- Speaker #0
Il faut savoir aller vite, prendre des risques, mais pas trop vite, mais pas trop, mais pas trop doucement non plus. Donc, c'est vrai qu'aujourd'hui, tout s'est complexifié. Et c'est pour ça que je suis absolument persuadée que l'équipe, elle est le remède, d'une certaine façon, le moteur qui permet de passer dans des vagues, dans des vents contraires, dans des injonctions paradoxales, dans des situations très difficiles.
- Speaker #1
Bonjour, je suis Félix Mamoudi, fondateur de Leader for Health. Bienvenue dans Raison d'être, le podcast qui réunit les leaders du monde de la santé d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Dans cet épisode, nous accueillons Madame Anne-Marie Armenteras, ancienne directrice d'hôpital et de l'offre de soins. La connaissance hospitalière d'Anne-Marie l'a accompagnée durant son parcours, faisant preuve de pragmatisme dans la prise de décision à l'échelle nationale. Elle a inspiré de nombreux directeurs en poste actuellement dans les hôpitaux. Bonjour Anne-Marie.
- Speaker #0
Bonjour.
- Speaker #1
Bienvenue dans le podcast Raison d'être. Est-ce que tu peux commencer par nous raconter ta carrière professionnelle ?
- Speaker #0
Ma carrière professionnelle, c'est des morceaux, des chemins, au moins trois. Le premier chemin, c'est un chemin qui m'a conduit à être chef d'établissement pendant assez longtemps et dans de nombreux établissements à Paris, à la PHP et pas que. Le deuxième chemin, c'est un chemin dans lequel... Si on cherche le terme qui recouvre un peu tout, j'ai fait de la régulation. À la RS Île-de-France, au ministère de la Santé, à la Haute Autorité de Santé. Et puis une forme de régulation un peu particulière à l'Élysée pendant deux ans et demi et pendant le Covid. Et puis le troisième morceau, c'est le morceau actuel. C'est le morceau où j'accompagne, je cherche à comprendre un peu mieux ce que j'avais... pas compris ou mal compris et je cherche à être utile.
- Speaker #1
Est-ce que tu peux nous raconter le plus gros tournant de ta carrière ?
- Speaker #0
Le plus gros tournant de la carrière, c'est peut-être quand je suis devenue chef d'établissement, j'avais un collègue de ma promo qui travaillait avec moi à la direction du plan et qui m'avait dit quand tu es chef d'établissement, tu dors plus comme avant parce que tu as la responsabilité et de toutes ces personnes qui sont dans l'établissement. Bon, j'écoutais ça, comme ça. Et quand j'étais chef d'établissement, je me suis dit, n'oublie pas ce qu'il t'a dit. Bon, alors ça, c'est un tournant. Mais peut-être que le plus grand tournant, c'est quand j'ai cessé d'être à l'hôpital pour m'occuper d'autres hôpitaux et d'autres secteurs. Parce que c'est une autre forme de responsabilité.
- Speaker #1
La santé, ça a été un choix pour toi ?
- Speaker #0
Pas vraiment. C'était un peu le hasard. C'est une amie de promotion de la fac de droit qui a fini, elle aussi, par venir dans la santé et finir directrice générale d'ARS, qui, à la fin... J'ai été étudiante très longtemps, j'ai fait pas mal d'études, et je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. Et puis, j'ai perdu mon père assez jeune, j'avais 25 ans. Et à ce moment-là, je me suis dit, bon là, il faut arrêter maintenant, il faut se mettre à faire quelque chose. Et c'est elle qui m'a dit, tu t'inscris à la prépa de l'école de Rennes. Je lui ai dit, non, non, je vais faire la magistrature. Et puis, je me suis rendu compte que j'étais vraiment très mauvais endroit et qu'il n'y avait aucune raison que je réussisse ce concours. Et donc, entre-temps, j'avais réussi le CAPES d'économie. Donc, j'aurais pu rester enseignante en économie. Mais... C'était rigolo d'aller aussi sur quelque chose que je ne connaissais pas. Et donc, ça a été ce hasard-là, en fait. Quand on réfléchit, je ne sais pas vraiment. C'est autant du nécessaire que du hasard. Mais j'aurais pu ne pas y rester. Parce qu'à la sortie de l'école de Rennes, heureusement que je suis arrivée dans un petit hôpital pour faire mon stage. Et que j'étais un peu confrontée à la vraie vie de l'hôpital. Ça, ça m'a plu.
- Speaker #1
Est-ce que tu peux nous dire dans quel environnement tu as grandi ?
- Speaker #0
Oui, j'ai grandi dans un environnement, un double environnement. Un environnement d'immigrés et d'immigrés de deux pays. Et puis un environnement d'immigrés qui avaient combattu la guerre, combattu le fascisme, combattu pour résister. À la fois pour mon père en Espagne. et en France, puisqu'il a fait les deux guerres comme combattant. Et ma maman, qui venait d'un pays dans lequel elle a fui la guerre qu'elle avait vécue comme enfant. Et il faut dire que c'est de là d'où je viens, parce que je viens principalement de là. Et le fait après que c'était un petit village du sud de la France, ça explique mon reliquat d'accent et puis un caractère un peu méditerranéen. Mais je pense que c'est ça le plus important.
- Speaker #1
Tu as vu une grande différence dans le fait de diriger un hôpital et de diriger une ARS ?
