En fait, plus tu vas dans le froid, plus tu t'abîmes. Il y a vraiment un truc du froid où tu ne peux pas t'habituer. Les gens qui vivent vraiment dans le froid, ils sont un peu tout abîmés, mais ce n'est pas grave. En gros, il faut bien expérimenter le monde. Mais après, il y a ce truc propre à la photo animalière, contrairement à l'alpinisme, où on ne bouge pas. On ne bouge pas pendant des semaines. Donc, si je mets des chaussures d'alpinisme, par exemple, ça me serre les pieds et ça ne marche pas. Ou une Gore-Tex, une veste étanche qu'on a tous à la ville. En fait, il faut la sécher le soir en rentrant, mais si tu vas deux semaines... sous la pluie avec une Gore-Tex, la membrane ne marche plus, donc il faut utiliser d'autres trucs, j'utilise des gros cirés de pêcheurs il y a vraiment un truc où la pratique d'être tout le temps dehors on ne sait pas le faire Comment je fais pour rester aussi longtemps ? Il y a deux choses. Il y a le truc de vouloir absolument voir quelque chose dont on est arrivé ou qu'on a souvent vu en vrai avant. Par exemple, un lynx passé sur une crête, on l'a vu, je l'ai vu, aperçu le soir. et je me dis mais maintenant il faut que je me mette à cet endroit le lynx il a un territoire qui fait 50 km mais il passe souvent aux mêmes endroits donc il va sans te repasser là d'ici 3-4 jours ou d'ici 2 mois je sais pas mais il va repasser là donc tu te mets là et tu t'y crois. Et plus t'attends, c'est comme quand t'attends un bus qui vient pas, plus t'es attendu, plus tu restes, parce que sinon, ça va servir à rien d'attendre avant, donc c'est une espèce de cercle vicieux, tu vois. Mais là, c'est plutôt vertueux, parce que tu commences à voir plein d'autres animaux, t'entends mille bruits, tu commences à être attentif à tout, tu commences à bien comprendre ce qu'il y a autour de toi, alors que quand tu traverses la forêt ou même le monde en découvrant des nouvelles choses, tu rates plein de trucs, alors que si tu restes au même endroit tout le temps, au bout d'un moment, tu vas commencer à comprendre ce qui se passe, et à tout voir. Il y a un truc hyper satisfaisant à rester au même endroit. Et il y a aussi ce truc d'en avoir très vite assez. Donc pour ça, il y a un truc que je n'explique pas, mais moi ça me va. Je crois que j'ai un caractère pas du tout préoccupé. Je suis assez rêveur et dans la vie, c'est un gros défaut, mais dehors, c'est pas mal. En gros, ça me va de passer du temps, même sans inutile. Non, je n'ai pas de lecture parce que j'ai des moufles. Je n'arrive pas à tourner les pages trop. Je n'ai pas de musique parce que... Les seules infos que j'ai du monde extérieur, c'est que j'ai des toiles ou des bâches ou de la neige autour de moi. Je vois rien, je fais beaucoup au son. J'ai pas d'écouteurs et puis j'aurais pas de batterie, même sur mon téléphone, pour écouter de la musique. Mais d'ailleurs, il y a ça dans La Panthère des Neiges de Tesson et Meunier. Il y a Tesson qui dit qu'il faudrait avoir une sacrée vie intérieure pour être photographe. Ou même dans le livre, il utilise des mots très poétiques pour parler du fait d'attendre et tout. Il y a quand même un truc que c'est assez inexplicable d'attendre et c'est quand même un effort que je fais tout le temps. Donc je crois que le poète est content de parler de vie intérieure, mais la réalité, il y a quand même ce truc où je m'ennuie aussi parfois, où je suis fatigué. Mais je m'accroche à mon rêve souvent et à cette envie de faire une photo et que j'ai tellement vu des choses, je vois tellement des choses belles autour de moi que je me dis c'est pas possible que je vois pas un truc comme espéré. Donc il y a un peu les deux à la fois, comme dans toutes les passions, on fait des choses et il y a un moment où on va plus loin parce qu'on est animé par un truc qu'on n'a pas créé nous, dont on n'a pas le mérite, mais à la fin ça passe par un effort. Après ce premier livre, j'ai continué à faire que ça, à essayer de continuer à trouver des moyens près de chez moi ou dans les Alpes ou en Norvège ou en partant à chaque fois à un endroit par hiver où je reste plusieurs mois. J'ai essayé de continuer à faire des photos toutes blanches et là, au bout de dix ans, je sors un deuxième livre qui est un peu l'autre versant de Première Neige qui s'appelle Hiver Dernier, qui est aussi une collection de photos carrées toutes blanches. avec des animaux qu'on ne s'attend pas du tout à voir dans la neige ou des photos encore