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Quae Vox : paroles de sciences

CONFÉRENCE – Michel Badré - Expertises, débats publics : quels enjeux pour la démocratie ? (1/3)

CONFÉRENCE – Michel Badré - Expertises, débats publics : quels enjeux pour la démocratie ? (1/3)

19min |16/09/2025
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Description

Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Sciences en questions vous proposent de découvrir la conférence « Expertises, débats publics : quels enjeux pour la démocratie ? », animée par Michel Badré. Il nous présente dans ce premier volet son parcours et nous explique en quoi consiste l’Autorité environnementale.


Quae Vox : paroles de sciences, un podcast des éditions Quae.

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Transcription

  • Speaker #0

    Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Sciences en Questions vous proposent de découvrir la conférence "Expertise, Débat public, Quels enjeux pour la démocratie ?" animée par Michel Badré. Il nous présente dans ce premier volet son parcours et nous explique en quoi consiste l'autorité environnementale.

  • Speaker #1

    Mon métier c'était et c'est toujours d'être forestier. C'est un métier technique. Je l'avais choisi, j'ai aimé le faire et je suis toujours attaché. La deuxième dominante, c'est le sujet environnement. Alors, il y a des gens qui arrivent à être forestiers sans s'intéresser trop à l'environnement, mais ils sont de plus en plus rares quand même. Et puis, une troisième dominante, c'est le service public. Raphaël l'a dit aussi, j'avais un peu ça dans mes chromosomes. Contrairement à d'autres gens avec qui je suis par ailleurs très ami, je n'ai jamais eu la tentation de dire, tiens, je pourrais peut-être partir chez un papetier. ou chez je ne sais pas qui d'autre, qui me paierait peut-être beaucoup mieux pour faire la même chose. Je trouvais que j'étais bien payé, je n'avais pas de problème de ce côté-là. Et donc le fait de rester dans un organisme public ou dans plusieurs organismes publics, comme Raphaël l'a dit, c'est quelque chose à quoi j'ai toujours été attaché. Et puis il s'est greffé là-dessus un certain nombre d'expériences qui sont venues un peu au hasard. Je pense que ça ressortait aussi de la présentation de Raphaël. Autant les choix de départ, il y avait des aspects génétiques, il y avait d'autres aspects de choix personnels. Autant toutes les expériences qui se sont accumulées, elles sont presque toutes venues sans que j'ai rien fait pour ça. Les tempêtes de 99, je vous le jure, j'avais rien fait pour ça. Mais c'était une expérience très forte, Raphaël l'a dit, à la fois technique. d'organisation parce que Myriam Legay pourrait le dire comme moi, il y a beaucoup de forêts qui ont été détruites, mais il y a aussi l'ONF lui-même qui a pris quand même un sérieux coup dans cette affaire. Et le fait de voir comment on redémarre après, qu'est-ce qu'on fait pour que 10 000 personnes dont le travail a été complètement bouleversé arrivent à retrouver un sens à ce qu'ils font, c'est quelque chose qui n'est pas totalement simple. Donc ça, c'est venu comme ça. Ensuite, l'autorité environnementale, Raphaël en a parlé, c'était une expérience très forte. J'y reviendrai dans un moment sur les caractéristiques particulières. Au CESE, le Conseil économique, social et environnemental, on apprend beaucoup de choses. En vue de l'extérieur, c'est un machin dont on ne sait pas très bien ce qu'il produit. le seul fait qu'il y ait là-dedans des représentants des syndicats, des représentants des organisations professionnelles, des représentants des ONG, et que tout ce monde-là... discute en se connaissant, en allant au fond des sujets, en n'étant pas sous le feu des médias. Il n'y a pas des journalistes toutes les cinq minutes pour nous demander ce qu'on est en train de faire. Et ça apporte une certaine sérénité. Ça permet d'approfondir des sujets avec des gens qui n'ont pas a priori les mêmes idées. Et ça en soi, c'est intéressant. Alors je vous parlerai de Notre-Dame-des-Landes, je n'insiste pas plus maintenant. C3E4, c'est un jargon tout à fait interne à l'organisme en question, c'est le Comité Consultatif Commun d'Ethique à quatre organismes qui sont INRAE, IFREMER, IRD et CIRAD, que je préside maintenant depuis un an à la suite du décès d'Axel Kahn, qui en était le précédent président. Et puis les déchets nucléaires, j'en reparlerai aussi. Donc tout ça, c'est des expériences qui se sont accumulées. qui n'ont pas changé mon métier de base. Je le vois très bien, on l'a vu à l'occasion de ReGeFor l'année dernière. Un métier de base, c'est un truc dans lequel on se sent à l'aise quand on discute avec d'autres gens, parce qu'on comprend très vite de quoi ils parlent. Alors que quand je parle des déchets nucléaires, ce n'est pas mon métier de base. Il me faut un effort pour rentrer dans le sujet, ce n'est pas pareil. Notre-Dame-des-Landes, c'était pareil. Et je pense que cette distinction, on a une formation initiale, on a des choses qu'on a acquises. et qui vous mettent de plein pied avec certains sujets, pas avec d'autres, ça n'empêche pas de s'y intéresser et d'espérer participer. Alors le fil conducteur de tout ça, je me suis permis, sans avoir demandé la licence, de reprendre le titre de la revue Nature, Sciences, Société. Quand je réfléchis à posteriori, je crois que le point commun de tout ça, c'est bien l'articulation Nature, Sciences, Société. Et il y a une vraie signification là-derrière. J'avais promis une citation, cette citation elle est d'une personne dont je ne sais même pas le nom, mais j'en ai parlé à Raphaël quand on a présenté cette séance. Il a évoqué tout à l'heure le débat public sur les transports qui a eu lieu en 2006 et qui a été ma première expérience de participation à un débat public. Et au cours d'une des séances de ce débat, dans un amphi où il y avait un peu plus de monde qu'ici, il devait y avoir une centaine de personnes à peu près. C'était un soir après le dîner. Moi, j'étais une des quatre personnes qui étaient à la tribune. Les trois autres, je représentais le ministère de l'Environnement dans ce débat. Et il y avait le directeur départemental de l'équipement. Ça existait encore à l'époque. Il y avait un élu qui était un représentant du conseil général du département et puis il y avait un président d'association locale d'environnement. Et on n'avait pas très bien préparé la séance, le débat ne se déroulait pas très bien, on pédalait un peu dans le vide, on sentait très bien dans un amphi avec 100 personnes si les choses se passaient bien ou pas. Et là, elles ne se passaient pas bien et on le sentait. Et au bout d'à peu près une heure, il y a une dame au fond qui s'est levée, elle était manifestement très fâchée. Elle n'a pas eu besoin qu'on lui apporte le micro parce qu'on entendait très bien ce qu'elle disait. Elle a dit « Écoutez, arrêtez, j'en ai marre, je ne comprends rien à ce que vous dites. Deuxièmement, je comprends que vous quatre, vous vous parlez tout le temps entre vous et vous ne nous parlez pas à nous. Et puis troisièmement, tout ça, ça n'a pas de cœur. » Elle a plié ses affaires et elle est partie. C'était il y a 16 ans, je m'en souviens comme si c'était hier, et j'y ai repensé extrêmement souvent dans tout ce qu'on a fait après. En disant, mais est-ce qu'on se parle entre nous, est-ce qu'on parle aux autres, et puis est-ce que ça a du cœur ce qu'on est en train de dire ? Finalement, c'est une bonne question. Je pense qu'il y avait une signification profonde là-dedans. J'y reviendrai tout à l'heure en conclusion. Je vais vous passer en revue maintenant deux ou trois de ces expériences, en vous disant à chaque fois, vous avez dû le comprendre dans la présentation de Raphaël, moi je n'avais pas du tout de formation théorique, conceptuelle, qu'est-ce que c'est que la discussion démocratique avec le public, initié ou pas initié, comment il faut faire. Moi j'ai vraiment appris tout ça en ayant les mains dans le cambouis, ou les pieds dans la glaise, je n'en sais rien, mais enfin de façon pratique, expérimentale, et pas du tout de façon conceptuelle, alors qu'il y a plein de littérature là-dessus. Et la littérature, j'en ai lu aussi après coup, c'est intéressant, mais c'est un peu autre chose. Moi, ce dont je vous parle, c'est vraiment des choses tirées de l'expérience pratique. Donc, premier point, l'autorité environnementale, Raphaël a dit brièvement ce que c'était, c'est un groupe d'experts, une quinzaine, de spécialités techniques diverses. Comme le but c'est d'apprécier la prise en compte de l'environnement par les porteurs de projets, on s'arrange pour que dans ce groupe, il y ait des gens qui représentent les différents secteurs de l'environnement. Il y a des spécialistes de risque industriel, des spécialistes de qualité des eaux, de pollution de l'air, de biodiversité, etc. On essaye à l'occasion de chaque renouvellement de maintenir cet équilibre. Mais ce qui est important, c'est que, alors au départ, ça a été créé de façon assez laborieuse. Avec beaucoup de retard, comme d'habitude, parce que c'était la transcription d'une directive européenne qui prévoyait depuis très longtemps, depuis 1985, l'autorité environnementale a été créée en 2009, donc ça n'a mis que 24 ans pour mettre le truc en place, et ça a fini par se mettre en place, qui prévoyait que les évaluations faites par les porteurs de projets, les évaluations d'impacts environnementaux, devaient être soumises à quelqu'un d'autre qui était indépendant, qui n'était pas le porteur de projet et qui n'était pas non plus celui qui prend la décision d'autorisation après. Donc c'est vraiment le regard d'un tiers sur le projet en n'ayant surtout pas de lien, de lien d'intérêt ou de lien quel qu'il soit avec le porteur de projet ou avec celui qui décide. Donc ça a mis très longtemps à se mettre en place. Ça s'est quand même fait parce qu'il y avait des directives européennes, quand il y a des directives il y a des risques de recours, il y avait eu des recours, il y avait eu des contentieux, la France avait été condamnée deux ou trois fois et donc elle a fini par faire ce qu'il fallait faire, à savoir instituer ce dispositif d'évaluation externe des projets. Raphaël l'a dit, c'était très intéressant d'être là-dedans, parce que créer un truc à partir de rien, en disant comment on va faire, on a la