- Speaker #0
Oui, bien sûr. Claude Évin était un formidable directeur général d'ARS. Et quand on est dans une structure comme ça, le fait d'avoir un chef qu'on admire, qu'on adore, qui en plus est excellent et qui est gentil et qui est un chef d'équipe, c'est absolument formidable. Et l'ARS, ça a été pour moi une vraie découverte. du monde de la santé au-delà du monde des soins. J'étais directrice générale de l'offre de soins et médico-social. J'avais la chance d'avoir des collègues absolument formidables dans tous les secteurs. Et j'ai découvert tout ce qui est au-delà de l'hôpital. Quand on est dans l'hôpital, peut-être un peu moins maintenant, mais à mon époque, quand on était dans l'hôpital, on était dans l'hôpital. Surtout quand on était dans un hôpital de recours, d'expertise, il fallait être centré sur les besoins de la stratégie interne de l'établissement qui participait au progrès de la médecine, au progrès des soins. Quand on est un ARS, et bon, ARS Île-de-France, 12 millions d'habitants, toutes les structures, d'abord on comprend assez vite que quand il y a un défaut dans les soins primaires, forcément il y a des conséquences sur l'hôpital. On se reprend à discuter et à chercher à comprendre les rôles respectifs des uns et des autres. Le rôle du CHU par rapport au centre hospitalier, la façon dont on fait les passerelles avec les soins primaires, avec la ville. Le médico-social comme structure pour le handicap, pour le grand âge et puis le domicile. Et ça, c'est des chocs. Et c'est des chocs, mais il faut les regarder et puis il faut rentrer dedans pour essayer. de faire une action publique cohérente.
- Speaker #1
Tu as toujours travaillé avec le patient comme finalité. Ça a été une source de motivation et de sens pour toi ?
- Speaker #0
Oui, parce que je crois que si je n'avais pas rencontré le patient pendant mon stage à la sortie de la première année théorique de l'école de Rennes, je ne sais pas si je serais restée. Et oui, j'ai vraiment là, pour le coup, une empathie. pour le patient et sa famille. Et d'ailleurs, c'est assez intéressant parce que, de mon passage dans ces divers types d'établissements, il y a chaque fois des typologies de patients assez particulières. Robert Debré, c'était les enfants, bien sûr. Les enfants malades qui allaient mourir de leur maladie, ou les enfants malades qui allaient sortir vainqueurs de leur maladie. Des enfants... qui venait de milieux sociaux très différents, mais avec une majorité d'enfants à l'époque issus de l'immigration, des quartiers 19e, 18e de Paris et de la Seine-Saint-Denis, avec donc cette interaction très forte entre l'école, l'hôpital, le milieu social, la capacité de la famille à porter... l'enfant et la maladie, les sujets avec la fratrie. Quand j'étais à Bichat, j'étais très marquée par ce qu'était, ça ne l'est plus vraiment maintenant, enfin c'est autre chose, mais dans les années 2000, le 18e arrondissement, c'était beaucoup de personnes âgées, assez pauvres, beaucoup de migrants également, qui utilisaient l'hôpital en première intention. Et puis le malade, dans les années 95, 2000 et quelques, c'était le VIH. Et à Bichet, on avait la plus grosse cohorte française de patients VIH, avec tout ce travail, cette recherche de compréhension de qu'est-ce que c'est la bonne façon de soigner, avec cette population très jeune, mais qui savait qu'elle allait mourir, ou qui était... acharné dans son combat pour s'en sortir aussi. Donc ça, j'étais assez marquée par ça et par les travaux qu'on a pu mener là-dessus. La pitié salpêtrière, j'étais très marquée par les maladies neurodégénératives. de sujets jeunes qui conduisaient à la mort ou en tout cas au handicap. Parce que pour le coup, on peut partager avec les équipes médicales d'autres sujets d'accompagnement qui sont en parallèle des sujets de soins, de la plus haute expertise et du recours. Le choc un peu intellectuel, c'est lorsque, à la Haute Autorité de Santé, j'ai compris les sujets d'empowerment. J'ai compris, pardon, en tout cas, j'ai abordé dans la littérature les sujets d'un power-ment et les sujets du patient-acteur. Et voilà, ça, c'est quelque chose qui me suit depuis ces années-là.
- Speaker #1
Qu'est-ce qui a le plus changé durant ton parcours ?
- Speaker #0
Ma perception des soins et de la santé. Pendant très longtemps, pour moi, l'hôpital, c'était le système de santé quand même. Et puis, quand je suis arrivée à Robert Debré, puis à... Abisha, avec cette problématique sociale et puis cette problématique de l'utilisation de l'hôpital de recours comme un hôpital de proximité, de première intention, ce qui a des avantages et des inconvénients, des avantages pour la population qui vient, parce que c'est plus simple, c'est compliqué d'organiser sur un plan médical et puis sur un plan logistique. Donc cette conscience qu'on a beau essayer de... C'est comme ça en tout cas que moi je l'ai compris par approximations successives. Le fait d'améliorer le fonctionnement de l'hôpital ne peut pas parvenir à améliorer le dysfonctionnement du système de santé. Bien sûr que je l'avais vu à l'APHP pendant les grandes épidémies de grippe, je me souviens toutes ces années où... Quand il y avait de grandes épidémies, aux périodes de fin d'année, médecine de ville aux abonnés absents et boum, deux fois plus de personnes âgées aux urgences, c'est hyper compliqué à gérer. Mais voilà, j'ai pris conscience de cette... Ce n'est pas une rupture, moi je n'ai pas... j'ai mis du temps à le comprendre. Et je pense que la conscience politique, la conscience de l'action publique a été assez tardive aussi sur ce sujet. J'ai adoré participer à ces réflexions. Quand je suis arrivée à l'ARS Île-de-France, ils les avaient déjà très bien attrapées. Claude Évin était très conscient de ça, de ses parcours, et de ses parcours contextualisés. Dans les Sônes, ce n'est pas le même qu'en Seine-Saint-Denis, ce n'est pas le même que dans le nord de Paris. Donc, je crois que ce n'est pas tant la rupture, c'est... C'est une transition qui a mis du temps à se faire et on a tous mis un peu de temps à comprendre que cette transition au fond entre l'hôpital et la ville, l'hôpital et le domicile, l'hôpital et les parcours, les différents secteurs des offreurs de soins, que tout ça, ça allait de pair avec l'autre transition, comme un arbre qui cachait la forêt, qui était la transition des maladies chroniques et la transition démographique. Et au fond, ça n'est qu'au bout d'un moment, c'est à l'ARS, à la DGOS, à la Haute Autorité de Santé, que j'ai compris ça.
