- Speaker #0
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Psyboulot, le podcast qui éclaire les coulisses du boulot. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certaines situations de travail vous laissent perplexes, voire même échappent à toute logique ? Et si les raisons étaient multiples et complexes ? Avec Psyboulot, pas de pensée magique, pas de recette unique, je vous propose plutôt d'explorer le monde professionnel avec un regard qui allie psychologie, sociologie et même un soupçon de philosophie. Je suis Marie-Claire Valentini, dirigeante des DRH, et ce podcast est né de mon envie de partager avec vous ma quête de compréhension des comportements humains et des dynamiques en entreprise. Rejoignez-moi à chaque épisode, où ensemble, nous apprendrons les défis du monde du travail. Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue sur Psy Boulot, le podcast qui éclaire les coulisses du boulot. Aujourd'hui, je reçois Franck Notin, qui dirige le cabinet Longitude. Et ensemble, nous allons chercher à comprendre qui a le vrai pouvoir dans mon entreprise. Bonjour Franck. Bonjour. Alors avant de démarrer notre conversation, est-ce que tu veux bien te présenter s'il te plaît ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Bonjour tout le monde. Alors je m'appelle Franck Notin. Je suis consultant et formateur. Et je dirige Longitude Consultant, donc un cabinet de conseil, de formation et de coaching. Nous sommes, il y a huit salariés plus moi, nous sommes tous managers expérimentés. C'est un cabinet que j'ai racheté il y a deux ans, et nous intervenons sur des enjeux d'organisation, de management, mais aussi de culture client en France et à l'étranger. Moi, je viens de la grande distribution, où j'ai passé 24 ans dans des grands groupes français et étrangers, dans des fonctions de management et de direction.
- Speaker #0
Alors Franck, quand on a échangé au sujet du podcast, je t'ai demandé pourquoi tu avais eu envie de te former à la sociologie des organisations, parce que je crois, si je me souviens bien... que tu t'es formé assez tardivement.
- Speaker #1
Oui, effectivement, je me suis formé un peu tardivement. J'ai profité d'une pause professionnelle pour élargir mes horizons et ouvrir mes chakras, si je puis dire, à la sociologie. Voilà, donc effectivement, je me suis formé un peu tardivement. Ceci dit, j'avais déjà commencé la sociologie dans ma formation initiale, mais c'est plus de la sociologie politique.
- Speaker #0
Alors, comment tu es venu à cette sociologie des organisations ?
- Speaker #1
J'ai eu envie de mieux comprendre ce qui se passait dans le monde de l'entreprise, d'une part, de faire le lien entre mes expériences professionnelles et ce que je pouvais lire par ailleurs. Et je voulais aussi, c'était important pour moi, avoir une formation universitaire. Ce qui m'intéressait, c'était le côté scientifique de la discipline. C'est pour ça que j'ai fait un master à Lyon 2, le master sociologie des organisations de l'université de Lyon 2.
- Speaker #0
Alors, c'est quoi la sociologie des organisations ?
- Speaker #1
Ah, ça, c'est une vaste question. Alors, je vais répondre, et comme toutes les réponses que je vais faire, c'est vraiment avec mon propre esprisme, parce que j'aime la sociologie, je fais de la sociologie, mais je ne suis pas chercheur et je n'appartiens à aucun laboratoire. J'enseigne par ailleurs la sociologie des organisations dans un master de gestion des sens humains, mais comme je dis à mes étudiants, moi, je ne suis pas professeur de sociologie et je suis libre de toute école et de toute chapelle. Donc voilà, ça, c'est un...... préambule nécessaire. Alors, pour dire les choses, essayer de dire les choses le plus simplement possible, la sociologie des organisations s'intéresse, comme son nom l'indique, aux organisations. On a quand même dit ça,
- Speaker #0
j'ai pris trois choses.
- Speaker #1
Alors, c'est quoi une organisation ? Alors, on va essayer de donner une définition d'une organisation et c'est important parce qu'à partir du moment où on a compris ce qu'était une organisation, on commence à comprendre l'intérêt de la sociologie des organisations et c'est quoi son objet. Alors, l'organisation, c'est simplement une réponse collective d'un groupe d'individus. Une réponse collective d'un groupe d'individus qui doit gérer ensemble des contraintes et des opportunités, des contraintes et des opportunités qui sont imposées par l'environnement dans lequel sont plongés ces individus. Donc des contraintes et des opportunités imposées par un environnement et les circonstances. Et donc ils ont besoin d'apporter une réponse collective et une des réponses c'est l'organisation.
- Speaker #0
Alors attends, déjà pour faire ce que c'est déjà compliqué, après quelques secondes... Est-ce que tu peux nous réexpliquer concrètement, dans une situation de tous les jours, ce que ça veut dire ? Dans une entreprise, c'est quoi ? C'est une équipe ?
- Speaker #1
Oui, imaginez par exemple que vous avez avec votre beau-frère, vous aimez beaucoup la pizza et vous n'êtes pas mauvais. Vous aimez la pizza et vous aimez faire les pizzas et tout le monde dit que vos pizzas sont extraordinaires, donc il faut ouvrir une pizzeria. Donc comment vous allez faire pour ouvrir une pizzeria ? Vous allez être obligé de mettre en place un certain nombre de choses, de vous organiser, de répartir les rôles. Il y en a peut-être un qui est meilleur que l'autre dans la cuisson, l'autre dans la préparation. L'autre, il a peut-être plus de talent dans la partie marketing, gestion, etc. Enfin bref, peu importe. C'est-à-dire qu'en gros, vous avez une opportunité qui est, vous êtes très bon dans la pizza, il y a un marché pour la pizza et donc vous vous dites, pourquoi pas ? Enfin, ceci dit, ce n'est pas parce qu'il y a une opportunité et un marché qu'il n'y a pas de contraintes. Donc, il va falloir à la fois gérer l'opportunité, saisir l'opportunité, pardon, et gérer les contraintes. Et en fait, l'organisation, elle sert à ça. Elle sert en fait à mettre en place une réponse. alors là on a deux personnes mais ça peut être deux, trois, quatre, cinq, dix personnes cent personnes, deux mille personnes on a une opportunité on veut répondre à cette opportunité mais il se trouve que on a rarement des opportunités sans contraintes donc il faut gérer les deux en même temps et pour ça à partir du moment où un groupe d'individus a décidé ensemble qu'ils allaient tirer profit de ces opportunités et gérer ensemble les contraintes et bien ils vont devoir mettre en place une organisation, c'est à dire qu'en fait ils vont mettre en place un mode de fonctionnement pour pouvoir passer à l'action... Parce que sinon, tant qu'il n'y a pas de règles de fonctionnement, tant qu'il n'y a pas d'organisation en tant que telle, c'est-à-dire on va répartir les rôles, on va dire encore une fois qui fait quoi, on va organiser des règles du jeu, ne fût-ce que les règles du temps de travail, du temps de repos, etc. On aura du mal à passer à l'action. Donc l'organisation permet de passer à l'action.