plus... Enfin, c'est différent. Mais c'est toujours cette même quête. D'ailleurs, dans le livre, il y a un fichier son où je vais raconter les histoires des photos. Je ne sais pas si c'est une fin, mais en tout cas, c'est un aboutissement de ces dix années de photos carrées, toutes blanches. C'est un livre que j'ai mis du temps à sortir parce que j'espérais... J'espère toujours voir des nouveaux animaux dans la neige où à chaque fois, ma photo n'est jamais aussi belle. que ça, que ce que j'ai vu. Donc c'est dur d'en faire un livre, parce que quand c'est vraiment un projet où on fait que ça, on arrive tellement à un truc où on se dit qu'on peut toucher du doigt ou frôler des yeux, un truc tellement beau, que le livre n'est jamais à la hauteur de ça. Donc quand on fait les choses soi-même, parce que je vais l'auto-éditer et tout, on trouve pas ça bien, mais... Du coup, il y a un moment où même je ne voulais pas le sortir, le livre. Mais en fait, avec du recul, si, c'est quand même cool. C'est incroyable. Quand je revois tous ces animaux dans les pages, je me dis déjà, c'est fou. Et puis aussi parce que là, maintenant, entre-temps, j'ai trouvé d'autres moyens de retranscrire la douceur et la force et la mélancolie de la neige. Et ça, je l'ai essayé de le faire par d'autres moyens, notamment depuis pas mal de temps à l'Argentique. Et donc ça ne fait plus des photos blanches. Mais le fait de vouloir avoir une inspiration propre ou un style, mais en fait ce n'est pas un style, c'est un choix créatif, ça passe par le fait de se résigner à ne pas utiliser d'autres moyens. Et du coup, au bout d'un moment, en se forçant à faire que ça, on est par la frustration de ne pas retranscrire autre chose. On arrive à faire ça très bien au bout d'un moment, je crois. Mais il y a ce truc de me dire, mais quand je suis dehors, en fait, ma technique, c'est rien par rapport à ça. Et comment je peux montrer autre chose des paysages enneigés ? Donc très vite, j'ai voulu faire quelque chose d'assez opposé, de pas du tout blanc et de très risqué, parce que je commençais à tellement maîtriser ça. Donc je suis parti avec des pellicules complètement périmées qui donnent des rendus très chaleureux. Et aussi moi, de ne plus savoir ce que ça allait rendre. Et aussi ce truc de vouloir faire de l'argentique, parce que... Parce que je trouve que ça ressemble encore plus à ce que je vais chercher dehors, ce truc de ne pas savoir ce qui va se passer, de revenir et de ne plus trop savoir ce que j'ai photographié, de voir la photo au bout d'un moment et de me dire mais en fait c'est quand même pas mal, et puis la regarder, la montrer aux gens. Il y a un truc dans l'argentique où on refuse un peu l'immédiateté et puis cette espèce de truc impudique de l'écran qui fait apparaître l'image. En fait, avec l'argentique, il y a une perte de contrôle qui n'est pas nouvelle chez moi, parce qu'il y a vraiment ça dans l'animalier, dans le fait de photographier les animaux. Mais il y a aussi un truc dans le négatif argentique, où le blanc est imprimé en noir, enfin il est saisi en noir dans un négatif. Et du coup, il y a un truc... où en fait c'est jamais trop blanc une photo dans la neige même si on la surexpose et tout donc il y a aussi ce truc de me dire comment je vais pouvoir retranscrire la matière ou la densité de la neige et je crois qu'il n'y a que le négatif argentique qui arrive à le faire parce que quand on inverse un négatif la neige a toujours une matière on ne peut pas la perdre comme elle est en noir dans le négatif elle est toujours là et aussi d'utiliser même le négatif tel quel ce que j'ai commencé à faire dans un projet en Antarctique où là je voulais utiliser le négatif tel quel parce que justement la neige devient de la glace enfin la glace ou la neige deviennent de la braise ou de la lave quand je commençais à développer mes négatifs, si tu regardes dans ton négatif comme dans une diapo, un glacier ça devient un brasier et ça je trouvais ça trop beau parce qu'enfin ça montrait un peu le... Ce truc de la chaleur relative de la neige qui éblouit et aussi ce truc du glacier qui fond en permanence, alors pas que à cause du réchauffement climatique, mais c'est l'histoire d'un glacier, c'est de fondre. Ça, ça m'a toujours bouleversé et je n'ai jamais réussi à le retranscrire. Et puis aussi la pellicule elle subit la réalité même que le glacier avec le temps et la chaleur elle perd de sa sensibilité. Je trouvais ça cool enfin