- Speaker #1
Donc tu nous parles de l'ouverture de l'hôpital, l'ouverture des parcours patients. Tu as aussi vu les politiques de santé publique se construire, en ce moment avec un plan prévention. Est-ce que tu peux nous en parler un peu ?
- Speaker #0
La prévention, c'est certainement l'action publique qu'on a le plus mal élaborée. Parce qu'on a été très longtemps prisonniers d'un schéma dans lequel on est encore, qui est que notre système de sécurité sociale, notre système de prise en charge collective, qui est fabuleux, quand on va dans un autre pays où on voit des parents dire combien il faut qu'ils se saignent aux quatre veines pour faire opérer leur enfant, on voit bien que c'est différent. Donc notre système... a été conçu d'assurance maladie, a été conçu pour rembourser les soins. Et ça, ça structure beaucoup les choses. Et donc, la prévention, c'est-à-dire faire en sorte que la maladie n'arrive pas par la prévention primaire, la dépister avec la prévention secondaire, et puis la stabiliser, retarder le plus longtemps possible. les événements indésirables, essayer d'augmenter l'espérance de vie en bonne santé, en bonne qualité, malgré la maladie chronique, ça, je pense que c'est des choses qu'on a attrapées très tardivement. Et même en les ayant attrapées, pour le coup, attrapées vraiment, parce que le sujet est sur la table, est-ce qu'on sait le faire ? On sait faire des bouts de choses.
- Speaker #1
Tu as vécu aussi, et on revient sur ton rôle de directrice hospitalière, l'arrivée de la tarification à l'activité, qui a été un grand bouleversement dans l'organisation des soins. Est-ce que tu peux nous expliquer, peut-être rapidement, en quoi ça consistait pour les gens qui ne savent pas ce que c'est ? Et surtout, comment tu t'es adaptée à ça ?
- Speaker #0
J'espère qu'on va en sortir d'abord. On en sort. Alors, il faut se souvenir qu'avant la tarification à l'acte, Les établissements de santé avaient une dotation. C'est comme si ils avaient une dotation, ils avaient tant d'euros pour vivre pendant l'année, quoi qu'ils fassent. Donc, un, ce n'était pas très motivant. Deux, c'était un enfer au bout d'un moment, parce qu'évidemment, il y avait de plus en plus de patients, de plus en plus de nouvelles techniques, de nouvelles technologies, des médicaments qui coûtaient cher, des appareils qui coûtaient cher. Donc au bout d'un moment, on était au bout du bout du bout du système. Et puis c'était incompréhensible pour les équipes médicales qu'il y ait beaucoup de malades, pas beaucoup de malades. Il y avait le même chiffre qui tombait à la fin de l'année. C'était fou. Donc tous ceux qui ont milité pour la sortie de la dotation globale et la venue d'un nouveau système de tarification qui reconnaisse l'activité ont eu raison de le faire. Ensuite... La tarification à l'activité a eu des effets pervers absolument considérables. Et on part quand même d'un système où elle est arrivée de façon opportune. Elle a libéré notamment l'activité de chirurgie des établissements, ça c'est sûr, elle a libéré de la capacité d'investissement. Ensuite, il y a plusieurs sujets qui en soi sont des vrais sujets de réflexion et de travail. La tarification est à l'acte. Et donc, plus on va vers des forfaits de prise en charge, du parcours, de la combinaison d'actes pour une même pathologie ou une même personne, bon, ça devient compliqué parce que ça dépense beaucoup, parce que les équipes ne se retrouvent que sur un financement qui est fractionné et pas sur un financement global. Ensuite, comme c'est de l'acte, la qualité là-dedans, elle est où ? On n'est pas obligé d'en faire. De toute façon, quoi qu'on fasse... on est payé. C'est un truc incroyable de notre système. C'est que qu'on fasse bien, qu'on fasse mal, pas de souci, on est payé. Donc ce qui rend difficile ces discussions sur la qualité et la rémunération à la qualité ou l'incitation à la qualité. Et puis le troisième aspect très embêtant, c'est que forcément, le système a poussé les établissements de santé à se rendre concurrents les uns les autres. et parfois à se rendre concurrent sur des segments d'activité sur lesquels ils n'étaient pas légitimes ou sur lesquels ils n'avaient pas à mettre les pieds. C'est comme ça qu'on a eu des situations un peu compliquées dans l'obstétrique par exemple, avec des grands de structures hospitalières qui se sont mis à vouloir absolument atteindre des chiffres absolument gigantesques de naissance. au détriment des moyennes maternités qui sont devenues des petites. Et comme dans le monde de la T2A, au bout d'un moment, le point mort, c'est le point mort, avec la mort au bout. Quand il n'y a pas assez d'activité pour que l'activité soit rémunératrice, on disparaît. Donc voilà, on est parti de quelque chose qui était positif. Et puis on est arrivé au bout du bout du bout. Et donc maintenant... Voilà, on n'est pas sortis encore de ce truc-là, du nouveau système qui va non pas, bien sûr, succéder à 100% à la T2A, mais qui va enrichir.