- Speaker #0
Alors, qui est le chef quand il y a deux frères qui s'associent dans une pizzeria ? Comment on fait pour... C'est la question du pouvoir dans une entreprise ?
- Speaker #1
Alors oui, ça c'est une question. Alors effectivement, le corollaire de l'organisation, la conséquence d'une organisation, c'est qu'à partir du moment où les individus décident de travailler ensemble dans une organisation, ils se soumettent en fait à l'organisation. Ça veut dire qu'ils vont perdre une partie de leur autonomie. Parce que du coup, moi si je travaille... je suis le roi de la pizza, mais j'ai besoin d'un community manager, par exemple, je vais dépendre aussi du community manager et le community manager dépendra de moi. Donc, en fait, on va rentrer dans une relation d'interdépendance et ce faisant, on va perdre un petit peu d'autonomie au profit de l'objectif de la raison d'être de l'organisation et de l'objectif que se fixe l'organisation. Donc, c'est là où ça devient un peu complexe, parce que pour parler de la question du pouvoir, on voit bien que... C'est pas si simple. Il y a plusieurs pouvoirs. Tout le monde peut avoir du pouvoir dans l'organisation.
- Speaker #0
Ok, donc le pouvoir, c'est pas forcément celui de l'actionnaire majoritaire.
- Speaker #1
Alors, l'actionnaire majoritaire, il a du pouvoir, bien sûr, mais il a un pouvoir qui est celui de l'actionnaire majoritaire. Mais en face, les salariés d'entreprise ont aussi leur pouvoir, qui est lié à leur métier de salarié. Il y a un sociologue que j'aime beaucoup qui s'appelle Anselm Strauss, qui est un sociologue américain, qui a travaillé longtemps dans le secteur hospitalier, qui a beaucoup étudié le fonctionnement du monde hospitalier en essayant de voir, en observant le métier des uns et des autres. Et il a découvert, par exemple, que les patients avaient aussi un métier. Et donc, pour comprendre finalement qui a le pouvoir dans une organisation, on va essayer de voir quel est leur métier et comment ils exercent leur métier. Et les salariés ont un métier, un métier de salarié, comme les clients ont un métier de client, les collectionneurs ont un métier de client.
- Speaker #0
Alors du coup, partant de ce postulat-là que tu viens de décrire, en quoi cette sociologie des organisations peut apporter des réponses aux problématiques de l'entreprise et à tout ce qui s'y passe entre ces différents acteurs, entre ces différents individus qui sont parfois acteurs, parfois sujets ?
- Speaker #1
Oui. En fait, l'entreprise, c'est une organisation particulière parce qu'elle a des objectifs qui lui sont propres. Et alors, la sociologie d'organisation va nous aider à comprendre dans une entreprise comment le collectif ou les collectifs de l'entreprise ont fait pour s'organiser. Donc, en gros, la sociologie va nous aider à déjà identifier les règles qui ont été mises en place. Et quand je dis que les règles qui ont été mises en place, ce n'est pas forcément le règlement intérieur. C'est-à-dire les règles, c'est aussi les normes, les usages qui deviennent des règles. Ce qu'un sociologue, Jean-Dianel Reynaud, a décrit comme une régulation autonome. C'est le sociologue de la régulation. Donc les collectifs vont mettre en place des règles et vont se distribuer entre des rôles. Et tout ça, ça va avoir une conséquence évidemment sur les jeux entre les acteurs. Parce que c'est comme dans une pièce de théâtre. Il y a un script. il y a le script, mais on sait très bien que ce n'est pas le script qui fait la pièce. Ce qui fait la pièce, c'est le jeu des acteurs. Et si on va voir une pièce de théâtre tous les soirs, on n'aura jamais le même jeu d'acteur. Il y aura des différences. C'est exactement la même chose. Donc la sociologie d'organisation va nous aider à décrypter ce jeu d'acteur et à examiner finalement... ce qu'il se passe et en particulier, parce qu'on parlait du pouvoir, en particulier comment et à quel prix les acteurs vont accepter de perdre un tout petit peu d'autonomie au profit de l'entreprise. Parce que c'est ça l'entreprise, c'est les gens acceptent de venir dans une entreprise en échange peut-être d'un salaire mais aussi d'autre chose. Et en tout cas, le fait d'accepter de travailler dans une entreprise où les salariés le savent bien, c'est aussi accepter de perdre un peu d'autonomie. Et on va regarder ça, comment ils font, très concrètement, qu'est-ce qui se passe, et comment ils jouent avec ça aussi, et les conséquences concrètes que ces jeux vont avoir sur le fonctionnement de l'entreprise. Moi je suis salarié, je vais accepter de perdre un peu d'autonomie, en échange de quoi ? Ça peut être du salaire comme ça peut être autre chose, et du coup quelles conséquences ça va avoir sur le travail d'équipe, les relations que je vais avoir avec mon responsable hiérarchique. et même le fonctionnement de l'entreprise, voire la réussite ou les difficultés de l'entreprise.
- Speaker #0
Je vais te demander un exemple dans quelques questions. C'est marrant parce que quand tu parlais du théâtre, ça me faisait exactement penser à ça. Et alors du coup, partons du principe et du postulat que l'entreprise est une grande pièce de théâtre, où chacun cherche des zones de pouvoir, a des ressources, doit faire des concessions et des compromis sur sa zone d'autonomie. Et alors, Franck ? Qui a vraiment le pouvoir dans les entreprises et dans les organisations ? À part l'actionnaire majoritaire.