première séance, les 15 premiers, on a passé une journée à blanc avant d'avoir eu le premier avis à rendre en disant comment on va faire, qu'est-ce qu'on va adopter comme méthode de travail quand on va nous fournir un dossier de projet, une ligne à grande vitesse ou n'importe quoi, par quel bout on va prendre ça. Et on a fabriqué notre règlement intérieur, on s'est posé des questions du genre comment on fera quand on ne sera pas d'accord entre nous, ça va sûrement arriver qu'on ne soit pas d'accord entre nous, comment on fera ? qui l'emportera sur qui ? Et puis, est-ce qu'à chaque fois, on choisira des rapporteurs qui soumettront leurs avis aux autres ? Donc, on a bâti toute notre méthode à blanc avant d'avoir rendu le premier avis. Et puis ensuite, on l'a perfectionné au cours des temps. J'y ai passé cinq ans, on a quand même fait 400 avis en cinq ans. Donc, ça donne l'occasion. de se faire la main et puis d'adapter un peu cette méthode. Et ça a conduit à dire, et ça j'anticipe sur des choses qu'on reverra, par exemple à propos de Notre-Dame-des-Landes, ça a conduit à dire qu'il y a quelques idées simples qui sont importantes pour que tout ça garde du sens. La première idée, c'est la collégialité. Faire un avis à 15 ou faire un avis tout seul, c'est pas du tout pareil, même si les 15 ont certes, j'ai dit qu'on avait des spécialités techniques différentes, mais il y avait quand même des traits communs dans la culture, si je peux dire. C'était souvent des gens issus de la technocratie, pour faire simple. Mais ça n'empêche pas que le fait de mettre ensemble des gens qui n'ont pas le même regard et pas la même approche, ça apporte des choses. Et moi, il m'est arrivé souvent, étant président de cette instance pendant cinq ans, d'être contacté par un maître d'ouvrage qui dit « Tiens, moi j'ai un projet sur tel truc, qu'est-ce que vous en pensez ? » Et j'avais adopté le réflexe qui était très simple pour moi de dire moi j'en pense rien. Mais si vous voulez savoir ce que nous en pensons à 15, vous nous envoyez un truc et on vous répondra. Et c'est pas du tout la même chose. Une fois que les gens ont compris qu'on fonctionnait comme ça, ça change un peu. Le deuxième point de vue, c'est l'indépendance. Alors, comme je vous l'ai dit, l'origine de la création de ce truc, c'était qu'elle était indépendante du maître d'ouvrage et indépendante de celui qui décide après. Et on dit, ça veut dire quoi, être indépendant ? Il y en a sûrement pas mal parmi vous qui ont fait de l'expertise ou qui ont rendu des avis sur des sujets. Moi, ce dont je suis convaincu, à l'âge avancé auquel je suis arrivé, c'est que l'indépendance n'existe pas. On est toujours dépendant d'un tas de choses. On a travaillé avec d'autres gens, on s'est formés, on a eu des liens d'amitié avec des gens, parfois des liens de financement de projets, des choses comme ça. Tout ça, ça existe, on n'a pas de raison de le nier. En revanche, d'abord le fait de les rendre publics, donc la publication des liens d'intérêt, c'est très important. Le fait de ne pas participer, de se déporter quand il y a un sujet dans lequel on est vraiment personnellement intéressé. Et ça, on a écrit dans le règlement intérieur de l'autorité environnementale que quand on était directement concerné par un projet, on ne participait pas au débat. Et vous pouvez, en allant sur son site, regarder les avis de l'autorité environnementale. Encore maintenant, dans un avis sur deux ou trois, il y a la liste des membres qui n'ont pas participé à l'avis en application de l'article machin du règlement intérieur. C'est celui qui parle des liens d'intérêt et c'est appliqué régulièrement et systématiquement. Moi je vous ai dit qu'on avait vu 400 avis pendant que j'y étais. Il doit y en avoir une quinzaine auxquelles je n'ai pas participé parce qu'il y avait des liens entre les projets. Je vous cite à titre anecdotique, on a rendu un avis sur une ligne à haute tension qui passait à 500 mètres de la petite commune des Hautes-Alpes dans laquelle une maison. Je n'ai pas participé à la délibération de ce jour-là. Même si mes collègues venaient me dire « mais tu ne pourrais pas nous filer des photos de cette ligne ? » parce qu'on ne comprend pas très bien le sujet. Je disais « non, non, vous allez voir si vous voulez, mais je ne vous passerai pas de photos. » Ensuite, un autre point vraiment important, c'est la publicité immédiate des avis. Le fait que dès qu'on rend un avis, on le rend public pour qu'on puisse dire que de toute façon personne n'est venu après nous dire « Tiens, mais finalement, votre avis n'est pas tout à fait bien, vous auriez pu écrire ça un peu différemment. » Je dis « Désolé, c'est trop tard, il est déjà sur Internet. » Quand je dis « publication immédiate » , depuis 12 ans, 13 ans que l'autorité environnementale existe, je l'ai vérifié avec mon successeur il y a quelques jours, il n'y a pas un avis sur lequel on a mis plus d'une demi-journée avant qu'il soit publié sur Internet. Donc c'est vraiment tout de suite. Et ça aussi, ça donne une certaine habitude, ça donne une certaine exigence interne. Quand on délibère à 15, qu'on s'interroge sur un point et qu'on sait que de toute façon, l'avis sera sur Internet tout de suite et qu'on pourra difficilement le rectifier trois jours après en disant « tiens, on a fait une erreur » , ça oblige à réfléchir à deux fois avant d'écrire. Donc c'est très pédagogiquement en formateur. Et puis, je reviens à ma citation de tout à l'heure, le fait de s'habituer dans nos avis à ne pas parler entre nous et à ne pas parler uniquement aux maîtres d'ouvrage, mais à parler aussi à la société. Vous verrez, on prend des types de langage quand on rédige les avis. Il nous est arrivé très souvent dans les avis d'écrire "on recommande aux maîtres d'ouvrage pour une meilleure information de la société, de modifier le paragraphe numéro tant parce qu'il est incompréhensible", ou quelque chose de ce genre. On l'a fait assez souvent et c'était cette préoccupation-là. Là-dedans aussi, qu'est-ce qui a marché, qu'est-ce qui n'a pas marché, je reviendrai dans ma conclusion là-dessus. Quand on présente ce qu'on a fait dans sa longue carrière, on a tendance évidemment à insister lourdement sur ce qui a très bien marché et de passer un peu plus vite sur ce qui n'a pas été très glorieux. Là, je pense qu'il y a des choses qui ont objectivement bien marché. Moi je l'ai senti pendant les cinq ans où j'y étais, et là aussi avec mon successeur avec qui je m'entends très bien, on a souvent discuté. Le contact avec les maîtres d'ouvrage a vraiment fait progresser les choses. C'est-à-dire on avait au début des dossiers où le maître d'ouvrage avec ses bureaux d'études nous envoie un truc en disant « bon débrouillez-vous avec ça, c'est pas grave » . Et peu à peu, à force de discuter, à force de lire les choses sur lesquelles on répétait 50 fois qu'il y a des choses qui ne vont pas et qu'il faut aller faire différemment. En particulier avec les maîtres d'ouvrage récurrents, je pense SNCF Réseau qui était un maître d'ouvrage qui nous fournissait régulièrement tous les ans un certain nombre de projets. On arrive à prendre des habitudes et à ce que ce soit des habitudes réciproques, c'est-à-dire que peu à peu on arrive à des progrès dans la conception des projets, ce qui est quand même le but du jeu. Raphaël l'a dit tout à l'heure, il y a un certain nombre de projets sur lesquels, à la suite de notre avis, ils ont été profondément revus. Quelques autres, pas un grand nombre, mais quelques-uns sur lesquels on souhaitait qu'ils soient profondément revus, et ils ne l'ont pas été. Bon, c'est très dommage, on ne gagne pas à tous les coups, mais c'est un fait. Alors ça conduit certains à se dire, et puis j'arrêterai là pour l'autorité environnementale, j'ai entendu souvent des gens me dire, ou nous dire, collégialement, écoutez, votre machin c'est très bien, vous nous expliquez que vous faites des trucs remarquables. que vous avez convaincu les maîtres d'ouvrage, bravo, pourquoi est-ce que vous n'arrivez pas à obtenir que vos avis soient plus contraignants, que les maîtres d'ouvrage soient obligés de les suivre ? Et moi j'ai toujours été très réticent, et je l'ai dit, j'ai même été opposé à ce qu'on essaye d'introduire des formules de ce genre, en disant je pense que ce serait une erreur, parce que ce serait de la technocratie à l'état pur. Il n'y a pas de raison qu'un groupe de 15 personnes, quelle que soit la qualité de leur expérience passée, leur méthode collégiale, leur indépendance d'esprit et toutes ces belles choses, soit habilité à planter un projet en disant « il n'est pas bon » ou au contraire à le porter sur au nu en disant « ce projet il est très bien, il faut le faire » . C'est pour ça aussi qu'on avait décidé dès le début de ne jamais conclure nos avis par un avis favorable ou défavorable. On ne conclut jamais nos avis comme ça. On dit, on a des recommandations. Alors, ces recommandations peuvent être assez sévères. Il y a deux ou trois avis, j'en ai cité des exemples à Raphaël quand on préparait, sur lesquels on a été amené à dire qu'on recommandait au maître d'ouvrage de ne pas aller au stade de l'enquête publique avec son dossier tel qu'il était. Ce qui revient à dire à peu près que le dossier n'est vraiment pas bon. Ça n'empêche que si le maître d'ouvrage a envie d'y aller quand même, il peut. Et que j'aurais trouvé pour ma part très malsain qu'on dise qu'effectivement c'est un avis contraignant et que le maître d'ouvrage est obligé de faire ce qu'on dit. Je pense que ça perdrait beaucoup. Alors ce qui se passe en ce moment, il y a eu déjà quelques contentieux sur lesquels des gens qui critiquent une décision prise, une déclaration d'utilité publique, par exemple, prise à l'appui d'une demande d'un maître d'ouvrage avec un avis très critique de l'autorité environnementale, que la décision soit cassée par le tribunal administratif pour erreur d'appréciation en s'appuyant sur l'avis de l'AE. Ça, ça existe, il y en a trois ou quatre exemples actuellement, il pourrait y en avoir de plus en plus. Mais ça, à mon avis, ça suffit. Il ne faut pas aller plus loin, sinon on tombe dans la technocratie. Et moi, en tant que plongé dans la marmite techno depuis que je suis tout petit, je trouve que ce serait une mauvaise chose de dire que c'est un groupe d'experts qui doit décider s'il faut faire un avis ou s'il ne faut pas le faire.