qu'il puisse y avoir dans la matière même, dans l'outil même que j'utilise, la réalité que je photographie. Et aussi la mienne qui est de... je suis parti en Antarctique avec des pellicules, les pellicules dans le bateau elles ont pris les tempêtes. Alors moi je me suis fait rincer la figure, je me suis fait éclater comme tout l'équipage, on est parti à 7 sur un voilier. pendant deux mois à dériver. En gros, mes pellicules, à la fin, elles étaient toutes gonflées. C'est des 120, c'est des rouleaux. Ça gonfle, ça fait rentrer la lumière des deux côtés. Je les mettais sur le poil du bateau. J'essayais de les faire cuire comme des potatoes décongelées. Mais en gros, à la fin, la lumière rentrait. Je me suis abandonné à ça. Comme le fait de dériver sur un voilier, comme l'iceberg qui dérive aussi, qui s'effondre du glacier, qui tombe dans la mer. Gros morceau d'eau douce qui devient d'un coup une espèce de château de glace. qui dérive et qui va après arriver dans une baie où il va mourir, dans ce qu'on appelle un cimetière d'icebergs, où les icebergs se regardent tous ensemble, ça fait cette espèce de champ de cathédrale qu'on voit sur les photos du Greenland par exemple. Et bien ma pellicule et moi et l'iceberg, à ce moment-là, enfin on vivait un peu la même chose, plus ou moins. Et ça c'est assez agréable en photo, enfin la photo ça reste quelque chose de très virtuel, et l'argentique permet de... de se relier à la réalité physique des choses que je vis intensément en photo alors je me sentais toujours obligé de le raconter dans un podcast à côté de mes photos mais maintenant j'essaie de trouver des moyens que ce soit dans la photo elle-même la réalité physique des choses Alors en gros, moi je fais des photos la plupart du temps seul. Et quand on va dans la nature, déjà quand on est seul, on fait beaucoup de bruit. Et c'est dur justement d'atteindre ce moment où on est vraiment bien caché ou accepté par les animaux, même si le but le plus souvent, c'est de ne pas les mettre en danger. C'est même pas créer de relations particulières avec eux, sinon de se faire petit. Mais je crois que c'est la meilleure relation qu'on peut avoir pour bien les observer. Mais parfois je suis parti avec des gens. et d'ailleurs là en Antarctique c'était assez nouveau pour moi de partir avec plein de gens donc on est parti à 7 dans 15 mètres de long et 2 mètres de large un petit voilier qui va dans la glace c'est un ami Mathieu Tordeur qui est aventurier je crois on peut dire et qui va souvent dans les pôles et qui m'a appelé pour monter ce projet avec un skipper et d'autres gens on a fait un espèce de Le projet, le but, c'est de partir le plus loin possible en voilier en Antarctique et le plus longtemps possible. Alors, on est parti de Patagonie et c'est un voilier qui a été fabriqué par un Français qui s'appelle Jean-Yves Lepage et qui a passé sa vie sur ce voilier avec sa femme et ses enfants et qui a été en Antarctique pendant pas mal d'années. Mais à chaque fois, pendant deux semaines ou trois semaines, il y a vraiment ce truc d'atteindre l'Antarctique et de revenir. Là, ça prend beaucoup de temps et parfois on reste que 2-3 jours sur le continent blanc. Là, le but de partir 2 mois, c'est de rester le plus longtemps possible. Mais pour aller en Antarctique, il faut y aller dans l'été austral, c'est-à-dire à un moment où il fait jour, sinon il fait complètement nuit l'hiver. Et l'Antarctique, contrairement au pôle sud, contrairement au pôle nord, c'est un continent de terre. qui est recouvert d'eau douce, de glace, et donc il y a une énorme couche de glaciers, alors que le pôle Nord, c'est un océan recouvert d'eau salée qui gèle et qui forme la banquise. En Antarctique, il y a aussi la banquise qui se forme autour. Donc nous, on devait attendre, essayer d'arriver à aller le plus loin possible en traversant la banquise de mer pour atteindre les côtes de terre qui sont recouvertes de glace. Et entre les deux, il y a des icebergs qui sont de l'eau douce qui... tombent des glaciers. On dit que les glaciers vèlent, comme quand une vache fait naître un veau. Ils font tomber des gros morceaux en avançant vers la mer. C'est en fait quelque chose d'extrêmement émouvant. De voir un iceberg, mais surtout de voir un glacier s'effondrer dans la mer, c'est un truc complètement dramatique, qui ressemble à tout, à la naissance du monde ou à la fin du monde. à la création de quelque chose ou à la fonte de quelque chose. Il