- Speaker #1
Alors, mais justement, qui a la question du pouvoir ? C'est une question...
- Speaker #0
C'est une vaste question.
- Speaker #1
Oui, non, c'est une question intéressante. Alors, ça dépend de ce qu'on appelle le pouvoir. Oui,
- Speaker #0
c'est quoi le pouvoir ? Oui, c'est vrai. Oui,
- Speaker #1
c'est ça. Alors, il y a un sociologue fameux, Michel Crozier, qui disait Le pouvoir, c'est une relation Alors, en fait... La question du pouvoir, d'abord, moi, j'ai envie de répondre, tout le monde a du pouvoir. Ah oui. Tout le monde a du pouvoir.
- Speaker #0
Pourquoi ? Tu peux nous donner un exemple ?
- Speaker #1
Parce qu'en fait, à partir du moment où les gens ont des ressources, ils ont du pouvoir.
- Speaker #0
D'accord. Alors, qu'est-ce que tu entends par ressources ?
- Speaker #1
Une ressource, c'est…
- Speaker #0
Prenons le cas d'une entreprise que tu as côtoyée, vraiment avec des vrais gens, même si on ne donnera pas leur nom.
- Speaker #1
Oui. Une ressource, c'est une capacité ou une compétence que je vais avoir à ma disposition ou un outil que je vais pouvoir mobiliser pour atteindre mes objectifs dans un certain contexte. Le contexte va me donner la possibilité, va m'ouvrir des opportunités et je vais mobiliser ces ressources pour atteindre mes objectifs. Par exemple, je veux évoluer dans mon entreprise, mon entreprise ouvre un international. Je parle parfaitement l'anglais, c'est une ressource, et donc je vais pouvoir postuler à des postes qui vont me permettre d'évoluer dans l'entreprise parce que je parle anglais. Alors que si je ne parlais pas anglais, j'aurais peut-être d'autres ressources, mais en tout cas elles seraient moins pertinentes dans ce contexte. Donc ça va me donner du pouvoir par rapport par exemple à mon collègue qui ne parle pas du tout anglais. Par contre si mon collègue parle anglais, nous allons être en concurrence. Je ne dis pas que je n'aurai pas le poste, mais nous allons être en concurrence. Donc en fait le pouvoir c'est relatif. Ça va dépendre des ressources des uns par rapport aux autres dans un certain contexte.
- Speaker #0
Tu m'as dit en préparant l'interview quelque chose qui m'a fait beaucoup rire. Tu m'as posé la question, Marie-Claire, qui a plus de pouvoir qu'Emmanuel Macron ?
- Speaker #1
Oui, voilà.
- Speaker #0
Et tu m'as répondu l'informaticien qui gère son ordinateur. Surtout s'il doit organiser une visio impromptue avec Poutine pour qu'on s'évite une troisième guerre.
- Speaker #1
C'est ça. Oui, tout à fait. C'est exactement ça. C'est-à-dire qu'Emmanuel Macron, c'est un informaticien du pouvoir parce que... Parce que c'est lui qui dispose d'une ressource dont on part du principe qu'Emmanuel Macron n'a pas cette ressource-là et qu'en plus, dans un contexte emprunt d'une certaine urgence et d'une très grande incertitude. C'est-à-dire, en gros, si Emmanuel Macron répare son ordinateur, on évitera une troisième guerre mondiale. Mais tout ça, ça dépend de l'informaticien. Donc, on voit très clairement que lui a du pouvoir.
- Speaker #0
Oui, sauf que l'informaticien, il peut se faire virer. Enfin, soyons, j'ai bien compris la question des ressources. Si tu es dans une organisation, chacun a des ressources. qui peuvent plus ou moins entraver les fonctionnements de l'organisation, en fonction de s'ils les activent ou pas, qui lui donnent de l'autonomie, qui lui donnent des marges de manœuvre. Mais dans une organisation, celui qui active plus ou moins ses ressources, il a toujours le risque de se faire foutre dehors s'il ne coopère pas.
- Speaker #1
Bien sûr, ça c'est en fait parce que les ressources ne s'analysent jamais, en tout cas en sociologie d'organisation, on n'analyse jamais une ressource toute seule. On va analyser... le poids relatif, ou plus exactement la pertinence relative des ressources par catégorie d'acteurs, en rapport avec un certain contexte qui ouvre des zones d'incertitude.
- Speaker #0
Est-ce que tu peux nous raconter une anecdote pour qu'on comprenne de façon très pragmatique ? Oui. Qu'est-ce que tu pourrais nous dire d'une situation très concrète où tu peux... étayer le fait que chacun a une ressource et que du coup, si je comprends ce que tu dis, chacun a du pouvoir. Et pas uniquement le patron.
- Speaker #1
Voir le patron, c'est celui qui en a le moindre.
- Speaker #0
Ou le fonds, ou l'actionnaire,
- Speaker #1
ou les salariés,
- Speaker #0
tous actionnaires.
- Speaker #1
Oui, alors on va prendre un exemple extrêmement simple que tout le monde connaît qui est celui du supermarché. Tout le monde va faire ses courses. Alors, c'est quoi un supermarché ? C'est très simple. La mission du supermarché, c'est un, recevoir des produits qui viennent de l'extérieur, globalement, deux, c'est mettre ces produits en rayon, trois, c'est faire en sorte que les produits passent en caisse, en tout cas le plus possible. Donc ça, c'est un peu la mission du supermarché. Le flux logistique dans un supermarché, il fonctionne comme ça, de manière très schématique. Bon alors, avant d'avoir un regard sociologique, ça va être de se dire, on va regarder un peu très concrètement ce qui va se passer. Par exemple, je me mettrais bien à la place d'une boîte de conserve. Prenons les petits pois alors,
- Speaker #0
on va transmettre en boîte les petits pois pendant un certain instant. Les petits pois qui arrivent dans leur camion,
- Speaker #1
dans une palette, qu'est-ce qui se passe ? Donc on va y aller étape par étape. Pour que ça marche, d'une manière générale, pour qu'il y ait suffisamment de produits qui passent en caisse le plus vite possible, Au départ, il faut quand même qu'il y ait des produits qui rentrent. Parce que s'il n'y a pas de produits qui rentrent, les produits ne passeront pas en caisse. Et donc, ça veut dire que la première étape, c'est qu'il faut qu'il y ait suffisamment, il faut que les rayons soient pleins à l'ouverture. Imaginons que le supermarché ouvre à 8h30, il faut qu'à 8h30, les rayons soient pleins. Pour que les rayons soient pleins, qu'est-ce qu'il faut ? Et du coup, qui a le pouvoir pour que les rayons soient pleins, à ton avis, Marie-Claire ?
