- Speaker #0
Sous-je les mots, c'est tout sauf évident. Il y a un courage de prendre la parole. Ce qui relie le peuple à son Dieu, c'est d'abord le langage. Une parole qui peut redresser, qui peut guérir, qui peut mettre en route et en chemin. Il faut aussi se garder le caractère potentiellement violent de la parole. Parce que si la parole peut guérir ou relever, elle peut aussi brimer, blesser et abécer. De vive voix.
- Speaker #1
Le monde a besoin de votre parole.
- Speaker #0
Dire, s'exprimer.
- Speaker #1
Prendre la parole, c'est extrêmement important.
- Speaker #0
Je parle en jeu.
- Speaker #1
Je me suis dit, ok, je peux aussi parler. On a la voix du mécontentement, on a la voix de la colère.
- Speaker #0
De vive voix. De pleine voix. Un podcast de Gabriel de Sarzan pour réformer.ch
- Speaker #1
Jean-Michel Perret est pasteur, aumônier à l'Université de Genève, chanteur classique et de gospel. Il dirige d'ailleurs une chorale d'étudiants avec un répertoire de chant gospel. Mais il a aussi pratiqué les arts du cirque.
- Speaker #0
J'étais d'abord jongleur, et puis je faisais du monocycle, et puis je suis devenu porteur avec une voltigeuse, donc je me suis beaucoup développé physiquement, musculairement. Et puis après avoir travaillé 48 heures pour l'université, rédigé une dissertation à l'ordinateur, je suis allé m'entraîner, et le haut du corps était fatigué par le fait d'avoir écrit à l'ordinateur. J'ai fait un équilibre sur la tête, et ça m'a déchiré un muscle dans l'épaule. Le prof a dit, ou bien ça passe rapidement, ou bien ça reste. Et puis c'est resté. C'est-à-dire que c'était une forme de fragilité. Et puis moi, ça m'a aidé à me recentrer sur la fin de mes études. Et ce n'était pas facile parce que la vie de bohème, elle a beaucoup de qualités. Et tout d'un coup, il s'agissait de reprendre une vie normale finir les études, rentrer en stage. Et le cirque était pour moi aussi le lieu du rêve, le lieu de l'imaginaire, de la création.
- Speaker #1
Et comment est-ce que vous êtes tombé, si je puis dire, dans le champ ?
- Speaker #0
Bon, je chantais toujours à l'église et puis j'avais plutôt une bonne voix, mais c'est une collègue d'études, quand je terminais mon mémoire de licence à l'université en bibliothèque l'été, on était une dizaine d'étudiants à passer notre été enfermés, et on a fini par se connaître les uns les autres, et là il y a une étudiante qui a dit, mais tu as plutôt une belle voix, j'ai un prof de chant qui est bulgare, qui est dans les chœurs du Grand Théâtre, tu devrais venir. Et donc il m'a pris comme élève et puis j'ai beaucoup travaillé avec lui et ça a été la découverte de l'opéra, du bel canto mais aussi de la filière d'Europe de l'Est pour les voix. Et moi j'ai une voix de basse, de basse chantante et j'ai beaucoup écouté ses voix, Nicolas Eguiarov, Boris Christophe, c'est aussi des chants de l'orthodoxie. Et puis c'était une façon pour moi de refaire une activité avec le corps, qui était physique, mais pas aussi violente et exigeante que le cirque, et puis qui avait quand même aussi cette dimension spirituelle que permet le chant, d'être à mi-chemin entre une discipline technique, une discipline artistique, mais qui peut aussi ouvrir sur un autre monde.
- Speaker #1
Vous arrivez à dire peut-être quelles sont les émotions qui vous habitent quand vous chantez ?
- Speaker #0
Depuis les années, le chant m'est presque devenu naturel. C'est-à-dire qu'à force de le pratiquer, soit pour enseigner, dans le cadre du chœur gospel que je dirige, ou de pratiquer la musique chez moi, le chant m'accompagnant à la guitare, au piano, c'est devenu une partie constitutive de mon quotidien. Et c'est aussi une pratique qui me met en route, qui me met en chemin. Le fait de chanter, que ce soit du classique, Que ce soit de la musique sacrée, que ce soit de la chanson française à texte ou en italien ou en anglais, c'est une ouverture sur le monde. Et c'est quand même toujours une ouverture sur une parole qu'on reçoit, comme quand on lit la Bible. Et finalement, on pratique cette parole avec la modulation que permet la musique. Et donc, chanter, c'est parler, en réalité, mais on parle à une certaine hauteur, à un certain rythme.