- Speaker #1
Toi qui as connu de nombreux postes de direction, une des problématiques, un des sujets qu'on a aujourd'hui, c'est qu'on a du mal à donner du temps au directeur pour mener des grandes réformes, des grandes transformations. Est-ce que tu peux nous donner ton avis sur la différence entre... Avoir des résultats immédiats qui seront nécessaires pour pouvoir avoir de la continuité et faire du travail de fond et des grandes transformations.
- Speaker #0
On est dans un monde dans lequel les grandes transformations qui prennent dix ans, ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible parce que les équipes changent vite, parce qu'il y a plein de processus qui s'accélèrent. Ça bouge trop, ça bouge dans le territoire, ça bouge dans les populations, ça bouge dans les technologies. Donc il faut combiner de la vision. avec des objectifs et puis de la capacité à faire. Et c'est vrai dans les administrations. Dans les administrations, on en paye vraiment à l'époque assez aujourd'hui. Les réformes financières qui ont mis dix ans à sortir, la réforme du financement des soins médicaux, de réadaptation, ça prend trop de temps. Une fois que ça prend trop de temps, temps. Ensuite, on construit des briques. En touchant un fil, le reste s'effondre. Donc, on ne touche pas. On dit, mais ça va encore passer. Et puis, ce n'est pas très bien. Donc, il faut arriver à trouver un équilibre. En tout cas, le temps où nos anciens chefs se disaient, quand moi, je suis sortie de l'école, dans dix ans, on fera comme ça, dans vingt ans, on fera comme ça. Ça fait longtemps que ça ne marche plus. Et d'ailleurs, ça fait très longtemps. Parce que moi, je me souviens, j'étais à la direction du plan. Lorsqu'on est passé des plans directeurs généraux de l'assistance publique, qui étaient à 10 ans de prévision, à des plans stratégiques à 5 ans. Et puis ensuite, on a immédiatement parlé de... Mais on fait la révision du plan stratégique à 5 ans.
- Speaker #1
Dans cette vision-là, on parle de leader. Qu'est-ce qu'il faut pour arriver à être un leader dans le monde de la santé aujourd'hui ?
- Speaker #0
D'abord, on n'est pas obligé d'être un leader. Déjà, participer à une communauté, travailler en équipe, faire bien ce pour quoi on a été formé, ce qu'on sait faire, avoir des satisfactions, cocher les cases des objectifs qu'on a remplis, c'est déjà formidable. Après, oui, il faut qu'il y ait des leaders. Un leader... qu'il y a des qualités intellectuelles tout seuls sur la pampa pour déclamer la vérité, on s'en moque. Donc, ce qui est important, ça va d'avoir des hommes et des femmes qui ont une capacité d'entraînement, d'adaptation, d'écoute, parce qu'il faut d'adaptation, parce qu'il faut écouter, il faut savoir changer d'avis, et puis il faut savoir faire grandir tout ce qui est porteur. à côté de soi. Moi, j'ai souvent pensé, puis c'est même pas pensé, parce que j'ai fait comme ça assez intuitivement, c'est de s'entourer de gens doués, de gens brillants, qui vont pouvoir s'exprimer, exploser, puis devenir chefs à leur tour. C'est l'équipe. C'est ça qui est intéressant.
- Speaker #1
Tu as été ce leader ?
- Speaker #0
Peut-être. En tout cas, j'ai adoré travailler en équipe. J'ai adoré travailler en équipe. J'ai assumé mes responsabilités. J'ai adoré vraiment, et ça me plaît beaucoup encore, rentrer dans des communautés que je ne connaissais pas bien. Et j'apprécie ce qui est nouveau. J'apprécie tout. leur capacité à regarder, à comprendre, à voir comment ils perçoivent des sujets que moi je ne connais pas bien. Et je pense que c'est ça qui est important. Et après, c'est vrai également dans les soins, mais c'est vrai dans la relation avec le patient. Je suis sortie de la Haute Autorité de Santé avec la conviction qui m'a été donnée par tous les gens qui y travaillaient, qu'il y a une boucle qui est une boucle. vertueuse mais qui peut être une boucle délétère entre la qualité des soins la qualité de vie au travail l'engagement de l'équipe la constitution de l'équipe l'engagement de l'équipe et puis la vision le timing tu en parlais tout à l'heure il faut savoir aller vite prendre des risques mais pas trop vite mais pas trop mais pas être pas trop doucement non plus donc c'est vrai que aujourd'hui tout s'est complexifié Et c'est pour ça que je suis absolument persuadée que l'équipe, elle est le remède, d'une certaine façon, le moteur qui permet de passer dans des vagues, dans des vents contraires, dans des injonctions paradoxales, dans des situations très difficiles.
- Speaker #1
Et quand on parle d'équipe, le monde hospitalier au sens large a cette... cette chance d'avoir des professionnels très différents, des médecins, des paramédicaux, des administratifs, avec des cultures très différentes, mais pas toujours faciles de les faire travailler ensemble ?