- Speaker #0
Les gens qui font la mise en rayon.
- Speaker #1
Et avant ?
- Speaker #0
Le livreur. Oui,
- Speaker #1
le livreur. Donc déjà, et ça c'est un vrai sujet, c'est à tous ceux qui... qui ont travaillé dans les grandes distributions comme moi, savent qu'en fait, la première personne qui a le pouvoir dans le supermarché, c'est d'abord le livreur. Est-ce qu'il arrive à l'heure ou pas ? Et quand le livreur n'arrive pas à l'heure, c'est très compliqué. Donc il y a le livreur et ensuite, effectivement, il y a l'équipe de réception qui va réceptionner plus ou moins rapidement et qui va stocker les palettes de façon plus ou moins pratique pour que, évidemment, derrière l'équipe qui est dédiée à la mise en rayon, on va lui faciliter la vie ou pas. Et là, il peut y avoir plein de jeux, évidemment, entre les équipes. ou les personnes qui ont envie plus ou moins de se faciliter la vie. Après, c'est l'équipe qui est dédiée à la mise en rayon, comme tu l'as dit, qui va prendre le relais. Et de sa rapidité va dépendre l'état du magasin à l'ouverture. Et ça, il faut bien comprendre qu'encore une fois, cette ressource n'a de valeur, cette rapidité, cette capacité à mettre les produits correctement en rayon, le bon produit au bon endroit. Il y a une incertitude sur le fait que le magasin sera rempli ou pas à l'ouverture. C'est-à-dire que si on était certain que le magasin allait être rempli à l'ouverture, les gens qui font la mise en rayon, ils n'auraient pas de pouvoir. On ne se poserait pas la question. Le fait qu'on se pose la question et que du coup, on se dise, je déflore un peu le sujet, mais je suis obligé de faire en sorte qu'ils remplissent bien le magasin avant l'ouverture. En gros, ça veut dire que je vais reconnaître qu'ils ont du pouvoir. C'est parce que je ne suis pas sûr justement que le magasin arrive. C'est cette fameuse incertitude qui donne du pouvoir.
- Speaker #0
Oui, sauf qu'à la fin, celui qui est le directeur, il a toujours la possibilité de sortir les gens et de siffler la fin du jeu.
- Speaker #1
Mais il faut en recruter. Il faut les recruter derrière. Et si les gens n'ont pas envie de travailler samedi ? S'ils n'ont pas envie de se lever à 4h du mat'pour être à 5h du matin en magasin pour mettre en rayon ?
- Speaker #0
Donc c'est le rapport de force.
- Speaker #1
C'est le problème. Après,
- Speaker #0
ça met en place un rapport de force.
- Speaker #1
Il y a un jeu entre les acteurs qui vont mobiliser des ressources relatives. Donc des pouvoirs, enfin plus exactement des pouvoirs relatifs qui sont faits de ressources dans des zones d'incertitude. Et ça s'appelle une négociation.
- Speaker #0
Et alors, qui régule ces jeux d'acteurs dans l'organisation ? Qui peut les réguler ? Parce que si tu n'es pas sociologue, comment tu fais quand tu es DRH, dirigeant, manager, ou même que tu es acteur dans l'organisation ? Comment tu fais pour réguler ces jeux ? Puisque tout le monde, à un moment de temps... jouent un scénario, tout le monde a des intérêts. Tout le monde. Comment est-ce qu'on fait ? Qui fait de la facilitation ou de la régulation ?
- Speaker #1
Alors ça, on va dire que tout le monde participe à la régulation. Alors ça, c'est mon point de vue.
- Speaker #0
Oui,
- Speaker #1
bien sûr. Je suis très inspiré par, notamment, Jordanian Reno, les théories de la régulation, et par l'interactionnisme... l'école du Chicago ou... On parlait de la pièce de théâtre, chacun a son rôle à jouer. À partir du moment où les gens s'ajustent les uns avec les autres, chacun participe à la régulation. Je vois bien ta question, c'est finalement à quoi ça sert un manager ? À quoi sert la société ?
- Speaker #0
En fait, à quoi sert la société là-dedans ? J'ai bien compris ce que tu dis, le pouvoir n'est pas toujours là où on croit qu'il est. J'ai bien compris que chacun a des ressources. Mais en fait, ça me semble un peu illusoire de s'imaginer qu'en activant tes ressources, tu vas pouvoir avoir du pouvoir dans l'organisation. Donc, je me dis, en fait, si tu n'as pas un sociologue dans une organisation, je crois que ça existe peu quand même.
- Speaker #1
Il y a les sociologues embedded, ça existe.
- Speaker #0
Ce n'est quand même pas la menace des entreprises.
- Speaker #1
Après, voilà. Comment on fait ? Alors, il y a déjà...
- Speaker #0
Vous êtes un peu théorique, tout ça, je ne sais pas.
- Speaker #1
C'est très concret, en fait, c'est extrêmement concret. C'est-à-dire qu'on peut utiliser la sociologie pour comprendre, pour former notamment les personnes, les individus, de façon à ce qu'ils comprennent ce qui se passe.
- Speaker #0
À quoi il faut les former ? Alors,
- Speaker #1
on peut... Alors, on pourrait former les individus, les managers en particulier.
- Speaker #0
Voilà, parlons des managers. Voilà,
- Speaker #1
les managers, parce qu'on se rend bien compte, si je reprends l'exemple du supermarché, que finalement, celui qui a le moins de pouvoir dans le supermarché, c'est le directeur du supermarché.
- Speaker #0
On a un peu l'impression, mais à la fois, on a du mal à y croire.