  • Speaker #0

    Vous venez d'écouter un extrait de la conférence de Michel Badré sur les pratiques d'expertise et de dialogue avec le public. Retrouvez-la en vidéo dans son intégralité, sur le site de Sciences en questions et au format livre sous le titre « La démocratie environnementale face à la réalité » aux éditions Quae.

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Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Sciences en questions vous proposent de découvrir la conférence « Expertises, débats publics : quels enjeux pour la démocratie ? », animée par Michel Badré. Il nous présente dans ce premier volet son parcours et nous explique en quoi consiste l’Autorité environnementale.


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  • Speaker #0

    Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Sciences en Questions vous proposent de découvrir la conférence "Expertise, Débat public, Quels enjeux pour la démocratie ?" animée par Michel Badré. Il nous présente dans ce premier volet son parcours et nous explique en quoi consiste l'autorité environnementale.

  • Speaker #1

    Mon métier c'était et c'est toujours d'être forestier. C'est un métier technique. Je l'avais choisi, j'ai aimé le faire et je suis toujours attaché. La deuxième dominante, c'est le sujet environnement. Alors, il y a des gens qui arrivent à être forestiers sans s'intéresser trop à l'environnement, mais ils sont de plus en plus rares quand même. Et puis, une troisième dominante, c'est le service public. Raphaël l'a dit aussi, j'avais un peu ça dans mes chromosomes. Contrairement à d'autres gens avec qui je suis par ailleurs très ami, je n'ai jamais eu la tentation de dire, tiens, je pourrais peut-être partir chez un papetier. ou chez je ne sais pas qui d'autre, qui me paierait peut-être beaucoup mieux pour faire la même chose. Je trouvais que j'étais bien payé, je n'avais pas de problème de ce côté-là. Et donc le fait de rester dans un organisme public ou dans plusieurs organismes publics, comme Raphaël l'a dit, c'est quelque chose à quoi j'ai toujours été attaché. Et puis il s'est greffé là-dessus un certain nombre d'expériences qui sont venues un peu au hasard. Je pense que ça ressortait aussi de la présentation de Raphaël. Autant les choix de départ, il y avait des aspects génétiques, il y avait d'autres aspects de choix personnels. Autant toutes les expériences qui se sont accumulées, elles sont presque toutes venues sans que j'ai rien fait pour ça. Les tempêtes de 99, je vous le jure, j'avais rien fait pour ça. Mais c'était une expérience très forte, Raphaël l'a dit, à la fois technique. d'organisation parce que Myriam Legay pourrait le dire comme moi, il y a beaucoup de forêts qui ont été détruites, mais il y a aussi l'ONF lui-même qui a pris quand même un sérieux coup dans cette affaire. Et le fait de voir comment on redémarre après, qu'est-ce qu'on fait pour que 10 000 personnes dont le travail a été complètement bouleversé arrivent à retrouver un sens à ce qu'ils font, c'est quelque chose qui n'est pas totalement simple. Donc ça, c'est venu comme ça. Ensuite, l'autorité environnementale, Raphaël en a parlé, c'était une expérience très forte. J'y reviendrai dans un moment sur les caractéristiques particulières. Au CESE, le Conseil économique, social et environnemental, on apprend beaucoup de choses. En vue de l'extérieur, c'est un machin dont on ne sait pas très bien ce qu'il produit. le seul fait qu'il y ait là-dedans des représentants des syndicats, des représentants des organisations professionnelles, des représentants des ONG, et que tout ce monde-là... discute en se connaissant, en allant au fond des sujets, en n'étant pas sous le feu des médias. Il n'y a pas des journalistes toutes les cinq minutes pour nous demander ce qu'on est en train de faire. Et ça apporte une certaine sérénité. Ça permet d'approfondir des sujets avec des gens qui n'ont pas a priori les mêmes idées. Et ça en soi, c'est intéressant. Alors je vous parlerai de Notre-Dame-des-Landes, je n'insiste pas plus maintenant. C3E4, c'est un jargon tout à fait interne à l'organisme en question, c'est le Comité Consultatif Commun d'Ethique à quatre organismes qui sont INRAE, IFREMER, IRD et CIRAD, que je préside maintenant depuis un an à la suite du décès d'Axel Kahn, qui en était le précédent président. Et puis les déchets nucléaires, j'en reparlerai aussi. Donc tout ça, c'est des expériences qui se sont accumulées. qui n'ont pas changé mon métier de base. Je le vois très bien, on l'a vu à l'occasion de ReGeFor l'année dernière. Un métier de base, c'est un truc dans lequel on se sent à l'aise quand on discute avec d'autres gens, parce qu'on comprend très vite de quoi ils parlent. Alors que quand je parle des déchets nucléaires, ce n'est pas mon métier de base. Il me faut un effort pour rentrer dans le sujet, ce n'est pas pareil. Notre-Dame-des-Landes, c'était pareil. Et je pense que cette distinction, on a une formation initiale, on a des choses qu'on a acquises. et qui vous mettent de plein pied avec certains sujets, pas avec d'autres, ça n'empêche pas de s'y intéresser et d'espérer participer. Alors le fil conducteur de tout ça, je me suis permis, sans avoir demandé la licence, de reprendre le titre de la revue Nature, Sciences, Société. Quand je réfléchis à posteriori, je crois que le point commun de tout ça, c'est bien l'articulation Nature, Sciences, Société. Et il y a une vraie signification là-derrière. J'avais promis une citation, cette citation elle est d'une personne dont je ne sais même pas le nom, mais j'en ai parlé à Raphaël quand on a présenté cette séance. Il a évoqué tout à l'heure le débat public sur les transports qui a eu lieu en 2006 et qui a été ma première expérience de participation à un débat public. Et au cours d'une des séances de ce débat, dans un amphi où il y avait un peu plus de monde qu'ici, il devait y avoir une centaine de personnes à peu près. C'était un soir après le dîner. Moi, j'étais une des quatre personnes qui étaient à la tribune. Les trois autres, je représentais le ministère de l'Environnement dans ce débat. Et il y avait le directeur départemental de l'équipement. Ça existait encore à l'époque. Il y avait un élu qui était un représentant du conseil général du département et puis il y avait un président d'association locale d'environnement. Et on n'avait pas très bien préparé la séance, le débat ne se déroulait pas très bien, on pédalait un peu dans le vide, on sentait très bien dans un amphi avec 100 personnes si les choses se passaient bien ou pas. Et là, elles ne se passaient pas bien et on le sentait. Et au bout d'à peu près une heure, il y a une dame au fond qui s'est levée, elle était manifestement très fâchée. Elle n'a pas eu besoin qu'on lui apporte le micro parce qu'on entendait très bien ce qu'elle disait. Elle a dit « Écoutez, arrêtez, j'en ai marre, je ne comprends rien à ce que vous dites. Deuxièmement, je comprends que vous quatre, vous vous parlez tout le temps entre vous et vous ne nous parlez pas à nous. Et puis troisièmement, tout ça, ça n'a pas de cœur. » Elle a plié ses affaires et elle est partie. C'était il y a 16 ans, je m'en souviens comme si c'était hier, et j'y ai repensé extrêmement souvent dans tout ce qu'on a fait après. En disant, mais est-ce qu'on se parle entre nous, est-ce qu'on parle aux autres, et puis est-ce que ça a du cœur ce qu'on est en train de dire ? Finalement, c'est une bonne question. Je pense qu'il y avait une signification profonde là-dedans. J'y reviendrai tout à l'heure en conclusion. Je vais vous passer en revue maintenant deux ou trois de ces expériences, en vous disant à chaque fois, vous avez dû le comprendre dans la présentation de Raphaël, moi je n'avais pas du tout de formation théorique, conceptuelle, qu'est-ce que c'est que la discussion démocratique avec le public, initié ou pas initié, comment il faut faire. Moi j'ai vraiment appris tout ça en ayant les mains dans le cambouis, ou les pieds dans la glaise, je n'en sais rien, mais enfin de façon pratique, expérimentale, et pas du tout de façon conceptuelle, alors qu'il y a plein de littérature là-dessus. Et la littérature, j'en ai lu aussi après coup, c'est intéressant, mais c'est un peu autre chose. Moi, ce dont je vous parle, c'est vraiment des choses tirées de l'expérience pratique. Donc, premier point, l'autorité environnementale, Raphaël a dit brièvement ce que c'était, c'est un groupe d'experts, une quinzaine, de spécialités techniques diverses. Comme le but c'est d'apprécier la prise en compte de l'environnement par les porteurs de projets, on s'arrange pour que dans ce groupe, il y ait des gens qui représentent les différents secteurs de l'environnement. Il y a des spécialistes de risque industriel, des spécialistes de qualité des eaux, de pollution de l'air, de biodiversité, etc. On essaye à l'occasion de chaque renouvellement de maintenir cet équilibre. Mais ce qui est important, c'est que, alors au départ, ça a été créé de façon assez laborieuse. Avec beaucoup de retard, comme d'habitude, parce que c'était la transcription d'une directive européenne qui prévoyait depuis très longtemps, depuis 1985, l'autorité environnementale a été créée en 2009, donc ça n'a mis que 24 ans pour mettre le truc en place, et ça a fini par se mettre en place, qui prévoyait que les évaluations faites par les porteurs de projets, les évaluations d'impacts environnementaux, devaient être soumises à quelqu'un d'autre qui était indépendant, qui n'était pas le porteur de projet et qui n'était pas non plus celui qui prend la décision d'autorisation après. Donc c'est vraiment le regard d'un tiers sur le projet en n'ayant surtout pas de lien, de lien d'intérêt ou de lien quel qu'il soit avec le porteur de projet ou avec celui qui décide. Donc ça a mis très longtemps à se mettre en place. Ça s'est quand même fait parce qu'il y avait des directives européennes, quand il y a des directives il y a des risques de recours, il y avait eu des recours, il y avait eu des contentieux, la France avait été condamnée deux ou trois fois et donc elle a fini par faire ce qu'il fallait faire, à savoir instituer ce dispositif d'évaluation externe des projets. Raphaël l'a dit, c'était très intéressant d'être là-dedans, parce que créer un truc à partir de rien, en disant comment on va faire, on a la première séance, les 15 premiers, on a passé une journée à blanc avant d'avoir eu le premier avis à rendre en disant comment on va faire, qu'est-ce qu'on va adopter comme méthode de travail quand on