- Speaker #0
Non, je ne sais pas si c'est... Quand on parle d'une usine avec des technologies compliquées, il doit aussi y avoir des gens qui ont des métiers différents. Donc, je pense qu'il y a bien sûr cette particularité. des métiers du soin. Ce qui a été certainement sociologiquement très différent, ce sont des périodes dans lesquelles, dans un premier temps, la hiérarchie et les corporatismes valaient code de travail, code d'action, code de réaction. Et puis après, la prise de conscience, parce que les professionnels l'ont exprimé comme ça. qu'ils se sentaient capables d'avoir un peu d'autonomie, et si ce n'est un peu, même beaucoup, qu'ils avaient envie de prendre en main l'organisation de leur travail, de faire la chasse aux irritants parce qu'ils les connaissaient mieux que celui qui venait une fois tous les six mois regarder un peu comment ça se passait. Et je pense que tout le travail des professions en commun, il a été marqué par ces grandes périodes. Quand on voit aujourd'hui en ville, par exemple, des ensembles... qui sont constitués par des médecins généralistes, des infirmiers, des sages-femmes, des psychologues, des kinés, et ils sont implantés dans un quartier parfois difficile, dans une campagne parfois difficile, alors que rien ne les incite par le financement, par la tarification à l'acte, ils arrivent à mener des projets absolument formidables. Et on voit ça également dans les instituts de handicap. On voit des équipes avec plein de métiers qui mettent ensemble leurs compétences autour d'un objectif commun qui est l'amélioration de la qualité de l'accompagnement ou du soin.
- Speaker #1
Tu as vu le paysage de manière très large. On parle de direction d'établissement, de l'offre de soins, de conseils à l'Elysée. Une des questions qu'on peut se poser, c'est veiller à ce que tout ce beau monde soit bien organisé, veiller à la cohérence du système de santé. Ça semble presque impossible. C'est quoi les clés pour le comprendre dans sa globalité et l'organiser, ou en tout cas tenter de le faire ?
- Speaker #0
C'est une question impossible, tu es conscient quand même de ça. Je pense qu'il faut repartir quand même des fondamentaux qui sont les besoins des patients. Aujourd'hui, on est plein pot dans une transition qui a démarré il y a longtemps, qu'on a vue venir sans vraiment trop vouloir la voir, qui est la transition des maladies chroniques et du vieillissement de la population. 20 millions de personnes sur 60 et quelques millions de Français qui ont une maladie chronique à un stade différent, mais ils ont la maladie chronique et en règle générale, elle ne part pas. On peut la stabiliser. On peut vivre avec, on peut la gérer, c'est ça l'objectif d'ailleurs, mais elle ne part pas. Donc il faut partir des besoins des patients. Et puis ces besoins des patients, en miroir, ils ont ce que les techniques de la connaissance, les techniques de la pratique, du traitement de la maladie permettent de faire. On sait faire aujourd'hui évidemment des choses qu'on ne savait pas faire il y a 30 ou 40 ans. Et donc... Entre le patient qui entre à l'hôpital et l'équipe qui le prend en charge, vient interférer la possibilité qu'il soit traité ailleurs, mais toujours sous contrôle de cette équipe. C'est ça qui rend les choses compliquées. Et donc, la relation des différents secteurs, qui sont le secteur de l'hôpital, d'abord le secteur des soins primaires, le secteur de l'hôpital, et puis ensuite tout ça, ça a des liens. Ça bouge. Ce qui peut se passer au domicile, au substitut de domicile quand il s'agit d'accompagnement ou de domicile institutionnalisé, quand on est dans le champ du handicap lourd et dans le champ du très grand âge, c'est ces liens qui doivent être construits par les uns et par les autres. Ces liens, ils s'appellent parcours. Ces liens, ils sont permis aujourd'hui. par le numérique. Ces liens, ils devraient être rendus plus fluides par des tarifications qui intègrent les forfaits et pas seulement l'acte, qui intègrent la mise en commun de tous ces moyens, de toutes ces compétences. Et ça, c'est difficile. On ne l'a pas encore. On a plein d'expérimentations, mais on ne l'a pas encore en routine. Et puis, ensuite, on a tout ce sujet très... très important pour ces centaines de milliers de gens qui n'ont pas de médecin traitant, pour lequel l'hôpital est leur seul recours, quand il y a l'hôpital, et ce n'est pas forcément, bien sûr, couronné d'un succès immédiat, quand on va à l'hôpital comme ça. Donc, voilà, repartir des besoins des patients, en miroir ce qu'on sait, offrir. Et ce qu'on sait offrir aujourd'hui, c'est des possibilités de prise en charge de guérison qui ne passent pas forcément par le traitement dans les murs de l'hôpital. Ce qui est compliqué, c'est que quand on est sur du recours, sur de l'expertise, il faut que l'équipe hospitalière, elle accompagne son patient, voire elle réagisse à ce qui se passe sur son patient. Et ça, nos systèmes de tarification ne savent pas bien le faire. Le numérique nous le permet et il est probable que demain la santé sera numérique, que la prévention sera numérique, que ce qu'on ne sait pas faire aujourd'hui en prévention populationnelle, on saura le faire avec du numérique qui permet de screener les besoins de ces populations et qui permettra d'adapter des modes de suivi. On va savoir le faire avec le numérique. Mais il faut qu'on sache investir aussi là-dedans et s'organiser différemment.
- Speaker #1
Tu nous as dit avec ferveur à quel point c'était important pour toi de travailler avec des équipes brillantes, talentueuses. Comment tu as fait pour motiver les gens qui t'entouraient et pour fédérer une équipe de talents ?
- Speaker #0
Ce n'est pas pareil quand on travaille avec des gens qu'on ne connaît pas bien et quand on travaille avec des gens qu'on a un peu choisis. qui vous ont choisi aussi, et où on se connaît, où on a de la complicité pour travailler ensemble. On n'est pas obligé de s'aimer, mais il faut accepter de partager des objectifs communs, et puis des modalités de travail. Les modalités de travail, du travail bien fait, du travail fini, du travail pas pipo, du travail qui résonne, avec des objectifs qu'on s'est donnés, qu'on partage. avec des valeurs. C'est la base quand même.