- Speaker #1
Oui, il a très peu de pouvoir quand on regarde les ressources dont il a à sa disposition. Parce qu'il a le pouvoir du planning, mais c'est relativement limité.
- Speaker #0
Il a le pouvoir disciplinaire, quand même.
- Speaker #1
Oui, il a le pouvoir disciplinaire, mais bon, il y a aussi les contre-pouvoirs. Il faut que ça peut être limité. Puis il faut que les gens acceptent de venir travailler. Et ça, ce n'est pas évident. Donc, c'est un peu comme la dialectique du maître et de l'esclave. Certes, on se souvient de nos cours de philo. Voilà, de la fameuse dialectique de Hegel. C'est finalement qui a le pouvoir ? Est-ce que qui domine qui ? Est-ce que c'est le maître qui domine l'esclave ? Ou est-ce que c'est l'esclave qui domine le maître ? Au final, si l'esclave a une ressource extrêmement rare, le maître n'aura pas tellement d'autre choix que d'exploiter cette ressource, donc de trouver un terrain d'entente avec son esclave. Alors évidemment, on n'est pas dans la directive du maître d'esclave, mais on a dans cette dimension-là. Et du coup, pour revenir sur la question du manager, il a une ressource quand même qui est importante, c'est qu'il a cette capacité, en tout cas c'est son rôle, de pouvoir faire un pas de côté et... de se dire comment je peux d'essayer d'identifier d'une part de comprendre que les gens ont tous une part d'autonomie. En gros, ma caissière ou mon caissier, il a la liberté d'accélérer plus loin le passage en caisse.
- Speaker #0
Mais il va se faire virer à la fin, Franck, s'il ne peut pas. La caissière ou le caissier, s'il ne va pas assez vite, il va se faire virer.
- Speaker #1
Ça ne se passe pas comme ça, parce qu'on vire rarement les gens parce qu'ils ne sont pas assez rapides en caisse, dans la vraie vie. Tu crois ? Ben oui ! Non, parce que ça veut dire quoi ? D'abord, en plus, il faudrait prouver qu'il y a un préjudice pour l'entreprise, que voilà, c'est pas, c'est pas, c'est pas. Et puis, voilà, non, ça se passe pas comme ça. Très concrètement, non. Et encore, même si on vire les gens, il faut pouvoir les remplacer. Il faut que je trouve quelqu'un qui accepte de travailler samedi. C'est pas si évident.
- Speaker #0
Toi, du coup, dans tes premières formations sur la question du management qu'on était en train d'évoquer, comment tu te sers de cette sociologie ? dans les programmes que tu conçois pour les managers, comment tu rends opérationnel et pragmatique cette belle discipline pour qu'un manager, il voit clair et qu'il ne se retrouve pas lui-même comme le directeur qui ne peut rien faire. Parce que le manager, c'est pire que le directeur. Parce que dans les entreprises, si on dit que le directeur, c'est le patron ou la patronne. le manager, il n'a pas toujours le pouvoir de décision à la fin.
- Speaker #1
C'est une question de ressources, c'est une question de ressources relatives. Alors, effectivement, les managers, en particulier le management intermédiaire, peuvent se trouver dans des situations où ils sont complètement coincés, entre le marteau et l'inclume, comme on dit. Alors, comment on peut faire ? Alors, on peut les former, et notamment les former pour qu'ils comprennent que s'ils n'ont pas beaucoup de pouvoir, d'abord, ils y sont pour rien. C'est parce que c'est des mauvais managers qui n'ont pas beaucoup de pouvoir. Et ça, mine de rien, quand les gens comprennent que finalement, s'ils sont coincés, c'est pas de leur faute, d'une certaine manière, En gros, c'est la faute de personne, ce n'est pas non plus la faute de leur chef. C'est simplement qu'on est dans une situation organisationnelle qui fait qu'on a établi, comme on a dit tout à l'heure, plein de compromis qui fait qu'on est dans une situation un peu bloquée. Donc,
- Speaker #0
première chose, ne pas leur dire qu'ils n'y sont pas pour rien. Par contre,
- Speaker #1
comprendre aussi que ce qu'on attend d'eux, ce n'est pas tellement qu'ils exercent du pouvoir, mais qu'ils aident leurs collaborateurs à mobiliser leur autonomie dans un contexte où les gens vont comprendre un peu ce qui se passe. Par exemple, d'expliquer aux gens... quel est leur rôle, ce qu'on attend d'eux, et que les gens comprennent les situations dans lesquelles ils sont, et comprennent les situations dans lesquelles ils peuvent mobiliser ou pas leur autonomie. Dans un cadre qui est bien défini et qui est accepté par tout le monde. Donc en gros, le manager, il a... Deux rôles pour moi. Premièrement, aider les gens à mobiliser leur autonomie dans un contexte bien déterminé.
- Speaker #0
Parce que les gens peuvent toujours jouer dans les intervalles. Voilà,
- Speaker #1
jouer dans les intervalles, exactement. Mais aussi, le rôle du manager, c'est de rappeler le cadre dans lequel on va pouvoir jouer. On ne peut pas jouer à un jeu si il y a... Enfin, moi, j'aime beaucoup le Monopoly. J'adore ce jeu. On ne joue pas au Monopoly sans... Sans quoi ? Sans accepter au minimum les règles du jeu. Et que si même on tord les règles du jeu, il faut que tout le monde soit d'accord pour tordre certaines règles. Pour jouer le jeu. Voilà, pour jouer le jeu. Donc, le rôle du manager, c'est d'expliquer aux gens les règles du jeu, de faire en sorte qu'ils acceptent les règles du jeu et qu'ils comprennent le cadre dans lequel ils vont pouvoir développer leur autonomie. Je ne sais pas si je suis clair, mais c'est ça son rôle.
- Speaker #0
Du coup, ça veut dire que si les managers arrivent à diffuser ce genre de messages, ça peut permettre aux gens, aux équipes de prendre un peu de distance.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et d'être un petit peu moins sujet libre en proie à ses émotions, à ses désirs, et un petit peu plus acteur et à accepter, et du coup à moins souffrir aussi.