va nous fournir un dossier de projet, une ligne à grande vitesse ou n'importe quoi, par quel bout on va prendre ça. Et on a fabriqué notre règlement intérieur, on s'est posé des questions du genre comment on fera quand on ne sera pas d'accord entre nous, ça va sûrement arriver qu'on ne soit pas d'accord entre nous, comment on fera ? qui l'emportera sur qui ? Et puis, est-ce qu'à chaque fois, on choisira des rapporteurs qui soumettront leurs avis aux autres ? Donc, on a bâti toute notre méthode à blanc avant d'avoir rendu le premier avis. Et puis ensuite, on l'a perfectionné au cours des temps. J'y ai passé cinq ans, on a quand même fait 400 avis en cinq ans. Donc, ça donne l'occasion. de se faire la main et puis d'adapter un peu cette méthode. Et ça a conduit à dire, et ça j'anticipe sur des choses qu'on reverra, par exemple à propos de Notre-Dame-des-Landes, ça a conduit à dire qu'il y a quelques idées simples qui sont importantes pour que tout ça garde du sens. La première idée, c'est la collégialité. Faire un avis à 15 ou faire un avis tout seul, c'est pas du tout pareil, même si les 15 ont certes, j'ai dit qu'on avait des spécialités techniques différentes, mais il y avait quand même des traits communs dans la culture, si je peux dire. C'était souvent des gens issus de la technocratie, pour faire simple. Mais ça n'empêche pas que le fait de mettre ensemble des gens qui n'ont pas le même regard et pas la même approche, ça apporte des choses. Et moi, il m'est arrivé souvent, étant président de cette instance pendant cinq ans, d'être contacté par un maître d'ouvrage qui dit « Tiens, moi j'ai un projet sur tel truc, qu'est-ce que vous en pensez ? » Et j'avais adopté le réflexe qui était très simple pour moi de dire moi j'en pense rien. Mais si vous voulez savoir ce que nous en pensons à 15, vous nous envoyez un truc et on vous répondra. Et c'est pas du tout la même chose. Une fois que les gens ont compris qu'on fonctionnait comme ça, ça change un peu. Le deuxième point de vue, c'est l'indépendance. Alors, comme je vous l'ai dit, l'origine de la création de ce truc, c'était qu'elle était indépendante du maître d'ouvrage et indépendante de celui qui décide après. Et on dit, ça veut dire quoi, être indépendant ? Il y en a sûrement pas mal parmi vous qui ont fait de l'expertise ou qui ont rendu des avis sur des sujets. Moi, ce dont je suis convaincu, à l'âge avancé auquel je suis arrivé, c'est que l'indépendance n'existe pas. On est toujours dépendant d'un tas de choses. On a travaillé avec d'autres gens, on s'est formés, on a eu des liens d'amitié avec des gens, parfois des liens de financement de projets, des choses comme ça. Tout ça, ça existe, on n'a pas de raison de le nier. En revanche, d'abord le fait de les rendre publics, donc la publication des liens d'intérêt, c'est très important. Le fait de ne pas participer, de se déporter quand il y a un sujet dans lequel on est vraiment personnellement intéressé. Et ça, on a écrit dans le règlement intérieur de l'autorité environnementale que quand on était directement concerné par un projet, on ne participait pas au débat. Et vous pouvez, en allant sur son site, regarder les avis de l'autorité environnementale. Encore maintenant, dans un avis sur deux ou trois, il y a la liste des membres qui n'ont pas participé à l'avis en application de l'article machin du règlement intérieur. C'est celui qui parle des liens d'intérêt et c'est appliqué régulièrement et systématiquement. Moi je vous ai dit qu'on avait vu 400 avis pendant que j'y étais. Il doit y en avoir une quinzaine auxquelles je n'ai pas participé parce qu'il y avait des liens entre les projets. Je vous cite à titre anecdotique, on a rendu un avis sur une ligne à haute tension qui passait à 500 mètres de la petite commune des Hautes-Alpes dans laquelle une maison. Je n'ai pas participé à la délibération de ce jour-là. Même si mes collègues venaient me dire « mais tu ne pourrais pas nous filer des photos de cette ligne ? » parce qu'on ne comprend pas très bien le sujet. Je disais « non, non, vous allez voir si vous voulez, mais je ne vous passerai pas de photos. » Ensuite, un autre point vraiment important, c'est la publicité immédiate des avis. Le fait que dès qu'on rend un avis, on le rend public pour qu'on puisse dire que de toute façon personne n'est venu après nous dire « Tiens, mais finalement, votre avis n'est pas tout à fait bien, vous auriez pu écrire ça un peu différemment. » Je dis « Désolé, c'est trop tard, il est déjà sur Internet. » Quand je dis « publication immédiate » , depuis 12 ans, 13 ans que l'autorité environnementale existe, je l'ai vérifié avec mon successeur il y a quelques jours, il n'y a pas un avis sur lequel on a mis plus d'une demi-journée avant qu'il soit publié sur Internet. Donc c'est vraiment tout de suite. Et ça aussi, ça donne une certaine habitude, ça donne une certaine exigence interne. Quand on délibère à 15, qu'on s'interroge sur un point et qu'on sait que de toute façon, l'avis sera sur Internet tout de suite et qu'on pourra difficilement le rectifier trois jours après en disant « tiens, on a fait une erreur » , ça oblige à réfléchir à deux fois avant d'écrire. Donc c'est très pédagogiquement en formateur. Et puis, je reviens à ma citation de tout à l'heure, le fait de s'habituer dans nos avis à ne pas parler entre nous et à ne pas parler uniquement aux maîtres d'ouvrage, mais à parler aussi à la société. Vous verrez, on prend des types de langage quand on rédige les avis. Il nous est arrivé très souvent dans les avis d'écrire "on recommande aux maîtres d'ouvrage pour une meilleure information de la société, de modifier le paragraphe numéro tant parce qu'il est incompréhensible", ou quelque chose de ce genre. On l'a fait assez souvent et c'était cette préoccupation-là. Là-dedans aussi, qu'est-ce qui a marché, qu'est-ce qui n'a pas marché, je reviendrai dans ma conclusion là-dessus. Quand on présente ce qu'on a fait dans sa longue carrière, on a tendance évidemment à insister lourdement sur ce qui a très bien marché et de passer un peu plus vite sur ce qui n'a pas été très glorieux. Là, je pense qu'il y a des choses qui ont objectivement bien marché. Moi je l'ai senti pendant les cinq ans où j'y étais, et là aussi avec mon successeur avec qui je m'entends très bien, on a souvent discuté. Le contact avec les maîtres d'ouvrage a vraiment fait progresser les choses. C'est-à-dire on avait au début des dossiers où le maître d'ouvrage avec ses bureaux d'études nous envoie un truc en disant « bon débrouillez-vous avec ça, c'est pas grave » . Et peu à peu, à force de discuter, à force de lire les choses sur lesquelles on répétait 50 fois qu'il y a des choses qui ne vont pas et qu'il faut aller faire différemment. En particulier avec les maîtres d'ouvrage récurrents, je pense SNCF Réseau qui était un maître d'ouvrage qui nous fournissait régulièrement tous les ans un certain nombre de projets. On arrive à prendre des habitudes et à ce que ce soit des habitudes réciproques, c'est-à-dire que peu à peu on arrive à des progrès dans la conception des projets, ce qui est quand même le but du jeu. Raphaël l'a dit tout à l'heure, il y a un certain nombre de projets sur lesquels, à la suite de notre avis, ils ont été profondément revus. Quelques autres, pas un grand nombre, mais quelques-uns sur lesquels on souhaitait qu'ils soient profondément revus, et ils ne l'ont pas été. Bon, c'est très dommage, on ne gagne pas à tous les coups, mais c'est un fait. Alors ça conduit certains à se dire, et puis j'arrêterai là pour l'autorité environnementale, j'ai entendu souvent des gens me dire, ou nous dire, collégialement, écoutez, votre machin c'est très bien, vous nous expliquez que vous faites des trucs remarquables. que vous avez convaincu les maîtres d'ouvrage, bravo, pourquoi est-ce que vous n'arrivez pas à obtenir que vos avis soient plus contraignants, que les maîtres d'ouvrage soient obligés de les suivre ? Et moi j'ai toujours été très réticent, et je l'ai dit, j'ai même été opposé à ce qu'on essaye d'introduire des formules de ce genre, en disant je pense que ce serait une erreur, parce que ce serait de la technocratie à l'état pur. Il n'y a pas de raison qu'un groupe de 15 personnes, quelle que soit la qualité de leur expérience passée, leur méthode collégiale, leur indépendance d'esprit et toutes ces belles choses, soit habilité à planter un projet en disant « il n'est pas bon » ou au contraire à le porter sur au nu en disant « ce projet il est très bien, il faut le faire » . C'est pour ça aussi qu'on avait décidé dès le début de ne jamais conclure nos avis par un avis favorable ou défavorable. On ne conclut jamais nos avis comme ça. On dit, on a des recommandations. Alors, ces recommandations peuvent être assez sévères. Il y a deux ou trois avis, j'en ai cité des exemples à Raphaël quand on préparait, sur lesquels on a été amené à dire qu'on recommandait au maître d'ouvrage de ne pas aller au stade de l'enquête publique avec son dossier tel qu'il était. Ce qui revient à dire à peu près que le dossier n'est vraiment pas bon. Ça n'empêche que si le maître d'ouvrage a envie d'y aller quand même, il peut. Et que j'aurais trouvé pour ma part très malsain qu'on dise qu'effectivement c'est un avis contraignant et que le maître d'ouvrage est obligé de faire ce qu'on dit. Je pense que ça perdrait beaucoup. Alors ce qui se passe en ce moment, il y a eu déjà quelques contentieux sur lesquels des gens qui critiquent une décision prise, une déclaration d'utilité publique, par exemple, prise à l'appui d'une demande d'un maître d'ouvrage avec un avis très critique de l'autorité environnementale, que la décision soit cassée par le tribunal administratif pour erreur d'appréciation en s'appuyant sur l'avis de l'AE. Ça, ça existe, il y en a trois ou quatre exemples actuellement, il pourrait y en avoir de plus en plus. Mais ça, à mon avis, ça suffit. Il ne faut pas aller plus loin, sinon on tombe dans la technocratie. Et moi, en tant que plongé dans la marmite techno depuis que je suis tout petit, je trouve que ce serait une mauvaise chose de dire que c'est un groupe d'experts qui doit décider s'il faut faire un avis ou s'il ne faut pas le faire.

  • Speaker #0

    Vous venez d'écouter un extrait de la conférence de Michel Badré sur les pratiques d'expertise et de dialogue avec le public. Retrouvez-la en vidéo dans son intégralité, sur le site de Sciences en questions et au format livre sous le titre « La démocratie environnementale face à la réalité » aux éditions Quae.