y a quelque chose de vie et de mort qui parle de tout ce qu'il y a sur Terre, qui est le processus de création des choses. Ou juste comme voir un animal se faire dévorer par un autre pour vivre, ou une plante pousser en utilisant la Terre. Il y a vraiment un truc qui se réunit au zoom, qu'à ce moment-là, de voir un glacier s'effondrer dans l'eau. D'ailleurs, j'en ai vu plusieurs fois et j'ai essayé de le photographier. Il y a... Comment montrer ça dans une photo ? sinon un nuage de fumée. Donc ce voyage en Antarctique, c'est un voyage où je n'étais pas sûr de faire des photos blanches du tout, parce que je ne suis pas sûr qu'il y ait assez de neige sur les côtes. et là où vieillissent les animaux, c'est là où la neige est un peu fondue pour que les manchots puissent faire leur nid et puis il y a beaucoup de moments où je suis que sur l'eau et donc ça fait des photos qui ne sont pas toutes blanches et donc j'ai emmené un argentique j'ai même acheté un meilleur argentique que ce que j'avais donc un Mamiacet, c'est un petit moyen format mais qui fait des photos avec un rendu assez incroyable mais qui est un peu complexe à utiliser ou très facile c'est comme on veut, en gros il n'y a pas de miroir donc on aperçoit juste un petit carré comme sur un Leica qui nous... qu'on appelle un télémètre et qui nous montre, ou un viseur télémétrique, avec une petite fenêtre sur la réalité, ce qui est très agréable, contrairement au viseur numérique de mes nouveaux appareils photo. Ça ne fait quasiment pas de bruit, on tourne la pellicule et on redéclenche, on fait un peu la mise au point au pif, il y a un aperçu de ce que ça va rendre du viseur, mais on n'est pas sûr non plus. Et puis il y a une optique, qui est le 80 mm, qui correspond à un peu plus de 40 mm, et ça, ça correspond à peu près à la profondeur de notre œil. Et plein de pellicules que j'ai achetées en fait à plein de gens sur le bon coin. Donc j'ai acheté à plus de 50 personnes de tous âges, surtout des petits vieux qui fouillent dans leur tiroir, que des pellicules périmées. Parce que je trouvais ça cool justement de partir avec un truc où je ne savais pas ce que ça allait faire. Et que ces pellicules ont déjà commencé leur voyage dans le temps et la matière comme ce que j'allais photographier, comme moi-même. Genre déjà de commencer un truc où je m'abandonne à ne pas savoir ce qui va se passer et ce que ça va faire. Qui est un peu le cas... de partir sur un voilier pendant deux mois. C'était quelque chose où je ne savais pas ce qui allait se passer, partir un peu à la dérive, en tout cas pour moi. Et c'était super agréable. Il fallait ce truc aussi, on ne peut faire que dix photos par pellicule en moyen format. Et donc, au début, j'avais donné mes pellicules à mon camarade. On était trois dans la même petite chambre. Moi, je dormais sur une toute petite cabine et je dormais sur une bannette. C'est une espèce de hamac accroché sur le côté. Et sous moi, il y avait un placard et j'avais mis mes pellicules. En plus, dans le placard, il y avait vachement de pourriture au bout d'un moment. Donc à l'intérieur de mes films, parfois ça fait des étoiles, c'est des champignons. C'est très joli, je trouve, si on est d'accord pour ça. Et j'avais donné mon sachet à mon pote, mon camarade de chambre, Mathieu, pour le coup, qui me disait tous les jours, le matin, au petit-déj, tu me donnes qu'une pellicule, sinon je vais avoir consommé les... En fait, j'en avais 70, je crois, et il n'y en avait qu'une par jour. Et puis moi aussi, de négocier, parce que j'aidais le capitaine, tous les jours on aidait le capitaine du matin au soir, et des fois il y avait un iceberg au loin qui me... J'étais hyper ému, je voulais aller voir, qui a fait plusieurs photos de la série d'ailleurs. Il fallait convaincre le capitaine de complètement virer de bord, faire toute une manœuvre et aller voir cet iceberg. Donc là, il n'y avait pas d'argent à bord. Je savais qu'il fabriquait des super beaux bijoux quand il va aux Antilles et tout. Je lui ai dit, en rentrant, je t'achète deux bijoux si tu fais le détour. Il y en a plus de 40 euros, un truc comme ça. C'est le seul moment où j'ai monnayé un truc comme un fixeur force quelqu'un à faire un truc, mais je l'ai acheté. Donc ça, ça m'a pas... J'étais pas du tout... J'avais aucun scrupule par rapport à ça parce que j'achetais sur tous ces bijoux. C'était trop drôle ce moment. Il faut imaginer, on est loin de tout quand on n'a pas