- Speaker #1
Oui, c'est ça. C'est-à-dire que les gens vont comprendre, par exemple, que la situation... organisationnelle va produire ce qu'on appelle du travail empêché, c'est-à-dire qu'on est dans une situation, on a l'impression d'être bloqué, d'être coincé, et quand on a compris que finalement, nous, on n'y était pour rien et que c'est lié à d'autres décisions ou une situation, on va lâcher un peu l'affaire. Donc ça, c'est déjà bien. À partir du moment où on a compris ça, on va pouvoir se dire alors ça, c'est vraiment, il faut que tu fasses quelque chose qu'on... Nous, on forme les managers, évidemment, là-dessus. Ça paraît du bon sens, mais finalement, on regarde la situation. On a bien analysé nos ressources aux zones d'incertitude et on va regarder ce sur quoi on a la main, ce sur quoi on n'a pas la main. Moi, souvent, le conseil que je donne, c'est on va se concentrer sur ce sur quoi on a la main. Et à partir de là, qu'est-ce qu'on fait ? Et concrètement, sur quoi on peut ensemble se mettre d'accord ? Quels sont les objectifs minimums qu'on peut se fixer ensemble ? et quelles sont les règles du jeu qu'on va pouvoir se donner ensemble pour fixer les besoins. C'est-à-dire, en gros, le manager, son rôle, ça va être de se dire, je suis dans une organisation, très grande entreprise, voilà, qui impose son organisation. Moi, à mon petit niveau, je me rends compte que j'ai l'impression d'être un peu bloqué, et mon équipe aussi. Bon, on va regarder ce sur quoi on a la main, et on va se recréer notre organisation à notre niveau. C'est exactement ça. On a notre faisceau de contraintes d'opportunités à notre niveau et on va se recréer notre organisation avec les objectifs qu'on va se fixer, nos règles du jeu à nous, etc.
- Speaker #0
Donc, il y a une sous-organisation.
- Speaker #1
Oui, parce que les entreprises sont faites de plein d'organisations. De plein de tiroirs. C'est un vrai sujet, d'ailleurs, au niveau de l'entreprise. C'est qu'on n'a pas toujours les organisations qui vont dans le même sens.
- Speaker #0
Ça me fait penser à cette question aussi. Ça me rappelle un livre de développement personnel. qui a dû s'inspirer de la socio, je ne suis pas sûre que ce soit la socio qui soit inspirée de l'auteur, mais plutôt l'inverse. Sur les cercles 1, 2, 3, sur quoi j'ai du pouvoir, sur quoi je n'en ai pas, et sur quoi, enfin, le cercle 1, c'est sur quoi on a vraiment beaucoup, beaucoup de pouvoir, et le cercle 3, évidemment, c'est celui sur lequel on n'a aucun pouvoir d'action, et donc sur lequel il faut la chaperisse. Du coup, dans une entreprise, comment est-ce qu'on passe d'une logique de pouvoir à une logique de coopération, puisque si tout le monde a un peu de pouvoir, comment on coopère tous ensemble de façon extrêmement... Pragmatique, parce que tu sais que mon enjeu c'est que ce soit pragmatique et que les gens puissent transposer derrière après avoir écouté l'épisode. Comment on peut faire pour passer du pouvoir à la coopération ? J'ai compris jouer dans les intervalles, accepter les règles du jeu, reconstruire un système dans lequel on va là où on a la possibilité d'aller.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Est-ce que c'est ça coopérer finalement ?
- Speaker #1
Oui, c'est ça la coopération. Je pense qu'il faut prendre en compte plusieurs choses. La première, c'est que les organisations sont toujours très précaires et que si on veut se lancer dans la coopération, il faut aller vraiment... Moi, je fais souvent la promotion du bricolage, le management comme du bricolage, c'est-à-dire se dire on va essayer un truc, on n'est pas sûr que ça marche. Mais on va le tester parce que finalement...
- Speaker #0
On a quand même identifié que là, on avait un peu de prix sur les choses. Et moi, je vous propose, allez les gars, je vous propose de tester ça et on va voir si ça marche ou si ça ne marche pas. Par contre, si on veut vraiment, il faut que tout le monde joue le jeu. C'est comme une équipe de foot. Si on a décidé de devenir champion du monde, il y a un préalable, c'est d'accepter de jouer la Coupe du Monde. Sinon, ça va être compliqué déjà. Et ensuite, on va accepter les règles du jeu, des règles de la FIFA, du football international. Et puis ensuite, on va se distribuer les rôles, on va se fixer un objectif et on va se faire un plan d'action. Et on va faire en sorte que tout le monde accepte ce plan d'action et accepte les rôles qui sont distribués. Et ça, c'est de l'organisation. Et ça ne peut fonctionner que si, effectivement, on entre dans un certain état d'esprit qui est un... On va dire, oui, un état d'esprit de coopération. Mais alors, là-dessus, la deuxième chose que je voulais dire, sur laquelle je veux mettre l'accent, c'est que les organisations et les entreprises en particulier ne tiennent que grâce à la coopération. On se plaint souvent des conflits, des malentendus, des tensions, etc. Alors, tu disais tout à l'heure que peut-être les entreprises ont tendance à vouloir mettre la poussière sur le tapis. En fait, la réalité, c'est qu'il y a de la coopération partout. quand on regarde ce qui se passe très concrètement dans un bureau, il y a de la coopération. Alors il y a aussi des conflits, mais le conflit c'est une autre face, c'est l'autre face de la pièce.
- Speaker #1
C'est cause substantielle aux relations. Bien sûr. Mais alors attends, c'est quoi les sociétés dans lesquelles il y a le plus de coopération ? C'est quoi les facteurs où il y a le plus de coopération dans les entreprises ? Qu'est-ce qui fait que les endroits ont coopéré ?
- Speaker #0
Les entreprises ne tiennent pas s'il n'y a pas de coopération.
- Speaker #1
Oui mais tu as quand même des sociétés où tu as plus de conflits de personnes que d'autres.
- Speaker #0
Oui mais ce n'est pas pour ça qu'il n'y a pas de coopération. C'est-à-dire qu'en fait, le conflit, ça peut être une forme de coopération.
- Speaker #1
Ah ok.