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Description

Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Sciences en questions vous proposent de découvrir la conférence « Expertises, débats publics : quels enjeux pour la démocratie ? », animée par Michel Badré. Il nous présente dans ce premier volet son parcours et nous explique en quoi consiste l’Autorité environnementale.


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Transcription

  • Speaker #0

    Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Sciences en Questions vous proposent de découvrir la conférence "Expertise, Débat public, Quels enjeux pour la démocratie ?" animée par Michel Badré. Il nous présente dans ce premier volet son parcours et nous explique en quoi consiste l'autorité environnementale.

  • Speaker #1

    Mon métier c'était et c'est toujours d'être forestier. C'est un métier technique. Je l'avais choisi, j'ai aimé le faire et je suis toujours attaché. La deuxième dominante, c'est le sujet environnement. Alors, il y a des gens qui arrivent à être forestiers sans s'intéresser trop à l'environnement, mais ils sont de plus en plus rares quand même. Et puis, une troisième dominante, c'est le service public. Raphaël l'a dit aussi, j'avais un peu ça dans mes chromosomes. Contrairement à d'autres gens avec qui je suis par ailleurs très ami, je n'ai jamais eu la tentation de dire, tiens, je pourrais peut-être partir chez un papetier. ou chez je ne sais pas qui d'autre, qui me paierait peut-être beaucoup mieux pour faire la même chose. Je trouvais que j'étais bien payé, je n'avais pas de problème de ce côté-là. Et donc le fait de rester dans un organisme public ou dans plusieurs organismes publics, comme Raphaël l'a dit, c'est quelque chose à quoi j'ai toujours été attaché. Et puis il s'est greffé là-dessus un certain nombre d'expériences qui sont venues un peu au hasard. Je pense que ça ressortait aussi de la présentation de Raphaël. Autant les choix de départ, il y avait des aspects génétiques, il y avait d'autres aspects de choix personnels. Autant toutes les expériences qui se sont accumulées, elles sont presque toutes venues sans que j'ai rien fait pour ça. Les tempêtes de 99, je vous le jure, j'avais rien fait pour ça. Mais c'était une expérience très forte, Raphaël l'a dit, à la fois technique. d'organisation parce que Myriam Legay pourrait le dire comme moi, il y a beaucoup de forêts qui ont été détruites, mais il y a aussi l'ONF lui-même qui a pris quand même un sérieux coup dans cette affaire. Et le fait de voir comment on redémarre après, qu'est-ce qu'on fait pour que 10 000 personnes dont le travail a été complètement bouleversé arrivent à retrouver un sens à ce qu'ils font, c'est quelque chose qui n'est pas totalement simple. Donc ça, c'est venu comme ça. Ensuite, l'autorité environnementale, Raphaël en a parlé, c'était une expérience très forte. J'y reviendrai dans un moment sur les caractéristiques particulières. Au CESE, le Conseil économique, social et environnemental, on apprend beaucoup de choses. En vue de l'extérieur, c'est un machin dont on ne sait pas très bien ce qu'il produit. le seul fait qu'il y ait là-dedans des représentants des syndicats, des représentants des organisations professionnelles, des représentants des ONG, et que tout ce monde-là... discute en se connaissant, en allant au fond des sujets, en n'étant pas sous le feu des médias. Il n'y a pas des journalistes toutes les cinq minutes pour nous demander ce qu'on est en train de faire. Et ça apporte une certaine sérénité. Ça permet d'approfondir des sujets avec des gens qui n'ont pas a priori les mêmes idées. Et ça en soi, c'est intéressant. Alors je vous parlerai de Notre-Dame-des-Landes, je n'insiste pas plus maintenant. C3E4, c'est un jargon tout à fait interne à l'organisme en question, c'est le Comité Consultatif Commun d'Ethique à quatre organismes qui sont INRAE, IFREMER, IRD et CIRAD, que je préside maintenant depuis un an à la suite du décès d'Axel Kahn, qui en était le précédent président. Et puis les déchets nucléaires, j'en reparlerai aussi. Donc tout ça, c'est des expériences qui se sont accumulées. qui n'ont pas changé mon métier de base. Je le vois très bien, on l'a vu à l'occasion de ReGeFor l'année dernière. Un métier de base, c'est un truc dans lequel on se sent à l'aise quand on discute avec d'autres gens, parce qu'on comprend très vite de quoi ils parlent. Alors que quand je parle des déchets nucléaires, ce n'est pas mon métier de base. Il me faut un effort pour rentrer dans le sujet, ce n'est pas pareil. Notre-Dame-des-Landes, c'était pareil. Et je pense que cette distinction, on a une formation initiale, on a des choses qu'on a acquises. et qui vous mettent de plein pied avec certains sujets, pas avec d'autres, ça n'empêche pas de s'y intéresser et d'espérer participer. Alors le fil conducteur de tout ça, je me suis permis, sans avoir demandé la licence, de reprendre le titre de la revue Nature, Sciences, Société. Quand je réfléchis à posteriori, je crois que le point commun de tout ça, c'est bien l'articulation Nature, Sciences, Société. Et il y a une vraie signification là-derrière. J'avais promis une citation, cette citation elle est d'une personne dont je ne sais même pas le nom, mais j'en ai parlé à Raphaël quand on a présenté cette séance. Il a évoqué tout à l'heure le débat public sur les transports qui a eu lieu en 2006 et qui a été ma première expérience de participation à un débat public. Et au cours d'une des séances de ce débat, dans un amphi où il y avait un peu plus de monde qu'ici, il devait y avoir une centaine de personnes à peu près. C'était un soir après le dîner. Moi, j'étais une des quatre personnes qui étaient à la tribune. Les trois autres, je représentais le ministère de l'Environnement dans ce débat. Et il y avait le directeur départemental de l'équipement. Ça existait encore à l'époque. Il y avait un élu qui était un représentant du conseil général du département et puis il y avait un président d'association locale d'environnement. Et on n'avait pas très bien préparé la séance, le débat ne se déroulait pas très bien, on pédalait un peu dans le vide, on sentait très bien dans un amphi avec 100 personnes si les choses se passaient bien ou pas. Et là, elles ne se passaient pas bien et on le sentait. Et au bout d'à peu près une heure, il y a une dame au fond qui s'est levée, elle était manifestement très fâchée. Elle n'a pas eu besoin qu'on lui apporte le micro parce qu'on entendait très bien ce qu'elle disait. Elle a dit « Écoutez, arrêtez, j'en ai marre, je ne comprends rien à ce que vous dites. Deuxièmement, je comprends que vous quatre, vous vous parlez tout le temps entre vous et vous ne nous parlez pas à nous. Et puis troisièmement, tout ça, ça n'a pas de cœur. » Elle a plié ses affaires et elle est partie. C'était il y a 16 ans, je m'en souviens comme si c'était hier, et j'y ai repensé extrêmement souvent dans tout ce qu'on a fait après. En disant, mais est-ce qu'on se parle entre nous, est-ce qu'on parle aux autres, et puis est-ce que ça a du cœur ce qu'on est en train de dire ? Finalement, c'est une bonne question. Je pense qu'il y avait une signification profonde là-dedans. J'y reviendrai tout à l'heure en conclusion. Je vais vous passer en revue maintenant deux ou trois de ces expériences, en vous disant à chaque fois, vous avez dû le comprendre dans la présentation de Raphaël, moi je n'avais pas du tout de formation théorique, conceptuelle, qu'est-ce que c'est que la discussion démocratique avec le public, initié ou pas initié, comment il faut faire. Moi j'ai vraiment appris tout ça en ayant les mains dans le cambouis, ou les pieds dans la glaise, je n'en sais rien, mais enfin de façon pratique, expérimentale, et pas du tout de façon conceptuelle, alors qu'il y a plein de littérature là-dessus. Et la littérature, j'en ai lu aussi après coup, c'est intéressant, mais c'est un peu autre chose. Moi, ce dont je vous parle, c'est vraiment des choses tirées de l'expérience pratique. Donc, premier point, l'autorité environnementale, Raphaël a dit brièvement ce que c'était, c'est un groupe d'experts, une quinzaine, de spécialités techniques diverses. Comme le but c'est d'apprécier la prise en compte de l'environnement par les porteurs de projets, on s'arrange pour que dans ce groupe, il y ait des gens qui représentent les différents secteurs de l'environnement. Il y a des spécialistes de risque industriel, des spécialistes de qualité des eaux, de pollution de l'air, de biodiversité, etc. On essaye à l'occasion de chaque renouvellement de maintenir cet équilibre. Mais ce qui est important, c'est que, alors au départ, ça a été créé de façon assez laborieuse. Avec beaucoup de retard, comme d'habitude, parce que c'était la transcription d'une directive européenne qui prévoyait depuis très longtemps, depuis 1985, l'autorité environnementale a été créée en 2009, donc ça n'a mis que 24 ans pour mettre le truc en place, et ça a fini par se mettre en place, qui prévoyait que les évaluations faites par les porteurs de projets, les évaluations d'impacts environnementaux, devaient être soumises à quelqu'un d'autre qui était indépendant, qui n'était pas le porteur de projet et qui n'était pas non plus celui qui prend la décision d'autorisation après. Donc c'est vraiment le regard d'un tiers sur le projet en n'ayant surtout pas de lien, de lien d'intérêt ou de lien quel qu'il soit avec le porteur de projet ou avec celui qui décide. Donc ça a mis très longtemps à se mettre en place. Ça s'est quand même fait parce qu'il y avait des directives européennes, quand il y a des directives il y a des risques de recours, il y avait eu des recours, il y avait eu des contentieux, la France avait été condamnée deux ou trois fois et donc elle a fini par faire ce qu'il fallait faire, à savoir instituer ce dispositif d'évaluation externe des projets. Raphaël l'a dit, c'était très intéressant d'être là-dedans, parce que créer un truc à partir de rien, en disant comment on va faire, on a la première séance, les 15 premiers, on a passé une journée à blanc avant d'avoir eu le premier avis à rendre en disant comment on va faire, qu'est-ce qu'on va adopter comme méthode de travail quand on va nous fournir un dossier de projet, une ligne à grande vitesse ou n'importe quoi, par quel bout on va prendre ça. Et on a fabriqué notre règlement