de carte bleue, on n'a pas de téléphone et tout. Mais on essaie de vouloir des choses différentes. Et en fait, ça s'est super bien passé parce que tous les jours, on recevait tellement de beauté du monde extérieur. Genre une baleine qui vient en mettre du bateau, qui sort sa tête pour te regarder et tout. Et ça t'envoie tellement de... d'amour, je pense qu'on peut utiliser ce mot quand même, que les gens autour de toi étaient trop contents de passer deux mois avec eux quoi qu'il arrive et tout. Et là, il y a ce truc d'avoir amené 70 films de tout et de rien et notamment des films où il y a beaucoup de lumière qui rentre dedans parce qu'ils ont gonflé avec l'humidité du bateau ou parce que je ne les fermais pas ou parce que je laissais l'appareil photo dehors. ou parce qu'ils ont pris complètement l'eau. Il y a des films qui ont pris complètement l'eau, où en gros on ne voit rien sur le négatif, sauf le sel de la mer et les lignes d'eau qui rentrent dans la pellicule. Et en rentrant, j'ai commencé à les scanner, et il y en a certaines que j'ai laissées en négatif, notamment un glacier qui s'effondre, qui surge, on dirait un glacier qui surge, c'est-à-dire un glacier qui fond tellement vite qu'il pousse la glace sur les côtés, et ça fait des espèces de châteaux de tas de glace sur les deux côtés du glacier, et aussi un glacier qui velle, où là en gros il s'effondre dans la mer. Et là en fait j'ai... photographier le négatif en l'éclairant d'une certaine manière et on a l'impression que c'est vraiment un brasier qui tombe et donc j'ai joué un peu avec ça et puis il y avait aussi le fait que comme les pellicules étaient périmées sous certaines il y a un côté un peu pointilliste d'autres il y a un côté très chaud, d'autres très fade et ça Curieusement, je trouve que ça retranscrit un tout petit peu mieux la magie permanente de voir toutes ces lumières sur la mer et sur la glace, et ces espèces de châteaux qui sortent de la mer, la brume, la nuit, le voyage immense. Je trouve que ça retranscrit mieux que mes photos toutes blanches. Ces photos, je ne savais pas trop quoi en faire. Et je les ai montrées à un de mes amis, parce que je suis allé un été chez un de mes amis qui s'appelle Jean-Marc Crochette, qui est un pince-redessinateur de BD. J'avais rencontré l'hiver d'avant, on avait fait un reportage pour France 2, où on s'était rencontrés pour qu'il illustre une histoire que j'avais vécue avec un loup, que je raconte dans un podcast des baladeurs. Et en fait, en allant chez lui, j'avais vu qu'il y avait des toiles. sur les murs, qu'il avait fait pendant une période de sa vie dont il n'a pas parlé, où il était à Berlin. Il était un peu en recul sur les choses et dans un grand hangar, il a peint des énormes toiles non figuratives, avec beaucoup de matière, de ce qu'il se souvenait de sa vie dans la montagne. Il a toujours vécu en montagne et tout. Il y a des endroits où d'un coup je voyais des lacs de dégel, c'est-à-dire un lac qui gèle en hiver, qui est recouvert de neige et puis l'été venant, qui est le seul endroit où il reste de la neige et de la glace, et ça fond. Et en fait, ça crée des lumières bleues, des couleurs incroyables qui la peintent avec une force incroyable. Et le mouvement de la peinture sur le grand tableau de 2 mètres, ça m'a tout de suite fait penser à ce que j'avais vécu en Antarctique. Et ce truc de mouvement de l'eau et de la glace et de fonte, qu'après on a résumé par le mot débâcle, qui est le titre d'un livre qu'on a sorti où on mélange nos deux travaux. Parce que pendant tout l'été, moi du coup, j'ai dit mais attends, je vais peut-être quand même te montrer un truc. Et je trouve ça assez beau parce que ça parle de travaux qui sont... Lui, il a fait des BD toute sa vie, qui sont hyper touchantes et très connues, qui s'appellent Le Loup, La Dernière Reine. Et ces BD, elles ont été vues par des centaines de milliers de gens. Et elle raconte une histoire, mais à côté de ça, il a un travail très personnel sur la peinture. C'est un peu pareil que moi, mes photos d'animaux. Et à côté, ce truc argentique où j'essaie de retrouver de la matière et du risque et des émotions qui me dépassent. Et quand on s'est montré ces deux trucs, on s'est dit, mais il faut les... On en parlait tellement que sa femme, qui est éditrice, a dit, mais on va faire un livre, en fait. C'est un bon moyen, je pense, aussi, de montrer que toi, t'as cherché de la matière dans tes photos, que de les