- Speaker #0
Parce que le conflit, c'est ce qu'on appelle en sociologie, c'est ce qu'on appelle une épreuve, par exemple. C'est-à-dire que le conflit, c'est un moment où on va se jauger les uns les autres. Il n'y a pas de négociation sur le conflit.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Donc comme on dit que finalement la coopération ou l'organisation naît d'une négociation, d'un compromis, qui dit compromis dit négociation, en fait ce serait illusoire de penser que l'organisation ou la négociation naissent en conflit. Parce que le conflit c'est une épreuve, c'est une épreuve où on va se jauger les uns les autres. Les gens qui animent les relations sociales le savent très bien, c'est qu'en fait ça n'a rien de dramatique un conflit. C'est toujours très drôle à vivre peut-être, mais à partir du moment où on a compris que c'était la vie et c'était comme ça, c'est normal.
- Speaker #1
Donc finalement, le conflit, c'est normal. Le management, c'est du bricolage. C'est finalement un processus où on essaye, où on fait des erreurs, où on essaye des trucs qui parfois marchent, des fois ne marchent pas. Et c'est normal. C'est-à-dire que finalement, même un dirigeant dans une société, il peut appliquer la même recette à des moments différents de l'entreprise, avec des gens identiques. Ça peut ne pas toujours fonctionner de la même façon.
- Speaker #0
Oui, mais il y a quand même des facteurs de succès. Ah ! Il y a quand même des facteurs de succès. Premier facteur de succès, c'est que vis-à-vis d'un dirigeant ou d'un manager, ce que je dirais, c'est que 1. Vraiment prendre en compte que mon entreprise ne tient que parce qu'il y a de la coopération. Donc déjà, se dire plutôt que de voir les choses de façon négative entre guillemets, en disant il n'y a que du conflit, machin. Non, se dire je vais aller voir où il y a de la coopération et je serai bien surpris. et des fois ça peut même pas me faire plaisir parce que la coopération que je vais trouver c'est peut-être de la coopération qui va se jouer contre moi mais c'est de la coopération donc ça c'est la première chose donc c'est un signe de bonne santé de l'entreprise quand il y a de la coopération et ensuite se dire bon finalement je vais peut-être moi en tant que dirigeant d'entreprise aller essayer de mobiliser cet esprit de coopération et alors la coopération elle est basée sur quoi ? elle est basée sur une séquence à laquelle moi je tiens beaucoup qui est la séquence donner, recevoir, rendre alors cette séquence elle est pas de moi elle est de... notamment de Marcel Mauss, qui était le neveu d'Emile Durkheim, et qui a écrit un ouvrage qui s'appelle Essais sur le don Et là, c'est une anthropologie un peu positive. C'est une anthropologie positive. C'est-à-dire qu'on considère que, comme je disais, les organisations ne tiennent que par la coopération. Et ça, c'est vraiment... J'y crois beaucoup. Et donc, en tant que dirigeant, je vais aller voir finalement qu'est-ce qui se passe. Et cette séquence Données recevoir-rentes je vais me rendre compte que... Les gens donnent toujours un peu plus à l'entreprise, à leurs collègues, au travail, que ce qui est marqué dans leur fiche de poste. Et c'est parce qu'ils en donnent un peu plus que ça tient.
- Speaker #1
Donc il faut encourager la coopération.
- Speaker #0
En fait, on va l'encourager, je ne dirais pas ça, je pense à les voir vraiment identifier des moments de coopération et les mettre en lumière, les mettre en exergue. Vous voyez, vous croyez que rien ne va dans l'entreprise, qu'il y a du conflit partout, mais regardez très concrètement, là, ce que vous faites, c'est de la coopération et ça marche, parce qu'il y a cette séquence donner-recevoir-rendre. Et ça veut dire que pour un dirigeant, c'est presque comme une... Une méthode, c'est-à-dire est-ce que je fais ce qu'il faut pour faire en sorte que les gens puissent donner ce qu'ils ont à donner dans l'entreprise ? Est-ce que je leur donne les moyens ? Est-ce que je leur donne de l'espace, du temps pour donner ? C'est ça le travail empêché, souvent les gens souffrent du travail empêché parce qu'ils ne peuvent pas donner tout ce qu'ils ont envie de donner. Ensuite, est-ce que ce que les gens donnent, dans quelle mesure c'est reçu ? Ok. Et là... Moi, je suis dirigeant d'entreprise. Si j'ai un salarié qui donne à un autre service, comment l'autre service reçoit ? Ensuite, finalement, qu'est-ce qu'on rend en échange ? Est-ce qu'on rend de la gratification ? Est-ce qu'on rend de la reconnaissance ? Et là, je vais vraiment les mettre les pieds dans le plat. C'est-à-dire qu'on parle beaucoup de reconnaissance. Et là, je me mets aussi, je pourrais dire un manager ou un dirigeant. La reconnaissance est quelque chose de très bien construit, identifié en sociologie. Et depuis longtemps qu'on étudie l'histoire des relations sociales. La reconnaissance c'est trois choses, c'est trois registres. La première chose c'est la reconnaissance des affects et des besoins. Les gens ont besoin d'être reconnus comme des personnes qui ont des émotions. La deuxième chose, le deuxième registre de la reconnaissance, c'est la reconnaissance de l'utilité. Les gens sont heureux et font l'expérience d'un sentiment d'accomplissement à partir du moment où ils font quelque chose. qui est utile. En tout cas, on met en avant l'utilité de ce qu'ils ont fait. Et la troisième registre de la reconnaissance, c'est la reconnaissance des droits. Les gens ont des droits. Et donc, s'ils ne sont pas contents, ils ont le droit de dire qu'ils ne sont pas contents. S'ils veulent une augmentation de salaire, ils ont le droit de dire qu'ils veulent une augmentation de salaire. Et c'est ça, la reconnaissance. Donc, en tant que dirigeant, à partir du moment où...
- Speaker #1
On accepte tout ça.
