- Speaker #0
Les gens, ils fonctionnaient, ils disaient qu'ils avaient deux ans à vivre. Une jeune fille que j'ai accompagnée, qui a été contaminée, premier rapport sexuel à 16 ans, elle devient séropositive. Et elle tombe malade assez vite, sans les médicaments. Elle vient vers moi et elle me dit « Mais Dominique, comment je peux mourir si je n'ai rien vécu ? Qu'est-ce qui peut faire sens dans ma vie alors que j'ai que 16 ans ? Où est-ce que je peux trouver du sens pour moi pour pouvoir mourir ? Parce que sinon, je ne peux pas mourir. » La Suisse était un des pays d'Europe les plus touchés, et Genève était la ville suisse la plus touchée, avec 1% de la population séropositive. C'est énorme. C'est énorme. De 1990 à 1996, j'ai enterré une personne par semaine, une personne que j'avais accompagnée. Donc je suis devenue la spécialiste des services funèbres, la spécialiste des rites. Du coup, on m'appelait pour enterrer. Donc c'était ça aussi mon ministère. Juste se rappeler, les gens mouraient.
- Speaker #1
Elle vient d'une banlieue rouge parisienne. Elle se forme à la théologie de la libération en Amérique latine avec des maîtres comme Georges Casalis. ou Mgr Romero. Mais c'est à Genève, où ces talents d'accompagnatrice, de femme qui se bat pour la vie, qu'elle va pouvoir exercer un ministère assez exceptionnel dans un moment où les gens mourraient. L'espérance de vie était d'une année ou deux. C'est son ministère Sida qu'elle nous raconte.
- Speaker #0
Mémoire vive, un podcast de Michel Cocher pour réformer.ch
- Speaker #1
Damien Ecoulin, bonjour.
- Speaker #0
Bonjour.
- Speaker #1
Merci d'être avec nous pour Mémoire vive. J'aimerais qu'on commence par vos origines, est-ce qu'on peut dire parisiennes ? C'est comme ça qu'on peut dire. Paris est la Paris de la banlieue, vous aimez à le dire, vous le reconnaissez. Puis un Paris rouge, c'est déjà une couleur politique.
- Speaker #0
Oui, je disais toujours, j'ai longtemps dit au début, maintenant moi, parce que peut-être je suis plus vieille, je disais, je viens du 9-3, la banlieue qui brûle. Donc c'était aussi une manière de me différencier. Oui, je viens de la Seine-Saint-Denis, d'une banlieue ouvrière, j'ai une famille ouvrière et donc j'ai grandi dans la banlieue parisienne. J'ai vécu aussi à Paris, mais je viens de la banlieue qui brûle, du 93.
- Speaker #1
C'était comment la banlieue qui brûle ?
- Speaker #0
Elle brûlait moins à l'époque, mais c'était quand même une banlieue avec des bandes. C'était un peu comme dans la bande dessinée avec Lucien sur sa mobilette, ou la chanson de Renaud, quand il chante Gérard Lambert. C'est un peu ça, on était en bande, on faisait des bêtises, mais c'était sympa. C'était vraiment une banlieue sympa. Moi, j'ai aimé habiter dans cette banlieue. Les endroits où il ne faut pas être et en même temps, c'est des endroits où il se passe toujours quelque chose.
- Speaker #1
Faire des bêtises, c'était quoi ?
- Speaker #0
C'était des bêtises d'ado, des trucs de gamins et d'adolescents. On était dehors, on était en bande.
- Speaker #1
On parle déjà de la drogue à ce moment-là, parce qu'aujourd'hui, on a la vision qu'on a des banlieues, que ce soit Paris ou autre, c'est quand même assez effrayant.
- Speaker #0
Oui, il y avait déjà la drogue, mais c'était différent. Mon adolescence et quand j'étais jeune adulte, jusqu'à 18. 20 ans, c'était des drogues dures, c'était l'héroïne, c'était l'éther, parce que l'éther était en vente libre, c'était le LSD, c'était déjà les médicaments qui commençaient avec la codéine qui était vendue dans des médicaments, mais c'était surtout, il y avait surtout un gros, il y avait peu de cocaïne, ça touchait les milieux plus aisés, mais dans les milieux pauvres, c'était vraiment, bon il y avait le cannabis, mais il y avait l'héroïne et puis l'éther, c'était vraiment une drogue difficile, et le LSD, avec des gens qui faisaient des bâtiments. de tripes et puis qui ne revenaient pas. C'était très violent.
- Speaker #1
Et la situation politique, vous en avez des souvenirs à cette époque de votre adolescence et jeunesse ?
- Speaker #0
Je n'ai pas de souvenirs de situation politique de la France comme elle pourrait être aujourd'hui ou du monde comme il pourrait être aujourd'hui. Mais moi, je sais que mon engagement politique remonte à l'entrée des chars à Santiago du Chili. J'ai une vision de regarder les informations à la télé. avec mes parents, puisqu'on regardait le journal, et de voir ces chars qui rentraient, et la mort d'Aliendé, et je me suis dit, le monde doit changer, on doit changer le monde.
- Speaker #1
C'était Pinochet, évidemment.
- Speaker #0
Oui, oui. Et c'est ce que je me rappelle comme engagement politique, et puis dans mon adolescence, il y avait aussi les... Et j'étais tellement... Je n'étais pas très cultivée, il faut le dire, mais on boycottait les oranges d'Afrique du Sud. Ah oui, l'Apartheid. Oui, l'Apartheid. et donc c'était les oranges Oudspan, out of Spain, donc pour moi c'était out of Spain, donc les oranges, j'ai un souvenir de ces oranges Oudspan et on militait pour, donc j'ai ce cli malade, donc pour libérer Mandela et puis il y avait aussi ces manifs d'après 68, donc on disait cinq ans déjà, coucou nous revoilà, six ans déjà, coucou nous revoilà, donc c'est ces grandes manifs auxquelles j'ai participé mais qui étaient... 5 ans après 68.
- Speaker #1
À la différence d'autres invités de Mémoire vive, vous êtes d'une génération d'après 68.
- Speaker #0
Oui, mais on était encore dedans. Parce que quand on disait 5 ans, sous les pavés de la plage, interdit d'interdire, c'est quand même ce qui nous a... Alors, je n'étais pas à Woodstock, mais je suis juste après. J'ai quand même écouté Janis Zopli, Jimi Hendrix. Je veux dire, j'ai été bercée par cette musique. Et on se revendiquait toujours d'être la génération juste. Après, parce que j'avais 10 ans en 68, donc juste après, on était en manif et on disait coucou, voilà quoi.
- Speaker #1
Vous vous sentiez prolétaire ? Vous pourriez dire comme ça aujourd'hui encore ?
- Speaker #0
Oui, et aussi théologiquement. Et aussi dans mon engagement, dans ma façon de faire de la théologie, dans mon engagement dans l'Église, c'était à l'époque, c'était les prêtres ouvriers, c'était la théologie de la libération, c'était tout ce questionnement qui disait si on... On s'engage dans l'Église, ça veut dire qu'on se met debout, on lutte pour que le monde juste, c'est ici et maintenant. Le paradis, c'est sur terre, ce n'est pas pour après. Donc, ça correspondait quand même aux utopies, à l'idéal.
- Speaker #1
De 68, oui. Et protestante parisienne, c'est quoi comme mélange à cette époque ?