intérieur, on s'est posé des questions du genre comment on fera quand on ne sera pas d'accord entre nous, ça va sûrement arriver qu'on ne soit pas d'accord entre nous, comment on fera ? qui l'emportera sur qui ? Et puis, est-ce qu'à chaque fois, on choisira des rapporteurs qui soumettront leurs avis aux autres ? Donc, on a bâti toute notre méthode à blanc avant d'avoir rendu le premier avis. Et puis ensuite, on l'a perfectionné au cours des temps. J'y ai passé cinq ans, on a quand même fait 400 avis en cinq ans. Donc, ça donne l'occasion. de se faire la main et puis d'adapter un peu cette méthode. Et ça a conduit à dire, et ça j'anticipe sur des choses qu'on reverra, par exemple à propos de Notre-Dame-des-Landes, ça a conduit à dire qu'il y a quelques idées simples qui sont importantes pour que tout ça garde du sens. La première idée, c'est la collégialité. Faire un avis à 15 ou faire un avis tout seul, c'est pas du tout pareil, même si les 15 ont certes, j'ai dit qu'on avait des spécialités techniques différentes, mais il y avait quand même des traits communs dans la culture, si je peux dire. C'était souvent des gens issus de la technocratie, pour faire simple. Mais ça n'empêche pas que le fait de mettre ensemble des gens qui n'ont pas le même regard et pas la même approche, ça apporte des choses. Et moi, il m'est arrivé souvent, étant président de cette instance pendant cinq ans, d'être contacté par un maître d'ouvrage qui dit « Tiens, moi j'ai un projet sur tel truc, qu'est-ce que vous en pensez ? » Et j'avais adopté le réflexe qui était très simple pour moi de dire moi j'en pense rien. Mais si vous voulez savoir ce que nous en pensons à 15, vous nous envoyez un truc et on vous répondra. Et c'est pas du tout la même chose. Une fois que les gens ont compris qu'on fonctionnait comme ça, ça change un peu. Le deuxième point de vue, c'est l'indépendance. Alors, comme je vous l'ai dit, l'origine de la création de ce truc, c'était qu'elle était indépendante du maître d'ouvrage et indépendante de celui qui décide après. Et on dit, ça veut dire quoi, être indépendant ? Il y en a sûrement pas mal parmi vous qui ont fait de l'expertise ou qui ont rendu des avis sur des sujets. Moi, ce dont je suis convaincu, à l'âge avancé auquel je suis arrivé, c'est que l'indépendance n'existe pas. On est toujours dépendant d'un tas de choses. On a travaillé avec d'autres gens, on s'est formés, on a eu des liens d'amitié avec des gens, parfois des liens de financement de projets, des choses comme ça. Tout ça, ça existe, on n'a pas de raison de le nier. En revanche, d'abord le fait de les rendre publics, donc la publication des liens d'intérêt, c'est très important. Le fait de ne pas participer, de se déporter quand il y a un sujet dans lequel on est vraiment personnellement intéressé. Et ça, on a écrit dans le règlement intérieur de l'autorité environnementale que quand on était directement concerné par un projet, on ne participait pas au débat. Et vous pouvez, en allant sur son site, regarder les avis de l'autorité environnementale. Encore maintenant, dans un avis sur deux ou trois, il y a la liste des membres qui n'ont pas participé à l'avis en application de l'article machin du règlement intérieur. C'est celui qui parle des liens d'intérêt et c'est appliqué régulièrement et systématiquement. Moi je vous ai dit qu'on avait vu 400 avis pendant que j'y étais. Il doit y en avoir une quinzaine auxquelles je n'ai pas participé parce qu'il y avait des liens entre les projets. Je vous cite à titre anecdotique, on a rendu un avis sur une ligne à haute tension qui passait à 500 mètres de la petite commune des Hautes-Alpes dans laquelle une maison. Je n'ai pas participé à la délibération de ce jour-là. Même si mes collègues venaient me dire « mais tu ne pourrais pas nous filer des photos de cette ligne ? » parce qu'on ne comprend pas très bien le sujet. Je disais « non, non, vous allez voir si vous voulez, mais je ne vous passerai pas de photos. » Ensuite, un autre point vraiment important, c'est la publicité immédiate des avis. Le fait que dès qu'on rend un avis, on le rend public pour qu'on puisse dire que de toute façon personne n'est venu après nous dire « Tiens, mais finalement, votre avis n'est pas tout à fait bien, vous auriez pu écrire ça un peu différemment. » Je dis « Désolé, c'est trop tard, il est déjà sur Internet. » Quand je dis « publication immédiate » , depuis 12 ans, 13 ans que l'autorité environnementale existe, je l'ai vérifié avec mon successeur il y a quelques jours, il n'y a pas un avis sur lequel on a mis plus d'une demi-journée avant qu'il soit publié sur Internet. Donc c'est vraiment tout de suite. Et ça aussi, ça donne une certaine habitude, ça donne une certaine exigence interne. Quand on délibère à 15, qu'on s'interroge sur un point et qu'on sait que de toute façon, l'avis sera sur Internet tout de suite et qu'on pourra difficilement le rectifier trois jours après en disant « tiens, on a fait une erreur » , ça oblige à réfléchir à deux fois avant d'écrire. Donc c'est très pédagogiquement en formateur. Et puis, je reviens à ma citation de tout à l'heure, le fait de s'habituer dans nos avis à ne pas parler entre nous et à ne pas parler uniquement aux maîtres d'ouvrage, mais à parler aussi à la société. Vous verrez, on prend des types de langage quand on rédige les avis. Il nous est arrivé très souvent dans les avis d'écrire "on recommande aux maîtres d'ouvrage pour une meilleure information de la société, de modifier le paragraphe numéro tant parce qu'il est incompréhensible", ou quelque chose de ce genre. On l'a fait assez souvent et c'était cette préoccupation-là. Là-dedans aussi, qu'est-ce qui a marché, qu'est-ce qui n'a pas marché, je reviendrai dans ma conclusion là-dessus. Quand on présente ce qu'on a fait dans sa longue carrière, on a tendance évidemment à insister lourdement sur ce qui a très bien marché et de passer un peu plus vite sur ce qui n'a pas été très glorieux. Là, je pense qu'il y a des choses qui ont objectivement bien marché. Moi je l'ai senti pendant les cinq ans où j'y étais, et là aussi avec mon successeur avec qui je m'entends très bien, on a souvent discuté. Le contact avec les maîtres d'ouvrage a vraiment fait progresser les choses. C'est-à-dire on avait au début des dossiers où le maître d'ouvrage avec ses bureaux d'études nous envoie un truc en disant « bon débrouillez-vous avec ça, c'est pas grave » . Et peu à peu, à force de discuter, à force de lire les choses sur lesquelles on répétait 50 fois qu'il y a des choses qui ne vont pas et qu'il faut aller faire différemment. En particulier avec les maîtres d'ouvrage récurrents, je pense SNCF Réseau qui était un maître d'ouvrage qui nous fournissait régulièrement tous les ans un certain nombre de projets. On arrive à prendre des habitudes et à ce que ce soit des habitudes réciproques, c'est-à-dire que peu à peu on arrive à des progrès dans la conception des projets, ce qui est quand même le but du jeu. Raphaël l'a dit tout à l'heure, il y a un certain nombre de projets sur lesquels, à la suite de notre avis, ils ont été profondément revus. Quelques autres, pas un grand nombre, mais quelques-uns sur lesquels on souhaitait qu'ils soient profondément revus, et ils ne l'ont pas été. Bon, c'est très dommage, on ne gagne pas à tous les coups, mais c'est un fait. Alors ça conduit certains à se dire, et puis j'arrêterai là pour l'autorité environnementale, j'ai entendu souvent des gens me dire, ou nous dire, collégialement, écoutez, votre machin c'est très bien, vous nous expliquez que vous faites des trucs remarquables. que vous avez convaincu les maîtres d'ouvrage, bravo, pourquoi est-ce que vous n'arrivez pas à obtenir que vos avis soient plus contraignants, que les maîtres d'ouvrage soient obligés de les suivre ? Et moi j'ai toujours été très réticent, et je l'ai dit, j'ai même été opposé à ce qu'on essaye d'introduire des formules de ce genre, en disant je pense que ce serait une erreur, parce que ce serait de la technocratie à l'état pur. Il n'y a pas de raison qu'un groupe de 15 personnes, quelle que soit la qualité de leur expérience passée, leur méthode collégiale, leur indépendance d'esprit et toutes ces belles choses, soit habilité à planter un projet en disant « il n'est pas bon » ou au contraire à le porter sur au nu en disant « ce projet il est très bien, il faut le faire » . C'est pour ça aussi qu'on avait décidé dès le début de ne jamais conclure nos avis par un avis favorable ou défavorable. On ne conclut jamais nos avis comme ça. On dit, on a des recommandations. Alors, ces recommandations peuvent être assez sévères. Il y a deux ou trois avis, j'en ai cité des exemples à Raphaël quand on préparait, sur lesquels on a été amené à dire qu'on recommandait au maître d'ouvrage de ne pas aller au stade de l'enquête publique avec son dossier tel qu'il était. Ce qui revient à dire à peu près que le dossier n'est vraiment pas bon. Ça n'empêche que si le maître d'ouvrage a envie d'y aller quand même, il peut. Et que j'aurais trouvé pour ma part très malsain qu'on dise qu'effectivement c'est un avis contraignant et que le maître d'ouvrage est obligé de faire ce qu'on dit. Je pense que ça perdrait beaucoup. Alors ce qui se passe en ce moment, il y a eu déjà quelques contentieux sur lesquels des gens qui critiquent une décision prise, une déclaration d'utilité publique, par exemple, prise à l'appui d'une demande d'un maître d'ouvrage avec un avis très critique de l'autorité environnementale, que la décision soit cassée par le tribunal administratif pour erreur d'appréciation en s'appuyant sur l'avis de l'AE. Ça, ça existe, il y en a trois ou quatre exemples actuellement, il pourrait y en avoir de plus en plus. Mais ça, à mon avis, ça suffit. Il ne faut pas aller plus loin, sinon on tombe dans la technocratie. Et moi, en tant que plongé dans la marmite techno depuis que je suis tout petit, je trouve que ce serait une mauvaise chose de dire que c'est un groupe d'experts qui doit décider s'il faut faire un avis ou s'il ne faut pas le faire.

  • Speaker #0

    Vous venez d'écouter un extrait de la conférence de Michel Badré sur les pratiques d'expertise et de dialogue avec le public. Retrouvez-la en vidéo dans son intégralité, sur le site de Sciences en questions et au format livre sous le titre « La démocratie environnementale face à la réalité » aux éditions Quae.