- Speaker #1
Qu'est-ce que vous vivez là que vous ne parvenez pas à vivre autrement ?
- Speaker #0
Pour moi, le chant, c'est un lieu privilégié du partage. Ce partage peut se faire comme la méditation ou la prière avec Dieu et avec soi-même, éventuellement avec d'autres. Et puis ensuite, il y a toute la dimension du partage lorsqu'on pratique le chant choral, soit comme choriste, soit en dirigeant un chœur. Et le miracle de l'art choral, c'est qu'en fait, la qualité globale du chœur est supérieure à l'addition de la qualité individuelle des voix. Et il y a vraiment comme un miracle, parce que vous pouvez pratiquer le chant avec des personnes dont individuellement la voix n'est pas exceptionnelle, et puis le rendu de l'ensemble est inattendu par sa qualité. Et là, il y a quelque chose de très chouette qui s'opère. L'autre... Question en lien avec la musique, c'est aussi en lien avec mon métier de pasteur. Dans le monde dans lequel on vit aujourd'hui, il faut trouver le moyen... de pratiquer une activité qui relève de près ou de loin du christianisme, mais qui soit ouverte aux croyants et aux non-croyants, aux pratiquants et aux non-pratiquants. Vous pouvez chanter une passion de Bach en étant croyant, et vous nourrissez votre foi en le faisant, et vous pouvez chanter du Bach en étant athée. Mais c'est la qualité musicale, et puis il y a ce côté un peu historique ou archaïque du message chrétien, de la passion, mais qui fait partie d'un ensemble. Et la musique permet ça, je crois, de façon privilégiée, comme les arts en général.
- Speaker #1
Si ce que vous entendez vous intéresse, sachez que nous avons préparé dans la description une fiche qui résume les moments forts de cet entretien ainsi que les liens utiles en rapport avec le sujet. Jean-Michel Perret, est-ce que vous, vous pouvez témoigner que le chant, que cet art-là vous a libéré de quelque chose ?
- Speaker #0
Je pense que... Il y a dans la pratique de tout art une forme de gratuité ou de grâce. Et si vous avez une intention trop précise, par exemple en chantant, si vous voulez chanter parce que vous voulez vous faire connaître, parce que vous voulez être une star, parce que vous voulez faire entendre la beauté de votre voix, je pense qu'on passe à côté de quelque chose. Parce que finalement, ce qui va créer l'émotion artistique, ce n'est pas nécessairement la perfection. mais c'est le fait que la personne qui est en face de vous y met son cœur, y met son énergie à travailler pour arriver là, et ensuite, elle a l'humilité de s'exhiber, entre guillemets, de se mettre en jeu. Voilà, sous le regard des autres, vous pouvez être critiqué, vous pouvez être apprécié, mais vous partagez quelque chose qui est de votre monde avec d'autres.
- Speaker #1
Jean-Michel Perret, vous l'avez dit, vous êtes pasteur. Qu'est-ce que vous comprenez dans les textes bibliques de ce qu'est la voix ?
- Speaker #0
Alors la Bible, elle a ceci de particulier qu'elle nous est transmise par un livre, une bibliothèque. Mais on sait aussi que, par exemple, les évangiles ont d'abord été transmis, ce sont des histoires, des récits de miracles, des rencontres, qui ont été transmises oralement, puis qui ont été mises par écrit, qui ont différents témoignages, témoins de ces textes, et puis qu'on en a choisi certains, et puis qu'ensuite on a choisi parmi des évangiles ceux qui vont rentrer dans ce qui est devenu le Nouveau Testament. Donc il y a un choix qui se fait à travers l'histoire, mais dans une civilisation où l'oralité était primordiale. Il n'y avait pas l'écrit comme aujourd'hui, il n'y avait pas les enregistrements, donc on se transmet des récits. Donc l'oralité, elle était fondamentale. Mais nous n'avons plus le son de ces voix aujourd'hui. Nous n'en avons que l'impact ou le témoignage de l'écrit. Mais la voix, on voit qu'elle est essentielle, par exemple, dans tous les récits de l'Ancien Testament, par exemple parmi les prophètes. Vous avez des récits de vocation des prophètes où Dieu s'adresse à quelqu'un en lui disant Je veux que tu deviennes mon porte-pas. et on voit que de façon récurrente, la personne qui est appelée dit mais non, pas moi, pas moi Seigneur, je suis trop jeune, je bégaye, je ne sais pas parler en public. Et finalement, il y a un cheminement qui se fait, et la personne finit par accepter de devenir ce porte-parole de Dieu, mais il y a d'abord un nom initial, donc il y a une sorte de dialogue qui s'opère avec Dieu, qui passe probablement par la voix. Alors est-ce que ces prophètes entendent la voix de Dieu ? Est-ce que leur voix est entendue de Dieu ? Mais il y a un échange qui s'opère et qui permet de parcourir un chemin. Et là aussi, c'est comme je disais tout à l'heure, on n'est pas croyant de la même manière tout au long de notre existence. Eh bien, ces grands prophètes de la Bible commencent par dire non, pour ensuite dire oui, pour ensuite trahir le Dieu dont ils sont le porte-parole, pour se repentir, pour aller de l'avant. Et tout ça se passe par le langage, par la parole.