- Speaker #0
Voilà, j'ai structuré un peu... mon entreprise pour, sur le donner, recevoir, rendre, ça permet de donner du sens à tout ce qu'on fait, à une organisation, ça donne du sens à un organigramme, ça donne du sens à un règlement intérieur, ça donne du sens à plein de choses. Et si j'ai fait ça et que d'autre part, j'ai sensibilisé notamment mon encadrement sur ce triple registre de la reconnaissance, c'est-à-dire en gros, je vais demander à mon manager, mais voilà... J'en reviens sur mon alternant tout à l'heure. Tu dis que tous les gens, ils n'ont pas envie de travailler parce que ton alternant. Mais quelle est la dernière fois que tu as reconnu à ton alternant le droit de se plaindre, par exemple ?
- Speaker #1
Non, ça, on évite de le faire quand même.
- Speaker #0
Oui, mais non, mais si, tu as le droit de te plaindre. Mais c'est le rôle du manager d'accueillir les plaintes. Alors après, de mettre les plaintes, d'encadrer les plaintes dans... un fonctionnement d'entreprise, c'est ce fameux donner, recevoir, rendre. S'il y a le moment pour la plainte, il y a le moment pour l'action.
- Speaker #1
Bon, on arrive à la fin de cet épisode qui est passionnant. J'ai bien compris qu'on n'allait pas traiter la socialisation des organisations en une heure, trois quarts d'heure, c'est impossible. Avant de conclure sur la promesse du podcast, comment on fait, Franck, pour prendre le pouvoir en entreprise en trois types ? C'est la socialisation pour les nuls.
- Speaker #0
La socialisation pour les nuls.
- Speaker #1
En trois types, trois phrases.
- Speaker #0
Oui, alors je vais répondre en mettant du point de vue de l'acteur. On est d'accord, l'acteur qui a des ressources et qui va mobiliser ses ressources dans les zones d'incertitude pour avoir du pouvoir. Premier tip, soyez vous-même et dites-le.
- Speaker #1
Ok, c'est quoi être soi-même ? Alors je ne vais pas rouvrir le tiroir. Ok, soyez vous-même et dites-le.
- Speaker #0
Dites-le parce que du coup, le fait de le verbaliser... Oui, c'est d'être authentique, c'est surtout de le dire, c'est-à-dire de le verbaliser. Et si votre entreprise et l'organisation dans laquelle vous êtes ne vous permet pas de dire les choses, il y a peut-être des questions à se poser et peut-être d'aller challenger votre organisation pour qu'elle laisse aussi droit à l'expression des uns et des autres. Ça, c'est le premier type. Deuxième type, c'est soyez vous-même et dites-le.
- Speaker #1
Tu vas me faire le coup trois fois.
- Speaker #0
Troisième tip, soyez vous-même et dites-le. Je crois beaucoup à la parole, à l'expression de la parole. Et ça, c'est... J'assume une position très politique aussi. Et quand je regarde les entreprises et les organisations et comment elles évoluent et comment elles essaient de se dépatouiller dans tout le faisceau de contraintes, d'opportunités et d'accélération des choses, comment on fait ? Moi, je crois beaucoup au collectif. Et je crois qu'un collectif qui fonctionne, c'est un collectif où les gens... Pour moi, un fonds collectif, il fonctionne. Il faut trois principes. Et là-dessus, je suis très... Et ce n'est pas la conclusion. Voilà, la conclusion. Premier principe, c'est un principe d'ouverture. C'est que toutes les personnes qui sont concernées par ce qui se passe dans l'entreprise ont le droit de s'exprimer et elles peuvent s'exprimer. Elles doivent pouvoir s'exprimer. Elles doivent pouvoir s'exprimer. OK. Deuxième principe, c'est un principe d'égalité. C'est qu'à partir du moment où on va mettre sur la table une problématique, Toutes les personnes qui s'expriment, qui ont un intérêt à parler de cette problématique, chaque opinion va avoir la même valeur. Si j'ai une même problématique, la femme de ménage aura la même valeur que celle de l'actionnaire majoritaire.
- Speaker #1
Ce n'est pas que le DAF qui a le droit.
- Speaker #0
Exactement. À partir du moment où on est sur une problématique, par exemple, de je ne sais pas... C'est une condition, un principe d'égalité. Et le troisième principe qui est important, c'est que personne ne doit avoir de contraintes fortes à appliquer les règles du jeu ou les accords qu'on se donne. Et donc, du coup, on va consentir un minimum à participer à l'organisation. Et chacun va pouvoir se dire, bon, OK, je participe, j'ai bien conscience que je fais des compromis. Mais l'autre en face, il sait aussi que je fais des compromis et il reconnaît les compromis que je fais. Mais moi, en échange, je vais reconnaître les compromis.
- Speaker #1
Oui, c'est le principe de réalité.
- Speaker #0
C'est un principe de réciprocité. L'organisation, elle fonctionne sur le principe de réciprocité. Et d'ailleurs, le management, d'une manière générale, c'est la réciprocité.
- Speaker #1
Ça marche. Merci beaucoup, Franck, pour conclure la promesse de ce podcast. Je ne sais pas si tu le sais, c'est de repenser l'entreprise. Et même si tu nous as donné plein de conseils sur cette écoute, si tu devais donner juste le premier petit pas pour soi et pour les autres pour aller vers le mieux vivre en entreprise et repenser cette entreprise, qu'est-ce que tu pourrais nous dire de façon...
- Speaker #0
Le propre d'une entreprise, c'est qu'on n'est jamais tout seul. Donc moi, ce que je dis souvent à des managers, je leur dis souvent, la première chose que je leur dis, c'est pour manager, il faut être deux. Un manager, un manager. Donc, ça veut dire qu'à un moment donné, il est quand même obligé de se mettre autour, de se dire comment on a envie de travailler ensemble. Ça, c'est quand même un préalable. Voilà. Donc,
- Speaker #1
ce serait quoi le premier petit pas ?
- Speaker #0
C'est de poser la question à son collègue. Comment est-ce que tu souhaites qu'on travaille ensemble ?
- Speaker #1
Super. Merci beaucoup. Et à bientôt sur Psyboulot. C'est la fin de cet épisode. Merci de nous avoir écoutés. Si vous souhaitez nous soutenir, pensez à vous abonner et à nous mettre 5 étoiles. Avant de vous quitter, je vous donne rendez-vous sur ma page LinkedIn ou sur le compte Instagram de Psyboulot. Si vous souhaitez échanger, me suggérer des invités et même venir témoigner à mon micro. A très vite sur Psyboulot.