- Speaker #1
Dans toutes ces expériences que tu as eues, est-ce que tu peux nous partager ton plus gros échec ?
- Speaker #0
Je pense que ce qui m'a... Ce qui m'a très certainement le plus frappée, c'est la nuit du Bataclan, quand la régulation a été faite sur place par le SAMU de Paris, la brigade des sapeurs-pompiers, dirigée toutes deux par des chefs formidables, exceptionnels, que les informations nous arrivaient. Et qu'on se rendait compte tout au long de cette nuit atroce qu'en fonction de l'endroit où pourraient aller les terroristes, on pourrait ne pas avoir de réponse de l'offre de soins satisfaisante, qu'on ne saurait pas quoi faire. Nos équipes sur le terrain, tant celles de la régulation sur le terrain que les équipes qui ont accueilli ensuite les blessés, avec leur savoir-faire formidable et leur courage et leur engagement, ont pris en charge tous les patients. Mais au milieu de la nuit et ensuite le lendemain, le surlendemain et encore le lendemain, quand on a débriefé tous ensemble, voilà. On s'était dit qu'on n'avait pas été très bons, ni nous, ni nos prédécesseurs, et dans la préparation de ces choses-là, et qu'il fallait s'y attaquer. Et voilà, ça je l'ai vraiment ressenti très fort. Voilà. Les équipes ont fait, elles ont tout fait, on n'a pas laissé un seul patient au bord de la route. Elles ont tout pris en charge. Qu'on ait pu à ce moment-là, on s'est dit tous ensemble, on s'organise pour que justement, on laisse à ces équipes la chance d'avoir le bon malade au bon moment. Parce que quand ce n'est pas organisé, on peut prendre le malade, mais on ne l'amène pas au bon endroit, ni au bon moment.
- Speaker #1
Tu as eu des moments de solitude dans ta carrière ?
- Speaker #0
Oui, bien sûr, des moments de solitude, mais je ne suis pas une grande solitaire. Travailler en équipe, c'est partager. Alors on partage ce qui est dur, on partage ce qui est plus facile. Et puis, à la question des moments de solitude, moi, je préfère assumer les responsabilités. À un moment donné, il faut assumer. À un moment donné... Il faut dire, ça suffit maintenant les trucs, on y va maintenant. On n'a pas le temps, il faut vite aller. C'est là que l'intuition, l'expérience sont utiles. Moi, je crois beaucoup au métier. Je ne crois pas dans la santé qu'il y ait de grandes réussites quand il n'y a pas de métier. Je pense que les très bonnes directions sont des gens qui ont du métier et qui allient leurs compétences dans des métiers. différents qu'ils ont exercés. Moi, dans la façon dont se sont organisés mes parcours, ils se sont aussi organisés comme ça parce que je n'aurais jamais su faire l'inverse. Je n'aurais jamais su aller à l'ARS, aller au ministère, aller à la Haute Autorité de Santé, participer à la gestion de la crise Covid, accompagner le président, le conseil scientifique. Je n'aurais jamais su le faire. si je n'avais pas exercé différents métiers. Il y a peut-être des gens qui savent le faire. Moi, je ne sais pas. Moi, il faut que je fasse des allers-retours entre mettre les mains dans le cambouis, comprendre vraiment, vivre les choses, et puis ensuite extrapoler, théoriser, conceptualiser, enrichir le concept par l'expérience, et puis le métier. Le métier, c'est tout à la fois des choses théoriques, des fondamentaux, et puis de l'expérience.
- Speaker #1
Et ta plus grosse fierté ?
- Speaker #0
La fierté qui s'accompagne de l'émotion, j'en ai eu plein avec des satisfactions d'équipe, mais je crois que là où j'ai été le plus impressionnée par le fait qu'on l'avait voulu, je l'avais accepté, j'avais accompagné, j'en assumais la responsabilité, c'est quand on s'est mis dans la tête. de faire sortir une centaine d'enfants hospitalisés de Robert-Debré et de les amener sur des bateaux en Bretagne pour faire des régates. préparer tout ça pendant un an, toutes ces équipes formidables. Puis quand on amène des enfants, il faut faire sortir plus de professionnels que d'enfants. Il faut que l'hôpital sorte, il faut qu'il y ait un bout de pharmacie, un bout de logistique pour la nourriture, qu'il y ait tout. Et puis voilà, pendant un an, on travaille là-dessus, on travaille là-dessus. Et puis un matin, les cars sont partis, les trains sont partis, les avions sont partis. Et puis... tous les enfants sont dans des bateaux et les bateaux s'en vont avec leurs accompagnants, bien sûr. Et tout ça est huilé et organisé par leur engagement, par leur travail. Et ça, la première fois que j'ai vu ça, j'ai vraiment eu la fierté d'être avec eux et de les avoir accompagnés, de leur avoir fait confiance, d'être capable de faire ça et d'avoir dit, allez, on va le faire. C'est tellement... tellement important pour les enfants, tellement bien pour les enfants, on va le faire. Et ils l'ont fait. Et je crois que je suis restée sur des petits nuages, comme ça, pendant des jours et des jours et des jours, en pensant et en repensant à ça.
- Speaker #1
Tout ce que tu as pu réaliser a contribué à ton bien-être personnel ?