- Speaker #0
C'était un peu annonçant. C'était curieux, oui. Oui, c'est très curieux parce qu'il y avait ce... Moi, je suis issue... Ma mère était d'origine catholique. mon p... Mon père était d'origine protestante, parce que mon père était d'une famille protestante qui avait fui les guerres de religion en France, qui s'était installé en Suisse. Et mon grand-père paternel est revenu en France et s'est fait renaturaliser français entre les deux guerres. Donc mon père était d'un milieu très pauvre, paysan, dans le Doubs, et donc protestant. Mais il n'était pas pratiquant, il pratiquait comme les protestants de l'époque, à Pâques et à Noël en gros. Et puis le catéchisme et le baptême. Et ma mère était de tradition catholique par sa mère, mais mon père était un ouvrier rouge. Donc SFIO, avant la séparation entre les socialistes et les communistes, il y avait les syndicats, la SFIO qui était très forte. Et mon grand-père, il était athée jusqu'au bout des ongles. Et il ne voulait rien savoir avec Dieu. Et même juste avant son décès, il a dit, mais bon, moi je ne veux rien. Mais enfin bon, si tu veux dire une petite prière, tu peux. C'est la seule chose qu'il a acceptée pour son enterrement. Mais donc, il y avait ça. Et donc, mes parents ne pouvaient pas se marier catholiques parce qu'il fallait que mon père se rebâtisse, parce qu'à l'époque, il était catholique. Et donc, ils se sont mariés protestants. Et donc, c'est comme ça que je suis devenue protestante dans la région parisienne. Et il n'y avait qu'un temple luthérien. Donc, j'ai été luthérienne. Mais les luthériens de Paris, mon Dieu, c'était quand même quelque chose. C'était quand même quelque chose. C'était quand même un peu réacte, quoi. mais j'avais un pasteur hyper sympa et très cool, qui chantait, qui nous faisait faire des camps de jeunes. Donc, c'est comme ça qu'on est attiré dans l'Église quand on est jeune. Soit nos parents nous mettent au cathé, puis on a un pasteur sympa. Du coup, on a envie de faire... Et on rencontre des copains.
- Speaker #1
Mais vous, vous faites plus que ça, puisque vous faites la théologie, après.
- Speaker #0
Oui, alors, un peu. C'est curieux, parce que j'ai eu mon bac à 16 ans, donc je n'étais pas en retard. Et mes parents avaient surtout envie que je devienne majeure et que je m'émancipe. Et du coup, j'ai dit... Je ne sais pas, je trouvais ça sympa. Je me suis dit, pourquoi pas la théologie ? Et donc, mes parents ont convoqué, enfin ma mère surtout qui était commandant en chef, elle a convoqué le pasteur luthérien, qui a dit « ma foi, s'il veut faire théologie, mais enfin, ce n'était pas trop un truc de femme non plus. » Puis ils ont dit « d'accord que je fasse théologie, mais il fallait que je m'inscrive dans une autre fac en même temps. » Donc, je me suis inscrite en même temps à Tolbiac en histoire. Moi, j'ai fait trois mois à Tolbiac et j'ai continué la théologie. Et j'avais comme consigne par ce pasteur qui était très sympa, mais qui n'était quand même pas de gauche, on va dire, et qui a dit Tu peux assister à tous les cours sauf à ceux de Casalis. Ah bon ? Oui, parce qu'ils représentaient les rouges, les communistes, cette espèce de pensée théologique. Et donc moi, très sagement, parce que j'étais… Ah, vous avez abégi ? Les trois premiers mois. Et puis un jour, j'ai croisé Georges Casalis dans les couloirs de la faculté de théologie qui était à Paris. La faculté de théologie, elle était le mur d'à côté de la prison de la santé. Donc il y avait la prison de la santé et la faculté de théologie. Oui, c'est ça. Et c'est quand même assez incroyable d'avoir cette prison de la santé en permanence des yeux. Et un jour, Georges Casalis me croise dans la faculté de théologie, qui était petite quand même, on était 40 étudiants, on n'était pas beaucoup. Puis il me dit « Mais pourquoi je ne te vois jamais à mes cours ? » Je dis « Ben, mon pasteur est béni, il va le faire exercer. » Et alors il me dit « Tu pourrais peut-être quand même assister et juger par toi-même. » Et donc j'ai assisté à son cours et j'ai pu me... plus jamais reparti, il est devenu... Du coup,
- Speaker #1
c'est devenu un de vos maîtres.
- Speaker #0
Un de mes maîtres, vraiment comme un père spirituel qui m'a accompagné tout au long, qui m'a surtout donné et l'envie de vraiment faire la théologie. J'ai eu des profs exceptionnels, François Florentin Smith sur les langues anciennes. Enfin, j'ai vraiment... C'était à l'époque, la théologie à Paris, on ne nous disait pas « Apprends ça par cœur » , on nous disait « Apprenez à réfléchir » . Et vraiment, j'ai fait de la théologie, on nous a dit « Apprenez à réfléchir » . et aller chercher. Donc on faisait les examens avec tous les livres, mais il fallait qu'on réfléchisse. Et Georges, il m'a dit « Sois fier de tes origines ouvrières, sois fier de là d'où tu viens, sois fier de ta banlieue, de ton œuvre 3, fais-en quelque chose ! » arrête d'attendre que les autres te disent quoi faire, fais quelque chose de qui tu es.
- Speaker #1
C'était une révélation pour moi.
- Speaker #0
Oui, vraiment, vraiment très, très importante pour ma famille. J'avais 16 ans. J'ai fêté mes 18 ans à la fac et puis ils m'ont offert un ours en plus. J'étais quand même, j'étais un peu jeune quand même. Même s'il y avait une certaine maturité, j'étais quand même un peu jeune pour avoir, pour oser penser par moi-même.
- Speaker #1
Parlez-nous de Casalis pour tous ceux qui nous voient ou nous écoutent et qui ne le connaissent pas. C'est une figure très importante du protestantisme français. Mais dites-nous un peu plus de ce que c'était.
- Speaker #0
C'était vraiment un théologien. Il enseignait l'herméneutique, donc la théologie pratique à la faculté. Et il était un prédicateur. Il était engagé dans tous les combats d'église. Il fallait se mettre au service d'eux, il fallait changer le monde, c'était ici maintenant, avec une théologie vraiment puissante. Et puis, il était très lié à l'Amérique latine, il était aussi lié, il a été formé par Barthes et compagnie. Donc, il y avait aussi toute une réflexion théologique. Je pense qu'aujourd'hui, on ne sait plus ce que c'est parce qu'on ne se rappelle pas qu'aujourd'hui, les étudiants en théologie ne doivent pas se farcir les 40 tonnes de la dogmatique de Barthes et que nous, on a dû regarder, qu'on voyait ça en se disant « mais jamais on ne pourra lire tous ces machins » . Et donc, il y avait cette théologie-là. Et surtout, il nous apprenait l'art de la prédication, l'art d'incarner ce que c'était que la théologie dans la vie de tous les jours. Et c'est pour ça que j'ai eu cet engagement après.
- Speaker #1
Ces cours, c'était comment ?
- Speaker #0
C'était des cours où il ne faisait pas un enseignement académique. Il prenait un sujet, il amenait un théologien, il racontait, puis après, on questionnait. Et on devait toujours questionner, dire ce qu'on... On devait toujours penser par nous-mêmes. C'est-à-dire avoir une pensée propre en disant, voilà, j'affirme, je ne suis pas d'accord. Il s'en foutait de savoir si on était d'accord ou pas avec lui. C'était de pouvoir argumenter, de pouvoir défendre et de pouvoir dire à quoi ça correspond de faire ça.
- Speaker #1
Donc, ce n'était pas très consensuel, ces cours ?
- Speaker #0
Non, jamais. Non, non, non. C'était très chaud.
- Speaker #1
Vous avez encore des liens avec des camarades d'études de cette époque ? Vous savez ce qu'ils sont devenus ? Certains ont suivi, au fond, cette ligne ?