confronter à des peintures, et que ça permet de montrer les limites des deux. Et donc, il y a ce livre qui est sorti, qui s'appelle Débâcle aux éditions Les Etages, qui est les éditions de lui et sa femme, Christine. Et c'était une bonne manière de commencer à montrer ce travail qui est... très différent, il y a un truc un peu en photo c'est un peu le rêve pour pouvoir continuer à faire ce qu'on aime faire, d'être reconnu pour un truc donc moi on me reconnait comme le mec qui fait des photos d'animaux dans la neige carrée toute blanche mais du coup c'est un peu dur de montrer aux gens autre chose et c'est souvent ça quand on commence à atteindre quelque chose de confortable qui nous permet de créer c'est souvent à ce moment là qu'on a tellement travaillé dessus qu'on commence à faire d'autres choses donc c'est dur de savoir comment montrer ce qu'on est en train de faire Il y a un peu ce truc pour toute forme de création où le moment où on montre quelque chose, on l'a fini. Et au moment où on le montre, on est en train de... Alors la manière la plus grossière d'en parler, c'est un acteur qui fait la promo d'un film ou quand il est en train de m'en tourner un autre qui n'a rien à voir. La dernière fois, je voyais, tu as Rahim qui venait montrer, faire la promo de Aznavour. Il était tout maigre parce qu'il était pour un autre rôle. Ça parle un peu de ça. Moi, en ce moment, je fais des photos très riches et je montre quelque chose de très maigre. pour faire un lien avec le physique de l'acteur mais il y a ce truc un peu curieux de montrer son travail surtout quand on le fait par soi-même qui est toujours complexe et puis aussi ce truc de se limiter dans un truc qui est génial parce que c'est comme ça qu'on fait bien les choses je crois que la créativité c'est ce truc de se restreindre à faire la même chose et au bout d'un moment on la fait bien et on voit les limites de son cadre et à l'intérieur de cette petite boîte qu'on s'est inventée on sait exactement où sont les angles et du coup on peut faire un geste parfait à l'intérieur de ça et je crois que la créativité c'est vraiment ça c'est se restreindre à un moment à une chose. Il n'y a que comme ça qu'on arrive à mettre son intériorité propre au bout d'un moment dedans. Une fois qu'on a compris les limites de ce moyen-là et qu'on s'est aussi mis à l'abri dans cette petite boîte, au fur et à mesure, elle paraît tellement bloquée, on ne peut pas atteindre ce qui est à l'extérieur, donc on va mettre vraiment tout ce qu'on a à l'intérieur de soi. Mais en même temps, il y a un moment où on se dit chaque jour dehors, je ressens des choses que je ne retranscris pas comme ça. Donc là, c'est passé par ce travail argentique. Je ne sais pas pourquoi je fais des photos. Je me suis demandé, d'ailleurs souvent on demande pour être sûr de savoir si on fait les choses, si tu étais tout seul sur terre ou sur une île déserte, est-ce que tu ferais quand même des photos ? Moi je crois que comme j'ai été souvent dans des endroits tout seul sur terre, un peu comme sur une île déserte, et même sur des îles désertes mais enneigées, sans palmiers, je me suis souvent dit que je faisais des photos parce que j'adore faire des photos. Et que je crois qu'au bout d'un moment, cette vision du monde, même si parfois elle est un peu malsaine, celle de la photo, elle peut être très impudique ou ça peut être un rapport biaisé aux choses. Mais moi, je suis tellement passionné par le fait de faire de la photo, pas par la photo elle-même, mais sur le fait de faire une photo, d'y arriver, que je crois que je fais toujours des photos, non pas pour moi, mais au moins pour en faire. Pas forcément pour les montrer aux gens, sauf que je me sens tellement privilégié de voir des choses dehors, alors que beaucoup de gens... Et ça, ce n'est pas l'attente du spectateur, mais c'est juste les gens autour de moi ou les gens qui me contactent par rapport à mon travail. Je me dis qu'il faut absolument qu'ils ressentent ce que je vois. Quand tu vis un truc tellement beau, tu as envie de le partager. Je donne souvent cet exemple, mais si tu fais un bon gâteau au chocolat, tu as presque envie de réveiller ton voisin ou ta voisine pour lui faire goûter. Si tu es tout seul à le manger, tu as presque l'impression que c'est du gâchis. Sauf s'il est vraiment délicieux, délicieux et que tu n'as pas envie de le partager. Mais il y a ce paradoxe où quand on est quand même des animaux sociaux, Et j'ai