- Speaker #0
Certainement. Même si, de mon temps, l'équilibre vie personnelle, vie professionnelle, on ne savait pas. pas trop le conceptualiser, on ne savait pas trop ce que c'était, les congés maters, on a quand même été de nombreuses à ne pas savoir trop ce que c'était et ce n'était pas bien. Je pense que mes jeunes collègues qui arrivent aujourd'hui à beaucoup travailler, mais aussi à sanctuariser le temps où elles s'occupent des enfants, de la maison. Je dis mes jeunes au féminin, mais c'est pareil pour... Pour les papas et les garçons, je pense que c'est eux qui ont raison. Je suis sûre qu'ils sont plus efficaces que nous et qu'ils sont plus organisés que nous. Mais je ne regrette rien de ce que j'ai fait, bien sûr. Je pense que j'ai tout fait un peu mal, que tout aurait pu être un peu mieux, s'occuper des enfants, de la maison, la famille, le travail. Mais je suis très heureuse de tout ce qui s'est fait.
- Speaker #1
Au fond, qu'est-ce qui a guidé tes choix ?
- Speaker #0
Je pense l'engagement. La santé est un des secteurs dans lequel l'engagement est un peu quand même une nécessité. Et en même temps, c'est facile de s'engager et c'est facile de continuer à s'engager et de construire l'engagement. C'est l'engagement sur les valeurs de l'autre, sur la dignité humaine, sur le progrès. La médecine, c'est du progrès. L'organisation du système de santé, pas seulement de soins, c'est aussi du progrès social. Et on voit bien que toutes ces questions d'organisation du système de santé, elles sont traversées par les questions du progrès social, du travail, et de comment on peut réparer les injustices de la vie, qui composent également les injustices devant la santé. Dans les déterminants de la bonne santé, l'offre de soins, elle fait 20%. Donc après, le reste, c'est l'habitat, le travail, les conditions de vie, la scolarité, l'éducation, etc. Donc, je pense que c'est toutes ces valeurs qui m'ont éclairée, poussée et qui le font encore aujourd'hui.
- Speaker #1
Comment tu penses que le monde de la santé va évoluer ?
- Speaker #0
D'abord, c'est comment le monde va évoluer tout court. Et à l'échelle internationale et puis dans notre pays, je te rappelle que je suis une enfant de la guerre, je suis une enfant du combat contre le fascisme, pour les libertés, les valeurs républicaines, de la fraternité, de la solidarité, de l'accueil, de tout, les personnes qui passent. Donc ça c'est mes valeurs profondes. On ne peut pas faire un îlot de bonheur dans un océan brun de menaces sur les libertés, de menaces sur l'égalité des hommes et des femmes. Donc on fera du système de santé ce qu'on fait aussi de notre société. Le système de santé reflète la société. Il a des difficultés, bien sûr. Il a des difficultés financières, des difficultés organisationnelles. Il y a les problèmes d'aménagement du territoire. On ne va pas travailler forcément sur un col perdu, comme on vient travailler dans le 14e arrondissement de Paris. Puis c'est difficile. La vie, la mort, c'est quand même les questions fondamentales de l'exercice de ces professionnels. Donc tout ça est dur, mais tout ça dépend quand même de comment est organisée la société. et comment les valeurs de respect de l'homme, de la dignité, sont réalisées, exaucées à l'extérieur des murs du système. Le système, il va refléter tout ça. Depuis quelques années, on a essayé de faire bouger, et on l'a fait bouger, le système avec plus de territoires, plus d'organisations décilotées. On a essayé de sortir de tout ça, mais tout ça se passe dans le contexte d'une démocratie. Toutes les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui sont quand même des difficultés dans lesquelles on progresse quand même, dans une démocratie où il y a des valeurs de fond qui sont inscrites, y compris dans le Code de la santé publique, sur l'accueil de tous et de toute personne, quelles que soient ses origines et quels que soient ses moyens financiers. pour venir se faire soigner, récupérer, regagner la santé dont elle a besoin. Donc l'évolution du système de santé aujourd'hui, ce qui me préoccupe, c'est l'évolution de la société. C'est la guerre en Europe et aux portes de l'Europe, c'est ce qui va se passer dans le pays. Ça me préoccupe beaucoup.
- Speaker #1
Tu attends donc de la jeune génération qu'on protège le système démocratique ?
- Speaker #0
Bien évidemment. Je n'ai jamais pensé que le système de santé, c'est comme l'éducation. Il n'y a pas un mur entre la société et l'éducation, c'est impossible. L'éducation peut corriger des inégalités de vie dans la société, mais il n'y a pas comme ça, des mondes séparés, parallèles, ça n'existe pas.
- Speaker #1
Et la formation pour devenir professionnel de santé ? d'être particulièrement directeur d'hôpital. Tu penses qu'elle doit évoluer ?