- Speaker #0
Oui, certains. Certains sont encore engagés ou étaient engagés à la CIMAD ou dans d'autres lieux de l'Église. Mais je n'ai plus de lien plus proche parce que j'ai quitté la France. Je suis venue en Suisse et c'est un peu différent. La Suisse, c'est vraiment terre étrangère pour la France. Et puis pour le protestantisme. Pour juste terminer le passage, on ne sait pas ce que c'est les protestants en France. D'abord, les Français disent toujours que les chrétiens, c'est des catholiques. Ils ne savent pas que les protestants existent. Alors si on se rappelle quand même dans le gouvernement de Mitterrand, la moitié des ministres étaient des protestants. Toute la pensée intellectuelle de Ausha été beaucoup alimentée par une pensée protestante. Il faut quand même le reconnaître. On est pour ou contre, je m'en fous, ça existe. Mais je me rappelle que la première fois, quand j'étais pasteur dans le 15e arrondissement de Paris, un de mes premiers postes, j'étais malade. Donc j'ai été voir un médecin pour me soigner, une grue, ou je ne sais pas quoi. Et donc on remplissait. que faites-vous dans la vie ? Je dis je suis pasteur. Et le médecin me regarde et me dit vous gardez où vos moutons ? Non. Et je la regarde et elle se rend compte. Parce que t'es pas bête. Je me dis excusez-moi, mais ça veut dire aussi que pasteur ça voulait rien dire. Quand je suis arrivée à Genève et que j'ai vu la cathédrale Saint-Pierre, j'ai dit mais il faut la rendre aux catholiques, c'est pas possible. Ça peut pas être protestant. Alors elle m'a dit tais-toi. Mais j'ai dit c'est pas possible, c'était antinomique dans mon esprit. Ce protestantisme-là, je le connaissais pas. Quand j'ai découvert Genève, ou quand vous dites que c'est pasteur, vous êtes pasteur, ça ouvre toutes les portes, bon ça a changé maintenant. Mais en 87, quand je suis arrivée, ça ouvrait toutes les portes. Il suffisait de dire je suis pasteur.
- Speaker #1
Mais quand vous disiez je suis pasteur à Paris, ça donnait quoi ? Rien, on ne sait pas ce que c'est. Est-ce que vous avez pu exercer un ministère pastoral un bout de temps à Paris ?
- Speaker #0
Oui, oui, bien sûr.
- Speaker #1
Vous regardez quels souvenirs, c'était comment ?
- Speaker #0
C'était en milieu populaire, c'était la mission populaire évangélique, donc c'était un engagement auprès des populations. migrantes, des adolescents dans la rue. Donc je travaillais avec des ados dans la rue déjà, et puis avec des femmes d'origine africaine et maghrébine dans des cours d'alphabétisation. Donc il y avait des ventes de vêtements, des vestiaires. C'était un engagement populaire au service d'un quartier en difficulté. Donc c'était déjà une manière d'avoir le ministère pastoral différent. Et il y avait une particularité, c'est que les cultes le dimanche, c'était des cultes communautaires. Les gens venaient et puis on ne prêchait pas et puis tout le monde écoutait. On expliquait, on faisait une prédication et après il y avait 20 minutes de discussion où les gens interrogeaient sur ce qu'on venait de dire. Et c'est très formateur pour savoir faire une bonne prédication. Un, pour ne pas parler trop longtemps. Puis deux, pour dire quand même des choses qui vont intéresser et puis de savoir être mis en cause. Vous ne pouvez pas arriver en disant « Jésus t'aime » et puis ça veut dire quoi ? Donc c'était vraiment très très formateur. Donc ça, ça m'a beaucoup plu dans ce premier ministère pastoral.
- Speaker #1
Il y a une transition qu'il faut faire avec l'Amérique latine. En disant des notes sur vous, vous avez la chance tout de même d'aller en Amérique latine, d'y vivre un peu, donc de découvrir encore un autre continent, parce que ça c'est encore un autre monde.
- Speaker #0
Oui, alors j'ai eu une bourse du Conseil œcuménique des Églises, et donc je suis partie à Costa Rica pour faire un lieu de formation de tous les animateurs et animatrices des communautés de base pour l'Amérique centrale. Donc il y avait des gens de Cuba, de Panama, du Honduras, du Salvador, du Nicaragua. Et je suis allée en 79, c'était le moment de la révolution au Nicaragua que j'ai vécu en live. Je suis allée un mois après la victoire des Sandinistes, c'était hallucinant. Et donc moi j'arrive, et puis, donc c'est grâce à Georges Casalis qu'on a pu aller là-bas, que j'ai pu aller là-bas. Et quand on est arrivés, ils ont commencé par me dire, donc il y avait Pablo Richard, Théo Ousmane, enfin c'était des grands noms de la théologie. Ils ont commencé par me dire, Vous ? on n'a rien à faire de vous, vous êtes là, on vous accepte, mais si vous voulez changer le monde et faire la révolution, commencez par chez vous. Donc, venez pas nous dire ce qu'on doit faire. Donc, vous vous la coincez. Donc, déjà, moi, je ne parlais pas espagnol en plus au début, mais tous les cours étaient en espagnol, j'ai appris très, très vite espagnol. Et donc, on a été formés à... Donc, on m'a demandé... J'ai lu le Capital de Karl Marx en espagnol, c'est pour dire que c'était quand même un peu rude. Et puis, on a eu accès à toute cette théologie de la libération, on avait des cours d'économie. sexualité, c'était en 79, dogmatique, tout ça pour faire cette théologie de la libération. Et il y avait Ernesto Cardenal, donc aussi toute cette théologie-là. Et puis, du coup, on a connu des gens, c'est là que j'ai rencontré Mgr Romero. Et donc, c'était trois mois avant qu'il soit assassiné. Et ce type extraordinaire qui est venu nous rencontrer. Et je me rappelle une question que je lui ai posée. dans ces conflits qu'il y avait au Salvador, et tout, c'était terrible, et de lui dire, mais c'est quoi être chrétien aujourd'hui ? Et il a répondu, maintenir l'espérance. C'est tout. Et il s'est fait assassiner trois mois après. Donc ça, c'est des rencontres. C'est comme si on vit ça qu'une fois dans sa vie, d'être à un endroit où il se passe des choses comme ça. Et puis, effectivement, au niveau théologique, ça m'a quand même un peu bousculée, parce que c'était une chose d'avoir les cours, même avec Georges Canelis à Paris. ou à Montpellier après. Autre chose, c'était de vivre en vrai. Je me rappelle, j'étais déjà très féministe à l'époque, et donc je militais à fond sur le partage des tâches, etc. Et je rencontre des femmes au Panama, qui disent « oui, je viens » . Et puis elles disent « Dominique, c'est super sympa ce que tu nous racontes, c'est vraiment, on est d'accord avec toi, c'est vraiment ta lutte. Mais nous, avant de savoir qui fera la vaisselle, on aimerait bien avoir quelque chose à mettre dedans. » Et ça m'a fait vraiment réfléchir sur la manière de militer et de me dire, attention, regarde d'où tu parles et qui tu t'adresses. Et que les combats qu'on a, ils ne sont pas forcément universels, ils sont toujours conjecturels, dans une conjoncture, dans une réalité. Et que tu ne peux pas transposer une lutte comme ça. Elles étaient d'accord avec mes luttes, mais c'était ma lutte, ce n'était pas la leur.
- Speaker #1
C'était quoi la leur de lutte alors ?
- Speaker #0
C'était d'avoir quelque chose à manger. Et qu'après, ils s'occuperaient de savoir qui c'est qui ferait la vaisselle.
- Speaker #1
Comment vous avez vécu la mort de Romero ?
- Speaker #0
C'était terrible. J'étais jeune. Après, j'ai tellement vécu de gens qui sont morts. C'est difficile pour moi aujourd'hui de me rappeler ce que j'ai ressenti à ce moment-là parce que j'ai tellement été un sac à dos de gens qui sont morts avec moi que c'est difficile. Mais disons que c'était la première fois que j'avais rencontré quelqu'un qui est mort peu de temps après et quelqu'un qui est mort à cause de ce qu'il disait. Et ça m'a appris une chose quand même. Ça m'a appris que... Si je voulais prêcher le dimanche en paroisse en disant « faites ceci » ou « Dieu a dit » ou machin, machin, ce qu'on dit et souvent ce qu'on entend dans les prédications, si je n'y crois pas, ce n'est pas la peine. Et si je ne crois pas que ce que je dis peut être dangereux, y compris pour moi, alors ce n'est pas la peine. Et donc, ça m'a beaucoup fait travailler sur ma manière de prêcher. Et j'ai toujours fait des prédications assez courtes, mais où chaque mot que je disais, je le croyais et je pouvais l'incarner. D'où peut-être après mes conflits avec l'Église.
- Speaker #1
Qu'est-ce que vous gardez encore de l'Amérique latine ?