- Speaker #1
Et il a fallu qu'il prenne la parole.
- Speaker #0
Alors il a fallu qu'ils prennent la parole et par rapport à Dieu, et par rapport à eux-mêmes, et par rapport au peuple auquel ils s'adressent. Il y a un courage de prendre la parole qui est nécessaire. Il y a un courage aussi parfois de se taire, c'est-à-dire il faut parfois être courageux pour ne pas hurler avec les loups. Et puis parfois il faut briser la loi du silence. Il y a des situations où des personnes qui peuvent être victimes de différentes choses choisissent de prendre la parole. avec la crainte de ne pas être cru, avec la crainte de ne pas être entendu, mais c'est nécessaire de verbaliser ce qu'on vit et d'oser, à un moment donné, élever la voix, peut-être pour lutter contre des formes de mal.
- Speaker #1
Et comment est-ce que vous comprenez les versets qui disent de Dieu qu'il est le Verbe, qu'il est le Logos ?
- Speaker #0
Alors, c'est quand même frappant que dans la Genèse, on nous dit que Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut. Et puis, dans le prologue de l'évangile de Jean, vous parlez du Logos, on nous dit aussi que la parole est centrale. Je pense que... Ce qui relie le peuple à son Dieu, dans la Bible, c'est d'abord le langage. Et donc, on attribue à Dieu la capacité d'avoir un langage que l'on appelle performatif, c'est-à-dire qui prétend réaliser ce qu'il dit, que la lumière soit et la lumière fut. Et ce caractère performatif du langage, il est le propre du Dieu, du Dieu créateur et du Dieu tout-puissant. Ensuite, l'être humain, le croyant, se met à la suite de ce Dieu qu'il croit tout puissant ou pas, et l'évangile qui est une parole, une parole qui libère, devient à son tour performative, c'est-à-dire qu'elle prétend réaliser quelque chose, et par exemple dans les rencontres de Jésus dans les évangiles, dans les récits de miracles et autres, cette parole prend vie et devient effective. Alors comment est-ce qu'une parole de ce type prend effet aujourd'hui ? Je ne crois plus qu'on est dans un monde de représentation mythologique de la création du monde. On n'est plus dans un monde où les miracles sont perçus de la même façon que dans l'Antiquité. Mais on recherche une parole qui peut redresser, qui peut guérir, qui peut mettre en route et en chemin.
- Speaker #1
Est-ce que ça signifie à Jean-Michel Perret que pour vous, la parole, c'est la chose qui guérit, qui nous met en route, soit, qui nous nourrit, ok, mais elle nous guérit aussi. Elle a cette vertu-là ?