- Speaker #0
Je crois beaucoup aux métiers, je l'ai dit tout à l'heure. Les métiers de management, on va dire, pas seulement à l'hôpital, dans le système, là pour le coup, de santé. Et donc, on inclut dedans la régulation et on inclut la gestion, l'organisation, la vision stratégique de toutes les composantes de la santé. Ça va de la recherche au médico-social. Je pense qu'il y a des fondements communs qui sont des fondements de gestion, de management, de RH, de savoir également financer, projeter des choses, comprendre les organisations. Et puis après, il y a un peu d'expérience et puis il y a de l'envie de faire. Moi, je sais que quand je suis sortie de l'école, j'ai passé plusieurs années à la direction du plan. Ça a complètement formaté d'ailleurs ma façon de voir les choses dans le système. Parce qu'on s'occupait de la production de soi, moi la gestion, ça ne m'intéressait absolument pas. Ce n'était pas mon truc, ce n'était pas mon truc. Et j'ai ensuite attrapé les questions de gestion comme des segments d'un ensemble, qui était l'ensemble dans lequel j'étais amenée à travailler. Donc, je n'ai pas répondu à la question. Je pense que la formation des managers de santé, d'abord, oui, je pense qu'elle doit évoluer parce que... On doit pouvoir former d'autres professions que des gens qui viennent de cursus de Sciences Po, de faculté. Je pense que dans les écoles de commerce aujourd'hui, il y a des modules de management, d'organisation, de finance bien évidemment, qui sont certainement les mêmes choses qu'ils apprennent maintenant à l'école de la santé. Donc je pense qu'il y a des éléments de gestion socle, et puis après de l'expérience et de la compréhension du milieu dans lequel on arrive. Donc il faut qu'on puisse former d'autres professions. À nos métiers d'organisation, de régulation, de gestion, il faut qu'on puisse former d'autres métiers, et donc qu'on trouve les moyens de les former.
- Speaker #1
Pour terminer, tu nous as déjà raconté énormément d'éléments d'expérience de ton parcours. Est-ce que tu aurais une anecdote particulière à nous partager ?
- Speaker #0
J'ai une histoire comme ça, celle-là, dont je m'en souviens, parce qu'elle m'a vraiment beaucoup marquée. Dans le milieu de la direction d'hôpital, on est vraiment amené à s'occuper de tout. On est parfois confronté à des situations assez bizarres. Un jour, j'étais à la pitié salpêtrière, je n'étais pas de garde, et mon collègue directeur... De garde m'appelle un vendredi soir chez moi et me dit je suis embêtée parce qu'il y a le raout des internes et puis il y a des bus, des gros camions, je sais pas ce qui se passe. Je voulais te prévenir. Je lui dis écoute, va regarder, tiens toi au courant. Et puis, il me rappelle, il me dit, oh là là, les internes sont déguisés de tous les côtés. Ça ressemble à une histoire de jungle, de brousse. Je suis un peu inquiète. Et puis, il me rappelle, il me dit, Anne-Marie, puis il pouvait à peine parler. Il me dit, Anne-Marie, il y a des tigres qui sont en train de descendre du camion sur l'esplanade. de la pitié, pitié et pas salpêtrière, pitié, c'est-à-dire là où la densité du nombre de malades au mètre carré est une des plus importantes au monde. Il y a les urgences, il y a tout, il y a des grands bâtiments, il y a plein de malades, plein de professionnels. Il me dit, il y a des tigres qui sont en train de descendre. Et alors, coup de bol, j'avais à l'esprit qu'on nous avait donné Un numéro de téléphone de commissariat de super-garde à Paris, où on pouvait les appeler quand on avait un super problème urgent. Et coup de bol, j'ai retrouvé ce numéro de téléphone, j'appelle et je dis Bonjour, je suis la directrice de la Pitié, j'ai des tigres à l'hôpital, ne quittez pas, je vous passe quelqu'un, mais dépêchez-vous, dépêchez-vous, dépêchez-vous ! Et donc finalement, je tombe sur quelqu'un qui me dit Ok, il faut faire quelque chose. Vous m'envoyez trois voitures, quatre voitures, tout de suite. Il me dit, ne quittez pas, je vous mets en relation avec la patrouille. C'est de ça dont je me souviens le plus, qui est que... Et on me met en relation avec une voiture, j'entends que c'est une voiture. Je dis, bonjour monsieur, il y a des tigres qui ont été lâchés à la pitié. Est-ce que vous pouvez y aller tout de suite ? Et à ce moment-là, j'entends... Comme le crissement des roues sur la route qui tournent comme si la bagnole faisait demi-tour et qu'elle allait à la pitié. Et donc, je rappelle mon collègue en disant, écoute, il y a des gens qui viennent t'aider. Et puis, faites le maximum. Les tigres étaient en train de descendre doucement. La police est arrivée vraiment quasiment tout de suite. Et donc, on a arrangé les choses. La petite fête s'est arrêtée. Et... Mon souvenir, c'est que pendant au moins une semaine, je n'ai pas décoléré. Je n'ai pas décoléré. J'ai ce souvenir à la pitié. Cette expression, on a les cheveux scotchés au plafond. Je n'ai pas décoléré de peur. De la peur que j'ai eue, peut-être irrationnelle d'ailleurs. En tout cas, j'ai eu extrêmement peur. L'anecdote, parce que celle-là, ça m'est arrivé une fois. Ça n'arrive pas à tout le monde. J'espère, je souhaite que ça ne leur arrive pas. Parce que j'ai eu vraiment très, très, très peur.
- Speaker #1
C'est quoi la suite pour Anne-Marie Hermant-Terrasse ?
- Speaker #0
Ce que je fais maintenant, je m'engage là où ça me fait plaisir, là où j'ai envie. Depuis que je suis sortie de l'Elysée, j'accompagne des structures. Je travaille sur le numérique en santé, par exemple. C'est un sujet que je ne connaissais pas bien et qui est absolument passionnant. Je préside un think tank avec des gens tout à fait sympathiques et avec qui j'adore travailler et où j'apprends. Je suis contente de continuer à apprendre des choses, à découvrir des choses, à découvrir des rencontres, des gens que je ne connaissais pas, faire de nouvelles amitiés et puis voilà, de nouvelles feuilles de route.
- Speaker #1
Merci Anne-Marie d'avoir accepté l'invitation dans le podcast Raison d'être et de nous avoir partagé autant d'expériences.
- Speaker #0
Merci, au revoir.