- Speaker #0
La fête, la danse, le rum coca, mais c'est pas très... Mais c'était ça, c'était une ambiance et c'était surtout cette espèce de... On y croyait, quoi. Cette théologie de la libération, elle était basée sur le fait que Dieu libère. C'était vraiment l'exode et la libération. Donc on était dans cette période-là aussi en Amérique latine, avec tout ce qui se passait en Amérique latine, et pour moi c'était, Dieu nous met debout, c'est lève-toi, lève-toi et marche, et vas-y et libère-toi, t'es libéré, tu sors d'Égypte. Donc j'ai été très longtemps marquée. par cette théologie-là et par le fait de dire « Lève-toi et marche ! » D'être le cas, il y a aussi Dieu qui dit à Abraham
- Speaker #1
« Lève-toi ! » C'est-à-dire que toute votre vie a été au fond portée par cette énergie, cette herméneutique-là de l'Évangile ?
- Speaker #0
Oui, très franchement, oui. Très franchement, même si après, avec les périodes Sida, etc., mon regard sur la théologie et sur Dieu et sur la parole a changé, mais c'était toujours « Qu'est-ce qui me met en mouvement ? » Qu'est-ce qui va mettre en mouvement les gens ? C'est-à-dire, la foi, est-ce qu'il permet de se remettre debout, de se mettre en mouvement ? Et si c'est pour rester assis, ce n'est pas tellement intéressant.
- Speaker #1
Alors, on va venir à Genève quand même, parce qu'on a bien compris la France, l'humus au fond prolétarien, si on peut dire ça, l'Amérique latine, c'est une manière de le traduire de façon extraordinaire et dynamique. Et là, vous arrivez à Genève dans un contexte qui est celui d'une grande bourgeoisie protestante. C'est un autre monde.
- Speaker #0
J'arrive en terre étrangère. D'abord, quand j'ai postulé, je ne pensais pas que je serais prise. Mais je suis arrivée en terre étrangère. Et donc, je ne suis arrivée avec rien. Parce que pasteur en France, on ne gagne pas beaucoup d'argent. Et je n'avais rien. Donc, je suis vraiment arrivée. J'avais un chien. Donc, je suis arrivée avec mon chien. Et une petite estafette avec des livres. Et puis, quelques objets. Et puis, j'avais rien. Mon premier salaire, j'ai cru que j'étais millionnaire. Il faut se rendre compte, je n'osais pas aller acheter du pain à Migros parce que je trouvais que le pain en Suisse, c'était trop cher. Je convertissais à chaque fois. Après, j'ai arrêté. Je n'ai jamais fait mes courses en France. J'ai toujours fait en Suisse. C'est un salaire en Suisse. J'ai une espèce d'intégrité comme ça. Et puis, je suis arrivée et je ne comprenais rien au protestantisme suisse. Enfin, calme-toi. C'est Calvin, il était carrément joyeux, joyeux. Et la première année où j'étais à Genève, j'ai rencontré que des étrangers. Des étrangers, des non-jeunevois. Et pour être invité à dîner ou chez un jeunevoi, ça m'a pris une année. C'est ça. Même avec les collègues pasteurs, etc.
- Speaker #1
Mais vous faisiez quoi à Genève en arrivant ?
- Speaker #0
J'étais directrice du centre universitaire protestant à l'avenue du Maï. Donc je remplaçais Jean-Pierre Zurn, qui partait sur un autre ministère. Donc j'avais 27 ans. j'arrive dans un foyer de titulance, c'est le paradis pour moi. Mais j'avais tout faux. C'est-à-dire que pour moi, des personnes d'origine arabe, j'avais la vision du maghrébin en France, et des maghrébins qui étaient ceux qui nettoyaient, etc. Ici, c'était des fils et des filles d'émir. Je ne comprenais rien à la société suisse. Je ne comprenais rien aussi aux mots. Je ne savais pas ce que c'était qu'une patarde lavée, qu'un cornet. ... J'ai eu beaucoup de difficultés, une fourre, on ne dit pas housse de couette, on dit fourre de duvet. Et donc, j'ai eu un peu de problèmes d'adaptation qui a fait beaucoup rire. Mais j'étais dans un milieu étudiant et c'était assez génial.
- Speaker #1
Vous dites à propos de Genève, c'est le lieu où j'ai appris qui je suis.
- Speaker #0
Oui, parce que j'ai été décentrée. C'était facile à Paris, j'étais dans mon milieu. Et ici, il a fallu que je… c'est le SIDA. Ce qui m'a fait connaître ça, c'est ce ministère SIDA. Parce qu'en arrivant, je ne savais pas encore trop qui j'étais. Je croyais savoir qui j'étais. Et j'ai appris au contact de toutes ces personnes vivant avec le SIDA parce que ça a été un bouleversement total dans ma vie, dans ma foi, dans ma croyance et dans qui j'étais.
- Speaker #1
On va y venir peut-être encore un mot sur le foyer d'étudiants. Quel type d'étudiants vous rencontrez ? Quel type de climat ?
- Speaker #0
C'était des appartements communautaires, ça avait été conçu comme ça. Donc c'était des appartements communautaires où il y avait de 6 à 8 étudiants par appartement. Ils partageaient une cuisine commune, ça la mangeait commune, ils avaient chacun leur chambre. Et puis ils venaient de tous les pays du monde. Et puis il y avait des animations, il y avait des repas communautaires sur l'immeuble. Et puis il y avait une partie aumônerie des étudiants. Donc c'était assez sympa, c'était cool. Mais c'était tranquille pour moi qui arrivais. Il n'y avait pas de problème. C'était simple d'un point de vue de choses à faire. Je me retrouvais dans un truc où il fallait que j'invente aussi peut-être un autre combat. Peut-être pour ça aussi que la rencontre avec le sida n'est pas innocente tant que ça.
- Speaker #1
Ça peut commencer à être rencontre avec le sida.
- Speaker #0
Mais parce que j'arrive en 87, en août 87, et je commence en septembre. Et au même moment, Isabelle Gresslet, je dis parce qu'elle est arrivée en 87. En septembre 87, elle de Strasbourg. avec deux parcours radicalement et deux histoires complètement différentes. Et ils nous ont demandé de travailler ensemble puisqu'on a fait l'aumônerie des étudiants ensemble. Donc c'est comme si on mettait le jour et la nuit ensemble. Ils étaient persuadés que ça n'allait jamais marcher. Et ça a matché de manière incroyable parce qu'on est très différentes, on était très différentes, mais on s'est complétés immédiatement. Donc on a fait l'aumônerie des étudiants ensemble. Mais quand j'arrive en 87, le SIDA a déjà démarré. Au début des années 80, quand on l'a identifié, il y a déjà pas mal de personnes vivant avec le sida. Et dans le foyer d'étudiants que je dirige, les étudiants nous disent « mais il faut nous parler sur le sida, il faut nous dire quelque chose, est-ce que tu peux nous informer ? » Le groupe Sida Zvnev se construisait, s'inaugurait à l'automne 87, tout près du cube. Donc je suis allée à l'inauguration. pour me faire connaître et puis voir. Et puis il y avait Dialoguer qui était l'association homosexuelle qui était l'antenne de l'aide suisse contre le sida à Genève qui existait et je suis allée les trouver. Mais moi le monde gay c'était un autre univers, je ne savais même pas que ça existait. Enfin je me suis dit c'est différent. Et donc ils m'ont vu arriver avec mon pelouse dans le cul et ma moto, ils m'ont regardée en me disant mais elle sort d'où celle-là ? Et puis je me suis dit il faut m'expliquer et tout. Et on a monté une exposition sur le thème du sida. à l'université en janvier 88, donc tout de suite après. Tout de suite après. Et donc, qui était dans l'Uni du Four, on a monté cette exposition Sida, on l'a fait en permanence. Puis moi, j'ai dialogué, je ne sais pas, donc ils m'ont formé un peu, ils m'ont fait rire. Après, j'ai été marraine de leurs locaux, c'était une belle histoire avec eux. Et il y a un étudiant qui est venu et qui a été le premier étudiant, il s'appelait Mel, je peux en dire son prénom. et qui est venu me trouver, il m'a dit, je vais me faire virer de mon foyer d'étudiant parce que j'ai le sida, est-ce que tu m'acceptes dans ton foyer ? Je lui ai dit, moi, je n'ai pas réfléchi. Ce n'est pas le truc, j'ai dit oui.