Description

Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Sciences en questions vous proposent de découvrir la conférence « Expertises, débats publics : quels enjeux pour la démocratie ? », animée par Michel Badré. Il nous présente dans ce premier volet son parcours et nous explique en quoi consiste l’Autorité environnementale.


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Transcription

  • Speaker #0

    Dans cette série d'épisodes, les éditions Quae et le groupe Sciences en Questions vous proposent de découvrir la conférence "Expertise, Débat public, Quels enjeux pour la démocratie ?" animée par Michel Badré. Il nous présente dans ce premier volet son parcours et nous explique en quoi consiste l'autorité environnementale.

  • Speaker #1

    Mon métier c'était et c'est toujours d'être forestier. C'est un métier technique. Je l'avais choisi, j'ai aimé le faire et je suis toujours attaché. La deuxième dominante, c'est le sujet environnement. Alors, il y a des gens qui arrivent à être forestiers sans s'intéresser trop à l'environnement, mais ils sont de plus en plus rares quand même. Et puis, une troisième dominante, c'est le service public. Raphaël l'a dit aussi, j'avais un peu ça dans mes chromosomes. Contrairement à d'autres gens avec qui je suis par ailleurs très ami, je n'ai jamais eu la tentation de dire, tiens, je pourrais peut-être partir chez un papetier. ou chez je ne sais pas qui d'autre, qui me paierait peut-être beaucoup mieux pour faire la même chose. Je trouvais que j'étais bien payé, je n'avais pas de problème de ce côté-là. Et donc le fait de rester dans un organisme public ou dans plusieurs organismes publics, comme Raphaël l'a dit, c'est quelque chose à quoi j'ai toujours été attaché. Et puis il s'est greffé là-dessus un certain nombre d'expériences qui sont venues un peu au hasard. Je pense que ça ressortait aussi de la présentation de Raphaël. Autant les choix de départ, il y avait des aspects génétiques, il y avait d'autres aspects de choix personnels. Autant toutes les expériences qui se sont accumulées, elles sont presque toutes venues sans que j'ai rien fait pour ça. Les tempêtes de 99, je vous le jure, j'avais rien fait pour ça. Mais c'était une expérience très forte, Raphaël l'a dit, à la fois technique. d'organisation parce que Myriam Legay pourrait le dire comme moi, il y a beaucoup de forêts qui ont été détruites, mais il y a aussi l'ONF lui-même qui a pris quand même un sérieux coup dans cette affaire. Et le fait de voir comment on redémarre après, qu'est-ce qu'on fait pour que 10 000 personnes dont le travail a été complètement bouleversé arrivent à retrouver un sens à ce qu'ils font, c'est quelque chose qui n'est pas totalement simple. Donc ça, c'est venu comme ça. Ensuite, l'autorité environnementale, Raphaël en a parlé, c'était une expérience très forte. J'y reviendrai dans un moment sur les caractéristiques particulières. Au CESE, le Conseil économique, social et environnemental, on apprend beaucoup de choses. En vue de l'extérieur, c'est un machin dont on ne sait pas très bien ce qu'il produit. le seul fait qu'il y ait là-dedans des représentants des syndicats, des représentants des organisations professionnelles, des représentants des ONG, et que tout ce monde-là... discute en se connaissant, en allant au fond des sujets, en n'étant pas sous le feu des médias. Il n'y a pas des journalistes toutes les cinq minutes pour nous demander ce qu'on est en train de faire. Et ça apporte une certaine sérénité. Ça permet d'approfondir des sujets avec des gens qui n'ont pas a priori les mêmes idées. Et ça en soi, c'est intéressant. Alors je vous parlerai de Notre-Dame-des-Landes, je n'insiste pas plus maintenant. C3E4, c'est un jargon tout à fait interne à l'organisme en question, c'est le Comité Consultatif Commun d'Ethique à quatre organismes qui sont INRAE, IFREMER, IRD et CIRAD, que je préside maintenant depuis un an à la suite du décès d'Axel Kahn, qui en était le précédent président. Et puis les déchets nucléaires, j'en reparlerai aussi. Donc tout ça, c'est des expériences qui se sont accumulées. qui n'ont pas changé mon métier de base. Je le vois très bien, on l'a vu à l'occasion de ReGeFor l'année dernière. Un métier de base, c'est un truc dans lequel on se sent à l'aise quand on discute avec d'autres gens, parce qu'on comprend très vite de quoi ils parlent. Alors que quand je parle des déchets nucléaires, ce n'est pas mon métier de base. Il me faut un effort pour rentrer dans le sujet, ce n'est pas pareil. Notre-Dame-des-Landes, c'était pareil. Et je pense que cette distinction, on a une formation initiale, on a des choses qu'on a acquises. et qui vous mettent de plein pied avec certains sujets, pas avec d'autres, ça n'empêche pas de s'y intéresser et d'espérer participer. Alors le fil conducteur de tout ça, je me suis permis, sans avoir demandé la licence, de reprendre le titre de la revue Nature, Sciences, Société. Quand je réfléchis à posteriori, je crois que le point commun de tout ça, c'est bien l'articulation Nature, Sciences, Société. Et il y a une vraie signification là-derrière. J'avais promis une citation, cette citation elle est d'une personne dont je ne sais même pas le nom, mais j'en ai parlé à Raphaël quand on a présenté cette séance. Il a évoqué tout à l'heure le débat public sur les transports qui a eu lieu en 2006 et qui a été ma première expérience de participation à un débat public. Et au cours d'une des séances de ce débat, dans un amphi où il y avait un peu plus de monde qu'ici, il devait y avoir une centaine de personnes à peu près. C'était un soir après le dîner. Moi, j'étais une des quatre personnes qui étaient à la tribune. Les trois autres, je représentais le ministère de l'Environnement dans ce débat. Et il y avait le directeur départemental de l'équipement. Ça existait encore à l'époque. Il y avait un élu qui était un représentant du conseil général du département et puis il y avait un président d'association locale d'environnement. Et on n'avait pas très bien préparé la séance, le débat ne se déroulait pas très bien, on pédalait un peu dans le vide, on sentait très bien dans un amphi avec 100 personnes si les choses se passaient bien ou pas. Et là, elles ne se passaient pas bien et on le sentait. Et au bout d'à peu près une heure, il y a une dame au fond qui s'est levée, elle était manifestement très fâchée. Elle n'a pas eu besoin qu'on lui apporte le micro parce qu'on entendait très bien ce qu'elle disait. Elle a dit « Écoutez, arrêtez, j'en ai marre, je ne comprends rien à ce que vous dites. Deuxièmement, je comprends que vous quatre, vous vous parlez tout le temps entre vous et vous ne nous parlez pas à nous. Et puis troisièmement, tout ça, ça n'a pas de cœur. » Elle a plié ses affaires et elle est partie. C'était il y a 16 ans, je m'en souviens comme si c'était hier, et j'y ai repensé extrêmement souvent dans tout ce qu'on a fait après. En disant, mais est-ce qu'on se parle entre nous, est-ce qu'on parle aux autres, et puis est-ce que ça a du cœur ce qu'on est en train de dire ? Finalement, c'est une bonne question. Je pense qu'il y avait une signification profonde là-dedans. J'y reviendrai tout à l'heure en conclusion. Je vais vous passer en revue maintenant deux ou trois de ces expériences, en vous disant à chaque fois, vous avez dû le comprendre dans la présentation de Raphaël, moi je n'avais pas du tout de formation théorique, conceptuelle, qu'est-ce que c'est que la discussion démocratique avec le public, initié ou pas initié, comment il faut faire. Moi j'ai vraiment appris tout ça en ayant les mains dans le cambouis, ou les pieds dans la glaise, je n'en sais rien, mais enfin de façon pratique, expérimentale, et pas du tout de façon conceptuelle, alors qu'il y a plein de littérature là-dessus. Et la littérature, j'en ai lu aussi après coup, c'est intéressant, mais c'est un peu autre chose. Moi, ce dont je vous parle, c'est vraiment des choses tirées de l'expérience pratique. Donc, premier point, l'autorité environnementale, Raphaël a dit brièvement ce que c'était, c'est un groupe d'experts, une quinzaine, de spécialités techniques diverses. Comme le but c'est d'apprécier la prise en compte de l'environnement par les porteurs de projets, on s'arrange pour que dans ce groupe, il y ait des gens qui représentent les différents secteurs de l'environnement. Il y a des spécialistes de risque industriel, des spécialistes de qualité des eaux, de pollution de l'air, de biodiversité, etc. On essaye à l'occasion de chaque renouvellement de maintenir cet équilibre. Mais ce qui est important, c'est que, alors au départ, ça a été créé de façon assez laborieuse. Avec beaucoup de retard, comme d'habitude, parce que c'était la transcription d'une directive européenne qui prévoyait depuis très longtemps, depuis 1985, l'autorité environnementale a été créée en 2009, donc ça n'a mis que 24 ans pour mettre le truc en place, et ça a fini par se mettre en place, qui prévoyait que les évaluations faites par les porteurs de projets, les évaluations d'impacts environnementaux, devaient être soumises à quelqu'un d'autre qui était indépendant, qui n'était pas le porteur de projet et qui n'était pas non plus celui qui prend la décision d'autorisation après. Donc c'est vraiment le regard d'un tiers sur le projet en n'ayant surtout pas de lien, de lien d'intérêt ou de lien quel qu'il soit avec le porteur de projet ou avec celui qui décide. Donc ça a mis très longtemps à se mettre en place. Ça s'est quand même fait parce qu'il y avait des directives européennes, quand il y a des directives il y a des risques de recours, il y avait eu des recours, il y avait eu des contentieux, la France avait été condamnée deux ou trois fois et donc elle a fini par faire ce qu'il fallait faire, à savoir instituer ce dispositif d'évaluation externe des projets. Raphaël l'a dit, c'était très intéressant d'être là-dedans, parce que créer un truc à partir de rien, en disant comment on va faire, on a la première séance, les 15 premiers, on a passé une journée à blanc avant d'avoir eu le premier avis à rendre en disant comment on va faire, qu'est-ce qu'on va adopter comme méthode de travail quand on va nous fournir un dossier de projet, une ligne à grande vitesse ou n'importe quoi, par quel bout on va prendre ça. Et on a fabriqué notre règlement intérieur, on s'est posé des questions du genre comment