l'impression que si on n'a pas partagé quelque chose, et je ne sais pas si c'est égoïste ou pas, mais ce n'est pas grave si c'est égoïste, tant que ça profite aussi à quelqu'un d'autre. Il y a ce paradoxe, en gros, est-ce qu'il faut partager le truc ? Et la photo me fait demander ça, est-ce que je fais des photos pour qu'elles plaisent aux gens ? Il se trouve que comme je photographie quelque chose que je ne crée pas avec les animaux, j'essaie de faire le truc le plus proche de ce que je vois, et il se trouve que c'est que là que ça peut plaire aux gens, parce que du coup je touche à une réalité qui me dépasse et tout. sur laquelle je prends du recul. Mes photos, elles n'ont pas un truc que j'ai vraiment créé. Moi, il y a vraiment un truc assez simple, naturel ou brut de la neige à un animal. Maintenant, il y a plus un procédé plus créatif, qui est lié aux choses physiques, mais plus créatif dans les prochains travaux que je vais montrer. Là, du coup, ça parle un peu plus de moi, je crois. Il y a aussi ce truc où je me mets à photographier autre chose que des animaux, mais toujours dans la neige. Donc, en fait, aller tout le temps dans la neige... Rien qu'une grange dans la neige, c'est sublime, parce que ça diffuse aussi la lumière sur la grange et que ça paraît hors du temps et que ça isole notre regard vers une chose. Et plutôt que de pointer le doigt en disant regarde le chalet là-bas, comment il est trop mignon la neige fait ça, elle ne montre que le chalet. Il y a ce truc où dans la neige, j'ai envie de photographier tout et c'est ce que je fais maintenant. J'ai passé un hiver au Japon. avec un autre ami dessinateur et on s'est baladé partout au Japon. Alors à un moment, pendant deux semaines, je me suis mis dans un igloo que j'ai fabriqué pour photographier des aigles. Mais le reste du temps, j'étais juste avec des argentiques à photographier tout. C'est-à-dire juste m'asseoir dans une rue et à photographier des gens qui passent dans la neige ou aller sur un volcan, photographier un volcan enneigé. ou aller sur un petit bateau dériver et photographier des pêcheurs. Mais je photographierais peut-être les gens à la manière dont un photoreporteur finirait par photographier un animal qui passe dans son reportage. Imagine, tu vas faire un sujet sur des gars qui pêchent la morue en Arctique et tu vois une baleine, tu vas photographier la baleine et tu vas peut-être la mettre dans ton sujet, mais tu vas la photographier comme ça, avec ton 50 mm, sans trop savoir. Moi, il y a un peu ça. Je photographie les gens avec beaucoup de... pudeur ou de recul. Dans mes photos, on voit des gens parfois de dos qui passent au loin, mais c'est tout. Le fait de photographier à l'argentique, alors parfois avec des appareils bizarres, des gros appareils photo panoramiques moyen format, j'essaie d'inclure autre chose que juste l'animal. Et là, par exemple, j'ai commencé à faire des séries de photos où il y a des bâtiments et des animaux et la neige. Par exemple, t'imagines au Japon, sur une presqu'île, il y a plein de vieilles maisons de pêcheurs abandonnées. On voit une maison de pêcheurs au coucher du soleil avec un rendu très pastel. Il y a même un grain, plus qu'un grain, il y a de la condensation sur la pellicule. Quand tu mets la pellicule dans l'appareil et qu'il shoot, ou qu'après tu la remets au chaud sans faire exprès, il fait tellement froid que ça crée des points d'humidité. Et à l'exposition, ça fait des petites taches violettes. Donc ça fait un truc un peu vieux surannée, surtout le bâtiment abandonné. Il y a des herbes, il y a de la neige et il y a la mer derrière. Et en fait, quand on regarde bien de près, il y a deux biches, une petite biche et un fan qui sont sous le bâtiment. Il y a ce truc un peu hors du temps ou un peu presque, pas de fin du monde, mais un peu hors du temps que je trouve tout le temps dans la neige. Et donc ça, c'est une photo qui est vraiment très différente de ce que j'ai fait avant, mais qui retranscrit bien ce qu'on vit dehors quand il y a de la neige. Aussi, un truc qui pourrait être il y a très longtemps et qui est maintenant, mais qui ne va pas durer très longtemps, qui va fondre ou te voir. Ça crée un peu un truc un peu cinématographique ou même lié au rêve. Et ça, j'aime bien quand j'arrive à mélanger des trucs humains et des animaux. Et dans les paysages enneigés, il y a ça. Il y a un truc où il y a des maisons abandonnées qui sortent et on voit qu'elles, et on