- Speaker #1
Oui, tout de suite, évidemment.
- Speaker #0
Mais ce n'était pas si simple que ça, parce qu'il était malade du sida, parce qu'il était dans un logement communautaire, parce qu'il habitait avec d'autres personnes, et que c'était une époque où on ne connaissait pas. Et quand vous étiez hospitalisé par le sida, vous entriez dans la chambre en cosmonaute, habillés, des pieds à la tête, etc. Et donc à l'époque... Je l'ai pris et il est gravement... Donc les étudiants, ils ont commencé au foyer à faire un peu glops, mais j'ai calmé tout le monde. Et il a été hospitalisé assez vite. Et je me rappelle, parce que c'est lui qui a été le démarrage de mon histoire sida, je suis allée le voir à l'hôpital et moi je l'avais vu comme une pasteur. C'est-à-dire...
- Speaker #1
Empathie.
- Speaker #0
Oui, empathie, gentillesse, bienveillance, blablabla, enfin tout ce machin qu'on dit. Et puis je... Moi, je ne voulais pas rentrer habillée en cosmonaute comme on faisait à l'époque. Et je dis, je rentre, je rentre dans la pièce. Et il était, à l'époque, il avait un cancer de la peau, plus d'autres maladies liées au sida, parce qu'il y avait vraiment des maladies dramatiques. Et je rentre, comme ça, sans masse, sans rien. Puis je vais m'asseoir pour lui dire bonjour. Puis il me regarde et il me dit, écoute, aujourd'hui, vraiment, je ne fais pas bien. Est-ce que tu peux me masser ? Et je le regarde, mais ça se passe en 30 secondes, même pas. Je regarde et dans ma tête, je me dis, je peux toucher, je ne peux pas toucher son corps. Est-ce qu'il faut que je mette des gants ? Tout ce qui passe par la tête, j'ai peur, etc. Et il me regarde et me dit, tu sais, si tu as peur, il faut qu'on en parle.
- Speaker #1
C'est lui qui vous dit ça.
- Speaker #0
Et je m'assieds et j'ai parlé de ma peur. Et ça a changé. C'est mon premier acte d'accompagnement. Et après, je n'ai plus jamais accompagné. Je n'ai plus jamais. j'ai fait d'autres bêtises ou d'autres erreurs ou d'autres maladresses, mais plus jamais. Et à chaque fois que j'ai pensé quelque chose, ou que j'étais gênée, ou que j'étais émue, je me suis arrêtée et je l'ai dit à la personne. Et c'était une manière de faire l'accompagnement qui a démarré mon ministère SIDA et qui fait que ça a rencontré ce succès, entre guillemets, parce qu'il ne faut pas parler de succès quand tellement de gens sont décédés. Mais ce ministère a eu tellement d'importance parce que j'ai ouvert ma porte, j'ai créé ce ministère et après j'ai dit, j'avais lu Derrida à l'époque, très compliqué à lire, mais il avait écrit quelque chose de simple qui disait qu'il faut créer un espace de non-savoir. Et pour moi, c'était vraiment, j'ouvre ma porte et je... Même si je sais des choses sur le sida, sur la drogue, sur l'homosexualité, sur tout ce que tu veux, je laisse un espace de non-savoir pour que tu me racontes quelque chose de toi, ce que tu as envie. Je n'ai pas besoin de tout savoir, j'ai besoin de savoir ce que tu as envie de me raconter. Et moi je viens aussi, et je viens avec qui je suis, avec ce que j'ai envie de te raconter. Et c'est dans cet espace de non-savoir que se passe la rencontre. Sinon, il n'y a pas de rencontre.
- Speaker #1
Je vous cite, vous racontez au début de l'épidémie, les malades se lavaient à l'eau de Javel, mettaient des étiquettes sur leurs fourchettes, ils s'autopunissaient, ils avaient intégré les principes du discours généocrétien sur la culpabilité.
- Speaker #0
Oui, parce qu'ils se sentaient coupables d'abord. On avait une tendance à dire que si tu avais le virus du Sina, si tu étais séropositif, c'était ta faute, c'est parce que tu avais couché ou parce que tu t'étais drogué. C'est un non-sens, c'est parce que tu l'avais voulu. Et donc on se sentait coupable, et surtout on se sentait coupable de transmettre. C'est-à-dire qu'on ne savait pas trop exactement les modes de transmission. On commençait à bien les connaître, mais ce qui se diffusait partout, la rumeur, c'est de dire « attention, c'est la salive, c'est ce que je te touche, si tu as une goutte de sang et puis que ça vient sur ma main où j'ai une petite plaie, tu risques de me contaminer » . Donc les gens se sentaient coupables de pouvoir aussi, ils avaient peur de transmettre aux gens qu'ils aimaient. ils se protégeaient, ils nettoyaient le javel, donc ils se décapaient pour ne pas transmettre. Et je veux dire, c'est vraiment des histoires, on se dit, c'est incroyable, c'est la société qui projetait ça. Et moi, je me rappelle une jeune fille que j'ai accompagnée qui a été contaminée, premier rapport sexuel à 16 ans, premier rapport, elle attrape, elle devient séropositive. elle tombe malade assez vite. Sans les médicaments, les gens fonctionnaient et disaient qu'ils avaient deux ans à vivre. Elle tombe malade et elle vient vers moi et elle me dit « Mais Dominique, je ne peux pas mourir parce que je n'ai rien vécu. Comment je peux mourir si je n'ai rien vécu ? » Et donc, tout le travail qu'on a fait ensemble, le chemin qu'on a fait ensemble, c'est qu'est-ce qui peut faire sens dans ma vie alors que j'ai que 16 ans ? Elle est décédée à 23 ans, donc elle a vécu jusqu'à 23 ans. Elle a vécu jusqu'à 23 ans, oui. Où est-ce que je peux trouver du sens pour moi pour pouvoir mourir ? Parce que sinon, je ne peux pas mourir. C'est que des histoires comme ça que j'ai vécues, avec des gens qui se posaient ce genre de questionnements, ou quelqu'un qui me dit, mais Dominique, toi tu prends Dieu, tu es pasteur, Jésus ressuscite Lazare, prie Dieu pour qu'il me ressuscite et qu'il me guérisse du sida. Puis moi, je fais la protestante, la pasteur, puis je dis, alors attends. Ça dépend quelle tradition. Je vais regarder dans le texte. C'est un fait pastoral. Je vais regarder ce que le grec dit. Parce que ce n'est peut-être pas tout ça que ça veut dire. Et puis finalement, la personne dit « Mais tu n'es pas un vrai pasteur. Si tu n'es pas capable de prier Dieu pour qu'il me guérisse du sida, tu n'es pas un vrai pasteur, je me casse. » Et ce jeune homme qui est parti pendant deux ans, et moi j'étais malade, mon histoire de Lazare, et du fait que je ne croyais pas suffisamment pour pouvoir... Ce n'était pas ma manière de voir, je ne sais pas comment il faut le dire. Et qui revient deux ans plus tard. Il avait été chez les fondamentalistes, il avait été rebaptisé, immergé, il avait confessé ses péchés, etc. Il avait fait tout un parcours. Il revient vers moi et me dit, finalement, j'ai compris quelque chose. Peut-être que tu es pasteur. Il me dit, ma guérison, ce n'est pas forcément le fait de ne plus avoir le virus. Il avait fait son chemin. Donc, c'est ces histoires-là. convives. Donc, c'est pour ça que ça décape aussi la manière d'être pasteur, la manière de croire. De 87 à 96, c'est l'arrivée des trithérapies, des médicaments à Genève. Mais surtout, de 90 à 96, j'ai enterré une personne par semaine, une personne que j'avais accompagnée. Donc, je suis devenue la spécialiste des services funèbres, la spécialiste des rites. Et du coup, on m'appelait pour enterrer. Donc, c'était ça aussi mon ministère. Juste se rappeler, les gens mouraient. Et j'avais des parents, j'avais des enfants, il y avait des enfants séropositifs. Donc c'est ça. Je recevais, je ne sais pas, presque 300 personnes par mois dans mon ministère. Donc c'était vraiment... Mais ce que je dois dire de l'Église à cette époque-là, parce que c'est important peut-être de le dire, l'Église protestante de Genève, c'est qu'elle a accepté de faire ce pari. Oui,
- Speaker #1
comment ça a commencé votre ministère ? Parce qu'on voit bien que vous avez contacté un peu par hasard des gens qui avaient le sida. Et puis... De ça dans un ministère institué, c'est quand même un peu autre chose.