on fera quand on ne sera pas d'accord entre nous, ça va sûrement arriver qu'on ne soit pas d'accord entre nous, comment on fera ? qui l'emportera sur qui ? Et puis, est-ce qu'à chaque fois, on choisira des rapporteurs qui soumettront leurs avis aux autres ? Donc, on a bâti toute notre méthode à blanc avant d'avoir rendu le premier avis. Et puis ensuite, on l'a perfectionné au cours des temps. J'y ai passé cinq ans, on a quand même fait 400 avis en cinq ans. Donc, ça donne l'occasion. de se faire la main et puis d'adapter un peu cette méthode. Et ça a conduit à dire, et ça j'anticipe sur des choses qu'on reverra, par exemple à propos de Notre-Dame-des-Landes, ça a conduit à dire qu'il y a quelques idées simples qui sont importantes pour que tout ça garde du sens. La première idée, c'est la collégialité. Faire un avis à 15 ou faire un avis tout seul, c'est pas du tout pareil, même si les 15 ont certes, j'ai dit qu'on avait des spécialités techniques différentes, mais il y avait quand même des traits communs dans la culture, si je peux dire. C'était souvent des gens issus de la technocratie, pour faire simple. Mais ça n'empêche pas que le fait de mettre ensemble des gens qui n'ont pas le même regard et pas la même approche, ça apporte des choses. Et moi, il m'est arrivé souvent, étant président de cette instance pendant cinq ans, d'être contacté par un maître d'ouvrage qui dit « Tiens, moi j'ai un projet sur tel truc, qu'est-ce que vous en pensez ? » Et j'avais adopté le réflexe qui était très simple pour moi de dire moi j'en pense rien. Mais si vous voulez savoir ce que nous en pensons à 15, vous nous envoyez un truc et on vous répondra. Et c'est pas du tout la même chose. Une fois que les gens ont compris qu'on fonctionnait comme ça, ça change un peu. Le deuxième point de vue, c'est l'indépendance. Alors, comme je vous l'ai dit, l'origine de la création de ce truc, c'était qu'elle était indépendante du maître d'ouvrage et indépendante de celui qui décide après. Et on dit, ça veut dire quoi, être indépendant ? Il y en a sûrement pas mal parmi vous qui ont fait de l'expertise ou qui ont rendu des avis sur des sujets. Moi, ce dont je suis convaincu, à l'âge avancé auquel je suis arrivé, c'est que l'indépendance n'existe pas. On est toujours dépendant d'un tas de choses. On a travaillé avec d'autres gens, on s'est formés, on a eu des liens d'amitié avec des gens, parfois des liens de financement de projets, des choses comme ça. Tout ça, ça existe, on n'a pas de raison de le nier. En revanche, d'abord le fait de les rendre publics, donc la publication des liens d'intérêt, c'est très important. Le fait de ne pas participer, de se déporter quand il y a un sujet dans lequel on est vraiment personnellement intéressé. Et ça, on a écrit dans le règlement intérieur de l'autorité environnementale que quand on était directement concerné par un projet, on ne participait pas au débat. Et vous pouvez, en allant sur son site, regarder les avis de l'autorité environnementale. Encore maintenant, dans un avis sur deux ou trois, il y a la liste des membres qui n'ont pas participé à l'avis en application de l'article machin du règlement intérieur. C'est celui qui parle des liens d'intérêt et c'est appliqué régulièrement et systématiquement. Moi je vous ai dit qu'on avait vu 400 avis pendant que j'y étais. Il doit y en avoir une quinzaine auxquelles je n'ai pas participé parce qu'il y avait des liens entre les projets. Je vous cite à titre anecdotique, on a rendu un avis sur une ligne à haute tension qui passait à 500 mètres de la petite commune des Hautes-Alpes dans laquelle une maison. Je n'ai pas participé à la délibération de ce jour-là. Même si mes collègues venaient me dire « mais tu ne pourrais pas nous filer des photos de cette ligne ? » parce qu'on ne comprend pas très bien le sujet. Je disais « non, non, vous allez voir si vous voulez, mais je ne vous passerai pas de photos. » Ensuite, un autre point vraiment important, c'est la publicité immédiate des avis. Le fait que dès qu'on rend un avis, on le rend public pour qu'on puisse dire que de toute façon personne n'est venu après nous dire « Tiens, mais finalement, votre avis n'est pas tout à fait bien, vous auriez pu écrire ça un peu différemment. » Je dis « Désolé, c'est trop tard, il est déjà sur Internet. » Quand je dis « publication immédiate » , depuis 12 ans, 13 ans que l'autorité environnementale existe, je l'ai vérifié avec mon successeur il y a quelques jours, il n'y a pas un avis sur lequel on a mis plus d'une demi-journée avant qu'il soit publié sur Internet. Donc c'est vraiment tout de suite. Et ça aussi, ça donne une certaine habitude, ça donne une certaine exigence interne. Quand on délibère à 15, qu'on s'interroge sur un point et qu'on sait que de toute façon, l'avis sera sur Internet tout de suite et qu'on pourra difficilement le rectifier trois jours après en disant « tiens, on a fait une erreur » , ça oblige à réfléchir à deux fois avant d'écrire. Donc c'est très pédagogiquement en formateur. Et puis, je reviens à ma citation de tout à l'heure, le fait de s'habituer dans nos avis à ne pas parler entre nous et à ne pas parler uniquement aux maîtres d'ouvrage, mais à parler aussi à la société. Vous verrez, on prend des types de langage quand on rédige les avis. Il nous est arrivé très souvent dans les avis d'écrire "on recommande aux maîtres d'ouvrage pour une meilleure information de la société, de modifier le paragraphe numéro tant parce qu'il est incompréhensible", ou quelque chose de ce genre. On l'a fait assez souvent et c'était cette préoccupation-là. Là-dedans aussi, qu'est-ce qui a marché, qu'est-ce qui n'a pas marché, je reviendrai dans ma conclusion là-dessus. Quand on présente ce qu'on a fait dans sa longue carrière, on a tendance évidemment à insister lourdement sur ce qui a très bien marché et de passer un peu plus vite sur ce qui n'a pas été très glorieux. Là, je pense qu'il y a des choses qui ont objectivement bien marché. Moi je l'ai senti pendant les cinq ans où j'y étais, et là aussi avec mon successeur avec qui je m'entends très bien, on a souvent discuté. Le contact avec les maîtres d'ouvrage a vraiment fait progresser les choses. C'est-à-dire on avait au début des dossiers où le maître d'ouvrage avec ses bureaux d'études nous envoie un truc en disant « bon débrouillez-vous avec ça, c'est pas grave » . Et peu à peu, à force de discuter, à force de lire les choses sur lesquelles on répétait 50 fois qu'il y a des choses qui ne vont pas et qu'il faut aller faire différemment. En particulier avec les maîtres d'ouvrage récurrents, je pense SNCF Réseau qui était un maître d'ouvrage qui nous fournissait régulièrement tous les ans un certain nombre de projets. On arrive à prendre des habitudes et à ce que ce soit des habitudes réciproques, c'est-à-dire que peu à peu on arrive à des progrès dans la conception des projets, ce qui est quand même le but du jeu. Raphaël l'a dit tout à l'heure, il y a un certain nombre de projets sur lesquels, à la suite de notre avis, ils ont été profondément revus. Quelques autres, pas un grand nombre, mais quelques-uns sur lesquels on souhaitait qu'ils soient profondément revus, et ils ne l'ont pas été. Bon, c'est très dommage, on ne gagne pas à tous les coups, mais c'est un fait. Alors ça conduit certains à se dire, et puis j'arrêterai là pour l'autorité environnementale, j'ai entendu souvent des gens me dire, ou nous dire, collégialement, écoutez, votre machin c'est très bien, vous nous expliquez que vous faites des trucs remarquables. que vous avez convaincu les maîtres d'ouvrage, bravo, pourquoi est-ce que vous n'arrivez pas à obtenir que vos avis soient plus contraignants, que les maîtres d'ouvrage soient obligés de les suivre ? Et moi j'ai toujours été très réticent, et je l'ai dit, j'ai même été opposé à ce qu'on essaye d'introduire des formules de ce genre, en disant je pense que ce serait une erreur, parce que ce serait de la technocratie à l'état pur. Il n'y a pas de raison qu'un groupe de 15 personnes, quelle que soit la qualité de leur expérience passée, leur méthode collégiale, leur indépendance d'esprit et toutes ces belles choses, soit habilité à planter un projet en disant « il n'est pas bon » ou au contraire à le porter sur au nu en disant « ce projet il est très bien, il faut le faire » . C'est pour ça aussi qu'on avait décidé dès le début de ne jamais conclure nos avis par un avis favorable ou défavorable. On ne conclut jamais nos avis comme ça. On dit, on a des recommandations. Alors, ces recommandations peuvent être assez sévères. Il y a deux ou trois avis, j'en ai cité des exemples à Raphaël quand on préparait, sur lesquels on a été amené à dire qu'on recommandait au maître d'ouvrage de ne pas aller au stade de l'enquête publique avec son dossier tel qu'il était. Ce qui revient à dire à peu près que le dossier n'est vraiment pas bon. Ça n'empêche que si le maître d'ouvrage a envie d'y aller quand même, il peut. Et que j'aurais trouvé pour ma part très malsain qu'on dise qu'effectivement c'est un avis contraignant et que le maître d'ouvrage est obligé de faire ce qu'on dit. Je pense que ça perdrait beaucoup. Alors ce qui se passe en ce moment, il y a eu déjà quelques contentieux sur lesquels des gens qui critiquent une décision prise, une déclaration d'utilité publique, par exemple, prise à l'appui d'une demande d'un maître d'ouvrage avec un avis très critique de l'autorité environnementale, que la décision soit cassée par le tribunal administratif pour erreur d'appréciation en s'appuyant sur l'avis de l'AE. Ça, ça existe, il y en a trois ou quatre exemples actuellement, il pourrait y en avoir de plus en plus. Mais ça, à mon avis, ça suffit. Il ne faut pas aller plus loin, sinon on tombe dans la technocratie. Et moi, en tant que plongé dans la marmite techno depuis que je suis tout petit, je trouve que ce serait une mauvaise chose de dire que c'est un groupe d'experts qui doit décider s'il faut faire un avis ou s'il ne faut pas le faire.

  • Speaker #0

    Vous venez d'écouter un extrait de la conférence de Michel Badré sur les pratiques d'expertise et de dialogue avec le public. Retrouvez-la en vidéo dans son intégralité, sur le site de Sciences en questions et au format livre sous le titre « La démocratie environnementale face à la réalité » aux éditions Quae.

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