voit juste les traces d'un animal. Ça révèle aussi le lien entre les animaux et les hommes, la neige. Par les traces, par le fait que les animaux soient obligés de se rapprocher des villes, par aussi ce truc où il n'y a plus trop la chasse, il n'y a plus trop le... La neige est une espèce de trêve un peu. Moi, je ne suis pas du tout scientifique. D'ailleurs, j'ai fait juste des études de lettres. À l'époque où on le faisait, il y avait juste des scientifiques et des géants qui faisaient L. Mais à passer mon temps dehors, je vois plein de choses. Et à parler comme un vieux, comme ça fait plus de dix ans. que je fais de la photo et ça fait plus de 20 ans que je vais dehors tout le temps. J'ai vu quand même plein de choses changer et notamment par exemple les oiseaux près de chez moi. L'été, il y a plein d'oiseaux que je photographiais quand j'étais petit qui ne sont plus du tout là dans les champs autour de chez moi. Et donc ça, il y a un truc un peu qui nous tombe dessus par rapport à ça, c'est qu'on est sûr qu'en plus du réchauffement climatique ou même sinon plus, on a impacté vraiment la vie animale autour de nous. Et ça, ça rend triste, mais en même temps, ça me fait dire que la photo, ça ne suffit pas. Donc il y a un autre questionnement que j'ai en tant que photographe, c'est à quoi servent mes photos ? Puisque je profite d'un truc qui disparaît aussi, et que je gagne ma vie grâce à ces animaux que je photographie. Donc il y a une question permanente de... en quoi j'impacte le monde en tant que photographe animalier parce que prendre l'avion c'est aussi impacter la glace qu'on va voir fondre donc il y a tous ces paradoxes ou du moins ces choses à limiter ou à voir à quel point ça a du sens ou pas et il y a aussi ce truc de montrer si je témoigne Dans mon livre, il y a des animaux à chaque page. J'ai mis des pages blanches pour justement montrer qu'il y a des fois où je n'en vois pas. Mais il y a ce truc de... Les photographes, on ne montre que la présence des animaux, mais comment montrer aussi l'absence des choses, ou la chute, ou la... Donc là, dans ce projet débâcle, il y avait ce truc de commencer à voir comment montrer les choses qui partent, parce que la photo, elle immortalise pour de faux les choses. Et les oiseaux, ils ne sont plus là, mais j'ai toujours les photos. Donc j'essaie de voir à quel point je peux... Trouver une espèce de cohérence artistique aussi avec ça. Mais ça passe aussi par un message, genre alerter sur le fait que ce que j'ai la chance d'avoir vu petit n'est plus là, et c'est pour nous tous pareil, et que si on fait attention à remettre des haies dans les champs ou à limiter les pesticides, donc là on rentre dans des questions pratico-pratiques que moi je ne maîtrise pas, mais de voir comment en fait... De l'un, on peut passer à l'autre grâce à mes photos. Ça, c'est une question pour laquelle je n'ai pas encore trouvé de réponse forte. Donc je ne sais pas à quel point mes photos ont une utilité, sinon celle de nous relier au monde, mais c'est sûr que ça ne suffit pas. Il y a aussi un truc que j'ai commencé à faire, c'est de faire des choses avec d'autres gens. Notamment là, le projet au Japon, c'est avec Georges, un saladin qui a un ami qui dessine. Je trouve ça trop beau d'appréhender la neige aussi et le monde enneigé par le dessin. C'est très dur aussi. Et il y a eu ce projet avec Jean-Marc Rochette où là, il y a ce lien avec la peinture. Il y a aussi un truc de... J'ai de plus en plus envie de regarder les choses pas que à travers ma pratique. Plutôt que de voir les limites de la photo, je trouve ça chouette de le mélanger avec d'autres médiums. Mais moi, par contre, j'aime vraiment la photo. Et à terme, j'ai juste envie de faire des photos dans la neige de tout et de rien. Toujours dans la neige, ouais. Pas parce que c'est beau la neige, mais parce que c'est génial d'être dans la neige. J'ai envie de passer ma vie dans la neige. Et si je ne passe que trois mois de l'année dans la neige, parce que déjà je ne fais qu'un voyage par an, mais aussi il neige moins, ce truc de passer le reste de mon année à prévoir ça, et à organiser, montrer, faire des belles photos. Non, en gros, ce que tu peux me souhaiter, c'est de continuer à être passionné de la photo comme je suis là. En gros, c'est la nature qui m'a emmené à la photo. J'aimais surtout les animaux, mais maintenant je suis vraiment passionné aussi par la photo. Je crois être surtout juste photographe.