- Speaker #0
Oui, c'est-à-dire que d'un seul coup, je me suis vu où je faisais plus d'accompagnement que de l'animation de mes étudiants. Et donc, comme j'étais quand même honnête, j'ai interpellé l'Église en disant « Je fais plus de travail pour ça que… Donc, je pense que peut-être qu'il y a quelque chose à faire. » Et ils m'ont libéré de 50%. Donc, ils m'ont autorisé à être à 50% pour ce ministère SIDA que j'ai créé. Donc, j'ai créé un conseil de ministère. Et puis, chaque jour, je notais dans un cahier tout ce que je faisais pour donner à mon conseil, pour qu'il se rende compte de ce qu'était. Parce qu'on ne crée pas un ministère juste en disant « you you tralala » . Il fallait qu'il y ait un contrôle. Il fallait que ce conseil puisse m'accompagner là-dedans. Et l'autre 50%, je faisais toujours le cup. Et puis après, le 50%, c'est passé à 100% parce que c'était... Il y avait trop.
- Speaker #1
Vous avez été bien accompagnée. Vous parlez de ce conseil.
- Speaker #0
Oui, c'est des gens que j'avais choisis. Que j'avais choisis pour... Au départ, il y avait Cosette Audi, il y avait Jacques Dehaler, il y avait Paulette Raymond. C'est des gens qui avaient aussi cette sensibilité. Et puis de dire, on la laisse y aller au début. Et puis on l'accompagne. Mais moi, je rendais des comptes. Pour moi, c'était très important de dire que ce n'était pas juste, ah ouais, j'ai vu des gens, etc. J'ai encore ces cahiers, ces débuts de ministère.
- Speaker #1
Mais comment on faisait pour enterrer des gens aussi régulièrement, dont on savait qu'ils allaient mourir ? Est-ce qu'il y a un moment où on n'implose pas ?
- Speaker #0
J'avais une supervision, c'est obligatoire. Une supervision et au bout d'un moment, un travail personnel sur ce que ça signifie la mort pour moi, la souffrance, la sexualité. C'était quand même compliqué, parce que j'avais le même âge que tous ces gens que j'accompagnais. Je pense qu'à un moment, je me suis dit, le jour où, quand j'accueille une personne nouvelle, je n'ai plus cet espace de non-savoir et que je connais déjà les réponses, ou que je sais ce que je vais dire, il faudrait que j'arrête. Et puis après, c'est une fois que j'ai quitté le ministère, l'Église, où j'ai trouvé que c'était très, très lourd et que c'est revenu un peu comme des flashbacks. Pas comme un stress post-traumatique, mais comme un truc où d'un seul coup, j'avais... Euh... Les morts me revenaient. Oui, c'est ça. Mais c'est après. Après que j'ai travaillé dessus. D'un seul coup, ça me revenait. Puis ça m'arrêtait au milieu du chemin. Et j'avais un peu une... Comme si j'avais une horde de gens qui étaient autour de moi et qui m'accompagnaient. Mais ça devenait un peu pesant.
- Speaker #1
Ça vous arrive de repenser à ces gens que vous avez accompagnés ? Oui.
- Speaker #0
Mais maintenant, de manière plus douce. De manière plus tranquille. Aussi, peut-être parce que j'ai vieilli. Et les... Plus tranquille, oui. Mais ma fille qui a vécu ça avec moi, elle disait à un moment, elle m'a dit, elle avait 4-5 ans, elle m'a dit, mais maman, tous les gens que t'aimes, ils meurent ?
- Speaker #1
Oui, c'est ça.
- Speaker #0
Et je lui ai dit, non, j'ai expliqué. J'ai essayé de lui expliquer. Mais c'était compliqué parce qu'elle était au milieu d'eux. Elle a connu toutes ces personnes. Elle a habité. Elle s'est rendue compte de ce que c'était en vivant. Du coup, elle a aussi vécu toutes ces morts.
- Speaker #1
Votre fille, on peut juste... C'est cette magnifique photo qu'on voit là. Il y a beaucoup de photos. Votre fille, on la voit au centre, à différents moments de son existence. Et puis, il y a peut-être deux autres personnes. En bas à droite...
- Speaker #0
Georges Casalis et Dorothée Casalis. C'était leur dernier engagement professionnel. Ils avaient repris le musée Calvin à Noyon. Et donc, j'ai été aller les voir. Et ce cadre m'a toujours accompagnée dans tous les lieux. J'ai toujours eu beaucoup d'objets, parce que les gens m'amenaient des objets, des photos, donc il y en avait partout, tout le temps. Et c'était... Ce cadre m'a accompagnée, donc avec des photos d'Aminata, il y avait donc Georges et Dorothée Caselis, et Michel, qui était médecin à Genève, et qui est décédé du sida, et qui était vraiment un très très grand ami à moi, et qui avait beaucoup de personnes vivant avec le sida dans sa patientèle. Et c'était vraiment un type extraordinaire. Donc ils m'ont... Ils m'ont accompagnée. Mais peut-être sur le ministère Sida, indépendamment de ses histoires d'hommes et de femmes, j'en ai plein d'histoires à raconter, parce que je les porte en moi. Mais il y avait aussi, j'ai posé des actes en 30 ministères. On a fait des cérémonies interreligieuses. Le 1er décembre, c'est la journée mondiale du Sida. Et j'ai créé cette cérémonie interreligieuse dès la fin des années 80, donc 89-90. Et c'était la première fois que c'était comme ça à Genève. Donc il y avait Baronne pour les cathos, François Garay. pour la communauté israélienne, enfin les juifs libéraux, parce qu'il y avait Afid Arderi pour l'islam, il y avait Jérôme Ducor pour les bouddhistes japonais, et il y avait un bronze, enfin un... Un moine ? Oui, un moine, mais ils ont un nom, enfin bref, ça reviendra. Et puis, des catholiques chrétiens. Et donc, on faisait des cérémonies interreligieuses. Mais la bande des quatre avec Gérard, et cinq avec Jérôme, dès le début, et on faisait la cérémonie interreligieuse, où c'est moi qui dirigeais, et je disais, on n'a qu'un seul mot d'ordre. On ne cherche pas à se convaincre les uns des autres, on prend une thématique, la mort, la maladie, et vous dites dans votre tradition ce que ça signifie. Et les gens, ils viennent et ils prendront ce qu'ils veulent. Et puis on avait une prière en commun, qu'on avait écrite avec beaucoup de difficultés, parce que pour les bouddhistes, il n'y a pas de Dieu, etc. Mais on a fait un texte qu'on disait à chaque fois, et on s'est déplacés dans les lieux. Donc on a été dans les étangs protestants, l'église, on est allés à la synagogue. Je veux dire, on a fait des choses qui ne sont plus possibles aujourd'hui. C'était exceptionnel. Cette cérémonie interreligieuse était vraiment incroyable.
- Speaker #1
C'est lié au SIDA ?
- Speaker #0
Oui, c'est le SIDA qui les a réunis, qui a créé. Et puis, on a eu une année Kofi Annan qui est venu. Qui est venu parce qu'il était à Genève pour ce 1er décembre. Et il est venu, on était au Temple de Saint-Gervais cette année. Et je vois arriver Kofi Annan. Moi, j'avais ma robe pastoral que j'ai retroussée pour cavaler. Pour accueillir Kofvienet, c'était juste incroyable. Et les personnes du Manchessina, elles étaient tellement... Mais oui, parce que d'un seul coup, la Genève internationale descendait dans la cité. C'était assez incroyable. C'était vraiment des grands moments.
- Speaker #1
Sur les trithérapies, c'est arrivé quand même à un certain moment, ça a changé l'horizon ? Ça s'est fait comment ?