- Speaker #0
Je pense qu'il y a une parole qui peut nous aider à donner du sens ou à redonner du sens. C'est-à-dire que le terme de guérison, il peut être pertinent. Mais il y a beaucoup de nos contemporains, nous-mêmes, nous pouvons passer par des épreuves, par des maladies dont on ne va pas guérir, par des souffrances qui vont rester. Et je pense que la plus grande souffrance que nous vivons dans notre société, c'est une perte de sens. Et la parole, qu'elle soit la parole de Dieu, une parole chrétienne, ou la parole d'artiste, de penseur, qui aide à donner du sens au quotidien, qui aide aussi... à prôner une espérance, qu'elle soit chrétienne ou athée, qu'elle soit raisonnable ou à rebours de la raison. Mais cette parole qui touche à l'espérance nous aide, parce que ça c'est Yves Bonnefoy, le poète qui le dit, qui est athée. Il préfère prôner l'espérance, même si ce n'est pas raisonnable, de peur que si l'humanité ne désespère, elle ne finisse par se comporter en barbare. Donc en fait, il y a tout un travail que nous avons à faire. pour nous-mêmes et pour les autres, qui est d'essayer de lutter contre le désespoir et la désespérance. Et dans ma quête théologique de ces derniers temps, je me suis rappelé qu'en théologie, on peut parler de théologie positive ou négative. La théologie négative, elle va plutôt insister sur ce que Dieu n'est pas que sur ce que Dieu serait. Et que ce soit pour la philosophie antique ou pour la théologie, le danger d'une théologie positive qui insisterait sur l'être de Dieu en disant voilà, Dieu est comme ça c'est que ça peut conduire au nihilisme, c'est-à-dire à tout anéantir, parce qu'on est persuadé ou on nous inculque que Dieu est comme ça, et tout d'un coup ce Dieu-là ne nous convient plus du tout, mais on reste persuadé que Dieu est comme ça. Alors on balance tout, et là on peut sombrer dans le désespoir. Alors vous me demandiez tout à l'heure la voie. La Bible, il faut lire la Bible. parce qu'il y a souvent une liberté dans les textes bibliques, une violence du peuple d'Israël, des prophètes qui s'entraînent à Dieu, qui mettent Dieu en cause et en question, avec une violence et une virulence que nous, on ne s'autoriserait plus aujourd'hui. Eh bien, cette violence, elle nous fait du bien. Parce que plutôt que de tourner le dos à Dieu, il faut l'engueuler. Il faut lui dire comment on attend qu'il soit aujourd'hui. Et puis, dans ce chemin-là, il peut s'opérer quelque chose. Et ça, la Bible nous le rappelle, et il ne faut pas qu'on laisse tomber ça.
- Speaker #1
Jean-Michel Perret, est-ce que vous croyez qu'on arrive à avancer sur notre chemin de vie pour autant qu'on arrive à mettre des mots sur ce que l'on vit ? ou sur ce que l'on comprend de l'existence ?
- Speaker #0
Vous demandiez tout à l'heure si la parole peut guérir. Et moi, je pense qu'une parole qui libère, c'est quand on arrive à nommer quelque chose que l'on n'a pas réussi à nommer jusqu'à aujourd'hui. C'est-à-dire que de trouver les mots, c'est tout sauf évident. Et c'est tout ce passage que l'on fait entre un travail que l'on fait à l'intérieur de soi, individuellement, et puis une parole que l'on reçoit et qui nous aide à comprendre les choses. Donc, nommer... c'est absolument fondamental, par exemple, dans la Bible, on oublie toujours ce passage de la Genèse où le Seigneur fait défiler les animaux devant Adam pour qu'il les nomme. Il y a une très belle chanson de Bob Dylan, un reggae, qui dit L'homme nomma les animaux Et puis il y en a un qui a une queue tordue, qui a un groin, qui est rose, alors on va l'appeler cochon. On dirait une chanson pour enfants. Mais derrière le fait d'aller nommer les êtres vivants qui nous entourent, d'aller nommer notre environnement, eh bien, on établit une relation. Et c'est le langage pour les humains qui permet cette relation. Donc il faut continuer de chercher des mots, il faut continuer d'inventer des mots, et puis il faut aussi se garder du caractère potentiellement violent de la parole, parce que si la parole peut guérir, peut relever, elle peut aussi brimer, blesser, abaisser. Et là aussi on vit dans un monde où il y a beaucoup de paroles violentes, il y a beaucoup de paroles brimantes, il y a des personnes qui subissent. ces paroles-là en particulier des minorités des étrangers et c'est aussi notre travail à nous de veiller à ce que le caractère blessant des paroles puisse être transformé et évolué pour permettre à ceux qui les subissent de continuer d'aller de l'avant dans l'existence
- Speaker #1
Vous pouvez retrouver un nouvel épisode de ce podcast toutes les deux semaines sur reformer.ch ou sur les différentes plateformes d'écoute Spotify, Apple Podcasts ou Deezer. Et si cet épisode vous a touché ou apporté quelque chose de spécial, montrez-nous votre soutien en nous attribuant 5 étoiles. Thierry Châtel était à la réalisation et Maxi J à la production.
- Speaker #0
De vive voix !