- Speaker #0
Ça a changé tout. Il y a eu des médicaments avant les trithérapies. Il y a eu la Z... dans la fin des années 80. Et puis, la ZT, c'était le premier médicament. Et les gens, ils devaient prendre toutes les quatre heures. Donc, on avait des groupes de personnes, il y avait des groupes de paroles. Et les gens, il y avait des boîtes qui sonnaient toutes les quatre heures, mais ils n'avaient jamais aux mêmes heures pour qu'ils se rappellent des médicaments. Après, il y a eu d'autres médicaments. Donc, ils ont pris des bithérapies, etc. Il y avait des effets secondaires absolument incroyables. Il y avait un médicament, le stocrin, qu'ils aient... qui faisait beaucoup de rêves. Pour les personnes, chez nous il y a des gens qui aiment bien rêver, c'est important, mais pour les personnes d'autres cultures, le rêve a une autre signification. Donc ça faisait des ravages pas possibles. Les trithérapies sont arrivées en 96, avec le Norvire qui s'ajoutait. Genève, c'était la ville suisse la plus touchée. La Suisse est un des pays d'Europe les plus touchés, et Genève c'était la ville suisse la plus touchée avec 1% de la population séropositive. C'est énorme. C'est énorme, donc il faut se rappeler, on allait dans les écoles, on faisait des témoignages, etc. Et donc, quand les trip-thérapies sont arrivées, elles n'étaient pas remboursées par les assurances maladies, évidemment, au début. Et Guy-Olivier Segon, qui était le magistère de la santé à ce moment-là, il a dit « Genève a payé » . les trithérapies en juillet, alors qu'elles étaient remboursées qu'à partir de septembre. Donc, au début, c'est le canton qui a dit « on paye pour sauver ceux qui pouvaient » . Et moi, j'ai vu, mais vraiment j'ai vu, des gens paralysés, mourants, que j'aurais dû enterrer 15 jours après, debout le lendemain dans leur chambre. C'était spectaculaire. À ce point-là ? J'ai vu des paralysés se relever. Et c'était tellement spectaculaire. Et en même temps... Ceux qui étaient morts la veille, donc il y avait quelque chose qui était, c'était miraculeux, mais on ne pouvait pas y croire et on ne pouvait pas se réjouir. On ne pouvait pas, on avait toujours dit on fera la fête. Dans le film Philadelphia, qui était un des films sur le sida qui était un grand succès, on voyait à la fin les gens sur la plage et puis il y avait une espèce, et on était toujours dit on va vivre ça nous aussi. On n'a jamais pu se réjouir. Il y a eu trop de morts.
- Speaker #1
Il y a eu trop de morts.
- Speaker #0
Il y a eu trop de morts. Beaucoup trop de morts. Et on n'a pas pu se réjouir. Et puis... il y a eu un effet absolument incroyable, c'est que le sida a fait que ça a brisé les barrières communautaires et des gens qui n'avaient plus d'histoire. C'est comme si j'ai une histoire de vie, elle s'arrête parce qu'elle sida, je vis l'expérience sida et il y avait des communautés, donc qu'on soit homosexuel, noir, rouge, blanc, femme, homme, avec de l'addiction ou pas, on était ensemble dans des groupes de parole, des fois c'était un peu difficile, mais on était ensemble. Parce que ça redonnait une identité et ça redonnait une histoire aux gens. Ça donnait une identité et une histoire. Même si c'était stigmatisé, il y avait un groupe. Les médicaments arrivent et chacun se rediscipline. Chacun retourne dans son lieu. Et donc, j'ai vu des gens abstinents qui étaient sortis de la toxicomanie depuis 14 ans et qui sont retombés dans la toxicomanie. Parce que retrouver son histoire, c'est-à-dire une non-identité, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de... de place, il n'y a plus de comédie, ça a été terrible. Donc c'est aussi ça l'histoire du sida. C'est aussi cette espèce de miracle des médicaments et de naufrage de certaines personnes qui avaient survécu, qui ne pouvaient pas se réjouir et puis qui de coup n'avaient plus... de possibilité de dire voilà je me bats contre un virus difficile qui était plus rien.
- Speaker #1
Il y a un moment vous avez senti une forme d'appuisement parce que quand même vous avez travaillé des années j'essaie de vous dire.
- Speaker #0
Oui, j'ai continué le ministère Sida jusqu'en 2005.
- Speaker #1
Ça fait combien de temps si vous avez commencé ?
- Speaker #0
Un peu parce que l'église l'a arrêté un petit peu trois ans avant, il y a eu ce qu'on a fait un petit peu mais oui c'était beaucoup d'années. C'était quand même moins épuisé que les gens qui le vivaient. Il faut aussi remettre les choses à leur place. Oui, puis j'avais... Je me suis ressourcée, j'avais ma fille, puis je... On avait de l'humour. C'est-à-dire qu'il y avait des gens qui mouraient, qui étaient malades, mais on se marrait bien quand même. Oui, oui, on se marrait bien. On se marrait bien parce qu'on avait de l'humour, parce qu'on pouvait rire, on pouvait aussi se moquer de nous-mêmes. Ce qui était difficile, c'est tous ces enterrements et que le public, parce qu'il venait... Et puis... Ils venaient assister et puis je lisais dans le regard, c'est qui le prochain ? Et petit à petit, il y avait de moins en moins de personnes. Ça, c'était difficile.
- Speaker #1
Moi aussi, Dominique Roulin, c'était Madame Sida. Comment on sort de ça ? Parce que c'est quand même une expérience, on l'a bien compris, extrêmement prenante. Mais ça vous colle à la peau après. Aujourd'hui, on voit toujours comme Madame Sida, non ?
- Speaker #0
On ne connaît pas. On ne connaît plus cette histoire. On ne connaît plus pourquoi ? Je croise encore des gens qui me rencontrent quelque part. Alors, j'ai changé les cheveux courts, etc. Mais ils reconnaissent ma voix.
- Speaker #1
Oui, c'est ça.
- Speaker #0
Souvent. Et qui me disent, « Ah, mais ils me connaissent parce que j'ai enterré quelqu'un qu'ils connaissent. » Donc, je suis reconnue parce que j'ai enterré quelqu'un qu'ils connaissent. Donc, c'est souvent ça qui fait que je suis reconnue. Mais sinon, on sort de ça. C'est difficile. que l'Église a décidé que le ministère Sida n'était plus une priorité, alors que financièrement, il n'y a que mon salaire qui coûtait à l'Église, parce que tout le reste, j'avais des mécènes, je trouvais de l'argent, j'avais fait des micro-crédits, les banques m'avaient dit que j'avais un meilleur taux de remboursement que le leur. Je veux dire, c'était... Oui, parce que je prêtais à des gens à qui on ne prête pas, mais je faisais les budgets avec eux, et remboursais 5 francs par mois, mais ils venaient chaque mois me mettre une petite pièce pour rembourser. C'est tout travail de ça et puis c'est plus une priorité et donc j'ai été J'ai terminé mon engagement dans l'église. Quand ils ont décidé que le ministère Sida n'était plus une priorité, ça a créé tout un remous. Les malades ont écrit en disant « qui nous enterrera ? » Et c'était la question à l'église. Ils n'ont pas eu de réponse à l'époque. Et puis, le canton s'en est mêlé en disant « mais elle doit continuer » . L'hôpital a dit « mais elle doit continuer parce que même si on a les médicaments, elle fait un travail avec nous » . Il y avait une expertise que j'avais. Et du coup, le canton a payé un mi-temps à l'hôpital, ad personam, pour que je devienne experte consultante à la consultation achivée de l'hôpital pendant des années. Donc j'ai quitté l'église à mi-temps et je suis restée à l'aumônerie de l'hôpital, où là j'étais aux soins intensifs et au cancer ORL. Et c'était presque pire, c'était terrible. Le cancer ORL, c'est vraiment une unité difficile. C'est vraiment des gens qui sont meurtris dans leur chair et tout. Donc c'était... Très difficile. Et j'ai fait encore deux ans, et après j'ai arrêté, parce que peut-être que la théologie, l'Église, je ne me retrouvais plus dans cette Église. Je trouvais qu'elle avait arrêté ses engagements, qu'elle s'était repliée, qu'elle ne disait rien sur rien. Il n'y avait pas de parole, il n'y avait pas de message. J'étais plus debout. Si je reprends ma théologie du départ, et que je... Je ne savais plus quoi croire. Et je voulais toujours rester fidèle à ce que je dis le dimanche, au culte, etc. Je dois y croire. Si je n'y crois pas, il faut que j'arrête. Et il y avait eu ce moment, dans tout ce ministère, je me disais toujours, mais maintenant tu crois quoi ? C'est quoi ta théologie ? Et je me disais, la seule chose dont je suis sûre, c'est que je n'arrive pas à ne pas y croire. Donc ma théologie était devenue... J'arrive pas à dire que j'y crois pas. Mais, voilà. Et à un moment, j'arrive... Et donc, je me suis dit, c'est moi qui fais la traversée du désert. Donc, je suis rentrée dans cette traversée du désert. Donc, j'ai dit, je peux plus être pasteur parce que c'est trop fort. Et puis, je suis toujours par sorte de cette traversée du désert, je crois, aujourd'hui.
- Speaker #1
Mais comment on fait pour ne plus être pasteur quand on a été comme vous ? On parle de la pastourelle, encore aujourd'hui.
- Speaker #0
C'est un métier, c'est une fonction. Si je n'exerce plus le métier, je ne peux pas revendiquer. J'ai mes compétences, je les ai toujours, mais je n'exerce plus le métier. C'est un métier. Je fais partie de cette génération. J'ai une déraille à Genève, mais je viens, je n'ai pas été consacrée. C'est un métier pour moi. C'est une fonction. On peut avoir une vocation, on peut avoir une mission, on peut y croire, mais c'est un métier. On n'est pas des prêtres. Et j'ai arrêté de faire ce métier, donc je ne suis plus pasteur.
- Speaker #1
Alors comment on fait pour être autre chose après ? Ce n'est pas si facile.
- Speaker #0
C'est difficile parce qu'au début, je me définissais comme ex-pasteur. Je ne savais pas qui je suis, quelle est mon identité. Je ne savais pas. Et quand je postulais dans des postes, qu'est-ce qu'on fait quand on n'est plus pasteur ? J'avais des compétences. L'accompagnement, la fin de vie, les soins palliatifs. Mais la réponse que j'avais, c'est que j'étais trop. J'étais trop connue, trop assimilée à une image de pasteur, trop de caractère, trop femme. J'étais trop. Et donc, c'était difficile. J'ai passé des moments difficiles. Alors, j'ai travaillé à la communauté des Maïs pendant un temps. Après, j'ai été directrice de la prison pour mineurs. Mais j'ai eu le mérite d'avoir beaucoup d'évasion. Et on m'a reproché d'être trop...
- Speaker #1
Prolaxiste ?
- Speaker #0
Non, d'être trop sympa pour les jeunes. pas assez avec le personnel. Mais je venais de la rue. Mais les moumis m'aimaient bien, parce que évidemment, je venais du 9-3. Alors, il y en a un gamin qui m'a dit, genre, mais moi, je viens du 12-17. Et j'ai dit, ouais, 12-17, ça ne vaut rien. 9-3, là, ça posait. Donc, c'était un peu à d'autres. Donc, j'ai fait ça. Et après, quand j'ai trouvé mon dernier poste, mais je dirais qu'il a fallu à peu près 10 ans pour que je ne sois pas... plus identifiée comme pasteur et que je ne m'identifiais plus comme ex-pasteur. Et quand je suis devenue la directrice de ce lieu de formation pour les métiers de la santé et du social, l'Ortra Santé Sociale, j'ai été connue comme faisant de la formation, etc. Et tous les gens qui m'ont connue ces dix dernières années ne savent même pas que j'ai été pasteur.
- Speaker #1
Donc la transition s'est faite.
- Speaker #0
Mais c'est long. Pour changer d'identité, c'est long.
- Speaker #1
Alors, deux objets, on va terminer.
- Speaker #0
Je suis bavarde.
- Speaker #1
Non, non, mais c'est pour ça qu'on vous invite.
- Speaker #0
Oui, alors ?
- Speaker #1
On a deux objets, ils sont assez liés peut-être à ce qu'on dit maintenant. Je vais vous laisser les commenter et les présenter.
- Speaker #0
Alors, c'est un petit mouton. J'en avais plein. Parce que, mais c'était, pasteur, c'est un joke. C'est aussi, ça garde des moutons. Et donc, c'était mes ouailles. Et donc, j'avais des tas de petits moutons. Alors, j'en avais qui étaient habillés. J'avais un mouton noir. Donc, j'avais toute une collection de petits moutons. Et celui-là, il m'accompagne toujours. J'aime beaucoup ces petits moutons. Mais, voilà, je suis pasteur. J'ai été pasteur. mais c'est un peu un joke. Un clin d'œil. Un clin d'œil sur le fait que des fois, quand on dit qu'on est pasteur, on demande où on garde les boutons. Et puis, Trifon Tournesol.
- Speaker #1
C'est plus énigmatique.
- Speaker #0
Trifon Tournesol, c'est deux raisons. D'abord, parce que j'adore Tournesol, parce qu'il est fou. Il est toujours un peu à côté, il est toujours décalé, il est toujours... Mais il est central dans Tintin. Tintin, il n'est pas intéressant. Et il est sourd, comme moi. Je suis sourde d'une oreille depuis la naissance et j'entends mal de l'autre, donc je suis vraiment sourde. Et donc j'ai toujours rêvé d'avoir un sonotone. Et donc toujours les gens me disaient « mais t'achèteras un sonotone, tout le monde t'entend rien » . Et donc là c'est assez moi et puis c'est un peu la « je râle quand j'entends rien, je fais répéter 15 fois et j'entends rien, donc je râle » . J'adore ce Trifon Tournesol. Dans la consultation VIH de l'hôpital, le professeur Sida, le monsieur Sida, c'était le professeur Hirschel qui était à Genève, qui était vraiment très connu et qui a vraiment été un grand monsieur du Sida. Les personnes qui ont eu le Sida, et nous, on l'appelait le professeur Tournesol parce qu'il attachait un peu sa veste. Oui, il était toujours un peu... Donc, c'est aussi très lié à ça. Et j'adore Trifon. Je le trouve, il a une bonne tête.
- Speaker #1
Merci Dominique. Merci. Peut-être une dernière question sur la mémoire, parce qu'on sent que vous portez tous ceux que vous avez accompagnés, que vous avez enterrés. Qu'est-ce que vous faites de votre mémoire, peut-être ? Parce que vous avez une mémoire riche, on vient de le voir en une heure de temps, on n'a pas fait le tour de tout. Vous en faites quoi ? Elle est un moteur ou elle est un poids, ou les deux ?
- Speaker #0
Elle a toujours été un moteur parce que, et je le dois peut-être à Georges Casani, pour moi, la mémoire, c'est une trace d'avenir. C'est-à-dire que c'est ce qui nous permet d'avoir un avenir. Et que si on n'a pas la mémoire. On n'a pas d'avenir, pour moi c'est complètement lié. Moi je suis quelqu'un de l'oral, donc je raconte. On me dit toujours « tu dois écrire » , ça me fatigue d'écrire, mais j'ai fait l'effort d'écrire certaines choses. Mais je trouve qu'il faut transmettre, on n'a pas d'avenir, c'est une trace de l'avenir, la mémoire.
- Speaker #1
Merci Dominique, on vous justifie l'émission qu'on fait ensemble. Némoire Ville, bonne suite à vous.
- Speaker #0
Merci beaucoup.
- Speaker #1
Merci. Sur la fiche description, vous trouverez tous les détails et bien sûr le résumé de cet entretien. Suivez-nous, abonnez-vous, écoutez-nous. Vous nous trouvez sur toutes les plateformes de streaming. Apple Podcasts, Deezer, Spotify, les réseaux sociaux et aussi notre site reformer.ch. N'hésitez pas à vous exprimer par des commentaires, votre avis nous intéresse. Merci pour votre soutien.